Étude psychocritique, jungienne, de French Town

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    ruditest un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. ruditoffre des services d'dition numrique de documents

    scientifiques depuis 1998.

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    Article

    Pierre KarchFrancophonies d'Amrique, n 15, 2003, p. 81-93.

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    TUDE PSYCHOCRITIQUE, JUNGIENN E, DE FRENCH TOWNPierre KarchCol lge univers i ta i re Glendon, Univers i t York

    La psychocritique [...] devrait se dgager peu peu aussi bien de la psychanalyse mdicale quede la critique littraire classique.Charles MAURON, Jung et la psychocritique ,Le disque vert

    J e ne suis pas mdecin e t encore moins psychanalys te . J ' a i lu Freud e t Jung,m ais pas tout . Si je m 'av en tu re , m algr tout , sur la rou te de la psy cho cri t iqu e ,je le fa is encourag par ce lui - l mme qui en a invent le te rme, CharlesMauron , qu i d i t b ien que pour en fa i re , nous n ' avons pas beso in d ' t re psychanalys te ni mme mdecin , car i l n 'es t pas ques t ion pour un cr i t ique l i t t ra i re de gu r i r qu i que ce soi t , A ute ur ou P erso nna ge. Je pa rs do nc tou ts implement d 'une thorie de Cari G. Jung, por tant sur les t ro is ges de la v ie ,que j ' app l ique un t ex te , French Town1, pr ix du Gouverneur gnra l (1994) .Ce que je me propose de faire, c 'es t une lecture possible de cette pice. Je disbien poss ib le , car il y en a d 'aut r es , com m e no us le ver ron s plu s lo in . Cet telec ture t ient galement compte de l ' espace , un espace que chacun chois i t e tqui le dfinit .Vespace onirique

    Perso nna ge o n i r ique , S im one , l a m re , rcem m ent d cde [ Je su i s m or tequelques jours avant l 'Act ion de grce (p . 22)] , reprsente le pass rvolu,mais toujours obsdant . Tout ce qui sor t de sa bouche, ses enfants l 'ont d jen tend u , pu i s qu e ce son t eux qu i lu i do nn en t fo rme e t pa ro le . Mais com m e cequ 'e l le a leur d i re n 'es t pas ce qu ' i l s veulent entendre , Pierre-Paul lu i d i t : Tais-toi (p . 13) et C in d y : Far m e-to (p . 13). Ds ces p rem ire s rpliq u e s , le spectateur-lecteur sent le confl i t entre le Conscient et l ' Inconscientrefoul, ou, s i l 'on prfre, la dialectique du Moi et de l ' Inconscient 2 , pourr e p re nd re la fo rm u le he u re us e de J ung , ph nom ne p s yc h iqu e i de n t i que c he zle frre et la sur. S' i l y a eu refoulement, c 'es t qu' i l y a eu traumatisme. Parl ' abrac t ion , chacun re t race ra ses pas jusqu ' au moment de l a c r i s e , jusqu ' aut rauma , pour s a pe r te ou pour son sa lu t .Le rle de Simone es t donc t rs important . C 'es t ce t te par t ie du psychismede ses enfants qui es t tapi dans l 'ombre e t qui cogne des poings contre les

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    m ur s pou r se fai re en t en dre e t po ur sor t i r au gra nd jour. C 'es t un e personni f i cat ion du mal que chacun por te en so i . Lui rpondre ou mme l ' couter , c ' es tse confesser ou faire un aveu. Des t rois enfants , un seul semble vouloir al lerau fond des choses, un seul semble vouloir ral l ier le Conscient etl ' Inconscien t : Je vais t ' a ider , d i t Mar t in . Recom me nce au d bu t (p . 13) .L'espace mnmonique

    La mr e, rce m m en t d c d e , est [...] la m m oire de F rench T ow n [ ...] (Robert , 1994, p . 671) et Fren ch T ow n, c 'tai t u n v i l lage d an s le vi l lage deTimber Fal ls (p . 13), p rcise S im one. Da ns le p r og ra m m e de la p re m ire pro duct ion de la pice, on ci te M m e Anita Dsi lets qui , avec le personnel de lab ib l io thq ue m unic ipale d e Sm ooth Rock Fal ls , a pr od ui t u n v id o e t unalb um de pho tos re t raan t l 'h i s to i re de leur v i l le 3 . Voici ce qu'el le dit : U neaut re pet i te co lonie appele French Town s 'r igea au sud du moul in . Onl 'appela ainsi parce que la majori t des t ravai l leurs venai t du Qubec. [ . . . ] Audbut , on rigeai t seulement de simples camps de construct ion. [ . . . ] Vers la f indes annes t ren te , quand la s i tuat ion du logement s ' aml iora , la compagnieincendia les maisons de French Town 4 . Sur la pa ge cou ver tu re d es deu x pre mires d i t ions de French Town, on a r ep rod u i t un e pho to d u v i ll age incend i .D an s le texte, Sim one d on ne un e d ate : 1936 (p. 43-44), s i tu an t ainsi la f ict iondans un temps h is tor ique. L 'au teur , l ' d i teur , le Tht re du Nouvel Ontar io ,S imone, tou t le monde donc pousse le lecteur fa i re le rapprochement en t reun v i l lage fictif, Timber Fal ls , et un vi l lage rel , Smooth Rock Fal ls . Del 'espace ainsi dfini , on passe l ' incident fictif, l ' incendie du French Town deTimber Fal l s , celu i , h i s tor ique, de l ' incendie du French Town de SmoothRock Fal ls . Ces crans de fume qu 'o n me t deva nt les yeux d u lecteur-spectateur na f peuvent b roui l ler sa percept ion des choses ; i l pourrai t mme cro i requ e le dr am e qui se joue da ns French Tow n renvoie galem ent la ral it .C 'es t la mre qu i , dans son r le de mmoire de French Town, raconte lesN ols d 'an ta n (p. 22), la fabricat ion de la crch e (p. 57) pu is le r i tuel annu el , lejour de Nol , qui consistai t brler la crche en papier (p . 81). C'est aussi el lequi racon te la d if ficu l t de v iv re aux d b uts d e la co lonisat ion d u N or d (p . 32 ,34) e t qu i no us a pp re nd qu e c 'es t son f rre U rbain qu i a tu l 'ho m m e (p . 100) qu 'on a t rouv assa ss in la veil le de l ' incendie . C 'es t s on d ra m e ; e l leest morte en en emportant le secret , mais, une fois morte, el le le rvle. qui ? Au spectateur- lecteur pour qu i cet te rvlat ion es t pour tan t sans consq u en ce .

    Le pass pe u t se rv ir exp l iquer ou mieux com pren dre l e p rsen t , com m ele d i t S imone : C om m en t tu v eu x te re t rouv er s i ton pas s es t tou t croche ? (p . 87) . I l a donc son impor tance pour les personnages , mais les conf l i t s son tau prse n t . U ne fo is mor ts , les pa ren ts sont ho rs comba t . Les enfan ts pe uv en ttou jours se mesurer l 'un ou l ' au t re de leurs paren ts , mais i l s ne peuventp lus lu t ter cont re eux ou avec eux .

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    tude psychocritique, jungienne, de FrenchTownCela tant, les personnages en tat conflictuel dans French Town ne peuven t tre que les trois enfants : Cindy, Pierre-Paul et M artin.

    Espace I tempsPou r les besoins d e cette tude et pou r lui donner u n plan qui se tienne, j 'aieu recours ce que dit Charles Baudouin qui traduit ainsi la pense deGerhard Adler (tudes de psychologie jungienne, Genve, Georg, 1957) : chaque ge d e la vie a ses problm es p rop res. [...] La tradition hin do ue a,depu is long tem ps, formul les tches et les devo irs diffrents q ui conv iennen tau jeune homme, l 'homme mr, au vieillard- la famille, la cit, lamditation... (Baudoin, 1963, p . 147).Voil donc trois ges, trois tches ou devoirs accomplir et trois personnages. La tentation tait trop grande pour que je n'essaie pas d'appliquercette grille French Town. J'admets, ds le dpart, que les personnages deMichel Ouellette rsistent parfois entrer dans la grille que je leur destine,ma is je pours uis qu and mm e l'exprience, car elle me parat fructueuse.

    Cindy I la jeune femm e I la famille Cindy, autrefois Sophie ["Oui, c'tait a son nom de bap tm e..." (p. 20)],no m qu e le pe rso nnage a jet aux orties parce qu'il rimait avec "Softie" (p. 37)

    est une d ure qui porte des jeans, joue dan s les moteurs de voiture ses heureset sacre tout le temps comme un diable entre deux sacrements. Cindy, c'est lediminutif de Cendrillon (Karch, 1995, p. 91), la petite fille qui vit prs dufeu, dans les cendres et qu i est recouverte de poussire.Ce qui frappe d'abo rd le spectateur-lecteur, c'est l' incorrection langag ireet la vulgarit verbale [...] de Cindy (O'Neill-Karch , 1995-1996, p . 120). Calice de taba rnak de chrisse (p. 16), lance-t-elle, en parlant son bazouqui ne dmarre pas, qui ne bouge pas, qui ne va nulle part, comme elle. Etc'est l son drame : Cindy ne sort pas de sa crise, d'o l'espace qu'elle achoisi, parce qu'il lui ressemble : une vieille voiture incapable d'avancer. Cetespace renvoie au pass (vieille voiture), son apparence physique (salet),au fonctionnement de sa pense (moteur en panne) et son tat d'esprit (sta-tisme). Cette voiture-l n'est pas une dcoration ; elle n'est mme pas utile.Est-elle rpara ble ? Cindy semble le croire et y travaille. Ce qu'e lle fait p ou r lavoiture (son espace de prd ilection), elle le fait galem ent po ur elle-mm e.Cet espace physique et mental est galement un espace affectif puisque lebazou, c'est le pick-up (p. 20) du pre de C indy, Gilbert, do nt sa fille suit

    les traces : Pris sa place quan d y est m ort d u cancer (p. 21). Elle l'imite entout, selon Simone : A parle comme son pre Gilbert. A va finir commelui.. . (p. 17). Pierre-Paul fait le mme rapprochement : Elle est l'incarnation de G ilbert. La mm e violence stupide (p. 73), prcise-t-il aprs avoir d itqu'elle tait une femme qui se prend pour un homme. Mme pas unhom m e. Po ur un e bte (p. 73). Simone et Pierre-Paul prse ntent ainsi leurvision des choses. Nous pouvons, notre tour, nous demander pourquoi83

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    Ci nd y t ien t tre l' om bre (p. 20) de son p re. Cela vient , dirai t Jun g, del ' image que Cindy se cre de son pre, une image qui ne colle pas ncessairem en t la rali t : les pa ren ts , no us p rv ient R ay m on d H ostie , [sont] do tsd 'une plus-value psychique exagre , soi t dans le sens positif, soit dans lesen s ngatif (1955, p . 38). P ou r ce qu i est de Cin dy, l ' im ag e pa tern elle estaus si exag re d an s le sen s positif [ Gilbert, c 'tait m o n h ros (p. 46)] qu el ' imag e m atern elle l 'es t d an s le sens ngatif [ m au di te folle (p. 47)]. Po urexpl iquer ce comportement , je rappel le l ' tude de Marie-Louise Franz d 'oj ' a i puis le passag e suivan t :

    Dans notre civilisation judo-chrtienne, c'est--dire dan s une tra dition strictement patriarcale, l'image archtypique de la femme nefigure pas ; suivant la bou tade de Jung, elle n'a pas de reprsentantau Parlement d'En Hau t . Il en rsulte que, d'une part, la femmeest incertaine quant sa propre essence ; elle ne sait ni ce qu'elle est,ni ce qu'elle pourrait tre. Il ne lui reste que deux solutions :rgresser jusqu' un modle de comportement instinctif primitif ets'y cramponner pour rsister aux pressions exerces sur elle par lacivilisation, ou tomber dans une attitude d'animus [i. e. chercherdans la mentalit masculine l'image archtypique de la femme] ets'identifier totalement lui, tentan t de construire une image masculine d'elle-mme pour compenser l'incertitude qu'elle ressent l'intrieur quant sa nature. C'est ainsi que l'on rencontre l'pouse dvoue , la parfaite matresse de maison et lamre qui a tout sacrifi pour ses enfants [...] Ou l'inverse, ellesessayeront de ressembler des hommes, mettant tout d'elles-mm es da ns leur carrire, l'amb ition, etc., y sacrifier toute vie sentimentale et individuelle (1993, p. 13).

    C in dy qu i, [e]st alle chasse a vec [son pre] . T'alle pche. T'alleboire de la bire l 'htel . T 'al le travail ler avec lui au moulin quand a l 'a eul 'ge (p. 20), ap pa rtien t sans contre dit au secon d g ro up e, pu isq u'el le rejet tetout son ct fminin po ur n ' t re plus q u 'u n mo d le rdu i t de son pre : Voulais tre co m m e lu i, m o (p. 46). Je dis bie n r du it , car elle rejette sanature pour n ' t re que ce qu 'e l le imagine t re un homme. El le va jusqu 's 'a t t r ibuer les par t ies gni ta les d 'un homme au moment o e l le reprend, son intent ion, une express ion qui n 'a aucun sens dans la bouche d 'unefemm e : a m e casse pas u ne gosse, m o (p. 25).

    Co mm e on peu t l e vo ir , C indy ne recu le pas mm e dev ant l ' absurde po urrejeter tout ce qui pourrait la faire glisser dans la fminit , sans doute enract ion5 la premire ducation qu'el le a reue de sa mre qui a tent envain de faire d 'el le une peti te f i l le modle, insis tant pour qu'el le porte des robes fleuries (p. 34) et qu'el le joue avec des po up e s po ur l 'habitu er sonfutur rle pr s um d e mre , alors que l 'enfant vo ulait jouer da ns le sable (p . 34). Dans ces conditions, on comprend la colre de la petite fille rebelle : Dch ire toutes mes m au dit es robes fleuries . Pr en ds m es catins . A rrach e lesbras , les jambes, les ttes. Calice toute contre le mur [. . . ]. Prends la maison decat ins qu 'a m 'a donne Nol p is saute dessus , l ' crase avec mes pieds , la

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    tude psychocritique, jungienne, de FrenchTowndfais en morceaux. [...] Descends dans la cave. Mets toute a dans la fournaise bois (p. 41). On comprend aussi le ressentiment de la jeune femmepour qui une robe, c'est une camisole de force, un vtement contraignantdo nt elle n'a que faire. Chrisse de guenilles (p. 22), dit-elle d es robes d e sam re qu 'elle a l'intention de don ner aux p auvre s (p. 22). M artin la retientet, chose bizarre, elle ne l'empche pas. C'est la premire faille dans sonarmure protectrice, car tant que les robes se trouveront soit dans la chambrematernelle soit dans des caisses entasses dans le garage o Martin a l'intention de les mettre, il y a possibilit de contagion.Autre possibilit de contagion : le sentiment. Cindy s'en dfend, en rpondant l'affection de Martin par une suite d'injures allant de l'adjectif dnigrant l'interjection grossire, en passant par deux comparaisonspjoratives : T'es don ben achalant. Dirait que t'es comm e la mre. Poser desquestions tout bout de champ comme un innocent. Pas de tes affaires,fuck ! (p. 27-28).L'amour, toutefois, la prend par surprise et la dsarme : Un soir o sentique j'tais pas un homme manqu, ni une femme manquee. Sentie commemo. Une ostie de femme. Mme pens que j'tais belle (p. 88). Cette exprience l'a bouleverse : cause de c'te soir-l que je m'artro uve plu s fuckeaujourd'hui (p. SS). On comprend mal cette attitude si on ne voit pas enCindy une femme qui refuse de rpondre l'image idale qu'un typed'homme peut se faire d'elle. Elle n'arrive pas exprimer pareille pense,mais ce qu'elle ve ut, c'est tre elle-mme, personne d'autre. Pour le mom ent,elle domine la situation.Cela n'a pas toujours t le cas. Ainsi, pour Pierre-Paul la chambre est,comm e on le verra plu s tard , un lieu de refuge ; mais, po ur Cindy, c'est uneostie de prison o a m'envoyait pour me garder tranquille parce que jem'excitais trop qu'a disait, trop pour une fille (p. 34). Lieu d'enfermem ent,lieu de punition pour les filles, la chambre s'oppose la voiture qui donneaccs la route, la libert sans fin, au voyag e : J'avais quinze ans pis u neostie d'en vie de chauffer un char. Tais dan s le garage. Assise dans le pick-upde p'pa. Jouais aprs le steering. M'imaginais sur le highway. Roulais planche. La radio au boute (p. 53-54). La voiture lui fait donc participer aumonde qu'elle croit tre celui des hommes, car aucune autorit venants'imposer son pre, elle s'imagine que les hommes sont au-dessus de la loi,des obligations familiales ou autres : Un homme, un ostie d'homme [...].Parce y pouvait sacrer comme y voulait. Parce y pouvait s'enrager quand yvou lait. Parce y avait des poin gs pis de la yeule (p. 46).La voiture ab and onn e, inutilisable est l'espace qui dfinit le mieux Cindy,mais elle se voit aussi insparable de la maison paternelle, ce qu'on apprendqua nd Pierre-Paul menace de la mettre la porte : Pas to qui vas me m ettredehors d e chez nous, mon sacrament ! T'a mo, c'te maison-l. Toujours vcud'dans, mo (p. 64). Elle est prte tuer p ou r la conserver, mon trant ju squ 'quel point tout ce qui a apparten u son pre est devenu lieu saint ou reliquepo ur elle, alors que tout ce qui a appa rtenu sa mre (par exemple ses robes)

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    peut d ispara t re , sans qu 'e l le s ' en formal ise . ce moment du drame, Cindyrejet te tota lem en t l 'influence de sa mr e et accepte en bloc celle de so n p re.Pu i s , dan s la deux im e pa r t i e , que lques mo is p lus t a rd pu i s qu e nou s somm es P qu es e t no n plu s No l , c 'es t pe ine s i on reconna t C ind y qu i vo udra i t de s fois ard eve nir Sop hie (p. 98) et qu i parl e d e p art ir : So phie, ape ut p as v ivre ic it te (p . 98). Le souv enir d 'un e n ui t d e bon he ur l 'obsde aupoint o e l le es t pr te tout abandonner de ses convic t ions e t de son pass ,po ur re t rou ver l 'ho m m e de sa v ie : Je po urra is a l le r voi r H enr i . P eut- t reque. . . Sacre ! C hu s-tu folle de pe nse r d e m m e ?... L-b as , avec H en ri , p eu t- t re que je vas t re capable de t rouver un mi l ieu ent re Sophie p is Cindy (p . 98-99). En a t tend ant de t rou ver u n jus te m i l ieu ent re l ' image qu 'H en rise fai t d 'e l le et la conception qu'el le a d 'e l le-mme, el le change de vocabulaire, abandonnant l ' ecc ls ias t ique , cessant donc de rendre l 'gl ise responsable de sa condit ion. Elle cesse aussi de rendre sa mre responsable de cequ'el le es t . Elle se raccorde avec el le . Elle met une robe, pas n ' importelaquel le , un e des robes d e m am an (p . 103), reconna t P ierre-Pau l to nn .En as sumant s a fmin i t , C indy se m tamorphose , comme une chrysa l idedev ien t p apil lo n. Elle ne resse nt p lu s d e v ide en el le : C'es t p u s v id e (p . 104). Elle accepte d ' tre ce qu'el le e s t : Ai le droit d ' tre sentim enta le .Droi t de bra i l le r en dehors quand des affa i res be l les m'arr ivent ou quand afai t m al . Droi t m au di t de pense r que je peu x t re he ure use avec qu ecq u 'u n. Jeveux pus refuser a . . . Je sa is qu 'y a quecqu 'un qui m'a ime, p is as teur je vasl 'a ime r m o to u (p. 104).Pierre-Paul I le vieillard I la mditation

    Le pr em ier espace-refuge de Pierre-P aul a t sa ch am bre , u n vri tablerefuge contre Gi lber t qui incarna i t la barbar ie de ce monde ignorant e tbr ut al (p. 32). Ce refuge es t celui de l 'ordre : Tout de vait res ter la m m eplace (p. 34), se rap pel le Ma rtin qu i pa rtag eait cet espa ce qu i ne lui a pp art enait pas . C'es t dans cet espace que Pierre-Paul dcouvre le plais ir de la lect u re , m ais sur tou t ce lu i d ' un univ ers b ien ord on n o les m ots su ivent l 'o rdrealphabtique, o tous les mots ont un sens , o i l es t faci le de se retrouver : D an s cet te cha m bre , [ ...] je prena is m o n Petit Larousse illustr, le seul livredans ce t te maison d ' i l le t t rs . E t pendant des heures je tournais les pages .J 'apprivoisais les mots . Je les dcouvrais . Quelle chaleur ! Quel rconfor t ! (p . 34). P lus lo in , P ierre-Paul t rouv e l 'accent pot iqu e ap pro pr i po ur d i re cesm om en ts pr iv i lgis : Je cherchais un vo cabula i re po ur d i re ma pe ine . Je mesau va is d an s les pag es d e ce dict ion naire . Je gota is , enfin, la libert (p . 35). Cette l ibert , i l la t rou ve pa rad ox ale m en t d an s les rgles de gra m maire, les tableaux de conjugaison, le pluriel des noms, les prfixes et lessuffixes (p. 35), m ais c 'es t un e l ibert i l lusoire , pu isq ue son p re lui im po sesa volo nt b ru tal e (scne de chasse) et qu ' i l le ba t san s me rci : a a com menc par un coup du revers de la main. [ . . . ] demi conscient . Je m' imagina is d an s m a ch am bre . Le d ic t ionnaire contre la poi t r ine , je rc ita is par c ur

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    tude psychocritique, jungienne, de FrenchTownles accords du par t ic ipe pass (p . 77). On ne sa i t pas depuis quand i l a pr isl 'habi tude de recour i r a ins i au d ic t ionnaire quand les choses vont mal pourlui, comme s ' i l pouvai t rec t i f ie r une s i tua t ion en lu i appl iquant une rgle deg r a m m a i r e .Les rgles de gra m m aire lu i rem onte nt [auss i] la m m oire po ur m eu bler le vide de la conversat ion (Karch, 1995, p. 91), quand ce n 'es t pas pourd tou rn er la con versa t ion ou p ou r ne pas couter ce qu e d isent les aut res : Le par t ic ipe p ass conjugu avec t re s 'accorde en genre e t en nom bre avecle sujet du verbe (p. 14). C 'es t la rplique drelle d 'un autis te entirementoccup pa r son m on de in t r i eu r6 . On voit ic i jusqu' quel point Pierre-Pa ul refuse d e faire face la ral i t , refuse de re tou rn er la racine de so n m al.Cet te rpl ique es t te l lement s tupf iante que sa sur , qui le conna t pour tantassez b ien , s ' en to nn e , co m m e s i la s i tua t ion d e Pierre-Paul , sa sant me nta le ,ava i t em pir de pu is leur dern ire renco ntre : Qu 'es t -ce t ' as , to , s t ie ? (p . 14). ce moment-c i du drame, l ' espace qu 'occupe Pierre-Paul es t ce lu i de lagranunaire , d 'un l ivre de rgles , de lo is formules par d 'aut res e t qu ' i l fautsuivre pour ne pas fa i re de fautes , d 'e r reurs , de pchs , de cr imes . Car dansson un iver s in tr ieur tout se t ient , la correc t ion gra m m at ica le a ssura nt la rect i tude morale. Connatre la loi pargne de connatre la vie ; c 'es t un refuge etu n sa lu t . Cet espace es t auss i ce lu i d u d ic t ionnaire , aut re source de cer t i tud es .Sim one, pa r ex em ple , d i t de Pierre-Paul qu e c 'est u n vra i d ic t ionn aire (p . 16), identif iant par le fai t mme le personnage son espace. Cette rem ar qu e, suivie d e celle-ci : au jou rd 'hu i , y es t qu el qu 'u n (p. 20), ferait p lais ir Pierre-Paul qui croirai t partager ainsi la principale quali t de ces deuxuvres : la perfect ion. Or celui qui se croit parfai t n 'a aucune raison de voulo ir changer . C 'es t po ur qu oi P ierre-Paul rs is te tant re t rouv er son pas s e t regarder le prsent en face.Le pass qu' i l reconnat , parce qu' i l l 'a appris , c 'es t celui de la culture. CarPierre-Paul a fai t des lectures qu' i l a retenues , ce qui lui permet de ci ter lesgrands auteurs , ceux qui font autor i t , ceux donc des pages roses du PetitLarousse illustr : Nihil sine labore - Rien sans travail -, dit-il son frre quine comprend pas , mais qui fa i t semblant de comprendre pour sauver la face(p . 30).Cul ture e t savoir ne sont toutefois pas des secours assez puissants pouraider Pierre-Paul viter indfiniment ce qu' i l cherche fuir . Au contrairemme. Tout en se conf inant aux rgles de grammaire , Pierre-Paul ent re progress ivement dans son Inconsc ient par le t ruchement des exemples qu ' i ldonne aux rgles , des exemples personnels t i rs de son propre drame familial. C'est a in si qu e, p o ur i l lus trer la rgle L 'adv erbe es t un m ot inva riablequ i mo dif ie le sens d 'u n adjectif, d 'u n v erbe ou d 'u n aut re adv erbe (p . 21), ilajoute : Il est fort im pa tie nt. Il hu rle tro p. Il a frapp son fils trsbr ut ale m en t (p. 21). Voici t rois exem ple s q ui i l lus trent t rois fonctions del ' adverbe , mais qui donnent auss i t ro is ra isons pour que le f i l s renvoie sonpre aux oubl ie t tes . Le refuge commence ic i se lzarder sr ieusement . On

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    aura i t p u re lever d 'autre s lzardes av ant cel le- l , ma is le specta teur m oy en oule lecteur qui se con tente d 'u n e lecture rapid e, superficielle , pe u t difficilementco m pre nd re q ue les ph rase s La rou te est bo rd e de conifres rachi t iques .Bord e, part icip e pa ss conjug u avec tre, e accent aigu e (p. 16) et Jeroule vers la maison habi te par ma sur. Habi te , par t ic ipe pass sans auxil iaire , e accent aig u e (p. 16) sont les pre m iers indice s, le pr em ier s ignifiantle l ieu ab an do nn , soit le N ord , le second rap pe lant la sur , source du confli tqu ' i l a c r en met tant la maison parenta le vendre .

    Si sa su r reprsente le Nord, celui des m ines et des usines, lui, c'estle Sud, celui de la culture et des g rande s en treprises. Ils ne parlen tpas la m me langue ; ils ne sont donc pas de la mm e famille : Achale-mo pas avec a, to. La famille ! Quoi a veut d ire, a ? (p . 27) C'est p ou rquoi, tan t la premire le reconnatre, elle le traitede moumoune (p. 24) et de tte (p. 25), comme cela se ditencore dans un pays o bien parler est aussi mal vu q ue d'avoir desmanires et de se tenir table (Karch, 1995, p. 91).

    L 'ant ipa thie de Cindy prolonge ce l le de Gi lber t qui t ra i te son a n de bra sseu d e m ar de , express ion qu e rpte S im one (p . 114). Les re la t ionspre-f ils tant s i pe u cha ud es , on com pre nd qu e po ur P ierre-Paul l ' autor i tsera celle du dictionnaire qui lui sert de substi tut de pre. C'est donc le rejetdu pre comme f igure d 'autor i t qu ' i l faut voir dans ce t a t tachement au dict ion naire q u' i l tente d ' imiter, p ar sa recti tud e, ses affirmations, ses ci tat ions.

    De vic t ime qu ' i l a t , par rapport son pre , P ierre-Paul es t devenu untyran par rapport sa sur e t son frre , aprs avoir t une brute par rappo rt sa m re q ui lui dit d e qu it ter la ma ison : Je t 'a i gifle. Je t 'a i po us secontre le mur. Je t 'a i t i r les cheveux. Je t 'a i jete par terre. Je t 'a i donn descoups de pied (p. 114). Simone invite le lecteur-spectateur faire le rapprochement entre , d 'une par t , P ierre-Paul , qui se donne des droi ts sur son pre[ M am an , il faut le m ettre e n priso n. I l faut l 'enferm er (p. 113)], puis , aprssa mort , sur la maison de ses parents qu ' i l tente dsesprment de vendre , e t ,d 'au tre par t , les m au va is r iches , les prop ri ta i res de l 'us ine e t de French Townqu ' i l s veu len t d t ru i re , comme s'ils vo ula ient purifier le pa ss p ar le feu : Tout le vil lage tai t eux au tres . Les m aiso ns taient eux autres . . . r ien qu ede s tau dis , ces cabanes-l . Rien qu e de s tau dis sales . .. M a maiso n. . . a sen t lefeu. Y a le feu da n s m a m aiso n (p. 105, 107). C om m e eux , Pierre -Pau lm en ace de m ettr e le feu la maiso n : Je va s l 'incendier, c ' te ma iso n d e m alheu r. Pu s pe rso nn e va y v ivre. Per son ne (p. 111). S 'i l m ettai t le feu la ma ison, i l purifierait son enfance, i l l 'effacerait comme si tout ce qui l 'a rendum alhe ure ux n 'av ai t jamais exis t . C 'es t peu prs ce que lu i d i t Mart in : T 'as a t ten du la m ort de m 'm an po ur te venger . C 'es t pou r a qu e tu veuxve nd re la mais on , p ou r effacer tou tes les traces de p 'p a (p. 112). Ag ir ainsi ,c 'est pou sser le refouleme nt ses l imi tes ; ce n 'es t pa s gur i r d 'u n t rau m at isme.

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    Martin lui dit le premier de se mler de ses affaires et se libre de sonemprise. Cindy le lui redit on ne peut plus clairement : Tu bosseras pus lemonde. Faut toujours que a marche ta faon. Ben, a marche pus a, stie !On n'a pas besoin des bullshitters comme to qui se cachent dans des officespis qui dcident com ment y faut parler. Qui dcident comment y faut penser.Qui dcident qu'une place a pus d'avenir. Qui dcident qu'une maison est vend re, mm e si du m onde vivent dedan s encore, pis y sont heureux (p. 103). Pierre-Paul, pou r qu i le Petit Larousse illustr est le db ut et la fin dumonde, voit son univers menac par sa sur qui n'accepte pas son autorit,qui rejette toute valeur qu'il reprsente : correction grammaticale, autorit descadres sur les ouvriers, autorit des ans sur les plus jeunes, supriorit -donc a utorit - de la culture sur la natu re. C'est total. Il n'y a entre eux aucunpoint d e rencontre, aucun e possibilit d'entente . La situation s'envenim e. O nse prcipite vers le mom ent tragique.Ce que refoule Pierre-Paul, c'est son enfance malheureuse, bien sr, maisc'est aussi son dsir de vengeance qui revient, de faon obsessionnelle, dansune ph rase qu 'il rpte : J'aurais d lui tirer dan s le dos (p. 44). Il a t tellement marqu par son pre qu'il voudrait reprendre ces armes de sa vie,vivre une no uvelle version d u pa ss, alors que tout est fini puisqu e son preest m ort et que rien ne l'empche plus d e vivre sa vie comme il l 'entend : Leconditionnel exprime une action qui dpe nd, d ans sa ralisation, de certainesconditions... J'aurais d lui tirer dans le dos... Conditionnel pass... Uneaction q ui n'a pas p u se raliser (p. 46). La gram maire v ient encore un e fois son secours, en l'aidan t voir plu s clair. Mais le pass ne ressuscite compltement qu' la fin de la pice o l'on apprend qu'il a battu sa mre, qu'il avoulu faire enfermer son pre, qu'il a fait une crise au cours de laquelle il adtruit son petit monde clos, studieux, religieux, le Larousse faisant partied'un univers o les lois grammaticales sont en concordance avec les devoirsreligieux: j'ai tout lanc contre le mur... La lampe de chevet, le vieuxLarousse, le prie-Dieu, le Ecce Hom o ! (p. 114) C ette scne pitoya ble, qu i s'estdroule la veille de son dpart, redfinit Pierre-Paul qui abragit, cemoment du drame, qui retrouve le moment traumatique qu'il avait refoulpendant de nombreuses annes : Je t'ai frappe parce que je vou lais le tuer,lui. J'ai toujours voulu le tuer (p. 115), avoue-t-il. Cet aveu, qui fait qu'il sevoit enfin tel qu'il est, ne le gurit pas. La violence qu'il a tenue en rgletoutes ces annes, il la tourne contre lui-mme : Mets le canon dans labouche. [...] Feu ! (p. 119).Par sa mort, Pierre-Paul rejoint son pre auquel il s'identifie : J'tais luipis y tait mo (p. 117). Ce qu'ont en commun Gilbert et Pierre-Paul, ainsique Cindy et M artin, c'est la violence : tabassage, men ace de m eurtre , suicide.Dans cette pice, le seul mourir est Pierre-Paul, et sa mort est symbolique.Son univers tait celui de la langue, des mots qu 'on pronon ce et qu'o n utilisecorrectement. Cet amour s'est tourn contre lui et c'est pourquoi il se met lecanon dans la bouche. Ce qui saute, c'est son cerveau, sa supriorit sur lesautres.

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    Martin I l'homme mr I la citAu dbu t du d rame , Mar t in s emble pa r tage r l e go t p rononc de songrand f rre pour les formules appr ises , pour les rgles , puisqu ' i l rc i te sontour no n pa s un e g ram ma i re , m a is un e recet te : Du b u f h ach , du porcha ch , de l 'a i l, u n oig no n m oy en .. . (p. 17). M ais l 'au tori t ci te ne lui es t p astran gr e ; e l le es t de fait pare nta le , pui sq ue c 'es t la recette de sa m re . M artinn 'a donc pas coup les ponts . Au contra i re , c ' es t le souvenir de sa mre qu ' i ltente d 'voquer e t de par tager avec sa sur e t son f rre puisqu ' i l leur prpareun e tour t i re : a sera pa s com m e les tour t i res de m 'm an , ma is a va t redes tourt ires parei l (p. 18). On le trouve donc dans le l ieu privi lgi de sam re , la cuis ine. Ce n 'e s t pa s , po u r lui , u n l ieu identi ta ire ; c 'es t un l ieu c epen

    dant qui faci l i te le passage entre le prsent et le pass, ce qui lui donne uneporte d 'ent re dans son inconsc ient .La mre rega rde Mar t in avec p lus de sympa th ie que ses deux au t re senfan ts : Y va pe ut- tre m ettre d e l 'espoir da ns la fam ille . . . (p. 21). Le dr amaturge lu i fa i t prononcer ce t te prdic t ion qui n 'es t pas dans l 'o rdre deschoses , puisque le regard du d isparu peut se tourner vers le pass qu ' i l conna t , mais non pas vers l ' avenir qu ' i l ignore , tout comme les v ivants . Maisce t te propht ie n 'es t qu 'une poss ib i l i t parmi tant d 'aut res . On sent , parexemple , que ce que Simone prdi t de l ' avenir de Cindy ne se ra l isera pas ,

    com m e le conf i rme la su i te de French Town, soit Requiem (Ouellette, 2001).Lui, c 'es t u n h o m m e : i l aur ai t a im al ler la chasse avec [son pre] (p . 44). M ais c 'es t un ho m m e capable de sym path iser avec la souffrance desautres - de sa sur , par e xem ple : a t ' inqu i te , le lock-out d u m oul in ,he in ? (p . 27). I l exp r im e un e sym pat hie q ui va au-d el d es mo ts , p uisq u ' i lva ag ir le m om ent venu .

    Mart in , qui a quinze ans de moins que sa sur , dc ide de v ivre sa v ie , dese dfaire d es l iens do ux q ue lui imp os e son gr an d frre : Je ve ux v ivre m avie. Je veu x pas que tu m'ach tes de s v te m ents . Je veu x pu s que tu p a iesm on ap pa r tem en t , m es tud es (p . 79) . I l fait pre uv e a lors de matu r i t , ce quine se fa i t pas sans dchirement , sans parole dure , puisqu ' i l en v ient reprocher Pierre-Paul tout le bien qu' i l lui a fai t , di t- i l , par intrt . I l pousse lacruaut jusqu ' met t re le doigt sur la p la ie de Pierre-Paul qu ' i l conna t b ien : Enferme-to i da ns ton bu rea u, dan s ton m tro , da ns ta cha m bre . Enferme-to isur to i-m m e (p. 110). C'es t pl us o u m oin s un e sentenc e de m ort , le suicide tant le repl iem ent u l t im e sur so i.

    Pu is vient la librat ion de ses pare nts . C'es t sa m re q ui l 'en ex ho rte : Vate coucher, mon beau. Mets un orei l ler [dans le creux du l i t , la place de tonpre] . Co m m e a tu pense ras pas [lui]. Toute faon, y es t m ort . Pis pe ns e p as m o n o n pl us . Ch us m or te i tou (p. 101-102). U ne fois l ibr, un e foisadul te , pourquoi , peut-on se demander , t ien t - i l tan t cont inuer de v ivre dansla m aiso n de ses pa ren ts : Je vais rac heter la m aiso n (p. 110), di t- il Pierre-Paul. De fait , Martin ne se libre pas tout fait . S' il t ient garder la maison,c'est qu 'elle fait pa rtie d e son h rita ge qu 'il rev en di qu e : [...] je suis fier de

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    celui de tout un groupe social , mais i l se fa i t vieux en adoptant la cul ture deses anc t res qu ' i l m et au-de ssu s de tout .Au dbut de cet art ic le , j 'a i di t que cet te pice se prte plusieurs lectures.En voic i une aut re , soc ia le e t mora le , mais d 'une mora l i t mondaine . Chacundes trois per so nn ag es re pr sen te u n ty pe : le Vulgaire (Cind y), le Raffin(Pierre-Paul) e t l 'Honnte Homme (Mart in) . Michel Ouelle t te re joint a insil ' ida l c lass ique , nonc par Ovide : In medio stat virtus . La vertu ne setrouve pas dans les extrmes ( ic i la vulgari t e t le raff inement) , mais dans lejus te mi l ieu .Voici un e troisim e lecture possible , sociale e t m ora le e l le aussi , m ais eng age. O n po urra i t voi r chez les t ro is pro tagon is tes l ' incarna t ion de t ro is type s :L' Ignorant (Cindy), le Pdant (Pierre-Paul) e t celui qui possde assez de conna issances empir iques pour fa i re sa v ie e t a ider les au t res (Mart in , dont lesa in t pa t ron ava i t t ranch son manteau en deux pour se garant i r du f ro id e tp ro tge r auss i un dmuni con t re l e s in tempr ie s . On vo i t comme Mar t inmr i t e b ien son nom ) .Andr G i roua rd p ropose une qua t r i me l ec tu re poss ib le , p lus p r s de l amienne , mais assez d i f f rente pour que je la ment ionne . C 'es t une lec turefreudienne :

    [...] les trois acteurs [reprsentent] leur faon les trois niveaux dupsychisme humain. Cindy, c'est le id (ou le a), le domaine de lapassion, brute, de la rvolte incandescente ; sa rvolte s'exprimedans le sacre : si l'glise catholique n'e t pa s exist, cette enfant ett muette. Pierre-Paul, c'est le sur-moi, le bien en bouche, Proustparmi les Franco-Ontariens, c'est le refus de toutes ses appartenances, au nom d'u n univers pro pre, prop re, propre [...] dom in parles bonnes manires. Martin, le frre cadet, c'est le MOI, celui quitente de rconcilier Cindy-id et Pierre-Paul-sur-moi. Il ne hait passon m ilieu (id), il ne le fuit pa s (sur-m oi) il s'y rconcilie : c'est le filsde Lavallville, revisit par Michel Ouellette, qui veut dresser surson dom aine des barrires de fiert. Pierre-Paul, trop do min par unidal impossible et dsincarn, s'enfouira dans le suicide. Cindy,l'corche vive, ouvrira son cur l'amour et Martin deviendrachef d'en trepr ise (Girouard, 1993).Si je mentionne ces autres lectures possibles, ce n 'est pas pour mler leschoses d av an tag e, ma is, au contraire , po ur c larif ier ce qu e j 'a i di t ce sujet aud bu t de cet art icle e t p ou r justif ier , san s do ute , l 'appe lla t ion de h ro s 7 accole Mart in qui l 'est encore dans ces autres lectures possibles.

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    tude psychocritique, jungienne, de FrenchTownB I B L I O G R A P H I E

    Anonyme (1994), French Town : un aperu historique , Programme de French Town.Baudouin, Charles (1963), L'uvre de Jung et la psychologie complexe, Paris, Payot.Brard, Sylvie (1994), Hritage double , Lettres qubcoises, n 75 , p. 55.Le disque vert [numro spcial l'occasion du 80 e anniversaire], C.G. Jung , Bruxelles, Le Disque vert.Franz , Marie-Louise von (1993), La femme dans les contes de fes, Paris, Albin M ichel.Girouard, And r (1993), Fallait-il vraimen t un e m achine laver ? , Le Voyageur, mercredi 31 mars.Ho stie, Raymond (1955), Du mythe la religion : la psychologie analytique de C. G. Jung, Paris, Descle de Brouwer.Jung, Cari G. (1964), Dialectique du moi et de l'inconscient, prsent e t annot par Roland Cahen, Paris, Gallimard, Ides .Karch, Pierre (1995), French Town de M ichel Ouellette , Francophonies d'Amrique, n 5, p. 91-92.Lafon, D ominique (2001), Michel O uellette : les piges d e la com munalit , dans Hlne Beauchamp et JolBeddows (dir.), Les thtres professionnels du Canada francophone. Entre mmoire et rupture, Ottawa, Le Nordir,p. 257-276.O'Neill-Karch, Mariel (1995/96), Thtre , University of Toronto Quarterly, vol. 65, n 1 (hiver), p. 120-121.Ouellette, M ichel (1996), French Town, Ottawa, Le Nordir, 2e dition.Ouellette, M ichel (2001), Requiem suivi de Fausse route, Ottaw a, Le Nordir.Par , Franois (1997), Dram aturgies et refus d e l'crivain e n O ntario franais , Tangence, n56 (dcembre),p. 66-79.Robert, Lucie (1994), De l'inutilit du thtre au thtre , Voix et images. Littrature qubcoise, n57 (printemps), p. 670-672.Yergeau, Robert (1997), Postures scripturaires, impostures identitaires , Tangence, n 56 (dcembre), p. 9-25.

    N O T E S

    1. Michel Ouellette, French Town, Ottaw a, Le Nordir, 2e dition, 1996,126 p. Toutes les citations tires de cettepice seront suivies du n um ro de la page, entre parenthses, sur laquelle se trouve cette citation.2. Cari G. Jung, Dialectique du moi et de l'inconscient, prsent et annot par Roland Cahen, Paris, Gallimard, Ides , 1964. C'est ce livre qui, plus que tous les autres mentionns dans la bibliographie, sert de base thorique mon tude.3. Anonyme, Programme de French Toum, 1994, p. 3.4. Anita D suets, telle que cite dan s French Toum : un aperu historique , Programme de French Toum, 1994,p. 3.5. [...] l'adolescent, dans son processus d'mancipation, se posera en s'opposant... (C. G. Jung, loc. cit.,p. 137).6. Le Grand Robert de la langue franaise, Paris, Le Robert, 2e dition, 1986,1.1, p. 716.7. Par hros , j'ente nds ici celui qui a trouv l'unit d e son tre, ce que Jung exprime d e la faon suivante : Lorsqu'on p eut dire des circonstances o l'on s'est mis, des tats d'me o l'on est plong et de ses actions :Me voil bien tel que je suis et telle est la faon dont il importe que j'agisse , on peut rellement se sentir l'unisson avec soi-mme, mm e si la coupe est amre, et on peu t assum er la responsabilit de ses actes mme siles difficults ne man quen t pas, et mme si une minorit active au fond d e soi-mme expose ses motifs d e rsistance . (C. G. Jung, loc. cit., p. 221)