Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

Embed Size (px)

Citation preview

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    1/26

    Introduction

    Apparais comme notre chef, dfenseur et champion [] Prserve ta cit et garde ton troupeau dans le

    Christ notre Seigneur qui est la gloire pour lternit dans les sicles des sicles, amen. 1

    Cest par cette invocation son hros quIgnace, mtropolite de Nice ethagiographe, achve saViede Georges, vque dAmastris (Paphlagonie)

    la fin du VIIIe

    sicle. Il rsume ici les principales fonctions de lvque,inspires des prescriptions de Paul dans ses ptres pastorales2 : ayant encharge les mes de son troupeau, il est le dfenseur de sa cit et le chef delglise locale dont il a la responsabilit matrielle et spirituelle.

    Surveillant ou protecteur des fidles selon ltymologie grecque duterme pskopoj, lvque est progressivement devenu le guide de lacommunaut chrtienne comme le chef de sa cit possdant les pouvoirsdordre, de magistre et de juridiction3. Avec le dveloppement du christia-nisme, sa lgalisation puis son officialisation au IVe sicle, linstitution

    piscopale est devenue insuffisante pour contrler tout lEmpire. Des

    1.Viede Georges dAmastris, c. 48, p. 73 : , , [...] , . 2. 1 Timothe, 3, 1-5 : Si quelquun aspire lpiscopat, cest une belle tche quil dsire.Aussi faut-il que lpiscope soit irrprochable, mari dune seule femme, sobre, pondr, debonne tenue, hospitalier, capable denseigner, ni buveur, ni batailleur mais doux ; quil nesoit ni querelleur ni cupide. Quil sache bien gouverner sa propre maison et tenir ses enfantsdans la soumission, en toute dignit ; quelquun, en effet, qui ne saurait gouverner sa propre

    maison, comment prendrait-il soin dune glise de Dieu ? ; Tite, 1, 5-9 : Si je tai laiss enCrte, cest pour que tu y achves lorganisation [de lglise] et que tu tablisses dans chaqueville des anciens, suivant mes instructions. Chacun deux doit tre irrprochable, mari duneseule femme, avoir des enfants croyants quon ne puisse accuser dinconduite oudinsoumission. Il faut en effet que lpiscope soit irrprochable en sa qualit dintendant deDieu : ni arrogant, ni colreux, ni buveur, ni batailleur, ni avide de gains honteux. Il doit trehospitalier, ami du bien, pondr, juste, saint, matre de soi, fermement attach la Paroledigne de foi, qui est conforme lenseignement. Ainsi sera-t-il capable dexhorter dans lasainte doctrine et de rfuter les contradicteurs. Sur ces textes et les volutions de la directiondes communauts chrtiennes, V. SAXER, Lorganisation des glises hrites des aptres(70-180) , dans HC1, p. 367-436, spc. p. 378-381 et p. 421-434, et Les progrs de

    lorganisation ecclsiastique de la fin du IIe

    sicle au milieu du IIIe

    sicle (180-250) , dansibid., p. 777-815 ; RAPP,Holy Bishops, p. 24-41.

    3. C. RAPP, Bishops in late Antiquity : a new social and urban elite ? , The Byzantine andEarly Islamic Near East,VI, Elites Old and New in the Byzantine and Early Islamic Near East,d. J. HALDON, L. I. CONRAD, Princeton, 2004 (Studies in Late Antiquity and Early Islam 1, 6),p. 149-178 sur le rle des vques dans les cits tardo-antiques.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    2/26

    vques, pouvoir et socit Byzance12

    mtropolites et archevques ont ainsi t mis en place selon une hirarchie

    groupant ces trois catgories de clercs dont les fonctions sont similairesmais des chelles diffrentes4. Lvque, sigeant dans une cit piscopaleou vch, dirige le diocse ; le mtropolite, depuis sa mtropole, contrleune parchie qui regroupe plusieurs diocses dont les vques sont sessuffragants ; larchevque dpend directement du patriarche et na pas sousson autorit, contrairement aux mtropolites, dvques suffragants5.

    Lemploi des titres piscopaux selon cette hirarchie sloigne parfois dela thorie6 : les sources emploient indiffremment les titres, entranant denombreuses confusions pour prciser le statut des titulaires comme dessiges7. Le titre darchevque peut tre en effet honorifique, attribu unvque pour lui assurer une certaine autonomie dans sa circonscription ;cest le cas Thessalonique, deuxime ville de lEmpire, dont le pasteur estun mtropolite rgulirement dsign archevque dans les sources8.

    Il faut donc avoir lesprit la remarque de Paul Lemerle pour quilhistorien doit tre attentif discerner la facult de changement souslapparente immobilit, la facult dadaptation sous lapparente conti-nuit 9 ; rien ne pourrait en effet mieux sappliquer ltude de lpiscopatau sein dune institution comme lglise byzantine.

    4. Linstitution du chrvque, qui disparat en Orient ds la fin de lpoque protobyzantine,est plus spcifique ; vque de la campagne , il tient sa mission de lvque, disposant dunpouvoir dlgu par ce dernier aux clercs du diocse ; voir S. DESTEPHEN, S. MTIVIER, Chorvques et vques en Asie Mineure auxIVe etVe sicles ,Topoi15/1, 2007, p. 343-378.

    5. Il existe aussi des archevques autocphales, indpendants du patriarcat, comme enBulgarie. lus par les vques de leur rgion, ils sont en quelque sorte, sans en avoir le titre,les patriarches de leur glise. Sur les titres et fonctions la haute poque, voir D. FEISSEL, Lvque, titres et fonctions daprs les inscriptions grecques jusquau VIIe sicle , dansCongrs international darchologie chrtienne, vol. 1, p. 801-826. En Occident, la fonctionarchipiscopale, apparue auVIIe sicle, quivaut celle du mtropolite byzantin.

    6. Il faut signaler ici que le terme de prodre ( distinguer du titre civil homonyme, attribu des lacs de haut rang : voir ODBIII, p. 1727-1728) est galement utilis dans les sources,textuelles ou sigillographiques, pour dsigner un vque, rendant plus complexe encorelidentification du statut prcis dun sige. Si le terme se gnralise dans la seconde moiti duXI

    e sicle et surtout au sicle suivant, on le trouve dj aux Xe-XIe sicles, par exemple sur lesceau de Sophronios, prodre (mtropolite) de Smyrne (L 740 = DOSeals3, 35.4) ; voirS. SALAVILLE, Le titre de "proedros" dans les documents byzantins ,O29, 1930, p. 416-436.

    7. Dans la mesure du possible, nous essayons de respecter le titre exact des dignitaires, maisnous utilisons aussi le terme gnrique d vque pour dsigner tout titulaire dun sige ;on trouvera dans les indices le(s) statut(s) et titre(s) prcis des siges et de leurs dtenteurs.

    8. Trbizonde au Xe sicle, on constate une situation inverse : Thodore (ou Thodose),mtropolite de Chaldie, se donne le titre dvque pourtant infrieur son rang (L 660 et L 661=DOSeals4, 39.3) ; daprs V. Laurent, ce titre est ici utilis au sens gnral, selon la modeconciliaire. Comme il le prcise galement, cela peut induire lhistorien en erreur encompliquant la datation du sceau, puisque le sige est enregistr comme vch dans les plusanciennes listes de siges piscopaux de lEmpire (Notitia 1234, 2296, 3346 et 4251).

    9. P. LEMERLE,Cinq tudes sur leXIe sicle byzantin, Paris, 1977 (Le Monde byzantin), p. 312.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    3/26

    Introduction 13

    Les vques msobyzantins dans lhistoire : le constat gnral dune

    marginalit historiographique

    Si la bibliographie accorde une place importante aux vques de la hautepoque et de la fin de lEmpire, elle est marque par un grand vide pourlpoque msobyzantine10. Les travaux ne manquent pourtant pas pour cettepriode, mais sources et bibliographie se rejoignent pour faire de lvqueun personnage darrire-plan, contrairement au moine, auquel est consacreune part consquente de la recherche. Certaines tendances lourdes delhistoriographie sont donc prgnantes et lon peine parfois les dpasser :lhistoire de lpiscopat prend place en effet dans lhistoire plus large delglise et des structures ecclsiastiques. Cet hritage, non remplac sur biendes points, tend considrer la seule institution et non lglise commelment du corps social. Une telle approche nest que partiellementabandonne aujourdhui, et la place accorde aux vques ne tient pastoujours compte des ressorts inhrents leur autorit et leur prsence dansles provinces11. Ltude des hirarchies de lglise a longtemps constitu lundes aspects majeurs de lhistoriographie du corps piscopal byzantin, quilsagisse de dresser linventaire des titulaires des siges piscopaux delglise byzantine12, ou de reconstituer les structures hirarchiques de la

    gographie ecclsiastique de lEmpire13

    . Dautres travaux ont tudi lesvques travers les textes et canons, en particulier les dcrets de ladiscipline ecclsiastique14. Les tudes rgionales ont permis den connatreles structures ecclsiastiques, sur un plan institutionnel15 ou par uneapproche sociale plus marque16.

    10. V.VONFALKENHAUSEN, Il vescovo , dans Luomo bisantino, d. G. CAVALLO, Bari, 1992,p. 253-290 et la bibliographie.

    11. Voir par exemple H.-G. BECK,Geschichte der orthodoxen Kirche im byzantinischen Reich,Gttingen, 1980, p. 67-147 et J. M. HUSSEY,The Orthodox Church in the Byzantine Empire,

    Oxford, 1986 (2e d., 1990), p. 325-335.12. Travail commenc auXVIIIe sicle par M. Le Quien et continu de nos jours par G. Fedalto.

    13. Les travaux de J. Darrouzs en la matire sont fondamentaux, prenant la suite,notamment, de ceux dE. Honigmann et sappuyant sur les notices piscopales (voir ci-dessous, chapitre I) ou les listes des signataires des conciles.

    14. H. J. SCHROEDER, Disciplinary Decrees of the General Councils, Saint-Louis, Londres,1937 ; COD; DGA. Sur le statut ecclsiastique, HERMAN, Professioni vietate; ID., Dirittometropolitico; DAGRON, Statut des clercs; K. PITSAKIS, "Dmission" () et"dtrnement" () des vques : une approche historique de la doctrine et de lapratique de lglise orthodoxe ,Kanon14, 1998, p. 1-65, que lon na pu consulter.

    15. Voir par exemple : RAMSAY, Phrygia; CULERRIER, phse; MALAMUT, les, p. 335-371 ;MTIVIER,Cappadoce, p. 280-294 ; ZUCKERMAN,Pontic policy.

    16. PAPACHRYSSANTHOU,Hirissos; A. AVRAMA, La gographie du culte de saint Christopheen Grce lpoque mso-byzantine et lvch de Lacdmone au dbut du Xe sicle , dansGeographica Byzantina, dir. H. AHRWEILER, Paris, 1983 (Byz. Sorb. 3), p. 31-36 ; A. AVRAMA, , 8-

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    4/26

    vques, pouvoir et socit Byzance14

    Lhistoire institutionnelle de lglise nest donc ni abandonner ni

    renier, mais doit tre complte. Les vques jouent un rle essentiel danslglise, Constantinople et en province, o senracine leur pouvoir 17. Cesdeux chelles, globale et locale, ne se contredisent pas : dans son diocse,lvque agit au sein des institutions que sont les synodes locaux18 ; Constantinople, les mtropolites prennent part au synode permanent, lieudexpression de leurs rapports avec le patriarche et lempereur19.

    Du fait de leur position sociale spcifique, les clercs entretiennent desrelations spcifiques avec les autres groupes sociaux, moines, lacs etdtenteurs du pouvoir20. La question des relations avec le monde monastiqueest sans doute la plus complexe : dans la controverse iconoclaste, qui voitvques et moines saffronter, lenjeu est de dfinir lorthodoxie de chacun.

    Prcisment, liconoclasme possde dans lhistoriographie une place part par ses nombreuses incidences21. Phnomne religieux, thologique etpolitique, tout autant affaire de pouvoir que de dogme, liconoclasme nestpas quun vnement-rupture dans le cours dune histoire millnaire, li une hrsie trangre (juive et musulmane) importe par des empereursprovinciaux dont lun, Constantin V, fut longtemps dprci, malgr, selonla belle expression de P. Brown, une inoubliable allure dIvan le Terrible

    la Eisenstein 22

    .Cette explication ne rsiste pas la critique. Liconoclasme entend

    dabord rtablir le lien entre Dieu et les fidles par le truchement delempereur, et ce fut l pour les empereurs tout lenjeu : il sagissait pour eux

    10 , , dansHeroes of the OrthodoxChurch, p. 47-64. Sur le rle des vques dans la controverse iconoclaste et leur gographie,

    voir THIERRY,Topographie.17. A. GUILLOU, Lvque dans la socit mditerranenne des VIe-VIIe sicles : un modle ,Bibliothque de lcole des chartes131, 1973, p. 5-19 ; plus rcemment, L. CRACCORUGGINI,

    Prtre et fonctionnaire : lessor dun modle piscopal aux IVe

    -Ve

    sicles , Antiquittardive7, 1999, p. 175-186.

    18. DVORNIK, Episcopal synods; V. T. ISTAVRIDIS, The historical evolution of the synods inthe ecumenical patriarchate , Annuarium Historiae Conciliorum 24, 1992, p. 145-157 ;MARIORAS, Synode de province.

    19. HAJJAR,Synode permanent; KAPLAN,Limage et le pouvoir, et ID., vque.

    20. H.-G. BECK, Kirche und Klerus im staatlichen Leben von Byzanz ,REB24, 1966, p. 1-24 ; DAGRON,Statut des clercs; KAPLAN,Moines et clerg; MOULET,vques et moines. Pourlpoque iconoclaste, E. KOUNTOURA-GALAK, ,Athnes, 1996.

    21. S. GERO, Notes on Byzantine iconoclasm in the eighth century ,Byz.44, 1974, p. 23-42 ;DAGRON, Christianisme byzantin, p. 93-165 ; M.-F. AUZPY, Les enjeux de liconoclasme ,dansCristianit dOccidente e cristianit dOriente (secoliVI-XI),SSAM51, 2004, p. 127-165 ;EAD.,LIconoclasme, Paris, 2006 (Que sais-je ?).

    22. P. BROWN, Une crise des sicles obscurs : aspects de la controverse iconoclaste , dansLa Socit et le sacr dans lAntiquit tardive,trad. fr., Paris, 1985, p. 218.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    5/26

    Introduction 15

    dliminer certains aspects du culte des saints, leurs reliques et leurs

    icnes

    23

    . Lobjectif tait de retrouver la plnitude de leur rle de lieutenantsde Dieu sur terre et de regrouper derrire eux toutes les nergies dans la luttevitale contre les envahisseurs arabes, ce qui entrana aussi le renforcementdes structures administratives et militaires par la cration des thmes. Celapassait aussi par lunification de la pratique religieuse des Byzantins sous labannire dun clerg sculier contrl par le pouvoir, le culte des images etdes reliques pouvant aisment se passer de cet intermdiaire ecclsiastique ;ds lors on peroit limportance de ce dernier dans cette controverse.

    Les enjeux de liconoclasme ont vari. Liconoclasme des Isauriens auVIII

    e sicle fut un dbat thologique : le concile de 754 et les rflexions deConstantin V montrent que lon rflchit dabord au statut de limage et saplace dans la socit24. Liconoclasme de Lon V et de ses successeurs futsurtout une affaire politique opposant deux conceptions du pouvoir et ducontrle social, et non plus seulement deux thologies25.

    La dfinition de lorthodoxie est lun des enjeux majeurs de liconoclasmeet des dcennies qui suivirent. Lhistoriographie a longtemps t tributairede labsence quasi totale de sources iconoclastes et lhistoire sest longtempscrite travers le prisme des seules sources iconodoules, sans relle tentativede lecture en creux. Ce manque de sources et leur subjectivit sont causes et

    consquences lun de lautre : leur raret sexplique par la disparition dessources. De mme que les enluminures des manuscrits nous montrent lesiconoclastes brler les saintes images26, les iconodoules ont rduit les textes

    23. Sur les dbats thologiques et les arguments de chaque camp, voir en plus des travaux deM.-F. Auzpy : G. B. LADNER, The concept of the image in the Greeks fathers and theByzantine iconoclastic controversy ,DOP7, 1953, p. 1-34 ; P. J. ALEXANDER, The Council ofSt. Sophia (815) and its definition (horos) ,DOP7, 1953, p. 35-66, et ID., Church councilsand patristic authority. The iconoclastic councils of Hiereia (754) and St. Sophia (815) ,Harvard Studies in Classical Philosophy63, 1958, p. 493-505 ; M. V. ANASTOS, The ethicaltheory of images formulated by the iconoclasts in 754 and 815 ,DOP8, 1954, p. 153-160, etID., The argument for iconoclasm as presented by the iconoclastic council of 754 , dansLate Classical and Mediaeval Studies in Honor of Albert Mathias Friend Jr., Princeton, 1955,p. 177-188 ; S. GERO, The eucharistic doctrine of the byzantine iconoclasts and its sources ,BZ68, 1975, p. 4-22. Sur le rle de mdiateur du saint entre les hommes et la divinit, voirA. CAMERON, On defining the holy man , dansThe Cult of Saints in Late Antiquity and theMiddle Ages. Essays on the Contribution of Peter Brown, d. J. HOWARD-JOHNSTON,P. A. HAYWARD, Oxford, 1999, p. 27-43. Plus rcemment, voir DAGRON, Dcrire et peindre,notamment p. 46-63.

    24. GERO, Iconoclasm C. Vet ID.,Iconoclasm L. III.

    25. KAPLAN,Limage et le pouvoir.26. Miniatures du Psautier Chludov (vers 860, Moscou, Muse historique, ms. 129d), f. 23v etf. 67r : CORRIGAN, Visual Polemics, fig. 42 et 43, p. 255-256 ; DAGRON, Dcrire et peindre,p. 59 fig. 20 ; sur ce manuscrit, voir M.-F. AUZPY, Un modle iconoclaste pour le psautierChludov ? , dansByzantium, State and Society, p. 11-29.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    6/26

    vques, pouvoir et socit Byzance16

    de leurs adversaires nant27. Plus que jamais, lglise apparat comme la

    grande puissance productrice didologie de lEmpire. dfaut de remplacerdes sources inexistantes, seule une diversification de la documentation peutpermettre dapprocher ces oublis de lhistoire que sont les iconoclastes etqui, paradoxalement, ont suscit une vaste littrature.

    linverse, le primat des sources victorieuses a longtemps entran uneconception biaise de liconoclasme, accordant par exemple aux moines unrle survalu dans la lutte contre les empereurs iconoclastes. Cette priodea connu deux figures principales de martyrs iconodoules : tienne le Jeuneau VIIIe sicle et Euthyme de Sardes au IXe sicle ; il y a donc galit parfaiteentre moines et vques. Cette comparaison hasardeuse ne veut pas nierlimportance des moines dans la controverse, mais il faut sans doute treplus fin dans lanalyse des partis en prsence. Cette partialit des sources, lavantage des moines, ressort notamment du fait que lhagiographie restelun des domaines littraires les plus dvelopps pour lpoque iconoclaste ;or, cette hagiographie est essentiellement monastique.

    Ltude de lpoque iconoclaste est donc soumise une forte contraintedocumentaire. La raret des sources de cette poque doit pourtant trenuance, car lventail en est bien plus large quil ny parat de prime abord28.Cependant, peu de documents traitent directement des vques : de mme

    que lon cherchera des traces de la pense iconoclaste dans les sourcesiconodoules, il faut apprhender un grand nombre de sources pourpercevoir le rle et la vie des vques. Une tude des vques est possiblemais ncessite le recours de nombreuses sources dans lesquelles ils neconstituent quun arrire-plan auquel les auteurs sintressent peu.

    Il fallut ainsi tenter de renverser ce tropisme documentaire ethistoriographique, favorable aux moines comme aux iconodoules. Certainestudes modernes, consacres lpiscopat, ont permis de tracer les grandes

    lignes de notre propre travail en en nourrissant les thmatiques

    29

    . Ces

    27. Il y a deux exceptions notables cela : des textes, comme certaines Viesde saints, ontchapp la censure iconodoule, et les iconodoules, pour rfuter les arguments de leursadversaires, ont intgr leurs propres uvres des textes iconoclastes, comme les PeuseisdeConstantin V ou lhorosde 754, conserv dans les actes de Nice II.

    28. Linventaire ralis par L. Brubaker et J. Haldon (Sources) suffit montrer la fois ladiversit des sources et leur multitude ; la mme impression ressort de deux autres ouvrages :I. E. KARAYANNOPOULOS, G. WEISS, Quellenkunde zur Geschichte von Byzanz (324-1453),Wiesbaden, 1982 ; I. E. KARAYANNOPOULOS, , Thessalonique,1987. Voir galement les volumes dintroduction de la PMBZ I et de la PMBZ II.

    29. Voir notamment J. DURLIAT, Les attributions civiles des vques byzantins. Lexemple dudiocse dAfrique (533-709) , JB32/2, 1982, p. 73-83 ; PARISSE, vques; G. BHRER-THIERRY, vques et pouvoir dans le royaume de Germanie. Les glises de Bavire et deSouabe (876-973), Paris, 1997 ; SABWKANYANG, Conciles africains; R. GODDING, Prtres enGaule mrovingienne, Bruxelles, 2001 (Sub. Hag. 82).

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    7/26

    Introduction 17

    travaux envisagent, ainsi que nous avons tent de le faire, le corps piscopal

    comme un groupe social peru dans son intgralit, dans ses dimensionscollectives et individuelles et dont il fallait comprendre les fonctions,lautorit et la place quil occupait dans une socit provinciale loigne delattrait gnralis des sources pour la capitale30.

    Pour le monde byzantin, Jean Darrouzs a apport plus dune pierre ldification de lhistoire des structures ecclsiastiques et de la gographiehistorique de lEmpire byzantin ; ses tudes sur la gographie piscopale eten particulier la monumentale dition desNotitiae Episcopatuumont guidnotre dmarche tout au long de ce travail. En sattachant une analysecritique et dtaille de sources difficiles et arides, il a dcrit, souvent enpionnier, les hirarchies administratives et gographiques de lglise.

    Plus rcemment, Claudia Rapp a publi une tude sur les saints vquesdans lAntiquit tardive et la nature de lautorit piscopale dans la socitprotobyzantine. Nous avions tent de dfinir les problmatiques de notretravail autour de lanalyse des fondements gographiques, politiques,sociaux et religieux de lautorit piscopale ; nous avons t confort dansnos rflexions par la lecture de cette tude, mme si les diffrences entre lessources protobyzantines et celles de lpoque msobyzantine ne permettentpas daborder de faon systmatique les mmes thmatiques31.

    Les sources

    En effet, les sources ont guid nos rflexions, avec toutes les lacunes etdfaillances que lon peut attendre dune documentation rare et limite quiempche de cerner dans sa pleine mesure la socit provinciale de lEmpire.Elles savrent pourtant plus nombreuses quil ny parat si lon opte pourune vision large de la documentation. Parmi elles, lhagiographie a constitule point de dpart et le fil conducteur de ce travail.

    Le

    s textes hagiographique

    s

    Phnomne majeur du christianisme, le culte des saints revt une placeessentielle dans lhistoire sociale du monde byzantin32. Lhagiographie, lun

    30. Pour ce dernier aspect, voir NEVILLE,Authority.

    31. C. Rapp prcise dans lintroduction de son ouvrage quelle na pu aborder certains pointsen raison des lacunes des sources, comme par exemple les fonctions liturgiques de lvque(Holy Bishops, p. 22), thme qui au contraire a pu tre trait pour lpoque msobyzantine ; linverse, nous navons pu, de notre ct, dtailler autant quelle la fait certains aspects desfonctions piscopales, notamment les aspects conomiques et financiers.

    32. Intressante prsentation dans R. KIECKHEFER, Imitators of Christ : sainthood in thechristian tradition , dans Sainthood. Its Manifestations in World Religions,d. R. KIECKHEFER, G. D. BOND, Berkeley, 1988, p. 1-42, spc. p. 27-28.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    8/26

    vques, pouvoir et socit Byzance18

    des principaux genres littraires des VIIIe-XIe sicles, trouve dans le combat

    contre liconoclasme lune de ses justifications

    33

    . Depuis les travaux desBollandistes au XVIIe sicle34 jusquaux tudes rcentes sur les normes de lasaintet35 ou les modles hagiographiques36, ltude des sources hagio-graphiques est essentielle pour comprendre les ressorts du culte dessaint(e)s. Fondateurs de lidentit dune communaut, ces cultes reposentsur quelques lments majeurs : les miracles, les reliques et le lieu du culte.

    Le rle social du miracle repose sur le fait que celui-ci est unanimementaccept et reconnu, voire recherch et utilis [] [acqurant] une valeurexemplaire : frapper et convaincre le paen, lincrdule, mais aussi"orchestrer" la vie du fidle et renforcer la place des institutionsecclsiastiques gestionnaires de ces cultes 37, mme sil ne faut pas douterde lesprit critique des contemporains. Alors quil cesse dtre considr lpoque iconoclaste, le miracle rapparat au IXe sicle sur la scnehagiographique : beaucoup de Viescomportent des miracles sans lesquelselles nauraient plus de valeur relle. Certaines en sont pourtant exemptes :si le miracle nest pas toujours ncessaire pour tablir la saintet dunpersonnage38, il est nanmoins devenu partie intgrante de la vie religieuse,en particulier aprs le rtablissement du culte des images39.

    Comme les Viesmonastiques, les Viespiscopales montrent limpor-

    tance des reliques des saints40

    . Ensevelissement du corps du saint et crationdu sanctuaire sont lis : la sanctification du personnage, processuscomplexe autour de son corps mais aussi enjeu de pouvoir pour la ville oulglise qui laccueille, permet le dveloppement du sanctuaire. Selon unprocessus invers, la cration de reliques entrane, ou facilite, la sancti-

    33. RYDN, Literary aspects; S. EFTHYMIADIS dir., Byzantine Hagiography. A CollectiveHandbook, paratre.

    34. Sur ce point, voir H. DELEHAYE,Luvre des Bollandistes travers trois sicles. 1615-1915,

    Bruxelles, 2e

    d., 1959 (Subs. Hag. 13A-2) ; B.DEGAIFFIER, Les Bollandistes et les Lgendeshagiographiques , dansClassica et Iberica. Festschrift in honor of the Reverend Joseph M.-F. Marique, S. J., Worcester, 1975, p. 261-271 ; F.VAN OMMESLAEGHE, The Acta Sanctorumand Bollandist Methodology , dans Byzantine Saint, p. 155-163 ; R. GODDING, B. JOASSART,X. LEQUEUX, F. DE VRIENDTet al.,Bollandistes. Saints et lgendes. Quatre sicles de recherche,Bruxelles, 2007.

    35. KAPLAN,Normes.

    36. KAZHDAN, Hermitic; FLUSIN,Hagiographie monastique.

    37. A. DIERKENS, Rflexions sur le miracle au haut Moyen ge , dansMiracles, prodiges etmerveilles au Moyen ge, XXVe congrs de la SHMES, Orlans, 1994, Paris, 1995 (Histoireancienne et mdivale 34), p. 29.

    38. KAPLAN,Miracle, p. 193 : un saint nest pas saint parce quil fait des miracles, mais il faitdes miracles parce que, du fait de ses exploits, il a atteint la saintet et mrite la grce de Dieuqui lui permet, avant ou aprs la mort, ou les deux, daccomplir des miracles .

    39. AUZPY,Attitude face au miracle, p. 43 et suiv.

    40. KAPLAN,Dpouille, et ID.,Ensevelissement.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    9/26

    Introduction 19

    fication dun personnage. Le choix du lieu saint et la sacralisation de lespace

    sont donc fondamentaux

    41

    , crant ainsi une trame sociale, politique etgographique autour de ces lieux de culte42.Au-del de ces aspects, il faut tudier lhagiographie pour ce quelle est :

    uneViede saint nest pas quune biographie et lesViessont souvent richesen informations sur leur hros et le contexte dans lequel il vivait ; mais il estprimordial de sinterroger avant tout sur lauteur et le contexte dcriture 43.Lobjectif avou de lauteur est une dmonstration de la saintet du hros etde luvre de Dieu sur le modle de la parole de lvangile44. Pourtant, lesmthodes employes diffrent au-del des lois du genre, et toute la difficultpour lhistorien consiste distinguer, sans les rejeter dos dos, lhistoricitde limaginaire45 : le rcit doit tre considr pour lui-mme afin dencomprendre la structure et les articulations, mais aussi tre compar dautres sources pour en faire ressortir toute la porte historique.

    Selon A. Papadakis, il faudrait distinguer clairement lessentiel et le nonessentiel, [] lhistorique et lhagiographique afin de faire la diffrenceentre llment strotyp et celui qui constitue le dtail historiquevalable 46. Cela consisterait ne vouloir chercher que ce qui est vrai , rel , dfaut du strotype et du lieu commun ; or, le strotype a unevaleur relle et lestopoisont nombreux dans lesViesde saints parce que le

    41. D. IOGNA-PRAT, La spatialisation du sacr dans lOccident latin (IVe-XIIIe sicle) , dansCentre dtudes mdivales dAuxerre, tudes et travaux1, 1998-1999, p. 44-57 ; M. KAPLAN, Le choix du lieu saint daprs certaines sources hagiographiques byzantines , dansSacr etson inscription, p. 183-198 ; ID., Lespace et le sacr Byzance daprs les sourceshagiographiques , dansCristianit dOccidente e cristianit dOriente (secoliVI-XI),SSAM51,2004, p. 1053-1107.42. C. SCHOLZ, Graecia Sacra. Studien zur Kultur des mittelalterischen Griechenland imSpiegel hagiographischer Quellen, Francfort, 1997 (Quellen Studien und Texte zurByzantinistik 3).

    43. M. HINTERBERGER, Autobiography and hagiography in Byzantium , SymbolaeOsloenses75, 2000, p. 139-164.

    44. B. WARD, Hagiography and history : an introduction , dansSigns and Wonders. Saints,Miracles and Prayers From the 4thCentury to the 14th, Londres, 1992, p. XI-XIV.

    45. Voir par exemple AUZPY, Analyse littraire; G. DAGRON, Lombre dun doute.Lhagiographie en question, VIe-XIe sicle , dans Homo Byzantinus. Papers in honor of Alexander Kazhdan, DOP46, 1992, p. 59-68 ; C. RAPP, Byzantine hagiographers asantiquarians. Seventh to tenth centuries , dansBosphorus. Essays in Honour of Cyril Mango,d. S. EFTHYMIADIS, C. R APP, D. TSOUGARAKIS, BF 21, 1995, p. 31-44 ; N. DELIERNEUX, Lexploitation destopoihagiographiques : du clich fig la ralit code , Byz.70, 2000,p. 57-90 ; EAD., Littrature des hommes, biographie des "anges": quelques remarquesdhagiographie fminine (VIIIe-Xe sicle), dans Vies des saints Byzance, p. 347-366 ;O. DELOUIS, Topos et typos, ou les dessous vtrotestamentaires de la rhtoriquehagiographique Byzance aux VIIIe etIXe sicles , dansHypothses 2002. Travaux de lcoledoctorale dhistoire de lUniversit Paris 1 Panthon-Sorbonne, Paris, 2003, p. 235-248.

    46. PAPADAKIS, Hagiography, p. 167-168.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    10/26

    vques, pouvoir et socit Byzance20

    genre littraire lexige47. Ainsi faut-il chercher dans lhagiographie tant le

    rel que limagin puisque tous deux sont reprsentatifs de la mentalit desauteurs. Par ailleurs, cest sans doute lorsquune Viede saint est imaginequelle fournit lhistorien le plus dinformations, dautant plus si elle estconsidre comme vraie et non lgendaire par son auteur et son public48.Cest donc par ltude de ces topoique lon peut reprer la finalit prcisedun texte hagiographique, limage de ces Vies que lon pensait icono-doules et qui furent pourtant luvre dauteurs iconoclastes49.

    De lhistoire du culte des saints on doit ainsi passer lhistoire descomportements sociaux individuels et collectifs ns de la saintet50, pourdcouvrir linformation dhistoire sociale 51 : les lments abords danslhagiographie ne sont gure fortuits et apportent autant de renseignementsconcrets et pratiques sur des domaines bien loigns du culte des saints.Lhistoire religieuse doit tre revue travers le prisme de lhistoire politique,sociale et culturelle52, sans ngliger ltude du genre hagiographique qui,pendant la querelle iconoclaste, prend des airs certains de propagande53.

    Le VIIIe sicle est un sicle pauvre pour lhagiographie byzantine et lafloraison des sicles suivants doit beaucoup au second iconoclasme, qui acr bien plus de saints que le premier. Ce dveloppement ne sest pas fait

    sans innovations importantes54

    : Constantinople offre la plupart des modlesde saintet de lpoque, suivie par la Grce et les rgions occidentales delEmpire (Sicile et Italie du Sud), restreignant ainsi le champ gographiquede lhagiographie55. Ce double mouvement de multiplication et de

    47. N. DELIERNEUX, Lexploitation des topoihagiographiques , op. cit. Un ouvrage rcentsur le sujet (M. GRANDIRE, M . MOLIN dir., Le Strotype. Outil de rgulations sociales,Rennes, 2004 [PUR Histoire]) ne fait pourtant aucune mention dutoposhagiographique.

    48. P. MAGDALINO, The Byzantine holy man in the twelfth century , dans Byzantine Saint,

    p. 51-66 ; I.EVENKO

    , Levels of style in Byzantine litterature ,JB31/1, 1981, p. 289-312 ;RYDN, Literary aspects; ID., Hagiographers self-presentation; ID., Literariness inbyzantine saints lives , dans Vies des saints Byzance, p. 49-58 ; EFTHYMIADIS,Byzantinehagiographer.

    49. AUZPY,Analyse littraire.

    50. PAPADAKIS, Hagiography, spc. p. 175-176.

    51. . PATLAGEAN, Ancienne hagiographie byzantine et histoire sociale , Annales ESC1968,1, p. 106-127, ici p. 110.

    52. M. KAPLAN, Hagiographie et histoire de la socit , dans Vies des saints Byzance,p. 25-47, spc. p. 26-35.

    53. M.-F. AUZPY, Manifestations de la propagande en faveur de lorthodoxie , dans

    Byzantium in the Ninth Century : Dead or Alive ?, d. L. BRUBAKER, Londres, 1998, p. 85-99 ;EAD., Hagiographie et iconoclasme, p. 5-91.

    54. Voir RYDN,Heroes and saintset ID.,Literary aspects.

    55. ID.,Heroes and saints, p. 538 ; voir aussi les travaux de G. Da Costa-Louillet sur les saintsde Constantinople, de Grce, de Sicile et dItalie mridionale.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    11/26

    Introduction 21

    constantinopolitisation de lhagiographie tient aux volutions du genre

    hagiographique et en particulier des modles proposs

    56

    . Le saint a quitt ledsert pour rejoindre la ville, abandonnant une forme dascse dsertiquelongtemps critre de saintet. La saintet est devenue apanage monastiquetout comme lhagiographie est devenue affaire de moines.

    Plutt que de proposer de nouveaux modles, lhagiographie changedobjectif par une historicisation croissante du genre57, qui se fait mmepolitisation de luvre58. Il ne faut donc pas se laisser tromper parlapparente multiplicit de lhagiographie pendant liconoclasme : beaucoupde Viessont plus tardives et les erreurs peuvent y tre nombreuses59.Lhagiographie est bien une construction littraire et mentale et, ce titre,parfois historiquement contestable. Les nouveauts postrieures auVIII

    e sicle nempchent pas le maintien des principaux types de sourceshagiographiques, dont lesViesne sont quune partie60.

    Parmi lesViestudies ici, lhagiographie piscopale se dfinit dabordpar sa faiblesse numrique61. Contrairement lhagiographie monastique,elle na pas fait lobjet dtudes prcises ni dune recension systmatique62.Nous avons relev, pour lesVIIIe-XIe sicles, une vingtaine deViespiscopalesrelatant lhistoire, relle ou invente, dvques ayant vcu cette priode63.Leur lecture montre que le hros est rarement nomm par sa fonction

    piscopale ; ce sont les adjectifs , ou encore qui sontemploys pour le dsigner ; on retrouve ici un lment comparable avecdautres textes hagiographiques. Cette analyse permettrait galement unedistinction entreViesiconoclastes etViesiconodoules64.

    56. PAPADAKIS, Hagiography; PATLAGEAN, Saintet et pouvoir; RYDN, Heroes and saints,p. 539 et suiv. ; FLUSIN,Hagiographie monastique; AUZPY,Hagiographie et iconoclasme(enparticulier la premire partie, Hagiographie et propagande ).

    57. PATLAGEAN,Saintet et pouvoir, p. 104-105 ; LACKNER,Gestalt des Heiligen, p. 524 ; RYDN,

    Heroes and saints, p. 550-551.58. AUZPY, Hagiographie et iconoclasme, p. 303-304.

    59. EVENKO,Hagiography.

    60. PAPADAKIS, Hagiography, p. 168 ; B.DE GAIFFIER, Hagiographie et historiographie.Quelques aspects du problme , dansLa Storiografia altomedievale,SSAM17, 1970, p. 140.

    61. Les Viesnon piscopales sont videmment les plus nombreuses, incluant celles despatriarches, des moines, des lacs et des femmes ; on trouvera dans la bibliographie la listedesViestudies, chacune apportant dutiles informations sur lhistoire de lpiscopat, mmesi ces sources restent relativement discrtes sur les vques. Prsentation des sourceshagiographiques msobyzantines dans les volumes dintroduction de la PMBZ I et II.62. lexception de la Bibliotheca Hagiographica Graeca et de la Dumbarton OaksHagiography Database.63. Le lecteur trouvera en annexe les fiches hagiographiques des saints vques dont les Viessont tudies dans cet ouvrage.

    64. AUZPY,Analyse littraire, p. 58. Cette analyse na pas convaincu tous les historiens ; voirpar exemple A. ACCONCIA-LONGO, A proposito di un articulo recente sullagiografa

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    12/26

    vques, pouvoir et socit Byzance22

    La documentation piscopale

    Une part importante de la documentation disponible pour tudier lecorps piscopal mane directement des vques eux-mmes, quil sagissede sources crites ou matrielles. Parmi ces sources, le genre pistolaire estparticulirement important. Avec les nombreux travaux de J. Darrouzs surlpistolographie, les historiens ont pris toute la mesure de la richesse de cessources, tudies non plus seulement pour leur dimension littraire ourhtorique (mme si cest une composante fondamentale de ce genre) maisaussi pour leur apport historique. Des informations de toutes naturespeuvent en tre tires : la vie quotidienne des vques et leurs proccu-pations dans la gestion de leur diocse, des lments sur le contextepolitique ou religieux, ou encore les relations, lamiti et les rseaux deconnaissance au sein du corps piscopal65.

    Lune des correspondances principales est celle dIgnace le Diacre auIX

    e sicle. Les sources et la bibliographie relatives Ignace, diacre,mtropolite de Nice, moine et hagiographe, sont fournies66, malgr ladamnatio memoriaedes uvres iconoclastes qui a concern plus lancien

    iconoclasta ,RSBN29, 1992, p. 3-17, ici p. 5, puis M.-F. AUZPY, propos des vies de saintsiconoclastes ,ibid.30, 1993, p. 3-5, et enfin A. ACCONCIA-LONGO, Di nuovo sullagiografiaiconoclasta ,ibid., p. 7-15.

    65. Sur lapport des correspondances, voir G. KARLSSON, Idologie et crmonial danslpistolographie byzantine. Textes du Xe sicle analyss et comments, Upsala, 1959 ;A. MARKOPOULOS, Problmes relatifs lpistolographie byzantine. Labsence decommentaires , dans Lpistolographie et la posie pigrammatique : projets actuels etquestions de mthodologie.Actes de la 16e table ronde, XXe congrs international des tudesbyzantines, Paris, 19-25 aot 2001, d. W. HRANDNER, M. GRNBART, Paris, 2003 (Dossiersbyzantins 3), p. 58 ; les nombreuses tudes de M. Mullett. Nous avons analys ailleurs

    certaines de ces lettres autour du thme de lchange de nourriture : MOULET, Le got desautres. Prsentation de lpistolographie msobyzantine dans les volumes dintroduction dela PMBZ I et II. Parmi les sources pistolaires tudies dans cet ouvrage, beaucoup sontluvre dvques et de mtropolites au Xe sicle : Alexandre de Nice, professeur luniversit impriale de Constantinople, auteur de 20 lettres (DARROUZS,pistoliers,p. 27-32 et PRATSCH,Alexandros von Nikaia, p. 247-253), Thodore de Nice, hagiographe de PierredArgos et auteur de 46 lettres (DARROUZS,pistoliers, p. 49-57), dont lune Thodore deCyzique, lui-mme auteur dune trentaine de lettres (ibid., p. 57-61) ; enfin, un mtropoliteanonyme de Chnai, auteur dune quinzaine de lettres (ibid., p. 63-64). Sajoutent cela leslettres dArthas de Csare au Xe sicle, qui ont surtout trait des dbats thologiques, etcelles de Jean Mauropous, mtropolite dEuchata dans la seconde moiti du XIe sicle (voirlintroduction de A. Karpozelos ldition des lettres et MOULET,Autobiographies, p. 27).

    66. Sur Ignace : PMBZ 2665 et PBE Ignatios 9 ; WOLSKA-CONUS,Ignace; S. EFTHYMIADIS, Onthe hagiographical work of Ignatios the Deacon ,JB41, 1991, p. 73-83 ; ID.,The Life of thePatriarch Tarasios by Ignace the Deacon (BHG 1698), Aldershot, 1998 (BBOM 4), p. 38-43 ;ID., Biography of Ignatios; MAKRIS, Gregorios Dekapolites, p. 3-22 ; PRATSCH, Ignatios theDeacon; KAPLAN,Vie rurale, p. 365-367.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    13/26

    Introduction 23

    mtropolite que lauteur de Viesde saints que fut Ignace67. Au Xe sicle, la

    Souda lui consacre une notice qui nous apporte certaines informationsprcieuses dont la chronologie ne semble pas devoir tre mise en cause68.Ses 64 lettres sont prcieuses pour approcher la vie et les fonctions dun

    vque moyen dont les proccupations matrielles sont dun grand intrtpour lhistorien. Certaines lettres, envoyes notamment son principalcorrespondant, Nicphore69, ont parfois trait des domaines plus privs,permettant dentrevoir la personnalit dIgnace et ses opinions sur certainspoints, comme la vnration des images. Parmi ces correspondants figurentsept autres mtropolites et vques70 ; les changes concernent alors desaffaires lies ladministration du diocse ou la gestion des biens de celui-ci, mais montrent galement des liens damiti ou des relations de travailentre Ignace et ses correspondants71.

    Les informations des lettres sont parfois complexes analyser carcertaines reposent sur des lments de la vie dIgnace que celui-ci peutparfois travestir. Il faut donc dcrypter un discours parfois trs concret,comprhensible de ses correspondants mais manquant ncessairementdinformations pour clairer le contexte dcriture de ces lettres. Lun desintrts majeurs de cette correspondance est dtre lexpression de larevendication dune spcificit rgionale par rapport la capitale, comme en

    tmoignent par exemple les tentatives dIgnace de limiter les excs desfonctionnaires des impts72 ; ainsi sexprimerait, peut-tre, une certaineforme de provincialisme, ou du moins une volont de garantir lautonomiedun diocse face aux autorits centrales.

    67. PRATSCH,Ignatios the Deacon, p. 83.68.Souda, vol. 2, p. 607-608 : , , , ,

    ( Ignace, diacre et skeuophylax de la Grande glise de Constantinople, devenumtropolite de Nice, grammatikos, crivit les Viesde Taraise et Nicphore les saints etbienheureux patriarches, des loges funraires, des lettres, des iambes sur Thomas le rebellequi sont intituls et dautres uvres ). Nous avons tudi la vie dIgnace leDiacre, comme celle de Lon de Synada voqu ci-dessous, dans MOULET,Autobiographies.

    69. Nomm diacre et/ou chartophylax par Ignace selon les lettres, il sagit du mmepersonnage ; PMBZ 5306 et PBE Nikephoros 71.

    70. Il sagit, selon lordre des lettres, de Nicphore de Stauropolis (PMBZ 5305 etPBE Nikephoros 70), dun vque de Taion (PMBZ 11695 et PBE Anonymus 748), dun vquede Noumrika (PMBZ 11696 et PBE Anonymus 749), dun vque anonyme (PMBZ 11690 etPBE Anonymus 750), dun vque dHlnopolis (PMBZ 11693 et PBE Anonymus 751), de

    Constantin de Gangra (PMBZ 3942 et PBE Konstantinos 294) et dIgnace de Nicomdie(PMBZ 2669 et PBE Ignatios 6, connu aussi par la Viede Iannikios par Pierre, c. 70,p. 432BC, et laVita retractatade Pierre dAtroa, c. 103, p. 153-155).

    71. Par exemple la lettre Constantin de Gangra (Ignace le Diacre,Lettres, no 18, p. 60-63).

    72.Ibid., no 21-24, p. 68-79.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    14/26

    vques, pouvoir et socit Byzance24

    La correspondance de Lon, mtropolite de Synada et syncelle, constitue

    un quivalent de la correspondance dIgnace le Diacre, liconoclasme enmoins. De lauteur, on sait peu de choses73. N en 937 et mort au dbut duXI

    e sicle, Lon est surtout connu pour avoir t ambassadeur Rome auprsdOtton III la fin du sicle ; l, il participa llection de lantipapeJean XVI Philagathos et, comme lcrit J. Darrouzs, ce voyage futcertainement lvnement le plus marquant de la vie de Lon 74 ; il lerapporte dans une douzaine des 54 lettres conserves. Dans cettecorrespondance, qui ne manque pas dhumour75, il faut noter la faon dontLon, comme Ignace, dfend sa mtropole pour se protger des abus dufisc76. Les proccupations matrielles de lvque dominent largement et ses

    revendications face aux prtentions du pouvoir central sont manifestes ;lvque agit bien ici comme dfenseur de sa cit77.

    Concerns par leur profession, les vques sont aussi les auteurs detraits decclsiologie, dont trois sont ici fondamentaux car ils concernent lechoix et llection des vques et des mtropolites78.

    La dmonstration de J. Darrouzs est suffisamment convaincante pour nepas remettre en cause, selon toute vraisemblance, lattribution de lapaternit du premier texte Euthyme de Sardes, quil aurait crit

    Constantinople entre ses deux exils79

    . Montrant les prmices dudveloppement du synode permanent de la capitale, ce trait dtaille lesprocdures dlection des mtropolites Constantinople et des vques dansles provinces, lections dont Euthyme rappelle quelles ne concernent queles clercs et non le pouvoir imprial.

    Cette question du choix des vques et de la participation de lempereurrebondit au Xe sicle. Le trait dEuthyme accorde aux mtropolites et aupatriarche un rle prminent, favorisant ainsi lindpendance, mmerelative, de lglise. Vers 963-969, ce systme est contest dans un trait

    anonyme qui revendique pour les mtropolites une complte autonomie en

    73. MOULET,Autobiographies, p. 27-28.

    74. DARROUZS,pistoliers,p. 40. Sur lambassade,infra, p. 309-310.

    75. DARROUZS,pistoliers,p. 41.

    76. Lon de Synada,Lettres, no 43, D p. 198-199 = V p. 68-71.

    77. Parmi les correspondants de Lon figurent plusieurs vques et mtropolites : ArsniosdHracle, Nicolas de Nocsare, Michel dEuchata, Grgoire de Nice, tienne deNicomdie et un mtropolite anonyme dphse.

    78. DARROUZS,Ecclsiologie.

    79.Ibid.,p. 8-20 ; le texte nest connu que par un manuscrit dat, au plus tard, de la fin duXIII

    e sicle, et dont les textes qui le composent datent surtout des trois sicles prcdents. Lanotice de la PMBZ consacre Euthyme (no 1838) et la bibliographie cite ne remettent pas encause cette paternit. La notice de la PBE (Euthymios 1) et la biographie dEuthyme de Sardespar J. Gouillard (Euthyme de Sardes, p. 2-11) ne mentionnent pas le texte.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    15/26

    Introduction 25

    naccordant au patriarche quune prminence dhonneur80. Ce trait

    marque le poids pris par les clercs de haut rang dans lglise pendantlinconsistant patriarcat de Thophylacte (933-956) avant une reprise enmain plus nergique par le patriarche Polyeucte (956-970). NictasdAmase ragit ensuite au trait en souhaitant redonner au patriarche touteson autorit et sa place dans lglise : les mtropolites, suffragants dupatriarche, lui doivent entire soumission81.

    Ces traits montrent la capacit des vques rflchir leur mtier, leurrle et leur autorit : le pouvoir de lglise ne se limite donc pas au seulpatriarche. Au-del, ils sont surtout rvlateurs des enjeux que les lectionspiscopales constituent dans les relations entre lglise et le pouvoir.

    Paralllement ces sources crites existent galement des documentsmatriels. Dans un ensemble trs vaste de sceaux constitu denviron 60 000 70 000 pices, perptuellement renouvel et essentiel pour la connaissancede ladministration et des institutions de lEmpire ainsi que de leursmembres, les sceaux piscopaux constituent un matriel spcifique82.

    Le dpouillement des divers catalogues de sceaux pour les VIIIe-XIe siclesa permis de retenir prs de 800 pices pertinentes pour notre tude, sans quecet inventaire soit jamais exhaustif83. Tous les sceaux inventoris ne pourront

    tre voqus dans ce travail puisque, pour une partie, leur intrt restelimit ; aussi les citera-t-on en vue dune tude donomastique,diconographie ou encore de (re)constitution des listes piscopales, lessceaux tant parfois les seules sources qui nous font connatre le nom destitulaires de certains siges84. Cet avantage a nanmoins une contrepartie : ladatation souvent difficile des bulles empche de placer avec prcision lestitulaires des siges les uns par rapport aux autres. Par ailleurs, de raresexceptions prs, il ne nous appartiendra pas ici de faire face aux questions dedatation des sceaux : les ditions modernes sont suffisamment sres pour ne

    pas tre remises en question, mme si nous tentons de prciser la datationde certaines pices.

    80.Trait anonyme sur les prrogatives des mtropolites, p. 116-159.

    81. Nictas dAmase,Trait sur le droit de vote du patriarche, p. 160-175.

    82. LAURENT, Corpus, glise, vol. 1, p. XXVII-XXXVIII ; CHEYNET, MORRISSON, Lieux detrouvaille, p. 109-110, etTexte et image, p. 22-25 ; BRUBAKER, HALDON,Sources, p. 129-137.

    83. La majeure partie des sceaux retenus est issue du corpus tabli par V. Laurent, des bullesdes collections de G. Zacos et de Dumbarton Oaks, en plus de quelques catalogues rgionaux.

    84. Voir W. SEIBT, Byzantinische Siegel als Quelle fr die historische Geographie : Chancenund Problemen , dans Byzanz als Raum. Zu Methoden und Inhalten der historischenGeographie des stlichen Mittelmeerraumes, dir. K. BELKE, F. HILD, J. KODER, P. SOUSTAL,Vienne, 2000 (Verffentlichungen der Kommission fr die Tabula Imperii Byzantini 7),p. 175-180.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    16/26

    vques, pouvoir et socit Byzance26

    Pour le dbut de la priode, nous avons retenu les sceaux dats du

    VIII

    e

    sicle et non ceux du tournant du VIIe

    et duVIIIe

    sicles, attribuables desvques ayant particip au concile in Trullo et absents des sources aprs 700.Pour la fin de la priode ont t intgres les pices dates simplement duXI

    e sicle et non celles clairement attribues la seconde moiti du sicle85.Dans les ditions de G. Zacos, beaucoup de sceaux sont simplement datsdes Xe-XIIe sicles ; nous les avons intgrs notre corpus car il est parfoispossible de prciser la datation de certains dentre eux, en particulier pourles sceaux des mtropolites syncelles86.

    Le sceau piscopal a quelques caractristiques propres. La signature delvque, exprime dans la lgende, tend sallonger progressivement avecles sicles, avec parfois la mention du nom de famille, dun lien de parentavec un personnage connu ou dun titre honorifique, parfois dune autrefonction87. Cest essentiellement partir du VIIe sicle que se gnralise lapratique de prciser le nom du sige, sans doute en lien avec la rdaction dela premire notice piscopale du Pseudo-piphane88. La plupart des picesmontrent ds lors une grande cohrence : la formule dinvocationsajoutent les lments de la signature (nom, fonction, cit).

    partir duVIIe sicle, les sceaux piscopaux portent souvent, sur le droit,une iconographie, mme si la proportion des pices aniconiques est

    suprieure. La prsence dimages saintes se dveloppe jusqu la criseiconoclaste ; la Vierge domine alors la figuration des sceaux dvques et leChrist apparat peu sur ceux-ci89. Liconoclasme mit en avant le mono-gramme invocatif cruciforme sans pour autant en avoir cr le type puisquilest dusage ds le VIIe sicle90. Aprs 843, ct de la Vierge, les saints,principalement locaux, constituent de nouveaux et nombreux motifs icono-graphiques, puisque beaucoup dvques choisissent de faire figurer le saintprotecteur de leur cit sur leurs bulles91.

    85. Cela ne signifie pas pour autant que des sceaux simplement dats du XIe sicle ne soientpas postrieurs 1050.

    86. Voir infra, p. 322-326 et en annexe la prosopographie des mtropolites et vquessyncelles desXe-XIe sicles. Du fait de limprcision des datations, des pices ont t intgresalors mme que leurs propritaires ont probablement vcu avant les annes 720 et aprs lesannes 1030-1050.

    87. La mention dautres fonctions sur les bulles piscopales se gnralise partir de la fin duX

    e sicle et surtout auXIe sicle.

    88. LAURENT,Corpus, glise,vol. 1, p. XXVII.

    89.Ibid., p. XXXV : Constatation paradoxale ! Leffigie du Christ, pasteur des pasteurs,apparat trs rarement sur les sceaux des vques.

    90.Ibid., p. XXXVI-XXXVII.

    91. Voir COTSONIS, Saints and cult centers, et ID., Seals, et ci-dessous chapitre II. Beaucoupdvques choisissent aussi de faire figurer le saint dont ils ont reu le nom de baptme.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    17/26

    Introduction 27

    Si les sceaux sont nombreux pour le clerg, il nen va pas de mme pour

    les sources pigraphiques de notre priode

    92

    . La disparition progressive dusystme antique des cits jusquau VIIe sicle explique la rarfactionprogressive des inscriptions, mode privilgi dexpression de la vie urbaine.Il y a des exceptions, mais elles sont rares93. Les inscriptions postrieures auVII

    e sicle relatives lpiscopat sont de trois ordres : des invocations en vuede protger lauteur ; des inscriptions funraires, graffitis ou pierrestombales ; la commmoration de la ddicace ou de la restauration duneglise laquelle a pris part lvque du lieu. Comme les sceaux, ces sourcesnous font dabord connatre des noms qui parfois compltent des listespiscopales souvent minces. De mme, la mention de lrection dune glise

    peut nous renseigner sur la figure tutlaire de la cit ou de la rgion. Silpigraphie vient complter des donnes peu connues ou fournir parfois desinformations neuves, son apport reste nanmoins trs ponctuel.

    Le regard des contemporains

    ct de la documentation piscopale, les vques apparaissent dansbien des sources. Parmi celles qui manent de lglise, il faut mentionner lesactes du patriarcat, fondamentaux pour comprendre le fonctionnement de

    lglise et les relations de pouvoir qui sont en jeu, les textes lis auxpolmiques et controverses religieuses94, ou encore les sources liturgiques,trop souvent dlaisses des historiens. Comparativement celles connuesdans lOccident carolingien95, ces sources sont assez peu nombreuses96. Ilfaut distinguer le Synodikon de lOrthodoxie, clbrant notamment lammoire des saints, dont de nombreux vques97, et les euchologes, ou

    92. BRUBAKER, HALDON, Sources, p. 141-145.

    93. Le dpouillement de nombreux catalogues dinscriptions, en particulier des 65 volumesdes Inschriften griechischer Stdte aus Kleinasien, publis par lacadmie de Vienne etluniversit de Bonn, na gure t fructueux ; le nombre dinscriptions retenues ne slvequ une petite quarantaine, dont une bonne partie est constitue des graffitis inscrits sur leParthnon clbrant la mmoire des mtropolites dAthnes.

    94. limage des textes lis la controverse iconoclaste (les Peuseis de lempereurConstantin V, les Antirrhtiques et la Refutatio et Eversiode Nicphore), qui constituentlarrire-plan idologique pour comprendre la place de lpiscopat dans les dbats religieux,ou encore le trait que rdige Grgoire de Nice sur le baptme des Juifs dans la secondemoiti duIXe sicle.

    95. . PALAZZO,Histoire des livres liturgiques. Le Moyen ge, des origines auXIIIe sicle, Paris,

    1993.96. Panorama gnral dans R. TAFT, I libri liturgici , dansLo spazio letterario del Medioevo,

    vol. 3,Le culture circostanti, d. M. CAPALDO, F. CARDINI, G. CAVALLO, B. SCARCA AMORETTI, 1,La cultura bizantina, dir. G. CAVALLO, Rome, 2004, p. 229-256, spc. p. 233-244.

    97. GOUILLARD,Synodikon.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    18/26

    vques, pouvoir et socit Byzance28

    recueils de prires98. Deux euchologes principaux existent lpoque

    msobyzantine. LEuchologe Barberini fut copi en Calabre dans la secondemoiti duVIIIe sicle ; il est le plus ancien recueil de prires byzantin connu,intgrant des lments dorigine syro-palestinienne et alexandrine99. Lesecond euchologe fut rdig Constantinople au XIe sicle, le plus ancienmanuscrit datant de 1027100. Cest le premier qui a t systmatiquementprivilgi, car utilis pendant toute notre priode ; celui du XIe sicle, plustardif, reprend largement celui duVIIIe sicle.

    La liturgie, de rares exceptions prs, est le parent pauvre des tudesbyzantines : trop peu de recherches sur le sujet existent et beaucoup sontluvre de liturgistes plus que dhistoriens. La comprhension de cessources reste difficile car les ditions modernes ne sont pas toujourslimpides, mme si elles rendent de prcieux services. LEuchologe Barberinicontient des prires pour tous les moments de la vie quotidienne, certainesconcernant prcisment les vques : aux prires sont souvent ajouts lesrituels suivre, par exemple pour lordination dun vque ou la fondationdune glise, ce qui permet de reconstituer en dtail ces crmonies101.

    Une tude de lpiscopat ne doit pas ngliger par ailleurs les sourcesmonastiques, pour deux raisons : tout dabord les vques et les moines ont

    des relations dautorit et de hirarchie complexes, qui entranentcollaboration comme conflits102 ; ensuite, les sources monastiques (enparticulier les chartes de fondation des monastres ou les actes conservsdans les monastres, particulirement sur le mont Athos) sont nombreuses partir des IXe-Xe sicles. La consultation de ces sources sest avrecependant dcevante : comme lon sy attendait, le dpouillement de lavingtaine detypikaet de testaments des VIIIe-XIe sicles a t peu fructueux.Dans les rares textes mentionnant les autorits ecclsiastiques transparat lesouci des auteurs de protger leur fondation de toute intervention civile ouecclsiastique103. Les archives de lAthos fournissent un matriel intressant,

    98. On y ajoutera les pnitentiels, peu tudis malgr ldition de M. Arranz ( I Penitenzialibizantini. Il Protokanonarion o Kanonarion Primitivo di Giovanni Monaco e Diacono, e ilDeuterokanonarion o "Secondo Kanonarion" di Basilio Monaco, Rome, 1993 [Kanonika 3]) etle travail rcent de F. Van De Paverd (The Kanonarion by John, Monk and Deacon, andDidascalia Patrum, Rome, 2006 [Kanonika 12]).

    99. PARENTI, VELKOVSKA, Eucologio, p. XXIII-XXXII, 2e d., p. 19-21.

    100. ARRANZ,Eucologio costantinopolitano, p. 7-9.

    101. Voirinfra, p. 276-279 et p. 402-411.

    102. MOULET,vques et moines.

    103. Exemple dans le chrysobulle de Romain Lcapne daot 934 pour lAthos et lemonastre de Kolobou,Prtaton, no 3, p. 187. Il ne faut pas ngliger cependant de prendre encompte des textes qui ne font pas mention des autorits ecclsiastiques ; ainsi, lacomparaison entre le testament de Nikn le Mtanoeite et la Vie du saint est riche

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    19/26

    Introduction 29

    mais souvent trop tardif pour notre travail et concernant surtout lvch de

    Hirissos, situ au pied du mont Athos et, ce titre, en relation directe avecles monastres de la Sainte Montagne104. Le dpouillement des nombreuxactes de lAthos na permis de retenir que quelques textes, ayant trait enparticulier des conflits de proprits entre les autorits ecclsiastiquesdune part et des lacs et moines dautre part105.

    On la constat pour les vques, le genre pistolaire byzantin est trs lamode aux Xe-XIIe sicles : ce sont ainsi environ 2 000 lettres qui sontconserves dans 27 collections principales106. Les vques sont ainsilargement prsents dans les correspondances dautres auteurs, quils soientlacs107 ou moines notamment Thodore Stoudite au IXe sicle, dont lacorrespondance est bien connue depuis ldition de G. Fatouros108 et parmi

    dinformations sur les rapports du moine avec lvque Thopemptos de Lacdmone,prsent dans laViemais absent du testament ; voir KAPLAN, Nikn le Mtanoeite.

    104. Lhistoire de lvch de Hirissos a t reconstitue en grande partie par le recours auxactes athonites, dans lensemble assez tardifs : PAPACHRYSSANTHOU,Hirissos.

    105. Par exempleLavra I, no 16, p. 141-144 (donation dEustrate de Lavra, mars 1012) et no 20,p. 155-161 (donation de Glykria, 1016).

    106. A. KARPOZELOS, Realia in Byzantine epistolography,X-XIIc ,BZ77, 1984, p. 20.107. Pour le Xe sicle, citons simplement les correspondances de Nicphore Ouranos(DARROUZS,pistoliers, p. 44-48), Nictas Magistros (WESTERINK,Nictas, p. 21-46), SymonMagistros (DARROUZS,pistoliers, p. 33-38), Thodore Daphnopats (voir lintroduction deldition), et enfin du Professeur Anonyme ; de ce dernier, professeur Constantinople ayant

    vcu dans la premire moiti du Xe sicle, on possde de nombreuses lettres relatives sonmtier et ses lves, dont certains sont lis des mtropolites auxquels crit le Professeur(sur lauteur, DARROUZS, Inventaire, p. 112-114 ; LEMERLE, Humanisme, p. 246-257 ; endernier lieu, lintroduction dA. Markopoulos, p. 1*-22*).

    108. G. Fatouros a recens 564 lettres, dont quatre perdues. Sur lauteur, citons simplementPMBZ 7574 et PBE Theodoros 15, ainsi que T. PRATSCH, Theodoros Studites (759-826)

    zwischen Dogma und Pragma : Der Abt des Studiosklosters in Konstantinopel imSpannungsfeld von Patriarch, Kaiser und eigenem Anspruch, Francfort, 1998, avecbibliographie, p. XXII-XXXIII ; plus rcemment, DELOUIS,Stoudios, seconde partie. Dans cettecorrespondance, 34 lettres furent adresses par Thodore un ou plusieurs vque(s) dontcertains sont connus par ailleurs, sur une priode relativement restreinte (814-826) uneexception, la lettre 37, envoye par Thodore son frre Joseph de Thessalonique en 809-811.Les lettres sont adresses Anastase de Knossos (no 11, p. 35-39 ; personnage prsent auconcile de Nice : MANSI XIII, col. 145A ; PMBZ 298 et PBE Anastasios 21) ; Antoine deDyrrachion (nos 462 et 542, p. 659-661 et 818-819) ; Euthyme de Sardes (nos 74, 112 et 545,p. 194-195, 230-231 et 823-825) ; Ignace de Milet (nos 75 et 267, p. 196 et 394-395 ; PMBZ 2667et PBE Ignatios 19) ; Jean de Chalcdoine (nos 245 et 312, p. 377-378 et 454-455 ; PMBZ 3205

    et PBE Ioannes 439 ; mentionn dans le Syn. Eccl. CP, col. 83039

    , Thodore le clbre danslune de ses catchses, BHG 2185) ; Jean de Monemvasie (no 274, p. 405-406 ; PMBZ 3208 etPBE Ioannes 458 ; G. Fatouros (Epistulae, p. 317*) signale que Jean est inconnu par ailleurs ;en ralit, il apparat dans le Synodikon de lOrthodoxie, appendice XI,Sedes metropolitanaMonembasiae, p. 1174) ; Jean de Sardes (nos 157 et 451, p. 278-279 et 638 ; PMBZ 3200 etPBE Ioannes 461 ; Jean succde Euthyme, exil) ; Joseph de Thessalonique, son frre (nos 37,

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    20/26

    vques, pouvoir et socit Byzance30

    lesquels il faut distinguer les correspondances patriarcales109, dont une

    grande partie est adresse au corps piscopal.Les lettres du patriarche Germain Ier sont les premiers textes surliconoclasme et attestent ses lents progrs en Asie Mineure notamment110.Lintrt des historiens a t moindre lgard des lettres de Taraise relatives la rforme du clerg, objet majeur avec le rtablissement des images duconcile de 787111. Prs dun sicle aprs le concile in Trullo, des efforts enmatire de rforme restaient encore faire au point de marteler, Nice II etdans les lettres patriarcales, la ncessit dune rforme.

    Le IXe sicle, jusquau rtablissement du culte des images en 843, estpauvre en correspondance patriarcale intressant notre sujet, sans doute dufait de la perte des textes crits par des patriarches iconoclastes entre 815-843. En revanche, le second IXe sicle est bien plus riche grce lacorrespondance de Phtios, qui nous informe entre autres sur la politiquemene par le patriarche contre son adversaire Ignace ou sur les rapports dupatriarcat et de lEmpire avec Rome. Au Xe sicle112, la correspondance deNicolas Mystikos est riche de prs de 200 lettres. Les lettres aux mtropoliteset vques concernent tant les affaires de lglise que des aspects pluspolitiques, comme laffaire de la ttragamie. Elles rvlent des relations pluspersonnelles entre Nicolas et ses correspondants tout en permettant de

    diffrencier les partis et rseaux en jeu lors de laffaire de la ttragamie. Pluslargement, cest le rle des vques dans leur relation au pouvoir imprial etle pouvoir des vques qui peuvent tre ainsi tudis.

    Les historiens et chroniqueurs des VIIIe-XIe sicles restent discrets sur lemonde piscopal. Pour lpoque iconoclaste, il faut dabord constater lararet et la subjectivit de ces sources113, comme leBreviariumde Nicphore,

    43, 72, 73, 111, 195, 222, 265, 333 et 355, p. 106-108, 124-128, 192-193, 193-194, 228-229, 318-

    319, 349-350, 393, 474-475 et 489-490) ; Michel de Synada (no

    364, p. 497-498) ; larchevquePhilarte (no 564, p. 861 ; lettre perdue ; peut-tre sagit-il de larchevque de Gotthie[PMBZ 6140 et PBE Philaretos 10] ; dans ce cas, il pourrait tre le mme personnage quiThodore crit en 821-826 : lettre no 486, p. 714-716, envoye larchimandrite de Gotthie) ;Pierre de Nice (nos 82, 158, 313, 442, 475 et 533, p. 203, 280, 455-456, 622-623, 683-685 et804-806) ; lvque Sisos (no 234, p. 368-369 ; PMBZ 6820 et PBE Sisoes 1) ; Thophylacte deNicomdie (nos 175 et 314, p. 296-297 et 457-458) ; des vques exils (nos 430 et 435, p. 603 et611-612 ; on ignore qui sont ces vques ; pour la lettre no 435, ce sont peut-tre les vquesalors exils Cherson ; voir AUZPY,Gothie et Crime, p. 326).

    109. Inventaire des lettres patriarcales dans BRUBAKER, HALDON, Sources, p. 277-280.

    110.Infra, p. 183-185.

    111.Infra, p. 267-269.112. Les lettres patriarcales sont plus rares pour la premire moiti du XIe sicle ; parmi les casintressants figure une lettre de 1027 dAlexis Stoudite Thophane de Thessalonique surlentretien du luminaire de lglise des Saints-Aptres de Thessalonique :infra, p. 352.

    113. BRUBAKER, HALDON, Sources, p. 165-184.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    21/26

    Introduction 31

    laChronographiede Thophane ou laChroniquede Georges le Moine. Dans

    ces textes, les informations relatives lpiscopat sont souvent similaires etconcernent bien moins les fonctions quotidiennes des vques que leur rlede conseillers des princes ou dvanglisateurs ; cest ce que lon retrouvegalement dans des chroniques plus tardives, en particulier la Continuationde Thophane ou les uvres de Lon le Diacre et de Jean Skylitzs.

    Les sources sont donc nombreuses voquer le corps piscopal. Cesdocuments permettent de mettre en valeur quelques-unes des caract-ristiques propres ce groupe social dissmin dans tout lEmpire : ancrsdans la socit de leur temps, les vques participent pleinement aux dbatspolitiques et religieux, tout en sinscrivant dans des rseaux de relationsfonds sur des intrts varis et en jouant le rle dintermdiaires delautorit centrale dans les provinces. Ce rle se retrouve la fois dans lemodle que leur saintet peut offrir quand un hagiographe fait deux leshros dune Vie, mais aussi dans lexpression de revendications dunespcificit rgionale face lessor dune capitale toute puissante et dedynasties qui tendent imposer leurs conceptions politiques et religieuses tous les tenants des ressorts administratifs et ecclsiastiques de lEmpire.

    Lhistoire de lpiscopat msobyzantin

    Les contours spatiaux de cette tude se dfinissent deux-mmes par lesfrontires des vchs placs dans lorbite du patriarcat de Constantinople,qui se modifie au VIIIe sicle avec lintgration, louest, de lIllyricumoriental, dune partie de lItalie mridionale et de la Sicile114.

    La cohrence du cadre chronologique est lie lhistoire de linstitutionpiscopale elle-mme. Au-del de labsence globale dtudes sur lpiscopatdesVIIIe-XIe sicles, cette priode est marque par une redfinition du rle de

    lvque dans la socit byzantine. Avec les 102 canons promulgus lors duconcile in Trullo la fin du VIIe sicle, lglise a cherch tablir de faonclaire le rle de chacun de ses membres en les distinguant notamment de lasocit profane. la fin de notre priode, les premires dcennies duXI

    e sicle ont acclr un double phnomne : dune part, le recentrage sur lacapitale du gouvernement interne de lglise autour du patriarche, cause etconsquence des modifications du recrutement du personnel piscopal venuprogressivement des couches suprieures de la socit ; dautre part, lesrformes, voulues en particulier par le patriarche Alexis Stoudite pour

    114. Cela exclutde factocertaines rgions conquises un moment de lhistoire de lEmpiremais qui sont soumises lautorit dun autre patriarche ; cest le cas par exemple de Laodice(auj. Lattakia), sur la cte libanaise, dans le ressort du patriarche dAntioche. Cette prcisionmthodologique nest pas inutile puisquelle a conditionn le dpouillement des sources, eten particulier des sceaux.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    22/26

    vques, pouvoir et socit Byzance32

    normaliser le rle de lvque dans la socit byzantine. Cette constantino-

    politisation croissante de la socit, perceptible dans les sources, concerneau premier chef lglise, qui se dtache des provinces de lEmpire enrenforant sa centralisation ; le mouvement se poursuit et sacclre dans laseconde moiti du sicle et lpoque des Comnnes, au XIIe sicle, quand lepouvoir imprial renforce son autorit sur lglise115.

    cette histoire complexe de lpiscopat sajoute liconoclasme, dont lesconsquences stendirent bien au-del de sa fin brutale en 843. Cettepolitique, engage par les Isauriens au VIIIe sicle, touche directement larecomposition de lpiscopat. Le positionnement politique et dogmatique deses membres constitue un enjeu de pouvoir pour lempereur comme pour lepatriarche : par le contrle de lpiscopat comme par celui de larme parexemple cest sur toute la socit que le pouvoir affirme son autorit. Leculte des saints, dont les iconoclastes combattirent les excs comme lesfondements, pouvait aisment se passer du clerg en permettant lapopulation dchapper tout contrle. Le pouvoir doit donc se reposer surdes institutions comme lglise ou lArme pour renforcer son autorit etconforter ses assises territoriales ; quand les grands corps de ltat enviennent contester le pouvoir, cest toute la socit qui en ressort branle.

    A prioriopposs et contradictoires, la politique rformatrice du concile

    in Trullo et liconoclasme ne visent finalement quun seul et mme objectif :renforcer lemprise dune autorit ecclsiastique ou laque sur la socitpour en amliorer lencadrement.

    Il faut donc considrer lpiscopat dans son ensemble comme lastructure englobante dune socit qui reconnat quelques-uns ici lesvques une autorit sociale et pragmatique fonde sur le charismespirituel transmis par la conscration116. Pivot de la socit provinciale delEmpire, lvque apparat comme un modle quand le pouvoir ou la vox

    populifont de lui un saint homme

    117

    . Les tudes sur les groupes sociaux dumonde byzantin ou de lOccident du haut Moyen ge concernent souventlaristocratie ou les couches sociales leves en raison de la nature biaisedes sources : seuls se donnent voir dans les textes ceux qui ont lapossibilit intellectuelle et financire de le faire et qui y voient un intrt.Cela nest pas aussi vident pour le corps piscopal. En effet, celui-cipossde une fonction sociale majeure et une place minente dans la socit, tous les chelons. Lpiscopat ntant pas directement transmissible, lesenjeux et les stratgies de pouvoir du groupe comme de ses composantes

    115. Sur lpoque des Comnnes, voir ltude de M. Angold,Church and Society in Byzantiumunder the Comneni, 1081-1261, Cambridge, 1995.

    116. RAPP,Holy Bishops, p. 16-18.

    117. KAPLAN,Ensevelissement, p. 319.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    23/26

    Introduction 33

    sont diffrents ; cest laristocratie qui fait de loccupation des grands siges

    mtropolitains un enjeu de son ancrage dans les provinces de lEmpire.Cependant, tous les vques ne sont pas issus de laristocratie et il estsouvent difficile de cerner leur origine sociale.

    Lpiscopat ne constituait donc pas un tout homogne : on ne peutconsidrer sur un plan dgalit les quelques centaines dvques delEmpire, hirarchiss selon une txij particulirement stricte qui estdautant plus respecte que le clerg en est la fois le penseur et le garant.On pouvait ainsi tre vque de bien des faons et ce sont ces ralitsindividuelles que nous avons aussi tent dapprocher : lhistoire duneinstitution ne peut se faire sans une sociologie de cette institution.

    Cette tude repose sur un triple postulat de dpart : administrant unterritoire et une communaut dont il sapproprie les marqueurs identitaires,lvque agit tel un fonctionnaire au service de ltat et de lglise afindasseoir sa position sociale et son autorit sur la socit, autorit qui trouvedans laccs la saintet une reconnaissance populaire et officielle.

    Il faut sinterroger ici sur le rle de fonctionnaire que pouvait tenirlvque. En effet, si tel tait le cas, dans quelle mesure tait-il nomm etrvocable par ltat ? Sil nest pas directement rtribu par ce dernier mais

    bien par lglise, il agit nanmoins aux ordres du pouvoir imprial.Ce groupe repose galement sur une certaine identit commune, une

    identit collective qui tend en partie opposer la capitale la province.L'enracinement local de lvque est en effet essentiel, tant avant saconscration que dans lexercice de sa fonction. Les recherches sur lhistoirergionale de lEmpire byzantin se sont largement dveloppes, donnant lieu de nombreuses monographies118. Cest prcisment une histoire dcentrede lEmpire byzantin que nous voudrions tenter ici en ne considrant passeulement lvque comme partie prenante de linstitution ecclsiastique,

    mais aussi comme reprsentant de la socit provinciale de lEmpire,dfendant les intrts de son sige et de sa rgion face un tat jug tropconstantinopolitain. La saintet piscopale trouve dans cet attachement auxprovinces de lEmpire un bon moyen dexpression ; souvent issue dun cultelocal centr sur une glise ou un sanctuaire, cette saintet dpasse peu lesfrontires rgionales. Elle exprime aussi les contours de la province face auxgrands saints de la capitale que sont les Stoudites ou, aux IXe et Xe sicles,face aux saints moines de Bithynie et de lAthos.

    118. Citons parmi les tudes rcentes en franais les travaux d. Malamut sur les les,dA. Avrama (Le Ploponnse du IVe auVIIIe sicle. Changements et persistances, Paris, 1997[Byz. Sorb. 15], compltant louvrage ancien dA. Bon, Le Ploponnse byzantin jusquen1204, Paris, 1951 [Bibliothque byzantine, tudes 1]), de S. Mtivier sur la Cappadoce, deV. Prigent sur la Sicile, ou encore les recueils consacrs la Bithynie, la Crime ou lItaliebyzantine.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    24/26

    vques, pouvoir et socit Byzance34

    Malgr le nombre consquent dvchs dans lEmpire, les lacunes des

    sources empchent une tude complte de ces vchs et plus encore deleurs titulaires ; aussi ne doit-on pas chercher dans les pages qui suivent uneanalyse systmatique et dtaille de tous les vchs et de lensemble dupersonnel piscopal. Nous avons pris le parti de nombreuses tudes de cas,consacres un vch, une rgion, ou encore un titulaire que des sourcesplus dtailles ont permis dapprhender plus en profondeur. Cest ladocumentation qui a guid la recherche et en a impos les thmes, souvent lexclusion des autres. Parce que les sources canoniques sont nombreuses, ilfut ainsi ais de comparer la thorie conciliaire la pratique relle delactivit piscopale. linverse, la documentation empche toute tude

    prcise des revenus et du niveau de vie du corps piscopal ; si lon possdesur ce point des donnes parses pour les poques antrieures et post-rieures, il nous a sembl prfrable dviter toute comparaison renduehasardeuse par des dcalages chronologiques trop consquents.

    Nous avons galement fait le choix de ne pas raliser de prosopographiecomplte de lpiscopat, puisquelle existe dj pour la priode 641-867 119 etpour le XIe sicle (1025-1102)120 ; celle couvrant les annes 867-1025 est encours de ralisation121. Lindex des noms de personnes pourra modestementpallier cette absence de prosopographie.

    La premire partie apprhende lpiscopat dans ses dimensionscollectives et vise comprendre les fondements territoriaux, politiques etreligieux de lautorit piscopale dans la socit provinciale. Le premierchapitre tudie les notices piscopales pour tablir la hirarchie des siges.Aprs avoir prsent ces textes et les difficults quils posent, les variationsde la hirarchie seront abordes selon une double chelle, celle de lEmpireet celle des parchies, rparties en trois ensembles rgionaux : lAsieMineure et la mer Noire ; la Thrace, les Balkans et le monde insulaire ; lesmarges occidentales, lItalie du Sud et la Sicile. Cette tude, relativementaustre, est ncessaire pour replacer lvque dans son contexte hirarchiqueet gographique, mais aussi pour comprendre la faon dont lglise parvient adapter son rseau et ses structures aux volutions socio-politiques delEmpire. Dans le second chapitre, cest lchelle du diocse et de sesfrontires qui est envisage ; il sagit ici dtudier les espaces dans lesquelsvolue et agit lvque. Si les sources mettent en avant les espaces urbains audtriment des espaces ruraux, ces derniers constituent pourtant lessentieldu territoire diocsain. Enfin, il faut sintresser aux dplacements des

    119.Prosopographie der mittelbyzantinischen Zeit(PMBZ) etProsopography of the ByzantineEmpire(PBE), complter, pour lItalie, par la Prosopografia dellItalia Bizantina(PIB, pourla priode 493-804) de S. Cosentino, et dont deux des trois volumes ont actuellement paru.

    120.Prosopography of the Byzantine World(PBW), accessible sur http://www.pbw.kcl.ac.uk.

    121. PMBZ II, dont seul le volume dintroduction a paru pour le moment.

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    25/26

    Introduction 35

    vques dans lEmpire, en particulier Constantinople. Cest en effet l que

    se dfinissent dabord les fondements de lautorit piscopale, envisagsdans le troisime chapitre autour dune double problmatique : la dfinitiondu groupe piscopal comme tenant de lautorit malgr ses hirarchies etses divisions dune part ; les rapports de comptition entre lpiscopat etlautorit impriale et patriarcale dautre part. Il sagit alors de sinterrogersur la cohsion, ou non, du groupe piscopal et sur les moyens dexpressionde cette ventuelle cohsion.

    La seconde partie envisage les composantes individuelles du groupepiscopal afin de saisir, la manire dune biographie, lorigine, la carrire,les fonctions sociales des vques et la faon dont ceux qui furent proclamssaints taient clbrs par leurs communauts. Le quatrime chapitresintresse au recrutement des vques. Les origines gographiques, socialeset culturelles des candidats lpiscopat conditionnent en partie leur recru-tement, dont il faut tudier les procdures en confrontant la thorie dellection a clero et populo aux pratiques de lpoque msobyzantine. Laconfrontation des sources liturgiques et des sources hagiographiquespermet daborder en dtail la crmonie de conscration de lvque. Unefois nomm, celui-ci mne alors une double carrire tudie dans les deux

    chapitres suivants. Le cinquime chapitre est consacr aux fonctions nonpastorales des vques. Aprs ltude des possibilits dascension sociale ausein de linstitution ecclsiastique et des revenus et du niveau de vie desvques, il faut sintresser aux charges exerces hors du sacerdoce ainsiqu la fin de celui-ci, en posant la question de la vie aprs la renonciationvoulue (dmission) ou contrainte (dposition) de la charge piscopale. Lesixime chapitre revient lchelle du diocse en se consacrant aux fonctionsde lvque, rparties en trois grands domaines : au service des fidles, il estle ministre des rites, lenseignant et le prdicateur ; au service de son glise,il est le chef du gouvernement diocsain en charge de la justice, du clerg etdes finances ; enfin, au service des lacs et des clercs, il est le gestionnaireprincipal des espaces sacrs de son diocse, en particulier des espacespublics, ce que montre lanalyse des sources liturgiques relatives laddicace des glises. Le septime et dernier chapitre est consacr la mort, la mmoire et la saintet des vques. L plus quailleurs, la frontire estfloue entre vques ordinaires et vques accdant la saintet. Il faut alorscomprendre comment se marque le lien entre un vque et sa communaut travers lanalyse des rituels funraires et des processus de clbration et deculte des (saints) vques, tout en sintressant la rdaction des Viesde

    saints vques comme lments constitutifs de ce lien.

    Ce travail vise redonner ces marginaux que sont les vquesbyzantins la place quils mritent dans lhistoriographie moderne. On

  • 7/25/2019 Evewue, Pouvoir, Societe, Introduction

    26/26

    vques, pouvoir et socit Byzance36

    dfinira ici la marginalit comme une condition sociale impliquant un statut

    formel au sein de la socit mais marque par une absence dans lHistoire. Sila mmoire de certains vques est clbre, ces pratiques semblentlocalises et peu rpandues dans lEmpire. Dans ltat actuel des sourcesconserves, les vques apparaissent comme des marginaux : ladocumentation fait plus de place aux moines dont lautorit et le prestigesocial tendent saffirmer paralllement au dbat sur les images lpoquede liconoclasme ; les vques, suivant lorthodoxie alors en cours, taientpour une grande part eux-mmes des iconoclastes et, par la damnatiomemoriae que leur a fait subir lglise, grande gardienne de la foi, leurhistoire fut brouille, voire efface. Il nous a donc sembl tant utile quint-

    ressant de tenter de cerner les contours territoriaux, sociaux et individuelsdune institution fondamentale de lEmpire byzantin, qui trouve dans lasaintet une voie naturelle et toute trace pour affirmer son ancrage etrenforcer son autorit dans une socit provinciale de plus en plus dtachede sa capitale.