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Extrait du fascicule 479 Juillet-Septembre 1966 UNIVERSITAIRES DE FRANCE

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Extrait du fascicule 479 Juillet-Septembre 1966

UNIVERSITAIRES DE FRANCE

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Problemes sur l'origine de l'heresie au Moyen Age

I

Les problemes que pose ä 1'analyse historique l'heresie medie- vale, nee au debut du xie siecle, et qui s'est developpee jusqu'ä la seconde moitie du xive, ne sont pas des problemes nouveaux pour les historiens contemporains. Its ont ete etudies dans des eeuvres remarquables qui out paru entre le milieu du siecle dernier et les premieres annees du nntre ; mais ils ont pris, depuis une vingtaine d'annees, une place particulierement importante dans les preoc- cupations de 1'historiographie du Moyen Age. Un groupe consi- derable d'oeuvres concernant les heresies medievales a ete publie entre 1945 et 1948, par des savants des principaux pays d'Europel. Leurs auteurs se sont presque toujours ignores les uns les autres', ä cause de l'interruption des relations entre les difierents pays pendant la derniere guerre mondiale. Il est neanmoins remarquable de constater combien l'importance du probleme de l'heresie s'est, comme par une sorte de maturation spontanee de la pensee, imposee aux historiens qui, sans suggestions reciproques, ont compris quelle place eile tient dans les derniers siecles du Moyen Age, et comme il est desormais indispensable de pousser plus ä fond la recherche sur les caracteres specifiques de l'heresie, sur 1'exten- sion qu'elle a pu atteindre, sur les influences qu'elle a subies ou exerce es.

Le R. P. Dondaine et le R. P. Ilarino de Milan, et plus recem-

1. Pour In bibliographic, on se reportera au rapport colloctif do R. R. BETTS, E. DELARUELLE, H. GRUNDMANN, R. I1fORGEEN, L. SALVATORELLI, Movimenti religiosi popolari ed eresie del Medioevo dans Relazioni at la Congresso Inlernazionale di Scienze Sloriche, III, Firenze, 1955, pp. 307-541. Je donnerai au fur et L mesure les indications bibliographiques postkrieures L la publication du rapport du CongrLs de 1955. D'autre part, dans mon hfedioevo crisliano, 3e dd., Bari, 1962, on trouvera les rdfbrences les plus importantes sur les sources et In litUrature historique concernant I'Mr8sio an Moyen Age.

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R. Morghen

ment M. Puech et Al. Vaillant, ont publie d'importants textes inedits relatifs ä l'heresie medievale ou nous ont donne des editions critiques de textes dejä connus. Jean Guiraud a reuni dans une etude d'ensemble tout ce que nous savons sur l'histoire de 1'inqui- sition medievale, en France en particulier.

Mais c'est surtout la question de l'origine de l'heresie de ceux qu'on appelle-les neo-manicheens, qui a ete particulierement etudiee

par M. Runciman, M. Obolenski, Al. Söderberg et Al. Borst. Ces travaux, malgre des reserves critiques inspirees par un

examen plus attentif des textes, soutiennent encore la these de 1'origine orientale des heresies dualistes apparues en Occident dans le premier quart du xie siecle. La theorie de la derivation directe do ces heresies ä partir du manicheisme a cede le pas ä

celle de la derivation indirecte, par le bogomilisme. Le R. P. Don- daine lui-meme qui, daps ses ouvrages les plus anciens, avait repousse cette interpretation, a fini par 1'adopter, ä cause surtout des ana- logies qu'il a trouvees entre les croyances des dualistes occidentaux du ; xie siecle et Gelles des bogomiles. Analogies que l'on peut, tout

au moins, deduire de la lettre ecrite en langue paleoslave par le

pretre Cosmas au Xe siecle, traduite par Al. Vaillant et analysee et mise on valeur par Al. Puechl.

Les indications contemporaines les plus importantes sur 1'heresie

au xre siecle nous sont fournies par des chroniqueurs, et par des

actes des Conciles d'Orleans en 1022 et d'Arras en 1025. Elles sont en general insuffisantes et imprecises ; on manque presque comple- tement on effet pour ce siecle de sources directes de la pensee heretique. Celle-ei est connue essentiellement ä partir de traites

sur les doctrines heretiques, rediges h partir du xne siecle soit par des heretiques convertis, soit par des controversistes catholiques a l'usage des inquisiteurs herelicae pravilaiis. Les temoignages directs de la pensee des dualistes du Moyen Age sont tardifs, presque toujours du xue ou du xuie siecle, alors que l'heresie etait nee plus d'un

siecle auparavant. D'apres Adhemar de Chabannes, on aurait en effet trouve des manicheens on Aquitaine on 1017, et decouvert des heretiques dualistes en 1022 ä Orleans, on 1025 ä Arras, on 1030

1. Sur les problbmes de 1'hEr1sie cathare, de son origin dans les relations entro Orient at Occident, cf. H: Ch. PUECH, Catharisme medibval et bogomilisme in Oriente e Occidenle net Medioevo, Accademia Nazionale del Lincei, Fondazione Volta, Attl del Convegni, 12, Roma, 1957, pp. 56-84, et R. Moncneti, 11 cosidetto neo-manicheismo occidentals del sec. xi, ibid., pp. 84-104, avec la discussion des deux rapports (pp. 146-161).

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Probl'emes sur 1'origine de 1'heresie au Moyen Age

A Monforte, pres d'Asti, en 1048 ä Chalons-'sur-Marne, en 1052 h Goslarl.

Suivant le temoignage des chroniqueurs, ces heresies auraient surtout penetr& en France par l'Italie, introduites par des here- tiques vagabonds, a quadam muliere, a quodam ruslico. Les doctrines

communes ä ces heretiques auraient surtout concerne le dualisme,

en vertu duquel ils reconnaissaient que toutes les choses invisibles

et bonnes avaient ete creees par le Dieu du bien, et les choses visibles et mauvaises par un Dieu malfaisant. En general, ils reje- taient 1'Ancien Testament et les principaux sacrements et refu- saient la hierarchie ecclesiastique et le culte public celebre par 1'Rglise ; ils condamnaient tout rapport sexuel et prescrivaient 1'abstention de la viande, du vin, et de toute nourriture qui pouvait avoir quelque rapport avec la puissance d'engendrer ; ils prati- quaient 1'initiation, l'imposition des mains. L'oraison dominicale etait leur unique priere.

Pareil corps de doctrines, identifie par la suite avec la doctrine

-cathare, nous est fourni par les traites Adversus calharos, rediges aux xlle et xIIIe siecles par Buonaccorso, Sacconi et 1lloneta. Pour les auteurs de ces traites, il ne fai`sait point de doute qu'il s'agissait lä de 1'enseignement des anciens manicheens, dont ils connaissaient; pour les manicheens du we siecle, la doctrine par les ecrits: -de saint Augustin dans sa polemique contre eux. Aujourd'hui, cette identification de 1'heresie, apparue en Europe apres Pan 1000, avec 1'ancien manicheisme, ne saurait plus Ure admise comme teile.

On peut affirmer en effet qu'il n'y a ni texte ni ecrit pour etablir de fagon probante une continuite entre les anciennes heresies theologiques et les nouvelles heresies nees en Occident apres Pan 1000, tant la documentation que Pon possede est incomplete et peu convaincante. On pourrait sans doute faire etat de remi= niscences de 1'ancien manicheisme reapparues dans quelques temoi- gnages relatifs ä des manifestations heretiques des xlie et xule siecle, mais il s'agit generalement de traditions tardives et principalement orales et populaires, ä travers lesquelles les anciens mythes appa- raissent completement deformes et orientes vers des significations differentes de celles qu'ils avaient cues ä 1'origine2.

1. Sur les sources de notre connaissance de I'h6rEsie au xi- si6clo, on consultera IikRi1o da MII. A2: o, Le eresie popolarie del secolo XI nell'Europa Occidentale, in Siudi Gregoriani, (II, pp. 43-89, et R. Itioncuex, 111edioevo Crisliano, 8d. cit., pp. 22I-236.

2. R. Moncna , Aledioevo Crisliano, Ed. cit., p. 260, n. 98, donne un oxemplo do la deformation populaire du mythe du villicus iniquilalis.

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R. Morghen

Il ya eu certes des relations, des le xIle siecle - le fait en peut titre etabli - entre les mouvements heretiques italiens et les milieux heterodoxes des Balkans mais, dans 1'ensemble, on peut affirmer aver certitude que 1'heresie medievale, tout au moins teile qu'elle apparalt en Occident ä partir des premieres annees du xIe siecle (dans une periode qui precede d'un siecle environ les temoignages des traites precedemment cites) se developpe et se repand surtout dans les milieux laiques depourvus de culture ou meme parfaitement illettres qui, loin de tout enseignement doc- trinal, tiraient leurs preceptes de religion presque exciusivement de la connaissance des textes sacres, interpretes selon leur bon sens naturel, et en contraste evident avec l'exegese savante de la tradition ecclesiastique. Il n'est done pas possible de qualifier de manicheisme des propositions de caractere moral et religieux dans lesquelles n'apparatt aucune reference precise au pretre Mani et ä son systeme cosmogonique et mythique. Le dualisme cathare a un sens essentiellement moral et anthropologique.

Quant A. ce dualisme, le R. P. Dondaine lui-meme distingue un dualisme rigide et un dualisme milige, c'est-ä-dire un dualisme qui n'a pas la rigueur philosophique de Popposition des deux principes, cette. rigueur essentielle au systeme manicheen, mais plut6t qui exprime la conscience d'une opposition entre le bien et le mal dans la vie morale de 1'homme, dualisme tout it fait evangelique.

Les ecrivains anti-heretiques des xiie, xnie et xive siecles nous ont, pour la plupart, presente les heresies medievales sous un aspect doctrinal et theologique, ne voulant voir en elles qu'une maniere de retour, retour possiblement periodique, des heresies des premiers siecles de 1'Eglise. Aussi Adhemar de Chabannes traite-t-il tout simplement de « manichaens » les dualists apparus en Aquitaine au commencement du xie siecle ; ce que definit avec force un polemiste laIque nomme Giorgio, au debut du xiiie siecle :« Here- ticus ergo qui dicebatur antiquitus manichaeus, nunc vero catharus appellatur »l. Pareille fagon de reconnaitre 1'heresie paralt parfai- tement comprehensible et conforme ä l'esprit du temps, chez les inquisiteurs et chez les ecrivains catholiques du 1lloyen Age ; mais eile ne semble aucunement justifiee chez certains auteurs

1. Disputatio inter catholicum et paterinum hereticum, in MARTLNE et DURAND, Thesaurus novus anecdolorum, Lutetiae Parisforum, 1717. Sur cotta source, voir leg conclusions do A. DONDAINE, Le Manuel do l'Inquisiteur (1230-1330), in Archiuum Fratrum Praedicalorum, XVII (1947), pp. 174-180.

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Problezmes stir 1'origine de 1'heresie au Moyen Age

modernes qui ont transforms sans autre jugement de caractere theo- logique et doctrinal, parfaitement normal chez les controversistes anti-heretiques du ßloyen Age, en un jugement historique, accep- tant ainsi sans reserve la conception suivant laquelle etaient presentees comme renaissance d'anciennes doctrines heretiques des mouvements religieux qui n'eurent qu'un pietre contenu doctrinal et theologique, et qui s'appuyaient surtout sur des motifs ethiques, sociaux, ou sur " des exigences spirituelles etroitement liees aux conditions historiques dans lesquelles l'heresie medievale est nee et s'est developpee.

Les heresies du 1lloyen Age, meme dans la variete de leurs positions, ont un point de depart et d'arrivee commun ; c'est l'attitude polemique et combative que toutes ont prise contre l'Eglise romaine et contre la hierarchic de 1'Lglise, soit en souhaitant un retour an-historique ä 11glise apostolique des premiers siecles, soit en aspirant, ä la creation dune eglise nouvelle, plus capable que l'eglise romaine d'incarner et de vivre les enseignements de I'llvangile. Le probleme ecclesiologique depasse done dans 1'heresie du 1lioyen Age le probleme purement theologique, constatation qui nous autorise. parfaitement ä rechercher les origines de l'heresie medievale dans le mouvement de Reforme de 1'Lglise qui s'est dessine des le Xe siecle et s'est developpe ensuite avec une vigueur toute particuliere au Xis siecle, bien plutöt qu'en une tardive renaissance d'anciennes doctrines et d'anciennes religions de's pre- miers siecles de 1'ere chretienne.

Par ailleurs, pour cc qui est de l'origine manicheenne de I'heresie cathare, le ' P. Dondaine, qui a consacre au catharisme des etudes fort approfondies',. avait dejä admis "qu' «une filiation ininterrompue de Mani jusqu'aux cathares latins est loin d'etre etablie et qu'il ne, sufl'it pas de retrouver une similitude des doc- trines et des pratiques morales entre deux systemes, pour en garantir la relation historique v2. Il soulignait encore qu'il n'est pas possible d'admettre une tradition ininterrompue d'une doctrine ä 1'autre, car des a lacunes de plusicurs siecles ne peuvent se combler v. Pas davantage ne saiirait-on admettre une 'filiation des pauliciens s pour' permettre de simplifier, comme on le fait, Phis-

1. A. DONDAINE, Nouvelles sources' do l'histoiro doctrinale du n6ö-manlch6ismo an Ilioyen Age, In Revue des sciences philosophiques ei 1hEolodiques, XXVIII (1939), 'OP. 465-1S8.

2. A. Do\DAINE, Un lrailJ nEo=manichfen duA'lll° siicle, Le Li6er de duobus principlis, Rome, 1939, pp. 6-62.

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toire du dualisme du iIle siecle n. I1 afTrmait pourtant que ce ne serait pas « le dualisme qui aurait installe 1'erreur dans le champ de 11 glise romaine au cours du xle siecle et de la premiere moitie du siecle suivant, mais, au contraire, le catharisme qui aurait beneficie, pour s'installer presque sans resistance parmi les popu- lations deja detachees de la hierarchie catholique, de la desagre- gation provoquee par les formes dc 1'erreur moins antichretienne D. En consequence, a 1'aventure cathare... ne commencerait plus aux environs de Fan 1000... mais seulement vers le milieu du xile siecle I)1.

Le P. Dondaine est revenu ensuite sur le probleme des origines de 1'heresie dualiste occidentale, et a en partie modifie ses positions anterieures, sous l'influence de la publication de la lettre du pretre Cosmas par MM. Puech et Vaillant=. Mais c'est pour estimer evident que les analogies que l'on pouvait remarquer avec les doctrines bogomiles, attestees par la lettre du pretre Cosmas au xe siecle, imposaient une seule et necessaire conclusion, ä savoir que le catharisme latin tire son origine du bogomilisme bulgare. Pour mieux appuyer cette these, il insistait surtout sur le rite de 1'initiation cathare par l'imposition des mains et de 1'Lvangile de saint Jean sur la tete du neophyte, pratique etablie pour les cathares du xIIIe siecle, et qui aurait ete le rite caracteristique de 1'initiation bogomile, au moins des le xie siecle3. Mais quoi que l'on doive penser de la position du P. Dondaine - je me suis permis moi-meme d'avancer des reserves ä son propos' - il est certain que 1'etude de M. Puech et de M. Vaillant sur le traite contre les bogomiles du pretre Cosmas a fait progresser le probl'eme des origines du dualisme occidental, mais dans un sens different de 1'interpretation du P. Dondaine.

Le Discours contre la recente heresie des bogomiles, de Cosmas, pretre indigne est, bien plus qu'un expose precis de la pensee des bogomiles, la condamnation de leur rigorisme moral et de leur rebellion contre 1'autorite sacerdotale. Le pretre Cosmas s'attache a commenter abondamment les passages de 11criture

1. A. DONDAINE, La hierarchie cathare en Italie, in Arch. praL. um Praedic, XX (1950), p. 267.

2. H: Ch. PUECH et M. VAILI. ANr, Le lraili centre Its bogomiles de Cosmas, le pr[tri, Paris, 1945.

3. A. DONDAINE, L'origine de I'heresIe medievale, in Riuisla di Storia delta Chiesa in Italia, 1952, fasc. 1, pp. 47 sqq.

4. R. MOnGHEN, II cosidelto neo-manicheismo ottideniale del secolo XI, Relazione al XII Convegno . Volta x dell'Accademla Nazionale del Lincei sui tema Oriente e Occidenle net Medioeuo, dejb mentionnee.

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Problemes sur 1'origine de 1'heresie au Moyen Age

qui conferment les positions traditionnelles de 1'orthodoxie, mais it est au contraire singulierement concis quand it parle des idees des bogomiles, qu'il combat avec une extraordinaire richesse d'arguments. Les points les plus importants de l'heresie bogomile,

comme ceux de l'heresie occidentale du xIe siecle, paraissent fondes surtout sur des textes du Nouveau Testament, celui-ci interprete

avec un sens tout simple des consequences, souvent en opposition avec 1'enseignement de 11glise et afin d'en tirer les regles de vie du vrai chretien : exigence d'une rigueur morale exemplaire, detachement des biens de la terre, renonciation ä tout cc qui ne trouve pas une justification precise et directe dans les IJvangilesi. Les bogomiles refusaient en efiet toute vertu aux miracles qu'ils croyaient 1'ceuvre du diable, parce qu'ils faisaient partie des super- stitions relatives au culte des saints et des reliques ; ils n'adoraient pas la Croix, parce qu'elle avait ete 1'instrument de la torture et de la mort du Redempteur ; ils ne croyaient pas que Dieu le Pere füt le createur du monde visible, dans lequel bien des manifesta- tions du mal sont si largement exprimees ; interpretant litterale-

ment les textes evangeliques, ils soutenaient que la communion, le sacrifice de la messe et la liturgie de 1'hglise n'avaient pas ete institues par le Christ et les Apötres ; ils accusaient les pretres de pharisaisme et repoussaient l'Ancien Testament, dont 1'esprit leur apparaissait souvent en opposition ä celui de 1'Evangile ; ils

n'honoraient pas la Sainte Vierge, c'est-ä-dire qu'ils ne lui vouaient pas le culte que 1'Eglise lui decerne ; ils condamnaient le culte des images ; ils identifiaient le diable avec 1'evangelique princeps huius

seculi, le at Prince de ce monde a, et, suivant l'interpretation litterale d'un passage bien connu de 1'Lvangile, ils lui attribuaient la

creation du monde visible ; ils refusaient le bapteme des enfants, parce que les enfants ne peuvent pas avoir conscience des enga- gements qu'il faut prendre pour faire profession de foi 'chretienne ; leur priere etait le Paler Nosier. Ensemble de doctrines simples, tout evangeliques. Etait-il done necessaire pour les expliquer d'invoquer le manicheisme, le docetisme et toutes les autres formes

anciennes d'une theologie heterodoxe ? La simple connaissance de 1'h vangile regue avec une absolue simplicite de eceur ne pouvait-elle suffire ä susciter ces critiques et ces attitudes de refus ? N'etait-ce

pas l'ideal de la vie chretienne parfaite, qui avait nourri 1'ascetisme

1. Sur la d6rivation directs de 1'Evanglle des auctorilales des h6r6tiques et les nom- breuses citations des textes 6vang6llques, cf. Nfedioevo Crisliano, 6d. cit., pp. 256-267.

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monastique, qui passait maintenänt du cloltre ä la ferme du paysan, A la boutique du marchand et A 1'atelier de Partisan, colporte par les precheurs itinerants du " xIe siecle ?

Beaucoup de cesýpositions religieuses avaient, d'autre part, une longue tradition dans la pensee chretienne orthodoxe et heterodoxe. Qu'il sufiise de rappeler que, jusqu'au ine siecle, certains Peres de I'Eglise, ne croyaient pas A la virginite de Marie ; qu'au xIe siecle, Berenger de, Tours soutenait qu'on ne devait accepter. la presence reelle , du Christ daps 1'Eucharistie que daps le sens de la consub- stantialite entre les especes eucharistiques et -le corps du Christ ; que le bapteme des enfants etait estime sans valeur sacramentelle dans de larges secteurs heterodoxes des premiers siecles de I'Lglise ; que la confession reciproque; l'imposition des mains, le Paler Nosier - considere comme la priere unique, ou en tout cas comme celle qu'on devait preferer, tous ces enseignements avaient leurs racines dans la- tradition apostolique et evangelique. Comment ne pas voir aussi dans le bogomilisme du xe siecle le renouvellement de la cönstante polemique des simples et des rigoristes contre la hierarchie ecclesiastique, au- nom de 1'Evangile, interprete A la lettre, et pris comme regle " de vie dans un litteralisme rigoureux et intransigeant ?

M. Puech a mis lui-memo en evidence tout ce qu'il y avait d'insuffisant dans le contenu doctrinal et 1'enseignement theo- logique du bogomilisme, en s'appuyant sur le temoignage" de la lettre du, pretre Cosmas. Voici, comment, A travers le texte, lui appa- raissent les caracteres du mouvement A 'ses origines :« Presque tout. le poids de son expose (celui du pretre Cosmas) porte sur Popposition des heretiques A l'orthodoxie, leurs attaques contre 1'Eglise, leur "rejet des croyances et d'une partie des Lcritures, la condamnation de ses institutions,, de son autorite, de son culte et de sa morale, la censure de ses cleres ; tout ce, qui est revolte, revendication, critique, occupe ' le . premier plan, absorbe les prin- cipaux d6veloppements. La perspective n'est pas fausse ": eile repond "A, une situation vecue., Ces negations devaient former le ressort essentiel du mouvement : radicales, brutales memo, appuyees sur.. le spectacle des abus ou des'vices trop manifestes, olles etaient plus, capables que toute theorie, de. remuer le tour des masses... Plus encore que los mythes ou les abstractions dogmatiques, olles ont dü frapper et inquieter profondement 1'esprit des contemporains nl.

7.11. "PuEcuu-A. VAILLANT, p. 147.

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Problemes sur l'origine de 1'heresie au Moyen Age

La preponderance des motifs ethiques, aux commencements de 1'heresie, sur des traditions de doctrine, paralt ainsi largement attestee par les sources du xie siecle. Il ya lä d'evidents traits communs aux mouvements cathare et bogomile. Mais cette contem- poraneite n'implique pas necessairement dependance : celle-ci en effet semble devoir comporter une transmission de textes - textes qui, ecrits surtout en paleoslave, auraient dh titre traduits pour connaltre une large diffusion dans le monde occidental, et done laisser des traces, qui toutes ne pouvaient disparaltre.

Entre le bogomilisme et le catharisme, il ya des analogies evi- dentes, surtout en ce qui concerne la lutte contre la hierarchie ecclesiastique, le recours au texte, ä la parole et ä l'esprit de 1'Evangile et le rigorisme moral. Plus Lard, au xIIe siecle, s'etabliront des rapports, dont on a des preuves, entre le monde heretique de 1'Orient balkanique et celui de l'Occident, oü Fon trouve des reminiscences d'anciennes traditions heterodoxes, devenues desor- mais legendes, mythes fabuleux, residus psychologiques. Mais dans toutes ces manifestations heretiques, le veritable manicheisme s'affaiblit de plus en plus en un dualisme mitige, qui na aucun rapport aver le dualisme de I'ancienne religion de Mani, et qui nous ramene toujours davantage au soul domaine des exigences morales, ä des besoins religieux d'un retour nostalgique a un christianisme ideal de l'äge apostolique, et violemment oppose h l'Eglise mondaine et corrompue du xie siecle.

Ici se pose une question, qui n'a encore ete en aucune fagon resolue : comment ont pu titre transmises aux foules d'illettres et d'idiolae, qui formaient la grande masse des heretiques, les textes evangeliques qu'ils invoquaient comme auclorilales de lour position religieuse contre les dogmes de la hierarchie. Bien des voies d'expli- cation cependant s'ouvrent. On ne saurait oublier on effet quo toutes les heresies du xie au rive siecle tirent lour 'örigine de la predication orale de 1'Lvangile. a Ite et praedicate evangelium omnibus gentibus D, tel avait ete le commandement du Seigneur aux Apötres. Les honnelies pendant la messe et surtout les grands cycles des fresques bibliques et evangeliques qui decraient les murs des eglises ont joue sürement un role tres important dans la transmission de la parole evangelique : des etudes iconographiques poussees et methodiques devraient, me semble-t-il, apporter une contribution d'importance ä 1'analyse de ce probleme de la trans- mission aux simples de la parole et de la lettre de 1'Evangile.

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R. Morghen,

r ** ýý

Il n'est done pas possible de croire que tout le vaste mouvement heretique, qui s'est manifesto en Aquitaine, A Orleans, A Arras, A Chalons, ä Monforte, ä- Goslar, puisse titre attribue au retour de doctrines anciennes venues de l'Orient, et diffusees par des femmes

ou des paysans, comme le pretendent volontiers Raoul Le Glabre

et Adhemar de Chabannes. D'autant plus que, meme si l'on accorde tout ce que l'on peut raisonnablement accorder a l'idee d'une tradition subsistante et, pourrait-on dire, souterraine, de germes d'anciennes heresies et d'anciennes influences que Pun ou l'autre

milieu, l'un ou l'autre mouvement auraient exercees ou, subies par des processus d'osmose. et de transmigration des idees, toujours difficiles ä etablir (et rendus encore plus difficiles, quand it, s'agit de mouvements religieux tres eloignes dans le temps et daps 1'espace), it re'sterait toujours ä expliquer de quelle fagon -ces germes desseches et ces influences cryptiques ont trouve preci- sement dans ce moment historique et dans ces milieux le moyen de resurgir et de s'affirmer vigoureusement, independamment d'un reveil collectif d'une conscience neuve et d'une sensibilite nouvelle vis-ä-vis de ces problemes. C'est au contraire une nouvelle conscience religieuse et une sensibilite neuve qui peuvent dormer- ä des elements traditionnels un relief particulier et leur force propre. Tel est bien en effet le probleme central de l'heresie "du xie siecle.

Elle apparalt dans un monde en transformation, avec le redres- sement des forces de la vie economique en Europe apres l'an 1000, la renaissance des villes et de "economie de marche, l'eclosion d'un

nouvel esprit d'association, le reveil d'une conscience civique nou- velle, 1'etablissement en Europe de populations neuves, issues de la fusion des difierents elements ethniques brasses durant le haut Moyen Age, l'existence de classes nouvelles qui s'etaient imposees ä l'interieur des villes et entendaient prendre leurs responsabilites et revendiquer des droits qui precedemment avaient appartenu ä d'autres ou avaient ete exerces par d'autresl.

En ce qui concerne l'heresie medievale, nous ne pouvons pas oublier que les mouvements religieux du xie siecle ont des liens

profonds et vivaces avec le monde d'oii sortira la Commune, e

1. Pour ce qui concerne les idles de L. WERNER, Pauperes Christi. Studien z. social- religiosen Bewegungen im Zeitalter des Reformpasilum, Leipzig, 1956, v. Dfedioeuo Crisliano, 3e 8d. (1962), p. 216, n. 23.

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Problemes sur 1'origine de 1'herisie au Moyen Age

la fm-du siecle. Pas davantage que le mythe du siecle, l'ideal qui se cachait sous toutes les manifestations de la vie sociale, politique et religieuse du temps, etait celui de la Reforme de 11glise, pro- clame, senti et realise avec la profondeur et 1'etendue de reper- cussions que 1'on sait. Comment ne pas tenir compte de ces donnees

sociologiques et psychologiques pour saisir les realites de cette heresie medievale otý la lutte contre le Clerge degenere et le retour ä des formes de rigorisme moral sont parmi les elements essentiels, et communs, du credo de toutes les sectes 4

Sur l'origine et les caracteres de 1'heresie occidentale dans' la

premiere moitie du x1e siecle, le mouvement religieux populaire de la Patarie apporte des clartes particulieres. Nous le connaissons maintenant gräce aux remarquables travaux de M. Violantei. De la Patarie procede en efiet l'un des principaux courants de la: revo- lution -heretique aux x1le et xI1Ie siecles. Le nom de palarini attribue ä des groupes d'heretiques äpparaYt pour la premiere fois dans la condamnation prononcee au Concile du Latran en 1179,

contre les principales sectes heterodoxes qui troublaient alors la

vie de 1'Rglise. Au Concile de Veröne en 1184, les patarins etaient condamnes

de nouveau par Lucius III, en meme temps que les cathtires, les humilies, les -pauvres de Lyon. Mais leur nombre aiigmeilta telle= ment qu'au xII1e siecle, palarinus en Italic signifie generalement herelique, sans distinction de doctrines particulieres. I

Le mouvement des patarins est ne däns la ville de'-Milan, On 1150 environ, - sous 1'episcopat de 1'eveque Guy de Velate, et prit, d'es le commencement, le caractere d'un mouvement populaire soutenant 1'exigence d'une reforme de 1'2glise, partie des milieux ecclesiastiques, et remarquablement animee par le moine Ildebrand. Le nom de patarins derive du sobriquet de gueux que leurs ennemis leur donnaient par mepris - palarus, id est -pannosus, dit le

chroniqueur Landolphe. Au x'VIIIe siecle encore, ainsi que le releve Muratori, les boutiques de fripiers s'appelaient ä Milan : pafeea.

Une hypothese recente, suivant laquelle les patarins tireraient leur nom de Patare, ville de 1'Orient, semble entierement denuee de "fondement3. Il est certain que les patarins appartenaient en

1. C. Vtoc. Al. -rE, La socield hlilanese del secolo XI, Bari, 1953, et La Palaria Milanese c to riforma ecclesiastica, Rome, 1955.

2. Sur 1'appellatioa de palarinus, v. A. FRUGONI, Due schede pannosus .o  pata- rinus ., in Bull. Ist. Stor. Rat. per it DledioeLo, no LXV (1953), p. 229.

3.11 s'agit d'une hypothLse de P. DONDAINE, aecept6e par E. WERNER, in Von

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R. ý Morghen

grande majorite au has peuple d'artisans et de brocanteurs bien qu'iI y ait eu ä leur tete des cleres comme Anselme de Baggio, ou Arialdo, ou des nobles comme Erlembalde. Tous vivaient la revolte contre la corruption du clerge, simoniaque et concubinaire, etroi- tement allie avec la noblesse Modale. Le mouvement avait done un caractere surtout religieux, mais il exprimait aussi in revolte des classes citadines les plus humbles contre l'arrogance feodale, la protestation des pauvres contre les riches. Mais c'est l'exigence d'une vie religieuse plus pure, ä la fois pour les laiques et pour les eccle- siastiques, et plus en accord avec la loi de l'Lvangile, qui a provoque la revolte patarine et non pas l'instance des revendications econo- miques ou sociales.

Les patarins assaillaient les maisons des clercs simoniaques et concubinaires et les contraignaient, souvent par la violence, ä abandonner leurs femmes. Mais le trait lo plus marque de leur attitude etait la non-reconnaissance de la messe celebree par des pretres notoirement simoniaques et concubinaires, et le refus des sacrements administres par eux. C'est sur ce point surtout que se developpa par la suite la doctrine heretique patarine, qui fut condamnee au xue siecle, tandis qu'apres incertitudes et oscilla- tions de la pensee de l'Lglise sur Ia validite du sacrement de fordre chez les pretres simoniaques, la doctrine orthodoxe des sacrements et I'affirmation du caractere absolu de la validite du sacrement independamment de la dignite ou non du ministre s'etablissait avec silrete.

Les patarins representaient done un mouvement religieux qui, sans s'appuyer sur des doctrines theologiques particulieres, tirait sa raison d'etre de profondes exigences de renouvellement moral. L'appel visant ä reformer la vie du chretien, et en particulier celle du pretre, et ä les rendre conformes il l'enseignement evangelique, etait constant, meme s'il demeurait sous-entendu. Le besoin de reformer I'organisation de 1'Eglise pour repondre ä ces preceptes de l'Evangile et pour la mettre en accord aver, les principes professes, etaient evident. Le mouvement des patarins apparalt done comme un mouvement religieux inspire par des exigences morales plut6t que doctrinales, et qui representait Popposition, au nom des ideaux evangeliques, des classes sociales les plus

Millelalier zur Neuzeit, Hrsg. von H. KRE zscu i, Berlin, 1956, pp. 404-409, macs rejetee ensuito par le P. DON*DMNE lui-mime.

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Problemes sur l'origine de l'heresie au Moyen Age

humbles ä un clerge trop mondain lie ä une classe feodale corrompue. La Patarie fut tres florissante ä Milan, de 1050 au moins jus-

qu'ä 1075, et eile jouit de l'appui declare d'Hildebrand et du parti de la Reforme de l'1glise. Le premier de ses chefs fut Anselme de Baggio qui fut elu pontife et prit le nom d'Alexandre II. Le clerc Arialde, tue par des affides du clerge simoniaque, fut porte aux honneurs des autels, comme martyr. Mais des la seconde moitie du xie siecle, l'alliance du mouvement populaire patarin avec le

parti de la Reforme de l'Eglise avait ete plus d'une fois ebranlee. Le mouvement populaire tentait en effet de se soustraire au

contr8le de la hierarchie ecclesiastique et en rejetant la messe et les sacrements administres par des pretres indignes, il inclinait dejä

vers l'heresie. A Milan, Erlembalde en arriva ä fouler aux pieds 1'huile sainte consacree selon le rite ambrosien, montrant ainsi A

quel manque total de respect ä 1'egard de 1'autorite ecclesiastique pouvait atteindre la passion religieuse exigeante du renouveau de 1't, glise. Il s'etait produit ä Florence un mouvement populaire abso- lument semblable ä celui de Milan, autour des moines disciples de

saint Jean Gualbert et contre 1'eveque Pierre accuse de simonie. Les insurges, ä ce que nous en dit Pierre Damien, ne reconnais- saient plus ni roi ni pape et plusieurs milliers de fideles etaient morts sans sacrements parce que la plus grande partie du clerge etait

reputee indigne de les administrer. La Patarie s'affirme done des le xle siecle, avec son caractere

specifique de revolte populaire contre la hierarchie ecclesiastique, au nom de 1'Evangile et des exigences morales. A partir de cette date, la Patarie se developpera sous des formes particulierement marquees et etroitement liees ä la constitution des classes citadines de la commune, mouvement qui devait bient6t s'imposer, et qui etait dejä decide ä combattre energiquement le clerge pour sa richesse et dans ses biens.

Quels sont les rapports de la Patarie avec les heresies . de la

premiere moitie du xie siecle ? Selon Landolphe, Arialde aurait eu des rapports avec les heretiques de Montfort, mais cette these n'a pas d'autre justification qu'une commune propension des uns et des autres aux pratiques de l'ascetisme le plus rigide. Absence d'un

enseignement precis doctrinal et theologique, diffusion des deux

mouvements, dualiste et patarin, dans les classes les plus humbles d'artisans, de paysans et d'illettres, exigences morales predomi- nantes et communes ä tous deux, leur attitude de revolte contre la

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R. , Morghen

hierarchie ecclesiastique ou, tout au moires, contre une partie de

celle-ei, " autant de traits essentiels qui doivent contribuer ä elargir sensiblement nos idees sur l'origine de l'her8sie medievale au xie, siecle : ils ne permettent plus de 1'expliquer par des trans- missions, fort improbables et -qu'il est impossible de prouver, de doctrines anciennes dans des milieux de pauvres gens incultes,

mais au contraire ils l'integrent dans la vie sociale et spirituelle du grand mouvement de la Reforme de, l'ßglise tout au long du xie" siecle.

Si l'on veut bien situer ainsi le probleme de 1'origine des heresies

medievales, on voit: alors qu'il prend son caractere concret de pro- bleme historique. Les heresies medievales ont ete completement differentes : des heresies anciennes parce qu'elles furent surtout inspirees par des forces d'exigence morale et qu'elles se repandirent surtout parmi le petit peuple tandis que les heresies anciennes etaient essentiellement des heresies doctrinales et theologiques, repandues dans des milieux ecclesiastiques cultives.

Replacees ainsi dans le milieu historique de leur naissance et

-de leur developpement, les heresies du llloyen Age s'eclairent,

comme revelant un monde nouveau, anime d'un besoin interieur de transformation, a Pun des moments les plus importants, les plus genereux aussi, oh la civilisation europeenne s'est faconnee. du dedans. .

Entre la fin du Xe siecle et le commencement du xie, it y_ a eu

, en Europe, une transformation acceleree de toutes les forces

materielles' et spirituelles de la -societe. Un accroissement demo-

graphique encore mal. explique fait surgir de nouvelles agglome- rations ou s'agrandir celles qui existaient dejä. Les paysans s'enfuient des fiefs et deviennent des artisans libres dans les villes qui naissent ä. une vie nouvelle. Les marches se multiplient, et les

negolialores donnent une nouvelle vigueur au commerce. -La monnaie, surtout d'argent, circule de plus en- plus. L'agriculture

recommence ä fournir aux hommes des produits en quantite suffi- sante pour leur nourriture et pour la vente. De nouvelles inventions,

comme le collier rigide pour les chevaux de trait, le fer a cheval, les moulins A eau et ä vent, multiplient les forces de l'homme et le liberent en partie de ses täches les plus lourdes.

Tableau que resume fort bien le titre de l'ouvrage de Louis Halphen : L'essor de 1'Europe. A cet accroissement des forces vitales des peuples europeens du point de vue demographique, economique

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Probl'emes our l'origine de 1'heresie au Moyen Age

et social, devait correspondre chez les individus une conscience plus profonde des problemes relatifs ä l'organisation de la societe, un plus vif esprit d'initiative et d'independance, un desir plus ardent de renouvellement. Et comme la societe etait alors surtout la societe des croyants, c'est-ä-dire I'E`glise, le besoin majeur etait celui d'un renouvellement de 1'Lglise. Le mythe de la Reforme et de la renouatio domine toutes les expressions de la vie du xie siecle : reforme des couvents, reforme de la hierarchic ecclesiastique, reforme de la papaute, reforme de 1'homme. La reforme de Cluny est au centre de la vie europeenne du xe siecle. Au temps d'Othon IIII, les ideaux de la reforme des couvents et de l'ESglise se fondent avec l'ideal de la renoualio Imperii. Le monachisme eut une grande importance pour la diffusion de ces ideaux. Les moines furent les plus grands representants de la reforme gregorienne. Humbert de Silva Candida, moine de Moyenmoutier, Jean Gualbert, moine de Vallombreuse, Pierre Damien, moine de Fonte Avellana, le moine Hildebrand, futur Gregoire VII, succederent ä saint Nil, ä saint Romuald, 3 Oddon de Cluny ou ä Rathier de Verone. Le mona- chisme exerga aussi une tres grande influence sur les classes les plus humbles des populations, comme 1'a demontre M. Manselli dans son livre sur le moine Enrico et les « Enriciani »2. Aux xe et xle siecles, les moines prennent une part active ä la vie des bourgs et des villes. Its sortent des couvents, prechent aux foules, ils se font promoteurs de paix et de treves de Dieu, ils ont d'etroits rapports avec le monde laique, qui vit comme eux le besoin de la reforme de I'Lglise. Souvent, au cours du xie siecle, on verra des moines et des reformateurs conduire le peuple dans ses revoltes contre les eveques simoniaques et concubinaires.

11 se forme ainsi un courant religieux populaire revolutionnaire qui, sans s'inspirer de doctrines theologiques determinees, aboutit neanmoins ä l'heresie par le soul fait de la lutte entreprise contre les pretres indignes, au sein de l'Eglisc d'abord, puis contre la hie- rarchie meine de I'Lglise romaine.

Cc grand courant du mouvement populaire religieux du xie siecle, c'est le courant que nous pouvons appeler palarin. Son developpe- ment sera tres important au xiie siecle et bien des heresies de ce siecle lui devront leurs caracteres particuliers.

I. V. R. MORGHE. 1, Otlone e 1'ideale della c Renovatio Eccleslac ., in hfedioeuo Crisliano, 3" 6d. (1962), pp. 84 sqq.

2. R. `riwxsEi. u, Sludi sulle eresie del secolo. l'II, Roma, 1953, pp. 1-23,45-67.

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R. Morghen - Problemen stir l'origine de l'heresie au Moyen Age

Les heresies du xIe siecle ont toutes un caractere manifestement evangelique et en se multipliant, ä la fin du xIIe siecle, les heretiques

constituaient en fait une armee unique qui langait son assaut contre 1't, glise romaine. Patarins, arnaudistes, vaudois, cathares, avaient d'autre part ete confondus par I'Lglise dans une memo condamna- tion. Mais des patarins et des arnaudistes, it n'etait reste que le

nom ; la substance-s'etait transferee dans 1'evangelisme des vaudois. Vaudois et cathares deviennent ainsi les representants les plus caracteristiques de 1'heresie du Moyen Age, apres dejä deux siecles d'existence de celle-ci. Contre eux Innocent III dechaina l'impi- toyable croisade de Simon de Montfort qui devasta le doux pays de Provence et de Languedoc.

En meme temps, de nouvelles forces religieuses surgissaient du

sein de la chretiente, forces qui devaient realiser, dans l'obeissance de 1'Lglise, une grande partie des revendications morales des heretiques. Saint Frangois fit de l'imitation du Christ la base de sa regle et donna de 1'ideal de la pauvrete evangelique le plus sublime des temoignages. Au debut du xIIIe siecle, 1'attente eschatologique qui constituait la substance la plus profonde de la tradition chre- tienne, ' devait renaltre avec le joachimismel.

Le joachimisme se mela aussi au mouvement franciscain. Cepen- dant, ä la fin du llioyen Age, vers la moitie du xive siecle, le catha- risme et le joachimisme avaient presque disparu. Mais la religion franciscaine, enrichie dans sa laborieuse transformation interieure

pendant les luttes spirituelles du xIIIe siecle par les elements les

plus vitaux de la tradition religieuse populaire et laYque, devait titre la grande voie par laquelle le Moyen Age chretien transmettra

son heritage ä la nouvelle civilisation de la Renaissance.

R. MORGHEN.

1. Pour les liens entre Joachimisme et tradition eschatologique, V. R. MANSELLI, La . Leclura super Apocalipsim a di Pielro di Giovanni Olivi, Rome, 1955.

ERRATUM

Dans to precedent fascicule (avril-juin 1966, t. CCXXXV, p. 316), a la suite du nom de Particle, de tete, lire : Pierre Boyer, Conservateur du D6p6t des Archives d'Outre-Mer a Aix-en-Provence et non Professeur a la Facult8 des Lettres at Sciences humaines d'Aix-en-Provence.

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