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Annick Le Douget 1855 Leur crime était presque parfait… Peine de mort pour deux Fouesnantais Il y a tout juste cent cinquante ans, le 26 avril 1854, les Fouesnantais étaient bouleversés par la nouvelle de l’assassinat d’une jeune femme enceinte, commis à la ferme du Vouden 1 . Cette affaire criminelle, la plus retentissante qu’ait connue notre canton au 19 e siècle, a été fertile en rebondissements et a passionné les foules dans toute la Bretagne. La découverte des auteurs de ce crime crapuleux – une mendiante, femme de main payée pour tuer, un mari odieux, désireux de se débarrasser d’une épouse jugée encombrante – n’a pas été aisée ; des complices seront soupçonnés d’y être impliqués et le couperet de la guillotine passera bien près d’eux. Deux condamnations à mort solderont cette misérable affaire et il faut savoir que Marie-Jeanne Néant, la mendiante fouesnantaise condamnée à mort par la Cour d’assises du Finistère en 1855, a été la dernière femme exécutée dans le département. Voici donc ce dossier hors du commun qui, outre l’intérêt de soulever le sujet sensible des exécutions capitales, révèle des mœurs curieuses de notre campagne au XIX e siècle. Au cœur du drame qui se joue dans une ferme isolée, on découvre en effet avec étonnement des jeunes Fouesnantaises qui se disputent âprement les faveurs d’un cultivateur âgé. Un crime déguisé en suicide Nous sommes le 26 avril 1854. Ange Aimé Nicou, 25 ans, dans sa chambre au manoir du Stang, est appelé par son domestique à huit heures du soir. Au bas de l’escalier l’attend son voisin Charles Fleuter, cultivateur âgé de 59 ans, de la ferme du Vouden à Fouesnant. Charles Fleuter pleure et lui annonce qu’en rentrant du travail, de sa corvée de charroi, il a retrouvé sa jeune femme Marie-Jeanne morte dans l’écurie : enceinte de près de neuf mois, elle était prête à accoucher. Ange Nicou le questionne sur la nature de cette mort : Fleuter l'attribue d'abord à « un coup de sang », mais chemin faisant vers le Vouden, il lui déclare que sa femme n'est point morte d'un coup de sang, comme il vient de le dire, mais qu'elle s'est pendue ou étranglée avec une corde servant de lien pour les vaches. Ange Nicou est le premier témoin direct sur le terrain du drame. Il remarque que le corps de Marie-Jeanne Fleuter n'est plus dans la position initiale indiquée par son voisin et interroge Jean-Marie Trolès, le vieux journalier de la ferme, qui a ouvert la porte de l'écurie et découvert le corps. 1 Il faut rappeler au lecteur que c’est en 1873 que La Forêt-Fouesnant a été érigée en commune. Des lieux cités comme étant à Fouesnant au cours de ce procès en 1854-1855 (comme par exemple la ferme du Vouden ou le manoir du Stang) dépendent de La Forêt-Fouesnant. 1/14

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Annick Le Douget

1855Leur crime était presque parfait…

Peine de mort pour deux Fouesnantais

Il y a tout juste cent cinquante ans, le 26 avril 1854, les Fouesnantais étaient bouleverséspar la nouvelle de l’assassinat d’une jeune femme enceinte, commis à la ferme du Vouden1.Cette affaire criminelle, la plus retentissante qu’ait connue notre canton au 19e siècle, a étéfertile en rebondissements et a passionné les foules dans toute la Bretagne. La découverte desauteurs de ce crime crapuleux – une mendiante, femme de main payée pour tuer, un mariodieux, désireux de se débarrasser d’une épouse jugée encombrante – n’a pas été aisée ; descomplices seront soupçonnés d’y être impliqués et le couperet de la guillotine passera bienprès d’eux. Deux condamnations à mort solderont cette misérable affaire et il faut savoir queMarie-Jeanne Néant, la mendiante fouesnantaise condamnée à mort par la Cour d’assises duFinistère en 1855, a été la dernière femme exécutée dans le département.

Voici donc ce dossier hors du commun qui, outre l’intérêt de soulever le sujet sensibledes exécutions capitales, révèle des mœurs curieuses de notre campagne au XIXe siècle. Aucœur du drame qui se joue dans une ferme isolée, on découvre en effet avec étonnement desjeunes Fouesnantaises qui se disputent âprement les faveurs d’un cultivateur âgé.

Un crime déguisé en suicide

Nous sommes le 26 avril 1854. Ange Aimé Nicou, 25 ans, dans sa chambre au manoirdu Stang, est appelé par son domestique à huit heures du soir. Au bas de l’escalier l’attend sonvoisin Charles Fleuter, cultivateur âgé de 59 ans, de la ferme du Vouden à Fouesnant. CharlesFleuter pleure et lui annonce qu’en rentrant du travail, de sa corvée de charroi, il a retrouvé sajeune femme Marie-Jeanne morte dans l’écurie : enceinte de près de neuf mois, elle était prêteà accoucher. Ange Nicou le questionne sur la nature de cette mort : Fleuter l'attribue d'abord à« un coup de sang », mais chemin faisant vers le Vouden, il lui déclare que sa femme n'estpoint morte d'un coup de sang, comme il vient de le dire, mais qu'elle s'est pendue ouétranglée avec une corde servant de lien pour les vaches.

Ange Nicou est le premier témoin direct sur le terrain du drame. Il remarque que lecorps de Marie-Jeanne Fleuter n'est plus dans la position initiale indiquée par son voisin etinterroge Jean-Marie Trolès, le vieux journalier de la ferme, qui a ouvert la porte de l'écurie etdécouvert le corps.

1 Il faut rappeler au lecteur que c’est en 1873 que La Forêt-Fouesnant a été érigée en commune. Des lieux citéscomme étant à Fouesnant au cours de ce procès en 1854-1855 (comme par exemple la ferme du Vouden ou lemanoir du Stang) dépendent de La Forêt-Fouesnant.

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Celui-ci lui relate que, vers 6 heures et demie du soir, en revenant au Vouden avec sonmaître, après une journée passée à travailler au loin sur la route, il avait trouvé la porte de lamaison et celle de l'écurie fermées, et avait constaté l’absence de la maîtresse de maison.Seule la servante Marie-Catherine Kerjosse qui, elle aussi, avait travaillé avec eux, mais quiétait rentrée un peu plus tôt, était dans la cour, près de la porte de l'étable, et les attendait. Laporte de la maison n'était pas fermée à clef, et Fleuter entrait, suivi de la fille Kerjosse ;Trolez, resté dans la cour avec sa charrette, voulant mettre ses chevaux à l'écurie, en forçait laporte et l'ouvrait. Il découvrait alors la femme Fleuter, étendue sur le ventre, la tête appuyantsur le sol, près d'une cloison formée de traverses en bois. Sur l'une de ces traverses, élevéed'un mètre au-dessus du sol, se trouvait enroulée par le milieu une corde dont l'une desextrémités faisait trois ou quatre fois le tour du cou de cette femme sans y être fixée. L'autrebout était dans ses mains qu'elle tenait repliées sous elle. Il n'y avait aucun désordre dans sesvêtements ni autour d'elle. Fleuter et sa servante arrivaient à la hâte : « On releva la femmeFleuter, qui était tiède encore, on chercha à la rappeler à la vie, mais inutilement, elle n'étaitplus », indiquera plus tard le juge d’instruction.

L’écurie du Vouden (pièce du dossier criminel)

Nicou, étonné que la jeune agricultrice ait pu se donner la mort de cette façon, demandealors à Fleuter d’en informer le soir même le maire de Fouesnant : celui-ci, Louis Parquer, nemanque pas d’en aviser le juge de paix Perotin. Le fermier va annoncer la nouvelle à sesproches au petit matin : « Je suis un homme perdu, ma femme s’est pendue », répète-t-il àtous.

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Le médecin de Concarneau, appelé sur les lieux le lendemain, arrive avec l’idéepréconçue qu’il ne s’agit que d’une mort volontaire et, après un examen rapide, voire bâclé, ilva conclure au suicide, se contentant de pratiquer une césarienne afin de constater le décès del’enfant porté par la défunte. Le 28 avril, cette dernière est enterrée au bourg de La Forêt.

Le temps des premiers soupçons

Les rumeurs remontent vers la justice ; la moralité de Charles Fleuter, jugée mauvaise,et sa violence connue à l’égard de son épouse, ouvrent la voie aux premières interrogations,aux premiers soupçons. Le jour de l’enterrement, dans un cabaret de La Forêt, on évoquepubliquement une tentative d’empoisonnement de Marie-Jeanne Poissard. On rapporte aussila gaieté de Fleuter en rentrant chez lui le soir de l’inhumation ; il aurait dit à son journalier :« Maintenant j’aurai encore une jeune femme ». Si une ancienne servante, Marie-Anne LeCorre, attribue à la mauvaise conduite du mari le suicide par chagrin de l’épouse, Jean-LouisPoissard, le père de la jeune femme décédée, est le premier à faire part à la justice de sessoupçons criminels. Il ne peut croire au suicide de sa fille Marie-Jeanne, et il est convaincu deson assassinat par son gendre et par la domestique de la ferme, n’hésitant pas à l’affirmer aujuge dès le 3 mai, et promettant d’en apporter les preuves. Il est en effet de notoriété publiqueà Fouesnant que Marie-Catherine Kerjosse, la domestique du Vouden, a des relationscoupables avec le cultivateur et a obtenu une promesse de mariage de ce dernier qui prendraiteffet à la mort de la femme légitime.

Un homme et trois femmes

Charles Fleuter, âgé de 59 ans1, né à Rosporden le 21 pluviose de l’an VI, exploitait onl’a dit en la commune de Fouesnant –aujourd’hui en La Forêt-Fouesnant - la ferme duVouden, située sur le bord de la route de Quimper à Concarneau, non loin du manoir duStang. Veuf, père de sept enfants, il a épousé en secondes noces, en 1850, Marie-JeannePoissard, âgée alors de 20 ans, dont il a eu un enfant, une petite fille née en 1851, et cettejeune femme au moment des faits, est sur le point d'accoucher. Sa réputation est celle d’un« homme vif et emporté », indique le maire Parquer, et le « bruit public l’accuse de vivre enconcubinage avec deux servantes », rapporte-t-il. Le juge d’instruction dresse un portrait peuamène du cultivateur : « Fleuter, homme au-dessus des paysans ordinaires par l’intelligenceet les connaissances, passait pour assez bon cultivateur, mais sous le rapport des mœurs, saréputation était détestable : ivrogne, violent et surtout libertin, il n'avait et ne pouvait avoircomme domestiques que des filles déjà perdues. La nommée Marie-Anne Le Corre, fille de 18ans, avait quitté son service depuis un an, enceinte de ses oeuvres. Elle avait été remplacéepar Catherine Kerjosse, âgée de 20 ans, qui déjà avait un enfant naturel. Cette fille passaitpour sa concubine et l'on assurait qu'elle usurpait au Vouden l'autorité de la femmelégitime », indique-t-il.

1 Taille 1m60, cheveux et barbe grisonnant, front bas, nez long, visage allongé et maigre, teint pâle. Il s’agit desa description dans les pièces de la procédure criminelle.

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Le premier mariage de Fleuter n’avait pas été heureux. Euphrasie, la première femme,était secrète, mais elle avait néanmoins confié à sa sœur que son mari la maltraitait et labattait, et qu’il cherchait toujours à séduire les domestiques : dès qu’elle s’en apercevait, elleles chassait.

Marie-Jeanne Poissard, la seconde épouse, n’avait pas le beau rôle à la ferme du Voudenet, rapidement, avait été débordée par des servantes rivales. Elle n’avait pas la force decaractère de la première épouse. « Elle était honnête, laborieuse et d'un caractère timide etdoux », les témoins sont unanimes à marquer le profil d’une brave fille. Certains la trouvaient« bornée » comme le journalier Trolez. Marie-Anne Le Corre, l’ancienne servante, est plusnuancée : « Elle était assez intelligente, mais quelquefois elle ne comprenait pas les chosessur lesquelles elle n’avait pas été instruite », assure-t-elle. Fleuter n’estimait pas sa femme,« vous êtes si sotte qu’on ne peut rien faire de vous », se plaisait-il à répéter en public. Ilrefusait « qu’on l’aide en rien » dans ses tâches traditionnelles de ferme malgré une grossesseavancée. Les témoignages concernant la violence du fermier à son encontre sont édifiants, elleest frappée même en présence de témoins. On sait par exemple que, lassée d’être traînée parles cheveux, elle avait fini par les couper, « son mari la saisissant souvent par là ». Elle devaitse réfugier souvent chez son père au moulin de Meil-Bian, à Perguet.

Les Fouesnantaises – Lithographie de Charpentier, 1830

Des servantes rivalesFemme battue, femme bafouée également… Marie-Jeanne passait la nuit sur le foyer

pendant que son époux était dans le lit conjugal avec la servante, apprendra-t-on au cours del’enquête. Plus grave, l’enquête relèvera deux tentatives d’empoisonnement au bleu de Prusse,au « louzou glaz », avec une boule de « poison ou remède bleu » mis dans la soupe ou cachédans une crêpe, auxquelles échappera la malheureuse épouse : l’acte criminel émane, pourl’une des tentatives, de la servante Marie-Anne Le Corre –qui niera -, pour l’autre du mari –qui niera également.

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Et Catherine Kerjosse ? Née à Fouesnant le 11 décembre 18331, le village n’a pas oubliéqu’elle a été mère d’en enfant naturel à l’âge de 17 ans, enfant mort à l’âge de quinze jours.Elle représente l’image de la servante à forte personnalité, travailleuse, mais sans scrupules,prête à se damner pour épouser le maître, même âgé, et acquérir ainsi le statut plus enviablede fermière. Et l’homme, « le libertin », avait su manœuvrer pour avoir droit aux faveurs decette jeune blonde : une promesse de mariage avait suffi ! « Vous commanderez » lui avait-ilaffirmé ! « Le bruit public la signale comme enceinte de Fleuter », affirment les gendarmesdans leur enquête, ce que l’intéressée nie énergiquement, même si elle reconnaît que lecultivateur a tenté de la séduire et, qu’à trois reprises il a même essayé de s’introduire dansson lit quand il était ivre, mais qu’elle l’avait repoussé. Elle indique aussi que Fleuter lui apromis le mariage si sa femme venait à mourir…

Jeunes servantes et vieux maîtres…

Les exemples de crimes commis par une servante pour prendre la place de lamaîtresse auprès d’un cultivateur âgé – et aisé - ne sont pas rares dans les annalesjudiciaires finistériennes du 19e siècle et les peines prononcées seront des plus lourdespour le couple machiavélique. Quelle est donc la motivation de ces jeunes femmes ?

« …Pour beaucoup de ces femmes, le mariage représente justement un lest de natureà stabiliser leur rang social, voire une opportunité de l’élever ; d’ailleurs plusieurs dossierscriminels prouvent que si des maîtres ont une conduite scandaleuse envers leurs servantes,à l’inverse, plusieurs petites domestiques n’hésitent pas à jouer de leurs charmes pourséduire le maître, allant jusqu’à tuer dans l’espoir de prendre la place convoitée del’épouse. La complainte « Ar Vinorezik », La Petite mineure2, chante un tel drame :

O tont un dra da laret d'in :- Laz da vestrez, zent a-ouz-in ;Laz da vestrez, zent a-ouz-in,

Hag itron en hi flaz e vi ! -Euz ann dra-ze am euz zentet,Ma mestrez vad am euz lazet ;Ma mestrez vad am euz lazet,

Seiz taol-kontet d'ei 'm euz roët.

Quelque chose vint alors qui me dit :-Obéis-moi et tue ta maîtresse ;

Crois-moi, tue ta maîtresse,Et tu seras dame à sa place ! -

J'ai obéi à cette voix,et j'ai tué ma bonne maîtresse ;

J'ai tué ma bonne maîtresse,Je lui ai donné sept coups de couteau ! »

(Extrait de Femmes criminelles, Tourments, violences et châtiments, A. Le Douget)

1 Taille 1m53, cheveux et sourcils blonds, front large, yeux roux, visage ovale.2 Recueillie par F.M. Luzel, Chants et chansons populaires de la Basse-Bretagne (voir bibl.)

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Mais le « libertin » a fait la même promesse à une autre jeune fille mineure, sonancienne servante… Marie-Catherine Kerjosse a en effet une rivale en la personne de Marie-Anne Le Corre, surnommée Picardie, l’ex-servante d’à peine vingt ans qui vient de quitter laferme avec un bébé qu’elle reconnaît être de Fleuter… Cette jeune femme a tout perdu, saréputation est flétrie et elle ne trouve pas d’embauche. Elle est revenue vivre chez son père et,aujourd’hui, elle est mendiante. Mais elle reste très présente sur les lieux, chaque jour ellevient au Vouden, elle ne désespère pas de reconquérir sa place auprès de Fleuter qui lui apromis d’entretenir l’enfant. Elle aussi voudrait être la maîtresse de la ferme !

Ces deux jeunes femmes se détestent : Marie-Anne évite Le Vouden quand Marie-Catherine s’y trouve ; elle est « une mauvaise langue » assure-t-elle. Et elle ne manquerait pasde répéter à Fleuter qu’elle passait faire l’aumône, alors que Fleuter lui a formellementinterdit de venir mendier dans le secteur.

La Justice en marche

Les juges de Quimper, informés tardivement de cette affaire, se transportent le trois maiau Vouden et relèvent quelques contradictions dans les déclarations des deux témoinsimportants, Kerjosse et Trolez. Ce dernier prétend que la femme Fleuter ne tenait qu'un desbouts de la corde dans les mains, Marie-Catherine Kerjosse soutient au contraire qu'elle lestenait tous les deux. Charles Fleuter commet alors un geste aux conséquences irrémédiables :alors que l’audition des témoins touche à sa fin, et pendant que le juge reçoit la déposition dela fille Kerjosse, craignant peut-être quelques révélations de la part de celle-ci, il trompe lasurveillance des gendarmes et prend la fuite. Désormais les juges ont acquis une conviction :c’est bien un crime qui a eu lieu et Fleuter s’en accuse lui-même.

Toutes les recherches pour retrouver le suspect restent infructueuses. Cet acte apparaîtprémédité, car il avait dès le matin pris sur lui et emporté une somme de 400 francs déposéedans son armoire. « Cet homme s'accusait lui même, il n'était plus permis de négliger aucunmoyen d'investigation », déclarent les magistrats, qui se rendent au bourg de la Forêt pour yfaire procéder à l'exhumation et à l'autopsie du corps de la malheureuse victime. Cetteopération a lieu le 6 mai et les docteurs Gestin et Bolloré qui, après avoir constaté qu'iln'existait aucune trace de corde, mais plutôt deux empreintes très distinctes de chaque côté dularynx, déclarent que la mort devait certes être attribuée à la strangulation, mais parl’intervention d’un tiers et non au moyen d'une corde : l'hypothèse du suicide n’est pasadmissible à leurs yeux, il y a donc preuve de l’existence du crime.

Qui peut être l’auteur du crime ? Les soupçons se portent d’emblée, on l’a dit, sur le mari Charles Fleuter. Or la

vérification scrupuleuse des emplois du temps écarte sa culpabilité directe. Il convient alorsd’étudier les emplois du temps du cercle proche de la victime. On admet que le crime a étécommis entre 16 et 18 heures ce 26 avril : à 16 heures, un enfant avait vu Marie-Jeanne à lafontaine, et son corps a été retrouvé à 18 heures.

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L’enquête de voisinage : la corvée de charroiQue faisiez-vous le 26 avril 1854 ? Telle a été la question posée par les enquêteurs à denombreux Fouesnantais au cours de la procédure criminelle. Nous y avons trouvé quelquesrenseignements sur la corvée de charroi telle qu’elle était pratiquée en guise de contribution.

Audition Pierre Le Goff, 28 ans, cantonnier, demeurant au bourg de Saint-Evarzec.« Le 26 avril dernier je travaillais comme je le fais depuis longtemps sur la route départementalede Quimper à Concarneau, presque en face de Kerornou. Fleuter et son journalier Trolez ontamené sur les lieux la première charretée de pierres vers huit heures ; ils ont continué à charroyéjusqu’à quatre heures du soir ; à partir de ce moment je ne les ai plus revus, ils ont quitté les lieuxensemble pour s’en retourner au village du Vouden avec leur charrette vide, je pense qu’ilsdevaient être de retour au village vers les six heures du soir s’ils ne se sont pas arrêtés en route. Jen’ai pas vu ce jour-là Marie Catherine Kerjosse, domestique de Fleuter car je n’ai pas été à lacarrière où l’on prenait la pierre et où elle devait se trouver. Cette carrière est à trois kilomètres dulieu où l’on déchargeait les pierres, en allant sur Quimper. »

Audition de François Quénéhervé, 39 ans, journalier, demeurant à La Forêt-Fouesnant.

« Le 26 avril dernier, je travaillais à la carrière du Guilvinec à Saint-Evarzec qui borde la route deConcarneau à Quimper pour le compte de Bizien, entrepreneur. Fleuter et son journalier Trolezarrivèrent à la carrière vers sept heures du matin pour charroyer des pierres à trois kilomètres au-delà. La domestique Marie Catherine Kerjosse arriva quelque temps après et aida pendant le jourà charger la charrette. Elle s’est absentée vers dix heures pour aller prendre le dîner au Vouden etelle était de retour l’après-midi. Trolez et Fleuter ont toujours été ensemble à charroyer pendantle jour… »

La préméditation de Fleuter était prouvée par une volonté de se faire voir le 26 avril, etde n’être jamais seul ! La « corvée de charroi » sur la route de Quimper-Concarneau estl’occasion pour Charles Fleuter et Marie-Catherine Kerjosse de se faire remarquer parplusieurs personnes et de se créer ainsi un alibi en béton.

Les suspects

Marie-Anne Le Corre, La Picardie, sera d’abord soupçonnée, sur les indicationsmalveillantes de son ex-amant Fleuter… Lorsque ce dernier est appelé dans l’écurie parTrolez, sa première parole la vise : « Il n’est pas possible que ce soit la Picardie qui ait faitcela, elle n’est pas assez forte ». Il ajoutera perfidement par la suite : « Je ne la crois pascapable d’étrangler ma femme si elle n’avait pas été aidée » ! Et elle aurait un mobile pourcommettre ce crime, celui de la vengeance. Mais, heureusement pour elle qui passait presquejournellement au Vouden, il sera prouvé qu’elle n’y était pas ce jour-là !

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La domestique Marie-Catherine Kerjosse, vers qui vont les principaux soupçons, est lapremière sur la sellette. Sa rivale, Marie-Anne Le Corre, affirme qu’elle n’est pas étrangère aucrime, et le journalier Trolez assure même qu’elle en est certainement la coupable. AFouesnant également, on la croit coupable, rapportera le maire, « dans le public on dit queFleuter ne pourrait être que le complice de sa domestique qu’il aurait pu engager àcommettre le crime en lui promettant mariage ». Pour les juges, les soupçons se tiennent card’une part elle a été seule sur le lieu du crime et, d’autre part, elle a tenté d’égarer lesrecherches judiciaires en faisant une déposition mensongère pour accréditer la thèse dusuicide. En effet, elle avait dit au sieur Nicou le soir du drame que sa maîtresse « avait la têtedérangée et qu’elle méditait au suicide ». Elle lui avait rapporté une prétendue conversationavec elle la veille alors qu’elles allaient ensemble vers neuf ou dix heures du soir conduire deschevaux vers un champ éloigné. Marie-Jeanne « fut tout à coup effrayée par un spectre » etdit : « je vais mourir, ne voyez-vous pas quelque chose ? ». Marie-Catherine lui assurait avoirvu aussi quelque chose « de grand, de noir, dans le taillis qui borde la route ». Au retour,Marie-Jeanne lui avait encore prétendument demandé « si ceux qui se pendent peuvent allerau Paradis » ; elle ajouta que puisque Dieu donnait une volonté assez ferme pour se suicider,il permettait aussi à ces personnes d’aller au Paradis ».

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Les deux femmes ont rencontré l’Ankou en allant au champ à la nuit tombée, selon lesdires de Marie-Catherine Kerjosse (Dessin de Pierre Péron)

Les juges apprennent que Marie-Catherine Kerjosse a quitté la ferme du Vouden, aprèsla fuite de Fleuter, pour se réfugier chez une voisine, la veuve Isabelle Le Coz, tailleuse à LaCroix-Cariou, qui va recevoir quelques confidences de sa part : Marie-Catherine Kerjosse nepeut masquer son inquiétude, voire sa panique. Ainsi, quand elle aperçoit deux militaires surla route de Concarneau, elle ne peut ainsi s’empêcher de s’écrier : « Voilà des gendarmes quiviennent m’arrêter ; j’ai un pressentiment que je serai arrêtée ». Madame Le Coz lui ayant ditque si elle n’était pas coupable, elle ne devait pas avoir peur, « j’avais eu beau lui dire qu’onne coupait pas le cou aux innocents », la domestique rajoutait : « Oh, j’ai un pressentiment,j’aurai le cou coupé… Mon esprit me dit toujours que j’aurais la tête coupée ». Isabelle LeCoz précisait : « elle ne m’a jamais dit qu’elle n’était pas coupable »… Quant à Marie-Catherine Kerjosse, elle niera les termes de cette conversation, elle indiquera seulement « quela vue des gendarmes était effrayante… Cette femme dira ce quelle voudra, je ne tiens pas salangue ».

Arrestation de Marie-Catherine KerjosseArrêtée le 6 mai, elle est interrogée le 8 et nie toute participation au crime : « je ne suis

cause de rien », affirme-t-elle, « je n’avais eu aucune discussion avec la défunte et je ne lui envoulais nullement ».

Au cours de ses interrogatoires, elle maintient qu'à son arrivée au Vouden, elle avaittrouvé les portes fermées, et elle offre de faire prouver ce fait par une femme Néant épouseCaradec, et par un garçon meunier nommé Guénolé Trolès, qui étaient venus tous deux auvillage avant elle.

La ferme du Vouden (Plan minutieux dressé pour le procès, figurant au dossier criminel)

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La femme Néant, entendue comme témoin, confirme d'abord ses dires, mais le garçonmeunier nie le fait. Il reconnaît être allé au Vouden le 26 avril vers 5 heures du soir pour ychercher du grain, mais n'y avoir trouvé qu'une mendiante (la femme Néant) ; mais il ajouteque la porte de la maison était ouverte, et que cette femme lui ayant dit qu'il n'y avaitpersonne au village, il s'est retiré en même temps qu'elle. Le témoin ajoute qu'il était déjàvenu la veille au Vouden pour le même objet, que la mouture n'étant pas prête, Marie-JeanneFleuter l'avait renvoyé au lendemain, et qu'au moment où il se retirait, la fille Kerjosse luiavait dit à part : "venez demain avant midi car plus tard vous ne trouveriez personne".

Découverte de Charles FleuterLes événements se précipitent. Charles Fleuter est découvert et arrêté le 16 mai dans la

commune de Fouesnant et relate ses jours de cavale. Il avait essayé de se cacher dans lesmines de Poullaouen en s'y faisant recevoir comme ouvrier, et que pour n'être pas découvert,il avait donné un faux nom. Mais, à cette période, les ouvriers affluaient sur le site, et iln’avait pas été embauché dans le puits, comme il l’espérait. Il était revenu dans le Paysfouesnantais et, après quelques jours d’errance, s’était caché au moulin de Créach-an-Du où,dénoncé rapidement, il était interpellé.

Interrogé le 18 mai, il proteste de son innocence, donnant pour principale raison qu’iln'était pas sur les lieux au moment du crime. Il motive sa fuite par l'effroi que lui avait causéla présence des magistrats. L’homme est veule, et commence à dénoncer, à donner desnoms… Dans un interrogatoire, il dit en parlant de sa domestique Marie-Catherine Kerjosse,« elle est peut-être plus coupable que moi, car étant arrivée au Vouden deux heures avantmoi, elle a dû voir ce qui s’y passait. Il s'est trouvé aussi sur les lieux une mendiante qu'arencontrée le garçon meunier, que faisait-elle là ?"

Le vieux journalier Jean-Marie Trolez est arrêté à son tour car ses premièresdéclarations paraissent suspectes ou mensongères : s’il n’est pas l’auteur du crime, il peutaussi en être le complice.

Mais les soupçons se font désormais plus pesants à l’encontre de Marie-Jeanne Néantépouse Caradec, dite Laîné, la mendiante fouesnantaise aperçue par plusieurs personnes àrôder sur les lieux ou près du village le jour des faits. Cette femme de 42 ans, née le 11décembre 1811 à Saint-Evarzec, a très mauvaise réputation : elle est agressive, très brutale,ivrognesse ; elle est connue pour ses vols et son inconduite1. Son mari est domestique à Saint-Evarzec et ne rentre que rarement ; elle a la charge de ses deux filles issues d’un premiermariage ; elles demeurent toutes trois au moment des faits dans une « petite maison au bas dela montagne de Saint-Laurent en Fouesnant ».

La mendiante Néant : femme de main pour quelques francsElle reconnaît s’être trouvée au Vouden le 26 avril vers 5 heures du soir. Elle assure n'y

être allée que pour mendier et n'avoir point vu Marie-Jeanne Fleuter. Cependant on vaapprendre qu'elle a dit à une autre femme qu'elle était entrée dans la maison, et qu'elle y avaitvu la femme Fleuter étendue sans vie sur le sol. C’est cette révélation qui amènera sonarrestation fin octobre.

1 Taille 1m52, cheveux et sourcils noirs, yeux noirs, nez gros, visage plein, teint brun, marquée fortement depetite vérole.

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La fille Kerjosse enfonce alors le clou et dénonce les arrangements entre Fleuter et lamendiante. Elle accuse la femme Néant d'être l'auteur du crime ; elle déclare que Fleuter lui-même lui a avoué qu'il avait engagé la femme Caradec à le commettre moyennant vingt cinqfrancs et la promesse de nourrir des enfants. Il lui a fait cet aveu, prétend-elle, le 2 mai, sixjours après le crime, croyant l'affaire terminée. Après cette confidence, il avait tiré soncouteau, et l’avait menacée de mort si elle venait à le dénoncer.

Pourquoi a-t-elle attendu si longtemps pour révéler de pareils faits ? Les menaces deFleuter l'avaient effrayée, répond-elle. Mais Charles Fleuter, confronté avec elle, nie tout,proteste de son innocence et cherche à rejeter sur elle à son tour la responsabilité ducrime : « Puisque Catherine Kerjosse dit cela de moi, je crois maintenant que c’est elle qui acommis le crime ». Il prétend ne pas même connaître la femme Néant… Quant à celle-ci, ellerépond sans se troubler, en souriant, que les révélations de la fille Kerjosse, sont de sa partune invention mensongère pour se disculper.

Ainsi les inculpés se rejettent l'un à l'autre la responsabilité du crime. Les confrontationssont houleuses, des insultes sont échangées. Ainsi Marie-Catherine dit à son amant : « Vousn’êtes qu’une vieille charogne ! ». Le mystère de cette affaire s'épaissit lorsqu'un nouvelincident vient tout à coup l'éclaircir.

Dénouement étonnant et pathétique : la mère dénoncée par sa filleC’est grâce au bon sens d’une femme de Fouesnant que l’énigme va être élucidée au

cours du mois de novembre.Les deux filles de la femme Marie-Jeanne Néant, l'une âgée de 14 ans et l'autre de 10

ans, ont été recueillies à son arrestation par une femme charitable de Locamand. Cette femme,voyant qu'on soupçonne leur mère d'avoir trempé dans un grand crime, a l’idée – ou lacuriosité ! - de les questionner, et obtient de la plus jeune des deux, Jeanne Nerzic, lesrévélations les plus précises et les plus graves, qu’elle communique aux gendarmes le 11novembre, puis au juge d’instruction.

Cette enfant lui a rapporté que, dans la journée du 26 avril, elle était allée avec sa mèreau Vouden pour demander l'aumône, et qu'elles y avaient trouvé Marie-Jeanne Fleuter seule.Elles étaient restées longtemps, soit dans la maison, soit dans la cour pendant que cette femmes'occupait de divers travaux ; elle leur avait même généreusement donné de la bouillie et descrêpes. Un moment, la femme Fleuter étant entrée dans l'écurie, chargée de paille pour lalitière, sa mère l'y avait suivie, et « tout à coup lui chercha dispute, l'attrapa et la renversa ».Aux cris de cette femme, la petite Jeanne s'était avancée vers la porte ; sa mère enl'apercevant lui avait crié : « va loin d’ici », et avait fermé cette porte sur elle. Effrayée decette scène, Jeanne Nerzic était allée se cacher derrière une grange, à l'autre extrémité duvillage. Au bout d'un quart d'heure, elle avait vu sa mère sortir de l'écurie, en fermer la porteet se diriger vers la maison d'habitation d'où elle était revenue au bout d'un certain temps avecsa besace pleine. Après le drame, mère et fille avaient repris le chemin de leur habitation :Jeanne n’avait pas compris la gravité de l’acte commis par sa mère, mais avait seulementréalisé le vol de divers objets et de la nourriture mis dans le sac, notamment des crêpes et dela farine d’avoine. « Vous irez en prison si l’on sait que vous avez volé ces objets au Vouden »ne pouvait-elle s’empêcher de dire à sa mère. « Chut, répondait-elle, si vous dites que j’ai étéau Vouden, je vous tuerai. »

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Devant les juges, la fillette persiste dans ses déclarations. Elle apporte « des détailstellement circonstanciés et si précis qu'il est impossible de ne pas se rendre à la force d'unpareil témoignage », affirme le magistrat instructeur qui reconstituera la scène avec soin.

Aucun aveuAucun aveu ne sera obtenu, mais les faits paraissent suffisamment établis aux yeux de la

justice, et les responsabilités de chacun sont établies. Que dit la femme Néant ainsi dénoncéepar son propre enfant ? En apprenant les révélations de sa fille, elle prétend que ce récit,mensonger d'un bout à l'autre, a été dicté à Jeanne par les vrais coupables. L’accusée, de par lemode de défense adopté, ne donnera aucune explication à son geste. Elle apparaît comme unefemme misérable qui s’est perdue pour quelques francs et sur la promesse de Fleuterd’entretenir ses enfants ; elle espérait placer au Vouden son aînée comme petite servante. Onaura remarqué qu’elle a hésité à accomplir son forfait, qu’elle a rôdé plusieurs heures autourde la ferme et dans la ferme même avant de tuer la malheureuse Marie-Jeanne Fleuter.

Quant à Charles Fleuter et Marie-Catherine Kerjosse, ils persisteront tous deux à nieravoir conseillé le crime à la mendiante, ou avoir donné des instructions pour qu’ellel’accomplisse.

Les faits avaient démontré, à peu de choses près, l'exactitude des déclarations dujournalier Jean-Marie Trolès, dont on avait d'abord douté, et l’intéressé était blanchi par unnon-lieu et libéré avant le procès.

Le procès d’assises

Le procès va commencer pour les trois accusés Fleuter, Kerjosse et Néant, un procès quipromet d’être palpitant pour tous les Finistériens : en effet trois têtes peuvent tomber. « Cedrame, l’un des plus horribles que nous ayons eu depuis longtemps en cour d’assises, excitevivement la curiosité du public », affirme le journaliste de l’Impartial du Finistère.Les assisess’ouvrent le 5 février 1855 à Quimper et le procès durera cinq jours, jusqu’au 9 février, sousla houlette du président Le Meur et en présence du substitut du Procureur impérial Boullé.Vingt-neuf témoins sont entendus.

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Les accusés sont défendus par les meilleurs avocats. Waldeck-Rousseau, de Nantes,considéré comme le meilleur avocat breton du moment, assiste Charles Fleuter ; Me de Bloisest le conseil de Marie-Jeanne Néant, et Me de Chamaillard assure la défense de Marie-Catherine Kerjosse. La foule des grands jours est là comme prévu et ne peut être contenuedans la salle d’assises. Le président du Tribunal de grande instance fait alors distribuer descartes, contrôlées à l’entrée, comme s’il s’agissait d’un spectacle.

Les trois accusés nient ; Fleuter et Kerjosse se déchirent au cours du procès et s’accusentl’un l’autre d’avoir donné les instructions du crime à la femme Néant. A l’issue du procès, le9 février 1855, le verdict réserve une grande surprise : les jurés acquittent Marie-CatherineKerjosse car ils doutent de sa culpabilité. La peine des deux autres accusés tombe peu après :Charles Fleuter et Marie-Jeanne Néant sont condamnés à mort « malgré le talent etl’habileté » de leurs conseils, affirme le journaliste de l’Impartial du Finistère.

L’acquittement de Marie-Catherine Kerjosse par les jurés.

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La Cour de cassation rejette le pourvoi de Fleuter et de Néant par arrêt le 8 mars 1855.Leur grâce est rejetée également par Napoléon III. Ils sont exécutés tous deux publiquement le4 avril 1855 à Quimper.

Marie-Jeanne Néant était la dernière femme exécutée dans le Finistère.

La peine de mort dans le Finistère

En 1855, 61 condamnations à mort ont été prononcées en France par les cours d’assises :mais 33, plus de la moitié, ont été commuées en peine de travaux forcés à perpétuité par grâce deNapoléon III. Dans le Finistère, trois condamnations à mort sont prononcées cette année-là –dont celles des deux Fouesnantais - et les peines seront ramenées à exécution. On a relevé deuxpériodes de répression forte au cours du 19e siècle dans notre département, avec un nombre plusimportant de condamnations à la peine capitale, et avec une part moindre d’acquittements :- de 1826 à 1830, 9 condamnations à mort sont prononcées sur cinq ans ; - de 1846 à 1955 où 12 condamnations à mort sont prononcées sur dix ans (ainsi que 55 peinesde travaux forcés à perpétuité).

On rappellera que la dernière exécution capitale dans le Finistère a eu lieu en novembre1945 et concernait Joseph Elies, docker à Brest, condamné le 13 octobre 1945 pour l’assassinatd’une jeune épicière. En 1956, la Cour d’assises du Finistère a prononcé les deux dernièrescondamnations à mort de son histoire à l’encontre de jeunes meurtriers natifs de la régionparisienne, les frères Pivert, âgés de 18 et 20 ans, coupables d’un double assassinat commis àSaint-Yvi : les condamnés, graciés par le Président de la République, avaient vu leur peinecommuée en travaux forcés à perpétuité.

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