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L’importance de la langue écrite... Entretien avec Jacques Paugam. Erik Orsenna est romancier. Il a été élu à l’Académie française en 1998, succédant à Jacques-Yves Cousteau. Extrait : 2’11 Erik Orsenna : Moi, j’aime les SMS*, par exemple. Des langues très diminuées, très ramassées*, même allusives* et tout ça, je trouve ça bien ! Jacques Paugam : Parce que ça demande une maîtrise, au fond ? Erik Orsenna : Ça demande une maîtrise. D’abord, c’est de l’écrit. On revient à l’écrit plutôt que le téléphone. Dans la vie familiale de père de famille, on est sans arrêt en contact avec ses enfants, moi, j’envoie à chacun - j’ai deux enfants - un minimum de trois SMS à chacun par jour. Jacques Paugam : Et en vous amusant ? Erik Orsenna : Et bien sûr en m’amusant. Jacques Paugam : Au fond, c’est drôle de vous entendre parler comme ça parce que vous êtes quelques-uns à avoir rajeuni l’Académie française. Sans être cuistre*, ce que vous dites, au fond, c’est la lettre de Fénelon de 1714 à l’Académie, en disant, grosso modo*, à l’époque : « Ras-le-bol, vous êtes en train de châtrer* le langage français en interdisant l’utilisation des mots d’aujourd’hui ! » Erik Orsenna : Il y a un grand mot quand même de la langue française, c’est « l’usage ». Alors, on peut soit avoir le bon usage, le mauvais usage, mais c’est d’abord l’usage. Moi, je vois dans tous ces outils un formidable appétit de la langue écrite, mais en même temps un grand rendez-vous. Un rendez-vous terrible pour ceux qui ne maîtrisent pas la langue parce que, jusqu’à une date relativement récente, il y a 15 ans, quelqu’un qui ne maîtrisait pas la langue parlée et surtout écrite, pouvait encore trouver un emploi. Ce n’est plus le cas. Tout est écrit et tout passe par des écrans. Donc, le drame c’est que, d’un côté vous avez de plus en plus de jeunes qui ne maîtrisent pas la langue - on dit 15-16 % en sixième*, en fait, c’est plus, ça doit être 17-18 %. Surtout, ça se dégrade d’année en année, il y a des tas de gens qui sont privés de cette maîtrise de la langue. Donc, comme la langue est essentielle, puisque c’est écrit : la plupart des indications, des obligations, même au moment de l’embauche, tout ça est écrit. Celui qui ne maîtrise pas est exclu. Donc, imaginez qu’il y a presque un jeune sur cinq qui, à la fin de la sixième*, ne maîtrise pas la langue de sa communauté, écrite. Ça veut dire que, selon toute probabilité, à plus de 90 % de chance, ce jeune-là est exclu, exclu de la langue, exclu de la société, exclu du travail. Donc évidemment, il aura toutes les autres formes de désespoir actif ou passif. Lexique Allusif : ici, imprécis. Châtrer : rendre stérile. Cuistre : pédant, vaniteux de ses connaissances. Fénelon : 1651-1715, théologien et écrivain français. Grosso modo : en gros, sans entrer dans le détail. Ramassé : ici, raccourci. Ras-le-bol (fam.) : c’est assez, ça suffit ! Sixième (f) : première classe du collège. SMS (m) : Short Message Service, un court message textuel par téléphone mobile.

Fiche 61 Orsenna

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Page 1: Fiche 61 Orsenna

L’importance de la langue écrite... Entretien avec Jacques Paugam.

Erik Orsenna est romancier. Il a été élu à l’Académie française en 1998, succédant à Jacques-Yves Cousteau.

Extrait : 2’11

Erik Orsenna : Moi, j’aime les SMS*, par exemple. Des langues très diminuées, très ramassées*, même allusives* et tout ça, je trouve ça bien !

Jacques Paugam : Parce que ça demande une maîtrise, au fond ?

Erik Orsenna : Ça demande une maîtrise. D’abord, c’est de l’écrit. On revient à l’écrit plutôt que le téléphone. Dans la vie familiale de père de famille, on est sans arrêt en contact avec ses enfants, moi, j’envoie à chacun - j’ai deux enfants - un minimum de trois SMS à chacun par jour.

Jacques Paugam : Et en vous amusant ?

Erik Orsenna : Et bien sûr en m’amusant.

Jacques Paugam : Au fond, c’est drôle de vous entendre parler comme ça parce que vous êtes quelques-uns à avoir rajeuni l’Académie française. Sans être cuistre*, ce que vous dites, au fond, c’est la lettre de Fénelon de 1714 à l’Académie, en disant, grosso modo*, à l’époque : « Ras-le-bol, vous êtes en train de châtrer* le langage français en interdisant l’utilisation des mots d’aujourd’hui ! »

Erik Orsenna : Il y a un grand mot quand même de la langue française, c’est « l’usage ». Alors, on peut soit avoir le bon usage, le mauvais usage, mais c’est d’abord l’usage. Moi, je vois dans tous ces outils un formidable appétit de la langue écrite, mais en même temps un grand rendez-vous. Un rendez-vous terrible pour ceux qui ne maîtrisent pas la langue parce que, jusqu’à une date relativement récente, il y a 15 ans, quelqu’un qui ne maîtrisait pas la langue parlée et surtout écrite, pouvait encore trouver un emploi. Ce n’est plus le cas. Tout est écrit et tout passe par des écrans.

Donc, le drame c’est que, d’un côté vous avez de plus en plus de jeunes qui ne maîtrisent pas la langue - on dit 15-16 % en sixième*, en fait, c’est plus, ça doit être 17-18 %. Surtout, ça se dégrade d’année en année, il y a des tas de gens qui sont privés de cette maîtrise de la langue.

Donc, comme la langue est essentielle, puisque c’est écrit : la plupart des indications, des obligations, même au moment de l’embauche, tout ça est écrit. Celui qui ne maîtrise pas est exclu. Donc, imaginez qu’il y a presque un jeune sur cinq qui, à la fin de la sixième*, ne maîtrise pas la langue de sa communauté, écrite. Ça veut dire que, selon toute probabilité, à plus de 90 % de chance, ce jeune-là est exclu, exclu de la langue, exclu de la société, exclu du travail. Donc évidemment, il aura toutes les autres formes de désespoir actif ou passif.

Lexique

Allusif : ici, imprécis.Châtrer : rendre stérile.Cuistre : pédant, vaniteux de ses connaissances.Fénelon : 1651-1715, théologien et écrivain français.

Grosso modo : en gros, sans entrer dans le détail.Ramassé : ici, raccourci.Ras-le-bol (fam.) : c’est assez, ça suffit !Sixième (f) : première classe du collège.SMS (m) : Short Message Service, un court message textuel par téléphone mobile.

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Observer, comprendre, apprendre

Le thème

- D’après vous, la communication par SMS détruit-elle la connaissance de la langue écrite ?- Connaissez-vous la différence entre analphabétisme et illettrisme ?- Quelles compétences essentielles doit-on maîtriser pour réussir dans la vie ?

Écoute attentive

Écoutez l’enregistrement et répondez aux questions :

- Quelle est l’opinion d’Erik Orsenna sur le SMS ?(Il aime ce moyen de communication, car il est écrit et pratique.)

- Quel est le sens de l’intervention de Jacques Paugam quand il fait allusion à Fénelon ?(Il compare les positions de Fénelon et d’Orsenna : tous les deux vont à contre-courant de l’opinion générale de leur époque qui consiste à condamner les excès de modernité de la langue et qui, par une trop grande rigueur, l’empêche de s’enrichir.)

- Selon Erik Orsenna, qu’est-ce qui a changé dans notre société depuis 15 ans par rapport à la maîtrise de la langue ?

(Aujourd'hui, de plus en plus de jeunes possèdent mal la langue et sans une bonne maîtrise de la langue, surtout écrite, il n’est pas possible de trouver un travail : « tout passe par des écrans ».)

- À quoi s’expose de nos jours un jeune qui ne maîtrise pas la langue écrite de sa communauté ? (Un jeune qui ne maîtrise pas la langue s’expose à l’exclusion sociale et donc au désespoir. S’il est exclu de la langue, il est exclu du travail et donc exclu de la société.)

Activités et réflexion

- Partagez-vous l’opinion exprimée par Erik Orsenna sur l’importance de l’écrit dans la vie quotidienne ? À quelles difficultés sont confrontées les personnes qui ne savent ni lire ni écrire ?- Erik Orsenna conclut en disant que l’exclusion de la langue expose à « toutes les autres formes soit de désespoir actif ou passif ». Comment comprenez-vous cette phrase ? Qu’entend-il par désespoir actif et désespoir passif ?- Quelles solutions concrètes peut-on proposer aux personnes qui savent à peine lire et écrire ?

Pour aller plus loin…

- Selon vous, comment un pays développé et riche peut-il en arriver à cette situation d’illettrisme très répandu ? À qui en incombe la responsabilité ? Quelles initiatives, publiques ou privées, pourraient permettre de remédier à cette situation ?- Analysez la situation dans votre pays : l’analphabétisme et l’illettrisme sont-ils en régression ou en augmentation ? Quelles sont les causes de ces évolutions ? Quelles sont les conséquences pour le pays ?

Écoutez l’émission en entier : http://www.canalacademie.com/ida5319-L-Essentiel-avec-Erik-Orsenna-de-l.html

Pour en savoir plus

Sites Internet :

Deux articles du Figaro de février 2010 : - Réduire l’illettrisme pour combattre le chômage.

http://www.lefigaro.fr/emploi/2010/02/05/01010-20100205ARTFIG00014-reduire-l-illettrisme-pour-combattre-le-chomage-.php - Illettrisme : le mal moderne.

http://blog.lefigaro.fr/education/2010/02/illettrisme-le-mal-moderne.htmlL'état de l'illettrisme en France :

http://actionssolidaires.fr.msn.com/Education/illetrisme/illetrismegen.aspx

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Propositions de lectures :

Les enjeux de l’apprentissage de la langue française, Éditeur : Chasseneuil-du-Poitou : CNDP, 2007 n°151 de la revue Diversité de VEI. Pour lire la présentation de ce numéro : http://crdp.ac-paris.fr/spip.php?article765

Fiche réalisée par Robert Angéniol, CAVILAM