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Participations réciproques ou circulaires et fictivité du capital Avertissement: Publié le 17 septembre 1982 dans le numéro 106 du journal Les Petites Affiches en pages 12 à 17, ce texte est une retranscription par l’auteur de l’original. Le journal a accepté une diffusion ouverte internet dans un but éducatif. Les participations réciproques ou circulaires, fréquentes dans les groupes de sociétés, créent une « fictivité du capital » (1). Compte-tenu des conséquences entraînées par cette fictivité, le législateur des principaux pays industriels capitalistes a réglementé les participations réciproques, ces dernières créant directement cette « fictivité ». Les participations circulaires, pour leur part, n'ont qu'un effet indirect d'induction de « fictivité ». C'est pourquoi, semble-t-il, le législateur est resté muet à leur sujet, considérant que l'inconvénient dans ce cas ne pouvait être que limité. Dans un précédent article (1) nous avons exposé en détail les problèmes soulevés par les participations réciproques ou circu- laires au niveau de la « fictivité du capital » d'une part, et lors du calcul du pourcentage d'intérêt à utiliser lors de la consolidation d'autre part. Les solutions pratiques à ces 2 types de problèmes- ont été- indiquées (1). Le présent exposé n'a pas pour objet de reprendre le point de vue théorique, mais d'apporter au lec- teur une plus grande compréhension du phénomène grâce à 3 exemples réels tirés de notre expérience professionnelle. A travers ces exemples, nous souhaitons montrer que les participations réciproques ou circulaires sont plus fréquentes que ce que l'on peut bien imaginer et que l'effet de « fictivité » dans le cas de participations circulaires, est loin d'être insignifiant. Il convient de préciser en dernier lieu que les cas cités concernent tous des sociétés cotées en bourse au marché à terme, ce qui prouve que le phénomène en question concerne, en vérité, de très grosses entités.

Fictivité du Capital

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Page 1: Fictivité du Capital

Participations réciproques ou circulaires

et fictivité du capital

Avertissement: Publié le 17 septembre 1982 dans le numéro 106 du journal Les Petites Affiches en

pages 12 à 17, ce texte est une retranscription par l’auteur de l’original. Le journal a accepté une

diffusion ouverte internet dans un but éducatif.

Les participations réciproques ou circulaires, fréquentes dans les groupes de sociétés, créent une «

fictivité du capital » (1). Compte-tenu des conséquences entraînées par cette fictivité, le législateur

des principaux pays industriels capitalistes a réglementé les participations réciproques, ces dernières

créant directement cette « fictivité ». Les participations circulaires, pour leur part, n'ont qu'un effet

indirect d'induction de « fictivité ». C'est pourquoi, semble-t-il, le législateur est resté muet à leur

sujet, considérant que l'inconvénient dans ce cas ne pouvait être que limité. Dans un précédent article

(1) nous avons exposé en détail les problèmes soulevés par les participations réciproques ou circu-

laires au niveau de la « fictivité du capital » d'une part, et lors du calcul du pourcentage d'intérêt à

utiliser lors de la consolidation d'autre part. Les solutions pratiques à ces 2 types de problèmes- ont

été- indiquées (1).

Le présent exposé n'a pas pour objet de reprendre le point de vue théorique, mais d'apporter au lec-

teur une plus grande compréhension du phénomène grâce à 3 exemples réels tirés de notre expérience

professionnelle. A travers ces exemples, nous souhaitons montrer que les participations réciproques

ou circulaires sont plus fréquentes que ce que l'on peut bien imaginer et que l'effet de « fictivité »

dans le cas de participations circulaires, est loin d'être insignifiant. Il convient de préciser en dernier

lieu que les cas cités concernent tous des sociétés cotées en bourse au marché à terme, ce qui prouve

que le phénomène en question concerne, en vérité, de très grosses entités.

Page 2: Fictivité du Capital

1 Cas n° 1 de consolidation et de « fictivité du capital »

1.1. Présentation du groupe

Le groupe est constitué par une société holding détenant des participations dans des sociétés

industrielles et dans des sociétés financières et de portefeuille. Au 31 décembre 1980, le- tableau

des résultats financiers signale que la société, holding a émis plus de 6 millions d'actions. Les états

financiers consolidés au 31 décembre 1981 ont été dressés à partir de 7 sociétés dont 4 par intégration

globale. Il s'agit donc d'une petite consolidation

1.2. Phénomène de bouclage dans les liaisons financières

Les sociétés consolidées sujettes à un bouclage (noyau irréductible) présentent la structure

suivante : Schéma n° 1

Pour la compréhension du concept de Société Mère Fictive (S.M.F.), le lecteur est prié de se

reporter à. notre précédent article (1). C'est donc une double boucle qui apparaît au niveau de la

société holding en provenance des 2 sous- filiales E et C.

Page 3: Fictivité du Capital

1.3. Matrice des participations

Présentons cette structure sous la forme d'une matrice des participations.

1.4. Calcul des pourcentages d'intérêt

Le calcul des pourcentages d’intérêt du groupe dans la société holding et dans les

sociétés filiales, s'obtient aisément, au moyen d'une méthode approximative, par la résolution du

système d'équations suivant:

a = 0,9325 + 0,0181c + 0,0494e

b = 0,96a

c = 0,50b + 0,50d

d = 0,9997a

e = 0.9999d

Les calculs donnent :

a = 0.9325 + 0.0181 [0.50 x 0,96a] + 0,0494 [0,9999 x 0,9997a]

a = 0.9325 + 0.0181 [0.48a] + 0.0494 [0,9996a]

a = 0.9325 + 0.008688a + 0,0493802a

a = 0.9325 - 0.0580682a D’où il vient :

SMF Sté A Sté B Sté C Sté D Sté E H G

SMF 1 0,9325 Sté A 0,96 0,9997

Sté B 0,50 Sté C 0,0181 ' Sté D 0,50 0,9999 Sté E 9,0494 . H G 0,04 0,0003 1

1 1 1 1 1 1 1

Page 4: Fictivité du Capital

a = 0,9325 = 0,9325 = 98,999 % (1-0,0580682) 0,9419318 b = 95,038 % c = 0,47519 + 0,49484 = 0,97 % d = 0,98969 % e = 0,98959 %

1.5. Influence des 2 boucles sur les comptes consolidés

Dans sa note sur les comptes consolidés du groupe (plaquette publiée comptes 1981) il est

indiqué :

«Les sous-filiales: société E et société F, détenant une participation dans le capital de la

société holding, le capital a été réduit à due concurrence ».

Chiffrons la différence qui apparaît entre la méthode utilisée par la société, c'est-à-dire une

élimination pure et simple des titres et le calcul des pourcentages d'intérêt réels selon la

méthode approximative utilisée plus haut. Cette différence résulte du fait que les pourcentages

d'intérêt retenus par la société «consolidante» A ignorent les 2 bouclages puisque les titres de

la société A détenus par les sous-filiales E et C ont été annulés pour leur valeur nominale. De

ce fait, le capital de la société holding «a été réduit à due concurrence » pour les besoins de la

consolidation. Cette différence est de:

Pourcentage d’intérêt de A

dans :

% calculé par la Société

% algébrique

Ecart en %

____________________ _______ _________ __________ A = a 93,25 99,00 5,75

B = b 96,00 95.04 -0,96

C = c 100,0 97,00 -3,96

D = d 99.97 98,97 -1,00

E = e 99,97 98,96 -1,01

Les différences restent minimes. Néanmoins dans le bilan consolidé, la méthode basée sur

les pourcentages d'intérêt qui tiennent compte du bouclage aurait conduit:

Page 5: Fictivité du Capital

a) à éliminer les titres. Cette élimination pourrait se faire en postant leur montant sur une

ligne distincte en diminution du capital social de la société consolidante A.

b) à transférer du hors-groupe 5.75 % des autres postes de la situation nette de la société A en

faveur du groupe.

c) à porter en intérêts hors-groupe respectivement 0,96 %, 3.96 %, 1 % et 1,01 % des

différences de consolidation dégagées par la consolidation des filiales B, C, D et E.

d) à utiliser des pourcentages d'intérêt réels dans le calcul des résultats de l'exercice lesquels

sont à affecter au groupe et aux tiers à la place de pourcentages qui ignorent les boucles.

1. 6. Fictivité du capital de la société A

Le lecteur se reportera à l'exposé théorique des modes de calcul de la «fictivité du capital» (1)

On obtient ainsi :

Fictivité par la société C = [96 x 50 + 99,97 x 50] x 1,81 = 1,773 %

Fictivité par la société E = [99,97 x 99,99] x 4,94 = 4,938 %

Fictivité totale : 6,71 %

Aucune provision pour fictivité n'a été constatée dans le bilan social. Le capital de la société

holding s'élève à 475 millions de francs. C'est donc une fictivité de 475 x

6.71% = 31,88 millions qui n'est pas traduite dans les comptes sociaux: L'usage étant d'ignorer

comptablement la fictivité du capital. Le bilan présenté aux actionnaires a été certifié comme

régulier et sincère par les commissaires aux comptes.

Les comptes consolidés, toutefois, prennent en compte assez bien cette «fictivité du capital»

puisque les titres de la société A détenus par les sous-filiales C et E ont été portés en diminution

du capital pour respectivement:

Page 6: Fictivité du Capital

- Titres A détenus par la sous-filiale C = 1,81 %

- Titres A détenus par la sous-filiale E = 4,94 %

Total = 6,75 %

On constate :

- fictivité totale = 6,711 %

- Elimination par consolidation = 6,750 %

Ecart dû aux pourcentages de participation pris à 100 % = 0,040 %

L'élimination des titres de la société A détenus par les 2 sous-filiales a conduit, en consolidation,

à. neutraliser la fictivité du capital. C’est un aspect positif des comptes consolidés que la littérature

comptable a passé sous silence jusqu'à présent. On notera enfin que les états financiers consolidés

ont été examinés par les commissaires aux comptes qui ont émis une opinion de conformité aux

normes comptables. Cette opinion confirme une approximation absolument acceptable du point de

vue économique.

2. Cas n° 2 de consolidation et de fictivité du capital

2.1. Présentation du groupe

La société holding a pour principal actionnaire l'Etat. Par sa taille et par le nombre de sociétés

filiales, sous-filiales et apparentées, elle est l'un des piliers de l'industrie lourde française. Cette

société est également cotée au CAC 40. Consécutivement à un plan de restructuration, la boucle

suivante est apparue dans la structure des liaisons financières du groupe:

Page 7: Fictivité du Capital

2.2. Calcul du pourcentage d'intérêt

Le pourcentage d’intérêt réel du groupe dans les sociétés A, B, et C s’obtint par la méthode

approximative en résolvant un système d’équation du premier degré. On notera qu’il est

nécessaire comme dans le premier cas d’introduire la notion de Société Mère Fictive pour

résoudre ce problème de bouclage.

La solution est

a = 0.9276196 + 0,0723804 c

b = 0.9999977 a

c = 0.1599998 b

Soit a = 0,9276196/0,9884132

a = 0,938488

b = 0,938485

c = 0,15015

2.3. Influence de la boucle sur les comptes consolides

On relève le commentaire suivant dans la note annexée aux états financiers consolidés au 31

décembre 1981 : «La société C, dans laquelle notre participation est de 16 %, a cependant été

consolidée au 31 décembre 981 étant donné qu'il s'agit d'une société fermée et qu’elle est

destinée à être dissoute en 1982. Notre quote part des actions A détenues par C a été

Page 8: Fictivité du Capital

éliminée par le débit de la différence de consolidation. Cette élimination porte sur 1,16 % du

capital de notre société.»

Chiffrons tout d’abord l’incidence de la boucle sur les pourcentages d’intérêts utilisés par la

société pour sa consolidation.

La différence ressort à :

Pourcentage d’intérêt

utilisé

Pourcentage d’intérêt réel

Ecart

Société A 92,76 93,85 + 1,09

Société B 99,99 93,85 -6,14

Société C 16,00 15,01 -0,99

Comme signale dans l'exemple précédent, l'utilisation de pourcentages d'intérêt réels

entraîne les modifications suivantes par rapport à la méthode utilisée par la société.

— Une fraction (1,09 %) des réserves de la société A est à attribuer au groupe et non aux

tiers ;

— Une f rac t ion de l 'éca r t de consolidation est à porter en intérêt des tiers (6.14

% de l'écart de consolidation provenant de B et 1 % de l’écart de consolidation provenant

de C);

— Le résultat consolidé du groupe est affecté des variations suivantes :

+ 1,09 % du résultat de la société A

- 6,14 % du résultat de la société B

- 1 % du résultat de la société C

2.4. Fictivité du capital

La fictivité du capital au niveau de la société A résulte de la boucle créée par la détention par

la société C de titres de la société A. Cette fictivité ressort à :

- 99,99% x 15,99% x 7.238 % = 1,16 %

Cette méthode appelle les remarques suivantes :

1) Elimination en consolidation de la fictivité du capital :

Page 9: Fictivité du Capital

Fictivité totale = 1,16 %

Fictivité neutralisée en consolidation : 1,16 %

Ecart = 0 %

Les comptes consolidés neutralisent donc la fictivité du capital de la société A comme dans

l’exemple précédent. On notera toutefois que l’élimination de la fictivité du capital de la

société A a été traduite comptablement par une diminution de la différence de consolidation,

ce qui est anormal. A notre avis, cette élimination pourrait être effectuée par une ligne

spéciale « annulation de titres » indiquée dans le bilan consolidé sous le poste capital

2) Fictivité du capital dans les comptes sociaux

Le capital de la société A s’élève au 31 décembre 1981 à 4.726 millions de francs. Les

comptes sociaux de la société A comportent donc une fictivité du capital de : 4.726 X 1,1157

% = 54,70 millions de francs. Ces comptes sociaux ont été certifiés par les commissaires aux

comptes qui ont également émis une opinion sur les comptes consolidées.

3. Cas n° 3 Simplification d'un problème de consolidation

3.1. Présentation du groupe

La société holding anime et contrôle un ensemble international dont le principal secteur

d'activité est la production et la transformation des métaux. Le groupe a un effectif

supérieur à 20.000 salaries et a réalisé en 1981 un chiffre d'affaires supérieur à 12

milliards de francs En 1981, le groupe a consolidé 45 sociétés : il s'agit donc d'une

consolidation respectable.

3.2. Phénomène de bouclage dans les liaisons financières

Les liaisons financières du groupe présentent deux participations réciproques au niveau de 2

sous-filiales. Il en résulte une boucle qui vient compliquer le calcul du pourcentage d'intérêt.

Les sociétés concernées présentent les liens financiers suivants :

Page 10: Fictivité du Capital

3.3. Calcul des pourcentages d'intérêt :

Pour les besoins de la consolidation, la société a calculé les pourcentages d'intérêt réels du

groupe dans les sous-filiales 2 et 3 en utilisant la méthode des progressions géométriques (2).

3.3.1 Pourcentage d'intérêt du groupe dans la société 3 :

I(3) = [ fb + gab + ged] x 1/(1-ed)) soit

I(3) = (0,21062+0,11259+0,088999) x 1/0,99778

I(3) = 0,41412

3.3.2 Pourcentage d’intérêt du groupe dans la société 2 :

I(2) =[ fbe + gc + gabe] x 1/(1-ed) soit

I(2) = [(0,52655 x 0,4 x 0,0111) + (0,59453 x 0,75684) +(0,59453 x 0,47345 x 0,4 x 0,0111) x

1/0,99778

I(2) = 0,45456

3.4 Simplification du calcul des pourcentages d’intérêt pour tout le groupe.

Le calcul des pourcentages d’intérêt de la holding dans toutes les sociétés du groupe s’obtient

sans difficulté par la résolution du système d’équations linéaires suivant :

a = 1

Page 11: Fictivité du Capital

b = 0,59453a

c = 0,75684b + 0,0111d

d = 0,2c + 0,40e

e = 0,52655a + 0,47345b

Ce qui donne une solution plus rapide que la première méthode :

a = 1

b = 0,59453

c = 0,4545

d = 0,4141

e = 0,8080

Conclusion

Les participations réciproques et circulaires constituent en général un casse-tête

pour le professionnel de la comptabilité lorsqu'il doit consolider des sociétés où

elles entrent en jeu. Au travers des 3 exemples cités, le spécialiste de la

comptabilité constatera que la complexité des calculs fait place à une résolution

simple si on utilise la méthode qui vient d'être exposée. Jusqu'à présent, niveau des

comptes sociaux, la fictivité du capital n'a jamais été traduite comptablement dans les

états financiers. Les normes comptables l'ignorent en effet. Il en résulte que les commissaires

aux comptes ou les firmes d'audit certifient, au cas considéré, des comptes qui ne donnent pas

une image fidèle de la réalité puisqu’il y a une fictivité du capital non prise en considération.

Cet article, loin de vouloir développer une polémique stérile, espère au contraire contribuer à

faire prendre conscience de l'importance du problème posé par la fictivité et, de ce fait, faire

avancer les usages comptables.

Jean Pouget

ESCP

Docteur en gestion

Diplômé expert-comptable

Page 12: Fictivité du Capital

Bibliographie et articles cités:

(1) Participations réciproques et circulaires, rachat par une société de ses

propres actions par Jean Pouget, in Les Petites Affiches n° 8, 9, 10, des 18

janvier, 20 janvier, 22 janvier 1982. Adresse: 2, rue Montesquieu 75041 Paris

cedex 1.

(2) Memento comptable p 759 Francis Lefebvre; 42 rue de Villiers, 92532 Levallois-

Perret cedex. www.efl.fr/

Autre Bibliographie:

- APB Accounting Principles; New-york, American Institute of Certified Public Accounts, 1970

– 2 vol

- Conseil National de la Comptabilité : Consolidation des bilans et des comptes, Paris 1973

- Dallèves Louis: Les participations réciproques entre sociétés anonymes, Genève, Centre

d’Etudes Juridiques Européennes de la faculté de droit, 1970.

- Wilkins (R.M) : Group Accounts – The fundamental principles, form and –content – 2nd

edition ; The Institute of Chartered accountants in England & Wales

- Griffin, Williams, Larson: Advanced Accounting ; Irwin Inc. 1971

Page 13: Fictivité du Capital