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2016/2017 PSYCHOLOGIE, langage, calcul et lecture | Module 8 M. NASSER FORMATION DES ENSEIGNANTS TROISIEME FORMATION

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2016/2017

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PSYCHOLOGIE, langage, calcul et lecture | Module 8

M. NASSER FORMATION DES ENSEIGNANTS

TROISIEME FORMATION

Psychologie, le développement de l’intelligence M. Nasser Ahmed Aden

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Le développement du langage

Introduction

De façon similaire aux images mentales, le langage s’appuie, dans son acquisition, sur ce

double processus à la fois cognitif (théorie piagétienne) et social (théorie environnementale),

pour l’essentiel.

1. Les théories explicatives de la genèse du langage.

1.1. L’empirisme associationniste

Pendant très longtemps et jusqu’au milieu du XXéme siècle, l’enfant est envisagé comme une

« tabula rasa » qui additionne progressivement les connaissances. Le langage est appris par

répétitions de mots puis de phrases prononcées par les adultes. Par association successive

d’expériences langagières, l’enfant assimile progressivement les modèles de l’adulte.

Empiriquement, il est donc posé comme hypothèse que l’adulte offre des modèles que

l’enfant peut reproduire. Mais, même si l’imitation joue un rôle très important lors de

l’acquisition de la langue parlée, celle-ci ne peut tout expliquer, comme, par exemple,

l’activité de création de mots, que l’on rencontre lorsqu’il y a un vide lexical et que le mot

approprié n’a pas été rencontré. Vion (1999) donne l’exemple du mot camping connu chez un

enfant de quatre ans qui a créé le verbe « campigner » pour exprimer qu’il va camper.

Dans le cadre de cette théorie, la connaissance s’élabore par le sens donné par des

associations et des généralisations. Le langage se construit par un ensemble d’habitudes de

discours dont la base est constituée par des opérations de stimuli/réponses : une réponse

associée à un stimulus se généralise de même à tous les stimuli analogues et plus la similitude

est grande, plus l’association est forte. Les habitudes grammaticales de la langue s’installent

ainsi, au terme d’un long entraînement.

C’est ainsi que Skinner (1938) a essayé de montrer que l’acquisition de la langue procède de

la même manière que l’acquisition des autres comportements. Les réponses verbales étant

pour lui souvent stimulées par un besoin physiologique comme par exemple la soif qui

provoque la demande d’une boisson. Le fait d’être « récompensé » par une boisson sert de

renforcement et ainsi est définie une catégorie de demandes et de réponses verbales

concernant les souhaits, les ordres, les menaces. Les registres de phrases ne concernant point

la réponse à un besoin physiologique entraînent d’après cet auteur l’approbation d’un

auditeur, il parle alors de renforcement secondaire généralisé. Ainsi l’adulte façonne les

premiers mots et les premières expressions de l’enfant en supprimant, par non renforcement,

le langage non adapté.

1.2. Le rationalisme de Chomsky

A l’aide de la « grammaire générative », Chomsky (1967, tr. fr. 1969) oppose à Skinner un

sorte de « schéma inné de la langue ». Ce système détermine un couplage entre sons et sens

structuré à partir de trois composants : l’un syntactique, l’autre sémantique et le troisième

phonologique. Cette structure abstraite est universelle, commune à toutes les langues. Afin de

décrire une langue, le linguiste peut déterminer la grammaire à partir d’observation de corpus.

Le point d’opposition avec l’empirisme associationniste se situe dans la connaissance

d’une langue. Si elle se fait par association de mots et de sons, cette construction est

intuitive et inconsciente grâce à cette structure préexistante à la naissance chez tout

être humain. L’enfant acquiert peu à peu une méthode propre à élaborer une

grammaire à partir de fragments ou de mauvaises associations de mots. Seules les

possibilités réduites de la mémoire enfantine le limite dans sa production langagière.

Mais spontanément celui-ci s’appuie sur une des structures linguistiques innées. Il

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découvre ainsi progressivement sa langue maternelle. Par la suite, Chomsky (1981)

introduit la notion de paramètres afin d’expliquer « la Grammaire Universelle ».

L’enfant, de par le cadre inné qu’il possède, n’a plus qu’à déceler la modalité des paramètres

de sa langue maternelle.

Dans un cadre théorique similaire, Kail (1983) préfère expliquer l’organisation de cette

grammaire à partir de « principes opérationnels » qui apparaissent quand l’enfant avance dans

la pratique de sa langue. L’enfant construit des correspondances entre formes langagières et

sens, un des principes repose sur le fait que l’attention est portée davantage sur la fin des mots

et ainsi les suffixes sont acquis plus facilement que les réalisations sous formes de préfixes ou

de prépositions.

Reprenant la grammaire de Chomsky, Pinker (1994, 1999) explique le fonctionnement du

langage à partir d’arbres modulaires et de syntagmes. Une distinction importante est faite

entre les actants (les arguments, terme cité par l’auteur) et les modifieurs (les adjoints, terme

également cité par l’auteur). Les syntagmes nominaux et les syntagmes verbaux ont en

commun un noyau qui indique de quoi il parle, des actants qui sont groupés avec le noyau

dans un sous syntagme, des modifieurs qui apparaissent à l’extérieur et un sujet.

Si ces quatre éléments définissent un syntagme, l’ordre à l’intérieur d’un syntagme nominal et

à l’intérieur d’un syntagme verbal est le même : le nom vient avant ses actants. Par exemple :

« le saccage de la chambre d’hôtel » et non « de la chambre d’hôtel le saccage ». Les

distinctions entre noms, verbes et prépositions s’effacent car un nom comme le saccage

exprime une action. De plus un verbe peut exprimer un état mental comme aimer. Pour le

langage tout entier il n’y aurait que deux super règles :

un syntagme est constitué d’un sujet facultatif suivi d’un (X-barre, terme

linguistique, qui représente soit un nom, soit un adjectif, soit un verbe ou encore

une préposition) suivi de n’importe quel nombre de modifieurs.

un X-barre est constitué d’un noyau suivi d’un nombre quelconque d’actants.

Pinker dans la suite de Chomsky pense que ces règles sont innées, il suffit aux

enfants d’apprendre les nuances de leur langue : « head first ou head fast ». Cette

théorie permet d’expliquer le mystère par lequel la maîtrise de la grammaire par

l’enfant se fait assez rapidement. Mais en dehors de cet aspect syntaxique, ce

cadre théorique ne nous donne point d’indication sur deux aspects de la langue :

l’aspect sémantique, c'est-à-dire transmettre des significations et l’aspect

pragmatique, car parler, c’est aussi utiliser le langage d’une façon adaptée au

contexte, à l’interlocuteur et aux buts de la communication.

1.3. Le constructivisme piagétien

L’alternative Piagétienne (1975) débattue lors du Colloque de Royaumont en présence de

Chomsky, défend l’idée selon laquelle l’enfant est doté d’un équipement inné, d’ordre

fonctionnel et cognitif mais non pas linguistique. Le support de la connaissance se construit,

se structure à partir de la capacité à agir sur le monde. L’élaboration de l’intelligence est un

cas particulier de l’adaptation biologique. Le développement du langage s’inscrit dans ce

processus déterminant qu’est le développement cognitif. Ce développement commence bien

avant l’apparition du langage, à partir des schèmes d’action sensori-moteurs qui se

coordonnent et s’intériorisent afin que la capacité de se représenter à soi-même une perception

ou une expérience passée puisse émerger. Si les premiers mots apparaissent vers huit mois,

pour les enfants les plus précoces, la représentation symbolique devient possible autour de

seize mois au moment où s’achève le développement de l’intelligence sensori-motrice.

L’enfant va alors pouvoir comparer les perceptions et les expériences nouvelles avec ce qu’il

a vécu antérieurement et commencer à comprendre les mots et les classer.

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Le langage, au même titre que l’imitation différée, que le jeu symbolique et l’imagerie

mentale, permettant l’évocation représentative d’objets ou d’événements non perçus dans le

moment, fait partie de la fonction sémiotique. Les premiers mots enchaînés apparaissent en

même temps que le jeu symbolique de faire semblant (par exemple : faire semblant de se

verser un liquide, de le boire et d’essuyer sa bouche). La comparaison des progrès du langage

avec ceux des opérations intellectuelles a supposé la double compétence d’un linguiste

(Sinclair) et d’un psychologue (Piaget). Les résultats ont montré que « le langage ne constitue

pas la source de la logique, mais est au contraire structuré par elle » (Piaget, 1966, p. 71). Les

théoriciens du constructivisme actuel (Bowerman, 1985 ; Bate, O’Connelle & Shore, 1987)

ont pu montrer que chez les enfants dont l’acquisition du langage est nettement retardée, le

jeu symbolique et l’imitation le sont également.

Les théories néo-structuralistes (Pascual-Leone, 1988 ; Case, 1985 ; Halford, 1988 ; Fischer,

1980) soutiennent également le primat des structurations cognitives par rapport au langage.

Mounoud (1993) a une position particulière en affirmant l’innéisme structural et le

constructivisme des contenus.

1.4. Le langage : élément essentiel du développement cognitif

Vygotsky (1962, tr. fr. 1985) se situe à l’opposé des thèses piagétiennes. Pour cet auteur, la

pensée et le langage sont inextricablement mêlés. Du langage non intellectuel sans pensée qui

se développe en langage naïf puis égocentrique avant d’atteindre le langage intérieur soudé à

la pensée conceptuelle, les transformations se font de manière dynamique, « mouvement

perpétuel allant et venant de la pensée au mot et du mot à la pensée ». Par rapport à un niveau

réel de développement, Vygotsky pense qu’il est important que les adultes ou les pairs plus

avancés tirent l’enfant vers un niveau potentiel appelé « zone proximale de développement ».

Cette zone définit « des fonctions qui ne sont pas encore mûres mais en voie de maturation »

(Vygotsky, 1978, pp. 86-87).

1.5. Le langage dans le cadre de l’acquisition de connaissances

A coté de ces explications sur l’élaboration du langage, les cognitivistes, tel Siegler (2000)

proposent, en ce qui concerne l’acquisition des connaissances, un modèle variable de choix de

stratégies (décomposition des mots, devinette, etc.) de réponses mises en jeu de la part des

enfants et des adolescents, ces derniers ont alors davantage de possibilités. La pensée des

jeunes est confrontée à la nécessité d’effectuer constamment des choix et cette pensée n’est

pas monolithique. Ces choix de stratégies sont sous le contrôle des connaissances explicites

que le système cognitif a sur son propre fonctionnement. Ce sont les métacognitions. Pour

Siegler, le développement ne doit pas être analysé uniquement sous forme de stades mais

aussi en termes de stratégies par lesquelles les enfants accèdent à une compréhension

élaborée.

1.6. « Parler à l’enfant » : les environnementalistes

L’enfant à qui l’on parle beaucoup, à qui on lit régulièrement des histoires, et aux

verbalisations duquel l’entourage réagit, apprend plus vite à parler (Bee, 1997). Mais

l’environnement constitué, par exemple, de l’apport des parents n’influence pas seulement la

vitesse d’acquisition mais également la qualité et ceci surtout par rapport au vocabulaire

employé. Un auteur comme Rondal (1978, 1983) a postulé que le langage pouvait être

enseigné à l’enfant sur le mode implicite et occasionnel par les parents. Le langage maternel,

terme employé par les linguistes pour décrire ce type de langage particulier que les parents

utilisent pour parler aux jeunes enfants, est une communication parlée constituée de phrases

courtes, plus simples, répétitives, avec des sons plus aigus et des formes grammaticales

simples. Ce langage permet de communiquer, et souvent de repréciser le vocabulaire

quelquefois déformé de l’enfant (par exemple : le jeune enfant prononce « pestacle » à la

place de spectacle), les parents articulent alors mieux ce mot, il en est ainsi pour les phrases

qui sont souvent reformulées. L’environnement proche de l’enfant semble donc jouer un rôle

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important dans l’acquisition du langage, mais l’impact se situe également au niveau de la

signification des mots.

1.7. « Transfert d’initiative de la mère à l’enfant » : l’interactionnisme

Le langage, ce n’est pas seulement maîtriser du vocabulaire et des règles de grammaire, c’est

donner du sens à des mots. Bruner (1983), explique que le langage émerge au terme de deux

années de développement sensori-moteur et d’interactions sociales dans le but de pouvoir

agir sur l’environnement. L’aide de l’adulte n’est donc pas purement linguistique, c’est « un

système de soutien » « Language Acquisition Support System ». Ce système est fondé, dès

son origine, sur « l’attribution d’intention communicative » (Vion, 1999) et il s’appuie

principalement sur quatre processus fondamentaux innés :

L’aptitude à associer moyens et buts.

La sensibilité aux situations d’échanges.

La systématisation dans l’organisation de l’expérience.

La capacité de tirer des règles de formation (abstraction).

Pour Bruner (op. cit.), la mise en place de ces processus a une finalité : la culture, condition

de survie, force l’homme à utiliser le langage. Cet auteur pense également que le langage, en

tant que système de représentation, est la forme la plus abstraite et la plus « perfectionnée » de

la cognition après l’action et l’imagerie mentale.

1.8. Conclusion sur les théories du langage

Une part d’innéité dans l’élaboration des structures du langage ne peut être reniée par le fait

qu’il existe des similitudes entre les différents enfants et entre les différentes langues. Mais

ces structures semblent elles-mêmes dépendantes des structures cognitives qui se construisent.

Si la maturation et l’expérience jouent un rôle prépondérant, le milieu (parents,

environnement) semble permettre de rendre opérationnels ces structures de base. Nul ne

conteste non plus le rôle essentiel joué par l’environnement linguistique et extralinguistique

dans cette acquisition, Bruner (op. cit.) parle de finalité culturelle au langage qui se construit à

partir d’interactions sociales, dans la nécessité d’une adaptation sociale, car le jeune enfant

n’a pas de multiples choix possibles pour se faire comprendre et s’exprimer de façon efficace.

Néanmoins, quelles que soient les options théoriques citées précédemment, un certain nombre

de données sur le développement du langage sont maintenant bien établies.

2. Le développement du langage

2.1. Le prélangage

De Boisson-Bardies (1996, p. 51) écrit : « Le nouveau-né crie en arrivant au monde. A moins

de maladie, la production de sons ne cesse pas chez les êtres humains, de leur premier cri à

leur dernier souffle ». L’homme est « une machine à engendrer de la parole, c’est pourquoi il

est fondamental de comprendre l’évolution de cette parole.

Si le langage proprement dit n’apparaît qu’à la fin de la seconde année, l’expérience

linguistique commence pendant la période fœtale. C’est à partir de trois mois (Casper &

Spence, 1990) que le fœtus peut commencer à percevoir des sons comme celui de la voix de

ses parents. La perception des sons s’affine peu à peu. Ensuite, dès l’âge de un mois, l’enfant

peut distinguer les syllabes telles que « pa » et « ba » et vers l’âge de six mois environ il peut

reconnaître des mots de deux syllabes (Morse & Crohan, 1982). Les études étonnantes de

Werker et Tees (1984) montrent que les bébés peuvent distinguer, en les répétant, n’importe

quels sons de n’importe quelle langue entre six et dix mois (sons sous forme de syllabes

comme « ba » et « da » en anglais ou « ki » et « qi » en langue amérindienne). Après cet âge,

vers dix ou douze mois, ils perdent cette capacité. Ces résultats semblent valider les modèles

de la prolifération synaptique au cours des premiers mois de la vie, cette croissance

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synaptique offrant un champ de potentialités maximum avant un an. Le processus

d’émondage (élimination de synapses) va diminuer ce potentiel. L’enfant finira par ne retenir

que les éléments sonores de la langue qu’il entend à la maison. Mais la capacité à percevoir et

distinguer les sons, ne se confond pas avec celle de les produire. Jusqu’à l’âge de un ou deux

mois, le gazouillement qui semble associé à des moments agréables alterne avec les cris et les

pleurs. La tonalité de ces premiers sons explore des possibilités sonores allant de aiguë à

grave. Les sons des consonnes n’apparaissent que vers six ou sept mois (Bee, 1997). Puis ces

consonnes se combinent avec les voyelles pour donner les premières syllabes qui sont

répétées inlassablement. Ce babillage constitue la moitié des sons émis (à coté des pleurs), par

des enfants âgés de six à douze mois (Mitchell & Kent, 1990).

2.2. Un premier système de communication : la phase prélinguistique.

En relation avec cette phase du langage, se met en place dès la première année, un système de

communication sociale prélinguistique : échanges de sourires, dialogues vocaux, activités

posturales et gestuelles, entre le bébé et ses proches. Vers huit ou dix mois, le langage gestuel

est fortement utilisé par le jeune enfant qui peut ainsi prendre une posture d’étirement afin

d’obtenir qu’on lui donne un objet. Les enfants commencent également à cet âge à

comprendre le sens des mots et à les prononcer. Cette compréhension relève selon Piaget

(1966), d’une intelligence sensori-motrice, intelligence dotée de schèmes sensori-moteurs.

L’enfant ne réagit qu’aux stimuli immédiats, ne faisant pas de liens entre les événements

d’une fois à l’autre.

Les premières émissions de mots sont dites asymétriques (Bideau, Houdé & Pedinelli, 1993,

éd. 2001), dans le sens où le bébé ne maîtrise pas l’effet de son émission, alors que celui ou

celle qui le reçoit, la mère en l’occurrence, interprète cette émission comme un message. Par

rapport au sens des mots, les linguistes tels Bates, Bretherton et Snyders (1988), précisent que

les enfants ont un langage réceptif, c’est-à-dire qu’ils comprennent la signification des mots

avant d’avoir un langage expressif, qui correspond à une production de mots. Ces auteurs ont

constaté un nombre de mots différents qui se situe autour d’une cinquantaine à l’âge de treize

mois.

Une communication intentionnelle se développe, par la suite, dans laquelle messages émis et

reçus procèdent d’un code commun. Il se construit ainsi, selon Bruner (1983) des « formats

de communication ».

De vingt à vingt quatre mois, il y a une rapide augmentation du vocabulaire et les premières

phrases de deux ou trois mots apparaissent. Progressivement le jeune enfant va recourir à des

images mentales, ou souvenirs, puis à des symboles pour représenter des objets ou des

événements. Au cours de cette seconde année apparaît également l’utilisation dans le langage

du mot et signe verbal « non ». L’interprétation psychanalytique de l’emploi systématique de

ce mot traduit, à la suite du phénomène d’identification à la mère, la compréhension

progressive des interdictions accompagnées par le secouement négatif de la tête, premier

mouvement sémantique (signe gestuel) de l’enfant selon Spitz (1968).

2.3. Le langage : la phase linguistique

La production des premières phrases laisse apparaître des jeux différents de la syntaxe. Selon

Brown (1973), les manifestations grammaticale et sémantique de la syntaxe se réalisent en

deux phases :

a) Avant 6 ans : phrases sans organisation réelle

Les phrases sont courtes, formées de deux ou trois mots, elles sont formées d’un nom, d’un

verbe, d’un adjectif. Lors de la deuxième phase sont utilisés les pluriels, les verbes auxiliaires,

les prépositions etc., c’est-à-dire les marques grammaticales appelées flexions. L’enfant

apprend alors à poser des questions ainsi qu’à créer des phrases négatives. Au début, seul le

verbe est placé au bon endroit, il dira : « pourquoi moi dort maintenant ? » de même que dans

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les formes négatives le ne, le n’ ou le pas est inséré, mais le verbe auxiliaire est omis (Bee,

1997). Des études comme celle de Johnston (1985), montrent que l’enfant utilise les

prépositions comme, dans, entre ou en face de, bien après en avoir compris le sens.

Du point de vue sémantique, les auteurs s’accordent sur le fait qu’au fur et à mesure que

l’enfant grandit le développement du lexique se fait très rapidement. Il passe d’une vingtaine

de mots à 2 ans à plus de 2500 mots à 6 ans (Bideau, & al. 2001). A cette évolution

correspond aussi un développement des significations liées à l’usage des mots. En premier

sont compris les mots à usage concret (papa, maman). Arrivent ensuite les mots qui

représentent des catégories plus abstraites (père et mère). Les études de Piaget (1924)

montrent que les enfants définissent les mots en fonction de leur niveau cognitif. Ce constat

est toujours d’actualité (Bideau, & al. op. cit.).

Selon Piaget, définir un objet nécessite un recours au genre grammatical (ex : la table est un

meuble) et aux différences spécifiques (la table n’est ni une chaise, ni une armoire, qui sont

aussi des meubles). La catégorie, ou l’ensemble est important et les négations également, ces

deux éléments permettent de cerner un nouveau mot ou concept.

Vers 4 ans les négations sont d’ailleurs incluses dans la phrase. Les phrases négatives se

différencient des affirmatives par l’adjonction des adverbes négatifs : pas ou plus.

b) La syntaxe : vers 6 ans

C’est environ vers l’âge de 6 ans (âge de sortie du stade préopératoire chez Piaget), que

l’ordre des mots de la phrase est construit et que l’on commence à observer l’organisation

systématique :

Nom verbe nom (Sinclair & Bronckart 1972)

D’autres études (Bideau & al., op.cit.) confirment qu’il faut attendre cet âge pour remarquer

certaines acquisitions du langage. Par exemple, les articles définis et indéfinis commencent à

être utilisés correctement avant un groupe nominal (substantif), les pronoms également, ainsi

que les accords. Les pronoms possessifs, s’ils apparaissent vers 3 ans ne sont correctement

utilisés qu’entre 5 et 6 ans. L’accord en genre (masculin ou féminin) précède l’accord en

nombre. Concernant les adjectifs possessifs, il existe fréquemment un conflit entre le sexe de

l’enfant et l’accord avec le nom. Il est remarqué également que l’enfant utilise davantage les

adverbes et les conjonctions de temps (pendant que, avant, après, etc.). Les phrases passives

sont plus difficiles à comprendre car elles présentent une sorte de désaccord entre le sujet

apparent et l’agent de l’action. Si elles apparaissent vers 6 ou 7 ans, elles ne sont maîtrisées

que vers l’âge de 10 ans. Il en est de même pour les propositions relatives.

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2.4. Récapitulatif synthétique

Tableau 1: Phases prélinguistique et linguistique

Ages moyens Développement du langage

Période foetale

(à partir de 3 mois)

Perceptions des sons familiers

A partir de 1 mois

PHASE PRELINGUISTIQUE

Distinction des syllabes (au niveau perceptif)

Langage réceptif

(premiers sons, premiers gestes)

Gazouillement

A partir de 6 mois

PHASE LINGUISTIQUE

Reconnaissance de mots de deux syllabes

Premiers mots

Babillage avec sons des consonnes

A partir de 8 à 10 mois SEMANTIQUE :

Compréhension et prononciation des

premiers

mots

A partir de 13 mois Capacité de production : environ de 50 mots

différents

Vers 20 à 24 mois

Rapide augmentation du vocabulaire

Premières phases de 2 ou 3 mots

SYNTAXE (début)

Première phase grammaticale (phrase

composée d’un nom, d’un verbe, d’un

adjectif)

Tableau 2 : Acquisition du langage entre 2 et 6 ans

Ages moyens Développement du langage

A partir de 2 ans Phrases de 2 mots, utilisation systématique

du

mot non

A partir de 3 ans

Phrases de 3 et 4 mots, deuxième phase

grammaticale

Flexions : pluriels, verbes auxiliaires, les

prépositions

De 4 à 6 ans

SYNTAXE

Les négations sont incluses dans la phrase.

Acquisition des temps, passés, du genre, du

nombre…

Ordre des mots dans la phrase

Vocabulaire de plus de 2500 mots

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2.5. Un âge déterminant : 10 ans

Cet âge semble un moment clé dans la compréhension et l’utilisation de la langue (cf. tabl. 3).

L’enfant se situe alors au stade des opérations concrètes (depuis l’âge de 7 ou 8 ans), il sait

classer, sérier, dénombrer des objets, de nombreux concepts émergent et sont passés au crible

de cette logique, et peuvent faire l’objet de définitions relativement précises du fait de la

maîtrise des éléments linguistiques.

Il semble que vers 10 ans, l’enfant ait acquis le triple système de représentation énactive,

iconique et symbolique défini par Bruner (1983). La représentation énactive est

principalement constituée d’interactions sociales, la représentation iconique est faite de

schémas simples, ou d’images traduisant la réalité. Le troisième système, symbolique, met en

jeu le langage conçu comme une technique culturelle. Dès l’apparition de ce troisième niveau

qui coexiste avec les deux autres, il n’est plus possible, selon Bruner, de dissocier le

développement du langage et le développement cognitif. Les deux développements

interagissent étroitement en permanence mais ne sont pas confondus.

Pour Vygotsky (op. cit.), à 10 ans, les enfants sont dans la phase de pensée par « complexes »

qui sont des généralisations qui s’opèrent et qui représentent des objets isolés réunis sur la

base de leurs liaisons non exclusivement subjectives mais comportant également des liaisons

objectives. (Exemples tirés de notre corpus, le mot danse associé au mot mouvement ou au

mot vêtement). Il y aurait une certaine imprécision du contour « illimité » (Vygotsy, 1985) de

ces complexes. Cette imprécision est due au fait d’expériences variées que vivent ces enfants.

L’enfant met l’accent sur les similarités entre les objets et les situations et néglige les

différences. D’autre part « les lignes le long desquelles se développe un ensemble complexe

sont prédéterminés par le sens qu’un mot possède déjà dans le langage des adultes »

(Vygotsky, 1962, p. 67).

La compréhension du langage adulte est d’ailleurs rendue possible par le fait qu’à cette

période, les jeunes font correspondre un message, son sens et le référent auquel il renvoie

(Beaudichon, 1982) et ils sont alors également capables d’organiser de façon autonome un

discours.

Ainsi, tout au long du développement, les interactions adultes enfants sont essentielles pour la

compréhension progressive des mots et la transmission sociale des connaissances. L’adulte

donne à l’enfant les moyens de dépasser ses possibilités du moment. Vygotsky, (op. cit.),

parle de « zone proximale de développement » pour exprimer l’importance des relations

sociales dans la marge de progression d’un enfant. En effet, les relations avec les pairs

prennent également une dimension particulière, notamment lorsqu’elles font l’objet d’un

conflit sociocognitif. Elles sont alors susceptibles d’accélérer l’accès aux opérations

cognitives supérieures (Doise & Mugny, 1997), et donc, par incidence, de faire progresser le

langage.

Même, si les structures cognitives semblent premières, lors de l’acquisition du langage, nous

pouvons alors parler de l’importance d’une régulation sociale.

En conclusion, cette période qui correspond à l’âge de 10 ans est une réelle étape pour la

communication avec autrui et elle assure le cheminement vers d’autres acquis.

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Tableau 3 : Amélioration du langage à partir de 6 ans ; 10 ans une étape concernan

l’acquisition du langage

SYNTAXE SEMANTIQUE

6, 7, 8, 9 ans

Amélioration des

acquis des âges

antérieurs

Compréhension des mots

s’appuyant sur une logique

concrète (Piaget)

A partir de 10 ans

Maîtrise des phrases

passives

Distinction actant, acté

Début de la pensée par

complexes (Vygotski)

3. Langage et pensée conceptuelle

3.1. Le point de vue de Vygotsky

Pour cet auteur (op. cit.), la formation d’un concept apparaît vers l’adolescence quand

l’enfant est capable de combiner différentes caractéristiques propres aux objets ou aux

situations. L’environnement est alors considéré en termes de synthèse et d’analyse. Tout au

long de ce processus de développement mental, le langage a servi d’outil, de médiateur pour

l’activité de pensée. Mais ceci s’inscrit dans un cadre culturel plus large où, en permanence, il

y aurait une régulation verbale du comportement. Vygotsky met en avant l’aspect décisif de la

culture linguistique dans laquelle un enfant est élevé pour l’orientation et l’étendue de son

développement intellectuel, ceci en accord avec sa vision marxiste de l’environnement social.

3.2. Le stade formel dans la perspective piagétienne et ses influences sur le langage.

En dehors du fait qu’en se développant les jeunes augmentent leurs possibilités lexicales, ces

nouvelles performances sont cognitives et sémantiques. Cognitives au sens où un mot peut

être connu sans que lui soit attribué réellement un sens. Cependant, pour Levelt, (2000), ceci

n’est guère possible, la production orale ou écrite nécessite l’activation d’un double système

cognitif et sémantique. Produire le mot danse a donc nécessairement une signification quel

que soit l’âge.

A partir de 11 ou 12 ans se dessine la dernière phase de construction des opérations de

l’intelligence, le palier d’équilibre étant atteint vers quatorze, quinze ans, (Piaget, 1966). Le

raisonnement hypothético-déductif donne la possibilité de dépasser les analyses sur les objets

en termes de relations (classes et séries), leur dénombrement et leur représentation immédiate,

comme c’était le cas au stade des opérations concrètes.

L’adolescent va pouvoir opérer des déductions à partir des hypothèses énoncées verbalement.

Le jeune va passer d’une logique inductive, qui consiste à s’appuyer sur des éléments

particuliers pour en déduire une règle plus générale (par exemple : « la danse c’est pour les

filles donc toutes les danses sont pour les filles ») à une logique déductive, forme de

raisonnement qui part du général et débouche sur le particulier (si tout le monde fait de la

danse, alors les garçons peuvent en faire). Le raisonnement s’enrichit donc des opérations

propositionnelles (si….alors).

La maîtrise des opérations combinatoires donne une souplesse de points de vue qui se

retrouve dans les stades de la morale exposés par Kohlberg (1964). L’adolescent se rend

compte qu’il existe différents points de vue, et que les valeurs sont relatives. Cette faculté de

relativiser se retrouve au niveau du vocabulaire employé. En effet, nous pouvons noter, dans

cette période, la faculté de jouer à inventer des mots ou à inverser les lettres dans les mots

(verlan, vocabulaire fortement prisé chez les danseurs de hip hop) et ce chez tous les jeunes.

Ces relations privilégiées entre les jeunes ou dans les groupes de pairs sont aussi à l’origine

Psychologie, le développement de l’intelligence M. Nasser Ahmed Aden

eaed 11

d’une évolution plus rapide des structures cognitives (Doise & Mugny, 1981) et donc d’une

accession plus rapide à un vocabulaire plus important. Ces auteurs montrent comment les

rencontres interindividuelles conduisent au progrès cognitif dans la mesure où un conflit

sociocognitif a lieu durant l’interaction.

Le stade formel est également marqué par le fait que les jeunes acquièrent, vers 14 ans la

combinaison des jugements ou des propositions. Ceci concerne les propriétés de

l’enchaînement logique des propositions permettant d’explorer toutes les formes

d’organisation possibles à partir de situations problèmes.

L’adolescent est donc capable de faire des hypothèses, de combiner des idées, en utilisant des

affirmations, des négations, des déductions.

4. Conclusion concernant l’acquisition et le développement du langage

Si le cadre structural piagétien explique en partie la base cognitive des acquis langagiers, cette

évolution n’est possible qu’à partir d’interactions sociales précoces et entretenues par les

communications entre adultes et enfants et avec les pairs.

A partir de 9 -10 ans, les jeunes ont suffisamment d’acquis syntaxiques lexicaux et

sémantiques pour soutenir un discours de façon autonome. Vers 11 ans, de nouvelles

transformations cognitives assurent le cheminement vers des possibilités abstraites qui

émergeront à l’adolescence. Concernant cette dernière période, les progrès semblent donc être

dus à une amélioration de la syntaxe, une compréhension abstraite des concepts et une

augmentation du champ lexical. Les programmes du système éducatif mettent l’accent sur

l’amélioration de la langue écrite, le langage parlé semble être le parent pauvre des directives

concernant les apprentissages.

D’un point de vue social, le champ lexical du langage de l’adolescent est spécifique à cet âge

avec l’utilisation d’un code langagier propre aux groupes de jeunes en quête d’une identité

cherchant à s’affirmer.

Psychologie, le développement de l’intelligence M. Nasser Ahmed Aden

eaed 12

LE NOMBRE – LE CALCUL

Apprendre à compter et savoir calculer, ainsi que pouvoir lire, font partie des apprentissages

fondamentaux appelés apprentissages instrumentaux de la connaissance dans les textes

officiels du système éducatif. Néanmoins, dès son plus âge l’enfant manipule des objets. Il les

traite qualitativement (forme et couleur, fonction, etc.) et quantitativement en les dénombrant.

Le nombre est également la base des mathématiques. Opérer quantitativement sur le nombre

c’est le calcul. Ces deux activités cognitives que sont le nombre et le calcul ont fait l’objet de

recherches expérimentales comme nous l’avons déjà envisagé dans le cours précédent.

L’école Piagétienne et les courants de recherche plus récents nous indiquent l’évolution des

possibilités de raisonnements de l’enfant. Néanmoins, l’origine développementale du concept

du nombre fait l’objet d’un débat animé, et la question de savoir si les représentations

numériques du nourrisson possèdent les mêmes propriétés que celles de l’enfant plus âgé et de

l’adulte, est au coeur du débat. L’influence de Piaget est indéniable ; elle a permis aux autres

chercheurs de se positionner par rapport à lui. Pour Piaget, Indépendamment de l’usage que

l’enfant fait du nombre la notion de construction du nombre est centrale.

1. L’évolution vers la conservation du nombre

Les connaissances les plus élémentaires supposent la notion d’objet constant. Toute

connaissance suppose un système explicite ou implicite de conservation. Selon Piaget, cette

notion connaît un développement progressif qui conduit à la permanence de l’objet, la plus

primitive des conservations. En effet, un ensemble, une collection, ne sont maîtrisables que si

leur valeur totale demeure inchangée quels que soient les changements introduits dans les

rapports entre les éléments. Par exemple, un nombre n’est intelligible que dans la mesure où il

reste identique même si la disposition des éléments qui le compose change. Si j’ai dans un sac

20 billes et que je les laisse tomber, elles roulent sur le sol, mais j’ai toujours 20 billes. Il est

indispensable pour l’enfant d’avoir compris intuitivement ou explicitement que le nombre est

indépendant de la position des objets. En référence à l’empirisme, s’agit-il d’une donnée

initiale, ou d’une idée innée qui s’impose dès la première prise de conscience et la première

prise de contact avec l’expérience, ceci en référence aux innéistes. Ou alors s’agit-il d’une

donnée à construire par le sujet conformément à l’optique constructiviste piagétienne ? Afin

de montrer que le nombre n’est pas plus une donnée innée que celle de l’objet, de longueur,

de poids ou de volume, Piaget a mis en place les expériences dites de conservation du

nombre. L’enfant est disposé devant une rangée de jetons et on lui demande d’en disposer «

autant » sur une rangée au dessous.

Piaget distingue alors trois stades :

1er stade

L’enfant se borne à essayer de reproduire la rangée « modèle », mais faute de savoir analyser,

la copie reste globale et approximative. La rangée linéaire n’est évaluée que par sa longueur

totale indépendamment du nombre de jetons. « Autant » signifie ici pour l’enfant une ligne de

jetons semblable à celle qui est présentée.

2ème stade

A ce stade, l’enfant est capable de reproduire la disposition et le nombre de jetons. Il peut

faire une correspondance terme à terme. Il coordonne longueur et densité. Cependant, ce

progrès n’est que partiel. Il suffit de déplacer quelques jetons, par exemple, si on resserre les

jetons de la rangée du dessous, l’enfant qui pourtant semble savoir compter (maîtrise de la

chaîne numérique verbale), pense qu’il y en a plus en haut.

Les enfants de façon intuitive voient une figure globalement différente. Il n’y a qu’une seule

sorte de coordination possible celle de la figure dans son ensemble. L’enfant admet cependant

que l’on peut retrouver cette forme initiale à partir de la forme changée. Il envisage donc, lors

Psychologie, le développement de l’intelligence M. Nasser Ahmed Aden

eaed 13

de ce deuxième stade, un retour au point de départ ; ce que les enfants du premier stade

n’admettent pas.

3ème stade

L’enfant constate qu’il y a toujours autant de jetons dans les deux rangées, même si les jetons

ne sont plus en correspondance spatiale. Il a alors construit la conservation du nombre. Celle-

ci apparaît aux alentours de 7 ans.

Selon Piaget, l’acquisition de la conservation s’acquiert quand l’enfant peut coordonner la

longueur et la densité. L’enfant comprend que si la longueur est plus importante, les jetons

sont moins serrés et inversement si les jetons sont écartés. Il y a possibilité de refaire le

maniement inverse : plus serré, moins serré. La pensée opératoire est alors présente et se

manifeste par un dynamisme que l’on retrouve dans les processus d’inclusion et de sériation

des objets nécessaires à la compréhension du nombre.

2. Les critiques des épreuves de conservation

Plusieurs aspects de la méthode piagétienne donne lieu à des critiques. Piaget demande aux

enfants de répéter leurs réponses et dans certains paradigmes de se justifier. Il lui semble

nécessaire que les réponses soient justifiées afin de comprendre le raisonnement des jeunes.

La performance à l’épreuve n’est donc pas le seul élément pris en compte ici. Cela est en

opposition avec ce qui se fait dans les approches contemporaines. Cette méthode et le fait que

l’enfant sache compter induisent des critiques très précises.

Il est possible que la tâche perturbe les sujets dans la mesure où, dans certains paradigmes on

pose deux fois la même question à l’enfant. Il lui est demandé s’il y a autant de jetons avant

de transformer une des deux rangées, puis la même question est reposée après la

transformation. Or, sur le plan pragmatique, lorsqu’une question est répétée, c’est en général

parce que la première réponse était fausse. Par ailleurs, dans l’expérience de Mc Carrigle et

Donaldson (1974), c’est un vilain petit ours en peluche qui déforme la rangée inférieure et

non l’expérimentateur. Les résultats sont alors nettement meilleurs. Mais une autre expérience

fait que l’ours enlève subrepticement enlève un jeton (Moore et Frye, 1986). Dans les deux

cas les enfants de 5 ans répondent « il y a toujours pareil ». Ceci affaiblit le résultat de Mc

Carridge et Donaldson mais ne détruit pas complètement la possibilité d’un effet de la double

question. Dans l’expérience de Rose et Blank (1974), il est montré que lorsque l’enfant est

questionné qu’une fois après la transformation de la rangée les résultats sont meilleurs.

Toutefois, l’amélioration ne se produit que pour l’amélioration du nombre ! Effectivement,

Neilson fait remarquer que la conservation du nombre est la seule tâche où peut s’opérer un

contrôle direct de l’égalité des quantités, car il suffit de compter.

Plus récemment Houdé (2005) pense que l’enfant sait compter dès son plus jeune âge (cf. le

document précédent p.54, chapitre : l’erreur du nombre). Il s’agit davantage d’un biais

perceptif par rapport à la prégnance de la longueur. Les enfants ont du mal à inhiber le fait

que la longueur varie et pour eux le nombre n’est alors lus le même. Ce biais perceptif existe

également chez l’adulte.

3. Savoir compter

3.1. La chaîne numérique verbale

Les enfants jouent très tôt à compter, c'est-à-dire réciter la chaîne verbale (« je sais compter

jusqu’à… »). L’environnement proche de l’enfant s’attache à cet acquis relativement simple à

mémoriser. Cette chaîne s’acquiert entre 2 et 6 ans. Dans un premier temps, les enfants

apprennent par coeur une suite de nombres (de mots). Puis dans un second temps cette suite

est décomposée en entités qui seront mis en relation. Ces entités sont apprises en trois parties.

On distingue une partie stable conventionnelle, qui est correcte et qui se retrouve à chaque

essai, puis une deuxième partie que l’enfant produit à chaque essai mais qui est incorrecte et

Psychologie, le développement de l’intelligence M. Nasser Ahmed Aden

eaed 14

enfin une partie qui change à chaque essai et termine la liste produite par l’enfant. En

moyenne, un enfant de 4 ans sait compter jusqu’ à 15 ou 20, un enfant de 5 ans jusqu’à 40,

avec une grande variabilité autour de ces moyennes. La représentation de la suite de nombre

s’élabore progressivement entre 4 et 7/8 ans. On retrouve 5 niveaux décris par Fuson. Le

niveau « chapelet » (l’enfant n’identifie pas d’unités distinctes « undetroiquatrecinq »), le

niveau « chaîne insécable (les mots sont séparés mais la séquence ne peut être récitée qu’à

partir du début), le niveau « chaîne sécable » (l’enfant peut commencer n’importe où), le

niveau « chaîne numérique » (les noms des nombres deviennent des unités rendant possibles

comptage et comparaison), et enfin le niveau « chaîne bidirectionnelle » qui apparaît assez

tard (compter à rebours à partir de 20).

3.2. Le dénombrement

En ce qui concerne le dénombrement. On parle de dénombrement lorsque la suite numérique

verbale est mise en correspondance avec chaque élément d’une collection en vue de

déterminer le cardinal de celle-ci. Selon Gelman et Gallistel (1978) cinq principes implicites

sous-tendraient le dénombrement.

Le principe de correspondance terme à terme, selon lequel une étiquette verbale

(un nom de nombre) ne peut être attribuée qu’à un et un seul objet (on ne peut

pas compter deux fois le même objet ou omettre d’en compter un).

Le principe de l’ordre conventionnel suivant lequel les noms de nombre doivent

être émis dans un ordre identique et conventionnel.

Le principe de cardinalité qui indique que, lorsque l’activité de dénombrement est

terminée, le dernier terme fourni correspond au cardinal de l’ensemble.

Le principe d’abstraction qui signifie que le caractère homogène ou hétérogène

des collections n’a aucune incidence sur l’activité de comptage et son résultat.

Le principe de non pertinence de l’ordre qui correspond au fait que le résultat du

dénombrement est identique quelque soit l’ordre dans lequel les éléments de

l’ensemble à compter ont été sélectionnés.

Chez les petits, le dénombrement se fait à l’aide du pointage un à un des différents objets.

L’enfant a ainsi une trace rapide de son activité et il voit ainsi ce qui est compté ou non

compté. Au départ, les objets sont comptés un à un puis d’autres stratégies apparaissent au

cours du développement. Vers 7 ans, des stratégies de comptage n par n, en fonction de

l’organisation spatiale des items de la collection (e.g. comptage par deux si les éléments se

présentent par pairs) ou encore addition des cardinaux des différents sous-groupes d’objets.

Vers 11 ans, cette dernière stratégie serait utilisée dans plus de 20% des cas et dans 50% des

cas vers 13 ans (Camos, 2005). Les stratégies de dénombrement sont donc variables selon

l’âge et selon les tâches.

4. Le modèle de variabilité de Siegler

Qu’ils s’agissent d’additions, de soustractions ou de multiplications, le modèle théorique qui

rend le mieux compte de la complexité du développement numérique chez l’enfant d’âge

préscolaire et scolaire est celui de Robert Siegler (Carnegiemellon University). Il pense que le

raisonnement correspond à des vagues qui se chevauchent, et non un développement en

marche d’escalier comme le décrit Piaget. Chaque stratégie est à l’image d’une vague ou de

plusieurs vagues qui approchent du rivage. Cela correspond à des variations et sélections de

stratégies. A propos de la résolution d’opérations arithmétiques, par exemple : 3+4, plusieurs

stratégies sont possibles :

partir de 3 et compter 1,2,3,4, c’est la première stratégie utilisée pour les enfants

du

CP, c’est le comptage vers la somme appelé : sum,

ou ils partent de 4 et compte 1,2,3, c’est la stratégie appelée minimum : mim,

Psychologie, le développement de l’intelligence M. Nasser Ahmed Aden

eaed 15

ou ils font 3+3 = 6+1, ce sont les enfants les plus avancés, souvent ce sont les

enfants du CM1 ; il s’agit ici de la décomposition,

ou bien ils peuvent faire 4+4 = 8-1,

ou encore : 4+3=7, c’est la stratégie de récupération des réponses en mémoires,

c'est-à-dire avoir mémorisé que 4 et 3 font 7.

Ces différentes possibilités, peuvent rentrer en compétition et correspondent en fait à

l’évolution habituelle des stratégies utilisées au cours du développement. Chaque fois qu’un

résultat est obtenu par une stratégie (mim, sum, etc.) celui-ci est associé en mémoire avec les

opérandes (chiffres servant à l’opération) qui ont permis de l’obtenir (2 et 4 seraient associés à

6). Les associations seraient renforcées à chaque comptage et peuvent être ainsi récupérées.

On retrouve le même processus pour la soustraction et la multiplication voire la division qui

sont des opérations largement « récupérées ». Les adultes aussi utiliseraient diverses stratégies

pour l’addition comme pour la multiplication.

Ces habiletés numériques peuvent se faire tout haut, tout bas, avec ou sans les doigts. Selon

Geary et al. (1993), les enfants américains comptent souvent sur leurs doigts alors que les

enfants chinois comptent dans leur tête.

Ce modèle de variation/sélection de stratégies a été simulé et testé sur ordinateur. Outre

l’arithmétique, Siegler en a illustré le bien fondé pour diverses acquisitions de l’enfant

comme la capacité à lire l’heure, la lecture, l’orthographe, etc.

Siegler propose de prendre en compte cette variabilité de stratégies dans l’apprentissage. Cette

variabilité pourrait être un moteur important dans le développement. Permettre la variabilité

procure des occasions d’apprendre quelle stratégie est la mieux appropriée pour résoudre un

problème donné. Après avoir renforcé l’utilisation d’une stratégie, il est ensuite possible d’en

découvrir de nouvelles. Pour chaque problème, il y a stockage des informations sur la vitesse

et l’efficacité relative des diverses stratégies disponibles. Le sujet utilise fréquemment des

stratégies de rechange comme mim et sum. Les additions les plus fréquentes (celles ayant de

petits opérandes) seraient ainsi plus fréquemment récupérées que les autres. Toutefois,

concernant les décompositions par 10, par exemple, pourraient continuer à être utilisées parce

que plus efficaces.

5. Les conditions de résolutions de problèmes

Afin de résoudre un problème, l’enfant construit au préalable une représentation du problème.

Cette représentation est une construction circonstancielle qui relève d’une activité de

compréhension. Elle attribue des significations aux éléments du problème et fait intervenir

des connaissances générales et des informations spécifiques, pour aboutir à une construction

cohérente de la situation problème.

Il s’agit en fait d’un schéma, qui est une sorte de cadre général avec des variables, il contient

également les procédures à appliquer.

Devidal, Fayol et Barouillet (1996) ont exploré le fonctionnement de ces schémas. Ils ont

ainsi montré que :

lorsque la question est placée au début du texte, le taux de réponses correctes

augmente (le schéma est activé),

la question est alors lue plus lentement qu’à la fin ; les segments numériques sont

lus plus lentement car l’enfant commence déjà les calculs.

Mais ce schéma ne se retrouve pas tout à fait comme cela quand il s’agit d’une situation

problème inhabituelle. Il est alors nécessaire de construire une structure de relations cohérente

compatible avec les données. Il s’agit d’un modèle mental ou un modèle de situation. Il faut

alors ensuite élaborer une stratégie de résolution du problème à partir de cette représentation.

Ce processus est coûteux sur le plan cognitif. Dans un problème difficile, en général, on a

Psychologie, le développement de l’intelligence M. Nasser Ahmed Aden

eaed 16

tendance à isoler des sous problèmes, qu’on sait résoudre (pour lesquels on dispose de

schémas). Les schémas peuvent être ainsi appelés dans la planification d’une stratégie

d’ensemble où chaque schéma constituera un sous composant. Quand aucun schéma n’est

disponible, même pour une partie, la situation est très difficile à gérer. Construire une

représentation alors qu’aucune connaissance ne peut être récupérée peut conduire à de réelles

difficultés. Il peut y avoir alors mise en jeu d’une connaissance inappropriée conduisant à une

erreur. D’erreurs en erreurs rectifiées, la représentation prendra du temps à se construire.

Psychologie, le développement de l’intelligence M. Nasser Ahmed Aden

eaed 17

L’ACQUISITION DE LA LECTURE

Introduction

La lecture est une acquisition fondamentale qui conditionne l’intégration sociale dans les

sociétés industrialisées et alphabétisées. L’apprentissage de la lecture est régulièrement au

centre des préoccupations gouvernementales. Les nombreuses enquêtes et évaluations ainsi

que les débats autour des méthodes en témoignent. Les résultats d’enquêtes du PISA

(Programme international pour le suivi des élèves) sont surprenants : en France, 12 % des

adultes entre 18 et 65 ans sont en situation d’illettrisme. De plus, de rares études

épidémiologiques montreraient qu’environ 5% des enfants présentent des troubles de

l’acquisition de la lecture dénommés troubles dyslexiques.

En ce qui concerne l’apprentissage de la lecture et le niveau de développement d’un enfant, le

test du WISC (Test cognitif de Weschler) serait le plus à même de représenter un niveau de

lecture par rapport à un niveau de développement. En effet, des recherches conduites chez

l’enfant, « tout venant » montrent que les performances en lecture et au WISC sont corrélées

positivement et significativement (Share & Silva, 2003 ; Shaywitz, Holford, Holahan,

Fletcher, Stuebing, Francis & Shaywitz, 1995). Toutefois, ces études corrélationnelles ne

permettent pas de déterminer précisément si c’est le niveau mental qui est responsable du

niveau de lecture ou si c’est un effet de « retour » de l’acquisition de la lecture. Effectivement

un certain nombre d’études constatent qu’il n’existe apparemment pas de relation, au moins

directe, entre le niveau d’intelligence des enfants et leur niveau de réussite en lecture.

Romeno et Gimenez (2000) montrent qu’un faible QI ne s’accompagne pas systématiquement

d’un mauvais niveau de lecture.

Si lire, c’est « trouver du sens », l’identification sûre et rapide des mots est une compétence

incontournable pour apprendre à lire. Il est important de constater que la capacité de lire à

haute voix des mots isolés au CP permet de prédire la capacité de comprendre des textes

simples au CE2. Cependant, l’inverse ne se vérifie pas.

1. L’apprentissage du code

1.1. Les compétences nécessaires

La lecture relève d’un véritable apprentissage. En cela elle diffère des connaissances

numériques qui comportent un réel développement. Apprendre à lire n’est pas naturel, il est

nécessaire qu’il y ait une aide extérieure. Pour apprendre à lire, il faut nécessairement

apprendre comment fonctionne le code de l’écrit et comprendre le principe des mécanismes

qui relient les unités graphiques aux unités phoniques. Le français est une écriture

alphabétique. Le principe fondamental d’un système alphabétique consiste à coder les sons

des mots parlés à l’aide de symboles que sont les lettres. Ainsi le mot parlé /lak/ se représente

à l’écrit avec la séquence de lettres « lac ». L’apprenti lecteur doit donc d’abord comprendre

le principe alphabétique et donc développer à la fois une connaissance des lettres de

l’alphabet et des compétences phonologiques particulières (la conscience phonologique). Ce

qui n’est pas toujours simple, en effet, le phonème /o/ est transcris par plusieurs graphèmes :

o, au, eau. Certains phonèmes sont toujours transcris par le même graphème, par exemple le

graphème /t/. L’apprentissage de la lecture passe par cette procédure sublexicale qui consiste

à traduire la séquence de lettres du mot lu en une séquence de sons qui correspondent à ces

lettres en utilisant les correspondances graphèmes-phonèmes. Il y a donc activation de la

représentation phonologique du mot lu qui permet l’activation de la représentation

sémantique, stockée dans son lexique oral. L’acquisition de la lecture dépend, en partie, de la

qualité des représentations phonologiques des mots parlés. L’apprentissage de la lecture

requiert également une analyse correcte de l’ensemble de la séquence visuelle que constitue le

mot écrit à identifier. L’efficacité de cette analyse visuelle dépendrait de l’empan visuo-

Psychologie, le développement de l’intelligence M. Nasser Ahmed Aden

eaed 18

attentionnel, c'est-à-dire de la quantité de lettres distinctes pouvant être traitées en parallèle

lors d’une fixation. Cette analyse demande également des capacités de focalisation

attentionnelle sur les unités orthographiques pertinentes.

Par ailleurs, la connaissance du nom des lettres (McBride-Chang, 1999) ou les capacités de

dénomination rapide (Compton, 2003) sont également des aptitudes nécessaires fortement

corrélées à l’apprentissage de la lecture. Toutefois, la nature précise de leur intervention reste

discutée.

1.2. La conscience phonologique

Il s’agit d’identifier les composants phonologiques des unités linguistiques et de les manipuler

intentionnellement (Gombert, 1990 ; Gombert, & Colé, 2000). Ces unités renvoient à des

segments sans signification tels que les syllabes et les phonèmes mais également à des unités

infra syllabiques entre la syllabe et le phonème. La capacité à segmenter le mot en ses unités

les plus élémentaires s’avère indispensable pour que l’enfant soit en mesure de découvrir les

correspondances grapho-phonémiques. La conscience syllabique se développe autour de 4

ans. La conscience phonémique (identification des phonèmes) à l’intérieur des mots parlés est

concomitante à l’apprentissage de la lecture. Elle demande un degré d’abstraction un peu plus

important. En effet, ceci nécessite l’attention de l’enfant sur des unités du langage parlé

difficilement perceptibles à l’oral pour des raisons de co-articulation. En effet, les phonèmes

ne sont pas prononcés les uns à la suite des autres mais en un seul geste articulatoire à

l’intérieur de la syllabe et du mot. Par exemple le mot « marteau » n’est pas prononcé

/m+a+r+t+o/ mais /mar/+/to/. Ce phénomène rend difficile l’identification consciente des

phonèmes. En conséquence, les enfants n’atteignent un niveau satisfaisant de performances à

des tâches mesurant leur conscience phonémique qu’aux environs de 6 ans (Alegria, Pignot,

& Morais, 1982). Ce qui correspond à l’âge où ils apprennent à lire. Retenons que la

conscience phonémique est un facteur important dans l’apprentissage de la lecture.

1.3. La dénomination rapide

Les épreuves de dénomination rapide ont pour but de tester la précision et la rapidité d’accès

au lexique d’items très fréquents, mais aussi pour des lettres et des chiffres, c'est-à-dire des

stimuli alphanumériques. La réussite à ces tests est reliée à l’acquisition aisée de

l’apprentissage de la lecture (Manis, Doi & Bhadha, 2000). Mais, la question cruciale reste

d’identifier les mécanismes cognitifs sous jacents à la dénomination rapide qui sont également

impliqués dans l’acquisition de la lecture. Torgessen et al. (1997) pensent que la

dénomination rapide met essentiellement en jeu des traitements phonologiques. D’autres

chercheurs considèrent que l’épreuve de dénomination rapide mesure la vitesse de traitement

et requiert l’intégration de processus visuels de bas niveau et de processus cognitifs et

linguistiques de haut niveau. Celle-ci impliquerait donc des processus cognitifs spécifiques,

reliés à la lecture mais distincts des processus phonologiques.

1.4. La connaissance des lettres

La logique de ce système d’écriture alphabétique est de représenter les sons des mots parlés à

l’aide de symboles visuels que sont les lettres. Connaître les lettres, c’est les identifier

visuellement (majuscule et minuscule) mais aussi savoir leur nom et le son qui leur

correspond. L’impact de la connaissance du nom des lettres dans le processus d’acquisition de

la lecture a moins largement retenu l’attention des chercheurs (Foulin, 2005). Pourtant les

recherches montrent que cette connaissance constitue un excellent élément pour prédire la

réussite en lecture (McBride-Chang, 1999). Cela permettrait également, lors de la première

année d’apprentissage de lecture, d’apprendre plus facilement l’orthographe simplifiée des

mots dans laquelle certaines lettres correspondent à leur nom. En fait la connaissance des

lettres faciliterait l’apprentissage du son des lettres. Le nom d’une lettre est connu avant le son

(Blatchford & Plewis, 1990). L’extraction du son des lettres, à partir de leur nom suppose des

compétences phonémiques.

Psychologie, le développement de l’intelligence M. Nasser Ahmed Aden

eaed 19

1.5. Les capacités visuo-attentionnelles

Une étude a porté sur les liens entre empan visuo attentionnel (cf la définition plus haut) et

apprentissage de la lecture dans le cadre d’une étude transversale conduite auprès de 417

enfants français de primaire scolarisés en CP, CE2 et CM2. Les résultats ont montré que

l’empan visuo attentionnel contribue à la performance de la lecture indépendamment des

capacités méta phonologiques des enfants et également indépendamment des autres aptitudes

mesurées (QI, mémoire verbale à court terme ou capacités d’identification de lettres isolées).

Par ailleurs cet empan contribue à la facilité de l’apprentissage dès la première année

d’enseignement explicite de la lecture. Les capacités visuo attentionnelles sont en outre

fortement reliées à la vitesse de lecture. Cette étude confirme également le rôle des aptitudes

méta phonologiques.

2. Les deux procédures d’identification des mots

Les modèles « doubles voies » (Colheart et al. 2001) postulent qu’un mot écrit est reconnu à

l’aide des deux procédures de lecture que sont : la procédure sublexicale et la procédure

lexicale. Cependant les modèles connexionnistes qui ne postulent qu’une procédure de lecture

concurrencent ce modèle. Néanmoins le modèle « doubles voies » et son évaluation

diagnostique sont encore défendus récemment par des auteurs comme Sprenger et al. (2005).

2.1. La procédure sublexicale

La mise en œuvre de la procédure sublexicale (graphophonologique) et son utilisation peuvent

être évaluées dans le cas de la lecture à haute voix par l’obtention d’un effet de régularité de

mots. Les mots réguliers comme le mot tomate sont lus avec plus de précision que les mots

irréguliers comme celui d’album. Les apprentis lecteurs utilisent principalement cette

procédure pour lire les mots et appliquent les correspondances graphème phonèmes

(Sprenger-Charolees et al.).

2.2. De la procédure sublexicale à la procédure lexicale

Cette procédure est liée à l’élaboration d’un lexique orthographique mais ce dernier dépend au

moins en partie du fonctionnement de la procédure sublexicale. Si ces deux procédures sont

liées, la dernière semble constituer le mécanisme accélérateur de l’apprentissage de la lecture.

C’est à la fin de la première année d’apprentissage que la procédure lexicale se met en place

(Bowey & Muller, 2005) via l’établissement d’un lexique orthographique pour les mots

réguliers et fréquemment utilisés dans un premier temps. La lecture de pseudomots (ratibule)

au milieu du CP est un bon prédicteur de la lecture de mots irréguliers (femme) à la fin du CP,

alors que la lecture de mots irréguliers au milieu du CP n’est pas prédictrice de la lecture de

pseudomots à la fin du CP. Ainsi la constitution du lexique orthographique dépend plus d’un

bon décodage graphophonologique que de l’apprentissage direct de la forme phonologique

des mots écrits.

2.3. L’utilisation des analogies

Utiliser des analogies entre mots joue un rôle essentiel en début d’apprentissage (Goswani,

2004). Pour lire à haute voix des mots qu’il n’a jamais vus, l’enfant utiliserait les

connaissances déjà acquises sur la façon dont se prononcent certains autres mots qu’il connaît

et qui ressemblent aux mots inconnus. Prenons l’exemple du mot « chien », l’enfant qui sait

lire ce mot reporterait cette « rime » pour lire des mots comme « lien » ou « rien ».

2.4. Conclusion

La procédure sublexicale ou graphophonologique est nécessaire à la mise place de la

procédure lexicale ou orthographique qui se met en place dès le CP à partir des mots les plus

fréquents.

Psychologie, le développement de l’intelligence M. Nasser Ahmed Aden

eaed 20

3. Deux facteurs de réussite

En conséquence de ce qui vient d’être vu et à la suite d’autres recherches comme celle de

Braibant et Gérard (1996) ainsi que celle de Goigoux (2000), les études indiquent le chemin

de la réussite pour l’apprentissage de la lecture. En effet, un enseignement systématique des

correspondances (décodage grapho-phonétique) en première année d’apprentissage est plus

efficace qu’une méthode idéovisuelle souvent appelée méthode globale. Cette aptitude au

décodage serait le seul prédicateur fort de performance en lecture.

Le deuxième facteur de réussite serait d’assurer le moment de l’automatisation de

l’identification des mots écrits. Ainsi, une partie de la capacité de traitement pourra être

orientée vers la compréhension de phrases ou de textes (Ehri & Wilce, 1983).

4. Les troubles d’apprentissage de la lecture

Il est nécessaire de distinguer parmi les enfants faibles lecteurs ceux qui présentent de simples

difficultés de lecture (retard simple) et ceux dont les faibles compétences en lecture résultent

d’un trouble cognitif spécifique comme les enfants dyslexiques. Pour les premiers les causes

de difficultés sont multifactorielles. Ces causes sont essentiellement environnementales

(familiales ou scolaires) et rendent l’apprentissage de la lecture problématique. Une approche

éducative et pédagogique adaptée (travail sur le sens de l’écrit, motivation, révision des bases

sublexicales et lexicales) permet d’améliorer assez rapidement les performances de l’enfant.

Pour les seconds, les dysfonctionnements de l’apprentissage peuvent venir du

dysfonctionnement de certains mécanismes de traitement de l’information et notamment de

l’information phonologique, comme c’est le cas pour la dyslexie. Plus précisément, il s’agirait

de la difficulté à segmenter la suite sonore en phonèmes et à identifier ces phonèmes. Ces

troubles sont strictement limitées à la lecture, chez des enfants qui sont par ailleurs

d’intelligence normale, sans troubles socio-affectifs apparents et de milieu social non

défavorisé. Cela concernerait 3 à 6 % des gens. Dans une revue portant sur les corrélats

neurophysiologiques du trouble, Démonet et al. (2004) mentionnent que trois régions

cérébrales de l’hémisphère gauche ont été systématiquement décrites comme présentant un

fonctionnement atypique chez les individus dyslexiques. L’origine génétique du trouble est

largement établie (Ramus, 2006). La population dyslexique a pour caractéristique d’être très

hétérogène. Certains auteurs distinguent deux types de dyslexie : d’une part des dyslexies

phonologiques, d’autre part des dyslexies orthographiques. L’anomalie portant sur les

capacités phonologiques serait relativement durable. Les sujets compenseraient alors leur

déficit par un usage de stratégies visuelles. Dans la seconde forme de dyslexie, les sujets

auraient un handicap dans le traitement orthographique, se révélant par des erreurs de

régularisation de mots irréguliers et par de mauvais choix dans les mots homophones (e.g.

vert et verre).

Un autre trouble assez rare peut se rencontrer : l’hyperlexie. Le sujet présente une lecture à

haute voix apparemment aisée et harmonieuse liée à un trouble profond de la compréhension.

Enfin, tous les enfants présentant des troubles d’apprentissage de la lecture ne sont pas

dyslexiques. Pour la plupart de ces enfants, le fonctionnement intellectuel peut être perturbé

par des facteurs environnementaux. Répétons que les connaissances faisant le plus défaut aux

faibles lecteurs sont souvent en premier lieu les compétences méta phonologiques ensuite les

compétences méta syntaxiques.

Psychologie, le développement de l’intelligence M. Nasser Ahmed Aden

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Bibliographie principale

Barrouillet, P. (2006 - 2007). Cours psychologie de l’enfant et de l’adolescent.

CFOAD – Dijon.

Blaye, A., Lemaire, P. (2007). Psychologie du développement cognitif de l’enfant. De

Boeck.

Houdé, O. (2005). La psychologie de l’enfant. PUF.

Houdé, O. (2006). 10 leçons de psychologie. PUF.

Siegler, R. Intelligence et développement de l’enfant. De Boeck.

Sites relatifs au développement numérique

http://math.nmijyu.fi/numbra

http://evace26.education.gouv.fr

http://educ-eval.education.fr/pisa.2003.htm

Sites relatifs au développement de la lecture

http://educ-eval.education.fr/pisa2003.htm

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http://unpc.univ-lyon2.fr/lete/manulex/Manulex.htm//wwwlexique.org/

http://www.education.gouv.fr//cid2562/observation-national-lecture-html