Henry Hazlitt Economie Politique en Une Lecon

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  • 8/3/2019 Henry Hazlitt Economie Politique en Une Lecon

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    L'conomie politique

    en une leonditions SPID (1949)

    parHenry Hazlitt

    traduit par Mme Gatan Pirou

    Version complte et en ligne du livre.

    Il s'agit de la traduction en franais (SPID, 353 pages), parue en 1949, de l'ouvrage Economics inOne Lesson dont la premire dition date de 1946, et qui a subi quelques modifications en 1978(une version en a t publie par Laissez Faire Books en 1996, avec une prface de Steve Forbes).

    La nouvelle prface de Hazlitt, le chapitre sur le gel des loyers, le chapitre final sur la situation trente ans aprs et la note sur les livres, qui datent de 1978, ont t ajouts, ainsi que quelquesautres ajouts de 1978 (de faon non exhaustive).

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    Prface la nouvelle dition (1978)

    Prface l'dition franaise

    Introduction

    Premire partie La leonChapitre premier La leon

    Deuxime partie Les applications de la leonChapitre II La vitre brise

    Chapitre III Les bienfaits de la destruction

    Chapitre IV Pas de travaux publics sans impts

    Chapitre V Les impts dcouragent la production

    Chapitre VI Le crdit fait dvier la productionChapitre VII La machine maudite

    Chapitre VIII Le partage des emplois

    Chapitre IX Dmobilisation militaire et bureaucratique

    Chapitre X La superstition du "plein emploi"

    Chapitre XI Quels sont ceux que protgent les droits de douane ?

    Chapitre XII La chasse aux exportations

    Chapitre XIII La "parit" des prix

    Chapitre XIV Sauvons l'industrie X !

    Chapitre XV Le fonctionnement du systme des prix

    Chapitre XVI La stabilisation des prix

    Chapitre XVII Le contrle des prix par l'tat

    [Chapitre XVIII] Les rsultats du contrle des loyers

    Chapitre XVIII [Chapitre XIX] Les lois sur le salaire minimum

    Chapitre XIX [XX] L'action syndicale fait-elle monter les salaires ?

    Chapitre XX [XXI] "L'ouvrier doit gagner de quoi pouvoir racheter son propre produit"Chapitre XXI [XXII] La fonction du profit

    Chapitre XXII [XXIII] Le mirage de l'inflation

    Chapitre XXIII [XXIV] L'attaque contre l'pargne

    Troisime partie La raffirmation de la leonChapitre XXIX [XXV] La raffirmation de la leon

    [Troisime partie La leon, trente ans aprs]

    [Chapitre XXVI] La leon trente ans plus tardUne note sur les livres

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    Prface la nouvelle dition

    [Cette prface a t ajoute dans l'dition de 1978. NdT]

    La premire dition de ce livre est parue en 1946. Huit traductions en ont t faites, et de

    nombreuses ditions broches [paperback] sont sorties. Dans l'une d'elle, en1961, un nouveauchapitre fut ajout sur le contrle des loyers, qui n'avait pas t envisag de manire spcifique lorsde la premire dition en dehors de la discussion sur la fixation des prix en gnral. Quelquesstatistiques et exemples servant d'illustration ont t mis jour.

    En dehors de cela, aucune modification n'avait eu lieu. La raison principale tait qu'elles nesemblaient pas ncessaires. Mon livre tait crit pour souligner les principes conomiques gnraux,et le prix payer pour les ignorer et non le mal fait par un cas particulier de la lgislation. Tandisque mes exemples taient surtout bass sur l'exprience amricaine, le type d'interventionsgouvernementales que je dplorais est devenu tellement international que je donnais de nombreuxlecteurs trangers l'impression de dcrire prcisment les politiques conomiques de leurs propres

    pays.

    Nanmoins, les trente-deux annes qui se sont coules depuis me semble rclamer une rvisionnotable. En plus de la mise jour des illustrations et des statistiques [Non toutes incorpores danscette version. HdT], j'ai crit un tout nouveau chapitre sur le contrle des loyers ; la discussion de1961 me semble aujourd'hui inadquate. Et j'ai aussi ajout un nouveau chapitre la fin du volume : La leon, trente ans aprs , pour montrer pourquoi cette leon est plus ncessaire aujourd'hui que

    jamais.

    H.H.Wilton, Connecticut

    Juin 1978

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    Prface de l'dition franaiseIl y a toujours eu deux coles en conomie politique ; celle qui explique en termes simples deschoses difficiles, et celle qui explique en termes difficiles des choses simples. La seconde donne auxignorants une impression de profondeur. Mais l'avenir appartient la premire. C'est de celle-ci quese rclame M. Hazlitt.

    Il constate dans ce livre que dans tous les grands pays industriels s'est forme et largement rpandueune doctrine conomique qui consiste essentiellement systmatiser les exigences particulires des

    principaux groupes conomiques plutt qu' lucider les intrts gnraux et permanents de lacommunaut. Syndicats patronaux, syndicats ouvriers, industriels et agriculteurs exposs laconcurrence trangre, tous rclament successivement au nom de leurs intrts limits l'interventionde l'tat. L'tat lui-mme cherche satisfaire les lecteurs des partis momentanment au pouvoir

    plutt que les besoins long terme de la masse des citoyens. Cet tat de choses s'observe dans presque toutes les nations. Il est peut-tre invitable politiquement. Et c'est l tout le drame.Toujours est-il que cette situation a suscit une trange floraison de sophismes conomiques quis'expriment peu prs dans les mmes termes dans les langues les plus diverses. Ils ont trouv

    parfois pour les dfendre des avocats de grand talent dont Maynard Keynes est de nos jours le plusuniversellement clbre.

    Ce sont ces sophismes que dnonce M. Hazlitt.Avec quelle limpide clart il en dmontre les faiblesses, le lecteur s'en apercevra en parcourant ces

    pages la fois profondes et lumineuses. Qu'il s'agisse du plein emploi , de la soi-disant nocivitde l'pargne, de la course aux exportations (associe la terreur des importations), des travaux

    publics considrs comme remde au chmage, de la fixation des prix par l'autorit, ou de l'octroid'un salaire minimum, l'auteur propos de chacun de ces slogans fait toucher du doigt lesconsquences des politiques qui s'en inspirent. Leur effet le plus vident est la restriction de la

    production, alors que seul l'accroissement de celle-ci peut favoriser le bien-tre gnral.Un des meilleurs chapitres est consacr l'pargne. Beau sujet qui depuis quinze ans sousl'impulsion de Keynes a soulev les plus confuses et les plus puriles querelles de mots. On verradgonfls de main de matre tous ces ballons qui, surtout en Angleterre et en Amrique, ont eu ungrand succs et ont fortement influenc la politique financire.

    Est-ce dire que M. Hazlitt s'oppose toute ingrence de l'tat dans la vie conomique. Il n'a pascette navet. Son admiration pour Bastiat comme crivain ne va pas jusqu' lui faire adopter toutesles thses de l'conomiste. Ce qu'il demande, c'est simplement qu'avant de lgifrer en faveur de telou tel groupe conomique, on prenne la peine de mesurer les effets des lgislations proposes sur la

    prosprit de la communaut tout entire. Il analyse ces effets avec une pertinence, une lucidit, uneconnaissance du jeu des mcanismes conomiques, qui ne manquera pas de faire rflchir toutlecteur de bonne foi.

    La guerre - on s'en apercevra vite - est absente des proccupations de M Hazlitt. Son livre est critpour les poques normales , ou si l'on veut viter ce terme par trop quivoque, pour des poques pacifies . C'est justement ce qui en fait l'intrt durable. Car les effets conomiques de la guerreet de l'aprs-guerre sont dj en train de s'estomper. La production partout s'intensifie et va prendreun nouvel essor, si aucun nouveau conflit ne se dclenche. Aprs les gmissements lgitimes sur la

    pnurie, nous allons connatre, plus tt sans doute que beaucoup ne croient, les plaintesinadmissibles sur l'abondance. Aprs les grincements de dents du consommateur, les clameurs des

    producteurs. Ce sera le moment de reprendre en main le livre de M. Hazlitt - de passer au crible sesraisonnements et ceux de ses adversaires.Certes les nombreux adorateurs de ce qu'on peut appeler la mystique confuse en conomie

    politique n'y trouveront aucun plaisir. Les autres - ceux qui croient encore la prcellence de laraison dans le domaine social comme dans les autres - seront frapps de la qualit de ses argumentset de l'lgance de ses dmonstrations. Il leur restera en tirer les consquences pratiques.

    Charles Rist, de l'Institut

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    Introduction

    Ce livre est l'analyse des illusions conomiques aujourd'hui si influentes qu'elles sont presquedevenues une nouvelle orthodoxie. Si elles n'y ont point entirement russi, c'est cause de leurscontradictions internes qui ont pour effet de diviser ceux qui en acceptaient les prmisses en une

    centaine d'coles diffrentes ; dans les questions qui touchent la vie pratique, il est impossible dese tromper tout le temps.

    Mais la diffrence entre l'une ou l'autre de ces coles nouvelles est tout simplement que la premires'aperoit un peu plus tt que la seconde des conclusions absurdes ou leur faux point de dpart les aconduites ; ce stade final de leur raisonnement, elles se trouvent alors en contradiction avec elles-mmes, soit qu'elles rpugnent renoncer leurs principes errons, soit qu'elles en tirent desconclusions moins troublantes ou moins tranges que ne l'exigerait la simple logique.

    Pourtant, l'heure actuelle, il n'est pas un gouvernement de quelque importances dont la politiqueconomique ne soit influence si ce n'est mme entirement dtermine par l'une quelconquede ces ides fausses. Le chemin le plus court et le plus sr pour comprendre sainement les

    problmes conomiques est peut-tre de procder une analyse de ces erreurs, et surtout l'analysede celle qui est la racine de toutes les autres. Tel est le but de cet ouvrage et le sens de son titreaussi ambitieux que combatif.

    Ce livre sera donc avant tout un expos. Il ne se fait gloire d'aucune originalit pour aucune desides essentielles qu'il dveloppe. Son effort est plutt de dmontrer que beaucoup des thses qui

    paraissent brillantes et neuves, ou en avance sur leur temps, sont en ralit de vieilles banalits,habilles au got du jour, ce qui confirme une fois de plus la vrit de cet antique proverbe : Ceuxqui sont ignorants du pass se condamnent par l mme le rinventer.

    On peut qualifier cet essai, l'avouerai-je sans rougir, de classique, ou de vieux jeu, ou encored'orthodoxe, du moins est-ce ainsi que le baptiseront ceux dont on analyse ici les sophismes, et sansnul doute essaieront-ils de l'touffer. Mais l'tudiant qui recherche la vrit ne se laissera pasimpressionner par de tels qualificatifs s'il n'a pas l'obsession de dcouvrir tout prix un quivalentde la bombe atomique en conomie politique. Son esprit, videmment, sera ouvert aux ides neuvescomme aux plus anciennes, mais il ne lui dplaira certainement pas de pouvoir renoncer l'effortharassant ou charlatanesque de vouloir trouver, cote que cote, du neuf ou de l'original. Comme l'aremarqu Morris R. Cohen ceux qui prennent l'habitude de rejeter les thses des penseurs qui lesont prcds ne peuvent esprer voir leurs disciples attacher quelque valeur leurs proprestravaux [1] ;.

    Et c'est parce que ce livre est surtout un travail d'exposition que, trs librement et sans le souligner,sauf par de rares notes en bas de page ou par quelques citations, je me suis permis de puiser aux

    ides des autres. Il ne peut en tre autrement lorsqu'on parcourt un domaine que tant de penseurs, etnon des moindres, ont explor avant soi. Mais ma dette envers au moins trois d'entre eux est si netteque je ne puis me permettre de la passer sous silence. La plus importante concerne le pland'exposition de ce travail dans lequel s'insre tout mon dveloppement. Je l'ai emprunt l'essai deBastiat intitul Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas , qui date dj de prs d'un sicle. On peut direque mon livre en est la prsentation moderne et qu'il est le dveloppement et la gnralisation d'unevrit dj en puissance dans l'ouvrage de Bastiat. En second lieu, je dois beaucoup Ph. Wicksteed, surtout en ce qui concerne les chapitres consacrs ici au salaire, et celui de lasynthse finale, qui s'inspirent beaucoup de son livre le Bon sens en conomie Politique. Enfin,c'est Ludwig Von Mises que j'ai fait mon troisime emprunt. Sans parler de ce que ce traitlmentaire doit en vrit tous ses crits dans leur ensemble, c'est son expos du processus de

    l'inflation montaire que je dois le plus.

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    Quand je procde l'analyse des ides fausses, j'estime qu'il est moins utile de citer des noms quede leur faire crdit, car, pour ce faire, il et fallu rendre justice chaque auteur critiqu en faisant delui des citations exactes, en tenant compte de l'accent avec lequel il prcise ou souligne tel ou tel

    point, en notant les attnuations qu'il apporte sa thse ou la justification de ses propres hsitations,contradictions et ainsi de suite. C'est pourquoi j'espre que personne ne sera trop du par l'absenceen ces pages de noms tels que ceux de Karl Marx, Thornstein Veblen, Major Douglas, Lord Keynes,

    le professeur Alvin Hansen et autres. L'objet de ce livre en effet n'est pas d'exposer lesraisonnements errons propres certains auteurs, mais ceux que l'on commet dans le public enmatire d'conomie politique en ce qu'ils ont de plus frquent, de plus rpandu et de plus grave. Lessophismes d'ailleurs, lorsqu'ils atteignent la couche populaire de l'opinion deviennent en quelquesorte anonymes. Les raisonnements subtils ou obscurs qu'on pourrait retrouver chez les auteursresponsables de leur propagation sont en quelque manire rsorbs, car une doctrine se simplifie l'usage. Le raisonnement fallacieux qui a pu tre masqu par les mailles de l'attnuation, desambiguts ou des quations mathmatiques apparat alors trs clairement.

    J'espre donc qu'on ne me fera pas le grief d'tre injuste sous prtexte que la forme sous laquellej'aurai prsent une doctrine en vogue n'est pas tout fait celle que Lord Keynes ou tout autre

    auteur lui a donne. Ce sont les doctrines auxquelles croient les groupes politiques et celles sur quoise fonde l'action du Gouvernement qui nous intressent ici, et non pas leurs origines et leursdveloppements historiques.

    Enfin je veux esprer qu'on me pardonnera de ne faire que de rares appels aux statistiques dans lecours de ce livre. Si j'avais voulu les utiliser pour essayer de renforcer ma thse en ce qui concerne

    par exemple les effets des droits de douane, la fixation des prix, l'inflation et le contrle conomiquesur les matires premires telles que le charbon, le caoutchouc, le coton, ce livre aurait pris desdimensions beaucoup plus grandes que celles que je m'tais fixes. Au surplus, en tant que

    journaliste, je suis particulirement averti de l'intrt phmre des statistiques et je sais commentelles sont rapidement dpasses par les vnements. Nous conseillons donc ceux qu'intressent les

    problmes spcifiquement conomiques de lire les discussions d'ordre pratique faites au jour le jour

    de la documentation statistique ; ils verront qu'il n'est pas difficile d'interprter celle-ci correctement la lumire des principes de base qu'ils auront appris.

    Je me suis efforc d'crire ce livre d'une manire aussi simple et aussi dgage de toute techniquequ'il se peut, sans nuire l'exactitude, de faon qu'il soit lisible mme pour un lecteur dpourvu detoute culture conomique.

    Tandis que je composais, trois de ses chapitres ont paru en articles spars, aussi ai-je le dsir deremercier leNew York Times, The American Scholaret The New Leaderde m'avoir autoris lesreproduire ici. Je remercie le Professeur Von Mises d'avoir bien voulu lire le manuscrit et m'aider deses suggestions. Mais il va de soi que je suis seul responsable des ides exprimes tout au long deces pages.

    H. H.25 mars 1946

    Note

    [1] Morris R. Cohen,Reason and Nature, 1931, p. X.

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    Premire partie La leon

    Chapitre premier La leon

    Il n'est pas de science humaine qui soit entache d'autant de sophismes que l'conomie politique. Etcela n'est pas un hasard. Les difficults qui lui sont inhrentes seraient dj immenses, mais ellessont multiplies mille fois par un facteur qui, pour d'autres disciplines telles que la physique, lesmathmatiques ou la mdecine, reste insignifiant, je veux parler de la dfense des intrts

    particuliers. Alors que chaque groupe humain a des intrts conomiques identiques ceux de sesvoisins, chacun d'eux en a aussi qui s'opposent ceux de tous les autres. Bien qu'un certaine

    politique puisse assurer le bien de tous, plus ou moins longue chance, il en est d'autres qui neservent qu'un seul groupe au dtriment de tous les autres. Le groupe qui serait ainsi favoris ytrouverait un tel intrt qu'il ne cessera de prner cette politique par des arguments plausibles ettenaces. Il paiera les avocats les meilleurs pour qu'ils consacrent tout leur temps dfendre sa thse.Finalement, ou bien ils convaincront le public du bien fond de cette thse, ou bien ils la

    brouilleront si parfaitement qu'un esprit, mme avis, ne sera plus capable d'y voir clair.

    A ces plaidoiries sans nombre en faveur de l'intrt personnel, un second facteur important s'ajoutepour rpandre chaque jour des sophismes conomiques, je veux parler de la tendance instinctive deshommes ne pouvoir considrer que les consquences immdiates d'une politique donne, ou lesconsquences qu'elle peut avoir sur un seul groupe d'intrts ou de faits, et d'en ngliger totalementles consquences lointaines, non seulement sur un groupe donn mais sur tous les autres. C'est lafuneste erreur de ne pas vouloir s'attacher tudier les consquences secondaires d'un acteconomique.

    Or c'est dans cette erreur grave ou dans cette ngligence que rside toute la diffrence entre une

    bonne et une mauvaise politique conomique. Le mauvais conomiste ne voit que ce qui frappedirectement son esprit, le bon conomiste rflchit plus avant. Le mauvais conomiste n'envisageque les consquences immdiates d'une action donne, le bon conomiste en voit aussi les effetslointains ou indirects. Le mauvais conomiste ne juge des rsultats d'une politique donne que parles effets qu'elle a exercs ou exercera sur un seul groupe particulier d'individus ou de faits ; le bonconomiste s'inquite aussi des effets qu'elle aura sur tous les autres.

    Cette distinction peut paratre vidente comme peut aussi paratre lmentaire la prcautiond'envisager toutes les consquences d'une politique donne sur tous les groupes. Mais ne savons-nous pas, tous, par exprience personnelle, qu'il existe envers soi-mme bien des indulgences qui,sur le moment, sont plaisantes, mais qui, en fin de compte, s'avrent dsastreuses ? Tous les petitsgarons ne savent-ils pas que s'ils mangent trop de bonbons, ils seront malades ? Et celui qui

    s'enivre ne sait-il pas qu'il se rveillera le lendemain avec mal au cur et mal la tte ? Le buveurne sait-il pas pertinemment qu'il perd son foie et se raccourcit la vie ? Don Juan lui-mme n'ignore

    pas qu'il court toutes sortes de risques, depuis le chantage jusqu' l'avarie ? Enfin pour poser leproblme sur un plan conomique individuel, les paresseux et les dpensiers, mme au plus fort deleur glorieuse ascension, ne savent-ils pas trs bien qu'ils se prparent un avenir de dettes et de

    pauvret ?

    Pourtant lorsqu'il s'agit d'conomie politique, on ignore ces vrits lmentaires. Et l'on voit certainsconomistes considrs pourtant comme des hommes de valeur qui pour sauver l'conomie,dconseillent l'pargne et conseillent la prodigalit sur le plan national comme tant le meilleurmoyen de sauver l'conomie en pril. Lorsque quelqu'un les met en garde contre les consquences

    possibles d'une telle politique, il s'entend rpondre cavalirement, comme pourrait le faire un filsprodigue son pre qui lui fait des observations : Mais quand cela arrivera, nous serons tous

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    morts. Et l'on prend ces creuses billeveses pour des mots d'esprit et l'on admet qu'elles sontl'image d'une sagesse exprimente.

    Or, la tragdie rside justement en ce que, ds maintenant, nous supportons les consquences de la politique d'un pass rcent ou plus ancien. Aujourd'hui est dj le lendemain que le mauvaisconomiste vous conseillait hier d'ignorer.

    Les consquences lointaines d'une politique conomique donne peuvent devenir videntes d'iciquelques mois. D'autres ne le deviendront peut-tre que d'ici quelques annes. D'autres encore peuvent mme ne se manifester qu'aprs des dizaines d'annes. Mais dans tous les cas, cesconsquences lointaines sont inclues dans la politique prsente aussi srement que la poule est nede l'uf et la fleur de la graine.

    Sous cet angle, donc, on peut condenser le contenu de toute politique conomique en une seuleleon, et cette leon peut tre rduite une seule phrase :

    L'art de la politique conomique consiste ne pas considrer uniquement l'aspect immdiat d'unproblme ou d'un acte, mais envisager ses effets plus lointains ; il consiste essentiellement considrer les consquences que cette politique peut avoir, non seulement sur un groupe d'hommes

    ou d'intrts donns, mais sur tous les groupes existants.

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    Les neuf diximes des erreurs conomiques qui causent tant de ravages dans le monde d'aujourd'huiproviennent de l'ignorance de cet axiome. Et toutes se rattachent l'une ou l'autre de ces deuxgrosses erreurs fondamentales ou au deux : l'erreur de ne considrer que les consquencesimmdiates d'un acte ou d'une proposition, ou l'erreur de ne s'attarder qu'aux consquences sur ungroupe particulier d'intrts ou d'humains, ngligeant celles qu'auront supporter tous les autres.

    Naturellement l'erreur inverse est possible. Si l'on tudie les effets d'une politique, on ne doit pass'hypnotiser uniquement sur ceux qui se produiront longue chance pour l'ensemble du pays. Les

    conomistes classiques commettaient souvent cette faute. Le sort des groupes plus proches que cettepolitique heurtait en soi ou par ses consquences, mais qui s'avrait excellente aprs un certaintemps, les laissait insensibles.

    De nos jours, on ne tombe plus dans cette erreur et ceux qui la commettent encore sont surtout desconomistes de profession. L'erreur la plus rpandue aujourd'hui et de beaucoup, celle quel'on entend sans cesse ressasser ds que l'on parle de sujets conomiques, celle qu l'on retrouve dansdes milliers de discours politiques, l'erreur fondamentale de l'conomie politique nouvelle cole ,consiste ne vouloir considrer que les consquences immdiates d'une politique sur quelquesgroupes particuliers, et ignorer ou minimiser les consquences lointaines sur l'ensemble du paystout entier. Les conomistes modernes , comparant leurs mthodes celles des conomistes

    classiques ou orthodoxes , se flattent de penser qu'ils ont ralis un grand progrs, voiremme une rvolution, en tenant compte de ces effets immdiats que ceux-ci voulaient ignorer. Maisen oubliant, ou en minimisant eux-mmes les effets plus lointains, l'erreur qu'ils commettent estcombien plus grave. Tandis qu'il s'absorbent dans cet examen prcis et minutieux de quelques-unsdes arbres de la fort, ils n'en aperoivent pas l'ensemble. Leurs mthodes et leurs conclusions sontd'ailleurs souvent typiquement dmodes et ils sont parfois surpris eux-mmes de se trouver enaccord avec les mercantilistes du XVIIe sicle. Ils retombent, en effet, dans les erreurs d'autrefois, ets'ils n'taient si peu logiques avec eux-mmes, ils retomberaient dans les erreurs mmes dont lesconomistes classiques, on pouvait l'esprer, avaient une fois pour toutes fait justice.

    3On a souvent fait cette remarque mlancolique que les mauvais conomistes prsentent leurs erreursau public avec beaucoup plus d'art que les bons conomistes ne prsentent leurs vrits. Et l'on

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    dplore souvent que les dmagogues exposent leurs btises conomiques du haut de leur estradeavec beaucoup plus de vraisemblance que l'honnte citoyen qui s'efforce dmontrer tout cequ'elles ont d'inexact. La raison de cette anomalie n'est pas mystrieuse. Elle provient de ce que lesdmagogues, comme les mauvais conomistes, ne prsentent que des demi-vrits. Il ne parlent quede la consquence immdiate d'une politique donne ou de ses effets sur un seul groupe. Il se peutqu'ils aient raison, mais dans certaines limites, et la rponse leur faire est d'ajouter et de prouver

    que la dite politique pourrait aussi avoir des consquences plus lointaines dont les effets serontmoins souhaitables, ou qu'elle ne donnerait satisfaction qu' un groupe d'individus seulement, audtriment de tous les autres.

    Il suffit donc de complter et de corriger la demi-vrit qu'ils expriment en prsentant l'autre moitidu rel. Mais pour exposer ainsi les rpercussions essentielles d'un acte donn sans en oublieraucune, il faut parfois une longue suite de raisonnements, compliqus et fastidieux. La plupart desauditeurs trouvent cela difficile suivre, leur attention s'mousse vite, l'ennui les gagne. Le mauvaisconomiste utilise alors cette faiblesse d'attention et cette paresse d'esprit en affirmant que tout celan'est que classicisme ou libralisme ou argumentation de capitalistes ou tout autre qualificatiftrompeur ; cela frappe alors les auditeurs comme autant d'arguments premptoires, et cela les

    dispense de suivre les raisonnement exposs ou de les juger selon leur mrite.

    Voil donc, en termes abstraits, comment se pose le problme de la leon que nous dsironsexposer, et les ides fausses qui font obstacle sa solution. Mais si nous ne l'illustrons pas par desexemples, nous ne le rsoudrons pas, et les ides fausses continueront cheminer sans tredmasques. Grce ces exemples, nous pourrons aller des problmes conomiques les plussimples aux plus complexes et aux plus difficiles ; grce eux nous pourrons dtecter d'abord, puisviter les sophismes les plus vidents et les plus faciles dcouvrir, enfin les plus compliqus et les

    plus fuyants. C'est ce travail que nous allons procder maintenant.

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    Deuxime partie Les applications de la leon

    Chapitre II La vitre brise

    Commenons par un exemple aussi simple que possible et prenons, l'instar de Bastiat, celui d'unevitre brise.

    Un jeune vaurien lance une brique contre la devanture d'un boulanger. Celui-ci furieux sort de sa boutique. Mais le gamin s'est enfui. La foule s'amasse et d'abord considre avec une batesatisfaction le grand trou fait dans la fentre et les morceaux de vitre qui parsment pains etgteaux. Aprs un moment, voici que nat le besoin d'un peu de rflexion philosophique. A peu prssrement, quelques personnes dans la foule se disent entre elles, ou mme disent au boulanger : Aprs tout ce petit malheur a son bon ct, cela va donner du travail au vitrier. Et, partant de l,elles commencent rflchir la question. Combien peut coter une grande glace comme celle-laujourd'hui ? 50 dollars ? C'est une somme. Mais aprs tout, s'il n'y avait jamais de carreaux casss,

    que deviendraient les vitriers ? Et partir de ce moment, la chane des raisonnements se droulesans fin. Le marchand de vitres va avoir cinquante dollars de plus dans sa poche. Il les dpenserachez d'autres marchands, et ceux-ci leur tour auront cinquante dollars dpenser chez d'autres, etainsi de suite l'infini. La vitre brise va donc ainsi devenir une source d'argent et de travail dansdes cercles sans cesse largis. Et la conclusion logique de tout ceci devrait tre si la foule voulait

    bien la tirer que le petit vaurien qui a lanc la brique, loin d'tre un danger public, fut unbienfaiteur public.

    Mais voyons un autre aspect des choses. La foule a certainement au moins raison en ce qui concernecette premire conclusion. Ce petit acte de vandalisme va certes tout d'abord apporter du travail quelque vitrier. Et le vitrier ne sera pas plus triste d'apprendre cet accident que l'entrepreneur de

    pompes funbres ne l'est d'apprendre un dcs.Mais le boutiquier, lui, va perdre cinquante dollars qu'il avait affects l'achat d'un nouveauvtement. Et puisqu'il doit faire remplacer la glace de sa vitrine, il va devoir se passer de soncomplet (ou de quelque autre objet dont il a besoin). Au lieu de possder une vitrine et cinquantedollars, il n'a plus maintenant qu'une vitrine. Ou bien il avait dcid d'acheter son vtement cetaprs-midi mme, et alors au lieu d'avoir une fentre et un vtement, il lui faut se contenter de safentre sans son vtement. Et si nous pensons lui en tant qu'lment de la socit, nous voyonsque la dite socit a perdu un nouveau vtement qui et pu tre produit et qu'elle est appauvried'autant.

    En rsum, le gain en travail du vitrier est tout bonnement la perte en travail du tailleur. Aucun

    nouveau travail n'a t cr. Les bonnes gens de la foule n'ont pens qu' deux lments duproblme : le boulanger et le vitrier. Ils n'ont pas eu conscience qu'un troisime y tait inclus : letailleur. Et ils l'ont oubli tout simplement parce que celui-ci n'est pas entr en scne. Dans un jourou deux, ils remarqueront la nouvelle vitre, mais ils ne verront jamais le beau vtement neuf, toutsimplement parce qu'il ne sera jamais fait. Ils n'aperoivent donc seulement que ce qui estimmdiatement perceptible leurs yeux.

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    Chapitre III Les bienfaits de la destruction

    Nous en avons termin avec la vitre brise. Raisonnement erron de type lmentaire. N'importequi, pourrait-on penser, serait capable de l'viter aprs quelques instants de rflexion. Il n'en estrien : sous mille dguisements, le faux raisonnement de la vitre brise est le plus persistant de tous

    dans l'histoire des ides conomiques. Il est plus vivace maintenant qu'il ne l'a jamais t dans lepass. Il est solennellement refait chaque jour par les grands capitaines d'industrie, par les gens desChambres de Commerce, par les leaders des syndicats, par les journalistes aussi bien dans l'ditorialde leurs journaux que dans leurs articles de fond, par les reporters de radio, par les statisticiens les

    plus experts, usant des techniques les plus qualifies, par les professeurs d'conomie politique,enfin, de nos meilleures universits. Dans leurs domaines varis, tous s'tendent l'envie sur lesavantages de la destruction.

    Certains esprits trouveraient indigne d'eux de soutenir que de menus actes de destruction sontsources de profit ; mais ils vont presque jusqu' voir d'inpuisables profits dans les actes dedestruction. Ils vont jusqu' nous dmontrer qu'une conomie de guerre est bien plus florissante

    qu'une conomie de paix. Ils dnombrent les miracles de la production qu'on ne peut accomplirqu'en priode de guerre. Ils entrevoient mme un monde d'aprs-guerre qui sera rendu prospregrce l'norme demande qui s'est accumule ou qui se trouve diffre.

    En Europe, ils font avec complaisance le compte des villes entires qui ont t compltement raseset qu'il faudra reconstruire . En Amrique, ils dcomptent les maisons qui n'ont pas pu tre bties

    pendant la guerre, les bas nylon qui n'ont pas pu tre tisss, les autos et les pneus usags, les radioset les glacires fatigues. Ils alignent ainsi d'impressionnantes additions.

    Ne retrouvons-nous pas ici notre vieille amie, l'ide fausse de la vitre brise, vtue de neuf,mconnaissable tant elle a grossi. Cette fois elle est taye sur tout un ensemble de sophismessimilaires. Elle fait une grave confusion entre le besoin et la demande. Plus la guerre dtruit, plus

    elle appauvrit, et plus grandit le besoin d'aprs-guerre. Cela ne fait aucun doute. Mais le besoin n'estpas la demande. La demande conomique relle ne se fonde pas seulement sur le besoin, mais sur lepouvoir d'achat correspondant. Les besoins de la Chine actuelle sont incomparablement plus grandsque ceux de l'Amrique. Mais son pouvoir d'achat, et par consquent, le mouvement de nouvellesaffaires qu'elle peut provoquer, sont incomparablement plus petits.

    Et si nous dpassons cet aspect superficiel des choses, nous avons chance de rencontrer une autreide fausse, et les vitre-brisistes gnralement la saisissent au vol et s'en emparent derechef. Ilsne pensent au pouvoir d'achat que sous forme de monnaie. Or la monnaie peut s'effondrer toute allure par le moyen de la presse billets. Et, de ce fait, tandis que j'cris ces lignes,l'impression des billets est l'industrie la plus prospre du monde supposer que le produit se

    mesure en terme de monnaie. Mais plus on fabrique de monnaie de cette manire, plus dcrot lavaleur donne l'unit de monnaie. Cette valeur dcroissante peut tre vrifie par la hausse desprix de toutes marchandises. Mais comme la plupart des gens ont l'habitude bien enracine d'valuerleur richesse et leur revenu sous forme de monnaie, ils se considrent plus riches si la sommeglobale de leur avoir monte, bien que, en terme de marchandises, ils possdent moins et achterontmoins. La plupart des bons rsultats conomiques que l'on attribue la guerre sont en ralit dus l'inflation ne de l'tat de guerre. On aurait pu aussi bien les obtenir par une inflation du temps de

    paix. Nous reviendrons plus loin sur cette illusion montaire.

    Toutefois, il y a une part de vrit dans le sophisme de la demande, tout comme il y en avait unedans celui de la vitre brise. Il est bien vrai que la vitre brise donnait du travail au vitrier et que lesdestructions dues la guerre donneront du travail aux fabricants de certains produits, que la

    destruction des maisons et des villes crera du travail pour les industries du btiment et de laconstruction. De mme l'impossibilit de fabriquer des autos, des postes de radio et des glacires

    pendant la guerre aura cr une demande accumule dans l'aprs-guerre pour ces produits

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    particuliers. Pour le gros de la foule, cela aurait l'air d'tre un accroissement de la demande, commecela pourra l'tre en termes de dollars d'un pouvoir d'achat diminu. Mais ce qui se passe en ralit,c'est un dplacement de la demande vers ces produits particuliers au dtriment d'autres produits. Les

    peuples d'Europe vont btir plus de maisons qu'ailleurs parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement.Mais tandis qu'ils auront btir ces maisons, les forces qu'ils consacreront cette tche et l'nergie

    productrice ainsi dpense leur manqueront pour fabriquer d'autres objets. L'argent ainsi employ

    diminuera d'autant leur pouvoir d'achat pour se procurer autre chose. Partout o le travail s'accrotdans une direction (sauf dans la mesure o la ncessit et l'urgence viennent stimuler des nergiesproductrices) il se rduit corrlativement dans une autre.

    En un mot, la guerre modifiera la direction de l'effort humain d'aprs-guerre, elle apportera deschangements dans le choix des produits industriels, elle transformera la structure de l'industrie et cettat de fait nouveau entranera, avec le temps, certaines consquences notables. Quand les besoinsaccumuls de maisons et d'autres biens durables se seront apaiss, il se produira une distribution dela demande vers de nouvelles directions. Alors ces industries, momentanment favorises,connatront ensuite une clipse relative, et d'autres se dvelopperont leur tour afin de satisfaire ces

    besoins nouveaux.

    [Depuis la fin de la deuxime guerre mondiale en Europe, il y a eu une croissance conomique rapide et mme spectaculaire, la fois dans les pays qui furent ravags par la guerre et dans ceuxqui ne le furent pas. Certains pays o eurent lieu les plus grandes destructions, comme lAllemagne,ont connu une croissance plus rapide que dautres, comme la France, o il y eut bien moins dedestructions. Ce fut pour partie parce que lAllemagne de l'Ouest suivit des politiques conomiques

    plus saines. Ce fut galement pour partie parce que le besoin urgent de revenir des conditions devie et de logement normales stimula les efforts. Mais cela ne veut pas dire que la destruction de la

    proprit est un avantage pour la personne qui a subi cette destruction. Personne ne brle sa maisonsuivant la thorie que le besoin de la reconstruire stimulerait son nergie.

    Aprs une guerre, il se produit habituellement pendant un certain temps une stimulation des

    nergies. Au dbut du clbre troisime chapitre de sonHistoire de lAngleterre, Macaulaysoulignait que :

    Aucune infortune ordinaire, aucune erreur de gouvernement ordinaire, ne pourrontrendre une nation misrable dans le mme rapport que le progrs constant de laconnaissance physique et leffort constant de chaque homme pour samliorer rendentune nation prospre. On a souvent constat que les nombreuses dpenses, la lourdetaxation, les restrictions commerciales absurdes, les tribunaux corrompus, les guerresdsastreuses, les sditions, les perscutions, les conflagrations et les inondations nont

    pas t capables de dtruire le capital aussi vite que les efforts des citoyens privs nontpu le crer.

    Aucun homme ne voudrait voir sa proprit dtruite, que ce soit en temps de paix ou en temps deguerre. Ce qui est nuisible ou dsastreux pour un individu doit galement tre nuisible ou dsastreux

    pour cet ensemble dindividus quest la nation.

    La plupart des sophismes les plus frquents que lon trouve dans les raisonnements conomiquesproviennent de la propension, particulirement marque de nos jours, penser une abstraction la collectivit, la nation et oublier ou ignorer les individus qui la constituent et qui luidonnent un sens. Personne ne pourrait penser que les destructions dues la guerre seraient unavantage conomique si lon pensait dabord tous ceux dont la proprit a t dtruite.(dition de1979, traduit par Herv de Quengo)]

    Il importe enfin de se rappeler que la demande d'aprs-guerre sera seulement d'un type diffrent decelle d'avant-guerre. Elle ne sera pas simplement dtourne d'un article vers un autre. Dans la

    plupart des pays et dans l'ensemble de l'conomie, elle se contractera.

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    Cela est invitable si nous considrons que la demande et l'offre sont en vrit comme les deuxfaces d'une mme pice de monnaie. Elles sont un mme phnomne considr sous deux aspectsdiffrents. L'offre cre la demande parce que, en ralit, elle est la demande, et l'offre de la choseque l'on cre est ce que l'on peut offrir en change des choses que l'on dsire. En ce sens, l'offre queles fermiers font de leur bl constitue leur demande d'autos ou d'autres biens dont ils ont besoin.L'offre d'autos constitue la demande que les constructeurs d'autos font de bl ou d'autres biens. A

    notre poque moderne, tous ces faits sont inhrents la division du travail et l'conomied'change.

    Ce fait fondamental, il est vrai, est rendu obscur la plupart des gens (comme aussi certainsconomistes pourtant rputs trs brillants) cause des complications qu'apportent les salaires et laforme indirecte de payement sous laquelle presque tous les changes se font aujourd'hui, savoir lamonnaie.

    John Stuart Mill, et certains conomistes classiques avec lui, sans attacher toujours assezd'importance aux multiples consquences qu'entrane l'emploi de la monnaie, ne manqurent

    pourtant pas de voir les ralits profondes caches sous les apparences montaires.

    Dans la mesure o ils en taient conscients, ils taient en avance sur beaucoup de leurs critiquesactuels que la monnaie induit en erreur plus qu'elle ne les instruit. L'inflation en soi, c'est la simplemission de signes montaires nouveaux, avec les consquences qui en dcoulent : hausse dessalaires et accroissement des prix, peut trs bien avoir l'airde crer une demande supplmentaire.Mais si on raisonne en termes de production et d'change des biens rels, il n'en est rien. Etcependant le fait que la demande dcrot en priode d'aprs-guerre peut trs bien tre cach biendes gens par l'illusion que leur apporte la hausse nominale de leur salaire, bien que celle-ci soit plusque balance par la hausse des prix.

    La demande d'aprs-guerre dans la plupart des pays, je le rpte, se contracte en valeur absolue parrapport la demande d'avant-guerre, tout simplement parce qu'aprs la guerre l'offre aura dcru.Cette vrit devrait tre suffisamment prouve par l'exemple de l'Allemagne et du Japon, o des

    dizaines de grandes villes ont t rases. Elle devient d'ailleurs vidente quand on la pousse l'extrme. Si par exemple l'Angleterre, de par sa participation la guerre, au lieu d'avoir subi desdommages relatifs, avait eu toutes ses villes et toutes ses usines dmolies et presque toutes sesressources en capital et en marchandises dtruites de telle faon que ses habitants en eussent trduits au niveau conomique de la Chine, peu d'entre eux parleraient aujourd'hui des bienfaitsd'une demande accumule grce la guerre. Il leur paratrait au contraire vident que le pouvoird'achat s'est trouv ananti dans la mesure mme o l'a t le pouvoir de produire. Une inflationmontaire grandissante qui augmente les prix de 1 000 % peut bien faire paratre les chiffresmontaires du revenu national plus levs qu'avant la guerre. Mais ceux qui s'y laisseraient tromper,se croyant pour cela plus riches qu'avant-guerre, s'avreraient inaccessibles aux argumentsrationnels. Pourtant le raisonnement que nous faisons garde la mme valeur, qu'il s'agisse dedommages de guerre partiels ou de destruction totale.

    [On dit parfois que les Allemands ou les Japonais ont aprs la guerre eu un avantage sur lesAmricains parce que leurs vieilles usines, ayant t compltement dtruites par les bombes durantla guerre, ont pu tre remplaces par les usines et les quipements les plus modernes. Ils ont ainsi pu

    produire plus efficacement et des cots plus bas que les Amricains avec leurs usines etquipements plus anciens et moiti obsoltes. Mais sil sagissait vraiment dun avantage netvident, les Amricains pourraient facilement lliminer en dtruisant immdiatement leurs vieillesusines et en jetant leurs vieux quipements. En fait, tous les industriels de tous les pays pourraient

    bazarder leurs usines et quipements anciens chaque anne pour construire de nouvelles usines etinstaller de nouveaux quipements.

    La vrit est simple : il existe un taux de remplacement optimal, une dure meilleure que les autrespour le remplacement. Il serait avantageux pour lindustriel que son usine et ses quipements soientdtruits par des bombes uniquement si le temps tait venu, au bout duquel son usine et ses

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    quipements avaient dj atteint une valeur nulle ou ngative, en raison de la dtrioration et delobsolescence, et que les bombes tombent juste au moment o il aurait d de toute faon appelerune quipe de dmolissuers ou commander de nouveaux quipements.

    Il est vrai que la dprciation et lobsolescence pralables, si elles ne sont pas prises en compte demanire adquate dans ses livres de comptabilit, peuvent rendre la destruction de sa propritmoins dsastreuse, en fin de compte, quil ne semble. Il est galement vrai que la prsence denouvelles usines et de nouveaux quipements acclre lobsolescence des vieilles usines et desanciens quipements. Si les propritaires de ces vieilles usines et de ces anciens quipementsessaient de les utiliser plus longtemps que la dure qui leur permet de maximiser leur profit, alorsles industriels dont les usines et quipements ont t dtruits (si lon suppose quils aient eu la foisla volont et le capital pour les remplacer avec de nouvelles usines et de nouveaux quipements)tireront un avantage comparatif ou, pour parler plus prcisment, rduiront leur perte comparative.

    En rsum, nous en arrivons la conclusion quil nest jamais avantageux pour quelquun de voirses usines dtruites par des obus ou des bombes, moins que ces usines naient dj perdu leurvaleur ou aient atteint une valeur ngative cause de la dprciation et de lobsolescence.

    En outre, dans toute cette discussion, nous avons cart un point central. Usines et quipements nepeuvent pas tre remplacs par un individu (ou un gouvernement socialiste) sil na pas acquis et nepeut pas acqurir lpargne, laccumulation de capital, permettant le remplacement. Or la guerredtruit le capital accumul. (dition de 1979, traduit par Herv de Quengo)]

    Il est vrai que certains facteurs peuvent corriger les effets de cette loi gnrale. Les dcouvertestechnologiques ainsi que les progrs varis raliss pendant la guerre par exemple, peuvent

    permettre d'augmenter la production nationale ou individuelle en tel ou tel secteur conomique. Ladestruction cause par les hostilits pourra dplacer la demande d'aprs-guerre d'une direction dansune autre. Certains peuvent aussi continuer se laisser duper indfiniment quant l'tat conomiquerel de leurs affaires, en voyant les salaires et les prix monter par suite de l'excs de papier-monnaie.Il n'en reste pas moins que c'est une ide absolument fausse que de s'obstiner penser qu'une

    demande de remplacement des biens, que la guerre a dtruits ou qu'elle a empch de produire, peutdevenir la source d'une prosprit vritable.

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    Chapitre IV Pas de travaux publics sans impts

    Aucune foi au monde n'est plus tenace ni plus entire que la foi dans les dpenses de l'tat.

    De tous cts, on les prsente comme une panace capable de gurir nos maux conomiques.

    L'industrie prive est-elle partiellement somnolente ? On peut y remdier par les dpenses dubudget. Y a-t-il du chmage ? Cela est videmment d l'insuffisance du pouvoir d'achat . Et leremde est tout aussi vident : le Gouvernement n'a qu' engager des dpenses assez fortes poursuppler ce manque acheter .

    Une vaste littrature repose sur cette illusion et comme il arrive souvent pour des affirmationserrones de cette nature, chacune s'tayant sur l'autre et se confondant avec elle, elles finissent parformer un entrelacs d'ides fausses aux nuds serrs. Nous ne nous attacherons pas pour l'instant en dmler les lments, mais il nous est loisible de mettre en vidence l'ide-mre qui a donnnaissance toute une progniture d'inexactitudes, et de dceler le nud central de tout cetembrouillage.

    En dehors des dons gratuits que nous dispense la nature, quels que soient les biens que nous avonsle dsir d'acqurir, il nous faut toujours les payer, de quelque manire que ce soit. Or le monde estrempli de soi-disant conomistes qui, eux, sont remplis de thories d'aprs lesquelles on peutacqurir quelque chose pour rien. Ils nous affirment que le Gouvernement peut dpenser sanscompter, et cela sans jamais nous faire payer d'impts, qu'il peut accumuler des dettes sans jamaisles acquitter parce que, soi-disant, nous nous les devons nous-mmes . Nous reviendrons un

    peu plus tard sur ces affirmations doctrinales vraiment extraordinaires. Mais pour l'instant je seraitout fait catgorique et je soulignerai avec force que les rves magnifiques de ce genre se sonttoujours vanouis dans le pass, laissant aprs eux la banqueroute nationale ou l'inflation dguise.Et je dirai crment que les dpenses de l'tat doivent tre soldes au moyen de l'impt, que reculerle jour fatidique du rglement de compte ne fait que compliquer le problme, que l'inflation elle-

    mme n'est autre chose qu'une forme particulirement vicieuse de l'impt.Puisque nous avons remis plus tard l'tude de ce systme d'ides fausses qui tournent autour desemprunts publics continus et de l'inflation, nous accepterons comme un axiome vident durant ce

    prsent chapitre que, tt ou tard, tout dollar dpens par l'tat doit ncessairement tre obtenu parun dollar d'impt. Si nous envisageons les choses sous cet angle, les soi-disant miracles desdpenses de l'tat nous apparaissent sous un tout autre jour.

    Pour assumer plusieurs de ses fonctions essentielles, l'tat doit ncessairement procder certainesdpenses importantes. Il lui faut assurer l'excution de nombreux travaux publics, tels quel'amnagement des rues, routes, ponts et tunnels, l'entretien des arsenaux et des ports, celui des

    btiments publics qui abritent les administrations d'tat et assurent l'exercice des services publics

    essentiels : les chambres lgislatives, la justice, la police, etc.Mais laissons ces travaux qui se dfendent d'eux-mmes. Nous n'avons examiner ici que ceuxqu'on nous prsente comme indispensables pour lutter contre le chmage ou pour ajouter larichesse publique quelque chose qui, sans cela, ne serait pas produit.

    On construit un pont. Si on le fait pour donner satisfaction au public qui l'a rclam avec insistance,s'il apporte une solution un problme de transport ou de circulation qui sans lui serait insoluble, si,en un mot, il apparat d'une utilit nettement plus vidente que les choses pour lesquelles lesassujettis l'impt auraient dpens leur argent si on ne les avait obligs payer pour lui, pasd'objection. Mais un pont que l'on construit surtout pour donner du travail est un pont d'unetoute autre espce. Lorsqu'on a pour but de procurer du travail tout prix, le besoin devient une

    considration trs secondaire. On se met alors inventer des projets. Au lieu de recherchersimplement quel endroit il est indispensable de construire des ponts, les partisans de cette

    politique se demandent o il est possible de construire des ponts. Trouvent-ils des raisons plausibles

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    pour construire un pont de plus entre Easton et Weston ? Alors ce nouveau pont devientindispensable. Ceux qui osent mettre un doute quant sa ncessit sont aussitt carts commeractionnaires ou comme faisant de l'obstruction.

    L'on fait alors valoir deux arguments : l'un que l'on dmontre avant que le pont soit construit, l'autreque l'on servira ds qu'il sera termin. Le premier consiste affirmer qu'il va donner du travail auxouvriers. Il en emploiera mettons 500 pendant un an. Cela implique la croyance que, sans cela, cesemplois n'auraient pas t crs. Cela, c'est ce qu'on voitsur le moment. Mais si nous nous sommesentrans examiner, au-del des consquences immdiates, les consquences plus lointaines, et voir derrire ceux qui ce projet gouvernemental rend momentanment service, ceux-l qui ensubiront le contrecoup, un autre aspect des choses apparatrait.

    Il est exact qu'un certain groupe de travailleurs va recevoir plus de travail que si on ne construisaitpas de pont. Mais ce pont, il faudra le payer par l'impt. Pour chaque dollar dpens pour lui, onprendra un dollar dans la poche des contribuables. S'il cote 1 000 000 les contribuables devrontpayer 1 000 000. On les taxera de cette somme alors qu'autrement ils eussent pu la dpenser pourdes objets dont ils ont le plus grand besoin.

    Par consquent, tout emploi cr pour la construction du pont empche un emploi priv d'tre offertquelque part ailleurs. L'argument que ces dpenses publiques donnent du travail est alors renduvident nos yeux, et fort probablement mme, convaincant pour beaucoup.

    Mais il y a bien d'autres choses que nous ne voyons pas, parce que, hlas, celles-l il ne leur a past loisible de se transformer en ralits. Ce sont tous les travaux rduits nant par le million dedollars d'impts prlevs sur les contribuables. Ce qui s'est pass, au mieux, c'est qu'il y aeu dplacementde travaux par l'effet de ce projet gouvernemental. Il y a eu davantage de main-d'uvre affecte construire des ponts et bien moins de mcaniciens pour autos et pour radios,moins de tailleurs et de fermiers.

    Nous voyons poindre alors le deuxime argument. Le pont est construit, il existe. C'est, admettons,un beau pont, pas laid du tout. Il est n grce un coup de magie : une dpense publique. Queserait-il advenu de lui si les ractionnaires et les opposants avaient triomph ? Le pont n'et pasexist et le pays en et t d'autant plus pauvre.

    L encore les partisans de ces dpenses gouvernementales utilisent au mieux cet argument auprs detous ceux qui ne peuvent pas voir plus loin que le bout de leur nez. Ils peuvent voir le pont. Maiss'ils s'taient entrans tenir compte des consquences secondaires autant que des consquences

    premires d'un acte conomique, ils imagineraient une fois de plus toutes les choses possibles quel'on a ainsi empch de natre. Ils se reprsenteraient les maisons non construites, les autos et lesradios non fabriques, les robes et les manteaux non coups, et peut-tre mme les bls non semsou les rcoltes non vendues. Pour imaginer toutes ces choses qui eussent pu tre et n'ont pas t, ilfaut une certaine sorte d'imagination dont peu de gens sont capables. Nous pouvons nous

    reprsenter toutes ces choses qui n'ont pas vu le jour une fois peut-tre, mais nous ne pouvons pasles garder en mmoire de la mme manire que pour le pont devant lequel nous passonsquotidiennement en allant au travail. Le rsultat final, c'est qu'un seul bien a t cr aux dpens de

    beaucoup d'autres.

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    Le mme raisonnement s'applique naturellement n'importe quelle espce de travaux publics, parexemple aux habitations bon march cres, elles aussi, avec les fonds d'tat. Ce qui se produitalors, c'est que, dans ce cas, l'argent des impts est prlev sur des familles aises (peut-tre aussisur des familles modestes) qu'on oblige subventionner les familles revenus faibles afin de leur

    permettre de vivre dans des locaux plus sains pour un loyer sensiblement gal ou infrieur celuiqu'elles payaient auparavant.

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    Je ne veux pas entrer ici dans les controverses au sujet du logement. Je m'attache seulement souligner l'erreur cache dans les deux principales raisons mises en avant pour dfendre la politiquedu logement. L'on dit que cette politique cre du travail et l'on ajoute : elle cre de la richessequi sans cela n'aurait pas vu le jour. Or, ces deux raisons sont fausses car elles ngligent tout ce quel'on perd du fait de l'impt. L'imposition demande pour la construction de ces habitations dtruiraautant d'emplois dans d'autres secteurs de l'conomie qu'elle en cre pour celui de l'habitation. C'est

    autant de maisons bourgeoises qui ne seront pas bties, de machines laver ou de glacires qu'on nefabriquera pas et de quantits d'autres marchandises ou services qui ne seront jamais produits.

    Et si l'on vous dmontre que la politique du logement ne doit pas se financer par une appropriationde capital faite d'un seul coup, mais seulement l'aide de rentes annuelles, c'est l encore unemauvaise raison. Cela signifie simplement que le cot se rpartira sur plusieurs annes au lieu d'tredpens en une seule fois. Mais cela signifie galement que le prlvement fait sur les contribuabless'tendra lui aussi sur plusieurs annes au lieu de leur tre enlev d'un seul coup. Ces dispositionsfinancires administratives n'ont rien voir avec le sujet.

    Le grand argument psychologique qui plaide en faveur de la politique du logement c'est que l'onpeut voir les ouvriers au travail tandis que se btissent les maisons, et que l'on peut voir aussi ces

    maisons lorsqu'elles sont termines. Des gens les habitent et firement en font visiter l'intrieur leurs amis. Mais on ne voit pas les travaux que les impts pays pour les construire ont empchd'entreprendre ailleurs, non plus que les marchandises ou services qu'on n'a jamais pu produire ni sefaire rendre. Il y faudrait quelque effort de rflexion, et un effort renouvel pour chaque maisonconstruite ou pour chaque visite qui en est faite, pour dnombrer d'autant les richesses qui n'ont pasvu le jour. Doit-on s'tonner ds lors que si l'on fait cette objection ces dfenseurs d'une politiquedu logement, ils l'cartent comme purement imaginaire ou thorique, tout en vous montrant du doigtles maisons qui sont l, devant vos yeux, bien relles ? Ils font penser l'un des personnages dela Sainte Jeanne de Bernard Shaw qui, alors qu'on lui expliquait que la terre est ronde et qu'elletourne autour du soleil, selon la thorie de Pythagore, rpliquait quel triple sot, ne peut-il se servirde ses yeux ?

    Appliquons, une fois de plus, ce mme raisonnement aux grands travaux de la valle deTennessee [1]. L, cause de ses dimensions mmes le danger de l'illusion optique est plus grandque jamais. On a construit un puissant barrage, c'est un prodigieux arc d'acier et de bton il est dedimensions telles que jamais aucune entreprise prive n'aurait pu le construire . C'est la coqueluchedes photographes, la panace des socialistes, le symbole le plus fameux des miracles dus auxtravaux publics, la proprit et la gestion publiques. C'est l qu'on trouve les dynamos et lesturbines les plus puissantes. C'est l qu'on peut voir toute une rgion leve un niveauconomiquement suprieur, c'est l qu'on t attires des usines et des manufactures qui n'auraient

    jamais pu s'y difier autrement. Et tout cela est prsent dans les pangyriques des admirateurs decette entreprise comme un gain conomique net, sans passif.

    Nous ne discuterons pas ici des mrites de la T.V.A. ou d'autres travaux publics du mme genre.Mais ici, pour apercevoir le passif du bilan de l'opration, il nous faut faire un effort d'imaginationdont peu de gens sont capables. Si l'on a fortement impos les contribuables privs et les socits etdrain partout ces sommes normes pour les dpenser en un seul point dtermin du pays, pourquois'tonner et pourquoi crier au miracle si cet endroit devient plus riche qu'un autre o l'on a rien fait.Les autres secteurs moins favoriss que celui-l sont forcment plus pauvres en comparaison. Ce

    puissant travail d'art que les capitaux privs auraient t dans l'impossibilit de construire , cesont bien, en ralit, ces capitaux privs qui l'ont construit, c'est le capital priv que l'impt a

    prlev (ou, si l'on fait un emprunt, c'est le capital qu'il aurait bien fallu prendre par l'impt). Iciencore il nous faut faire un effort d'imagination pour nous reprsenter les travaux de l'conomie

    prive, les maisons bourgeoises, les machines crire et les radios qui n'ont jamais t bties oufabriques, puisque l'on a pris tout l'argent dont disposaient les contribuables dans le pays toutentier pour construire le barrage de Morris si merveilleusement photographi.

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    J'ai choisi dlibrment les exemples de travaux publics les plus probants et les plus coteux, c'est--dire ceux qui sont le plus souvent et le plus imprieusement rclams par les doctrinaires desdpenses budgtaires, ceux que le public honore de sa plus grande considration. Je n'ai rien dit descentaines de projets de moindre envergure dans lesquels on s'embarque sans hsiter du moment qu'ils'agit surtout de donner du travail au peuple ou de faire travailler les gens . Dans ce cas, nousl'avons vu, l'utilit devient une considration d'ordre tout fait secondaire. Au surplus on vous diraque plus le travail est inutile, plus il est dispendieux, mieux il remplit son but, car il emploie alors la

    plus grande main-d'uvre possible. Lorsqu'il en est ainsi, ces travaux publics crs de toutes picespar les bureaucrates, ne se solderont vraisemblablement pas par un gain actif en faveur de larichesse et du bien-tre publics par dollar dpens, comme c'et t le cas si les contribuables, aulieu d'tre forcs d'abandonner une part de leurs conomies l'tat, avaient t laisss libres de faireindividuellement ce qu'ils voulaient de leur argent, et d'acheter les objets dont ils avaient besoin.

    Note

    [1] Tennessee Valley Authority, populairement connue sous l'abrviation T.V.A. (N.d.T.).

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    Chapitre V Les impts dcouragent la production

    Il y a encore un autre facteur qui rend trs improbable que les richesses cres par les dpensespubliques puissent compenser pleinement celles qu'auront empch de natre les impts prlevspour payer ces dpenses.

    La question n'est pas aussi simple, elle ne consiste pas, comme on le croit souvent, prendrel'argent de la poche de droite pour le mettre dans la poche de gauche. Les partisans de ces travaux

    publics nous disent, par exemple, que si le revenu national est de 200 milliards de dollars (ils sonttoujours trs gnreux quand il s'agit d'valuer ce chiffre) et que l'impt sur le revenu soit de 50milliards par an, cela signifie que le quart seulement du revenu national a t prlev sur lesentreprises prives pour tre affect des entreprises publiques. Ils raisonnent comme si le budgetde l'tat tait comparable celui d'une grande socit et comme si tout cela n'tait que jeuxd'criture. Ils oublient que pour rgler ces dpenses publiques, s'ils prennent l'argent de A, c'est afinde payer B. Ou plutt ils ne l'oublient pas, ils en sont parfaitement conscients. Mais tandis qu'ilsvous exposent longuement tous les bienfaits de l'opration en ce qui concerne B, et vous numrent

    les merveilleux btiments qu'il va pouvoir utiliser et qu'il n'aurait pas si on ne lui avait avancl'argent pour les construire, ils oublient les consquences que cette opration financire auront surA. Ils ne voient que B ; mais A est oubli !

    Dans notre monde moderne, l'impt sur le revenu est fort ingalement rparti. La grande charge enincombe un trs petit nombre de contribuables, et il faut combler son insuffisance par d'autresimpts de toutes sortes. Ceux qui en supportent le poids en sont forcment affects dans leursactions ou dans les motifs qui les stimulent l'action. Quand une socit subit ses pertes 100 %

    par dollar et qu'on ne lui laisse que 60 % des dollars qu'elle gagne, quand elle ne peut compenserses annes dficitaires par des annes bnficiaires, ou tout au moins dans des proportionsconvenables, alors ses finances sont trs compromises. Elle cessera de dvelopper ses oprations ouelle n'entreprendra que les extensions n'entranant qu'un minimum de risques. Ceux quicomprennent la situation s'abstiennent alors de crer de nouvelles entreprises. Les industriels djtablis n'embauchent plus d'ouvriers ou n'en prennent qu'en nombre limit, certains renoncent mme rester dans les affaires. Les usines modernes ralentissent le rquipement de leur outillage. A lalongue, le consommateur ne verra plus la qualit des objets fabriqus s'amliorer, ni leur prix

    baisser et les salaires rels, en outre, resteront trs bas.

    Si l'impt va jusqu' prendre 50, 60, 70 ou mme 90 % des revenus industriels, le rsultat est lemme. L'industriel ou le commerant se demanderont, en effet, pourquoi ils travailleraient 6, 8 ou10 mois de l'anne pour l'tat et seulement 6, 4 ou 2 mois pour eux et leurs familles. Si vraiment ilsdoivent perdre un dollar tout entier quand ils le perdent, mais ne peuvent en garder que le diximequand ils le gagnent, ils dcident alors une fois pour toutes qu'il est absurde de prendre des risques

    avec son capital. Et les capitaux disponibles se font plus rares, car l'impt les absorbe avant qu'ilsaient pu s'amasser.

    En rsum les capitaux qui pourraient donner du travail sont empches de se constituer et le peuqui s'en forme est dcourag de s'investir dans de nouvelles entreprises. Les partisans des dpenses

    publiques crent donc eux-mmes le problme du chmage auquel ils se prtendent capables demettre fin.

    Sans doute une certaine proportion d'impts est-elle ncessaire pour assurer les fonctionsessentielles de l'tat. Des impts raisonnables levs cette fin ne gnent gure la production. Lesservices gouvernementaux dont ils aident assurer le fonctionnement et dont certains protgent la

    production elle-mme compensent largement ces dbours. Mais plus le revenu national est grev

    d'impts, plus la production et l'emploi sont atteints. Et quand le poids total des impts dpasse unelimite supportable, le problme de leur rpartition, si l'on ne veut pas dcourager la production ou laruiner totalement, devient insoluble.

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    Chapitre VI Le crdit fait dvier la production

    Il faut parfois redouter tout autant l'aide que l'tat peut apporter aux affaires que l'hostilit qu'ilpeut leur montrer. Cette prtendue aide se prsente soit sous la forme d'un prt direct, soit sous celled'une garantie d'intrts aux emprunts privs.

    La question des prts gouvernementaux peut se compliquer souvent, car ils impliquent unepossibilit d'inflation.

    Remettons un chapitre ultrieur l'analyse des effets de l'inflation de toutes formes.

    Pour l'instant simplifions et supposons que le crdit dont nous nous occupons n'est pas caused'inflation. Celle-ci, nous le verrons, tout en compliquant l'analyse, ne modifie en rien, au fond, lesconsquences des directives conomiques tudies ici.

    Les crdits de ce genre le plus souvent demands au Congrs sont ceux qu'on destine auxagriculteurs. D'aprs les membres du Congrs, les agriculteurs n'ont jamais assez de crdit. Celuique les banques prives, ou les compagnies d'assurances, ou les banques de province leur font avoir

    n'est jamais adapt leurs besoins. Le Congrs s'aperoit sans cesse que certains manques nesont pas combls, et que les tablissements publics de crdit qu'ils ont suscits ne sont pas asseznombreux, quel que soit dj le nombre de ceux qu'il a crs. Les agriculteurs disposent peut-tred'assez de crdits long terme ou court terme, mais, dit-on alors, ils n'ont pas assez de crdit moyen terme, ou bien l'intrt en est trop lev, ou bien encore on se plaint que les crdits

    privs ne soient accords qu' des fermiers riches et prospres. Si bien que les propositions de loitendant autoriser l'ouverture de nouveaux tablissements de crdit ou l'expos de formulesnouvelles de prt s'empilent les unes sur les autres tout au long de la lgislature.

    La confiance que l'on apporte cette politique du crdit, on va le voir, repose sur deuxraisonnements de bien courte vue. L'un consiste ne considrer la question que du point de vue de

    l'agriculteur qui emprunte, l'autre ne penser qu' la premire partie de l'opration.Tout crdit, aux yeux d'un emprunteur honnte, doit ventuellement tre rembours. Car le crdit estune dette. Demander davantage de crdit n'est pas autre chose que demander augmenter le volumede ses dettes. Et si l'on employait couramment ce dernier terme plutt que le premier, tout cela serait

    beaucoup moins attrayant.

    Nous ne discuterons pas ici des emprunts courants que les fermiers ont l'habitude de faire dessources prives. Ce sont des hypothques, des achats temprament d'automobiles, glacires,radios, tracteurs et machines agricoles. Nous ne nous occuperons pas davantage des demandes aux

    banques qui sont ncessaires la vie de la ferme, en attendant que le cultivateur ait pu faire lamoisson, vendre son grain et retirer son bnfice. Nous ne traitons ici que du crdit fait aux

    fermiers, soit directement par les caisses de l'tat, soit de celui garanti par lui.Ces prts sont de deux types principaux. L'un permet au fermier de garder sa rcolte hors dumarch, c'est une espce tout particulirement nfaste, mais il sera plus facile d'en discuter plusloin, quand nous arriverons la question du contrle conomique. L'autre est un prt de capitauxaccord bien souvent au fermier qui dbute, afin de lui permettre d'acheter la ferme elle-mme, ouun cheval, ou un tracteur, ou les trois la fois.

    Au premier abord ce prt parat vraiment d'excellente nature. Voici une famille pauvre, vous dit-on,sans aucun moyen d'existence. Il serait cruel et bien infructueux de mettre tous ses membres au

    bureau de bienfaisance. Achetez-leur une ferme, mettez-les au travail, faites-en des citoyensproducteurs et dignes de considration. Ils ajouteront le produit de leur travail la production

    nationale, et s'acquitteront de leur dette grce la vente de leurs rcoltes. Ou bien voici un fermierqui s'reinte travailler avec des outils dsuets, faute d'argent pour s'acheter un tracteur. Avancez-luil'argent, il accrotra ainsi sa productivit, et il aura vite rembours ce prt, grce au meilleur

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    rendement de sa rcolte. Et ainsi, non seulement vous accroissez son bien-tre et le remettez sur pied, mais vous enrichissez galement la socit par ce rendement accru. Et notre homme deconclure : le crdit cote au Gouvernement et aux contribuables moins que rien puisqu'il est payant .

    En ralit, examinons d'un peu plus prs ce qui se passe tous les jours de par l'institution du crditpriv. Qu'un particulier dsire acheter une ferme et ne possde, par exemple, que la moiti ou letiers de ce qu'elle cote ; un voisin ou une caisse d'pargne lui prtera le complment sous formed'une hypothque sur la ferme. S'il dsire ensuite acheter un tracteur, la compagnie des tracteurselle-mme, ou une banque lui permettra de l'acheter pour le tiers de son prix d'achat, avec la facultde s'acquitter du reste par acomptes, grce aux bnfices accrus que ce mme tracteur lui permettrade raliser.

    Mais il existe une diffrence fondamentale entre les prts allous par les prteurs privs et ceuxaccords par le Gouvernement. Le prteur priv risque ses propres fonds dans l'affaire (un banquier,il est vrai, risque les fonds d'autrui, de clients qui lui ont fait confiance ; mais si cet argent est perdu,il lui faut, soit compenser cette perte en prenant sur sa fortune personnelle, soit faire faillite). Quandles gens risquent leur argent personnel, ils sont gnralement fort prudents dans leurs enqutes, et

    ils se renseignent toujours trs exactement sur l'honntet de l'emprunteur, la valeur de son travail etl'opportunit de sa demande.

    Si seulement le Gouvernement agissait selon ces mmes critres, il n'aurait absolument plus aucuneraison de s'occuper de cette question. Pourquoi remplirait-il cet office que des entreprises privesfont si bien ? Mais presque toujours le Gouvernement opre sur d'autres donnes. Il prtend que s'ils'occupe de crdit, c'est qu'il doit rendre service des gens qui ne peuvent s'en procurer auprs desagences prives. Cela revient dire que les institutions qui prtent au nom de l'tat, vont courir desrisques avec l'argent des autres celui des contribuables risques que les prteurs privs n'ont

    pas voulu courir avec leur argent personnel. Et, de fait, certains avocats de cette politique admettentvolontiers que le pourcentage des pertes est gnralement plus grand sur ces prts gouvernementaux

    que sur ceux des particuliers. Mais ils se plaisent ajouter que ces pertes seront compenses, et bienau-del de leur valeur, la fois par la production accrue de ceux qui rembourseront, et mme aussipar celle des emprunteurs qui ne pourront rembourser.

    Ce raisonnement n'est valable que si nous considrons seulement les gens qui l'tat apporte sonaide, ngligeant par la mme ceux que cette aide mme prive de fonds. Car ce que l'on prte ainsi enralit, ce n'est pas de l'argent, lequel n'est que l'instrument de paiement, mais c'est du capital (j'aidj averti le lecteur que je remets plus tard l'tude des difficults qu'entrane l'inflation de crdit).Ce qu'on prte rellement dans ce cas, c'est la ferme ou le tracteur. Mais le nombre de fermesexistantes est limit, comme l'est aussi la production des tracteurs (en supposant toutefois qu'on ne

    produit pas un surplus de tracteurs aux dpens d'autre chose). La ferme ou le tracteur prt A nepeut l'tre B. La vritable question qui se pose est donc de savoir qui de A ou de B aura la fermeou le tracteur.

    Ceci nous conduit mesurer es mrites de A et de B et leur capacit productive respective. A, parexemple, est celui des deux qui saurait au besoin se procurer la ferme, mme sans l'aide de l'tat. Le

    banquier rgional ou ses voisins le connaissent et peuvent soupeser ses aptitudes. Ils cherchent faire un placement de leur argent. Ils le tiennent pour un bon fermier et pour un homme honnte,fidle sa parole. Ils le considrent comme un bon risque . Il a peut-tre dj, grce son travail, sa vie modeste, sa prvoyance, suffisamment pargn pour payer le quart de sa ferme. Ils lui

    prtent les trois autres quarts, et il acquiert sa ferme.

    On entend souvent, l'tranger, les gens de finances plus ou moins fantaisistes dire que le crdit estquelque chose qu'un banquier donne un client. Le crdit, au contraire, est une ralit intrinsqueque cet homme possde dj en lui. Il l'a, soit parce qu'il possde dj des avoirs ngociables d'une

    plus grande valeur que le prt dont il fait la demande, soit parce que la confiance que l'on met en luiest due sa bonne rputation. Et c'est cela qu'il apporte avec lui quand il entre la banque. C'est

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    cause de cela que le banquier lui fait ce prt. Car le banquier ne donne rien pour rien. Il se sentassur d'tre rembours. Il fait tout simplement l'change d'un crdit ou d'un avoir moins liquidecontre un autre qui l'est davantage. Parfois il se trompe, mais alors ce n'est pas seulement lui qui ensouffre, mais l'ensemble de la socit, car les valeurs que l'on escomptait voir produites parl'emprunteur ne le sont pas, et le prt est perdu.

    Supposons maintenant que le banquier fasse un prt A, qui a du crdit, mais le Gouvernemententre en scne, anim d'un esprit charitable, car, nous l'avons vu, il est en souci cause de B. B ne

    peut obtenir d'hypothque ou d'autre prt de ses amis parce qu'ils n'ont pas assez confiance en lui. Iln'a pas d'conomies, sa rputation comme fermier n'est pas excellente, peut-tre mme est-il lacharge d'une institution charitable. Pourquoi alors, disent les avocats du prt gouvernemental, ne paslui permettre de redevenir un membre utile de la socit, l'aider et le rendre producteur en luiavanant assez d'argent pour qu'il achte une ferme ou un cheval ou un tracteur, et le mettre ainsi autravail ?

    Il se peut que cela russisse pour un cas individuel. Mais il est vident que, en gnral, ceux que leGouvernement choisira d'aprs ce critrium lui feront courir plus de risques que ceux qui auront tslectionns par les banques prives. Le Gouvernement est sr de perdre plus d'argent que les

    banques, car le pourcentage des faillites sera plus lev parmi ces gens qui russirontvraisemblablement moins bien que les autres. Finalement, cause d'eux, beaucoup de ressourcesseront gaspilles. Les bnficiaires du crdit gouvernemental recevront leurs fermes et leurstracteurs aux dpens de ceux qui auraient t, sans cela, les bnficiaires du crdit priv.

    C'est parce que B va tre dot d'une ferme que A en sera priv. A peut subir ce mme sort, soit parceque ces oprations de prt gouvernemental auront fait monter le taux d'intrt ou le prix d'achat desfermes, soit parce qu'il n'y avait pas d'autre ferme vendre dans le voisinage. Dans toutes ceshypothses, le rsultat final du prt de l'tat n'est pas d'augmenter la richesse de la socit, mais dela rduire, parce qu'on arrive ainsi mettre les capitaux rels disponibles (que reprsentent lesfermes, tracteurs, etc.) non pas aux mains des plus habiles et des plus srs, mais des emprunteurs les

    moins intressants.

    2

    Tout ceci est encore plus vident si, au lieu de l'agriculture, nous considrons d'autres secteurconomiques. N'entend-on pas souvent affirmer que c'est le Gouvernement qui doit assumer lesrisques qui seraient trop grands pour l'entreprise prive ? Cela revient dire que lesfonctionnaires de l'tat vont dornavant tre autoriss courir des risques avec l'argent descontribuables, dont aucun ne voudrait les assumer avec son argent personnel.

    Cette politique comporterait des consquences nfastes de diverses sortes. Elle conduirait aufavoritisme car ces fonctionnaires auront tendance prter leurs amis, ou contre pots-de-vin, ce

    qui ne manquera pas de faire natre des scandales. Elle soulverait de nombreuses rcriminationslorsque l'argent des contribuables serait prt des affaires proches de la faillite. Enfin elle verseraitde l'eau au moulin du socialisme car, se demanderait-on juste titre, puisque le Gouvernement courtles risques d'une affaire, pourquoi ne s'en attribuerait-il pas les bnfices ? Que rpondre en effet des contribuables qui assumeraient tous les alas d'une affaire en difficult alors qu'on laisserait lescapitalistes en rcolter les profits ? (Or, c'est prcisment cela que nous faisons lorsque nous prtonsaux fermiers sans obligation de rembourser, ainsi que nous le verrons plus loin.)

    Ngligeons toutefois pour l'instant ces diverses consquences, et n'examinons que l'une d'entre elles, savoir qu'une telle politique de crdit gaspillera des capitaux et rduira la production. C'est eneffet des affaires difficiles ou tout au moins douteuses que l'on va affecter des fonds disponibles.

    On les confiera des personnes moins comptentes ou sur lesquelles on peut moins compter quecelles qui les auraient obtenus sans cela. Or, ces fonds disponibles ne sont jamais illimits,

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    quelque moment qu'on se place de la conjoncture conomique (si on les distingue des simples jetonsmontaires qui sortent des presses billets). Ce que l'on accorde B ne peut tre accord A.

    Or, nous dsirons tous placer notre argent, et sur ce chapitre nous sommes tous prudents, car nousn'avons pas envie de le perdre. C'est pourquoi la plupart des prteurs font, avant de se dcider, unesrieuse tude de l'affaire dans laquelle ils vont mettre leur argent. Ils psent soigneusement leschances de profit et celles des pertes. Il leur arrive parfois, naturellement, de se tromper. Mais pour

    plusieurs raisons, il est vraisemblable qu'ils se tromperont moins souvent que ceux qui sont chargsde placer les fonds d'tat. D'abord parce que cet argent est eux ou ceux qui le leur ont confi,tandis que lorsqu'il s'agit de fonds d'tat, l'argent est celui de tous, c'est celui qui nous a t enlev

    par les impts, sans d'ailleurs nous demander notre avis sur son affectation. L'argent d'une banqueprive ne sera plac que si l'on est sr qu'il rapportera un intrt ou un bnfice. On compte queceux qui l'emprunteront se mettront au travail en vue de produire et de rpandre sur le march lesobjets dont le besoin se fait sentir. Les fonds d'tat, eux, sont le plus souvent affects des butsvagues et gnraux, comme par exemple crer de l'emploi ; ici moins le travail a de rendement

    c'est--dire plus il faudra crer d'emplois par rapport la valeur de la production ainsi entreprise plus on apprciera le crdit demand.

    De plus, la loi du march est inexorable, elle exerce une svre slection parmi les prteurs decapitaux. S'ils commettent une erreur, ils perdent leur argent et n'en ont plus prter, car ce n'estque parce qu'ils ont russi dans le pass qu'ils en ont encore de disponible pour l'avenir.

    Si bien que les prteurs privs ( part naturellement la trs petite proportion de ceux qui tiennentleur bien d'un hritage) sont rigoureusement slectionns par la survivance des plus aptes.

    Ceux qui prtent pour le Gouvernement, au contraire, sont, ou bien ceux qui ont pass de brillantsexamens pour entrer dans l'administration, et ils ne sont capables que de rsoudre des problmesd'cole par des hypothses, ou bien ceux qui savent trouver les meilleures raison pour justifier unemprunt, mais aussi pour expliquer en quoi ce n'est pas leur faute si l'opration a mal tourn. Maisfinalement le rsultat est l : les emprunts consentis par des prteurs privs utilisent plein toutes

    les ressources et tous les capitaux existants beaucoup mieux que les emprunts faits par l'tat. Lesemprunts d'tat gaspillent beaucoup plus de capitaux que les emprunts privs. Les emprunts d'tat,en un mot, compars aux emprunts privs, loin d'augmenter la production, la rduisent.

    En rsum, ceux qui demandent au Gouvernement de faire un emprunt pour des fins individuellesou des projets particuliers, voient bien B mais oublient A. Ils vous signalent celui qui reoit descapitaux, mais ils oublient ceux qui, autrement, les auraient obtenus. Ils pensent au projet que cescapitaux vont aider, mais ils oublient tous ceux que les sommes ainsi investies empcheront deraliser. Ils supputent le bnfice proche d'un groupe particulier, mais ils ne prennent pas garde aux

    pertes des autres groupes, ni aux pertes que cela entrane pour l'ensemble de la socit.

    Nous sommes en prsence d'une illustration de plus de cette ide fausse qui consiste ne considrer

    qu'un intrt particulier dans ses effets immdiats, tout en oubliant l'intrt gnral et ses effets pluslointains.

    3

    Nous avons fait la remarque au dbut de ce chapitre que l' aide du gouvernement aux affaires estparfois aussi redoutable que son hostilit envers elles. Cette remarque s'applique aux subventionsqu'il accorde aussi bien qu'aux prts qu'il consent. Car l'tat ne prte ou ne donne jamais auxaffaires que ce qu'il leur enlve par ailleurs. Les hommes du New Deal ou d'autres tatistes vantentsouvent la faon dont l'tat a rsorb le chmage grce l'Office de Reconstruction financire,l'Office de Prts aux Propritaires et grce aux autres institutions gouvernementales cres en 1933

    et aprs. Mais l'tat ne peut rien prter aux affaires qu'il ne leur prenne, pralablement oufinalement. Tous les fonds du Gouvernement proviennent en effet de l'impt. Et le crdit del'tat tant vant ne repose que sur cette vrit implicite : les prts qu'il peut accorder seront

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    finalement rembourss par l'impt. Quand l'tat consent un prt ou accorde des indemnits certaines affaires, en ralit il taxe une affaire prive prospre pour aider une affaire prive endifficult. Il existe certaines circonstances dlicates o cela peut se soutenir, nous n'en examinerons

    pas ici le bien fond. Mais en dfinitive, et la longue, il ne semble pas que ce soit une politiquepayante en ce qui concerne le pays dans son ensemble. L'exprience mme se charge d'en faire ladmonstration.

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    Chapitre VII La machine maudite

    Rendre le machinisme finalement responsable du chmage, telle est finalement de toutes les erreursconomiques la plus vivace. Mille fois on a dmontr le contraire, mille fois cette erreur renat deces cendres, plus vivante et plus ancre dans les cervelles que jamais. Et chaque fois que le

    chmage renat, en tendue ou en dure, on accuse de nouveau les machines. Bien des syndicatsfondent encore leur action sur cette fausse interprtation des faits. Et le public approuve cette action

    parce que, ou bien il est convaincu que les syndicats sont dans le vrai, ou bien il ne se rend pas trsbien compte en quoi ils ont tort.

    Croire que le machinisme dtermine le chmage, et le dmontrer par des raisonnements purementlogiques et abstraits conduit des conclusions manifestement absurdes. Ce n'est pas seulement le

    progrs technique que nous dveloppons chaque jour qui doit ncessairement causer du chmage,mais c'est l'homme primitif lui-mme qui a commenc dtruire de l'emploi, lorsque, par ses

    premiers efforts inventifs, il se libra d'un labeur improductif.

    Sans remonter si loin, ouvrons le livre d'Adam Smith :La Richesse des Nations, publi en 1776. Le

    premier chapitre de ce livre remarquable est intitul : De la Division du Travail , et la secondepage de ce premier chapitre, l'auteur nous explique qu'un ouvrier travaillant sans le secours d'unemachine fabriquer des pingles, peut peine en fabriquer une par jour et en tout cas ne peut enfaire vingt alors que, ds qu'il dispose d'une machine, il en produit 4 800 par jour. Donc dj,hlas, au temps d'Adam Smith, la machine a jet sur le pav de 280 4 800 ouvriers pour un seulqu'elle occupait. Dans la fabrication des pingles il y avait donc, si les machines servent simplement rduire les hommes au chmage, une proportion de 99,98 % de chmeurs. La situation pouvait-elle tre plus sombre ?

    Oui, les perspectives allaient devenir plus sombres encore car la rvolution industrielle n'en taitqu' son dbut. tudions quelques-uns des incidents et des aspects de cette rvolution. Voyons ce

    qui s'est pass par exemple dans l'industrie du bas. Ds leur apparition, les mtiers mcaniquesfurent dtruits par les artisans (plus de 1 000 en une seule meute), les fabriques brles, lesinventeurs malmens, et ils durent s'enfuir pour chapper la mort, et l'ordre ne fut rtabli que parl'intervention de la police et la mise en prison, ou mme la pendaison, des principaux meneurs.

    Rflchissons que dans la mesure o ces meneurs pensaient leur avenir immdiat ou mme futur,la lutte qu'ils entreprenaient contre la machine se justifiait. Ainsi William Felkin, dans sonHistoiredes Manufactures de Bonneterie la Machine (1867) nous conte que la plus grande partie des50 000 ouvriers anglais du bas et leurs familles ne purent se dlivrer compltement de la misre etde la faim pendant plus de 40 ans aprs l'apparition des mtiers mcaniques. Mais dans la mesureo les grvistes croyaient, et c'tait le cas de la plupart d'entre eux, que la machine liminerait

    l'homme d'une faon permanente, ils se trompaient, car avant la fin du XIXe

    sicle, la machineemployait cent hommes contre un au dbut du sicle dans le tissage des bas.

    C'est en 1760 que Arkwright inventa sa machine filer le coton. A cette poque on comptait enAngleterre 5 200 filateurs sur rouets, et 2 700 tisserands, soit en tout 7 900 personnes occupes la

    production des textiles de coton. Toutes s'opposrent l'introduction de la machine invente parArkwright, soutenant qu'elle leur enlverait leur gagne-pain. Cette opposition dut tre rduite par laforce. Pourtant en 1787, soit 27 ans aprs l'invention, une enqute parlementaire montra que lesouvriers employs dans les filatures de coton taient passs de 7 900 320 000, soit uneaugmentation de 4 400 %.

    Si le lecteur veut bien ouvrir le livre de David A. Wells, publi en 1889 :Les Transformations

    conomiques rcentes, il y trouvera des passages qui, part les dates ou l'ordre de grandeur desexemples, pourraient avoir t crits par nos technophobes d'aujourd'hui (si je peux me permettre deforger ce nouveau vocable). Laissez-moi vous en citer quelques-uns :

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    Pendant les dix annes qui s'coulrent de 1870 1880, la marine marchandebritannique vit son trafic, en matire de transports destination ou en provenance del'tranger, crotre jusqu' atteindre 22 000 000 de tonnes... et pourtant le nombre deshommes affects ce trafic avait dcru en 1880, par rapport 1870, dans la proportiond'environ 3 000 (exactement 2 990). A quelle cause cela tenait-il ? A l'introduction degrues vapeur et de machines aspirer le grain sur les quais et dans les docks,

    l'utilisation des machines vapeur, etc.

    En 1873, l'acier Bessemer, en Angleterre o son prix n'avait pas t augment par lesdroits de douane protecteurs, valait 80 $ la tonne ; en 1886, on le produisait et le vendaitdans ce mme pays pour moins de 20 $ la tonne. Dans l'intervalle la capacit de la

    production annuelle d'un convertisseur Bessemer avait quadrupl, non seulement sansqu'on ait employ plus de main-d'uvre, mais bien en la rduisant.

    La force motrice dj produite par les machines vapeur existant et travaillant durantl'anne 1887 a t calcule par le bureau des statistiques de Berlin comme quivalant la puissance de 200 millions de chevaux ou celle d'un milliard d'hommes, ce qui

    quivaut trois fois la population active du globe...

    On pourrait penser qu'une telle constatation aurait incit M. Wells rflchir, et se demandercomment il se faisait qu'il pouvait encore y avoir des hommes au travail dans le monde en l'anne1889, mais il se bornait conclure, avec un pessimisme contenu, que dans de telles circonstancesla surproduction industrielle ne peut que devenir chronique .

    Pendant la crise de 1932, ce petit jeu d'accuser le machinisme d'tre la cause du chmage reprit deplus belle. En quelques mois, les doctrines d'un groupe qui se donnaient eux-mmes le nom deTechnocrates gagnrent tous le pays comme un feu de fort. Je n'ennuierai pas le lecteur par le rcitdes histoires fantastiques qu'ils ont inventes, ou par la critique qu'il faudrait pour remettre les

    choses au point. Il suffit de dire que les Technocrates reprirent leur compte, et dans toute sa puretprimitive, l'erreur consistant dire que le mcanisme limine les travailleurs d'une manire permanente, sauf que, ignorants comme ils l'taient, ils prsentaient cette erreur comme unenouveaut et une trouvaille toute rvolutionnaire qu'ils venaient de dcouvrir. Ce n'tait qu'uneillustration de plus de l'aphorisme de Santayana : Ceux qui oublient le pass sont condamn lereco