L'économie politique en une leçon - Henry Hazlitt (1949)

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L'conomie politique en une leonPremire partie La leon Chapitre premier La leon

ditions SPID (1949) par Henry Hazlitt - traduit par Mme Gatan Pirou

Il n'est pas de science humaine qui soit entache d'autant de sophismes que l'conomie politique. Et cela n'est pas un hasard. Les difficults qui lui sont inhrentes seraient dj immenses, mais elles sont multiplies mille fois par un facteur qui, pour d'autres disciplines telles que la physique, les mathmatiques ou la mdecine, reste insignifiant, je veux parler de la dfense des intrts particuliers. Alors que chaque groupe humain a des intrts conomiques identiques ceux de ses voisins, chacun d'eux en a aussi qui s'opposent ceux de tous les autres. Bien qu'un certaine politique puisse assurer le bien de tous, plus ou moins longue chance, il en est d'autres qui ne servent qu'un seul groupe au dtriment de tous les autres. Le groupe qui serait ainsi favoris y trouverait un tel intrt qu'il ne cessera de prner cette politique par des arguments plausibles et tenaces. Il paiera les avocats les meilleurs pour qu'ils consacrent tout leur temps dfendre sa thse. Finalement, ou bien ils convaincront le public du bien fond de cette thse, ou bien ils la brouilleront si parfaitement qu'un esprit, mme avis, ne sera plus capable d'y voir clair. A ces plaidoiries sans nombre en faveur de l'intrt personnel, un second facteur important s'ajoute pour rpandre chaque jour des sophismes conomiques, je veux parler de la tendance instinctive des hommes ne pouvoir considrer que les consquences immdiates d'une politique donne, ou les consquences qu'elle peut avoir sur un seul groupe d'intrts ou de faits, et d'en ngliger totalement les consquences lointaines, non seulement sur un groupe donn mais sur tous les autres. C'est la funeste erreur de ne pas vouloir s'attacher tudier les consquences secondaires d'un acte conomique. Or c'est dans cette erreur grave ou dans cette ngligence que rside toute la diffrence entre une bonne et une mauvaise politique conomique. Le mauvais conomiste ne voit que ce qui frappe directement son esprit, le bon conomiste rflchit plus avant. Le mauvais conomiste n'envisage que les consquences immdiates d'une action donne, le bon conomiste en voit aussi les effets lointains ou indirects. Le mauvais conomiste ne juge des rsultats d'une politique donne que par les effets qu'elle a exercs ou exercera sur un seul groupe particulier d'individus ou de faits ; le bon conomiste s'inquite aussi des effets qu'elle aura sur tous les autres. Cette distinction peut paratre vidente comme peut aussi paratre lmentaire la prcaution d'envisager toutes les consquences d'une politique donne sur tous les groupes. Mais ne savons-nous pas, tous, par exprience personnelle, qu'il existe envers soi-mme bien des indulgences qui, sur le moment, sont plaisantes, mais qui, en fin de compte, s'avrent dsastreuses ? Tous les petits garons ne savent-ils pas que s'ils mangent trop de bonbons, ils seront malades ? Et celui qui s'enivre ne sait-il pas qu'il se rveillera le lendemain avec mal au cur et mal la tte ? Le buveur ne sait-il pas pertinemment qu'il perd son foie et se raccourcit la vie ? Don Juan lui-mme n'ignore pas qu'il court toutes sortes de risques, depuis le chantage jusqu' l'avarie ? Enfin pour

poser le problme sur un plan conomique individuel, les paresseux et les dpensiers, mme au plus fort de leur glorieuse ascension, ne savent-ils pas trs bien qu'ils se prparent un avenir de dettes et de pauvret ? Pourtant lorsqu'il s'agit d'conomie politique, on ignore ces vrits lmentaires. Et l'on voit certains conomistes considrs pourtant comme des hommes de valeur qui pour sauver l'conomie, dconseillent l'pargne et conseillent la prodigalit sur le plan national comme tant le meilleur moyen de sauver l'conomie en pril. Lorsque quelqu'un les met en garde contre les consquences possibles d'une telle politique, il s'entend rpondre cavalirement, comme pourrait le faire un fils prodigue son pre qui lui fait des observations : Mais quand cela arrivera, nous serons tous morts. Et l'on prend ces creuses billeveses pour des mots d'esprit et l'on admet qu'elles sont l'image d'une sagesse exprimente. Or, la tragdie rside justement en ce que, ds maintenant, nous supportons les consquences de la politique d'un pass rcent ou plus ancien. Aujourd'hui est dj le lendemain que le mauvais conomiste vous conseillait hier d'ignorer. Les consquences lointaines d'une politique conomique donne peuvent devenir videntes d'ici quelques mois. D'autres ne le deviendront peut-tre que d'ici quelques annes. D'autres encore peuvent mme ne se manifester qu'aprs des dizaines d'annes. Mais dans tous les cas, ces consquences lointaines sont inclues dans la politique prsente aussi srement que la poule est ne de l'uf et la fleur de la graine. Sous cet angle, donc, on peut condenser le contenu de toute politique conomique en une seule leon, et cette leon peut tre rduite une seule phrase : L'art de la politique conomique consiste ne pas considrer uniquement l'aspect immdiat d'un problme ou d'un acte, mais envisager ses effets plus lointains ; il consiste essentiellement considrer les consquences que cette politique peut avoir, non seulement sur un groupe d'hommes ou d'intrts donns, mais sur tous les groupes existants. 2 Les neuf diximes des erreurs conomiques qui causent tant de ravages dans le monde d'aujourd'hui proviennent de l'ignorance de cet axiome. Et toutes se rattachent l'une ou l'autre de ces deux grosses erreurs fondamentales ou au deux : l'erreur de ne considrer que les consquences immdiates d'un acte ou d'une proposition, ou l'erreur de ne s'attarder qu'aux consquences sur un groupe particulier d'intrts ou d'humains, ngligeant celles qu'auront supporter tous les autres. Naturellement l'erreur inverse est possible. Si l'on tudie les effets d'une politique, on ne doit pas s'hypnotiser uniquement sur ceux qui se produiront longue chance pour l'ensemble du pays. Les conomistes classiques commettaient souvent cette faute. Le sort des groupes plus proches que cette politique heurtait en soi ou par ses consquences, mais qui s'avrait excellente aprs un certain temps, les laissait insensibles.

De nos jours, on ne tombe plus dans cette erreur et ceux qui la commettent encore sont surtout des conomistes de profession. L'erreur la plus rpandue aujourd'hui et de beaucoup, celle que l'on entend sans cesse ressasser ds que l'on parle de sujets conomiques, celle qu l'on retrouve dans des milliers de discours politiques, l'erreur fondamentale de l'conomie politique nouvelle cole , consiste ne vouloir considrer que les consquences immdiates d'une politique sur quelques groupes particuliers, et ignorer ou minimiser les consquences lointaines sur l'ensemble du pays tout entier. Les conomistes modernes , comparant leurs mthodes celles des conomistes classiques ou orthodoxes , se flattent de penser qu'ils ont ralis un grand progrs, voire mme une rvolution, en tenant compte de ces effets immdiats que ceux-ci voulaient ignorer. Mais en oubliant, ou en minimisant eux-mmes les effets plus lointains, l'erreur qu'ils commettent est combien plus grave. Tandis qu'il s'absorbent dans cet examen prcis et minutieux de quelques-uns des arbres de la fort, ils n'en aperoivent pas l'ensemble. Leurs mthodes et leurs conclusions sont d'ailleurs souvent typiquement dmodes et ils sont parfois surpris eux-mmes de se trouver en accord avec les mercantilistes du XVIIe sicle. Ils retombent, en effet, dans les erreurs d'autrefois, et s'ils n'taient si peu logiques avec eux-mmes, ils retomberaient dans les erreurs mmes dont les conomistes classiques, on pouvait l'esprer, avaient une fois pour toutes fait justice. 3 On a souvent fait cette remarque mlancolique que les mauvais conomistes prsentent leurs erreurs au public avec beaucoup plus d'art que les bons conomistes ne prsentent leurs vrits. Et l'on dplore souvent que les dmagogues exposent leurs btises conomiques du haut de leur estrade avec beaucoup plus de vraisemblance que l'honnte citoyen qui s'efforce dmontrer tout ce qu'elles ont d'inexact. La raison de cette anomalie n'est pas mystrieuse. Elle provient de ce que les dmagogues, comme les mauvais conomistes, ne prsentent que des demi-vrits. Il ne parlent que de la consquence immdiate d'une politique donne ou de ses effets sur un seul groupe. Il se peut qu'ils aient raison, mais dans certaines limites, et la rponse leur faire est d'ajouter et de prouver que la dite politique pourrait aussi avoir des consquences plus lointaines dont les effets seront moins souhaitables, ou qu'elle ne donnerait satisfaction qu' un groupe d'individus seulement, au dtriment de tous les autres. Il suffit donc de complter et de corriger la demi-vrit qu'ils expriment en prsentant l'autre moiti du rel. Mais pour exposer ainsi les rpercussions essentielles d'un acte donn sans en oublier aucune, il faut parfois une longue suite de raisonnements, compliqus et fastidieux. La plupart des auditeurs trouvent cela difficile suivre, leur attention s'mousse vite, l'ennui les gagne. Le mauvais conomiste utilise alors cette faiblesse d'attention et cette paresse d'esprit en affirmant que tout cela n'est que classicisme ou libralisme ou argumentation de capitalistes ou tout autre qualificatif trompeur ; cela frappe alors les auditeurs comme autant d'arguments premptoires, et cela les dispense de suivre les raisonnement exposs ou de les juger selon leur mrite. Voil donc, en termes abstraits, comment se pose le problme de la leon que nous dsirons exposer, et les ides fausses qui font obstacle sa solution. Mais si nous ne l'illustrons pas par des exemples, nous ne le rsoudrons pas, et les ides fausses continueront cheminer sans tre dmasques. Grce ces exemples, nous pourrons aller des problmes conomiques les plus simples aux plus complexes et aux plus

difficiles ; grce eux nous pourrons dtecter d'abord, puis viter les sophismes les plus vidents et les plus faciles dcouvrir, enfin les plus compliqus et les plus fuyants. C'est ce travail que nous allons procder maintenant.

Deuxime partie Les applications de la leon Chapitre II La vitre briseCommenons par un exemple aussi simple que possible et prenons, l'instar de Bastiat, celui d'une vitre brise. Un jeune vaurien lance une brique contre la devanture d'un boulanger. Celui-ci furieux sort de sa boutique. Mais le gamin s'est enfui. La foule s'amasse et d'abord considre avec une bate satisfaction le grand trou fait dans la fentre et les morceaux de vitre qui parsment pains et gteaux. Aprs un moment, voici que nat le besoin d'un peu de rflexion philosophique. A peu prs srement, quelques personnes dans la foule se disent entre elles, ou mme disent au boulanger : Aprs tout ce petit malheur a son bon ct, cela va donner du travail au vitrier. Et, partant de l, elles commencent rflchir la question. Combien peut coter une grande glace comme celle-l aujourd'hui ? 50 dollars ? C'est une somme. Mais aprs tout, s'il n'y avait jamais de carreaux casss, que deviendraient les vitriers ? Et partir de ce moment, la chane des raisonnements se droule sans fin. Le marchand de vitres va avoir cinquante dollars de plus dans sa poche. Il les dpensera chez d'autres marchands, et ceux-ci leur tour auront cinquante dollars dpenser chez d'autres, et ainsi de suite l'infini. La vitre brise va donc ainsi devenir une source d'argent et de travail dans des cercles sans cesse largis. Et la conclusion logique de tout ceci devrait tre si la foule voulait bien la tirer que le petit vaurien qui a lanc la brique, loin d'tre un danger public, fut un bienfaiteur public. Mais voyons un autre aspect des choses. La foule a certainement au moins raison en ce qui concerne cette premire conclusion. Ce petit acte de vandalisme va certes tout d'abord apporter du travail quelque vitrier. Et le vitrier ne sera pas plus triste d'apprendre cet accident que l'entrepreneur de pompes funbres ne l'est d'apprendre un dcs. Mais le boutiquier, lui, va perdre cinquante dollars qu'il avait affects l'achat d'un nouveau vtement. Et puisqu'il doit faire remplacer la glace de sa vitrine, il va devoir se passer de son complet (ou de quelque autre objet dont il a besoin). Au lieu de possder une vitrine et cinquante dollars, il n'a plus maintenant qu'une vitrine. Ou bien il avait dcid d'acheter son vtement cet aprs-midi mme, et alors au lieu d'avoir une fentre et un vtement, il lui faut se contenter de sa fentre sans son vtement. Et si nous pensons lui en tant qu'lment de la socit, nous voyons que la dite socit a perdu un nouveau vtement qui et pu tre produit et qu'elle est appauvrie d'autant. En rsum, le gain en travail du vitrier est tout bonnement la perte en travail du tailleur. Aucun nouveau travail n'a t cr. Les bonnes gens de la foule n'ont pens qu' deux lments du problme : le boulanger et le vitrier. Ils n'ont pas eu conscience qu'un troisime y tait inclus : le tailleur. Et ils l'ont oubli tout simplement parce que celui-ci n'est pas entr en scne. Dans un jour ou deux, ils remarqueront la nouvelle vitre, mais ils ne verront jamais le beau vtement neuf, tout simplement parce qu'il ne sera jamais

fait. Ils n'aperoivent donc seulement que ce qui est immdiatement perceptible leurs yeux.

Chapitre IV Pas de travaux publics sans imptsAucune foi au monde n'est plus tenace ni plus entire que la foi dans les dpenses de l'tat. De tous cts, on les prsente comme une panace capable de gurir nos maux conomiques. L'industrie prive est-elle partiellement somnolente ? On peut y remdier par les dpenses du budget. Y a-t-il du chmage ? Cela est videmment d l'insuffisance du pouvoir d'achat . Et le remde est tout aussi vident : le Gouvernement n'a qu' engager des dpenses assez fortes pour suppler ce manque acheter . Une vaste littrature repose sur cette illusion et comme il arrive souvent pour des affirmations errones de cette nature, chacune s'tayant sur l'autre et se confondant avec elle, elles finissent par former un entrelacs d'ides fausses aux nuds serrs. Nous ne nous attacherons pas pour l'instant en dmler les lments, mais il nous est loisible de mettre en vidence l'ide-mre qui a donn naissance toute une progniture d'inexactitudes, et de dceler le nud central de tout cet embrouillage. En dehors des dons gratuits que nous dispense la nature, quels que soient les biens que nous avons le dsir d'acqurir, il nous faut toujours les payer, de quelque manire que ce soit. Or le monde est rempli de soi-disant conomistes qui, eux, sont remplis de thories d'aprs lesquelles on peut acqurir quelque chose pour rien. Ils nous affirment que le Gouvernement peut dpenser sans compter, et cela sans jamais nous faire payer d'impts, qu'il peut accumuler des dettes sans jamais les acquitter parce que, soi-disant, nous nous les devons nous-mmes . Nous reviendrons un peu plus tard sur ces affirmations doctrinales vraiment extraordinaires. Mais pour l'instant je serai tout fait catgorique et je soulignerai avec force que les rves magnifiques de ce genre se sont toujours vanouis dans le pass, laissant aprs eux la banqueroute nationale ou l'inflation dguise. Et je dirai crment que les dpenses de l'tat doivent tre soldes au moyen de l'impt, que reculer le jour fatidique du rglement de compte ne fait que compliquer le problme, que l'inflation elle-mme n'est autre chose qu'une forme particulirement vicieuse de l'impt. Puisque nous avons remis plus tard l'tude de ce systme d'ides fausses qui tournent autour des emprunts publics continus et de l'inflation, nous accepterons comme un axiome vident durant ce prsent chapitre que, tt ou tard, tout dollar dpens par l'tat doit ncessairement tre obtenu par un dollar d'impt. Si nous envisageons les choses sous cet angle, les soi-disant miracles des dpenses de l'tat nous apparaissent sous un tout autre jour. Pour assumer plusieurs de ses fonctions essentielles, l'tat doit ncessairement procder certaines dpenses importantes. Il lui faut assurer l'excution de nombreux travaux publics, tels que l'amnagement des rues, routes, ponts et tunnels, l'entretien des arsenaux et des ports, celui des btiments publics qui abritent les administrations d'tat et assurent l'exercice des services publics essentiels : les chambres lgislatives, la justice, la police, etc.

Mais laissons ces travaux qui se dfendent d'eux-mmes. Nous n'avons examiner ici que ceux qu'on nous prsente comme indispensables pour lutter contre le chmage ou pour ajouter la richesse publique quelque chose qui, sans cela, ne serait pas produit. On construit un pont. Si on le fait pour donner satisfaction au public qui l'a rclam avec insistance, s'il apporte une solution un problme de transport ou de circulation qui sans lui serait insoluble, si, en un mot, il apparat d'une utilit nettement plus vidente que les choses pour lesquelles les assujettis l'impt auraient dpens leur argent si on ne les avait obligs payer pour lui, pas d'objection. Mais un pont que l'on construit surtout pour donner du travail est un pont d'une toute autre espce. Lorsqu'on a pour but de procurer du travail tout prix, le besoin devient une considration trs secondaire. On se met alors inventer des projets. Au lieu de rechercher simplement quel endroit il est indispensable de construire des ponts, les partisans de cette politique se demandent o il est possible de construire des ponts. Trouvent-ils des raisons plausibles pour construire un pont de plus entre Easton et Weston ? Alors ce nouveau pont devient indispensable. Ceux qui osent mettre un doute quant sa ncessit sont aussitt carts comme ractionnaires ou comme faisant de l'obstruction. L'on fait alors valoir deux arguments : l'un que l'on dmontre avant que le pont soit construit, l'autre que l'on servira ds qu'il sera termin. Le premier consiste affirmer qu'il va donner du travail aux ouvriers. Il en emploiera mettons 500 pendant un an. Cela implique la croyance que, sans cela, ces emplois n'auraient pas t crs. Cela, c'est ce qu'on voit sur le moment. Mais si nous nous sommes entrans examiner, au-del des consquences immdiates, les consquences plus lointaines, et voir derrire ceux qui ce projet gouvernemental rend momentanment service, ceux-l qui en subiront le contrecoup, un autre aspect des choses apparatrait. Il est exact qu'un certain groupe de travailleurs va recevoir plus de travail que si on ne construisait pas de pont. Mais ce pont, il faudra le payer par l'impt. Pour chaque dollar dpens pour lui, on prendra un dollar dans la poche des contribuables. S'il cote 1 000 000 les contribuables devront payer 1 000 000. On les taxera de cette somme alors qu'autrement ils eussent pu la dpenser pour des objets dont ils ont le plus grand besoin. Par consquent, tout emploi cr pour la construction du pont empche un emploi priv d'tre offert quelque part ailleurs. L'argument que ces dpenses publiques donnent du travail est alors rendu vident nos yeux, et fort probablement mme, convaincant pour beaucoup. Mais il y a bien d'autres choses que nous ne voyons pas, parce que, hlas, celles-l il ne leur a pas t loisible de se transformer en ralits. Ce sont tous les travaux rduits nant par le million de dollars d'impts prlevs sur les contribuables. Ce qui s'est pass, au mieux, c'est qu'il y a eu dplacement de travaux par l'effet de ce projet gouvernemental. Il y a eu davantage de main-d'uvre affecte construire des ponts et bien moins de mcaniciens pour autos et pour radios, moins de tailleurs et de fermiers. Nous voyons poindre alors le deuxime argument. Le pont est construit, il existe. C'est, admettons, un beau pont, pas laid du tout. Il est n grce un coup de magie : une dpense publique. Que serait-il advenu de lui si les ractionnaires et les opposants avaient triomph ? Le pont n'et pas exist et le pays en et t d'autant plus pauvre.

L encore les partisans de ces dpenses gouvernementales utilisent au mieux cet argument auprs de tous ceux qui ne peuvent pas voir plus loin que le bout de leur nez. Ils peuvent voir le pont. Mais s'ils s'taient entrans tenir compte des consquences secondaires autant que des consquences premires d'un acte conomique, ils imagineraient une fois de plus toutes les choses possibles que l'on a ainsi empch de natre. Ils se reprsenteraient les maisons non construites, les autos et les radios non fabriques, les robes et les manteaux non coups, et peut-tre mme les bls non sems ou les rcoltes non vendues. Pour imaginer toutes ces choses qui eussent pu tre et n'ont pas t, il faut une certaine sorte d'imagination dont peu de gens sont capables. Nous pouvons nous reprsenter toutes ces choses qui n'ont pas vu le jour une fois peut-tre, mais nous ne pouvons pas les garder en mmoire de la mme manire que pour le pont devant lequel nous passons quotidiennement en allant au travail. Le rsultat final, c'est qu'un seul bien a t cr aux dpens de beaucoup d'autres. 2 Le mme raisonnement s'applique naturellement n'importe quelle espce de travaux publics, par exemple aux habitations bon march cres, elles aussi, avec les fonds d'tat. Ce qui se produit alors, c'est que, dans ce cas, l'argent des impts est prlev sur des familles aises (peut-tre aussi sur des familles modestes) qu'on oblige subventionner les familles revenus faibles afin de leur permettre de vivre dans des locaux plus sains pour un loyer sensiblement gal ou infrieur celui qu'elles payaient auparavant. Je ne veux pas entrer ici dans les controverses au sujet du logement. Je m'attache seulement souligner l'erreur cache dans les deux principales raisons mises en avant pour dfendre la politique du logement. L'on dit que cette politique cre du travail et l'on ajoute : elle cre de la richesse qui sans cela n'aurait pas vu le jour. Or, ces deux raisons sont fausses car elles ngligent tout ce que l'on perd du fait de l'impt. L'imposition demande pour la construction de ces habitations dtruira autant d'emplois dans d'autres secteurs de l'conomie qu'elle en cre pour celui de l'habitation. C'est autant de maisons bourgeoises qui ne seront pas bties, de machines laver ou de glacires qu'on ne fabriquera pas et de quantits d'autres marchandises ou services qui ne seront jamais produits. Et si l'on vous dmontre que la politique du logement ne doit pas se financer par une appropriation de capital faite d'un seul coup, mais seulement l'aide de rentes annuelles, c'est l encore une mauvaise raison. Cela signifie simplement que le cot se rpartira sur plusieurs annes au lieu d'tre dpens en une seule fois. Mais cela signifie galement que le prlvement fait sur les contribuables s'tendra lui aussi sur plusieurs annes au lieu de leur tre enlev d'un seul coup. Ces dispositions financires administratives n'ont rien voir avec le sujet. Le grand argument psychologique qui plaide en faveur de la politique du logement c'est que l'on peut voir les ouvriers au travail tandis que se btissent les maisons, et que l'on peut voir aussi ces maisons lorsqu'elles sont termines. Des gens les habitent et firement en font visiter l'intrieur leurs amis. Mais on ne voit pas les travaux que les impts pays pour les construire ont empch d'entreprendre ailleurs, non plus que les marchandises ou services qu'on n'a jamais pu produire ni se faire rendre. Il y faudrait quelque effort de rflexion, et un effort renouvel pour chaque maison construite ou

pour chaque visite qui en est faite, pour dnombrer d'autant les richesses qui n'ont pas vu le jour. Doit-on s'tonner ds lors que si l'on fait cette objection ces dfenseurs d'une politique du logement, ils l'cartent comme purement imaginaire ou thorique, tout en vous montrant du doigt les maisons qui sont l, devant vos yeux, bien relles ? Ils font penser l'un des personnages de la Sainte Jeanne de Bernard Shaw qui, alors qu'on lui expliquait que la terre est ronde et qu'elle tourne autour du soleil, selon la thorie de Pythagore, rpliquait quel triple sot, ne peut-il se servir de ses yeux ? Appliquons, une fois de plus, ce mme raisonnement aux grands travaux de la valle de Tennessee [1]. L, cause de ses dimensions mmes le danger de l'illusion optique est plus grand que jamais. On a construit un puissant barrage, c'est un prodigieux arc d'acier et de bton il est de dimensions telles que jamais aucune entreprise prive n'aurait pu le construire . C'est la coqueluche des photographes, la panace des socialistes, le symbole le plus fameux des miracles dus aux travaux publics, la proprit et la gestion publiques. C'est l qu'on trouve les dynamos et les turbines les plus puissantes. C'est l qu'on peut voir toute une rgion leve un niveau conomiquement suprieur, c'est l qu'on t attires des usines et des manufactures qui n'auraient jamais pu s'y difier autrement. Et tout cela est prsent dans les pangyriques des admirateurs de cette entreprise comme un gain conomique net, sans passif. Nous ne discuterons pas ici des mrites de la T.V.A. ou d'autres travaux publics du mme genre. Mais ici, pour apercevoir le passif du bilan de l'opration, il nous faut faire un effort d'imagination dont peu de gens sont capables. Si l'on a fortement impos les contribuables privs et les socits et drain partout ces sommes normes pour les dpenser en un seul point dtermin du pays, pourquoi s'tonner et pourquoi crier au miracle si cet endroit devient plus riche qu'un autre o l'on a rien fait. Les autres secteurs moins favoriss que celui-l sont forcment plus pauvres en comparaison. Ce puissant travail d'art que les capitaux privs auraient t dans l'impossibilit de construire , ce sont bien, en ralit, ces capitaux privs qui l'ont construit, c'est le capital priv que l'impt a prlev (ou, si l'on fait un emprunt, c'est le capital qu'il aurait bien fallu prendre par l'impt). Ici encore il nous faut faire un effort d'imagination pour nous reprsenter les travaux de l'conomie prive, les maisons bourgeoises, les machines crire et les radios qui n'ont jamais t bties ou fabriques, puisque l'on a pris tout l'argent dont disposaient les contribuables dans le pays tout entier pour construire le barrage de Morris si merveilleusement photographi. 3 J'ai choisi dlibrment les exemples de travaux publics les plus probants et les plus coteux, c'est--dire ceux qui sont le plus souvent et le plus imprieusement rclams par les doctrinaires des dpenses budgtaires, ceux que le public honore de sa plus grande considration. Je n'ai rien dit des centaines de projets de moindre envergure dans lesquels on s'embarque sans hsiter du moment qu'il s'agit surtout de donner du travail au peuple ou de faire travailler les gens . Dans ce cas, nous l'avons vu, l'utilit devient une considration d'ordre tout fait secondaire. Au surplus on vous dira que plus le travail est inutile, plus il est dispendieux, mieux il remplit son but, car il emploie alors la plus grande main-d'uvre possible. Lorsqu'il en est ainsi, ces travaux publics crs de toutes pices par les bureaucrates, ne se solderont vraisemblablement pas par un gain actif en faveur de la richesse et du bien-tre publics par dollar dpens, comme

c'et t le cas si les contribuables, au lieu d'tre forcs d'abandonner une part de leurs conomies l'tat, avaient t laisss libres de faire individuellement ce qu'ils voulaient de leur argent, et d'acheter les objets dont ils avaient besoin. Note [1] Tennessee Valley Authority, populairement connue sous l'abrviation T.V.A. (N.d.T.).

Chapitre V Les impts dcouragent la productionIl y a encore un autre facteur qui rend trs improbable que les richesses cres par les dpenses publiques puissent compenser pleinement celles qu'auront empch de natre les impts prlevs pour payer ces dpenses. La question n'est pas aussi simple, elle ne consiste pas, comme on le croit souvent, prendre l'argent de la poche de droite pour le mettre dans la poche de gauche. Les partisans de ces travaux publics nous disent, par exemple, que si le revenu national est de 200 milliards de dollars (ils sont toujours trs gnreux quand il s'agit d'valuer ce chiffre) et que l'impt sur le revenu soit de 50 milliards par an, cela signifie que le quart seulement du revenu national a t prlev sur les entreprises prives pour tre affect des entreprises publiques. Ils raisonnent comme si le budget de l'tat tait comparable celui d'une grande socit et comme si tout cela n'tait que jeux d'criture. Ils oublient que pour rgler ces dpenses publiques, s'ils prennent l'argent de A, c'est afin de payer B. Ou plutt ils ne l'oublient pas, ils en sont parfaitement conscients. Mais tandis qu'ils vous exposent longuement tous les bienfaits de l'opration en ce qui concerne B, et vous numrent les merveilleux btiments qu'il va pouvoir utiliser et qu'il n'aurait pas si on ne lui avait avanc l'argent pour les construire, ils oublient les consquences que cette opration financire auront sur A. Ils ne voient que B ; mais A est oubli ! Dans notre monde moderne, l'impt sur le revenu est fort ingalement rparti. La grande charge en incombe un trs petit nombre de contribuables, et il faut combler son insuffisance par d'autres impts de toutes sortes. Ceux qui en supportent le poids en sont forcment affects dans leurs actions ou dans les motifs qui les stimulent l'action. Quand une socit subit ses pertes 100 % par dollar et qu'on ne lui laisse que 60 % des dollars qu'elle gagne, quand elle ne peut compenser ses annes dficitaires par des annes bnficiaires, ou tout au moins dans des proportions convenables, alors ses finances sont trs compromises. Elle cessera de dvelopper ses oprations ou elle n'entreprendra que les extensions n'entranant qu'un minimum de risques. Ceux qui comprennent la situation s'abstiennent alors de crer de nouvelles entreprises. Les industriels dj tablis n'embauchent plus d'ouvriers ou n'en prennent qu'en nombre limit, certains renoncent mme rester dans les affaires. Les usines modernes ralentissent le rquipement de leur outillage. A la longue, le consommateur ne verra plus la qualit des objets fabriqus s'amliorer, ni leur prix baisser et les salaires rels, en outre, resteront trs bas. Si l'impt va jusqu' prendre 50, 60, 70 ou mme 90 % des revenus industriels, le rsultat est le mme. L'industriel ou le commerant se demanderont, en effet, pourquoi ils travailleraient 6, 8 ou 10 mois de l'anne pour l'tat et seulement 6, 4 ou 2 mois pour eux et leurs familles. Si vraiment ils doivent perdre un dollar tout entier quand ils le

perdent, mais ne peuvent en garder que le dixime quand ils le gagnent, ils dcident alors une fois pour toutes qu'il est absurde de prendre des risques avec son capital. Et les capitaux disponibles se font plus rares, car l'impt les absorbe avant qu'ils aient pu s'amasser. En rsum les capitaux qui pourraient donner du travail sont empches de se constituer et le peu qui s'en forme est dcourag de s'investir dans de nouvelles entreprises. Les partisans des dpenses publiques crent donc eux-mmes le problme du chmage auquel ils se prtendent capables de mettre fin. Sans doute une certaine proportion d'impts est-elle ncessaire pour assurer les fonctions essentielles de l'tat. Des impts raisonnables levs cette fin ne gnent gure la production. Les services gouvernementaux dont ils aident assurer le fonctionnement et dont certains protgent la production elle-mme compensent largement ces dbours. Mais plus le revenu national est grev d'impts, plus la production et l'emploi sont atteints. Et quand le poids total des impts dpasse une limite supportable, le problme de leur rpartition, si l'on ne veut pas dcourager la production ou la ruiner totalement, devient insoluble.

Chapitre VI Le crdit fait dvier la productionIl faut parfois redouter tout autant l'aide que l'tat peut apporter aux affaires que l'hostilit qu'il peut leur montrer. Cette prtendue aide se prsente soit sous la forme d'un prt direct, soit sous celle d'une garantie d'intrts aux emprunts privs. La question des prts gouvernementaux peut se compliquer souvent, car ils impliquent une possibilit d'inflation. Remettons un chapitre ultrieur l'analyse des effets de l'inflation de toutes formes. Pour l'instant simplifions et supposons que le crdit dont nous nous occupons n'est pas cause d'inflation. Celle-ci, nous le verrons, tout en compliquant l'analyse, ne modifie en rien, au fond, les consquences des directives conomiques tudies ici. Les crdits de ce genre le plus souvent demands au Congrs sont ceux qu'on destine aux agriculteurs. D'aprs les membres du Congrs, les agriculteurs n'ont jamais assez de crdit. Celui que les banques prives, ou les compagnies d'assurances, ou les banques de province leur font avoir n'est jamais adapt leurs besoins. Le Congrs s'aperoit sans cesse que certains manques ne sont pas combls, et que les tablissements publics de crdit qu'ils ont suscits ne sont pas assez nombreux, quel que soit dj le nombre de ceux qu'il a crs. Les agriculteurs disposent peut-tre d'assez de crdits long terme ou court terme, mais, dit-on alors, ils n'ont pas assez de crdit moyen terme, ou bien l'intrt en est trop lev, ou bien encore on se plaint que les crdits privs ne soient accords qu' des fermiers riches et prospres. Si bien que les propositions de loi tendant autoriser l'ouverture de nouveaux tablissements de crdit ou l'expos de formules nouvelles de prt s'empilent les unes sur les autres tout au long de la lgislature. La confiance que l'on apporte cette politique du crdit, on va le voir, repose sur deux raisonnements de bien courte vue. L'un consiste ne considrer la question que du

point de vue de l'agriculteur qui emprunte, l'autre ne penser qu' la premire partie de l'opration. Tout crdit, aux yeux d'un emprunteur honnte, doit ventuellement tre rembours. Car le crdit est une dette. Demander davantage de crdit n'est pas autre chose que demander augmenter le volume de ses dettes. Et si l'on employait couramment ce dernier terme plutt que le premier, tout cela serait beaucoup moins attrayant. Nous ne discuterons pas ici des emprunts courants que les fermiers ont l'habitude de faire des sources prives. Ce sont des hypothques, des achats temprament d'automobiles, glacires, radios, tracteurs et machines agricoles. Nous ne nous occuperons pas davantage des demandes aux banques qui sont ncessaires la vie de la ferme, en attendant que le cultivateur ait pu faire la moisson, vendre son grain et retirer son bnfice. Nous ne traitons ici que du crdit fait aux fermiers, soit directement par les caisses de l'tat, soit de celui garanti par lui. Ces prts sont de deux types principaux. L'un permet au fermier de garder sa rcolte hors du march, c'est une espce tout particulirement nfaste, mais il sera plus facile d'en discuter plus loin, quand nous arriverons la question du contrle conomique. L'autre est un prt de capitaux accord bien souvent au fermier qui dbute, afin de lui permettre d'acheter la ferme elle-mme, ou un cheval, ou un tracteur, ou les trois la fois. Au premier abord ce prt parat vraiment d'excellente nature. Voici une famille pauvre, vous dit-on, sans aucun moyen d'existence. Il serait cruel et bien infructueux de mettre tous ses membres au bureau de bienfaisance. Achetez-leur une ferme, mettez-les au travail, faites-en des citoyens producteurs et dignes de considration. Ils ajouteront le produit de leur travail la production nationale, et s'acquitteront de leur dette grce la vente de leurs rcoltes. Ou bien voici un fermier qui s'reinte travailler avec des outils dsuets, faute d'argent pour s'acheter un tracteur. Avancez-lui l'argent, il accrotra ainsi sa productivit, et il aura vite rembours ce prt, grce au meilleur rendement de sa rcolte. Et ainsi, non seulement vous accroissez son bien-tre et le remettez sur pied, mais vous enrichissez galement la socit par ce rendement accru. Et notre homme de conclure : le crdit cote au Gouvernement et aux contribuables moins que rien puisqu'il est payant . En ralit, examinons d'un peu plus prs ce qui se passe tous les jours de par l'institution du crdit priv. Qu'un particulier dsire acheter une ferme et ne possde, par exemple, que la moiti ou le tiers de ce qu'elle cote ; un voisin ou une caisse d'pargne lui prtera le complment sous forme d'une hypothque sur la ferme. S'il dsire ensuite acheter un tracteur, la compagnie des tracteurs elle-mme, ou une banque lui permettra de l'acheter pour le tiers de son prix d'achat, avec la facult de s'acquitter du reste par acomptes, grce aux bnfices accrus que ce mme tracteur lui permettra de raliser. Mais il existe une diffrence fondamentale entre les prts allous par les prteurs privs et ceux accords par le Gouvernement. Le prteur priv risque ses propres fonds dans l'affaire (un banquier, il est vrai, risque les fonds d'autrui, de clients qui lui ont fait confiance ; mais si cet argent est perdu, il lui faut, soit compenser cette perte en prenant sur sa fortune personnelle, soit faire faillite). Quand les gens risquent leur argent personnel, ils sont gnralement fort prudents dans leurs enqutes, et ils se renseignent

toujours trs exactement sur l'honntet de l'emprunteur, la valeur de son travail et l'opportunit de sa demande. Si seulement le Gouvernement agissait selon ces mmes critres, il n'aurait absolument plus aucune raison de s'occuper de cette question. Pourquoi remplirait-il cet office que des entreprises prives font si bien ? Mais presque toujours le Gouvernement opre sur d'autres donnes. Il prtend que s'il s'occupe de crdit, c'est qu'il doit rendre service des gens qui ne peuvent s'en procurer auprs des agences prives. Cela revient dire que les institutions qui prtent au nom de l'tat, vont courir des risques avec l'argent des autres celui des contribuables risques que les prteurs privs n'ont pas voulu courir avec leur argent personnel. Et, de fait, certains avocats de cette politique admettent volontiers que le pourcentage des pertes est gnralement plus grand sur ces prts gouvernementaux que sur ceux des particuliers. Mais ils se plaisent ajouter que ces pertes seront compenses, et bien au-del de leur valeur, la fois par la production accrue de ceux qui rembourseront, et mme aussi par celle des emprunteurs qui ne pourront rembourser. Ce raisonnement n'est valable que si nous considrons seulement les gens qui l'tat apporte son aide, ngligeant par la mme ceux que cette aide mme prive de fonds. Car ce que l'on prte ainsi en ralit, ce n'est pas de l'argent, lequel n'est que l'instrument de paiement, mais c'est du capital (j'ai dj averti le lecteur que je remets plus tard l'tude des difficults qu'entrane l'inflation de crdit). Ce qu'on prte rellement dans ce cas, c'est la ferme ou le tracteur. Mais le nombre de fermes existantes est limit, comme l'est aussi la production des tracteurs (en supposant toutefois qu'on ne produit pas un surplus de tracteurs aux dpens d'autre chose). La ferme ou le tracteur prt A ne peut l'tre B. La vritable question qui se pose est donc de savoir qui de A ou de B aura la ferme ou le tracteur. Ceci nous conduit mesurer es mrites de A et de B et leur capacit productive respective. A, par exemple, est celui des deux qui saurait au besoin se procurer la ferme, mme sans l'aide de l'tat. Le banquier rgional ou ses voisins le connaissent et peuvent soupeser ses aptitudes. Ils cherchent faire un placement de leur argent. Ils le tiennent pour un bon fermier et pour un homme honnte, fidle sa parole. Ils le considrent comme un bon risque . Il a peut-tre dj, grce son travail, sa vie modeste, sa prvoyance, suffisamment pargn pour payer le quart de sa ferme. Ils lui prtent les trois autres quarts, et il acquiert sa ferme. On entend souvent, l'tranger, les gens de finances plus ou moins fantaisistes dire que le crdit est quelque chose qu'un banquier donne un client. Le crdit, au contraire, est une ralit intrinsque que cet homme possde dj en lui. Il l'a, soit parce qu'il possde dj des avoirs ngociables d'une plus grande valeur que le prt dont il fait la demande, soit parce que la confiance que l'on met en lui est due sa bonne rputation. Et c'est cela qu'il apporte avec lui quand il entre la banque. C'est cause de cela que le banquier lui fait ce prt. Car le banquier ne donne rien pour rien. Il se sent assur d'tre rembours. Il fait tout simplement l'change d'un crdit ou d'un avoir moins liquide contre un autre qui l'est davantage. Parfois il se trompe, mais alors ce n'est pas seulement lui qui en souffre, mais l'ensemble de la socit, car les valeurs que l'on escomptait voir produites par l'emprunteur ne le sont pas, et le prt est perdu.

Supposons maintenant que le banquier fasse un prt A, qui a du crdit, mais le Gouvernement entre en scne, anim d'un esprit charitable, car, nous l'avons vu, il est en souci cause de B. B ne peut obtenir d'hypothque ou d'autre prt de ses amis parce qu'ils n'ont pas assez confiance en lui. Il n'a pas d'conomies, sa rputation comme fermier n'est pas excellente, peut-tre mme est-il la charge d'une institution charitable. Pourquoi alors, disent les avocats du prt gouvernemental, ne pas lui permettre de redevenir un membre utile de la socit, l'aider et le rendre producteur en lui avanant assez d'argent pour qu'il achte une ferme ou un cheval ou un tracteur, et le mettre ainsi au travail ? Il se peut que cela russisse pour un cas individuel. Mais il est vident que, en gnral, ceux que le Gouvernement choisira d'aprs ce critrium lui feront courir plus de risques que ceux qui auront t slectionns par les banques prives. Le Gouvernement est sr de perdre plus d'argent que les banques, car le pourcentage des faillites sera plus lev parmi ces gens qui russiront vraisemblablement moins bien que les autres. Finalement, cause d'eux, beaucoup de ressources seront gaspilles. Les bnficiaires du crdit gouvernemental recevront leurs fermes et leurs tracteurs aux dpens de ceux qui auraient t, sans cela, les bnficiaires du crdit priv. C'est parce que B va tre dot d'une ferme que A en sera priv. A peut subir ce mme sort, soit parce que ces oprations de prt gouvernemental auront fait monter le taux d'intrt ou le prix d'achat des fermes, soit parce qu'il n'y avait pas d'autre ferme vendre dans le voisinage. Dans toutes ces hypothses, le rsultat final du prt de l'tat n'est pas d'augmenter la richesse de la socit, mais de la rduire, parce qu'on arrive ainsi mettre les capitaux rels disponibles (que reprsentent les fermes, tracteurs, etc.) non pas aux mains des plus habiles et des plus srs, mais des emprunteurs les moins intressants. 2 Tout ceci est encore plus vident si, au lieu de l'agriculture, nous considrons d'autres secteur conomiques. N'entend-on pas souvent affirmer que c'est le Gouvernement qui doit assumer les risques qui seraient trop grands pour l'entreprise prive ? Cela revient dire que les fonctionnaires de l'tat vont dornavant tre autoriss courir des risques avec l'argent des contribuables, dont aucun ne voudrait les assumer avec son argent personnel. Cette politique comporterait des consquences nfastes de diverses sortes. Elle conduirait au favoritisme car ces fonctionnaires auront tendance prter leurs amis, ou contre pots-de-vin, ce qui ne manquera pas de faire natre des scandales. Elle soulverait de nombreuses rcriminations lorsque l'argent des contribuables serait prt des affaires proches de la faillite. Enfin elle verserait de l'eau au moulin du socialisme car, se demanderait-on juste titre, puisque le Gouvernement court les risques d'une affaire, pourquoi ne s'en attribuerait-il pas les bnfices ? Que rpondre en effet des contribuables qui assumeraient tous les alas d'une affaire en difficult alors qu'on laisserait les capitalistes en rcolter les profits ? (Or, c'est prcisment cela que nous faisons lorsque nous prtons aux fermiers sans obligation de rembourser, ainsi que nous le verrons plus loin.)

Ngligeons toutefois pour l'instant ces diverses consquences, et n'examinons que l'une d'entre elles, savoir qu'une telle politique de crdit gaspillera des capitaux et rduira la production. C'est en effet des affaires difficiles ou tout au moins douteuses que l'on va affecter des fonds disponibles. On les confiera des personnes moins comptentes ou sur lesquelles on peut moins compter que celles qui les auraient obtenus sans cela. Or, ces fonds disponibles ne sont jamais illimits, quelque moment qu'on se place de la conjoncture conomique (si on les distingue des simples jetons montaires qui sortent des presses billets). Ce que l'on accorde B ne peut tre accord A. Or, nous dsirons tous placer notre argent, et sur ce chapitre nous sommes tous prudents, car nous n'avons pas envie de le perdre. C'est pourquoi la plupart des prteurs font, avant de se dcider, une srieuse tude de l'affaire dans laquelle ils vont mettre leur argent. Ils psent soigneusement les chances de profit et celles des pertes. Il leur arrive parfois, naturellement, de se tromper. Mais pour plusieurs raisons, il est vraisemblable qu'ils se tromperont moins souvent que ceux qui sont chargs de placer les fonds d'tat. D'abord parce que cet argent est eux ou ceux qui le leur ont confi, tandis que lorsqu'il s'agit de fonds d'tat, l'argent est celui de tous, c'est celui qui nous a t enlev par les impts, sans d'ailleurs nous demander notre avis sur son affectation. L'argent d'une banque prive ne sera plac que si l'on est sr qu'il rapportera un intrt ou un bnfice. On compte que ceux qui l'emprunteront se mettront au travail en vue de produire et de rpandre sur le march les objets dont le besoin se fait sentir. Les fonds d'tat, eux, sont le plus souvent affects des buts vagues et gnraux, comme par exemple crer de l'emploi ; ici moins le travail a de rendement c'est--dire plus il faudra crer d'emplois par rapport la valeur de la production ainsi entreprise plus on apprciera le crdit demand. De plus, la loi du march est inexorable, elle exerce une svre slection parmi les prteurs de capitaux. S'ils commettent une erreur, ils perdent leur argent et n'en ont plus prter, car ce n'est que parce qu'ils ont russi dans le pass qu'ils en ont encore de disponible pour l'avenir. Si bien que les prteurs privs ( part naturellement la trs petite proportion de ceux qui tiennent leur bien d'un hritage) sont rigoureusement slectionns par la survivance des plus aptes. Ceux qui prtent pour le Gouvernement, au contraire, sont, ou bien ceux qui ont pass de brillants examens pour entrer dans l'administration, et ils ne sont capables que de rsoudre des problmes d'cole par des hypothses, ou bien ceux qui savent trouver les meilleures raison pour justifier un emprunt, mais aussi pour expliquer en quoi ce n'est pas leur faute si l'opration a mal tourn. Mais finalement le rsultat est l : les emprunts consentis par des prteurs privs utilisent plein toutes les ressources et tous les capitaux existants beaucoup mieux que les emprunts faits par l'tat. Les emprunts d'tat gaspillent beaucoup plus de capitaux que les emprunts privs. Les emprunts d'tat, en un mot, compars aux emprunts privs, loin d'augmenter la production, la rduisent. En rsum, ceux qui demandent au Gouvernement de faire un emprunt pour des fins individuelles ou des projets particuliers, voient bien B mais oublient A. Ils vous signalent celui qui reoit des capitaux, mais ils oublient ceux qui, autrement, les auraient obtenus. Ils pensent au projet que ces capitaux vont aider, mais ils oublient tous ceux que les sommes ainsi investies empcheront de raliser. Ils supputent le bnfice

proche d'un groupe particulier, mais ils ne prennent pas garde aux pertes des autres groupes, ni aux pertes que cela entrane pour l'ensemble de la socit. Nous sommes en prsence d'une illustration de plus de cette ide fausse qui consiste ne considrer qu'un intrt particulier dans ses effets immdiats, tout en oubliant l'intrt gnral et ses effets plus lointains. 3 Nous avons fait la remarque au dbut de ce chapitre que l' aide du gouvernement aux affaires est parfois aussi redoutable que son hostilit envers elles. Cette remarque s'applique aux subventions qu'il accorde aussi bien qu'aux prts qu'il consent. Car l'tat ne prte ou ne donne jamais aux affaires que ce qu'il leur enlve par ailleurs. Les hommes du New Deal ou d'autres tatistes vantent souvent la faon dont l'tat a rsorb le chmage grce l'Office de Reconstruction financire, l'Office de Prts aux Propritaires et grce aux autres institutions gouvernementales cres en 1933 et aprs. Mais l'tat ne peut rien prter aux affaires qu'il ne leur prenne, pralablement ou finalement. Tous les fonds du Gouvernement proviennent en effet de l'impt. Et le crdit de l'tat tant vant ne repose que sur cette vrit implicite : les prts qu'il peut accorder seront finalement rembourss par l'impt. Quand l'tat consent un prt ou accorde des indemnits certaines affaires, en ralit il taxe une affaire prive prospre pour aider une affaire prive en difficult. Il existe certaines circonstances dlicates o cela peut se soutenir, nous n'en examinerons pas ici le bien fond. Mais en dfinitive, et la longue, il ne semble pas que ce soit une politique payante en ce qui concerne le pays dans son ensemble. L'exprience mme se charge d'en faire la dmonstration.

Chapitre VII La machine mauditeRendre le machinisme finalement responsable du chmage, telle est finalement de toutes les erreurs conomiques la plus vivace. Mille fois on a dmontr le contraire, mille fois cette erreur renat de ces cendres, plus vivante et plus ancre dans les cervelles que jamais. Et chaque fois que le chmage renat, en tendue ou en dure, on accuse de nouveau les machines. Bien des syndicats fondent encore leur action sur cette fausse interprtation des faits. Et le public approuve cette action parce que, ou bien il est convaincu que les syndicats sont dans le vrai, ou bien il ne se rend pas trs bien compte en quoi ils ont tort. Croire que le machinisme dtermine le chmage, et le dmontrer par des raisonnements purement logiques et abstraits conduit des conclusions manifestement absurdes. Ce n'est pas seulement le progrs technique que nous dveloppons chaque jour qui doit ncessairement causer du chmage, mais c'est l'homme primitif lui-mme qui a commenc dtruire de l'emploi, lorsque, par ses premiers efforts inventifs, il se libra d'un labeur improductif. Sans remonter si loin, ouvrons le livre d'Adam Smith : La Richesse des Nations, publi en 1776. Le premier chapitre de ce livre remarquable est intitul : De la Division du Travail , et la seconde page de ce premier chapitre, l'auteur nous explique qu'un ouvrier travaillant sans le secours d'une machine fabriquer des pingles, peut peine en fabriquer une par jour et en tout cas ne peut en faire vingt alors que, ds qu'il dispose d'une machine, il en produit 4 800 par jour. Donc dj, hlas,

au temps d'Adam Smith, la machine a jet sur le pav de 280 4 800 ouvriers pour un seul qu'elle occupait. Dans la fabrication des pingles il y avait donc, si les machines servent simplement rduire les hommes au chmage, une proportion de 99,98 % de chmeurs. La situation pouvait-elle tre plus sombre ? Oui, les perspectives allaient devenir plus sombres encore car la rvolution industrielle n'en tait qu' son dbut. tudions quelques-uns des incidents et des aspects de cette rvolution. Voyons ce qui s'est pass par exemple dans l'industrie du bas. Ds leur apparition, les mtiers mcaniques furent dtruits par les artisans (plus de 1 000 en une seule meute), les fabriques brles, les inventeurs malmens, et ils durent s'enfuir pour chapper la mort, et l'ordre ne fut rtabli que par l'intervention de la police et la mise en prison, ou mme la pendaison, des principaux meneurs. Rflchissons que dans la mesure o ces meneurs pensaient leur avenir immdiat ou mme futur, la lutte qu'ils entreprenaient contre la machine se justifiait. Ainsi William Felkin, dans son Histoire des Manufactures de Bonneterie la Machine (1867) nous conte que la plus grande partie des 50 000 ouvriers anglais du bas et leurs familles ne purent se dlivrer compltement de la misre et de la faim pendant plus de 40 ans aprs l'apparition des mtiers mcaniques. Mais dans la mesure o les grvistes croyaient, et c'tait le cas de la plupart d'entre eux, que la machine liminerait l'homme d'une faon permanente, ils se trompaient, car avant la fin du XIXe sicle, la machine employait cent hommes contre un au dbut du sicle dans le tissage des bas. C'est en 1760 que Arkwright inventa sa machine filer le coton. A cette poque on comptait en Angleterre 5 200 filateurs sur rouets, et 2 700 tisserands, soit en tout 7 900 personnes occupes la production des textiles de coton. Toutes s'opposrent l'introduction de la machine invente par Arkwright, soutenant qu'elle leur enlverait leur gagne-pain. Cette opposition dut tre rduite par la force. Pourtant en 1787, soit 27 ans aprs l'invention, une enqute parlementaire montra que les ouvriers employs dans les filatures de coton taient passs de 7 900 320 000, soit une augmentation de 4 400 %. Si le lecteur veut bien ouvrir le livre de David A. Wells, publi en 1889 : Les Transformations conomiques rcentes, il y trouvera des passages qui, part les dates ou l'ordre de grandeur des exemples, pourraient avoir t crits par nos technophobes d'aujourd'hui (si je peux me permettre de forger ce nouveau vocable). Laissez-moi vous en citer quelques-uns : Pendant les dix annes qui s'coulrent de 1870 1880, la marine marchande britannique vit son trafic, en matire de transports destination ou en provenance de l'tranger, crotre jusqu' atteindre 22 000 000 de tonnes... et pourtant le nombre des hommes affects ce trafic avait dcru en 1880, par rapport 1870, dans la proportion d'environ 3 000 (exactement 2 990). A quelle cause cela tenait-il ? A l'introduction de grues vapeur et de machines aspirer le grain sur les quais et dans les docks, l'utilisation des machines vapeur, etc. En 1873, l'acier Bessemer, en Angleterre o son prix n'avait pas t augment par les droits de douane protecteurs, valait 80 $ la tonne ; en 1886, on le produisait et le vendait dans ce mme pays pour moins de 20 $ la tonne. Dans l'intervalle la capacit de la

production annuelle d'un convertisseur Bessemer avait quadrupl, non seulement sans qu'on ait employ plus de main-d'uvre, mais bien en la rduisant. La force motrice dj produite par les machines vapeur existant et travaillant durant l'anne 1887 a t calcule par le bureau des statistiques de Berlin comme quivalant la puissance de 200 millions de chevaux ou celle d'un milliard d'hommes, ce qui quivaut trois fois la population active du globe... On pourrait penser qu'une telle constatation aurait incit M. Wells rflchir, et se demander comment il se faisait qu'il pouvait encore y avoir des hommes au travail dans le monde en l'anne 1889, mais il se bornait conclure, avec un pessimisme contenu, que dans de telles circonstances la surproduction industrielle ne peut que devenir chronique . Pendant la crise de 1932, ce petit jeu d'accuser le machinisme d'tre la cause du chmage reprit de plus belle. En quelques mois, les doctrines d'un groupe qui se donnaient eux-mmes le nom de Technocrates gagnrent tous le pays comme un feu de fort. Je n'ennuierai pas le lecteur par le rcit des histoires fantastiques qu'ils ont inventes, ou par la critique qu'il faudrait pour remettre les choses au point. Il suffit de dire que les Technocrates reprirent leur compte, et dans toute sa puret primitive, l'erreur consistant dire que le mcanisme limine les travailleurs d'une manire permanente, sauf que, ignorants comme ils l'taient, ils prsentaient cette erreur comme une nouveaut et une trouvaille toute rvolutionnaire qu'ils venaient de dcouvrir. Ce n'tait qu'une illustration de plus de l'aphorisme de Santayana : Ceux qui oublient le pass sont condamn le recommencer. On se gaussa tant des technocrates qu'ils finirent par en mourir, mais leur doctrine qui avait exist avant eux persiste. On en retrouve la trace dans les centaines de rglements que les syndicats ont labors en faveur du travail rduit ou ralenti. On tolre ces rglements, et parfois mme on les approuve, tant il rgne de confusion dans l'esprit des hommes sur ce point. Avant de tmoigner devant la Commission nationale conomique temporaire (connue sous les initiales T.N.E.C.) en mars 1941, Corwin Edwards, parlant au nom du ministre amricain de la Justice, citait de nombreux exemples de ce genre de rglements dont voici quelques chantillons : Le Syndicat des lectriciens de la ville de New York fut condamn pour avoir refus d'utiliser des fournitures lectriques fabriques en dehors de l'tat de New York, moins qu'on ne l'autorist dmonter et remonter tous les appareils sur les lieux mmes de l'installation. A Houston, Texas, le Syndicat patronal et le Syndicat ouvrier de la plomberie se mirent d'accord pour dcider que les tuyaux prfabriqus, tout prts tre poss, ne seraient installs par les ouvriers que si le filetage de leurs extrmits tait coup et remplac par un filetage fait sur place. Diverses sections locales de l'Union des Peintres en Btiment obtinrent la rduction de l'emploi des machines projeter la peinture, simplement pour augmenter les heures de travail de l'ouvrier peintre, qui pouvait ainsi reprendre son pinceau.

Une section de l'Union des Chauffeurs de Camions exigea que tout camion qui entrerait dans l'enceinte de New York devrait s'adjoindre un chauffeur supplmentaire. Dans de nombreuses villes, le Syndicat des lectriciens dcida que, lorsqu'une installation provisoire de force ou de lumire serait mise en uvre sur un chantier de construction, on serait oblig d'y engager au tarif plein un lectricien d'entretien qui ne devrait s'occuper d'aucun travail d'installation. Ce rglement, ajoute M Edwards, oblige payer un homme qui passe toute sa journe seul lire ou se distraire car il n'a rien faire, sauf de tourner une manette au dbut et la fin de la journe. On n'en finirait pas de citer des exemples de rglements semblables dans beaucoup d'autres professions. Ainsi, dans les chemins de fer, les syndicats exigent que l'on prenne des hommes de chauffe, mme sur des locomotives qui n'en ont pas besoin. Dans les thtres, les syndicats rclament la prsence de machinistes, mme pour les pices qui ne ncessitent aucun dcor. L'Union des Musiciens insiste pour que l'on embauche des musiciens, ou mme des orchestres entiers, dans des cas o l'on n'a besoin que de quelques disques. [En 1961, il n'y avait aucun signe montrant que le sophisme tait mort. Non seulement les leaders syndicaux, mais aussi les officiels du gouvernements, parlaient solennellement de l' automatisation comme cause majeure du chmage. On parlait de l'automatisation comme s'il s'agissait de quelque chose d'entirement nouveau dans le monde. Ce n'tait simplement qu'un nouveau nom pour dsigner la continuation de l'avance technique et le progrs poursuivi pour laborer des quipements pargnant du travail. (Ajout figurant dans l'dition de 1979, traduit par Herv de Quengo)] 2 [Mais l'opposition aux machines permettant de diminuer le travail humain, mme aujourd'hui, ne se limite pas aux analphabtes conomiques. En 1970, un livre fut crit par un auteur tenu en si haute estime qu'il a depuis reu le Prix Nobel d'conomie [Gunnar Myrdal, The Challenge of World Poverty (New York: Pantheon Books, 1970), pp. 400-401 et suivantes]. Son ouvrage s'opposait l'introduction de machines pargnant le travail humain dans les pays sous-dvelopps, au motif qu'elles rduisaient la demande de travail ! La conclusion logique de ceci serait que le moyen de maximiser les emplois est de rendre tout travail aussi inefficace et improductif que possible. Ce qui implique que ces meutiers anglais appels Luddites avaient aprs tout raison, eux qui au dbut du dix-neuvime sicle dtruisaient les machines fabriquer des bas, les mtiers tisser vapeur et les tondeuses mcaniques. (Ajout l'dition de 1979, traduit par Herv de Quengo)] On pourrait lever des montagnes de statistiques pour prouver quel point les technophobes du pass se sont tromps. Mais cela ne servirait rien si l'on n'essayait pas en mme temps de comprendre clairement pourquoi ils se sont tromps. Car les statistiques, comme l'histoire, sont inutiles en conomie politique si elles ne sont pas tayes par une comprhension raisonne et dductive des faits eux-mmes, ce qui implique, dans le cas qui nous occupe, l'explication des faits suivants : pourquoi l'apparition des inventions, du machinisme et du travail mcanis devaient ncessairement entraner les consquences qui se sont produites dans le pass, sinon les technophobes vont vous tenir tte (comme ils ne manquent pas de le faire quand vous

leur montrez que les prophties de leurs prdcesseurs se sont trouves devenir absurdes). Il se peut que cela se soit pass ainsi autrefois, mais maintenant nous ne sommes plus du tout dans les mmes conditions, et nous ne pouvons plus nous permettre de laisser dvelopper un machinisme qui diminue l'emploi du travail humain. Mme lonore Roosevelt elle-mme dans un article publi par une chane de journaux, crivait, le 19 septembre 1945 : Nous avons atteint la limite o les inventions du machinisme ne sont bonnes que si elles n'exproprient pas l'ouvrier de son emploi. S'il tait vrai que l'introduction du machinisme soit la cause du chmage et de la misre grandissants, la conclusion logique en tirer devrait tre totalement rvolutionnaire. Non seulement en ce qui concerne le domaine technique, mais encore par rapport notre conception mme de la civilisation. Non seulement nous devrions considrer que tout progrs technique nouveau est une calamit, mais il nous faudrait regarder avec la mme horreur tous les progrs techniques du pass. Nous nous efforons tous, chaque jour, d'conomiser nos efforts ainsi que les moyens ncessaires aux rsultats recherchs. Chaque patron, du petit au plus grand, s'efforce de chercher atteindre son but de la manire la plus conomique et la plus efficace possible, c'est-dire en faisant des conomies de travail. L'ouvrier intelligent cherche rduire l'effort qu'il lui faut fournir pour accomplir le travail qui lui est assign. Les plus ambitieux d'entre nous ne cessent d'augmenter le rendement maximum qu'ils peuvent obtenir en un minimum de temps. Les technophobes, s'ils taient logiques et consistants avec euxmmes devraient condamner tous ces progrs et tous ces efforts, non seulement comme inutiles, mais comme vicieux. Pourquoi fait-on circuler les marchandises de New York Chicago par chemin de fer quand on pourrait utiliser tant d'hommes qui les porteraient sur leur dos ? On ne peut soutenir des thories aussi fausses par des arguments logiques, mais elles font grand mal par le seul fait qu'on les affirme. Cherchons donc nous rendre compte de ce qui se passe exactement quand on apporte des amliorations techniques, et que l'on emploie de nouvelles machines. Les dtails peuvent varier pour chaque cas ; cela dpend en effet des conditions particulires qui l'emportent dans une industrie en une priode de temps donne. Mais choisissons un exemple qui contienne la majorit des conditions essentielles. Supposons qu'un fabricant de vtements entende parler d'une nouvelle machine capable de fabriquer les manteaux pour hommes et pour femmes avec deux fois moins de main-d'uvre qu'auparavant. Il installe ces machines et congdie la moiti de son personnel. Cela parat premire vue un cas trs net de perte d'emplois. Mais pour fabriquer cette machine elle-mme, on a d trouver de la main-d'uvre, il y a donc l dj une certaine compensation, sous forme d'emplois qui, sans cela, n'auraient pas exist. Le fabricant d'ailleurs n'a adopt cette machine que si elle lui permet de fabriquer des vtements mieux faits avec une main-d'uvre rduite, ou si elle donne les mmes vtements qu'avant, mais moiti prix. Si nous supposons qu'il s'est dcid pour la deuxime raison, nous devons penser que le prix de revient de la machine en salaires est moins lev que la somme des salaires que le fabricant espre pargner dans l'avenir en utilisant cette machine. Sinon il n'y aurait aucune conomie, et il ne l'et pas adopte. Donc il subsiste encore une perte nette de main-d'uvre. Mais il nous faut nous rappeler

qu'il peut trs bien se faire, tout compte fait, que l'introduction de la machine ait d'abord pour effet en un premier temps d'accrotre la main-d'uvre, car ce n'est gnralement que sur une longue priode que le fabricant s'attend faire des conomies en se servant de la machine. Il pourra se passer des annes avant que la machine se paye elle-mme. Lorsqu'enfin cette machine a ralis un bnfice suffisant pour compenser son prix d'achat, le fabricant de vtements fait dsormais plus de bnfices qu'auparavant (nous supposerons qu'il vend ses manteaux au mme prix que ses concurrents et ne cherche pas les vendre moins cher). A ce stade de l'affaire, il peut sembler que le travailleur ait subi une perte d'emploi, tandis que seul le fabricant, le capitaliste, a ralis un profit. Mais c'est justement grce ces profits supplmentaires que d'autres gains seront permis dont la socit tout entire bnficiera. Car le fabricant est oblig d'utiliser ses profits selon l'une ou l'autre des trois manires suivantes et probablement usera-t-il des trois ou bien ses bnfices serviront tendre son affaire en achetant d'autres machines pour fabriquer plus de vtements ; ou bien il investira ces nouveaux bnfices dans une autre industrie ; ou bien enfin il dpensera ses bnfices en des satisfactions personnelles. Et quel que soit le moyen choisi, il crera du travail. En d'autres termes, le fabricant, grce ses conomies de prix de revient, a ralis des bnfices qu'il n'avait pas auparavant. Chaque dollar conomis sur les salaires qu'il octroyait prcdemment aux ouvriers tailleurs, il les paye maintenant indirectement en salaires aux ouvriers qui fabriquent les machines ou ceux d'une autre industrie que son argent aide mettre sur pied, ou encore ceux qui construisent pour lui une maison, une auto, ou des bijoux et des fourrures pour sa femme. Dans tous les cas ( moins que ce soit un avare qui thsaurise sans autre but que d'amasser) indirectement il donne autant de travail qu'il a cess d'en donn directement. Mais la marche des choses ne s'arrte ni ne peut s'arrter ce stade. Si ce fabricant avis ralise d'importants bnfices par rapport ses concurrents, ou bien il va s'agrandir leurs dpens, ou bien ils vont eux-mmes l'imiter et se mettre aussi acheter des machines. Ainsi les fabricants de machines auront plus de travail. Mais, grce la concurrence et grce la production accrue, le prix des vtements diminuera. Ceux qui acquerront des machines, devenant plus nombreux, ne raliseront pas d'aussi grands bnfices que les premiers. Le taux des bnfices des fabricants utilisant les machines se mettra diminuer, et ceux qui n'ont pas encore pu se procurer des machines travailleront sans bnfice aucun. Les profits, en d'autres termes, commenceront devenir l'apanage des acheteurs de pardessus, c'est--dire des consommateurs. Mais comme les pardessus sont maintenant moins chers, il y aura davantage d'acheteurs. Ce qui veut dire que, bien qu'il faille moins de gens qu'avant pour faire le mme nombre de pardessus, on en fabriquera cependant davantage. Si la demande de pardessus est ce que les conomistes appellent lastique c'est--dire si les pardessus devenant moins chers, on consacre leur achat une beaucoup plus grande somme totale alors qu'auparavant il se peut que beaucoup plus de travailleurs soient employs leur confection qu'avant mme l'introduction des machines faites pour conomiser la mme main-d'uvre. Nous avons vu dj que c'est prcisment ce qui s'est produit dans l'industrie de la fabrication des bas et des textiles.

Mais cette main-d'uvre accrue ne dpend pas de l'lasticit de la demande pour le produit particulier. Supposons que, quoique le prix des pardessus ait diminu de moiti, et soit pass par exemple de 50 dollars au nouveau prix de 30 dollars, on ne vende cependant pas un seul vtement de plus. Il en rsultera que, tandis que les acheteurs trouveront autant de pardessus neufs que prcdemment, chacun d'eux conomisera 20 dollars sur son achat. Il les affectera d'autres dpenses en crera ainsi du travail dans d'autres secteurs que la confection. Tout compte fait, donc, il est faux d'affirmer que les machines elles-mmes, les amliorations technologiques qu'on leur apporte, et les conomies qu'elles permettent de raliser, ainsi que leur grande efficacit, sont cratrices de chmage. 3 Les inventions ou dcouvertes ne sont pas toutes orientes vers la cration de machines dont le seul but consiste diminuer la main-d'uvre humaine. Certaines, comme par exemple les instruments de prcision, ou comme le nylon, la lucite, le contre-plaqu et les matires plastiques de toutes sortes ne servent qu' amliorer la qualit des produits. D'autres, comme le tlphone ou l'avion, permettent des performances que le seul travail humain serait incapable de raliser. D'autres encore crent de nouveaux biens et services tels que les rayons X, la radio, le caoutchouc synthtique qui, sans cela, ne verraient pas le jour. Mais dans les exemples que nous avons choisis, nous avons prcisment pris ceux o la machine a t, de nos jours, l'objet d'une technophobie particulire. Et l'on peut bien, sans pousser jusqu' labsurde l'observation que le machinisme dans son ensemble ne cre pas le chmage, soutenir par exemple qu'il est crateur de plus d'emplois qu'il n'en aurait exist sans lui. Cela peut tre vrai dans de certaines conditions. Il peut arriver, en effet, que le machinisme cre normment plus d'emplois qu'avant, dans certains types de fabrication. Les industries du textile du XVIIIe sicle en furent le tmoignage. Les exemples modernes ne sont pas moins frappants. En 1910, la nouvelle industrie de l'automobile employait aux tats-Unis 140 000 personnes. En 1920, la production s'tant perfectionne et ses prix ayant baiss, elle en employait 250 000. En 1930, comme ces deux facteurs continurent jouer, elle en comptait 380 000. En 1940, elle passait 450 000. En 1940, 35 000 personnes entraient dans la fabrication des frigidaires, 60 000 dans la radio. Il en a t de mme dans toute industrie nouvelle, mesure que l'invention s'y perfectionnait, et que le cot de ses produits diminuait. On peut mme aller jusqu' affirmer, en poussant l'ide l'extrme, que le machinisme a t le crateur d'un nombre immense d'emplois. La population dans le monde aujourd'hui est en effet trois fois ce qu'elle tait au milieu du XVIIIe sicle, avant que la rvolution industrielle n'ait produit son plein effet. On peut trs bien soutenir que c'est le machinisme qui a t la cause de cet accroissement de population, car sans lui le monde n'aurait pas pu la faire vivre. Et l'on peut mme dire que deux personnes sur trois doivent, non seulement leur travail mais leur vie mme, l'existence des machines. Ce serait pourtant se faire une fausse ide du machinisme que de penser qu'il est avant tout crateur de travail. Le machinisme a pour vritable effet d'accrotre la production, d'lever le niveau de vie et le bien-tre conomique. Ce n'est pas difficile de faire travailler tout le monde, mme (et surtout) dans l'conomie la plus primitive. Le

plein emploi, l'emploi vraiment intgral, le travail aux heures longues, puisantes, qui brise les reins, est prcisment la caractristique des nations qui sont le plus retardataires au point de vue de l'quipement industriel. L o existe dj le plein emploi, les machines nouvelles, les dcouvertes ou les inventions ne peuvent procurer plus d'emplois que si la population a eu le temps de crotre. Les machines, plus vraisemblablement, causeront davantage de chmage (mais cette fois il s'agit de chmage volontaire et non pas de rduction force de main-d'uvre) car, grce la machine, les ouvriers peuvent se permettre de rduire leurs heures de travail, tandis que les enfants et les personnes ges n'auront plus besoin d'aller travailler. Les machines, je le rpte, accroissent la production et lvent le niveau de vie. Elles y parviennent de deux manires : d'abord en permettant de fabriquer les marchandises cot moindre (comme le montre notre exemple des pardessus), ou bien en levant le taux des salaires, car elles permettent d'lever la productivit des ouvriers. En d'autres termes, ou bien elles augmentent les salaires sous forme d'une paye en argent plus leve, ou bien, en faisant baisser les prix, elles augmentent les biens et les services que ces mmes salaires peuvent procurer. Parfois elles permettent les deux. Et ce qui se produira en ces matires dpendra surtout de la politique montaire suivie par le Gouvernement d'un pays donn. Mais dans tous les cas, les machines, les inventions et les dcouvertes technologiques augmentent le salaire rel des travailleurs. 4 Avant de quitter ce sujet, faisons une autre remarque. Ce fut prcisment le grand mrite des conomistes classiques que d'avoir pris garde aux consquences secondaires et d'avoir aperu les effets qu'une politique conomique donne peut avoir dans le temps, ainsi que des rpercussions sur toute une population donne. Mais ils eurent aussi le dfaut pour n'avoir voulu considrer les choses que sur une longue dure et sur l'ensemble de la socit de ngliger les effets les plus proches d'eux. Ils avaient tendance rduire ou mme ngliger les consquences immdiates ou les incidences ne concernant que des groupes particuliers. C'est ainsi que nous avons vu les fabricants de bas anglais subir de mauvais traitements pour avoir introduit des nouveaux mtiers fabriquer les bas, l'une des premires inventions de la rvolution industrielle. De tels faits, hier comme aujourd'hui, ont conduit certains auteurs l'erreur oppose, et ne prendre en considration que les consquences immdiates du machinisme, et celles qui atteignent certains groupes seulement. John Smith est chass de son emploi cause de l'arrive d'une nouvelle machine l'usine. Ne perdez pas John Smith de vue , crivent ces auteurs. Surtout ne perdez pas sa trace ! Mais ce qui leur arrive alors, c'est de ne plus penser qu' John Smith, et d'en oublier Tom Jones, qui vient justement de trouver du travail pour fabriquer cette nouvelle machine, et Ted Brown, qui en a aussi pour la mettre en place, et Daisy Miller qui peut maintenant s'acheter un manteau moiti moins cher qu'avant. Et c'est parce qu'ils ne savent voir que John Smith qu'ils se font les avocats d'une politique conomique ractionnaire et contraire tout bon sens. Bien sr, il ne faut pas oublier tout fait John Smith. Sans doute il a perdu son travail cause de l'arrive de cette nouvelle machine. Mais peut-tre va-t-il en retrouver bientt un autre et qui sera meilleur. Mais peut-tre aussi a-t-il pass le meilleur de sa vie acqurir et perfectionner une capacit technique qui n'est plus demande sur le

march. Il a perdu l'investissement qu'il avait fait sur lui-mme, en dveloppant une capacit dmode de la mme manire que son ancien patron peut-tre a, lui aussi, perdu l'investissement qu'il avait fait dans de vieilles machines et des procds subitement prims. C'tait un habile ouvrier, pay comme tel. Et maintenant le voil dpass ; c'est un ouvrier non spcialis et il ne peut esprer dornavant tre pay autrement que comme un manuvre, car la seule spcialit qu'il possdait dsormais n'a plus cours. Nous ne pouvons et ne devons pas oublier l'ouvrier John Smith. Il symbolise, en son cas tragique, toutes les faillites personnelles qui sont, nous le verrons, inhrentes presque tous les progrs industriels et conomiques. Quelle ligne de conduite au juste devrions-nous suivre avec John Smith ? Faut-il le laisser seul faire sa radaptation, lui donner une subvention ou une indemnit de chmage, le mettre l'assistance ou l'aider aux frais de l'tat faire un autre apprentissage ? Discuter tout cela nous entranerait trop en dehors de notre sujet. Ce qu'il faut retenir, la leon essentielle de tout ceci est que nous devons nous efforcer d'avoir prsentes l'esprit toutes les consquences essentielles de toute politique conomique, aussi bien celles qui affectent immdiatement quelques groupes donns, que celles qui se dvelopperont plus tard et sur tout l'ensemble de la nation. Si nous avons pris la peine de considrer longuement le problme du machinisme, des inventions et des dcouvertes modernes, c'est parce que nos conclusions touchant leurs effets sur la main-d'uvre, la production et le bien-tre humain sont fondamentales. Si nous nous trompons leur sujet, il ne restera que peu de points en conomie politique sur lesquels nous ayons chance d'avoir raison.

Chapitre VIII Le partage des emploisJ'ai fait allusion plusieurs pratiques des syndicats au sujet du travail ralenti et des emplois superflus. Ces pratiques et l'indulgence qui les tolre proviennent des mmes illusions fondamentales que la peur du machinisme. On s'imagine que la perfection mcanique apporte dans la fabrication moderne est cause du chmage et, corollaire de ce thorme, qu'une organisation moins savante le supprimerait et crerait des emplois. Une autre ide non moins fausse aggrave celle-ci, savoir qu'il n'existe qu'une quantit limite de travail dans le monde et que si nous ne pouvons pas en crer davantage en imaginant des moyens plus compliqus de le faire, au moins devons-nous tirer des plans pour la rpartir entre le plus grand nombre de travailleurs qu'il se peut. C'est cette erreur qui est sous-jacente la minutieuse division du travail que rclament les syndicats avec tant d'insistance. Cette extrme division du travail est flagrante dans l'industrie du btiment de nos grandes villes par exemple. Les poseurs de briques n'ont pas le droit d'utiliser des pierres pour monter une chemine car ce travail est rserv aux maons. Un lectricien n'a pas davantage le droit de dposer une plinthe et de la remettre pour installer une prise de courant, car c'est le travail, si simple soit-il, du menuisier. Un plombier ne devra pas dplacer ou remettre une tuile pour fixer un clou dans la gouttire, car c'est le travail du couvreur. D'ardentes grves de comptence ont lieu entre syndicats pour obtenir le droit exclusif de faire certains types de travaux dont l'attribution est imprcise.

Dans un rapport prpar rcemment par les Chemins de Fer amricains pour la Commission de Procdure administrative du Ministre de la Justice, on trouve des exemples sans nombre dans lesquels le Comit national de Rglement des Chemins de Fer a dcid que toute opration effectuer sur la voie de chemins de fer, aussi minime soit-elle, comme par exemple donner un coup de tlphone, ouvrir ou fermer un aiguillage, est ce point la proprit exclusive d'une catgorie d'employs, que si un employ d'une autre catgorie, au cours de son travail normal, excute ce travail, non seulement on doit lui payer une journe de travail de plus, mais ceux qui auraient d faire ce travail et ne l'ont pas fait, soit qu'ils fussent en cong, soit qu'on ait omis de faire appel eux, ont droit galement un jour de paye parce qu'ils ont t empchs de l'excuter . Il est vrai que cette division du travail pousse ainsi l'extrme peut profiter quelques personnes, aux dpens de la collectivit, pourvu qu'elle ne se produise que dans leur seul cas. Mais ceux qui la prconisent comme une rgle gnrale ne se rendent pas compte qu'elle augmente toujours le prix de revient, que son rsultat final est un moindre rendement du travail et une production diminue. Le matre de maison oblig de prendre deux domestiques pour faire le travail qu'un seul pourrait effectuer a sans doute procur du travail un homme de plus. Mais l'argent avec lequel il paye ce dernier lui est enlev pour faire une quelconque dpense supplmentaire et qui pourrait rmunrer quelqu'un d'autre. S'il fait rparer la fuite de sa salle de bain et que la rparation cote le double de ce qu'elle aurait d lui coter, il dcidera de ne pas acheter le chandail dont il avait besoin. Payer une journe entire un poseur de briques dont il n'avait pas besoin en l'occurrence, n'a pas fait gagner le travailleur ; bien au contraire, puisque un ouvrier tisseur de chandail la main ou la machine a d chmer. Quant au matre de maison, il est dans une situation pire qu'auparavant : au lieu d'avoir sa douche rpare et un chandail, il a la douche et pas de chandail. Et si nous considrons le chandail comme un lment de la richesse gnrale du pays, le pays se trouve appauvri d'un chandail. Tel est le rsultat final de cette politique qui cherche crer des emplois supplmentaires par une division du travail arbitraire et excessive. Mais les avocats des syndicats et les hommes politiques qui les soutiennent, ont bien d'autres systmes proposer pour raliser cette rpartition du travail. Les plus frquents consistent vouloir rduire la semaine de travail, en gnral par une loi. C'est cette ide d'taler le travail le plus possible, afin d'en donner au plus grand nombre d'ouvriers possible, qui a t l'une des causes principales de la taxe sur les heures supplmentaires de la loi fdrale sur le salaire horaire. Aux tats-Unis, en effet, la lgislation ancienne qui interdisait l'emploi des femmes et des enfants plus de 48 heures par semaine reposait sur la conviction qu'un emploi plus long aurait pu porter prjudice la sant comme la moralit publique, et l'on pensait aussi que cela pouvait nuire la qualit du travail. Mais la clause de la loi fdrale qui oblige le patron payer une prime de 50 % l'heure, en sus de la paye normale, pour toutes les heures de travail effectues au-dessus des 40 heures dues par semaine, n'a pas pour cause vritable qu'une semaine de 45 heures par exemple est nuisible la sant et au bon rendement du travail. On l'insra pour deux raisons : partie avec l'espoir de voir grossir la paye hebdomadaire de l'ouvrier, partie avec l'espoir qu'en dcourageant le patron d'employer rgulirement un ouvrier plus de 40 heures par semaine, cela forcerait embaucher davantage d'ouvriers. A l'heure o j'cris, on propose d'viter le chmage en instaurant la semaine de 30 heures.

Quelles sont les consquences relles de tels projets, qu'ils soient mis en vigueur par les syndicats ou par la loi ? Le problme nous apparatra plus clairement si nous considrons deux cas prcis. Dans le premier, la semaine de 40 heures sera rduite 30 heures, mais sans modification du taux du salaire horaire. Dans le second, la semaine de 40 heures sera aussi rduite 30 heures, mais le salaire l'heure sera augment de faon telle que la paye de la semaine sera la mme pour les ouvriers que s'ils travaillaient 40 heures. Prenons d'abord le premier cas. Nous supposons que la semaine passe de 40 30 heures, sans modification de tarif horaire. S'il existe un chmage suffisant, la ralisation de ce plan va certainement le diminuer, car ce plan exige pour une mme production une augmentation de la main-d'uvre. Pourtant, nous ne pouvons assurer qu'il crera assez d'emplois nouveaux pour maintenir le mme total de salaires pays et le mme nombre d'heures de travail qu'avant, moins de faire des hypothses improbables que, dans chaque industrie, s'est prsent le mme pourcentage de chmeurs et que les hommes et les femmes nouvellement embauchs ne sont en moyenne pas moins aptes remplir leur tche que les ouvriers dj l'ouvrage. Mais faisons quand mme ces hypothses. Supposons que l'on peut trouver le nombre exact d'ouvriers ncessaires combler les vides, dans chaque spcialit et que ces nouveaux ouvriers ne font pas monter le cot de la production. Quelle va tre alors la consquence d'avoir rduit la semaine de travail de 40 30 heures (sans augmenter l'heure de paye) ? Bien qu'on aura augment le nombre des ouvriers, chacun d'eux travaillera moins de temps ; il n'y aura donc pas augmentation du nombre d'heures de travail, ni par consquent d'accroissement de la production. Les tats de paye, pas plus que le pouvoir d'achat, ne se seront accrus. Tout ce qui se sera pass, dans l'hypothse la plus favorable (qui rarement sera ralise), c'est que les ouvriers du dbut vont payer des subsides aux ouvriers embauchs aprs eux. Car pour que les nouveaux ouvriers puissent toucher les 3/4 de dollars par semaine que les ouvriers du dbut recevaient, il faut que ces anciens ouvriers ne reoivent que les 3/4 de ce qu'ils touchaient antrieurement. Il est vrai que ceux-ci ne travaillent plus autant, mais cette recherche d'heures de loisirs obtenues un prix si lev n'est sans doute pas une dcision qu'ils auraient prise d'eux-mmes, c'est plutt un sacrifice de leur part qu'ils supportent malaisment afin que plusieurs de leurs camarades trouvent du travail. Les dirigeants des syndicats, qui rclament des semaines plus courtes afin de procurer du travail un plus grand nombre d'ouvriers, le reconnaissent. Aussi proposent-ils la rforme de telle sorte que chacun puisse la fois manger son gteau et le conserver. Rduisez la semaine de travail de 40 30 heures, disent-ils, afin de crer davantage d'emplois mais compenser la perte de gain hebdomadaire en augmentant le salaire horaire de 33 1/3 %. Les ouvriers avant cela gagnaient, en moyenne, disons 40 dollars par semaine de 40 heures ; pour qu'ils continuent toucher ces 40 dollars pour une semaine de 30 heures, le prix de l'heure doit subir une augmentation d'environ 33 1/3. Que rsultera-t-il de tout cela ? La consquence la plus vidente et la plus sre est que le cot de production s'lvera. Si nous supposons que la paye des ouvriers, quand ils faisaient 40 heures, tait infrieure ce que le niveau des cots des prix et des profits aurait permis qu'elle soit, alors on aurait pu l'augmenter sans rduire la dure de la semaine de travail. Ils eussent pu, en d'autres termes, travailler le mme nombre d'heures, cependant voir leur paye augmenter d'un tiers, au lieu de gagner la mme somme qu'avant, et avec leur semaine

de 30 heures. Mais si pendant la semaine de 40 heures, les ouvriers recevaient dj des salaires aussi levs que le niveau du cot de la production et des prix le permettaient (et le chmage mme qu'ils essaient d'enrayer peut tre une preuve qu'en ralit leurs gains taient plus levs encore), alors l'augmentation du cot de la production qui va rsulter de celle de 33 % sur les salaires horaires va dpasser de beaucoup ce que le niveau actuel des prix, de la production et de son cot, peut supporter. La consquence finale de cette augmentation des salaires va tre un chmage plus grand qu'avant, car les entreprises les moins solides vont faire faillite, et les ouvriers les moins qualifis vont tre remercis. La production va s'arrter de proche en proche. Les cots de production tant plus levs et les marchandises plus rares, les prix vont tendre monter, si bien que les ouvriers verront leur pouvoir d'achat diminuer, tandis que le chmage accru va ainsi conduire la baisse des prix. Ce qu'il adviendra finalement des prix dpend de la politique montaire que le gouvernement suivra. Si l'tat fait de l'inflation, afin de permettre aux prix de monter assez pour qu'on puisse payer des salaires horaires plus levs, ce sera en ralit une manire dguise de rduire les salaires, de faon que leur pouvoir d'achat en marchandises revienne ce qu'il tait auparavant. Si bien qu'on aboutit au mme rsultat que si la semaine de travail avait t rduite, mais sans l'augmentation du tarif l'heure. Les consquences de cette hypothse ont dj t tudies. Le systme de rpartition des emplois entre un plus grand nombre de travailleurs repose donc sur le mme genre d'illusions que nous avons dj dnonces. Ceux qui soutiennent de tels projets ne pensent qu'au travail que cela pourra donner tel ou tel groupe d'ouvriers, ils ne rflchissent pas aux consquences que cela entrane pour la population tout entire. De tels systmes reposent aussi, comme nous avions commenc l'expliquer, sur l'hypothse errone qu'il n'existe qu'une somme dtermine de travail distribuer. On ne peut imaginer ide plus fausse. La quantit de travail distribuer aux hommes est illimite tant que les besoins et les dsirs que le travail peut satisfaire restent insatisfaits. Dans une conomie moderne d'change, on obtiendra le maximum de travail tant que les prix de vente, les cots de production et les salaires seront en relations harmonieuses les uns par rapport aux autres. Comment obtenir l'harmonie entre ces relations, c'est ce que nous aurons considrer plus loin.

Chapitre IX Dmobilisation militaire et bureaucratiqueQuand, aprs chaque grande guerre, on parle de dmobiliser, on voit toujours renatre la crainte qu'il n'y ait pas assez de travail pour tous et que se produise une crise de chmage. Il est exact que, lorsqu'on rend la libert des millions d'hommes la fois, il peut s'couler un certain temps avant que l'industrie prive ne puisse les remployer, quoique l'exprience du pass montre qu'au contraire une telle rsorption s'est opre avec rapidit plutt qu'avec lenteur. La crainte du chmage n'apparat que parce que l'on ne considre qu'un ct de la question. On se reprsente les soldats, librs en masse, envahissant le march du travail. D'o va venir le pouvoir d'achat ncessaire pour les employer ? Si nous supposons que le budget de l'tat est en quilibre, la rponse est facile. L'tat n'aura plus les entretenir. Mais les contribuables pourront dsormais garder l'argent qui tait ncessaire cet

entretien, et le consacrer s'acheter des biens nouveaux. La demande, en d'autres termes, sera accrue d'autant pour des fins civiles, et ainsi pourra fournir du travail cette main-d'uvre supplmentaire que reprsentent les soldats librs. Si, au contraire, les forces armes ont t soutenues par un budget qui n'tait pas en quilibre, c'est--dire par des emprunts ou par toute autre espce de dficit des finances publiques, le cas est quelque peu diffrent. Mais cela soulve aussi un autre genre de problme : celui des finances en dficit, dont nous tudierons les effets dans un chapitre ultrieur. Il nous suffit, pour l'instant, de noter que le dficit financier n'a aucun rapport avec la remarque prcdente, car si l'on d