Hiérarchies des normes et application du droit au niveau ...cejec.u-paris10.fr/wp-content/uploads/2011/10/j-s-berge... · multiniveau du droit, elle termine un raisonnement plutôt

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    J-S. Berg, Hirarchies des normes et application du droit au niveau national, international et

    europen, CEJEC WP - 2011/5

    Version provisoire au 4 oct. 2011 Version dfinitive paratre dans louvrage : LA

    HIRARCHIE DES NORMES - Editions LHarmattan - collection des travaux de

    lassociation des laurats de la Chancellerie des Universits de Paris (ALCUP) sous la

    direction de G. Teboul et L. Soubelet avec les contributions de D. de Bchillon, J. Ghestin,

    Ph. Jestaz, G. Teboul et J.-S. Berg.

    Hirarchies des normes et application du droit au niveau national,

    international et europen

    par Jean-Sylvestre Berg(*)

    Rsum

    Dans un contexte de pluralisme juridique mondial, lapplication du droit peut tre

    apprhende plusieurs niveaux : national, international et rgional notamment (I.). A chaque

    niveau, des systmes juridiques sorganisent autour de constructions (plus ou moins

    labores) de type hirarchie des normes . La question se pose de larticulation de ces

    constructions dans une perspective minemment pratique dapplication multiniveau du droit

    (II.). Pour tenter dy rpondre, deux dmarches sont envisageables : une premire dmarche

    qui tudie la mise en uvre des hirarchies des normes niveau par niveau et, au-del, systme

    juridique par systme juridique ; une seconde qui se donne pour objectif dexpliciter les

    interactions pouvant rsulter de la coexistence de diffrents niveaux. Cette tude propose de

    privilgier la seconde dmarche, en sefforant dapprcier lutilit la fois matrielle (III.) et

    formelle (IV.) des constructions de type hirarchie des normes chaque fois que le juriste

    sinterroge sur une application du droit diffrents niveaux. Les conclusions qui peuvent tre

    tires de cette recherche sont au nombre de deux : la hirarchie des normes se dcline au

    pluriel dans un contexte de pluralisme juridique mondial ; dans un processus dapplication

    multiniveau du droit, elle termine un raisonnement plutt quelle linitie (V.).

    Summary

    In a context of global legal pluralism, the implementation of the law could be understood on

    several levels: national, international and regional levels including (I). At each level, legal

    (*) Professeur de droit priv lUniversit Jean Moulin Lyon 3, Equipe de droit international europen et

    compar (EDIEC), Rseau universitaire europen ELSJ (GDR CNRS), membre associ du CEJEC jean-

    [email protected]. Le style oral de cette communication a t parfois conserv.

    mailto:[email protected]:[email protected]

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    systems are organized around constructions (more or less developed) such as "hierarchy of

    norms." The question arises of the articulation of these constructions in a very practical

    perspective of the application of the law (II). To answer this question, two approaches are

    possible: a first approach that examines level by level and beyond, legal system by legal

    system, the implementation of the norms hierarchy and a second approach that has the

    objective of explain the interactions that may result from the coexistence of different levels.

    This study proposes to focus on the second approach, trying to assess the material (III.) and

    formal (IV.) usefulness of constructions of "hierarchy of norms" when the lawyer questioned

    an application of the law at different levels. Two conclusions can be drawn from this research

    : the hierarchy of norms is plural in the context of global legal pluralism, in a process of

    multi-application of the law, it finishes a reasoning rather than it introduces it (V.).

    _ _ _ _ _

    Sommaire

    I. Pluralisme juridique mondial et application multiniveau du droit

    Le pluralisme juridique mondial

    Lapplication du droit diffrents niveaux

    II. Signification des constructions de type hirarchie des normes dans un contexte

    dapplication multiniveau du droit

    Les constructions de type hirarchie des normes aux diffrents niveaux dapplication du

    droit

    Deux constantes : la hirarchisation des normes quivaut un repli du systme sur lui-mme

    et conduit une stigmatisation de la norme trangre

    III. Quelle utilit matrielle des constructions de type hirarchie des normes dans un

    contexte dapplication multiniveau du droit ?

    Approche matrielle des conflits et hirarchie des normes

    Faible utilit de la hirarchie des normes en prsence de droits diffrents

    Faible utilit de la hirarchie des normes en prsence de droits complmentaires

    IV. Quelle utilit formelle des constructions de type hirarchie des normes dans un

    contexte dapplication multiniveau du droit ?

    Approche formelle des conflits et hirarchie des normes

    Relativit de la hirarchie des normes en prsence dune circulation des situations juridiques

    Recherche stratgique de la meilleure hirarchie des normes

    V. Conclusions

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    _ _ _ _ _

    I. Pluralisme juridique mondial et application multiniveau du droit

    Le pluralisme juridique mondial

    1. Conu par Santi Romano1 comme un instrument de dfinition de lordre juridique, le

    pluralisme juridique a t largement utilis en thorie , sociologie ou anthropologie du droit2

    pour dcrire la diversit des systmes juridiques et des liens qui se nouent entre eux.

    Il a sans doute une signification propre, la fois plus simple et plus modeste, dans

    lenvironnement mondial3. Synonyme dinternationalisation et de rgionalisation du droit, le

    pluralisme juridique mondial4 dcrit, dans un contexte de globalisation des changes, la

    multiplication des lieux de fabrication et dapplication du droit qui apparaissent en dehors ou

    au-del du modle strictement tatique. Le droit ne se construit plus seulement lintrieur

    des sphres nationales. Il est le rsultat de lactivit propre dorganisations internationales et

    rgionales, notamment europennes, que ces organisations aient une origine tatique

    (Organisation des Nations Unies, Organisation Mondiale du Commerce, Organisation

    Internationale du Travail, Union europenne, Conseil de lEurope, etc.) ou prive

    (organisations non gouvernementales, multinationales, syndicats professionnels, etc.). Le

    1 Santi Romano, Lordre juridique, trad. P. Gothot et L. Franois, d. Sirey 1975, rd. Dalloz, 2002, prface P.

    Mayer.

    2 Pour approche densemble, voir avec les nombreuses rfrences bibliographiques, A.-J. Arnaud (dir.),

    Dictionnaire encyclopdique de thorie et sociologie du droit, LGDJ, 2e d. 1993, Verbo Pluralisme

    juridique . Voir galement, plus rcemment, Cahiers dAnthropologie du droit, Les pluralismes juridiques, d.

    Karthala, 2003 ; Archives de philosophie du droit, Le pluralisme, d. Dalloz, 2006.

    3 Sur cette signification propre : M. Delmas-Marty, Les Forces imaginantes du droit 1. Le relatif et luniversel,

    d. Seuil 2004, spc. p. 228.

    4 Lexpression pluralisme juridique mondial ou Global Legal Pluralism est rgulirement utilise depuis

    la fin des annes 1990 par un auteur : F. Snyder, Governning Economic Globalisation Global Legal Pluralism

    and European Law, Eur. Law Rev. 1999, p. 334 (pour une version en franais : Droit et Socit 2003/2, p. 435).

    Elle connat un beau succs, spcialement dans la littrature juridique en anglais. Voir notamment : O. Perez,

    Ecological Sensivity and Global Legal Pluralism : Rethinking the Trade and Environment Conflict, Hart

    Publishing, 2004 ; P. S. Berman, Global Legal Pluralism, South. Calif. Law Rev. 2007, p. 1155 ; R. Michaels,

    Global Legal Pluralism, Annual Review of Law & Social Science, 2009, p. 45.

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    niveau national, qui connat galement des formes de pluralisme juridique, ne disparat pas.

    Mais il coexiste avec les mthodes et solutions juridiques dfinies dans le contexte

    international et europen.

    Lapplication du droit diffrents niveaux

    2. Le juriste consacre une part importante de son travail la matrise de lapplication du droit

    de manire anticiper, autant que possible, ses effets. Quil soit praticien ou universitaire,

    conseiller, plaideur ou dcideur, le juriste est amen crer et manipuler des outils de nature

    laider mettre en uvre le droit.

    Dans un contexte de pluralisme juridique mondial, cette application du droit peut se concevoir

    diffrents niveaux. Lexpression niveau dapplication du droit na pas ncessairement de

    valeur thorique forte. Elle na pas vocation notamment dsigner prcisment un

    systme ou un ordre juridique en particulier5. Elle renvoie de manire volontairement

    vague lide que le juriste peut tre conduit dans sa rflexion ou sa pratique faire

    application du droit dans des environnements juridiques diffrents. Il peut sagir dun

    environnement purement interne un Etat, cest le niveau national, lequel inclut galement le

    niveau local. Cet environnement peut dborder des frontires nationales, soit quil dsigne

    une relation entre plusieurs Etats, soit quil ait une dimension proprement transnational, cest

    le niveau international. Lenvironnement juridique peut, enfin, avoir une dimension rgionale,

    visant une rgion du monde, cest le cas, par exemple, du niveau europen.

    3. Une approche multiniveau de lapplication du droit se donne pour objectif de recenser

    lensemble des donnes utiles la rsolution dun cas que ces donnes appartiennent au

    niveau national, international ou europen. Il sagit pour le juriste de reprer le ou les niveaux

    de droit pertinents, cest--dire ceux qui sont susceptibles de livrer les mthodes et solutions

    utiles la rsolution du cas. Sagit-il dune situation purement interne un Etat, relevant a

    priori du niveau national ? Sagit-il, au contraire, dune situation internationale, mobilisant les

    ressources du droit international (priv ou public) ou dun droit transnational ? Sagit-il, enfin,

    dune situation de dimension rgionale soumise, par exemple, au droit europen (Union

    europenne ou Conseil de lEurope) ? Les rponses ces questions livrent une premire

    5 Sur la distinction entre ces deux notions, voir, avec les nombreux renvois bibliographiques, la prsentation

    synthtique propose par P. Deumier dans sa rcente Introduction gnrale au droit, d. LGDJ, 2011, spc. n

    128 et suivants.

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    indication sur ce que lon pourrait appeler le niveau de rfrence, celui auquel est

    principalement rattache la situation en cause.

    Pour illustrer cette recherche des diffrents niveaux dapplication potentielle du droit,

    imaginons diffrents cas. Paul et Marie sont de nationalit franaise. Ils se sont maris en

    France, pays de leur rsidence habituelle. Leurs trois enfants sont ns en France. Leur

    patrimoine immobilier et mobilier est localis sur le seul territoire franais. Ils souhaitent

    divorcer, liquider leur rgime matrimonial, dfinir les modalits dexercice de lautorit

    parentale sur leurs enfants et contester, le cas chant, le lien de filiation tabli par mariage

    pour le troisime enfant. La situation est franco-franaise. A priori, elle relve principalement

    du niveau national. Parfois la situation de fait prsente des lments de localisation dans

    plusieurs tats europens, membres de lUnion europenne, par exemple. Adaptons le cas

    prcdent. Paul est de nationalit allemande et Marie est de nationalit franaise. Ils se sont

    maris en France et ont leur rsidence habituelle en Allemagne. Leur premier enfant est n en

    France et les deux autres en Allemagne. Ils possdent des comptes en banque dans les deux

    pays et ont achet une rsidence de vacances en Espagne. Ils souhaitent divorcer, liquider leur

    rgime matrimonial, dfinir les modalits dexercice de lautorit parentale sur leurs enfants et

    contester, le cas chant, le lien de filiation tabli par mariage pour le troisime enfant. La

    situation est intra-europenne. A priori, elle relve principalement du niveau europen. La

    situation de fait peut galement prsenter des lments de localisation dans un pays tiers

    lUnion europenne. Si dans lexemple prcdent on substitue la Suisse lAllemagne, on est

    en prsence dune situation internationale.

    4. Une fois ce premier travail ralis, le juriste peut tre amen sinterroger sur laptitude du

    cas tre projet dautres niveaux que celui qui lui sert a priori de niveau de rfrence. Il se

    peut, en effet, quune situation purement interne un Etat soit malgr tout soumise au jeu de

    rgles labores un niveau international ou europen. Dans un ordre dide comparable, on

    peut concevoir quune situation proprement internationale ou europenne mette en scne

    lapplication dun droit national. Enfin, on peut imaginer quun cas localis principalement au

    niveau international soit transportable au niveau europen ou inversement. Certains liens entre

    les niveaux peuvent tre apparents. Dautres, au contraire, sont plus difficiles identifier.

    Pour pouvoir les dceler, il faut donc avoir la dextrit de projeter la situation hors de son

    niveau de rfrence.

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    Dans lexemple prcdent du couple franais qui entend divorcer en France, la projection de

    la situation hors du niveau national de rfrence conduit le juriste sinterroger sur limpact

    exerc sur son cas par des instruments internationaux et europens potentiellement

    applicables, y compris des situations purement internes. On songe, par exemple, la

    Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales

    (CEDH, 1950) ou, encore, la Convention de New York relative aux droits de lenfant (ONU,

    1989). Dans lhypothse ci-dessus dcrite du divorce dun couple franco-allemand, la

    situation relve notamment dinstruments de type europen6. Mais elle est soumise galement

    des droits nationaux7 et internationaux

    8. Le niveau europen dfinit ainsi un certain nombre

    de solutions juridiques qui est complt par le niveau national et international. Dans le cas de

    figure prcdemment expos du divorce dun couple franco-suisse, la situation relve

    potentiellement au niveau international de textes internationaux9. Elle demeure soumise

    nanmoins dans lespace intra-europen (Union europenne) des instruments applicables en

    ce domaine10

    . Enfin, comme dans le cas prcdent, elle laisse naturellement une place

    lapplication du droit national.

    5. Ce premier travail de reprage est trs utile. Il permet, en effet, de confronter les mthodes

    et solutions puises aux diffrents niveaux. Mais il nest pas suffisant. Dans une perspective

    de mise plat de lensemble des donnes extraites de leur environnement dorigine, le juriste

    qui applique le droit ne peut se contenter davoir une approche terre terre et sans doute

    rudimentaire de la comparaison des droits11

    . La comparaison des potentialits offertes par les

    6 Rglement (CE) n 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif la comptence, la reconnaissance et

    l'excution des dcisions en matire matrimoniale et en matire de responsabilit parentale ; Rglement (CE)

    n 4/2009 du Conseil du 18 dcembre 2008 relatif la comptence, la loi applicable, la reconnaissance et

    lexcution des dcisions et la coopration en matire dobligations alimentaires ; Rglement (UE) n 1259/2010

    du Conseil du 20 dcembre 2010 mettant en uvre une coopration renforce dans le domaine de la loi

    applicable au divorce et la sparation de corps. 7 Rgles de conflits de lois de sources nationales applicables en matire de divorce en labsence dharmonisation

    europenne et, naturellement, loi nationale applicable au divorce proprement dit. 8 On songe lapplication, le cas chant, de la Convention de La Haye de 1980 sur les aspects civils de

    l'enlvement international d'enfants. 9 Par exemple : Convention de La Haye de 1973 concernant la reconnaissance et l'excution de dcisions

    relatives aux obligations alimentaires. 10

    Rglement (CE) n 2201/2003, Rglement (CE) n 4/2009 et Rglement (UE) n 1259/2010, prc.,

    applicables dans lhypothse o un juge franais est saisi de la demande en divorce ou dun diffrend relatif la

    dfinition dune obligation alimentaire. 11

    Sur cette critique, formule essentiellement dans le contexte traditionnel de la comparaison des droits

    nationaux (mais qui pourrait tre galement mene pour la comparaison des droits nationaux, internationaux et

    europens), voir, en particulier, P. Legrand (dir.), Comparer les droits, rsolument, d. Puf, 2009. Voir

    galement, critiquant cette approche en termes de clivage entre les privatistes et les publicistes, M.-C.

  • 7

    diffrents niveaux dapplication du droit doit galement avoir une dimension dynamique o le

    travail du comparatiste prend en compte, non seulement les sources applicables puises aux

    diffrents nivaux (national, international ou europen), mais galement lenvironnement

    juridique dans lequel ces sources sintgrent. Ainsi, par exemple, lapplication du droit

    national, international et europen ne rpond pas aux mmes logiques selon quelle est

    envisage par un juge12

    national, international ou europen.

    6. Reprenons les trois cas prcdemment dcrits du divorce dun couple franais, franco-

    allemand ou franco-suisse. Dans le cas du couple franais, vont sappliquer les rgles du Code

    civil franais (divorce, obligations alimentaires, filiation) et les droits fondamentaux de source

    internationale ou europenne de nature inflchir le cours de la procdure (par exemple, sur

    la question de laudition des enfants mineurs devant le juge franais aux affaires familiales)

    ou la solution (par exemple, sur le traitement galitaire des poux dans loctroi du droit

    dhbergement et de visite des enfants). Toutes ces rgles sont mises en uvre par le juge

    national mais la question peut se poser un stade ultime de la procdure dun recours devant

    la Cour europenne des droits de lhomme en cas de manquement la CEDH. Dans cette

    hypothse, deux systmes juridictionnels sont successivement mobiliss : interne puis

    europen, chacun correspondant un niveau diffrent dapplication du droit13

    .

    Dans le cas du couple franco-allemand, plusieurs droits nationaux (notamment allemand,

    espagnol et franais) peuvent sappliquer, diffrents juges tatiques sont potentiellement

    comptents et des rgles europennes existent pour arbitrer les comptences juridictionnelles

    et lgislatives concurrentes et permettre une circulation des dcisions de justice intervenues

    dans lespace europen. En cas de difficult, le juge national peut poser une question

    prjudicielle la Cour de justice de lUnion europenne. La Cour de justice, quelle soit

    interroge sur linterprtation dun texte de droit driv ou sur sa validit, rendra sa dcision

    eu gard aux principes et rgles de fonctionnement de lordre juridique de lUE. Dans sa

    dcision, la Cour de justice peut tre amene galement faire une place une convention de

    Ponthoreau, Droit(s) constitutionnel(s) compar(s), Ed. Economica, 2010, spc. p. 43 et s. 12

    La figure du juge est la plus commode pour illustrer lintervention dun acteur juridique aux diffrents niveaux

    national, international ou europen dapplication du droit. Mais il ny aurait aucun inconvnient lui substituer

    un autre acteur institutionnel (un lgislateur ou une autorit excutive) ou non (un juriste habitu travailler

    plutt dans un environnement de droit national, international ou europen). 13

    Pour une illustration, voir infra, propos de CEDH, 12 nov. 2008, Demir et Baykara c/ Turquie, Req.

    34503/97.

  • 8

    La Haye ou un trait des Nations Unies liant la France et lAllemagne, par exemple, de

    manire complter le dispositif europen14

    .

    Dans le cas du couple franco-suisse, la situation est cheval sur trois niveaux : le niveau

    international concrtis ici, notamment, par des instruments juridiques dfinis par les tats au

    sein de la confrence de La Haye sur le droit international priv ou sein des Nations Unies, le

    niveau de lUnion europenne et du Conseil de lEurope qui ont vocation dployer

    pleinement leurs effets, ds lors, par exemple, que cest le juge dun Etat membre de lUE qui

    est saisi de la demande en divorce et le niveau national quil soit franais, espagnol ou suisse

    notamment. Trois juges peuvent ainsi avoir connatre de la situation : le juge national et

    europen dans les conditions dcrites prcdemment mais aussi la Cour internationale de

    justice dans le cas dun diffrend intertatique propos de linterprtation dun instrument

    international15

    .

    II. Signification des constructions de type hirarchie des normes dans un contexte

    dapplication multiniveau du droit

    Les constructions de type hirarchie des normes aux diffrents niveaux dapplication du

    droit

    7. Une application du droit diffrents niveaux qui intgre une comparaison des systmes

    juridiques en prsence est de nature mettre en vidence une pluralit de constructions de

    type hirarchie des normes . Quel que soit le niveau national, international ou europen

    auquel ils se situent, les systmes juridiques ont tous en commun de reposer sur une structure

    normative. Des systmes tatiques coexistent ainsi avec des systmes de droit international et

    droit europen. Chaque systme est potentiellement porteur de sa propre hirarchie des

    normes , mme si certaines hirarchies sont plus explicites ou labores que dautres. Les

    systmes tatiques offrent aujourdhui les figures hirarchiques les plus apparentes16

    . Mme

    sil est plus discut, le phnomne de hirarchisation des normes peut tre galement observ

    14 Pour une illustration, voir infra, propos notamment de CJCE, 22 oct. 2009, Bogiatzi, aff. C-301/08.

    15 Pour une illustration, voir infra, CIJ, 28 nov. 1958, Boll.

    16 Voir, dans cet ouvrage, la prsentation historique du professeur Ph. Jestaz mettant en vidence le caractre

    rcent des constructions de type hirarchie des normes dans les configurations tatiques, p. xxx

  • 9

    lchelle du droit international17

    . Le systme juridique de lUnion europenne et, dans une

    moindre mesure, celui du Conseil de lEurope se prtent galement volontiers des analyses

    de ce type18

    .

    8. Cet aperu des diffrents systmes juridiques potentiellement prsents lchelon national,

    international et europen montre que, contrairement ce que lon pourrait penser, les

    constructions de type hirarchie des normes ne sont pas menaces par le phnomne

    contemporain de pluralisme juridique mondial. Cest plutt le contraire qui se produit. La

    propension des systmes juridiques prolifrer aux diffrents niveaux dapplication du droit

    (prolifration des Etats et, surtout, prolifration des organisations internationales et rgionales,

    propension de plus en plus forte de ces organisations dire et appliquer le droit) conduit une

    vritable inflation de hirarchies des normes. Ces dernires nchappent donc pas une

    lecture plurielle du droit, cest--dire au phnomne de pluralisme juridique mondial. Cest

    pourquoi il est prfrable de parler de hirarchies (au pluriel) des normes quand on

    sintresse lapplication multiniveau du droit.

    Deux constantes : la hirarchisation des normes quivaut un repli du systme sur lui-mme

    et conduit une stigmatisation de la norme trangre

    9. La pluralit des systmes juridiques et le pluralisme qui en rsulte en termes de

    hirarchies des normes soulvent la question du mode opratoire que ces hirarchies

    utilisent au stade qui nous intresse ici de lapplication du droit diffrents niveaux.

    Comment se manifeste, en effet, la mise en uvre dune hirarchie des normes dans un

    contexte de pluralisme juridique mondial ?

    La rponse cette question demeure sensiblement toujours la mme, quel que soit le cas de

    figure envisag. En effet, la hirarchisation des normes se traduit gnralement par un repli du

    systme juridique sur lui-mme, que ce dernier appartienne au niveau national, international

    ou europen. Dans un contexte pluraliste, la hirarchie des normes napparat pas comme un

    17 Voir sur ce point, lanalyse propose dans cet ouvrage par le professeur G. Teboul, p. xxx. Voir galement du

    mme auteur, Remarques sur le rand hirarchique des conventions inter-tatiques et du droit international

    coutumier dans lordre juridique international , JDI 2010, 705. 18

    Sur le dveloppement dune loi europenne reposant sur une hirarchie des normes au sein de lUnion

    europenne et, plus modestement, du Conseil de lEurope, voir avec les nombreuses rfrences cites : J.-S.

    Berg et S. Robin-Olivier, Droit europen, PUF, 2me d., 2011, p. 337 et s.

  • 10

    outil de coordination des systmes19

    . Elle est, au contraire, un instrument de prservation du

    systme quand il est menac ou, plus modestement, perturb par dautres systmes. La

    hirarchie des normes est utilise pour faire prvaloir une ou plusieurs normes fondamentales

    dun systme sur les mthodes ou solutions juridiques extrieures ce systme, chaque fois

    lapplication de ces dernires est considre comme incompatible avec le systme.

    10. Pour atteindre ce rsultat, la hirarchie des normes est manie comme un outil de

    stigmatisation du caractre tranger des mthodes ou solutions juridiques qui menacent

    lquilibre du systme que la hirarchie sefforce de prserver. Tout se passe comme si le

    systme se repliait sur lui-mme, en distinguant les normes qui le fondent de celles qui lui

    sont fondamentalement trangres20

    .

    Lillustration la plus connue de ce phnomne est puise dans les ordres juridiques nationaux,

    chaque fois quils cherchent faire prvaloir une norme constitutionnelle interne sur toutes

    autres normes trangres , issues du niveau international ou europen (et a fortiori

    national). En France, par exemple, le juge ordinaire et le juge constitutionnel se sont

    prononcs sur le sujet. Usant de formules identiques, le Conseil dtat21

    et la Cour de

    cassation22

    ont dcid que la suprmatie confre aux engagements internationaux par la

    Constitution (art. 55) ne sapplique pas, dans lordre interne, aux dispositions de valeur

    constitutionnelle . Quant au Conseil constitutionnel, il a notamment dcid, en 200623

    , la

    suite dune srie de dcisions rendues en 200424

    que la transposition en droit interne dune

    directive communautaire rsulte dune exigence constitutionnelle. Il appartient par suite au

    Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prvues par larticle 61 de la Constitution

    dune loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire, de

    veiller au respect de cette exigence. Toutefois, le contrle quil exerce cet effet est soumis

    19 Pour une observation de ce type au dpart des outils de droit international priv, voir la thse de L. Gannag,

    La hirarchie des normes et les mthodes du droit international priv Etude de droit international priv de la

    famille, LGDJ, 2001. 20

    Un parallle tout fait intressant peut tre men avec le questionnement formul dans cet ouvrage par le

    professeur J. Ghestin propos de la participation du contrat llaboration des normes juridiques suprieures

    extrieures lEtat franais (voir supra, p. xxx) et celui qui est ici le ntre. Dans les deux cas, il sagit de

    sinterroger sur le sens, la valeur ou la porte dun acte juridique (contrat, convention internationale, loi, etc.)

    quand il est considr en dehors du systme qui lui a donn naissance. Cette interrogation intresse la hirarchie

    des normes chaque fois que lacte juridique en cause est confront une norme saisie dans sa dimension

    suprieure ou fondamentale. 21

    Cons. dtat, ass., 30 oct. 1998, Sarran et Levacher, Req. nos

    200286 et 200287. 22

    Cour de cass., ass. pln., 2 juin 2000, Fraisse, pourvoi nos

    99-60274. 23

    V. notamment, Dcision no 2006-540 DC, 27 juill. 2006.

    24 V. notamment, Dcision n

    o 2004-496 DC, 10 juin 2004.

  • 11

    une () limite (). La transposition dune directive ne saurait aller lencontre dune rgle

    ou dun principe inhrent lidentit constitutionnelle de la France, sauf ce que le

    constituant y ait consenti . La prservation de la Constitution nationale peut donc conduire

    les juges refuser de faire application de la norme internationale ou europenne.

    Mais des situations comparables peuvent tre constates dans les systmes juridiques qui se

    sont constitus au niveau international ou europen. La dmarche y est gnralement la

    suivante. Pour carter la possibilit, pour une norme nationale, de remettre en cause les

    constructions hirarchiques tablies dans lordre international ou europen, les juges

    internationaux et europens considrent que le droit national nest pas juridiquement

    opposable. Dans une dcision reste clbre, la Cour permanente de justice internationale

    (CPJI) na-t-elle pas dclar que () un tat ne saurait invoquer vis--vis d'un autre tat sa

    propre Constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit international

    ou les traits en vigueur 25

    ? De la mme manire, La Cour de justice de lUnion europenne

    na-t-elle pas considr que linvocation datteintes des normes constitutionnelles

    [nationales] ne saurait affecter la validit dun acte de la Communaut ou ses effets sur le

    territoire de ltat en cause 26

    ou, de manire plus gnrale, que le recours des

    dispositions dordre juridique interne afin de limiter la porte des dispositions

    communautaires... ne saurait tre admis 27

    ?

    11. Le phnomne nest pas simplement marqu par quelques grands arrts rests clbres

    dans les annales de la jurisprudence nationale, internationale ou europenne. Il est en ralit

    relativement frquent. Chaque fois que lacteur dun systme juridique, notamment un acteur

    institutionnel (juge, gouvernant et, ventuellement, lgislateur), prouve une rticence

    appliquer une mthode ou une solution juridique venue dailleurs au motif, plus ou moins

    dclare, quelle ne trouve pas naturellement sa place dans les constructions hirarchiques du

    systme auquel cet acteur appartient, il procde ni plus ni moins un repli de son systme sur

    lui-mme.

    Les rsultats pratiques auxquels conduit cette forme de repli des systmes sur eux-mmes sont

    parfois contestables. Il en va ainsi chaque fois que cette attitude traduit une sorte de rflexe,

    consistant exclure, a priori, sans ncessit aucune, lapplication de toutes mthodes ou

    25 CPJI, 3 mars 1928, Traitement des tribunaux nationaux polonais de Dantzig, srie A/B, n 44.

    26 CJCE, 17 dc. 1970, International Handelsgesellschaft, aff. 11/70.

    27 CJCE, 5 mars 1996, Commission c/ Grand-Duch, aff. C-473/93.

  • 12

    solutions juridiques trangres au systme. On citera deux exemples relativement rcents,

    dimportance ingale, mais qui ont le mrite dtre tirs de deux environnements juridiques

    trs diffrents, ce qui tend montrer lampleur du phnomne. Le premier sappuie sur une

    jurisprudence franaise qui a mis plus de vingt ans tirer les consquences de leffet

    dinvocabilit normalement produit par les directives de lUnion europenne dans lordre

    juridique national28

    . Le second vise la dcision dun tribunal arbitral CIRDI (Centre

    International pour le Rglement des Diffrends relatifs aux Investissements) qui a refus

    dapprcier la compatibilit dun trait international avec le droit de lUnion europenne, aux

    motifs notamment que ce dernier devait tre considr comme un simple fait dans lordre

    international29

    .

    12. Ce type de dcisions et les raisonnements qui les sous-tendent sont probablement la

    consquence dune analyse des rapports de systmes obnubile par des lectures dualistes et

    monistes30

    qui, bien que relativises aujourdhui31

    , se montrent incapables de rendre compte

    dune approche pluraliste des systmes juridiques32

    . Dans les thories dualistes, le phnomne

    de repli du systme sur lui-mme est patent, puisquil sagit toujours pour le juriste dutiliser

    les ressources prsentes dans son systme pour recevoir (thorie de la rception) le droit venu

    dailleurs. Le monisme, qui prtend fondre tous les systmes en un seul, doit galement faire

    un choix entre une primaut confre au droit interne ou une primaut confre au droit

    28 Voir, par exemple, en France, les difficults prouves par le Conseil dEtat revenir sur sa jurisprudence

    Cohn-Bendit (CE Ass., 22 dc. 1978, Rec. Lebon, 524) refusant de faire produire aux directives europennes

    un effet de substitution quand il tait en prsence dun acte administratif individuel. Il a fallu attendre plus de

    vingt ans de jurisprudence (CE Ass., 30 oct. 2009, Perreux Req.n 298348). 29

    Affaire AES Summit Generation ltd ea c/Hongrie (ARB/07/22, sentence du 23 sept. 2010). Voir lanalyse

    critique de S. Manciaux, chronique CIRDI, JDI 2011, spc. p. 587. Voir galement ltude plus gnrale de M.

    Forteau, Le juge CIRDI envisag du point de vue de son office : juge interne, juge international, ou lun et

    lautre la fois ?, Mlanges J.-P. Cot, Bruylant 2009, 95. Sur la confrontation du droit europen et du droit

    international en ce domaine trs sensible de larbitrage dinvestissement, voir C. Kessedjian (dir.), Le droit

    europen et larbitrage dinvestissement European Law and Investment Arbitration, d. Panthon-Assas, 2011. 30

    Pour une prsentation synthtique des diffrentes thses dualistes et monistes, voir par exemple, A.

    Berramdane, La hirarchie des droits Droits internes et droits europen et international, LHarmattan, 2002,

    spc. p. 17 et s. 31

    M. Virally, "Sur un pont aux nes : les rapports entre droit international et droits internes", Mlanges Rolin,

    Pedone 1964, 488 ; voir plus rcemment, militant en faveur une lecture irrductiblement dualiste du systme

    juridique franais prsent gnralement comme moniste : A. Pellet, Vous avez dit monisme ? Quelques

    banalits de bon sens sur limpossibilit du prtendu monisme constitutionnel la franaise, publi in

    Larchitecture du droit. Mlanges en lhonneur de Michel Troper, Economica, 2006, 827 ; M. Troper, Le pouvoir

    constituant et le droit international, Recueil des cours de lAcadmie de droit constitutionnel, 2007, vol. XVI,

    357. 32

    Voir sur ce point prcis, la dmonstration trs convaincante de D. Boden, Le pluralisme juridique en droit

    international priv, Arch. de Philo du droit 2006, t. 49, Le pluralisme, prc., p. 275.

  • 13

    international. Le systme, ft-il unique, se replie sur ses fondamentaux, sur sa norme

    fondamentale. Cest donc le mme phnomne de hirarchisation qui est luvre.

    Sans doute, pourrait-on faire lconomie de ces grilles de lecture qui inscrivent volontiers les

    rapports de normes et, au-del, les rapports de systmes dans une reprsentation hirarchique,

    largement simplifie au demeurant33

    . Cest ce que nous voudrions essayer, prsent, de

    montrer en dsignant les situations dans lesquelles les constructions de type hirarchie des

    normes nont pas de vritable utilit dans un contexte dapplication multiniveau du droit.

    III. Quelle utilit matrielle des constructions de type hirarchie des normes dans un

    contexte dapplication multiniveau du droit ?

    Approche matrielle des conflits et hirarchie des normes

    13. La hirarchisation des systmes juridiques a une dimension statique34

    selon laquelle le

    rapport de validit entre les normes repose sur lexistence de normes impratives. Le juriste

    sintresse alors au contenu, la substance des normes en prsence pour savoir si elles sont ou

    non compatibles les unes avec les autres. Vue sous cet angle, la hirarchie des normes sert

    hirarchiser des contenus. Quen est-il dans un contexte de pluralisme juridique mondial o le

    juriste est amen concevoir lapplication du droit diffrents niveaux ? Les constructions du

    type hirarchie des normes y ont-elles une utilit que lon qualifiera ici de matrielle ?

    Notre sentiment est que, dans un contexte de pluralisme juridique mondial, lapproche

    matrielle des conflits de normes se heurte deux ralits dont le juriste na pas toujours

    pleinement conscience : les droits conus des niveaux diffrents ne portent pas

    ncessairement sur le mme objet et ils sont trs souvent complmentaires dans leur mise en

    uvre.

    Faible utilit de la hirarchie des normes en prsence de droits diffrents

    33 Pour une approche critique de la conception de la hirarchie des normes, vue comme lexpression dun simple

    empilement de normes les unes sur les autres lintrieur dun systme donn, voir avec les diffrents travaux

    cits (notamment les travaux de D. de Bchillon, renvoyer sa contribution dans cet ouvrage) lanalyse

    synthtique de O. Pfersmann, V Hirarchie des normes , in Dictionnaire de la culture juridique (dir. D.

    Alland et S. Rials), d. Puf 2003, p. 779. 34

    Pour une prsentation synthtique de cette dimension que H. Kelsen a oppose la dimension dynamique que

    nous voquerons dans la partie suivante, voir notamment M. Troper, La philosophie du droit, d. PUF, 3me

    d.

    2003, p. 77 ; E. Millard, Thorie gnrale du droit, d. Dalloz, 2006, p. 72.

  • 14

    14. Le juriste est habitu penser le droit autour de grandes institutions : les personnes, les

    biens, les obligations juridiques, etc. Le fait quil ait t form pour lessentiel lintrieur

    dun seul et mme niveau (trs souvent au niveau national), le conduit naturellement

    considrer que ces institutions existent de manire quivalente tous les niveaux du droit. Or

    a nest pas toujours le cas. Il arrive, en effet, quune institution construite un niveau du

    droit nobisse pas aux mmes caractristiques que celles qui peuvent tre observes un

    autre tage du droit. En toutes matires, il faut donc pouvoir dterminer si les notions en

    prsence sont plutt identiques ou si elles souffrent dune altrit.

    cet gard, une distinction entre les droits sources et les droits objets peut aider le

    juriste mener son travail de confrontation des droits en prsence. Lexpression droits

    sources dsigne lhypothse la plus communment admise selon laquelle les diffrents

    niveaux de droit sont aptes alimenter, telles diffrentes sources, une seule et mme

    institution juridique. Par exemple, on peut tre amen considrer quil existe un seul modle

    juridique de contrat, lequel est aliment par des sources nationales, internationales et

    europennes. On peut tenir le mme raisonnement pour la marque protge par un droit de

    proprit intellectuelle. La marque est un signe distinctif protg par un droit exclusif. Le

    droit des marques fait notamment lobjet de trois niveaux de rglementation : nationale35

    ,

    internationale36

    et europenne37

    . Ces diffrentes sources alimentent un seul et mme objet

    juridique : la marque conue comme un titre national de proprit industrielle. Il ny a pas de

    diffrence de nature de lobjet apprhend par du droit national, international ou europen.

    Un autre exemple porte sur le droit de la nationalit. Chaque tat est libre de dfinir comme il

    lentend les conditions dattribution, dacquisition ou de perte de sa nationalit. Aucune

    autre source na vocation dfinir lexistence dun droit la nationalit dans un Etat tranger.

    Le droit national coexiste nanmoins avec des sources internationales et europennes.

    Lobligation pour les tats de respecter leurs engagements internationaux et europens peut

    les contraindre parfois, dans des situations souvent trs prcises (pluralit de nationalits ou

    risque dapatridie, par exemple), respecter des principes ou solutions dfinis en commun.

    Ces diffrentes sources internationales et europennes coexistent ainsi avec le droit de la

    nationalit rglement par chaque tat. Dans ce cas de figure, on peut dire quune mme

    35 Par exemple, en France, le Code de la proprit intellectuelle.

    36 Par exemple, la Convention dUnion de Paris de 1883 pour la protection de la proprit industrielle.

    37 Par exemple, la Directive (CE) n 89/104 du Conseil, 21 dc. 1988, dite "Premire directive", rapprochant les

    lgislations des tats membres sur les marques, remplace par la Directive 2008/95/CE.

  • 15

    institution dorigine nationale (la nationalit) salimente dautres niveaux du droit

    (international et europen) sans pour autant changer de nature juridique38

    .

    15. Dans une autre approche, les institutions juridiques conues des niveaux diffrents ne

    sont pas tenues pour strictement quivalentes. Elles obissent des fondamentaux propres de

    sorte quelles ne sont pas concurrentes ou parfaitement substituables. Au contraire, elles sont

    amenes coexister durablement limage des diffrents niveaux dapplication du droit qui

    leur ont donn naissance. Les exemples de ce type sont moins nombreux que les prcdents.

    Le droit atteint ici un degr de sophistication qui nest pas toujours souhaitable. Mais ils

    existent et il est important de savoir les identifier.

    Reprenons lexemple de la marque. Dans la perspective qui est la ntre dune application

    multiniveau, la marque nest pas seulement un droit unique aliment par plusieurs sources.

    Cest galement un droit objets en ce sens quil y a potentiellement autant dobjets du

    droit quil y a de sources. Par exemple, le droit de lUnion europenne a cr une marque

    communautaire (europenne), unique (un seul titre) et unitaire (un seul rgime juridique),

    protge dans lensemble de lUnion europenne39

    . Ce droit de la marque communautaire ne

    fait pas disparatre le droit national, international et europen des marques nationales. Il

    sajoute lui. Les acteurs conomiques conservent le choix de recourir lun des instruments

    plutt que lautre. Dans un domaine spcialis, on peut galement considrer quil existe en

    germe des marques de dimension vritablement internationale. Par exemple, la protection de

    lemblme olympique par le Trait de Nairobi de 1981, lequel fait interdiction aux tats

    parties daccorder une marque nationale pour le signe olympique, accorde une forme de

    protection internationale au signe en question. Dautres exemples peuvent tre imagins. Ne

    peut-on pas considrer quil existe une diffrence de nature entre le contrat international, celui

    qui rpond notamment aux besoins du commerce international et le contrat au sens du droit

    interne ? De mme un contrat de dimension europenne, distinct des deux autres formes

    prexistantes, nest-il pas en train dmerger ? Le juriste doit en tout cas y rflchir.

    Un autre exemple peut tre recherch dans la citoyennet europenne. Le Trait sur lUnion

    europenne a institu une citoyennet europenne qui sajoute la nationalit des

    ressortissants des tats membres et ne la remplace pas (article 9 TUE). Cette citoyennet

    38 Voir sur les sources du droit de la nationalit, P. Lagarde, La nationalit franaise, Dalloz, 4

    me d., 2011,

    Introduction, p. 13 s. 39

    Rglement (CE) n 40/94 du Conseil, 20 dc. 1993, sur la marque communautaire, remplac par le Rglement

    (CE) n 207/2009 du Conseil du 26 fvrier 2009 sur la marque communautaire.

  • 16

    comporte des droits de dimension spcifiquement europenne : droit de circuler et de

    sjourner librement sur le territoire des tats membres, droit de vote et dligibilit au

    Parlement europen et aux lections municipales, droit dadresser des ptitions au Parlement

    europen, droit de recourir au mdiateur europen, etc. (articles 20 et s. du TFUE). Mme si

    elle y puise sa source (sont citoyens europens, les ressortissants des Etats membres), la

    citoyennet forme un objet juridique distinct de la nationalit et a vocation interagir avec

    elle40

    .

    16. En prsence dobjets juridiques diffrents, les grilles de lecture reposant sur une hirarchie

    des normes ne sont pas utiles. Au contraire, elles biaisent bien souvent les analyses. En

    considrant, notamment, que les constructions du droit international et europen priment sur

    la loi interne, alors que ces mmes constructions ne portent pas ncessairement sur le mme

    objet, le juriste fabrique artificiellement des rapports de hirarchie qui nont pas lieu dtre

    dun point de vue matriel.

    Reprenons les illustrations donnes prcdemment en matire de marques et de citoyennet. Il

    ne sert rien de considrer, par exemple, que la marque communautaire prime sur les

    marques nationales, ds lors que le systme de la marque communautaire na pas fait

    disparatre le systme des marques nationales mais coexiste avec lui. Il se peut, en effet, que

    la validit dune marque communautaire soit conteste par lexistence pralable dune marque

    nationale concurrente et inversement. Il ny a donc pas de rapport de hirarchie ici entre les

    deux objets conus deux niveaux diffrents.

    Ce mme type de raisonnement peut tre appliqu la citoyennet europenne dans ses

    rapports la nationalit. Il nest pas utile, en effet, dopposer les deux objets juridiques en

    considrant, par exemple, que la citoyennet europenne est utilise par la Cour de justice

    pour rgler des conflits de nationalit41

    . Cette analyse est tout simplement fausse, ds lors

    quil nexiste pas dantinomie entre la citoyennet et la nationalit. Au contraire, les deux

    notions sont complmentaires, la seconde (la nationalit dun Etat membre) permettant de

    confrer la premire (la citoyennet europenne).

    40 Pour une illustration remarquable de cette interaction, voir CJUE, 2 mars 2010, aff. C-135/08, Rottmann. Voir

    sur le concept de citoyennet europenne, lanalyse trs pertinente de C. Schnberger, La citoyennet

    europenne en tant que citoyennet fdrale Quelques leons sur la citoyennet tirer du fdralisme

    comparatif, Annuaire 2009 de lInstitut Michel Villey, d. Dalloz 2010, p. 255. 41

    Deux affaires, en particulier, ont donn lieu ce type danalyse : CJCE 2 octobre 2003, Garcia Avello, C-

    148/02 ; CJCE, 14 octobre 2008, Grunkin, C-353/06.

  • 17

    Faible utilit de la hirarchie des normes en prsence de droits complmentaires

    17. Les dveloppements qui prcdent sur lexistence potentielle dinstitutions juridiques

    diffrentes au niveau national, international ou europen laissent penser que la prsence de

    droits matriellement complmentaires est lhypothse la plus frquemment rencontre par le

    juriste qui travaille dans un contexte de pluralisme juridique mondial. Dinnombrables

    exemples existent, en effet, qui montrent que le phnomne est de grande ampleur. Deux de

    ces exemples seront ici exposs : le premier historique, le second plus contemporain.

    Le premier exemple est tir de laffaire Boll de la Cour internationale de justice42

    . La

    juridiction internationale a eu se prononcer en 1958 sur la bonne application dune

    convention internationale de droit international priv (Convention de 1902 pour rgler la

    tutelle des mineurs) dans un diffrend lopposant les Pays-Bas la Sude. La question se

    posait principalement de savoir si un Etat (la Sude) pouvait prendre une mesure ducative

    destine protger un mineur dont le statut relevait, en vertu de la convention, de la loi dun

    autre Etat (les Pays-Bas). Pour considrer que la Sude navait pas viol ses obligations

    internationales, la Cour internationale de justice a estim que malgr leurs points de contact

    et malgr les empitements que la pratique rvle, la Convention de 1902 sur la tutelle des

    mineurs laisse en dehors de son cadre la matire de la protection de lenfance et de la jeunesse

    telle que lentend la loi sudoise du 6 juin 1924. La Convention de 1902 na donc pu crer des

    obligations la charge des Etats signataires dans un domaine qui est rest en dehors de ses

    proccupations et, ds lors, la Cour ne relve pas, en lespce, de manquement cette

    Convention la charge de la Sude . La solution retenue par la juridiction internationale

    sappuie sur une combinaison des deux droits, le droit national sur les mesures de protection

    des mineurs tant considres comme complmentaires des rgles de droit international priv

    qui permettent de dsigner la loi applicable la tutelle.

    18. Cet exemple historique de complmentarit entre les dispositions dun instrument

    international et dun droit national peut tre utilement complt par dautres exemples, plus

    contemporains, que livre notamment la jurisprudence de la Cour de justice de lUnion

    europenne. Cette dernire offre, en effet, de trs nombreux cas de combinaison matrielle du

    42 CIJ, 28 nov. 1958, Rec. 1958, 66.

  • 18

    droit national, international et europen. L'arrt Bogiatzi43

    est de ceux-l. Dans cette affaire, la

    Cour de justice a t saisie de questions prjudicielles souleves par une juridiction nationale

    ayant eu connatre d'une action en responsabilit civile dirige contre un transporteur arien

    en raison d'un accident survenu l'embarquement d'un vol intra-europen. Ces questions

    mettaient en scne trois droits potentiellement applicables : 1 la Convention de Varsovie

    pour lunification de certaines rgles relatives au transport arien international (version

    modifie La Haye en 1955), 2 le Rglement (CE) n 2027/97 du Conseil du 9 octobre 1997

    relatif la responsabilit des transporteurs ariens en cas d'accident (dans sa version

    applicable aux faits de l'espce) et 3 les rgles de procdure interne permettant la victime

    dintroduire une action en justice devant un juge national. Lapplication du droit national et du

    droit europen ntait pas discute devant le Cour de justice. Elle tait nanmoins patente.

    Cest le droit national et lui seul qui a permis la victime de saisir une juridiction tatique et

    dintroduire diffrentes voies de recours, en appel puis en cassation. Cest le droit de lUE et

    lui seul qui sous-tendait juridiquement laction en responsabilit civile dirige notamment

    contre le transporteur arien. En revanche, cette application tait discute pour la Convention

    de Varsovie qui pose un dlai prfix de 2 ans, laction ayant t introduite 5 ans aprs

    laccident. En dcidant que cette convention tait opposable dans le contexte de cette

    affaire, la Cour de justice a admis que lissue du diffrend devait rsulter de lapplication

    combine de trois droits : le droit national (qui permet de saisir un juge), le droit europen

    (qui donne laction son fondement juridique) et le droit international (qui pose un dlai

    prfix). Le rsultat juridique ainsi obtenu est la consquence dune application cumulative de

    trois droits, rsultat quaucun des droits en prsence naurait permis datteindre seul. En ce

    sens, il est permis de parler de complmentarit matrielle.

    19. La complmentarit des droits ne se limite pas quelques cas originaux, porteurs de

    rencontres inattendues entre des droits conus des niveaux diffrents. Elle sinscrit

    galement dans des processus de grande ampleur qui dmontrent que les droits en prsence et

    les systmes qui les portent, recourent le plus souvent une autre construction que la

    hirarchie des normes pour dfinir leurs relations. A cette construction, on peut donner le nom

    de rapports de mise en uvre . Cette expression dsigne lhypothse frquente o des

    droits construits dans des systmes diffrents, qui sont amens coexister et tre appliqus

    les uns avec les autres, nont pas vocation sexclure les uns les autres par un jeu

    43 CJCE, 22 oct. 2009, aff. C-301/08.

  • 19

    hirarchique. Il est donc ncessaire dinscrire leur application dans un phnomne durable de

    coexistence des droits si lon veut pouvoir matriser lensemble des effets potentiellement

    produits par une dmarche de type combinatoire. Ces effets ne spuisent pas au terme dune

    application dun droit la place dun autre. Ils sinscrivent dans la mise en uvre dun droit

    par un autre44

    . Ces rapports de mise en uvre sont frquents dans les diffrents schmas

    dapplication du droit plusieurs niveaux. Il nest pas rare, en effet, de rencontrer aux niveaux

    international et europen des droits hautement spcialiss, compte tenu des principes de

    spcialit et dattribution des comptences qui gouvernent les organisations internationales et

    rgionales. Ces droits spcialiss coexistent avec des droits nationaux qui conservent une

    vocation gnrale sappliquer, compte tenu de la plnitude des comptences reconnue

    traditionnellement aux Etats. La coexistence des droits spcialiss et gnralistes favorise

    considrablement ces rapports de mise en uvre quel que soit le niveau national, international

    ou europen considr.

    20. Les dveloppements qui prcdent montrent que la hirarchie des normes nest pas le

    meilleur outil pour rendre compte de la confrontation matrielle des droits labors au niveau

    national, international et europen. Bien souvent, cette confrontation ne sinscrit pas dans un

    rapport de rivalit entre des normes aux contenus impratifs contradictoires. Droits parfois

    diffrents, droits souvent complmentaires, ils sinscrivent dans des rapports de mise en

    uvre qui impliquent que le juriste dveloppe cette intelligence qui lui permet combiner,

    plutt que de hirarchiser, les solutions en prsence.

    IV. Quelle utilit formelle des constructions de type hirarchie des normes dans un

    contexte dapplication multiniveau du droit ?

    Approche formelle des conflits et hirarchie des normes

    21. La hirarchisation des systmes juridiques na pas seulement une dimension statique. Elle

    a galement ce que Hans Kelsen appelait une dimension dynamique 45

    . Le rapport de

    44 Voir, pour une illustration dtaille, notre tude sur Le droit un procs quitable au sens de la coopration

    judiciaire en matire civile et pnale : lhypothse dun rapport de mise en uvre , in F. Sudre et C. Picheral

    (dir.), Le droit a un procs quitable au sens du droit de lUnion europenne, Bruylant-Nmsis (collection Droit

    et Justice), paratre. 45

    Un ordre juridique est un systme dynamique de normes , H. Kelsen, Thorie pure du droit, trad. H.

    Thvenaz, Cahiers de Philosophie n 37, Etre et penser, 2e d. 1988, p. 122 ; pour une prsentation synthtique

  • 20

    validit entre les normes repose ici sur lexistence de normes dhabilitation. Lapproche se

    veut formelle. On sintresse la forme du droit, son enveloppe, habilite en tant que telle

    produire un effet juridique dans un systme considr. Apprhende sous cet angle, la

    hirarchie des normes sert hirarchiser des formes et non plus des contenus. Quen est-il

    dans un contexte de pluralisme juridique mondial o le juriste essaye de penser lapplication

    du droit diffrents niveaux ? Les constructions du type hirarchie des normes y ont-elles

    une utilit que lon qualifiera ici de formelle ?

    Notre sentiment est que, dans un contexte de pluralisme juridique mondial, lapproche

    formelle des conflits de normes se heurte deux ralits troitement lies dont le juriste na

    pas toujours pleinement conscience : les situations juridiques soumises aux diffrents droits

    sont susceptibles de circuler dun niveau lautre et la qute, par le juriste, de la meilleure

    hirarchie des normes djoue les solutions les plus prvisibles, conues au terme dune

    hirarchie formelle. Voyons tour tour ces deux hypothses.

    Relativit de la hirarchie des normes en prsence dune circulation des situations juridiques

    22. Lexpression circulation des situations juridiques nest pas dun usage courant chez les

    juristes. Le terme circulation ne figure pas toujours dans les dictionnaires spcialiss46

    .

    Elle reoit ici un sens relativement prcis. La circulation dsigne lensemble des phnomnes

    qui permettent une situation de produire un effet juridique (effet obligatoire , effet

    dopposabilit ou mme effet de fait ) dans un espace juridique autre que celui o elle a

    pris naissance. Leffet produit par ces mouvements dun espace normatif un autre peut tre

    parfaitement identique, la circulation juridique propageant trait pour trait un effet juridique

    donn dans deux environnements distincts. Mais cet effet comporte souvent des diffrences,

    la circulation tant alors partielle, portant sur tel ou tel aspect de la situation amene

    circuler. Le phnomne intresse la circulation chaque fois quun effet de la situation ne dans

    un environnement juridique donn se manifeste nouveau dans un autre environnement

    de la pense de lauteur, voir nouveau M. Troper, La philosophie du droit, prc. ; E. Millard, Thorie gnrale

    du droit, prc. 46

    Lexpression est, par exemple, absente du Dictionnaire de la globalisation (dir. A.-J. Arnaud, d. LGDJ, 2010)

    et si le verbo circulation figure dans le Vocabulaire juridique (G. Cornu (dir.), Puf, 8me d. 2007), les

    dfinitions proposes ne recoupent pas celle que nous envisageons ici. On lui prfre le terme dchanges ,

    dinfluences croises ou de cross-fertilization (voir sur ce thme, S. Robin-Olivier et D. Fasquelle (dir.),

    Les changes entre les droits, lexprience communautaire : une lecture des phnomnes de rgionalisation et de

    mondialisation du droit, d. Bruylant, 2008).

  • 21

    juridique en raison de son origine. Si les effets produits sont totalement trangers lun

    lautre ou sont purement fortuits47

    , il nest plus utile de parler de circulation.

    Considre au titre dune application du droit diffrents niveaux (national, international et

    europen), la circulation des situations juridiques a pour principal vecteur le mode

    dintervention des juridictions internationales et rgionales qui coexistent avec les juridictions

    nationales. La circulation des situations juridiques est inscrite, en effet, dans le processus

    mme daccs la plupart des juridictions supranationales, lequel est domin par le principe

    de lpuisement des voies de recours internes. Ainsi que la fait observer un auteur propos

    de laction en protection diplomatique exerce par un Etat aprs puisement des voies de

    recours nationales, le juge interne et le juge international sont rputs connatre de la mme

    rclamation 48

    . La situation juridique est soumise successivement lanalyse de juridictions

    places des niveaux diffrents. Ce phnomne de circulation peut galement tre observ au

    niveau europen. La procdure prjudicielle devant la Cour de justice de lUnion europenne

    permet de dplacer une situation juridique dun juge un autre. Il en va galement ainsi de la

    requte porte devant la Cour europenne des droits de lhomme.

    23. Le fait quune situation juridique puisse tre examine successivement des niveaux

    diffrents a un impact sur le jeu de la hirarchie des normes. Cette circulation relativise

    considrablement la porte donne par chaque systme juridique sa hirarchie des

    normes. Tant que les situations taient cloisonnes lintrieur dun systme un seul niveau,

    la hirarchie des normes porteuse du systme en cause tait dune efficacit potentiellement

    absolue. La norme applique dans un systme tant habilite par une norme suprieure du

    systme, le raisonnement fonctionnait en vase clos. Ds lors quune mme situation peut tre

    soumise des clairages juridiques diffrents, des niveaux diffrents, la possibilit se fait

    jour de voir appliquer la mme situation une autre hirarchie des normes, celle dun autre

    systme. Ce pluralisme dapplication du droit a pour effet de relativiser considrablement les

    constructions hirarchiques prsentes diffrents niveaux.

    Prenons lexemple de la libert syndicale qui est reconnue comme un droit fondamental

    diffrents niveaux. En France, elle a une valeur constitutionnelle (al. 6 du prambule de

    47 Pour une stigmatisation du caractre fortuit du phnomne dimbrication des ordres juridiques dans certaines

    situations : P. Brunet, Larticulation des normes Analyse critique du pluralisme ordonn , in J.-B. Auby,

    Linfluence du droit europen sur les catgories du droit public, Dalloz 2010, 195, spc. p. 200 et suivantes. 48

    M. Forteau, Le juge CIRDI envisag du point de vue de son office : juge interne, juge international, ou lun et

    lautre la fois ?, prc., spc. p. 101.

  • 22

    1946). Elle est consacre par des textes internationaux (par exemple : Convention OIT n 87)

    et europens (CESHHLF, art. 11). Son exercice peut tre tour tour discut devant les

    juridictions nationales puis europennes. Cest ainsi que des situations juridiques faisant

    lobjet dinstances nationales ont t apprhendes par des juridictions europennes propos

    de la mise en uvre des objectifs de libre circulation dfinie par lUnion europenne49

    ou des

    objectifs de protection des droits fondamentaux par le Conseil de lEurope50

    . Chaque systme

    y va, son niveau, de sa hirarchie. Nous savons, par exemple, quau sein de lUnion

    europenne, la Cour de justice confre aux liberts de circulation une valeur fondamentale qui

    contraint fortement lapplication dautres droits fondamentaux, notamment la libert

    syndicale51

    .

    Les juges nationaux assument dailleurs de plus en plus souvent cette dimension

    fondamentale du pluralisme juridique mondial52

    . Le Conseil dEtat et la Cour de cassation,

    par exemple, nhsitent pas multiplier les visas aux sources nationales, internationales et

    europennes53

    en dpit du format laconique de leurs dcisions.

    49 CJCE, 11 dc. 2007, Viking, aff. C-438/05 et 18 dc. 2007, Laval, aff. C-341/05.

    50 CEDH, 12 nov. 2008, Demir et Baykara c/ Turquie, Req. 34503/97

    51 Pour une analyse compare de la jurisprudence de la Cour de justice et de la Cour europenne des droits de

    lhomme dans cette matire, voir S. Robin-Olivier, Normative interactions and the Development of Labour Law,

    A European Perspective, Cambridge Yearbook of European Legal studies, 2009, Hart Publishing, p. 377. 52

    Sur cette dimension, voir E. Dubout et S. Touz S. (dir.), Les droits fondamentaux : charnires entre ordres et

    systmes juridiques, Pedone 2010. 53

    Voir, titre dexemples (pas ncessairement les plus cits), Conseil d'tat, 11 mars 2011, req. 324071, qui vise

    successivement la convention europenne de sauvegarde des droits de l'homme et des liberts fondamentales,

    l'accord franco-algrien du 27 dcembre 1968 relatif la circulation, l'emploi et au sjour des ressortissants

    algriens et de leurs familles, la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signe New York le

    26 janvier 1990 et diffrents textes de droit franais. La rfrence aux deux conventions multilatrales est

    intressante dans cette affaire : la Convention de New York permet au Conseil dEtat dexercer sa censure au

    nom de lintrt de lenfant ; la CESDHLF est loccasion pour lui de rappeler que les atteintes la vie prive et

    familiale doivent satisfaire une exigence de proportionnalit. Comparer, Cour de cassation, ch. soc., 16 fvrier

    2011, pourvoi n 10-60.189 10-60.191 qui dbute par le visa suivant : Vu les articles 3 et 8 de la convention n

    87 de l'Organisation internationale du travail (OIT), 4 de la convention n 98 de l'OIT, 5 de la convention n 135

    de l'OIT, 11 et 14 de la Convention europenne de sauvegarde des droits de l'homme et des liberts

    fondamentales, 6 de la Charte sociale europenne, 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union

    europenne et L. 2122-1, L. 2122-2 et L. 2143-3 du code du travail . Dans cette affaire, la dcision dun

    tribunal dinstance est censure pour avoir vu, ple-mle, dans lensemble de ces textes internationaux et

    europens, une cause de non-application de la loi nouvelle franaise soumettant une condition de

    reprsentativit, les syndicats susceptibles de participer des lections de reprsentants des salaris. Il ressort, en

    effet, de larrt et du moyen annex que lun de ces instruments ntait pas applicable cette situation et que les

    autres ntaient pas contredits par le dispositif lgislatif franais. En visant tous ces textes, la Cour de cassation

    assume pleinement son contrle de labsence de violation de la loi, toutes lois nationales internationales ou

    europennes confondues.

  • 23

    Recherche stratgique de la meilleure hirarchie des normes

    24. La prise de conscience par les juristes, spcialement par ceux qui dtiennent un pouvoir

    (lgislatif, excutif ou judiciaire), de la possibilit pour une situation juridique de circuler

    potentiellement dun niveau lautre, alimente des vises stratgiques. Le juriste peut tre

    tent, en effet, de rechercher ce quil considre ( tort ou raison) tre la meilleure hirarchie

    des normes en anticipant, empchant ou provoquant un dplacement de la situation juridique

    apprhender dun niveau (national, international ou europen) lautre.

    Cette capacit du juriste se jouer des niveaux en prsence doit tre clairement assume

    comme une forme dinstrumentalisation de la hirarchie des normes. Derrire cette

    instrumentalisation, on ne peut sempcher de voir une forme de fragilisation de la figure

    dune hirarchie formelle, capable de dessiner la dynamique dun systme. Une autre

    dynamique concurrente se met en place qui sappuie sur un pluralisme juridique, cest--dire

    pour ce qui intresse notre sujet, sur une pluralit de hirarchies des normes utilises les unes

    pour ou contre les autres mais de manire plurielle.

    25. Pour illustrer le phnomne, on prendra deux cas : lun vise la stratgie dun lgislateur

    (europen en loccurrence), lautre celle dun juge (national, i.e. franais ici).

    Le premier cas porte sur l'articulation de deux instruments de droit international priv : le

    rglement (CE) n 4/2009/CE du Conseil du 18 dcembre 2008 relatif la comptence, la loi

    applicable, la reconnaissance et l'excution des dcisions et la coopration en matire

    d'obligations alimentaires et le protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi

    applicable aux obligations alimentaires. Dans le rglement (CE) n 4/2009/CE, il a t

    notamment prvu que La loi applicable en matire d'obligations alimentaires est dtermine

    conformment au protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux

    obligations alimentaires pour les tats membres lis par cet instrument (art. 15). Pour

    dfinir l'ensemble des solutions au conflit de lois, le texte de droit europen driv s'en remet

    ainsi l'application d'un instrument international liant, le cas chant, les tats membres, l

    o il dfinit des rgles propres en matire de conflit de juridictions lato sensu (comptence

    des tribunaux, reconnaissance et excution des dcisions). Cette combinaison conditionnelle

    du texte europen et du protocole international a radicalement chang de nature avec

    l'adoption de la dcision 2009/941/CE du Conseil du 30 novembre 2009 relative la

    conclusion, par la Communaut europenne, du protocole de La Haye du 23 novembre 2007

    sur la loi applicable aux obligations alimentaires. Le Conseil a estim, en effet, que la lUnion

  • 24

    europenne dispose d'une comptence exclusive pour toutes les questions rgies par le

    protocole , de sorte qu'elle peut y adhrer, ce qu'elle a fait. Except pour un tat non li par

    le rglement (CE) n 4/2009/CE (le Danemark en loccurrence), l'application combine du

    rglement europen et du protocole de La Haye devrait tre effectivement contraignante au

    jour de l'entre en vigueur de ce dernier. Tel est, en tout cas, le vu exprim par le Conseil de

    l'Union europenne dans cette dcision. Le changement opr par ce texte est trs important,

    pour ne pas dire spectaculaire. Alors que le rglement du Conseil semblait soumettre

    l'applicabilit du protocole de La Haye la volont des tats membres, une lecture littrale de

    la dcision implique que lesdits tats sont dornavant lis par l'instrument de La Haye, sans

    mme avoir le ratifier.

    Cet exemple s'inscrit clairement dans une perspective de hirarchisation. En considrant que

    lUnion europenne avait une comptence exclusive pour adopter le protocole de La Haye de

    2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires, le Conseil de l'Union europenne a

    clairement manifest le souhait d'intgrer le texte international au droit europen. Avec cette

    dcision, la Convention internationale devient une source europenne du droit part entire.

    Le systme juridique europen se replie ainsi sur lui-mme et intgre ses propres

    constructions hirarchiques un texte venu d'ailleurs. Ce positionnement de la norme

    internationale dans le droit de l'Union europenne n'est pas sans risque. Le choix du Conseil

    de l'Union europenne de passer en quelque sorte en force, en devanant par sa dcision, les

    ventuelles ratifications du protocole de La Haye intervenir dans les diffrents tats

    membres qui le souhaitent, fait natre une discussion sur l'exercice de cette comptence dite

    exclusive . On imagine assez bien que deux thses puissent s'affronter sur ce sujet difficile.

    La thse qui considre que le rglement (CE) n 4/2009/CE vaut harmonisation des rgles de

    droit international priv en matire d'obligations alimentaires dans leur ensemble de sorte qu'il

    y aurait eu premption de la comptence nationale au sens o l'a prcis la Cour de justice

    (voir notamment l'avis 1/2003 rendu propos de la Convention de Lugano). La thse oppose,

    qui aurait notre prfrence, selon laquelle le rglement (CE) n 4/2009/CE n'a pas eu pour

    ambition d'harmoniser les rgles de conflits de lois, seules les rgles sur la comptence des

    juridictions, la reconnaissance ou l'excution des dcisions tant concernes, de sorte que les

    tats membres continueraient, en matire de conflit de lois, de partager leur comptence avec

    l'Union europenne. Les voies envisageables pour rsoudre la difficult sont de deux ordres :

    la remise cause par un biais prjudiciel (les dlais de recours en annulation tant dpasss) de

    la validit de la dcision 2009/941/CE ou la ratification par les tats membres qui le

  • 25

    souhaitent du protocole de La Haye. Dans le premier scnario, essentiellement juridique, la

    Cour de justice aura dterminer la nature - exclusive ou partage - des comptences externes

    exerces par l'Union europenne. Dans le second scnario, de nature plus politique, les tats

    membres dcideraient, l'image de ce qui se fait en matire d'accord mixte, de conforter la

    volont de l'Union europenne de combiner ses rgles propres de droit international priv

    avec celles d'un instrument international.

    Lexistence de deux voies diffrentes peut nourrir des ambitions potentiellement diffrentes

    en termes de hirarchie des normes. La premire place la recherche de solution sur le terrain

    du droit europen, en particulier sur les rgles fondamentales dattribution et dexercice des

    comptences dfinies par interprtation des traits europens. La seconde sen remet un acte

    dhabilitation nationale, par lequel un Etat dcide dadhrer un instrument international.

    Deux normes dhabilitation sont ici clairement offertes aux choix stratgiques des juristes.

    Elles procdent chacune leur niveau dune hirarchie formelle des normes distincte.

    26. Le second cas a eu un trs grand retentissement en France. Il porte sur les discussions

    suscites par lintroduction en 2008 dans la Constitution Franaise dune question prioritaire

    de constitutionnalit (art. 61-1 de la Constitution). Dans une procdure interne, une

    juridiction du fond a soulev devant la Cour de cassation une question prioritaire de

    constitutionnalit en vue de son ventuelle transmission au Conseil constitutionnel. La

    question formule par le premier juge mettait en cause la compatibilit dune disposition de la

    loi franaise (article 78-2 alina 4 du code de procdure pnale) avec les droits et liberts

    garantis par la Constitution de la Rpublique franaise . Refusant de sen tenir au strict

    nonc de la question pose par le juge de renvoi, la Cour de cassation a pris appui sur les

    critures du demandeur pour dplacer la discussion du terrain de la constitutionnalit de la loi

    franaise vers celui de sa conformit des dispositions de droit europen. Pour ce faire, la

    haute juridiction judiciaire a procd deux sauts successifs dans son raisonnement. Elle sest

    dabord interroge sur la compatibilit de la rgle de procdure pnale avec un article du trait

    europen relatif la libre circulation des personnes dans lespace de libert, scurit et justice

    (article 67 TFUE). Puis remontant dun cran dans la gnralit, elle sest pos la question

    sensible de la compatibilit de certaines rgles de procdure relatives la question prioritaire

    de constitutionnalit (articles 23-2 et 23-5 de lordonnance du 7 novembre 1958, telle que

    modifie par la loi organique du 10 dcembre 2009) avec les dispositions du trait europen

    sur le renvoi prjudiciel (article 267 TFUE). Sur ce dernier aspect, la Cour de cassation sest

    interroge sur la compatibilit europenne du dispositif franais qui contraint le juge ordinaire

  • 26

    se prononcer en priorit sur la question de constitutionnalit, lorsquil est saisi de moyens

    contestant galement la conformit d'une disposition lgislative aux engagements

    internationaux de la France. Ces deux tapes franchies, la Cour de cassation a dcid de

    surseoir statuer et de prsenter deux questions prjudicielles la Cour de justice54

    . Sans

    attendre lanalyse de la Cour de justice, le Conseil constitutionnel Franais55

    , ainsi que le

    Conseil dEtat56

    , ont estim quil ny avait pas dincompatibilit entre la loi organique

    franaise et les traits europens. La Cour de justice, statuant en rfr prjudiciel, a livr sa

    rponse en juin 201057

    . La Cour de justice sest efforce de dgager les voies de conciliation

    entre les exigences des traits europens et la marge de manuvre reconnue en termes

    dautonomie institutionnelle et procdurale, tout en prcisant que la rgle pnale franaise

    tait bel et bien contraire larticle 67 TFUE. En reprise dinstance, la Cour de cassation a

    dcid de ne pas renvoyer la question prioritaire de constitutionnalit au Conseil

    constitutionnel au motif que seul le juge interne des liberts tait mme de prendre les

    mesures provisoires qui simposent, compte tenu de lincompatibilit de la loi pnale

    franaise avec le droit de lUnion europenne58

    .

    Le choix dlibr de la Cour de cassation de ne pas transmettre la question prioritaire de

    constitutionnalit au Conseil constitutionnel illustre assez remarquablement la manire dont le

    juriste, ici un juge, peut vouloir recourir ce qui lui semble tre la meilleure hirarchie

    des normes. Dans le contexte de cette affaire, deux hirarchies formelles taient luvre.

    Une hirarchie pose par la loi franaise qui ordonne que priorit soit donne dans le

    traitement procdural du contrle de constitutionnalit sur le contrle de conventionnalit

    (articles 23-2 et 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 prcite, telle que modifie par la

    loi organique du 10 dcembre 2009). Une hirarchie pose par le Trait sur lUnion

    europenne qui fait obligation aux juridictions suprieures nationales de surseoir statuer et

    de poser une question prjudicielle la Cour de justice, en cas de difficult dinterprtation du

    droit europen (article 267 TUFE). Pour chapper aux contraintes inhrentes la premire

    rgle hirarchique, le juge franais se place dlibrment sous la coupe de la seconde rgle

    54 Cass., QPC, 16 avril 2010, n 10-4001 & 10-40002.

    55 Dcision n 2010-605, 12 mai 2010.

    56 CE, 14 mai 2010, Req. n 312305.

    57 CJUE, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, aff. C-188 et 189/10.

    58 Cass., QPC, 29 juin 2010, n 10-40001 & 10-40002.

  • 27

    hirarchique. La situation juridique soumise la Cour de cassation dans cette affaire est

    littralement dlocalise. Du niveau national, elle passe au niveau europen.

    Pour critiquable quelle soit, au regard des voies de conciliation possibles entre les deux

    rgles franaises et europennes de procdure59

    , cette attitude tire, de notre point de vue, les

    consquences logiques de lexistence dune pluralit de systmes juridiques. Un acteur

    institutionnel majeur fait ici la dmonstration de sa capacit utiliser lensemble des outils

    mis sa disposition par les diffrents systmes pour choisir de se placer, un moment ou

    autre, sous telle hirarchie plutt que sous telle autre. Les solutions qui en rsultent ne sont

    pas ncessairement contradictoires. Mais il faut accepter quelles puissent emprunter des

    voies diffrentes.

    Plusieurs systmes juridiques, plusieurs hirarchies des normes et des situations susceptibles

    de circuler dun niveau national, international ou europen lautre, tel est lenvironnement

    dans lequel le juriste volue parfois.

    V. Conclusions

    27. Les conclusions qui peuvent tre tires de cette communication sont au nombre de deux :

    la hirarchie des normes se dcline au pluriel dans un contexte de pluralisme juridique

    mondial ; dans un processus dapplication multiniveau du droit, elle termine un raisonnement

    plutt quelle ne linitie.

    La premire conclusion ne remet pas en cause, en tant que telle, les constructions de type

    hirarchie des normes . Le pluralisme juridique mondial naffecte pas le ou les modles de

    hirarchie des normes que le juriste peut tre tent dutiliser un moment ou un autre de son

    raisonnement, ds lors que ce pluralisme ne conteste pas lexistence de systmes normatifs

    diffrents niveaux national, international ou europen dapplication du droit. Il nous invite

    seulement certains estimeront que cest dj sans doute beaucoup considrer ces

    hirarchies au pluriel. Il y a potentiellement autant de hirarchies des normes que de systmes

    un tant soit peu organiss de normes.

    59 Voir, entre autres analyses, avec les nombreuses rfrences cites : D. Simon, Les juges et la priorit de la

    question prioritaire de constitutionnalit : discordance provisoire ou cacophonie durable ? , RCDIP 2011, 1.

    Voir en contrepoint, lapproche propose par P. Puig ( propos notamment de la loi organique), La question de

    constitutionnalit : prioritaire mais pas premire , RTDCiv. 2010, 66 ; comparer du mme auteur :

    Hirarchie des normes : dy systme au principe , RTDCiv. 2001, 749.

  • 28

    28. La seconde conclusion nous semble impliquer des changements beaucoup plus radicaux

    dans le travail du juriste qui sefforce dexpliciter les modalits dapplication du droit

    diffrents niveaux. Dans un contexte de pluralisme juridique mondial, la hirarchie des

    normes ne constitue pas une bonne entre en matire pour le juriste. Si ce dernier adhre une

    vision pluraliste du droit, alors il doit accepter que diffrents systmes coexistent diffrents

    niveaux. Son travail ne va donc pas consister demble construire une super hirarchie

    de normes capable de fusionner en un seul tous les systmes existants tous les niveaux. Au

    contraire, le juriste va comparer les systmes60

    . Il va, au besoin, les combiner61

    . La hirarchie

    des normes interviendra alors, ventuellement, en phase finale du raisonnement62

    , si le besoin

    se fait sentir denfermer le raisonnement lintrieur dun systme et de lui seul63

    .

    Une chose est de construire un systme. Une autre est de faire vivre une pluralit de systmes.

    Les dmarches ne sont pas mmes. Lune nexclut pas lautre bien videmment, puisque lune

    est la condition de lautre. Mais il faut bien reconnatre que dans une perspective dapplication

    du droit plusieurs niveaux, la hirarchie des normes termine un raisonnement plutt quelle

    linitie.

    _ _ _ _ _

    60 Voir supra, les dveloppements aux 3 et suivants.

    61 Voir supra, les dveloppements aux 17 et suivants.

    62 Voir supra, les dveloppements aux 24 et suivants.

    63 Sur ces trois tapes dans le raisonnement, voir propos de la confrontation du droit international priv et du

    droit europen du march intrieur : Le droit du march intrieur et le droit international priv

    communautaire : de lincompltude la cohrence in Le droit, les institutions et les politiques de lUnion

    europenne face limpratif de cohrence, V. Michel (dir.), Presses universitaires de Strasbourg, 2009, 339.

    Voir propos du thme plus gnral des interactions entre le droit international et le droit europen, la

    chronique annuelle publie au JDI (n 3 de chaque anne, depuis 2009).