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40 535 - Juillet - Août 2010 Hôpital et culture(s) L’ hôpital ne fait véritablement son entrée en littérature qu’au XIX e siècle. Depuis, des romanciers intègrent ce dernier dans leur récit, comme un des lieux de l’action : Zola, dans L’Assommoir, Stendhal dans Souvenir d’un touriste, Eugène Sue dans Les Mystères de Paris , Léon Daudet dans Souvenirs littéraires ou dans Les Morticoles, Victor Hugo dans Les Misérables . Mais aussi, Edmond et Jules Goncourt qui passèrent plusieurs jours d’observation dans les salles des hôpitaux avant d’écrire Sœur Philomène, et Balzac, avec Le Colonel Chabert… Rares sont ceux toutefois, qui, comme Verlaine, ont fréquenté nos établissements au point d’y consacrer un ouvrage auto- biographique, Mes hôpitaux ! C’est au XX e siècle que l’hôpital s’inscrit de façon plus fréquente et plus détaillée au travers des romans et surtout, des témoignages. Nombreux sont ces écrits. Des plus grands comme André Malraux, atteint d’une maladie du sommeil et hospitalisé à La Salpêtrière 1 , aux plus humbles comme Lalla Romano 2 , chacun raconte son expérience hospitalière, se met en Hôpital et littérature Nombreux sont les écrivains qui ont analysé, glosé, raconté, après avoir… imaginé ou réellement vécu leur hospitalisation ! Rares et partielles sont, en revanche, les études consacrées au sujet. Et quel sujet! L’hôpital et son évolution à travers la littérature française, pour l’essentiel, des XIX e et XX e siècles ; l’entreprise est vaste autant que passionnante. Toutes les formes sont explorées : romans et documents, poèmes, récits autobiographiques, témoignages. Quels regards ont portés sur l’institution multiséculaire des auteurs aussi différents que Flaubert et Balzac, Eugène Sue et Dumas, les Goncourt ? Et, plus près de nous, Bazin, Malraux, Albertine Sarrazin, Hervé Guibert, Jean-Christophe Rufin ? Que nous racontent ces « voix de papier », célèbres ou familières ? Ont collaboré à ce dossier : Richard Bousiges Hôpital et littérature . . . . . . . . . . .40 Pierre Le Coz Ce qui rend nos décisions humaines . . . . . . . .57 Dominique Lachat Alice au Pays des merveilles : une création « culture à l’hôpital » transfrontalière . . . . . . . . . . . . . . .61 Michèle Dard Au cœur de l’hôpital, une média- thèque de la cité . . . . . . . . . . . . . .64 Rachel Even Olivier Galaverna Art numérique au lit du patient : les nouveaux territoires multimédia . . . . . . . . . .66 Catherine Bonhomme Un projet pédagogique audiovisuel dédié aux 7-25 ans : « L’arbre aux étoiles », Institut Curie . . . . . . . . .70 Danuta Pieter Pour un hôpital ouvert sur la cité : le programme Maisons des adolescents Fondation Hôpitaux de Paris- Hôpitaux de France . . . . . . . . . . . .73 Catherine Bonhomme Pharmaco Series de Beverly Fishman . . . . . . . . . . . .75

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Hôpital et culture(s)

L’hôpital ne fait véritablement sonentrée en littérature qu’au

XIXe siècle. Depuis, des romanciersintègrent ce dernier dans leur récit,comme un des lieux de l’action : Zola,dans L’Assommoir, Stendhal dansSouvenir d’un touriste, Eugène Suedans Les Mystères de Paris, LéonDaudet dans Souvenirs littéraires oudans Les Morticoles, Victor Hugodans Les Misérables. Mais aussi,Edmond et Jules Goncourt quipassèrent plusieurs jours d’observationdans les salles des hôpitaux avantd’écrire Sœur Philomène, et Balzac,

avec Le Colonel Chabert… Rares sontceux toutefois, qui, comme Verlaine,ont fréquenté nos établissements aupoint d’y consacrer un ouvrage auto-biographique, Mes hôpitaux !C’est au XXe siècle que l’hôpital s’inscritde façon plus fréquente et plus détailléeau travers des romans et surtout, destémoignages. Nombreux sont ces écrits.Des plus grands comme AndréMalraux, atteint d’une maladie dusommeil et hospitalisé à LaSalpêtrière 1, aux plus humbles commeLalla Romano 2, chacun raconte sonexpérience hospitalière, se met en

Hôpital et littératureNombreux sont les écrivains qui ont analysé, glosé,

raconté, après avoir… imaginé ou réellement vécu

leur hospitalisation! Rares et partielles sont, en revanche,

les études consacrées au sujet. Et quel sujet ! L’hôpital

et son évolution à travers la littérature française,

pour l’essentiel, des XIXe et XXe siècles ; l’entreprise

est vaste autant que passionnante. Toutes les formes

sont explorées : romans et documents, poèmes, récits

autobiographiques, témoignages. Quels regards ont portés

sur l’institution multiséculaire des auteurs aussi différents

que Flaubert et Balzac, Eugène Sue et Dumas, les Goncourt?

Et, plus près de nous, Bazin, Malraux, Albertine Sarrazin,

Hervé Guibert, Jean-Christophe Rufin? Que nous

racontent ces «voix de papier», célèbres ou familières?

Ont collaboré à ce dossier :

Richard BousigesHôpital et littérature . . . . . . . . . . .40

Pierre Le CozCe qui rend nos décisions humaines . . . . . . . .57

Dominique LachatAlice au Pays des merveilles : une création « culture à l’hôpital »transfrontalière . . . . . . . . . . . . . . .61

Michèle DardAu cœur de l’hôpital, une média-thèque de la cité . . . . . . . . . . . . . .64

Rachel EvenOlivier Galaverna

Art numérique au lit du patient : les nouveaux territoires multimédia . . . . . . . . . .66

Catherine BonhommeUn projet pédagogique audiovisueldédié aux 7-25 ans : « L’arbre auxétoiles », Institut Curie . . . . . . . . .70

Danuta PieterPour un hôpital ouvert sur la cité : le programme Maisons des adolescentsFondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France . . . . . . . . . . . .73

Catherine BonhommePharmaco Seriesde Beverly Fishman . . . . . . . . . . . .75

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scène. Ils procèdent, comme diraitAlphonse Boudard, à une «hosto-biographie » 3 ! D’autres exemples vien-nent illustrer ce mouvement 4. AlfredLe Petit, dessinateur, journaliste, cari-caturiste, témoigne de son hospitali-sation à l’Hôtel-Dieu au début duXXe siècle. Il y décrit, en véritable ento-mologiste, la vie quotidienne. Entre1903 et 1952, les différences sontminimes !…Les thèmes abordés en littérature sontle reflet de la société hospitalière : l’évo-lution de l’hôpital, les professionnels desanté et leurs relations avec lesmalades ; l’annonce de la maladie, l’oc-cupation du temps, la douleur et lamort… Je les ai ordonnés sous la formed’une pièce de théâtre, en m’inspirantdu théâtre classique : unité de lieu, detemps, d’action.• Le malade se tient en un lieu : l’hô-

pital, sa chambre, son lit.• Quand il ne reçoit pas de soins, son

temps est dévolu à l’attente.• Les acteurs, c’est-à-dire les profes-

sionnels de santé, agissent, diagnos-tiquent, soignent, opèrent ; ceci dansune relation au malade qui tantôtle satisfait jusqu’à une reconnais-sance sans fin, tantôt le laisse… sursa faim !

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Richard BOUSIGESDirecteur

du centre hospitalier de Blois

Existe-t-il un discours sur les lieux etconditions d’hospitalisation dans la

littérature du XIXe et du XXe siècles, voiredu XXIe siècle ?L’hôpital n’a pas bonne presse auXIXe siècle. Prenons l’exemple de Zola,dans L’Assommoir. Gervaise, qui à droitevoyait les abattoirs, fin des animaux, età gauche l’hôpital Lariboisière, fin deshommes, refuse qu’on conduise son mariCopeau à l’hôpital Lariboisière: «Quandle brancard arriva enfin, et qu’on parla d’ypartir, elle se releva en disant violemment:– Non, non, pas à l’hôpital !... »– « On eut beau lui expliquer que la

maladie lui coûterait très cher… Biensûr, elle sauverait son homme, tandisqu’à l’hôpital les médecins faisaientpasser l’arme à gauche aux maladestrop détériorés, histoire de ne pas sedonner l’embêtement de les guérir.» 5

L’hôpital en ce siècle est un abri pourtous les miséreux, lorsque toutes lesautres portes leur sont fermées. Ils sontalors hébergés en salle commune 6.

La salle communeEn 1842, Eugène Sue consacre unchapitre des Mystères de Paris, inti-tulé L’hospice, à la traversée d’une sallecommune : « L’atmosphère est sinauséabonde, si lourde, que lesnouveaux malades ne s’y acclimatentsouvent pas sans danger ; ce surcroît desouffrances est une sorte de prime quetout nouvel arrivant paye inévitablementau sinistre séjour de l’hospice… L’air decette salle immense est donc épais,fétide. Ça et là le silence de la nuit estinterrompu tantôt par des gémissementsplaintifs, tantôt par de profonds soupirsarrachés par l’insomnie fébrile…» 7

Les lieux

1. A. Malraux, Lazare, Folio,Gallimard, 2004.

2. L. Romano, J’ai rêvé del’hôpital, Rivages poche.

3. A. Boudard, L’hôpital,1972, Folio.

4. H. Guibert, Cytomégalovi-rus, journal d’hospitalisa-tion, Seuil, 1991 ; RenéAllendy, Journal d’un mé-

decin malade, ou six moisde lutte avec la mort, De-noël, 1944 ; Alfred Le Pe-tit, Je suis malade, curieuxcarnets d’un séjour à l’Hô-tel Dieu en 1903-1905,éditions Alternatives,2007.

5. Zola, L’Assommoir, L’In-tégrale, Seuil, p. 429.

6. De nombreux exemples lit-téraires prouvent ce fait : parexemple, Eugène Sue, Lesmystères de Paris, p. 375et s. ; Verlaine, Mes hôpi-taux, Paris, Albert Mes-sein, 1926, p. 36 et 54.

7. E. Sue, Les Mystères deParis, éditions Baudelaire,1965, T. 3, p. 380.

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La perte de personnalité ajoute à cetteambiance pesante : « Je ne suis plus unhomme, je suis le numéro 164,septième salle » s’écrie le colonelChabert ! 8

Zola donne à sa description un carac-tère dantesque : «Au bout d’une grandesalle où les malades à la file, avec desmines de trépassés, se soulevaient…» 9

Écoutons également les Goncourt.Dans Sœur Philomène, les maladess’interpellent :«Madame un!Madame six !Madame onze ! Écoutez donc un peuque je vous dise…» 10

Les Goncourt évoquent une «salle hauteet vaste ». « Elle est longue, et se

prolonge dans une ombre où elle s’en-fonce sans finir. » 11

Et Verlaine de dépeindre l’ambiancedes salles communes : « Oui, peut-êtreun jour nous reviendront (en mémoire),mélodieuses du passé, ces conversationsde lit à lit, de bout à bout de salleparfois… Ils nous reviendront, cessommeils coupés de cris d’agonie, cesvociférations de quelque alcoolique,ces réveils avec de ces nouvelles : Le 15a cassé sa pipe. As-tu entendu cecochon de 4? Quel nom de Dieu de saleronfleur ! Par-dessus tout nous revien-dront, hélas ! sous forme d’utile regret,ce calme sobre, cette stricte sécuritéde ces lieux de douleur, certes, maisaussi de soins sûrs…» 12

Verlaine, à nouveau, non sanshumour et d’un ton badin : « Le lit quej’occupe à l’hôpital Labrousse et quiporte le numéro 27 de la salle Seigle,a cette particularité que, de mémoirede malade, aucun de tous ceux quiy ont dormi, sauf deux ou trois origi-naux de qui je grossirai peut-être lenombre, n’y est pas mort ; ce, avecune touchante régularité d’exempledonné et suivi. » 13

Et si cela n’était propre qu’au XIXe siècle !Il n’en est rien : jusque dans les années1970, le patient hospitalisé connaîtencore souvent les salles communes.Pour Hervé Bazin, dans La têtecontre les murs, ces salles attestent dusurencombrement des hôpitaux : « Lesecond était plein, comme tous lesquartiers ; le nombre de lits insuffisant.Une partie des malades couchaient surdeux matelas jetés à même le plancherdes dortoirs.» 14

Alphonse Boudard, à Bicêtre dansles années 1950, en fait la descrip-tion avec sa verve habituelle : « C’esttout en longueur sous les toits. Ça faitbien la même distance que le quai àRéaumur-Sébastopol… Tout à fait legenre station de métro. Les litscombien… cinquante ? Soixante ? Onest mélangés, confondus, tubards,diabétiques, ulcéreux, hémiplégiques,cardiaques, hépatiques, scrofuleux,gastralgiques, vérolés, cancéreux, lestabès, les cirrhoses du foie et les artifi-ciers de l’anus !»« Salle Cellérier, m’y voici… lit n° 9.M’sieur 9, je vais devenir. Sur quel ton,la chef, la trois galons, elle va m’en servirdu M’sieur 9 ! Pour des riens, mescouvertures mal rabattues, mon crachoirau mauvais endroit… “M’sieur 9!” C’estune race, les trois galons…» 15

Prisons et hôpitauxAlphonse Boudard partage avecVerlaine et Albertine Sarrazin le« privilège » d’avoir connu prison ethôpital. Il peut donc comparer lesdeux ! À l’hôpital : « j’y suis venu demon plein gré. Le contraire de la prisonen somme, où tout vous pousse, lesflics au cul, le juge et le chœur des

>> Établissements de soins psychiatriques et littérature

L’hôpital psychiatrique 1 mériterait une étude spécifique, tant les ouvrages qui explorent ce sujetsont nombreux.

Artaud dans Van Gogh, le suicidé de la société, Maurice Barrès dans Le culte du moi, Hervé Bazindans La tête contre les murs, Samuel Beckett dans Malone meurt et dans Murphy, André Breton dansNajda, Céline dans Voyage au bout de la nuit…

N’oublions pas Gérard de Nerval qui y fut hospitalisé et qui tenta, caché derrière un arbre, de tuerle Dr Blanche d’un coup de pierre 2. C’est entre deux internements qu’il écrit Sylvie et pendant unehospitalisation qu’il rédige Aurélia, monographie lucide d’une folie…

Émilie Durand vit son hospitalisation comme un terrible enfermement. En 2006 elle écrit : «Toutest fermé à clé. Il n’y a aucun moyen de sortir et aucun accès au jardin. Chaque seconde enferméelà-bas était une seconde en moins à jouir du dehors, du soleil et de la pluie. Le soleil, le vent, la pluiesont des choses qui manquent terriblement. 3 » Ses descriptions rappellent celles de Beckett dansMalone meurt (1948) ou Murphy (1938).

Quand l’établissement lui-même n’est pas considéré comme fabriquant « le fou»… comme AndréBreton le suggère en 1928: « Il ne faut jamais avoir pénétré dans un asile pour ne pas savoir qu’ony fait des fous tout comme dans les maisons de correction, on fait les bandits 4.»

Dans La tête contre les murs (1949), Hervé Bazin décrit les cellules et notamment les portes de Villejuifcomposées d’un verre spécial «pour qui le plus beau coup de tête reste une chiquenaude». L’expériencevécue est généralement dramatique: «Ancien malade moi-même, je me souviens. Avant de connaîtreles choses de l’extérieur, je les ai connues de l’intérieur. J’en ai gardé une pitié indicible pour ceuxqui ne sont pas sortis de cette nuit, de cette mort vivante où, je vous l’assure, c’est une terribleexpérience que d’être enseveli 5.»

Une exception à cette description d’enfermement est contée par Marie Depussé dans Dieu gît dans lesdétails. « Autour du parc de la clinique de La Borde (Loir-et-Cher), il n’y a pas de mur 6.»

1. G. Merviel, « Approche de l’institu-tion psychiatrique à travers quelquesromans du XXe siècle », mémoireENSP, 1978.

2. H. Clouard, La destinée tragique deGérard de Nerval, Grasset, 1929.La clinique du Dr Blanche aura aus-

si pour dernier patient Guy deMaupassant.

3. É. Durand, Ma folie ordinaire. Allerset retours à l’hôpital Sainte-Anne, LeSeuil, 2006.

4. A. Breton, Najda, p. 129.5. H. Bazin, La fin des asiles, 1949.

6. M. Depussé, Dieu gît dans les dé-tails, La Borde, un asile, POL,2005.

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plaignants. Au résultat c’est presquekif, hosto ou cabane, on est retiré dumonde courant, condamné aux rêvas-series palucheuses, numéroté, sapéloquedu et tutoyé ». 16

Qu’en dit Verlaine, qui a aussifréquenté ces lieux fermés, tous deuxempreints de règlement ? Dans unlangage pré-célinien, il évoque ce« règlement lu et relu à toutes occasionspar des surveillants, j’allais dire par desgardiens, à moustaches grises d’ex-grenadiers de Magenta, de médaillésdu Mexique et de Chine». 17

De la salle commune à la chambreUne énorme évolution a lieu avec lepassage progressif – mais relativementrapide autour des années 1960-1970 –de la salle commune à la chambre.Chez Hervé Bazin, la chambre estréduite à : « Un lit, une armoire, unfauteuil, une table et une chaise, dispa-rates, mais décents, (qui) donnaient àla pièce ce luxe hôtelier des sous-préfec-tures. Le parquet restait brut : l’eau dejavel l’avait rendu presque blanc.» 18

Philippe Labro, dans La traversée,raconte avoir quitté la réanimation pourla chambre 29 (!) : « Il y a tout justeplace pour mon lit, un fauteuil pourmoi si je parviens à me lever, unechaise pour un visiteur ; un minceespace entre le lit et le mur permetd’installer une tablette pour lire, écrire,se nourrir… » 19

Mais la chambre apporte-t-elle vrai-ment toute l’intimité souhaitée ? Non,répond René de Ceccatty dansL’accompagnement (1994) : «Accepterl’hospitalisation c’est s’exposer à desregards incontrôlés sur soi, c’est sesoumettre au langage, au rythme, auxintrusions des autres : on ne ferme plussa porte à clé. Au pied du lit, des chiffreset des courbes, des listes de médicamentssont votre nouvelle carte d’identité.»

Le litDernier refuge du corps, ultime espacede vie : le lit ! Marie-HélèneBoucand, dans Le corps mal entendu,l’apprivoise :

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«Un lit, mon lit.J’y habite le matin, le midi, le soir.Assise ou couchée, j’y travaille, écris,lis, téléphone, mange, me débats oume repose.Parfois, j’y dors.» 20

Encore que le patient, même de façonmomentanée, peut avoir affaire à unsimple brancard, ne serait-ce qu’auxurgences. Llabres décrit « l’intermi-nable voyage vers le bloc opératoire surun brancard à roulettes. Le circuitemprunte des couloirs qui n’en finissentplus et dont l’allongé ne voit que lestubes au néon qui défilent auplafond». 21

Alexandre Dumas, dans LaComtesse de Charny, nous livre cerécit : «À cette époque (il s’agit de la findu XVIIIe siècle), les hôpitaux étaient loind’être organisés comme ils le sontaujourd’hui… La première chose quiavait manqué, c’étaient les lits… Onavait alors mis en réquisition les mate-las des habitants des rues environ-nantes… Mais les chirurgiensmanquaient comme les matelas, etétaient plus difficiles à trouver.»S’il n’était pas encore question dedémographie médicale, ces pénuries nesont pas sans rappeler… une certaineactualité !…

Le temps passé à l’hôpital a consi-dérablement évolué depuis le

XIXe siècle, où la dimension sociale l’em-portait sur les aspects médicaux.Pour Hervé Guibert « un séjour àl’hôpital, c’est comme un très long voyageen un défilé ininterrompu de gens, dedistribution ou de rituels, pour remplir letemps. Il n’y a même plus de nuit». Saconclusion est terrifiante : « L’hôpital,c’est l’enfer.» 22 «À l’hôpital, le temps sedilate démesurément», observe LallaRomano 23. Pour bien des malades,le problème est celui de la longueur etde la monotonie des journées et desnuits.Les changements d’équipe rythment letemps, constate Philippe Labrodans La Traversée : « Les femmes vont

changer selon des rythmes de travail– trois équipes de deux filles, qui font troisfois huit heures – et ce seront les surgis-sements de noms et couples nouveaux,de voix et visages nouveaux qui forme-ront les seuls repères de l’écoulement dutemps. Le temps est un fil qui se brisefréquemment, s’embrouille et s’emberli-ficote, se perd et ne se retrouve pas.Seules les infirmières vous permettent decontinuer de comprendre qu’il y a desheures, il y a un jour, il y a une nuit… Lesinfirmières sont donc, entre autresmultiples identités, votre horloge, votreunique explication du temps.» 24

Même perception chez Hervé Bazin :« Réveil à 6 heures par la relève del’équipe de jour, puis heure du petitdéjeuner, puis l’attente interminable…

Le temps

8. Balzac, Colonel Chabert,p. 332 (Bicêtre) ; A. Le Pe-tit dans sa chronique hos-pitalière du début duXXe siècle, cite de nom-breux cas où les maladesétaient appelés par le nu-méro de lit : « M. 6 », ou« l’alcoolique du 12 » parexemple (p. 98). Quant àAnne, dans L’Astragaled’Albertine Sarrazin, ellesera « la malade du 5 »(p. 60)…

9. Zola, L’Assommoir, (il s’agitde Lariboisière !).

10. Goncourt, Sœur Philo-mène, Alphonse Lemerre,1890, p. 121.

11. Goncourt, op. cit., p. 1.12. Verlaine, op. cit., p. 36.13. Verlaine, op. cit., p. 41.14. H. Bazin, La tête contre les

murs, Le livre de poche,1949.

15. A. Boudard, L’hôpital,1972, Folio, p. 16.

16. idem, p. 19.17. Verlaine, op. cit., p. 12.18. H. Bazin, op. cit., p. 83.19. Ph. Labro, La Traversée,

p. 241.

20. M.-H. Boucand, Lecorps mal-entendu,2004, p. 83.

21. Cl. Llabres, L’hommeallongé, p. 28.

22. H. Guibert, Cytoméga-lovirus, journal d’hos-pitalisation, Seuil,1992, p. 20.

23. L. Romano, J’ai rêvé del’hôpital, p. 26 et p. 45.

24. Ph. Labro, La Traver-sée, Gallimard, 1996,p. 42.

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l’heure des repas, l’heure des médica-ments, l’heure des bruits familiers réglantla journée… » ou pour AlbertineSarrazin : « Le reste du temps, c’estla routine de l’hostau : le café au lait, lagraille à onze et six heures (ça nechange pas tellement de là-bas 25), lessoins, la pénicilline…» 26

Le rituel des soins est un indicateurde réalisation de la journée. PourHervé Guibert « Ils vous réveillenttoujours à sept heures du matin pourvous fourrer un thermomètre sous lebras, à huit heures, cinq tubes desang pris au cathéter de la per fu-sion… » 27, etc.Pour Anne-Marie David , « Lechoc de l’annonce du diagnosticpassé, les malades s’installent dansune autre attente. Elle devient unecomposante de leur vie. Tout serésume à l’attente du traitement, l’at-tente de la guérison, l’attente duhandicap ou, plus terriblementencore, l’attente de la mort. » 28

Le repos est-il envisageable ?Pour certains, comme les Goncourt,« le silence plane » mais parce que« l’agonie fait peu de bruit ». Dansl’ensemble cependant, l’ambiance de

l’hôpital, c’est avant tout le bruit,notamment la nuit, peu propice aurepos. Philippe Labro : « On dorttrès peu et très mal à l’hôpital, c’estbien connu. Les jours sont longs etdébutent avant le jour. Il y a toujoursune lumière au néon dans le couloirsi proche de la porte… Il y a toujoursdes poires sur lesquelles des patientsont appuyé et qui font twaat-twaatdans la nuit ; il y a toujours un appelfaiblard, une voix de vieux qui répète“s’il vous plaît, s’il vous plaît”, il y atoujours le bruit des chariots quitransportent soins et médicaments,plateaux repas… Il y a un défiléparfois ininterrompu de gens venuspour des tâches précises : tempéra-ture, sang, poids, radio, séance d’aé-rosol, visite des internes et du patron,ça n’arrête pas ! » 29

Le bruit surgit parfois de la chambreelle-même. Philippe Labro, à proposdu service de réanimation 30 : «Le bruitprovenait d’une machine que l’onappelle un “ventilateur artificiel” quipompe de l’air et en insuffle à traversun tube de silicone – lequel, rentrédans la trachée du patient, lui permetde respirer.»Pour Léon Daudet, dans son hôpitalTyphus, « les hurlements ne s’interrom-paient que par des : oh ! là là ! Oh jesouffre. Ah là, quelle douleur ! À briserl’âme et les oreilles» 31. Bénéficier d’unechambre individuelle n’empêche pascertains bruits de percer : AndréMalraux, dans Lazare, raconte qu’ilentend, dans la chambre à côté, « desronflements: ils vont devenir des râles» ;puis « les plaintes de la chambre voisinesont devenues plus élevées… Plus d’er-reur possible : ce sont des râles» ; puis« le râle a repris » qui ponctuent saréflexion sur le suicide. Puis « je n’en-tends plus les hautes plaintes… monvoisin est mort». 32

La lectureÀ défaut de repos, les occupations sontplutôt la lecture et l’écriture, certainsauteurs s’interrogeant même sur l’ap-port de la lecture dans la thérapie 33.Tout le monde ne peut être Pascal, qui

surmontait ses maux de tête en résol-vant des problèmes mathématiques. Lalecture donne le pouvoir de l’évasion parl’imagination. On échappe ainsi à sadouleur.Chez Alphonse Daudet : «Tous lessoirs, contracture des côtes atroce. Jelis longtemps, assis sur mon lit, la seuleposition endurable…». 34 Ailleurs dansle récit : « Je suis en ce moment avec levieux Livingstone, au fond de l’Afrique,et la monotonie de cette marche sansfin, presque sans but, ces préoccupa-tions perpétuelles de hauteur baromé-trique, de repas vagues, ce déroule-ment silencieux, inagité, de grandspaysages, est vraiment pour moi unelecture merveilleuse. Mon imagina-tion ne demande presque plus rienau livre qu’un cadre où elle puissevaguer » 35. Ceci alors que, concrète-ment, il lui fallait, « pour atteindre cefauteuil» ou « traverser ce corridor ciré,autant d’efforts et d’ingéniosité queStanley dans une forêt d’Afrique» 36.Le Dr Patrick Autréaux , en2009, n’exprime pas autre chose :« Je gardais à portée de mainquelques auteurs devenus mescompagnons dans cette dérive inté-rieure. La sidération passée, les trai-tements débutés, je m’étais mis à lirebeaucoup, suivant un fil que je nediscernais pas bien. Des récits devoyages extrêmes surtout. » 37 Unautre exemple délicieux, si je puisdire, est cité par Malraux dansLazare : un prêtre rapporte à l’auteurqu’« un mourant l’avait flanqué à laporte pour terminer Les Mystères deParis » 38. Quant à PhilippeLabro, il affirme qu’il ne laisseraitpersonne dire du mal de la collectionHarlequin !… C’est dire !

L’écriture«Écrire est aussi une façon de rythmerle temps et de le passer » 39 et finale-ment « la seule façon d’oublier » 40

estime Hervé Guibert.L’écriture est également salvatrice chezJean-François Deniau : « Et deretour à l’hôpital, la nuit des infirmièresbranchaient les perfusions sur le bras

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gauche pour que je puisse écrire, troisromans en trois ans, trois ans de nuitssolitaires d’hôpital où comme le midshiptombé au milieu du Pacifique je meracontais ma vie pour survivre, celleque j’ai connue et celle dont j’airêvé.» 41

L’écriture, qu’elle soit habituelle chezun auteur ou objet d’une découverte,est souvent l’occasion d’évoquer sasouffrance. Roger Martin du Gardfait dire à son héros : «Dans le cerveaud’un malade, d’un insomnieux, touttourne à l’obsession. Écrire, ça délivre…C’est depuis que mes jours sont comp-tés que les heures sont intermi-nables. » 42 Christine Clerc dansCent jours à l’hôpital : « Ma meilleurearme, c’est le travail. À dix-neuf heurestrente, je veille jalousement à ce quel’on dispose à portée de main sur latable mes livres, mon cahier, mes stylosfeutres. Et, à vingt heures trente… j’es-saie d’écrire… Me battre avec unephrase, que je coupe, rallonge,retourne dans tous les sens, me faittout oublier… J’écris jusqu’à ce quela douleur m’obnubile et que je nepuisse plus résister au désir d’allon-ger le bras vers le calmant et le somni-fère…» 43

L’écriture va au-delà. Elle sauve AndréMalraux qui entreprend Lazare dansun camp de prisonniers, et pour qui« écrire était alors le seul moyen decontinuer à vivre» 44. L’écriture devientalors exutoire, refuge. ChristianeSinger : « (Ce livre) fut mon radeau denaufragée… Si je limite à six mois pourl’instant cette expérience d’écriture, ce

n’est certainement pas du fait de laprédiction du jeune médecin de Kremsqui décréta péremptoire : vous avez sixmois à vivre au plus. J’aime seulementla limite qu’elle m’offre dans le tempspour un projet de Vie. Ce livre en étaitun» ! 45

Hors les plaisirs intellectuelsCéline le rappelle dans Voyage aubout de la nuit, «On ne pouvait pas lesenvoyer tout le temps à l’église, ils s’yennuyaient trop » ! 46 Il faut ici distin-guer XIXe et XXe siècles. La sallecommune offre au XIXe siècle certainesoccupations, comme les conversationsentre « les camarades», pour reprendrel’expression de Verlaine, mais aussijeux et plaisanteries. Des joueurs,notamment de cartes, peuvent éclaterde rire pendant qu’agonise, dans le lità côté, un de leurs voisins… C’est ceque décrit Alfred Le Petit 47. Unsiècle plus tard, regarder la télévision,écouter la radio représente des passe-temps réguliers. Chirurgien contempo-rain, Laurent Sedel n’a jamaisautant regardé la télévision de sa vie.« Je découvre combien les émissionsaprès minuit peuvent être intéres-santes…» 48

Les visitesOn imagine souvent les visites commedes épreuves lassantes. Elles peuventapporter un grand réconfort psycholo-gique. Quel bel hommage que cettedédicace d’Alphonse Boudard dansson ouvrage L’Hôpital : «À celle qui estvenue me voir» ! À moins que cette visi-

teuse ne soit la Mort, auquel cas elleeût été plus… inopportune !Verlaine trouve aussi du charme auxvisites :«Au moins dans l’asile où je suisJ’y vis au chaud, au frais et puisDes visiteurs assidûmentY charment mon isolement…»Dans l’ensemble néanmoins, les visitespeuvent paraître irritantes ou, à tout lemoins, fatigantes. En témoigne le réveilen réanimation de DominiqueBromberger : « Puisque j’étais sortidu coma, on s’appliqua à fêter monanniversaire. J’étais conscient, me dit-on. De quoi ? De la présence d’autrui,c’est certain. Du reste, je n’avais qu’uneidée en tête : que cette cérémonie s’ar-rête le plus rapidement possible et quemes visiteurs s’en aillent avant que jene me laisse dominer par la fatigue etl’irritation que ces manières mecausaient.» 49

En toute hypothèse, même appréciées,les visites sont souvent ressentiescomme trop longues. « On frappe.“C’est moi”. X… s’assied pour uneminute, reste deux heures », soupireAlphonse Daudet 50. Mêmeréflexion chez René Allendy, en cejour du 20 février 1942 : sur la dizainede visiteurs venus témoigner de leursympathie, la plus exaspérante est sansdoute celle de Caroline D…, l’amieaméricaine : «Elle sautille dans la pièce,son cabas à la main, elle dit : -Vous êtesmalade ; mais pourquoi alors recevoirtous ces gens qui vous ennuient, il fautqu’on fasse le vide autour de vous -et elle s’assied… » 51

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25. Il s’agit de la prison.26. A. Sarrazin, L’Astragale, 1966,

p. 68.27. H. Guibert, op. cit., p. 21.28. A.-M. David, Les dessous ca-

chés de l’hôpital, J.-C. Gaw-sewitch, 2009, p. 288.

29. Ph. Labro, La Traversée,p. 242.

30. Ph Labro, op. cit., p. 31.31. L. Daudet, Les Morticoles,

p. 11.32. A. Malraux, Lazare, p. 82, 93,

95, et p. 106.33. L.L. Lambrichs, « La littérature

est-elle thérapeutique ? », Les

tribunes de la santé, n° 23, été2009, p. 43.

34. A. Daudet, La Doulou, Omni-bus, p. 1085.

35. A. Daudet, op. cit., p. 1084.36. A. Daudet, op. cit., p. 1099.37. P. Autréaux, Dans la vallée des

larmes, Gallimard, 2009,p. 28.

38. A. Malraux, Lazare, folio,p. 126.

39. H. Guibert, Cytomégalovirus,journal d’hospitalisation, Seuil,1992, p. 15.

40. H. Guibert, op. cit., p. 64.41. J.-F. Deniau, Mémoires de 7

vies, T. 1, p. 23 ; voir aussiSurvivre, Plon, 2006, p. 37 :« j’avais négocié avec les in-firmières la pose des tuyauxplutôt sur le bras gaucheque sur le droit pour pouvoirécrire ».

42. R. Martin du Gard, Les Thi-bault, Gallimard, T.9, p. 158

43. Christine Clerc, Cent jours àl’hôpital. Chronique d’un séjourforcé, p. 124

44. A. Malraux, Lazare, p. 7045. Ch. Singer, Derniers frag-

ments d’un long voyage, AlbinMichel, 2007, p. 117

46. Céline, Voyage au bout de lanuit, p. 448

47. A. Le Petit, Je suis malade, édi-tions Alternatives, 2007,p. 111 et s.

48. L. Sedel, Chirurgien au bord dela crise de nerfs, Albin Michel,2008, p. 120

49. D. Bromberger, Un aller-retour,voyage aux frontières de lamort, p. 134

50. A. Daudet, La Doulou,p. 1095

51. R. Allendy, Journal d’un mé-decin malade, Phébus, 2001,p. 28

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Hôpital et culture(s)

L’écrivain malade, comme le maladedevenu écrivain, ne s’exprime

généralement pas sur l’action, c’est-à-dire sur les opérations et les soinsprodigués. En revanche, il se fait jugedu comportement des acteurs – méde-cins, infirmiers, aides-soignants… Etceci sans retenue ni ménagement,tantôt pour les encenser, tantôt pourles critiquer vertement. Nous décou-vrirons plus loin ces portraits et rela-tions entre professionnels et malades.Auparavant, examinons le cas dumalade-acteur.

Le malade est-il un acteur ?Même si l’on sait que le malade 52 peutjouer un rôle décisif dans sa guérison,– « Les pauvres gens faisaient de leurmieux pour guérir » 53 ironisaitVerlaine – il demeure plutôt objet desoins qu’acteur.Dans Les Morticoles 54, Léon Daudetréduit le corps à un « support detorture». Dominique Brombergerrecommande : « À l’hôpital, le butpremier de tout patient intelligent doitêtre de se faire oublier…» 55 Alfred LePetit s’exprime dans les mêmestermes. Alors qu’on lui conseille : « Lemieux est de rester couché et de faire lemort», il avoue : « J’ai du mal à me faireà cette consigne, je trouve qu’il seratoujours temps à mon heuredernière » !... 56 Philippe Labrorenouvelle l’analyse, mais propose àla fois d’accepter et de refuser l’hôpital.Accepter ses contraintes, ses consignes,et « refuser de devenir un patient profes-sionnel». Refuser d’être assisté, et toutfaire pour « entamer le chemin de l’au-tonomie » 57. En ce sens, le maladepeut en effet être un acteur !Il existe une catégorie particulièrede malade élevé au rang d’acteur :le professionnel devenu malade. Ainsien est-il du médecin hospitalisé. Onobserve que, malade, tout étonnéde ce qu’il vit, peut-être mêmedécouvre, il s’empresse souvent decoucher son expérience sur le papier.René Allendy, qui fut un des

L’action

Ce sont évidemment les portraits,souvent au vitriol, qui attirent l’at-

tention.

Le personnel médicalParmi les bons médecins, citons HoraceBianchon qui parcourt toute La Comédiehumaine. Balzac lui fait dire dans LePère Goriot : « Les médecins qui ontexercé ne voient que la maladie ; moi, jevois encore le malade. » On rapporte,mais c’est sans doute trop beau pourêtre vrai, qu’à son agonie, Balzacaurait murmuré : « Si Bianchon étaitlà, il me sauverait. » Verlaine certi-

fie : « Des médecins en chef et de leursétats-majors d’internes et d’externes,qu’en dire sinon qu’ils étaient trèsbien.» 66

Examinons le portrait du bon chirurgienvu par Léon Werth : « Le bon chirur-gien a, quand il opère, un visage d’en-fant sage qui s’applique. Et quand il sesent en veine, un imperceptible souriredétend son visage, semblable au sourirede l’acrobate lancé quand il est dans l’es-pace.» 67

Le Dr Véronique Vasseur, dansL’Hôpital en danger, voit un bon patron,« très humain, à l’écoute et toujours

Les professionnels

premiers à introduire la psychanalyseen France, décrit dans son Journald’un médecin-malade 58 sa « prome-nade en bordure de l’agonie », entrefévrier et juillet 1942.Dans L’hôpital vu du lit, titre de l’ou-vrage, non d’un médecin mais d’unexpert en santé publique, Jean deKervasdoué 59 souligne les« rapports de force entre celui qui estcouché et celui qui est debout » 60. Laperte de la verticalité emporte aussicelle du pouvoir ! Même constat chezle Dr Marie-Hélène Boucand,qui décrit « la sensation d’être domi-née, parce que couchée, par ceux quisont debout » 61.David Servan-Schreiber, méde-cin, atteint d’un cancer au cerveau, adepuis le diagnostic de sa maladieécrit plusieurs ouvrages sur… la guéri-son ! Il relate son expérience dupassage de bien portant au statut demalade : « Quand on est sur le bran-card et qu’on ne porte plus sa blouse,on devient “M. Untel”, comme tout lemonde, ou même souvent “mon chou”.On patiente, comme tout le monde,dans les salles d’attente que l’on avaitl’habitude de traverser en coup de vent,la tête haute et en évitant le regard despatients pour ne pas se faire arrêter enchemin… J’entrais dans un monde gris,

le monde des gens sans titre, sansqualité, sans métier. On ne s’intéressepas à ce qu’ils font dans la vie, ou à cequ’ils ont dans la tête, on veut justesavoir ce qu’il y a sur leur dernier scan.Je m’apercevais que la plupart de mesmédecins ne savaient pas me traiterà la fois comme leur patient et commeleur confrère. » 62

Un médecin-malade, c’est en quelquesorte un médecin dépossédé de sonsavoir. Comme le remarque GérardDanou, « il n’est plus ni médecin puis-sant, ni patient confiant». Ce que recon-naît le Dr Rougeron en toute humilité :« Jamais je n’oublierai mon étonnanteincompétence médicale envers moi-même» 63. Sylvie Froucht-Hirschfait un constat similaire dans Le tempsd’un cancer - Chroniques d’un médecinmalade 64: «Les études médicales n’im-posent pas au futur médecin d’êtremalade pour pouvoir soigner, à la diffé-rence d’autres métiers qui nécessitentdes stages en entreprise»… Cette idéeconverge avec la proposition de DinoBuzatti qui imagine, dans Le rêve del’escalier, la création d’un hôpital oùles soignants sont malades, car cela aideà la guérison des patients !… « Lespatients, en comparaison, se sententdes seigneurs de bonne santé. Sesentent ? Ils le deviennent.» 65

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disponible » dans le Pr Jean Cabane :« le genre de médecin qui vous récon-cilie avec la médecine. J’ai rencontré tantde mandarins infatués de leur statut etsnobant ceux qui ne possèdent pas letitre de professeur, que je ne peux qu’ap-précier ce ponte hors du moule etéminemment sympathique». 68

Simone de Beauvoir, dans Unemort très douce, évoque le Dr P…,humain contrairement à son homo-logue, le Dr N…, qui donne l’impres-sion que le malade lui appartient…« Un chirurgien disponible, c’estcomme un urgentiste qui prend sontemps. Rare et précieux » 69 s’émer-veille Claude Llabres dansL’Homme allongé.Mais déjà, à travers ces dernièresphrases, voit-on poindre les critiques.Quelques « physionomies » de méde-cins sont brossées avec talent parLéon Daudet dans Souvenirs litté-raires ou dans Les Morticoles, écrit en1894, où les bons côtoient… lesmoins bons ! À la distribution des prix,Daudet donne par exemple, dans LesMorticoles, un bon point auDr Charmide 70 et au Dr Dabaisse :« Comment sur le fumier morticolepouvaient pousser deux âmes aussibelles que Charmide et Dabaisse ? » 71

s’interroge-t-il ! Et dans Souvenirs litté-raires, c’est au Dr Charcot, et surtoutau Dr Potain qui « aimait les hommesd’un cœur ardent, infatigable, et voyaitsurtout dans son art le moyen de lessecourir », que va sa gratitude 72.Globalement pourtant, Léon Daudetégratigne férocement les médecins.

Serait-ce parce qu’il n’a pu achever sesétudes médicales ?… C’est l’histoirede Félix Canelon débarquant dans l’hô-pital imaginaire dénommé Typhus oùmédecins et chirurgiens tyrannisent lesmalades. Le médecin diagnostique unefracture du cuboïde en la localisant parapproche aux cris grandissants dupauvre Canelon ! Daudet dresse ensuiteun portrait particulièrement peu flatteur(c’est un euphémisme !) du Dr Tabard :« Il opère sans se nettoyer les mains, c’estson système infaillible, mortel, qu’ilapplique impitoyablement. » Et ilconseille : « Fuyez. » 73 Quant auDr Péan, « brave homme sommaire etbrutal », type même du chirurgien-boucher, les expressions chez Daudetfusent : « abattoirs », « virtuose ducouteau », « amas de troncs, demoignons et de morceaux», «hachis deviande humaine»… 74

Sans atteindre cette inclination aucarnage, certains médecins ne porte-raient un intérêt scientifique qu’àce qui sort de l’ordinaire. EugèneSue 75 dresse le por trait duDr Griffon : « Aux yeux de ce princede la science… les malades de sonhôpital n’étaient que de la matière àétude, à expérimentation ; et commeaprès tout, il résultait parfois de sesessais un fait utile ou une découverteacquise à la science, le docteur semontrait aussi ingénument satisfaitet triomphant qu’un général aprèsune victoire assez coûteuse ensoldats. »Plutôt hésitant fut le premier contactd’Alfred Le Petit avec un méde-cin. Lequel « après avoir penché latête, mit son index replié sur son nezet, levant les yeux au plafond, (me)lui dit d’un air méditatif : “Cela pour-

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Salle Saint-Laurent, 1970 - Hôtel-Dieu de Blois

52. Voir passages de V. Vasseur,L’Hôpital en danger, Flam-marion, 2005, p. 210, 217à 219.

53. Verlaine, op. cit., p. 6.54. L. Daudet, Les Morticoles,

p. 17.55. D. Bromberger, Un aller-retour,

p. 154.56. A. Le Petit, op. cit., p. 30.57. Ph. Labro, La Traversée,

p. 247.58. R. Allendy, Journal d’un mé-

decin-malade ou six mois delutte avec la mort, Denoël,1944.

59. J. de Kervasdoué, L’Hôpital vudu lit, Seuil, 2004 (directeurdes hôpitaux de 1981 à 1986).

60. M. de Hennezel, Le souci del’autre, Pocket, 2004, p. 30.

61. M.-H. Boucand, Le Corpsmal entendu. Un médecin at-teint d’une maladie rare té-moigne, 2004, prologue du PrHarmonet, p. 9.

62. D. Servan-Schreiber, Anti-cancer, Robert Laffont, 2007,p. 42.

63. Cl. Rougeron, Les Vrais Secretsd’un médecin, Buchet-Chas-tel, p. 42.

64. E. Hirsch dans sa postfaceS. Froucht-Hirsch, Le Tempsd’un cancer. Chroniques d’unmédecin malade, Vuibert, Es-pace éthique, 2005.

65. D. Buzatti, Le Rêve de l’es-calier, p. 66 et s.

66. Verlaine, op. cit., p. 5.67. L. Werth, La Maison blanche,

Viviane Hamy, 1990, p. 67.68. Véronique Vasseur, op. cit.,

p. 26.69. Cl. Llabres, L’Homme allongé,

p. 51.70. L. Daudet, Les Morticoles,

p. 35 « À tous, Charmide

donnait un soulagement, unconseil un mot affectueux…tout ce qu’on lui demandait, ill’accordait.»

71. L. Daudet, Les Morticoles,p. 45.

72. L. Daudet, Souvenirs litté-raires, Grasset, 1968, p. 127.

73. L. Daudet, Les Morticoles,p. 12.

74. L. Daudet, Souvenirs litté-raires, p. 139 à 141.

75. E. Sue, Les Mystères de Paris,éditions Baudelaire, 1965,T. 3, p. 376.

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Hôpital et culture(s)

rait bien être héréditaire à moins quecela ne le soit pas” » ! 76 Avec lamême causticité que celle expriméedans ses dessins, Alfred Le Petit,rapporte dans son journal le quoti-dien hospitalier avec le patron, et sacohorte d’internes et chefs de cliniques,personnel congréganiste dont lacompassion n’est pas la qualitépremière, voisins de dortoir… Il accom-pagne son journal de dessins qui illus-trent notamment les piqûres donnéesen public.De toute façon, selon lui, « il y a deuxsortes de maladies. Les mortelles contrelesquelles le médecin est désarmé; lesautres qui guérissent par la nature» 77.« Si les médecins pouvaient guérir desmaladies, les malades ne mourraient plusque de vieillesse et les vieillards devien-draient tellement nombreux qu’il faudraitles enterrer de force. Heureusement lesmédecins ne nous forceront pas à cetteextrémité!», s’exclame-t-il soulagé 78.

Un mot sur les « patrons »Un « patron », qu’est-ce que c’est ?,s’interroge avec humour BernardLaugery, en 1979, dans Hôpital-silence. « Un patron ? Mais ça n’amême plus le temps de se rencontrerlui-même… Ça se reconnaît tout justeen se rasant le matin ! Avec le télé-phone, l’enseignement, les communi-cations, les déplacements, les récep-tions de collègues, le secrétariat, les

commissions, les sous-commissions,les sous-sous-commissions… il a déjà,à peine, le temps de la détente etmême pas celui du recyclage ! S’ilfallait encore que le patron s’occupedes malades… mais il y laisserait sasanté ! » 79

Léon Werth, parlant de son méde-cin, le Dr Gillot : « Gillot passe si vite,le matin, dans ma chambre, qu’à peineai-je eu le temps de me soulever sur monlit, il est déjà parti. Une malade qu’ilopéra me dit un jour de lui : “Je n’aijamais pu voir exactement quel était sonvisage. Gillot a ceci de Dieu qu’on ne levoit pas…”»! 80

Même référence à Dieu chezAlbertine Sarrazin : « Pour nous,seul existe Dieu-le-Père, celui qui abaptisé le service, celui qui nous arecréés, de ses propres doigts ou pardoigts interposés, Dieu qui a fait leplan de notre opération, l’a choisiparmi plusieurs techniques… Dieu-le-Père passe deux ou trois fois parsemaine… L’amour que nous Luiportons toutes nous inspire des posesgracieuses… S’il daigne s’apercevoirque, tout autour de l’os, il y a unefemme, un être indécoupable quitravaille et qui pense, s’il abandonneun instant nos radios pour regardernotre visage, s’il nous donne unsourire ou un mot, alors s’effacerontnos souffrances et nos ignorances,alors nous guérirons… » 81

Le personnel non médicalencourt moins de critique…Philippe Labro consacre au person-nel soignant plusieurs pages magni-fiques dans un chapitre intitulé « Lesfemmes les plus importantes de mavie » 82. À propos des infirmières deréanimation, il complimente : « Je ne lesconnaîtrai pas autrement qu’en trainde s’activer – soigner, sauvegarder,sauver et garder. Elles font toujours,toujours quelque chose… » Et un peuplus loin : « Les infirmières de la réasont devenues les femmes les plusimportantes de votre existence (…) J’aibesoin de ces femmes comme je n’aijamais eu besoin de personne. Jedépends entièrement d’elles. Je sensque ma vie repose entre leurs mains,que ma vie dépend de leur vie. Ellesseules peuvent et savent me soula-ger. » 83 Pour Ph. Labro, l’amour estinhérent aux soins : « L’amour quisauve, c’est aussi celui que vousdonnent ceux pour qui vous êtes uninconnu. Celui des femmes qui voussoignent… Il y a celles qui ne vousprodiguent que des soins strictementpratiques : entretien et toilette. Ellesassistent les autres, celles qui présidentà la bonne marche des choses et assu-rent le vrai suivi, le plus délicat et leplus sensible. Mais je ne fais aucunedifférence dans la hiérarchie, lesgrades, l’ancienneté ou le pouvoir. Pourmoi, elles sont toutes égales, c’est-à-dire qu’elles sont toutes supérieures. Jene sais rien, elles savent tout.» 84 Et saconclusion : « J’ai ressenti un amoursans retenue pour ces femmes. » 85

Laurent Sedel, pourtant chirurgienhospitalier, semble lui aussi découvrirle personnel soignant. Il apprécie lesmains « fermes et compétentes desaides-soignants qui vous retournent déli-catement, vous lavent de la tête auxpieds sans douleur… Travaillant depuistrente ans avec ces personnels, je prenaisenfin conscience de leur rôle, absolumentessentiel dans le soulagement de lapeine, dans la réintégration dans lemonde des vivants… Quel rôle essentiel !Quelle humanité dans ces gestes decorps à corps!» 86

Événement déterminant de la journée : la visite du «patron» (ici le Pr Dieulafoy). Entouré de son équipe, ilassiste à la lecture de l’observation puis établit son diagnostic, réclame des analyses et fait des prescrip-tions.

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Léon Werth (1878-1955) évoque,dans de très belles pages, les relationsavec les infirmières, et notammentcelles de nuit qu’il appelle les«veilleuses» 87 et compare à des « fée(s)parée(s) de tous les pouvoirs et de toutesles grâces » 88. Il est vrai qu’elles luiapportent la piqûre de morphine qui luifait tant de bien. Mais elles le rattachentà la vie… Et il conclut : « Je ne me sensmême plus responsable de ma santé.D’autres y veillent. Je ne sais si tous lesmalades trouvent la même joie ici. Maisc’est le premier asile, la première oasisque je rencontre.» 89

Nombreux sont les auteurs qui saluentle réconfort apporté par ces infirmièresexcellentes, prénommées «Bénédicte»chez Philippe Labro 90, ou «Annie»,chez René de Ceccatty, pour qui«sourire n’est pas s’apitoyer. Et compatirn’est pas mépriser. Écouter n’est pasperdre son temps. Soigner un malade,c’est rencontrer un être humain» 91.Quelques critiques toutefois.Dominique Bromberger, sortantdu coma, et apostrophé par un agentdu service de réanimation, connut « lanostalgie des limbes » qu’il venait dequitter. 92

Nuances aussi pour Hervé Guibert :« Il y a celle que vous voyez pour lapremière fois, et qui vous apporte endeux minutes la table inclinée indis-pensable que vous aviez réclaméecinquante fois en deux jours à vingt infir-mières différentes. Une fois pour touteselles ont décidé de dire qu’il n’y en avaitpas, elles doivent penser que c’estmoins contraignant pour elles que depousser dans un couloir une petitetable.» 93

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76. A. Le Petit, op. cit., p. 26.77. A. Le Petit, op. cit., p. 130.78. A. Le Petit, op. cit., p. 131.79. B. Laugery, Hôpital-silence, La

pensée universelle, 1979,p. 46.

80. L. Werth, La Maison blanche,p. 170.

81. A. Sarrazin, L’Astragale, JeanJacques Pauvert, 1965, p. 75et s.

82. Ph. Labro, La Traversée, p. 40et s.

Voir aussi Marie Hélène Bou-cand, Le Corps mal entendu,Vie Chrétienne, 2004, p. 96-98.

83. Ph. Labro, La Traversée, p. 43.84. Ph. Labro, La Traversée,

p. 153 (voir aussi 155-156).85. Ph. Labro, La Traversée,

p. 156.86. L. Sedel, Chirurgien au bord

de la crise de nerfs, p. 179.87. L. Werth, op. cit., p. 147 et s.

et p. 108 à 115.

88. L. Werth, op. cit., p. 109.89. L. Werth, op. cit., p. 78

et 80.90. Ph. Labro, La Traversée,

p. 11891. R. de Ceccatty, L’Accompa-

gnement, Gallimard, 1994,p. 82 s.

92. D. Bromberger, Un aller-retour,voyage aux frontières de lamort, Robert Laffont, 2004,p. 136.

93. H. Guibert, op. cit., p. 37.

94. Cl. Llabres, L’Homme allongé,p. 126-127.

95. E. Sue, Les Mystères de Paris,analysé par Christophe La-miot, op. cit. p. 103.

96. N. de Buron, Docteur, puis-jevous voir… avant six mois?Plon, Pocket, 2007, p. 121.

97. Simenon, Les Anneaux deBicêtre, p. 45.

98. Simenon, op. cit., p. 44.

Selon Claude Llabres : « C’est lepremier contact entre l’allongé etceux qui vont non seulement lesoigner, mais surtout en prendre soin,qui est décisif. La secrétaire de l’ac-cueil hospitalier acariâtre, le généra-liste muet, le chirurgien masqué,creusent un fossé entre l’équipemédicale et l’allongé, que le plusperformant et le plus honnête despsychiatres ne parviendra pas àcombler. C’est donc de personnels

administratifs, d’infirmières, de géné-ralistes et de spécialistes à visagehumain que les allongés ont besoin.Il faut d’abord leur apprendrel’homme, le respect qui lui est dûet ensuite le corps, les maladies, lestechniques de soins, des plus simplesaux plus compliquées. » 94

En résumé, une remarque s’impose :ce qui distingue les bons profession-nels des autres est finalement moinsune affaire d’époque que d’hommes !

Les visites médicales… et le rôle de l’enseignementDe ce point de vue, tout progresseavec lenteur. Prenons l’exemple deEugène Sue qui, dans Les Mystèresde Paris (écrit en 1842), évoque lavisite du médecin, « entouré de la nuéedes élèves et des étudiants » car laformation est permanente qui se faità haute voix devant tous, autrespensionnaires compris ! « Le prince dela science va de lit en lit, questionnantà voix haute les femmes, parfois mêmeles réveillant pour les interroger. Ildemande qu’on parle plus fort pour quetoute sa suite puisse entendre – et sansy prendre plus garde que cela, pourle bénéfice d’une bonne partie de lasalle commune. » 95

Il en va souvent de même au XXe siècle :Nicole de Buron, dans son ouvrageDocteur, puis-je vous voir… avant sixmois ? paru en 2007, attend des infor-mations, ou à tout le moins un bonjour :

«… Deux internes entrent, se dirigentvers vous, sans vous dire bonjour ni seprésenter, comme d’habitude, lisent lapancarte accrochée à votre lit où sontinscrits les renseignements vous concer-nant…, vous tournent le dos et semettent à chuchoter une discussion àvotre sujet. Vous ne saurez jamais dequoi ils parlent. Ça vous énerve! Ça vousénerve ! Mais c’est comme ça dans leshôpitaux : nul ne vous dit bonjour ni nevous donne un tout petit bout d’expli-cation sur votre état, que le professeur.S’il passe par là…» 96

Comme Anne dans L’Astragale, RenéMaugras, le héros de Simenon dansLes Anneaux de Bicêtre, remarque qu’ilest le seul à ignorer ce que contient lafeuille apposée au pied de son lit. Alorsque cela le concerne plus quequiconque 97, il est infantilisé : «Si vousêtes sage, dit l’infirmière, j’essaierai toutà l’heure de vous faire boire un jusd’orange.» 98

Les relationsprofessionnels/malades

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Même analyse chez Marie deHennezel qui rapporte les propos d’unhospitalisé : « Ils débarquent à dix dansvotre chambre. À peine une poignée demain indifférente, et les voilà autourde vous à discuter du traitement,comme si vous n’étiez plus là ! Le méde-cin chef demande à la surveillantecombien de fois vous avez souillé voscouches, si vous dormez bien, si vousvomissez, tout cela par-dessus votre tête,comme si vous étiez débile… et toutce monde tourne les talons, sans quequelqu’un ait eu l’humanité de s’asseoirquelques minutes près de vous et devous demander comment vous vivez toutça !» 99

Le Dr Véronique Vasseur déplore«que le carnaval des blouses blanchestrès hiérarchisées, avec le chef quidonne des avis péremptoires et tente,par des questions perfides, de déstabi-liser les apprentis médecins, n’a pasvarié d’un iota. J’avais oublié la visite, aupied du lit, de ce beau monde dissertantdu “cas ” allongé là, affolé par tant de

barbarismes médicaux » 100. Mêmeconstat chez J-C. Rufin : « Le rituelétait quasi immuable. Un malade nudans son lit, affolé de crainte et d’admi-ration, livre à une cour d’assistants enblanc le spectacle de son corps déformépar la maladie. Au pied du lit paradele grand patron. D’abord, il écoute l’ex-terne bredouiller l’observation… ensuitel’interne se hasarde à construire untableau clinique… Les médecins plusgradés ne disent rien…» 101

D’autres exemples abondent, du mêmeordre. Ainsi dans l’ouvrage d’AnneMarie David : «Le patron reprend :“Mon maître Alajouanine disait…”Quand le patron avait terminé de parler,c’était un peu comme si la Faculté avaitdonné son verdict. Il n’y avait plus rienà dire.» 102 Jean Reverzy n’est pasen reste : « Mais le maître avait déjàrepris sa course, poursuivi par l’interne…En tête de la colonne reformée, il circulaencore à toute vitesse entre les lits, puisfit halte au chevet d’une malade où ilpoursuivit sa leçon. Et la visite continua:le cortège sautait d’une rangée à l’autre,s’arrêtait une minute près d’un lit, repar-tait en trombe, revenait sur ses pas…L’essentiel des études médicales consisted’ailleurs à suivre un cortège : desannées durant, c’est une promenade quirecommence chaque matin avec, de loinen loin, une station près d’un lit surlequel on manœuvre le patient, enhochant la tête, pensivement, intelli-gemment.» 103

L’annonce de la maladieÀ la fois souhaitée par le patient etredoutée par lui… Cette probléma-tique est évoquée de tout temps…Avec la même grande hésitation entresilence et annonce brutale ! Lesmédecins, dans l’ensemble, ne sontpas très causants ! Pour ne pasinquiéter le malade ? L’effet est sansdoute inverse !Lors de la visite du patron, écoutons ceque nous disent les frères Goncourt :«Le silence, un silence anxieux et respec-tueux, presque solennel, remplit lasalle… Toutes les bouches se ferment,toutes les douleurs se taisent sur le

passage du chirurgien, qui va d’unemalade à l’autre avec un visage imper-turbablement doux, un sourire deconfiance et d’encouragement, desparoles fortifiantes et enjouées… Maisdevant la nouvelle malade du lit 29: “Lamalade écarta sa camisole et découvritson sein. Un interne releva le rideau dulit pour laisser passer le jour par lafenêtre. Le médecin regarda. La maladeregardait l’œil du médecin ; mais c’étaitun œil qui ne disait rien. Au bout d’unedemi-minute, le rideau retomba. Lafemme ferma les yeux, elle entendit lemédecin se retourner, son pas glis-ser”…» 104

Après une auscultation, Alfred LePetit demande au médecin «ce qu’il avu ou entendu de particulier. Il sourit etne répond pas.– Faut-il que je fasse mon testament?Il sourit toujours et me donne la main. Jela lui prends en la pressant.– Je ne vous lâche plus tant que vous ne

m’avez dit quelque chose.Il continue de rire et veut se dégager,mais en vain. Je le tiens toujours. Il ritet ses collègues encore plus fort. Enfin,il me dit qu’il me dira ça plus tard. Quepuis-je donc avoir qui soit si extraordi-naire pour ne rien vouloir medire ? » 105 Auprès de l’étudiant, lesurlendemain, il essaie d’en savoir plusaprès s’être dit prêt à toute éventualité :« Je suis homme à ne pas plus m’af-fecter que Socrate lorsqu’il eût bu laciguë et qu’il discourait avec sesdisciples en attendant la mort. Il merépond que la règle de la maison s’op-pose à ce qu’il parle et que le chefde clinique seul a droit de donner sondiagnostic aux malades. » 106

En 1964, Une mort très douce deSimone de Beauvoir illustre lemensonge organisé, encore à cetteépoque. On opère la malade sans l’aver-tir. On lui dit qu’elle a eu une péritonite,ce qu’elle croit… «Mais que dira-t-on àmaman quand le mal reprendra,ailleurs ? – Ne vous inquiétez pas. Ontrouvera. On trouve toujours. Et le maladevous croit toujours», répond le profes-seur 107. Cela étant, l’annonce est rare-ment chose aisée. En témoignent les

>> Personnes âgées

C’est moins le patient qui témoigne que son entourage, seplaignant parfois de maltraitance. Et c’est moins l’hôpitalque la maladie d’Alzheimer qui fait l’objet d’écrits doulou-reux. 1

Description d’un hospice faite, en 1970, par Simone deBeauvoir : « L’immense majorité est parquée dans desdortoirs… Par une étrange anomalie, les sujets valideslogent au rez-de-chaussée, les semi valides au premierétage, les grabataires au second… Le scandale qui sauteaux yeux, c’est le premier étage. Parmi les semi valides,beaucoup sont capables de se déplacer d’un bout du dortoirà l’autre ; ils pourraient sortir ; mais ils ne peuventdescendre les escaliers et comme il n’y a pas d’ascenseur,ils sont littéralement emprisonnés. Ce qui aggrave la situa-tion, c’est qu’on met avec eux des vieillards qui ne maîtri-sent plus leur corps et passent leur journée assis sur deschaises percées ; ils sont dans la même salle que les autres,qui se trouvent condamnés à vivre dans une atmosphèreempestée.» 2

1. Livres témoignages sur la ma-ladie d’Alzheimer d’Annie Er-naux, Je ne suis pas sortie dema nuit, Pierrette Fleutiaux,Des phrases courtes, ma ché-rie, Serge Rezvani, L’éclipse, Oli-via Rosenthal, On n’est pas là

pour disparaître, Eric-EmmanuelSchmitt, L’intruse.

2. S. de Beauvoir, La vieillesse,Gallimard, Paris, 1970, p. 276et 277

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nombreux cas cités par Jean-Christophe Rufin, dans Un léopardsur le garrot.Sous l’effet de l’évolution réglemen-taire et des mentalités, succède ausilence du XIXe et d’une bonne partie duXXe l’annonce peut-être brutale, en toutcas vécue comme telle. Un florilèged’annonces abruptes l’illustre. Dans sonjournal, Christiane Singer rapportecette affirmation péremptoire, un premierseptembre : «Vous avez encore six moisau plus devant vous.» 108 Un peu plustard, le 12 décembre : « Venue duDr M… qui me dit sans ménagement

que la vessie est atteinte à son tour…Je suis consternée. Ce qui entraînequelque dureté dans sa voix : “Vous avezeu quelques jours de qualité de vie etpour le reste nous savons tous ce qu’ilen est.”» 109 Au Val de Grâce, le méde-cin général assène à Jean-FrançoisDeniau : «À votre âge et à votre grade,on a le droit de savoir la vérité. C’est fini.Faites venir vos enfants. Réglez vosaffaires.» Fort heureusement pour lui,il lui propose aussi de «signer un contratde cobaye pour un nouveau médica-ment non encore autorisé». 110

Annonce d’un cancer à Philippe

Bonneu : «Attente. Des jours d’attenteinsupportable. Nausées. Puis le coupe-ret :“– Résultat positif : vous avez un cancerde la prostate. À votre âge, c’est raris-sime! C’est comme ça. Mais tranquilli-sez-vous, votre pronostic est bon.”Le ciel me tombe sur la tête, l’étoileavec… je ne suis plus moi. Je suis unautre. Un cancéreux ! Un damné, unmaudit, un d’une autre race désormais.Proscrit. Exclu. Paria. Ce que j’aidégusté en trois secondes ! Un cauche-mar ! Je rêve ! Dites-moi que je rêve !Pas moi !Non; tu ne rêves pas. C’est comme ça.La mort à portée de main, sous lamain…. La mort existe. Elle est là pourtout le monde, même pour toi.» 111

Cette sidération est vécue par VincentBorel de façon similaire, comme undédoublement de la personnalité :«S’opère alors dans ton crâne unecurieuse dissociation: c’est de toi dont ils’agit mais ce n’est pas de toi dont oncause, un autre est concerné qui estton corps mais pas ta tête. Tu te placesvite au-dessus de la tragédie que tu sensse nouer, tu adoptes le parti, sinon dela bonne humeur, n’exagérons rien, maisau moins celui de curiosité enjouée,comme si tu avais à visiter ton propremusée.» 112

Un peu brutal aussi, cet échange relatépar Elisabeth Gille, dans Le Crabesur la banquette arrière :« Le vieux monsieur :– Si vous voulez me suivre? Je suis votrechirurgien.La malade (atterrée) :– Enchantée.Le vieux monsieur (après avoir consultéles radios, scanner, fibroscopie, résultatsde prélèvements, etc., et feuilleté sonagenda) :– Bon ! eh bien, si ça vous va, je vousopère le 2.

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99. M. de Hennezel, La mort intime,Pocket, 1995, p. 111-112

100. V. Vasseur, L’hôpital en dan-ger, p. 24

101. J.-C. Rufin, Un léopard surle garrot, Gallimard, 2008,p. 51

102. A.-M. David, Les dessouscachés de l’hôpital, op. cit.p. 30 et s.

103. J. Reverzy, Place des an-goisses, 1977, p. 33 et 38.

104. Goncourt, Sœur Philomène,p. 183.

105. A. Le Petit, op. cit., p. 59.106. A. Le Petit, op. cit., p. 64.107. S de Beauvoir, op. cit.,

p. 63.108. Christiane Singer, Derniers

fragments d’un long voyage,Albin Michel, 2007, p. 11.

109. Christiane Singer, op. cit., p. 64.110. J.-F. Deniau, Survivre, p. 32.111. Ph. Bonneu, « Monday

Bloody Monday », in Pagesde garde, p. 30.

112. V. Borel, Vie et mort d’un cra-be, Actes Sud, 1998, p. 22.

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La malade (timidement) :– Oui, docteur, mais de quoi ?Le vieux monsieur, (éclatant de rire) :– De quoi ? Mais de votre cancer biensûr.La malade :– Parce que vous êtes certain que c’estun cancer ?Le vieux monsieur :Ça, il n’y a aucun doute, qu’est-ce quevous croyez? Mais ne vous en faites pas:de nos jours, on les guérit à 50%... » ! 113

Bien d’autres auteurs pourraient êtrecités 114. A. de Voguë relate cetteannonce terrible :

« On m’emmène en dermatologie. Leprofesseur arrive avec des étudiants.«Défaites-la» Qui «la»?... Ah… oui, moi.Je ne suis pas encore habituée.M’habituerai-je jamais?– Messieurs, qu’en pensez-vous? dit leprofesseur en désignant ma poitrine.Les réponses sont diverses, passant del’eczéma au cancer.– Si c’est un cancer?– On fait une biopsie, répond unétudiant.Le professeur se tourne vers l’infirmière.– Mademoiselle, biopsie pour après-demain» 115 !…

Même à des confrères – surtout desconfrères –, l’annonce directe dudiagnostic à un médecin-malade n’estpas mieux accueillie… Marie-Hélène Boucand témoigne :« Je suis certain du diagnostic.– Pourquoi ?– Parce que tu as une biopsie iden-tique à ceux dont je suis sûr dudiagnostic.– Comment peux-tu en être aussisûr ?– Parce qu’ils sont tous morts. » ! 116

Pourquoi cette vérité « assénée » aupatient ? Dans Le Corps mal entendu,V. Borel, cadre soignant, apporte– peut-être – la réponse : « Commevos spécialisations vous donnent uneconnaissance quasi parfaite d’unemaladie, par éthique professionnelle,il ne vous est plus possible de vousabriter derrière les termes savantsque vous maîtrisez. Ainsi peut-onexpliquer le manque de tact notoirede certains d’entre vous à l’annonced’un diagnostic dans une violencetrès éloignée d’un authentiquedialogue… Est-ce pour se débar-rasser du fardeau trop lourd d’unnon-dit qu’on pourrait vous reprocherplus tard… ? » 117

Cette vérité peut produire des effetsinattendus. Écoutons ce témoignaged’un médecin blésois, le DrBeaufils dans Soigner, un défi pouraujourd’hui : « J’ai un cancer et ça nesert à rien de me le cacher », affirmele patient. Après un bref temps desilence, ce médecin répond simple-ment : « Je ne peux vous dire lecontraire ! » « À partir de ce moment,raconte le Dr Beaufils, la patiente aun visage rayonnant, comme jamaisnous ne l’avions vu, et elle reprendune alimentation. Elle demande àmanger du poisson et réclame un peude citron que l’aide-soignantedescend chercher à la cuisine. Lesdoses de calmants sont divisées parcinq, sans que la douleur reprenne.La famille est appelée. Elle se récon-cilie avec eux et reprend sa vie enmain… Dire la vérité au malade peutêtre essentiel », conclut-il. 118

>> Religieuses et… directeurs

Les religieuses ont marqué la vie hospitalière pendant des décennies.

Une sœur au moins est présentée sous un bon jour : c’est «Soeur Philomène»:«Aussi était-elle adorée et vénérée», nous confient les Goncourt. 1

Pour Verlaine, le personnel est « toujours irréprochable» 2… mais il a unenette préférence pour les sœurs: «Quel que soit le zèle des laïques, dit-il, rienne vaudrait jamais ces excellentes filles.» 3

Cela étant, elles ne sont pas toujours présentées, loin s’en faut, sous un jour favo-rable. Alfred Le Petit rapporte ironiquement ce dialogue entre mourant et reli-gieuse:«Mon Dieu! Mon Dieu! Que je souffre.La mère:– Dites : “Notre Seigneur Jésus-Christ, faites-moi miséricorde!”– Oh la la la !– Dites : “Mon bon ange gardien, priez pour moi !”– Aïe! Aïe ! J’étouffe !– Dites : “Mon Dieu, recevez-moi dans votre demeure éternelle !”Il pousse un hoquet, laissant échapper un flot de bave.La mère s’en va satisfaite d’avoir rempli son devoir jusqu’au bout…» 4

Et les directeurs ?

Las! Il n’existe les concernant que de rares évocations, presque jamais positives.Et ce à l’exception de Verlaine parlant de «bienveillance»… Mais il est vraique l’auteur de Mes hôpitaux a tendance à encenser tout le monde ! Leursportraits, lorsqu’il y en a, sont fort souvent acides.

Une anecdote amusante pour illustrer les relations médecin/directeur est relevéepar Léon Daudet dans Souvenirs littéraires : Le Dr Brissaud « le mieux douéde la Salpêtrière», ennemi du directeur de l’hôpital (il semble qu’il y en ait !), quis’injurie lui-même sur les murs de la Salpêtrière : «Brissaud est une brute et univrogne» et court se plaindre chez le directeur, pour l’accuser d’être à l’originede ces outrages! 5

Dans «Sœur Philomène», les Goncourt font une allusion au côté « farceur» desjeunes internes qui ont affiché dans la salle de garde une caricature du direc-teur… 6

1. Goncourt, op. cit., p. 128 à 131.2. Verlaine, op. cit., p. 6.3. Verlaine, Lettre à Charles Morice, 30 sep-

tembre 1886.

4. A. Le Petit, op. cit., p. 92.5. L. Daudet, Souvenirs littéraires, Le livre de

poche, p. 1186. Goncourt, op. cit., p. 82.

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L’information, la communication, les échanges avec le maladeDialogue entre les infirmières et Lisa,l’épouse du patient, par ClaudePinault, auteur d’un ouvrage récentLe Syndrome du bocal, paru en 2009.« L’une d’entre elles s’adressa à Lisa :– Est-ce qu’il a mangé le monsieur?Une autre : on va faire comment pour lemettre au lit ?La même: il peut bouger la tête?L’autre: qu’est ce qu’il a aux mains le p’titmonsieur?… Sachez que le p’tit monsieur peutrépondre directement à vos questions.La citrouille s’exprime… Il me reste unpeu de vie dans les pupilles, une parcelled’intelligence dans les neurones,non?» 119

« C’est comme une tradition chez denombreux médecins, ils ne parlent paset ne répondent pas aux questions,même pour dire leurs doutes, leurs incer-titudes, leurs craintes, leurs espoirs. Non,ils se taisent», constatent aujourd’huiencore des patients comme ClaudeLlabres, dans L’Homme allongé. 120

Grâce notamment à la parution dePeggy de Micheline Vernhes 121 quiraconte les conditions inhumainesd’hospitalisation de sa fille, des progrèsconsidérables ont été réalisés depuis1958, date de la première circulairerelative à l’humanisation de l’hôpital.Les évolutions de comportement doiventencore progresser. Laure Adler, dansÀ ce soir, montre, à travers quelquesphrases sobres, ce qu’elle perçoitcomme l’inhumanité de l’hôpital. Dix-sept ans après le décès de son fils, elleporte son témoignage, poignant,comme le sont, si souvent, les témoi-gnages !... On emporte son fils. Elle s’in-terroge : « Vers quelle destinationl’avaient-ils amené? Ils avaient oublié deme le dire. Ou plutôt, comme le chef infir-mier me le fera comprendre, j’aurais dû,c’était une évidence, réaliser moi-même.Mais où, Madame, peut bien aller unenfant en état de détresse respiratoireintense? La réa, madame, la réa. C’esttrès loin, ne vous trompez pas. Il fautdescendre un étage, prendre le souter-rain qui débouche sur un couloir central,

passer sous les tours, continuer, allerjusqu’au bout. Mais vous ne pouvez pasvous tromper. C’est fléché et toujourséclairé jour et nuit. Mais il est déjà bientard, madame, je ne sais pas si on vouslaissera entrer et il faut d’abord remplirles papiers…» 122

Silence insupportable des médecinspour une mère qui veut savoir :« Toujours la même indifférence à l’an-goisse des parents, la même absence deréponse aux questions posées. Du martè-lement de ce silence, je me souviensencore. Il cogne encore quelquefois dansma tête. Devant la porte nous attendons.Sans bouger.À l’hôpital, la capacité des parents àdevenir de gros bébés inertes qu’onessaie en vain de sevrer du besoin d’in-formation est sans fin.Nous avons donc rejoint la cohorte descorps immobiles dans la salle d’at-tente.» 123

Le médecin « avait seulement consentià répondre hâtivement à nos questions,avec l’impatience que manifestent ceuxqui veulent vous laisser entendre qu’ilssont en train de perdre leur temps, alorsqu’ils ont beaucoup mieux à faire». 124

Comment peut réagir une mère quandle silence perdure ? « Ils n’avaient doncpas prononcé le mot… Les parents, sansdoute, sont incapables d’entendre et,plus encore, de comprendre. Mais lesilence, ici, est une forme de mépris.Pire, il décuple l’angoisse, alimentetoutes les frayeurs. Si les médecins nevous disent rien, c’est que c’est encoreplus grave que ce que vous pouviezimaginer. » 125 Ce livre écrit en 2001relate une situation survenue dansles années 1980. On sait que la situa-tion s’est bien améliorée depuis… Maisl’art et la manière de réaliser cetteannonce doivent sans doute encoreprogresser !

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113. E. Gille, Le Crabe sur labanquette arrière, Folio-Gallimard 1996, p. 26.

114. À l’instar de MathieuGaley évoquant, dansson journal tenu de1953 à sa mort en1986, « l’ange extermi-nateur» qui l’informede sa pathologie.

115. A de Voguë et SoniaGrasset, SOS Hôpitaux,Gallimard, 1975,p. 31.

116. M.-H. Boucand, LeCorps mal entendu,p. 84.

117. A.-M. David, Les Des-sous cachés de l’hôpital,Jean-Claude Gawsewit-ch éditeur, 2009,p. 290 et 291.

118. J.-M. Beaufils, Soigner,un défi pour aujour-d’hui. Un urgentiste té-moigne, Nouvelle Cité,2009, p. 41.

119. C. Pinault, Le Syndrome

du bocal, Buchet-Chas-tel, 2009, p. 194.

120. Cl. Llabres, L’Homme al-longé, Aubéron, 2005,p. 44.

121. Micheline Vernhes, Peg-gy, René Julliard,1958.

122. L. Adler, À ce soir, Gal-limard, 2001, p. 82.

123. L. Adler, op. cit., p. 97,98.

124. L. Adler, op. cit., p. 100.125. L. Adler, op. cit., p. 103.

La visite du professeur apparaît déjà comme une cérémonie très spectaculaire au début du XXe siècle.Il écoute les rapports de ses collaborateurs et fournit son diagnostic dans une salle qui comprend plusieurs dizaine de lits. Ici le malade découvre l’intérêt que la science porte aux diverses parties de son corps! (Dessin d’Abel Faivre, « Une belle fistule », L’Assiette au beurre n° 51, 22/03/1902)

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Hôpital et culture(s)

La douleurL’hôpital est un lieu où l’on souffre. Aussila douleur est-elle omniprésente dans lestémoignages. Mais seul AlphonseDaudet lui a consacré un livre 126

publié bien après sa mort, sous le titreprovençal La Doulou. A. Daudet s’ex-clame, sous la douleur : «Ah! Qu’il failletant de fois mourir avant demourir…» 127. C’est vrai que parmi lesformes de la douleur, il évoque « descoups de canif sous l’ongle de l’or-teil» 128, ce qui reconnaissons-le donnefroid… dans le dos!!Aucun des auteurs lus ne parle de ladouleur comme moyen de rédemption! Jean-François Deniau observe quele mot «douleur» n’est pas prononcé parles médecins, parfois habiles utilisateursde la litote : « j’ai pleuré tout seul dedouleur dans mon lit, en silence. Et j’aientendu deux médecins, qui m’ont sûre-ment sauvé, dire à mon chevet : “il y apeut-être un problème de confort pourle patient.” Seigneur, j’ai rarement eu despensées homicides comme ce jour-là.» 129

Philippe Labro : « Bien sûr, lasouffrance est toujours présente, celledu corps. Mais je vais vous épargnerle récit de la douleur. La douleur nese raconte pas. Il me semble, en toutcas, que je n’en ai ni le talent ni lacapacité. C’est horriblement répétitif,la douleur. Horriblement semblable.Ça n’arrête pas, c’est tout… Ça n’ar-rête pas de vous tenir la poitrine, lagorge, l’ensemble de votre système,et vous en voulez au monde entier,aux infirmières, aux tubes et à lamachine… » 130

Même constat chez Christine Clercdans Cent jours à l’hôpital : «La bête, cen’est pas – oh non! – le cheval qui m’aécrasée… c’est la douleur, bien sûr…Mais c’est devenu, par un étonnantphénomène de transfert psychologique,tout l’univers de blouses blanches quim’entoure…» 131. Et un peu plus loin,elle précise: «La douleur semble toujoursétonner les médecins comme un incidentde parcours non prévu et qui les laisseincrédules comme si tout se passait dansnotre tête à nous les malades.» 132

Alphonse Boudard: «Ça vous bouffetout, la souffrance, c’est plus tenace,envahissant que le désir, que la soif, quela curiosité malsaine. » 133 Certains,comme Henri Michaux, distinguentsouffrance physique et souffrance morale:«La souffrance physique on n’en peutrien faire, au lieu que les souffrancesmorales, c’est un délice (pour certains)de les communiquer, de s’en vider autantde fois qu’il le faut sur d’autres qui s’yassocient. Mais comment associer quel-qu’un à une fracture, à une péritonite, àun cancer?» 134

René Allendy qui peine tant à respi-rer, et qui se sent «à la frontière de deuxmondes» confie : « je suis si las que jedonnerai tout pour m’enfoncer dans unvrai repos». 135

Claude Pinault raconte dans LeSyndrome du bocal, avec beaucoup d’hu-mour, sa lente descente aux enfers, et satrès longue remontée : « J’étais en enfer.Je sentais mon corps se raidir… C’étaitdonc cela les fameuses douleurs neuro-logiques. Des déchirures lancinantes quifusaient dans mon corps pour resurgirpartout ailleurs… Des fractures imagi-naires me broyaient les os et les chairs…Une bête immonde s’activait» 136.«J’étais en enfer… mes articulations sesoudaient lentement. Impuissant, j’ob-servais la fulgurance de ces attaques invi-sibles qui me lardaient les entrailles. Mesnerfs en folie s’électrisaient sous mapeau.» 137 Et encore un peu plus loin :« Des chaînes m’enserraient lesmembres. Le bourreau s’en foutait.C’était son job la torture. Pas de pitié nide grâce.» 138

Léon Werth évoque également, dansde très belles pages, la douleur qu’il assi-mile à «un mauvais visiteur qui entre àpas très sourds, comme certains person-nages de nos rêves que l’on n’entend pasmarcher… Enfin, il se lève, marche droità moi, se plante en face de moi, me jetteun regard qui aussitôt me paralyse et semet à me frapper, comme s’il accom-plissait une besogne, comme s’il exécu-tait une consigne» 139.Une douleur particulière est celle de ladépression : Philippe Labro dansTomber sept fois, se relever huit, a consa-cré tout un ouvrage à cette maladie, quil’a affecté durant de longs mois 140.Autant dans La traversée il était recon-naissant aux hospitaliers, autant dans celivre, plus rien ne va : «Ce n’est pas lemême hôpital – dit-il –, ce ne sont pasles mêmes gens, le même ordre, lesmêmes mœurs, les mêmes gestes. Il estvrai que je ne suis pas le mêmehomme», conclut-il ! «Les lumières sontdures et crues, laides. La nourriture estimmangeable, le lit inconfortable, le bruitdérangeant, les nuits sont courtes etles matins sordides.» 141

La mortCelle qu’Oscar Wilde considère avechumour comme « la plus ennuyeuseexpérience de la vie», est aujourd’hui, leplus souvent, vécue à l’hôpital.Au XIXe siècle, on mourait chez soi. AuXXe, 75% des morts ont lieu à l’hôpital.C’est un lieu – pour ne pas dire le lieu –où l’on meurt !… et le plus discrètementpossible ! Thomas Mann décrit dès1921, dans La Montagne magique, la

Les malades sont envoyés au bain obligatoire dans de grandes salles non encore individualisées.

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R e v u e h o s p i t a l i è r e d e F r a n c e

complicité qui réunit médecins etpensionnaires, au sanatorium, pourrendre la mort inapparente.Non seulement on ne parlait pas, autre-fois, de la mort qui approche – alorsqu’aujourd’hui se développent les soinspalliatifs – mais de surcroît on la cachait,au XIXe (et une grande partie du XXe !)avec un paravent.Écoutons ce qu’en dit Jean-Christophe Rufin: «Comme toujours,le champ clos où tourne la mort estcirconscrit par des barrières : des para-vents de toile, dont c’est le seul usage,ont été disposés autour du lit.Officiellement, ils servent à épargner auxautres malades la vue d’une agonie. Maisje me suis souvent demandé s’ilsn’étaient pas plutôt destinés à faireconnaître au patient le sort qui l’attend.Quiconque se trouve tout à coup entouréde ces crêpes blancs mal tendus sur desmontants d’acier sent qu’il a déjà quittéle séjour des mortels, et qu’une puis-sance formidable va venir sous peu lequérir dans ces limbes.» 142

Simone de Beauvoir, dans son trèsbeau livre, Une mort très douce, ne ditpas autre chose : « Dans les sallescommunes, quand approche la dernièreheure, on entoure d’un paravent le lit dumoribond ; il a vu ce paravent autourd’autres lits qui le lendemain étaientvides : il sait»… 143

Quand la mort rôde, Hervé Guibertconstate avec humour qu’on forme à sonsujet peu de vœux : «On n’entend queça ici : “Bon appétit”, “Bonne journée”,“Bon week-end”, “Bon repos”, “Bonnesvacances”, jamais “Bon décès” !» 144

On l’entoure parfois d’une gaieté artificielle.La mère de Simone de Beauvoir, àpropos de ses intestins qui ne fonction-nent plus, ironise: «Les docteurs sont trèscontents. S’ils sont contents, c’est le prin-cipal.» 145 Ce qui n’est pas sans rappelerle constat ironique formulé par DinoBuzatti: «La gaieté et la sérénité qu’onadministre au malade à la veille d’uneopération sont directement proportion-nelles au danger. C’est justement quandles médecins assurent avec un sourirequ’il n’y a pas l’ombre d’un péril, qu’ils’agit de se méfier. C’est un bizarre tribu-nal où souvent la sentence d’absolutionplénière prélude à l’échafaud. » 146 Lemême auteur, dans une nouvelle angois-sante à souhait, raconte le fonctionnementd’un « célèbre établissement» quiprésente une étrange particularité : «Lesmalades étaient répartis étage par étageen fonction de la gravité de leur cas : leseptième étage était réservé aux formesles plus bénignes. Mais plus les affectionsétaient importantes et plus le maladedescendait d’un étage. Et “Au premier,ceux pour lesquels il était inutile d’espé-rer.” Le héros de la nouvelle, installé, àson arrivée, au septième, doit, pour desraisons toujours administratives: “faire dela place pour une mère de famille venueavec ses enfants, congés annuels dupersonnel de l’étage, etc., descendre d’unétage jusqu’au premier”… 147» sans,d’ailleurs, qu’on ne l’informe sur l’évolu-tion de sa maladie!Ceux qui en « reviennent» éprouvent lebesoin de raconter leur «aller-retour», ce«voyage aux frontières de la mort» 148.Certains se sont même risqués à évoquer

l’après-vie : André Malraux : «Ce quime fascine dans mon aventure, c’est lamarche sur le mur entre la vie et lesgrandes profondeurs annonciatrices dela mort. C’est aussi le souvenir de cesprofondeurs.» 149

Le passage par un service de réanima-tion apporte à d’autres l’expérience de cettehésitation entre deux mondes. Quatreauteurs, au moins, ont livré des témoi-gnages ressemblants, avec la mêmedescription ouatée de l’ambiance et dupersonnel…: Philippe Labro dans Latraversée (titre révélateur 150), DominiqueBromberger dans Un aller-retour, voyageaux frontières de la mort: également trèsparlant! De même pour André Malrauxavec Lazare et Jean-François Deniaudans Survivre. Écoutons ce qu’en dit l’au-teur: «Je suis très naturellement et douce-ment convaincu que j’ai «sauté le pas».C’est fait, je suis «de l’autre côté». Jesuis mort (…) Oui, je suis «passé».Désormais je le saurai. La mort n’est nibrutale, ni accueillante. On peut dire seule-ment: elle ne fait pas de bruit.» 151 Quantau réveil ? On ne sait si on est encorevivant… «C’est la douleur seule qui finirapar chasser le doute. Vous avez mal: vousêtes en vie»! 152

Plus étonnant encore :« Il est huit heures trente-quatre dumatin, ce lundi 13 décembre.Je ne suis pas réveillé ce matin.Je suis mort.Ainsi commence le premier jour aprèsmoi.»Ainsi commence le roman d’un auteurcontemporain… : Jacques Attali,dans Le Premier Jour après moi. ! 153

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126. À l’exception notable d’un prixNobel de littérature: J.-M. LeClezio, Le Jour où Beau-mont fit connaissance avec sadouleur, Le Mercure de Fran-ce, 1964 (mais l’action ne sepasse pas à l’hôpital).

127. A. Daudet, La Doulou,p. 1096.

128. A. Daudet, op. cit., p. 1088.129. J.-F. Deniau, Mémoires de 7

vies, t. 1, p. 21, voir aussidans Survivre, p. 34.

130. Ph. Labro, La Traversée,p. 83-84.

131. Ch. Clerc, Cent jours à l’hô-

pital, p. 83.132. Ch. Clerc, op. cit., p. 125.133. A. Boudard, op. cit., p. 21.134. H. Michaux, «Bras cassé»,

in Face à ce qui se dérobe,Gallimard.

135. R. Allendy, op. cit., p. 20.136. Cl. Pinault, Le syndrome du

bocal, Buchet-Chastel,2009, p. 58.

137. C. Pinault, op. cit., p. 58(voir aussi p. 54).

138. C. Pinault, op. cit., p. 59139. L. Werth, op. cit., p. 90 et s.140. Ph. Labro, Tomber sept fois,

se relever huit, Albin Michel,

2003, p. 92 et s., 128,130.

141. Ph. Labro, op. cit., p. 130.142. J.-Ch. Rufin, Un souvenir de

brahmane, in Pages de gar-de, p. 260.

143. Simone de Beauvoir, Unemort très douce, Gallimard,1964, p. 136.

144. H. Guibert, op. cit., p. 78.145. S. de Beauvoir, op. cit.,

p. 100.146. D. Buzatti, Le rêve de l’es-

calier, p. 60.147. D. Buzatti, Sept étages,

dans Les sept messagers, in

Œuvres, collection Bou-quins, p. 358 et s.

148. D. Bromberger, Un aller-re-tour, voyage aux frontières dela mort.

149. A. Malraux, Lazare, folio,p. 105.

150. Op. cit., voir notamment lespages 62 et s. et le chapitreintitulé « Le tunnel de lu-mière », p. 166 et s.

151. J.-F. Deniau, Survivre, p. 10.152. J.-F. Deniau, Survivre, p. 14.153. J. Attali, Le Premier Jour

après moi, p. 25.

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Hôpital et culture(s)

Il ressort de cette étude plusieursobservations. La première est qu’il

existe une abondante littérature sur lesujet ! L’être humain a toujours faitpreuve d’une tendance plus marquéeà prendre la plume pour décrire sessouffrances plutôt que ses joies…C’est ainsi qu’en littérature, l’hôpitalest envisagé comme un lieu de souf-france et de mort et, partant, souventpropice à critiques. Peu d’ouvragesabordent à son propos les thèmes dela naissance ou de la guérison.Événements qui s’y produisent, quandmême fréquemment ! Et qui suscitenten général une grande joie.L’hôpital a évolué très rapidement.« Pendant plus d’un millénaire etjusqu’en 1950 », relève avec raisonMarie de Hennezel, « l’hôpitalétait une institution charitable, tenuepar les ordres religieux. Il accueillaitles plus pauvres, ceux qui étaientprivés de famille, ceux dont personnene voulait. Il était rare qu’un maladeissu d’une classe aisée consulte ou sefasse admettre à l’hôpital. On naissaitet on mourait chez soi… Depuis lesannées 1950-1960, la médecine afait plus de progrès qu’en cinq centsans. L’hôpital est alors devenu le lieupresque obligé de la naissance, de lamaladie et de la mort ». 154

Publié en 1963, cinq ans après laréforme Debré, un roman deSimenon illustre cette évolution. LesAnneaux de Bicêtre est dédié « À tousceux, professeurs, infirmières et infir-miers, qui, dans les hôpitaux etailleurs, s’efforcent de comprendre et

de soulager l’être le plus déconcer-tant : l’homme malade » 155. Simenony affirme que : « La qualité des soinshospitaliers et la prééminence de l’hô-pital comme lieu de soins sontacquises » . Cette qualité des soins faitque, en ce début des années 1960,un homme for tuné comme RenéMaugras, le héros du roman, estappelé à fréquenter l’hôpital dès lorsque sa maladie présente un caractèrede gravité.La leçon la plus marquante de ceslectures pourrait être la suivante : J’aiun corps malade, mais je suis, surtoutet avant tout, une personne souffrante.La réglementation récente confère auxpatients une part de plus en plus impor-tante. Il nous semble donc qu’à l’instarde Marie de Hennezel 156 : « Lesmalades sont devenus des adultes, lessujets de leur santé et de leur corps.»Que sera l’hôpital du troisième millé-naire ? Peu d’auteurs s’y sont aventu-rés. Dans un recueil de nouvelles quicomposent son dernier ouvrage 157,le Dr Jean Leonetti 158 explore lessituations que pourraient provoquerles progrès scientifiques dans lestrente prochaines années – utilisationde la médecine prédictive, clonagehumain… Chaque nouvelle aborde unthème différent. S’inspirant de faitsautant que de son expérience demédecin, le président de la Fédérationhospitalière de France met en fictionun futur possible. « La dette » s’inscritdans un contexte d’évolution de lalégislation relative au don d’organes.À l’époque où se situe le récit, le don

fraternel est devenu pratiquecourante. Tellement courant que : « Ledon était presque considéré commeun brevet de longue vie. Il avait reçuun diplôme et une médaille, et béné-ficié dans la comptabilité de saretraite de deux ans de travail supplé-mentaires, comme l’avaient prévu leslois de 2015. C’est à partir de cettedate que le don d’organes et en parti-culier de reins entre vivants s’étaitconsidérablement développé ». Onfrémit… et réfléchit. Quelles serontles conséquences de nos choixéthiques sur nos vies, nos proches,les générations futures ?Citons encore le rêve du professeur demédecine qui s’entretient avecMalraux : « Il me semble que jedevrais congeler mes malades pourune centaine d’années : quand ilsreviendraient à la vie, la médecineaurait fait les progrès nécessaires pourles guérir. » 159 Le prix Nobel 2009 demédecine a été attribué à trois cher-cheurs pour leurs travaux sur uneenzyme qui protège les cellules duvieillissement. 160 Ceci présage, peut-être, d’autres solutions à venir quecelle la congélation !L’évolution de l’hôpital – mouroir pourles miséreux au XIXe, lieu d’espoir pourtous à la fin du XXe – se reflète en litté-rature. Cer tes, de nos jours, lespatients-écrivains ou les écrivains-patients soulignent encore quelquesdéficiences (relationnelles, informa-tives…), mais pour l’essentiel – lessoins – ils expriment beaucoup d’ad-miration et de gratitude. ■

154. M. de Hennezel, Le Souci del’autre, p. 67.

155. G. Simenon, Les Anneaux deBicêtre, Paris, Presses de laCité, 1963.

156. M. de Hennezel, op. cit., p.161.157. J. Leonetti, Quand la scien-

ce transformera l’humain - 20scénarios pour demain, Plon,2010.

158. Médecin hospitalier, dé-puté des Alpes-Maritimeset président de la FHF,Jean Leonetti a présidé le

comité de pilotage desÉtats généraux de la bioé-thique (2009). Il a étérapporteur de la missionparlementaire sur le droitdes malades et la fin de viequi a abouti à la législation

du 22 avril 2005, et rap-porteur de la mission sur labioéthique.

159. A. Malraux, Lazare, p. 123.160. E. Blackburn, C. Greider et

J. Szostak pour leur travailsur l’enzyme télomérase.

Quelques leçons issues de ces lectures…

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