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Identité et violence d’Amartya Sen Chapitre 1 : la violence de l’illusion Définir l’identité d’un individu est complexe du fait de son caractère pluriel, on ne peut réduire un individu à une seule identité bien définie. La notion d’identité amène l’individu à être moins égoïste, à entretenir une solidarité entre les membres de ce groupe d’appartenance. Mais elle peut être source de conflit, de violence. Vouloir a tout pris défendre l’idée d’une identité unique, primant sur toutes les autres et souvent réductrice, peut exacerber les tensions sources de violence, et d’exclusion. Pour contrer cette violence on peut faire appel aux identités concurrentielles (appartenance a l’humanité par exemple). Pour ordonner cette identité plurielle l’individu, comme en économie, va faire un choix en fonction de contrainte, c'est-à-dire des caractéristiques individuelles et des opportunités. Néanmoins même si nous faisons des choix, il faut convaincre les autres, et bénéficier d’un espace de liberté pour exprimer « notre identité ». En effet, les autres individus peuvent enfermer « notre » identité dans une description erronée qui sera pour eux la seule description valable. Nous retombons dans le risque de violence du fait de la simplification outrancière de l’identité. Malgré que l’identité soit malmené, il ne faut en aucun cas acquiescer à cette suppression de cette identité, ce serait donner raison à ceux qui imposent par la violence une conception parfaite d’une identité. De ce fait en l’absence d’une telle liberté de choix, la tendance est de tomber dans un certain conformisme qui débouche sur le conservatisme où les traditions ne peuvent en aucun cas évoluer, les discriminations qui découlent de ces traditions envers un groupe ethnique ayant une identité propre ne peuvent être supprimées, et ne peuvent faire l’objet d’un débat. La théorie du « choc des civilisations » permet d’illustrer une vision réductrice. En effet, cette théorie découpe le monde selon les frontières des grandes civilisations en prenant la religion comme facteur principal. Ceci a pour conséquence d’omettre d’autres éléments logiques pouvant permettre de découper le monde, mais cela

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Le monde semble redevenir une fédération de 'cultures', de 'civilisations' où chacun est sommé de se ranger. Faut-il s'y résigner ? N'avons-nous d'autre choix que de nous enfermer dans une identité close ? Remettant en cause l'idée de Moyen-Orient et d'Occident monolithiques, rompant avec la logique de l'affrontement entre blocs, revendiquant ses racines indiennes comme ce qu'il doit à la culture des pays occidentaux où il travaille, Amartya Sen dénonce les illusions qui entourent pour lui la notion d'identité aujourd' hui. La liberté qu'a chacun de se construire par-delà les blocs, grâce à la multiplicité de ses appartenances, est peut-être le seul recours contre la violence.

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Identité et violence d’Amartya Sen

Chapitre 1 : la violence de l’illusionDéfinir l’identité d’un individu est complexe du fait de son caractère pluriel, on ne peut réduire un individu à une seule identité bien définie. La notion d’identité amène l’individu à être moins égoïste, à entretenir une solidarité entre les membres de ce groupe d’appartenance. Mais elle peut être source de conflit, de violence. Vouloir a tout pris défendre l’idée d’une identité unique, primant sur toutes les autres et souvent réductrice, peut exacerber les tensions sources de violence, et d’exclusion. Pour contrer cette violence on peut faire appel aux identités concurrentielles (appartenance a l’humanité par exemple).

Pour ordonner cette identité plurielle l’individu, comme en économie, va faire un choix en fonction de contrainte, c'est-à-dire des caractéristiques individuelles et des opportunités. Néanmoins même si nous faisons des choix, il faut convaincre les autres, et bénéficier d’un espace de liberté pour exprimer « notre identité ». En effet, les autres individus peuvent enfermer « notre » identité dans une description erronée qui sera pour eux la seule description valable. Nous retombons dans le risque de violence du fait de la simplification outrancière de l’identité. Malgré que l’identité soit malmené, il ne faut en aucun cas acquiescer à cette suppression de cette identité, ce serait donner raison à ceux qui imposent par la violence une conception parfaite d’une identité.

De ce fait en l’absence d’une telle liberté de choix, la tendance est de tomber dans un certain conformisme qui débouche sur le conservatisme où les traditions ne peuvent en aucun cas évoluer, les discriminations qui découlent de ces traditions envers un groupe ethnique ayant une identité propre ne peuvent être supprimées, et ne peuvent faire l’objet d’un débat.

La théorie du « choc des civilisations » permet d’illustrer une vision réductrice. En effet, cette théorie découpe le monde selon les frontières des grandes civilisations en prenant la religion comme facteur principal. Ceci a pour conséquence d’omettre d’autres éléments logiques pouvant permettre de découper le monde, mais cela va maintenir ces mondes dans des carcans rigides où le choc devient inévitable. On mésestime l’histoire de l’humanité, et notamment des échanges entre les cultures.

Le maintien de cette classification en fonction de la religion entraine, d’une part, un désintéressement pour les motivations des individus, mais d’autre part, on donne de ce fait une importance trop grande à la « voix de l’autorité religieuse ». Par exemple, les mollahs (tenant de l’autorité religieuse) n’obtiennent pas un consensus auprès des membres de la communauté musulmane. Voir l’humanité comme une fédération de religion entraine des distorsions et des conflits. On constate encore que réduire l’individu à une identité entraine nécessairement des conflits du fait de la catégorisation : ainsi le fondamentalisme islamiste que l’occident craint ne peut pas s’expliquer sur la seule identité islamique. L’Histoire montre que la tolérance ou non de roi musulman n’est pas en lien avec sa piété : on peut être intolérant sans être un mauvais musulman, ou cesser d’en être un. La tolérance religieuse n’est ni préconisée ni prohibée : les conflits de religion montrent bien que l’intolérance peut s’accompagner du fait être « bon chrétien » ou « bon musulman ».

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Chapitre 2 : Donner un sens à notre identitéEn économie et en sociologie on peut voir deux formes de réductionnisme : soit on ne prend tout simplement pas en compte l’identité ou soit en prend en compte l’identité mais l’individu appartient à une collectivité unique.

Le mépris de l’identité réside dans le fait que l’Homme est profondément égocentrique où l’Homme ne vise que son propre intérêt (Adam Smith). L’identité peut avoir une influence sur les choix économiques de l’individu. D’ailleurs l’identification par rapport aux autres peut être un rejet de l’égoïsme.

Ensuite, l’affiliation unique peut s’expliquer de la manière suivante : l’Homme étant composé d’identité plurielle, il doit faire un choix selon un processus permettant d’utiliser sa raison : 1ère

étape : définir les composantes de son identité, et 2ème étape : évaluer l’importance relative (voir chapitre 1). Karl Marx se dressera aussi dans Critique du programme de Gotha contre la division en deux classes : ici les travailleurs et les non-travailleurs, et contre la théorie de l’affiliation unique où l’individu est classé dans un seul groupe.

Ainsi l’importance de l’identité est fonction du contexte social. Les pressions sociales, établissement de critères sociaux peuvent déboucher sur la naissance d’un sentiment identitaire. Il convient de distinguer l’identité « contrastée » (différents groupes peuvent appartenir à la même catégorie) et l’identité « non contrastée » (ces groupes appartiennent a plusieurs catégories).

Même si le choix se fait sous contrainte en fonction de ce qui est possible pour l’individu, celui-ci qui appartient à un groupe, peut faire ce choix en fonction des intérêts du groupe auquel il appartient.

La philosophie communautariste défend que l’individu n’est influencé que par le groupe communautaire auquel il appartient. On peut relever deux raisonnements : l’individu est forcement influencé par le milieu social qui détermine les modes de raisonnement et les lois morales, il ne peut se référencer à un autre groupe de ce fait l’identité communautaire prévaut naturellement sur les autres identités.

La limitation drastique de la perception de l’identité amène à ce que ce soit la communauté qui est à l’origine des lois morales, l’individu est privé de toute rationalité, il ne peut ni évaluer ces règles ni avoir de choix. En effet, il ne faut pas sous estimer la culture à laquelle l’individu appartient mais il ne s’agit pas non plus d’enlever à l’individu sa pouvoir de choisir son identité grâce à un véritable processus réflexif. Il n’y a pas que la culture fondamentale qui peut influencer notre raisonnement. Surtout qu’une culture a elle-même des sous-cultures qui composent autant de variation possible.

Chapitre 3 : l’enfermement civilisationnelL’enfermement civilisationnel découle des faiblesses de la théorie du choc civilisationnel : une description univoque de l’identité de l’individu. L’auteur va illustrer ce propos en exposant le cas de l’Inde : l’Inde définit comme une civilisation hindoue dans la théorie du choc des civilisations. Or ce serait sous-estimer l’importance de l’influence musulmane dans divers domaines. Mais entretenir cette idée est dangereux aussi sur le plan politique puisque cela donne une certaine crédibilité aux mouvances extrémistes. Ce type d’argument peut s’appliquer à bien d’autres civilisations, et contre l’idée d’Huntington qui considère que « l’Occident était ce qu’il était bien avant la période moderne », ceci fait fi des évolutions historiques. L’occident n’a pas toujours était une terre de défense des libertés et des droits individuels, et n’est pas non plus uniquement l’apanage de l’Occident, on trouve des exemples similaires dans d’autres civilisations.

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De même la démocratie n’est pas une idée typiquement occidentale, la démocratie à l’époque de la Grèce antique a eu plus d’influence sur les civilisations du Moyen-Orient que sur l’Europe. Le principe du débat public qui caractérise le régime démocratie existait déjà dans d’autres civilisations, par exemple en Inde au IIIème siècle avant notre ère, mais aussi au Japon.

Chapitre 4 : Affiliations et histoire musulmaneL’analyse des thèses modernes insiste sur l’appartenance religieuse pour diviser les cultures. L’inde est classé comme civilisation hindoue dans la théorie du choc des civilisations mais l’inde compte aussi 150 millions de citoyens musulmans. Il serait donc plus judicieux de choisir le critère d’appartenance religieuse. On remplace la catégorisation civilisationnel (choc des civilisations) par la catégorisation religieuse, cela ne change pourtant pas grand-chose car il n’y a juste qu’un changement d’affiliation, et le problème reste toujours le même : une seule identité prime, et la diversité de l’identité n’est pas pris en compte. Mais la religion apparait comme un critère simplificateur : la religion est toujours constituée de courant, il existe des sous-catégories religieuses qui faussent l’idée que la religion est un ensemble bien homogène, ceci est vrai pour l’islam.

L’occident a pu confondre l’identité plurielle des musulmans et l’identité islamiste en particulier, cette confusion est a l’origine d’angoisse pouvant faire obstacle à la paix. Tenter d’expliquer « le terrorisme islamiste » consiste actuellement à prendre en compte uniquement que l’aspect religieux et à minimiser de ce fait les aspects non religieux. Le terrorisme ne peut pas s’expliquer uniquement que par des questions de religion. Il en a été de même avec les chrétiens ou d’autres religions, nous ne pouvons définir un « vrai musulman », ce qui peut être analysé, c’est la relation entre l’identité religieuse et ses autres identités.

Chapitre 5 : L’occident et ses ennemisLes résistances contre l’occident découlent de l’ère coloniale, l’indépendance des pays a tourné en obsession envers l’occident, il y a eu soit des réactions positives, imitation, ou alors de l’hostilité. Ce comportement peut s’expliquer par le sentiment de vengeance de l’abus de la colonisation qui a fait naitre souvent un sentiment d’humiliation collective. L‘ère coloniale a été l’époque d’un rabaissement des civilisations dites « inférieures » par rapport aux civilisations européennes. Ce sentiment d’infériorité peut être tel que la bonne compréhension de soi (et de ses identités) peut-être altérée, ce qui est propice au fondamentalisme religieux.

Les civilisations européennes ont écrasé toute concurrence dans le domaine de la science et de la technique (domaine matériel), en réaction dans les espaces colonisés il va y avoir des résistances au niveau spirituel, pour conserver « sa culture spirituelle ». C’est ce que l’on appelle le développement d’identité réactive qui vise à s’affranchir de la domination coloniale.

Chapitre 6 : culture et captivitéLe conservatisme culturel lié à la tyrannie politique peut avoir de grande conséquence. Les différences identitaires entre gouvernants et gouvernés peuvent générer des préjugés culturels. Ces préjugés mêlés à la politique ont entrainé dans l’histoire des désastres, cela pu donner des excuses aux échecs politiques.

La culture ne peut-être a elle-seul un facteur de développement ou de changement, mais elle peut accompagner les changements socio-économiques. Par contre la culture peut elle-même se modifier grâce à ces changements sociaux comme l’accession aux écoles et aux universités. Dans ce cas, la

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culture peut influer sur les choix politiques. Le japon illustre parfaitement cela, l’essor économique du Japon provient en partie de l’évolution du système éducatif. Mais on constate aussi que les relations culturelles peuvent être aussi très bénéfiques, ce fut le cas du Japon avec la restauration Meiji.

La culture a donc un élément mais pas dominant d’autres éléments peuvent influencer nos opinons. Elle n’est pas non plus homogène, il existe des sous-cultures. Elle n’est pas fixe, et sans la pression du conservatisme et de l’autoritarisme elle est amenée à évoluer, c’est ce que l’histoire nous montre.

On doit cependant distinguer la liberté culturelle et le multiculturalisme. La liberté culturelle qui définit notre capacité propre a pouvoir modifier nos propriétés alors que le multiculturalisme sous entend le maintient de sa culture propre et la cohabitation de « notre » culture avec celle des autres.

Chapitre 7 : Voix et mondialisationLa mondialisation a fait apparait une identité mondiale, l’altermondialisme englobe les préoccupations a l’échelle mondiale de justice et de coopération. Même si la mondialisation a manifestement participer à l’enrichissement général de l’humanité il n’en reste pas moins vrai qu’une extrême pauvreté existe. Un sentiment d’injustice s’est développé, et la mondialisation a été accusée d’être la principale cause de cette pauvreté d’où la volonté de s’en écarter même si l’auteur trouve que cela soit peu judicieux et stérile. En effet, le mode de fonctionnement du marché couplé à la mondialisation (et au système démocratique) est le seul dans l’histoire à avoir permis le développement humain. La mondialisation est souvent qualifiée comme d’origine occidentale, ce qui peut aussi expliquer le rejet de la mondialisation par les pays en difficultés, mais il faut nuancer ce propos. La mondialisation a permis de favoriser les échanges commerciaux, scientifiques, économiques, culturelles pour déboucher sur la civilisation des peuples. Mais la mondialisation n’est pas naturellement d’origine européenne. En effet l’Histoire nous montre que la Chine a participé aussi à « civilisé » les peuples comme le dit Thomas Carlyle grâce à l’invention de la poudre, de l’imprimerie notamment. Il ne faut donc pas s’inscrire dans une démanche qui aurait pour objectif de sortir ou de résister à la mondialisation, mais il faut au contraire avoir une réflexion pour savoir s’il n’existe pas d’autres choix possibles. En fait, la mondialisation n’est pas la plus coupable des échecs de développement des pays, les échecs des politiques économiques sont beaucoup plus critiquables sur ce point. Ceci entre en contradiction avec les dynamiques régionalistes que l’on peut observer dans les discours politiques. Pour être plus juste, il faut mettre fin aux « compromissions mondiales » comme par exemple arrêter la vente d’armement qui alimente la guerre, les membres du G8 étant les principaux vendeurs d’armement.

Chapitre 8 : multiculturalisme et libertéLe multiculturalisme peux se comprendre de deux façons avec la problématique de l’identité : soit la diversité est promue comme véritable valeur ou alors promue parce qu’elle est librement choisie. Malgré les bons sentiments qui entourent le multiculturalisme : « aimer son prochain » prendre sa culture en compte, des problèmes se posent du fait justement de la cohabitation des identités culturelles : laquelle doit primer ? au final le choix de l’individu peut-être conditionné par le nouvel environnement alors que comme nous avons vu au début du livre, l’identité et sa hiérarchisation entre les différentes identités est un choix libre de l’individu. C’est tout le problème de la relation entre le multiculturalisme et le « monoculturalisme pluriel » ou différentes cultures vont s’entrechoquer, ou il reste un certain « conservatisme culturel », et où il y a un isolement entre les différentes cultures. Ici encore, le problème est de savoir quelle importance est apportée à l’identité

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communautaire. La raison prend une place importante pour permettre à l’individu de faire les bons choix, le développement éducatif peut ainsi permettre à ce que les individus ne se laissent tenter pas le réflexe de repli conservatiste.

Chapitre 9 : la liberté de penserA être aussi réducteur on en viendrait à oublier qu’il n’y aurait pas de choix possible même entre l’identité mondiale et l’identité au sein d’une communauté locale. Mais avoir une identité mondiale permettrait de se préoccuper aussi de la réforme des institutions mondiales pour permettre à la mondialisation d’être plus juste pour protéger les plus faibles et ceux qui ont le plus de mal a s’insérer dans la mondialisation. Faire ces réformes permettrait aussi de faire reculer la violence en réduisant les inégalités. Il faut une remise en cause profonde de notre monde contemporain et peut-être réaliser que la solution serait peut-être de créer un véritable sentiment d’appartenance mondialisé sans pour autant effacer nos autres identités qui fait de l’Homme un être complexe.