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1 In : Douleurs, Bouhassira, D., Calvino B. (eds) Arnette, 2009. Les systèmes de modulation de la douleur Luis Villanueva et Laurence Bourgeais, INSERM/UPMC, UMR 677, 91 Boulevard de l’Hôpital, 75634 Paris Cedex 13. De nombreuses études montrent que la perception de la douleur implique à la fois des mécanismes de transduction des stimuli nocifs environnementaux et des systèmes de modulation endogènes sous l‟influence de facteurs cognitifs et émotionnels. Depuis la fin du dix-neuvième siècle, les recherches sur la douleur ont été fortement influencées par la théorie spécifiste de Von Frey (voir réfs. dans Nathan, 1976). A partir des idées de Müller proposant l‟existence d‟une “ énergie spécifique ” au sein des nerfs, puis la découverte des zones cutanées restreintes activées par une modalité sensorielle (voir Norrsell et coll., 1999), l‟hypothèse spécifiste a proposé que chacune des sensations cutanées serait sous- tendue par des neurones répondant seulement à un type de stimulus et codant exclusivement une sous-modalité somatosensorielle. Sur cette base, on a essayé de corréler les différentes sensations douloureuses à l‟activation d‟un type neuronal donné, et les sensations thermiques non- douloureuses ont été étudiées séparément par rapport à la douleur. Ainsi, la sensation de picotement a été interprétée comme une “ première douleur ” due à la mise en jeu des nocicepteurs myelinisés, tandis que la sensation de brûlure ou “ deuxième douleur ” serait véhiculée par des fibres non-myelinisées. Ce cloisonnement strict a amené à mesurer les sensations indépendamment les unes des autres, sans considérer le rôle fondamental que jouent leurs interactions dans la perception des sensations thermiques et douloureuses. Des travaux récents ont cependant rendu obsolète le vieux débat entre les écoles dites “spécifistes” et “non-spécifistes”. Les premiers défendaient l‟existence de nocicepteurs périphériques et des circuits ascendants labellisés, activés seulement par des stimuli douloureux, lesquels provoqueraient de manière spécifique et inéluctable la sensation douloureuse (voir Craig, 2003 ; Perl, 2007). Les autres proposaient que la perception de la douleur serait sous l‟influence du contexte dans lequel la stimulation nociceptive a lieu, la sensation résultante dépendant de la mise en jeu de puissants mécanismes de modulation centrale (Wall, 1999). Il existe en réalité des voies de transduction spécifiques des stimuli nociceptifs (voir Chapitre 1) montrant ainsi le haut niveau de spécialisation des nocicepteurs périphériques, qui représentent le premier site du système d‟alarme de l‟organisme. Par ailleurs, la mise en jeu de

In : Douleurs, Bouhassira, D., Calvino B. (eds) Arnette ...lvts.fr/download/other_universities/formation_expérimentation... · plus, leur activité n‟est pas affectée par la morphine

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In : Douleurs, Bouhassira, D., Calvino B. (eds) Arnette, 2009.

Les systèmes de modulation de la douleur

Luis Villanueva et Laurence Bourgeais, INSERM/UPMC, UMR 677, 91 Boulevard de

l’Hôpital, 75634 Paris Cedex 13.

De nombreuses études montrent que la perception de la douleur implique à la fois des

mécanismes de transduction des stimuli nocifs environnementaux et des systèmes de modulation

endogènes sous l‟influence de facteurs cognitifs et émotionnels.

Depuis la fin du dix-neuvième siècle, les recherches sur la douleur ont été fortement

influencées par la théorie spécifiste de Von Frey (voir réfs. dans Nathan, 1976). A partir des

idées de Müller proposant l‟existence d‟une “ énergie spécifique ” au sein des nerfs, puis la

découverte des zones cutanées restreintes activées par une modalité sensorielle (voir Norrsell et

coll., 1999), l‟hypothèse spécifiste a proposé que chacune des sensations cutanées serait sous-

tendue par des neurones répondant seulement à un type de stimulus et codant exclusivement une

sous-modalité somatosensorielle. Sur cette base, on a essayé de corréler les différentes sensations

douloureuses à l‟activation d‟un type neuronal donné, et les sensations thermiques non-

douloureuses ont été étudiées séparément par rapport à la douleur. Ainsi, la sensation de

picotement a été interprétée comme une “ première douleur ” due à la mise en jeu des

nocicepteurs myelinisés, tandis que la sensation de brûlure ou “ deuxième douleur ” serait

véhiculée par des fibres non-myelinisées. Ce cloisonnement strict a amené à mesurer les

sensations indépendamment les unes des autres, sans considérer le rôle fondamental que jouent

leurs interactions dans la perception des sensations thermiques et douloureuses.

Des travaux récents ont cependant rendu obsolète le vieux débat entre les écoles dites

“spécifistes” et “non-spécifistes”. Les premiers défendaient l‟existence de nocicepteurs

périphériques et des circuits ascendants labellisés, activés seulement par des stimuli douloureux,

lesquels provoqueraient de manière spécifique et inéluctable la sensation douloureuse (voir

Craig, 2003 ; Perl, 2007). Les autres proposaient que la perception de la douleur serait sous

l‟influence du contexte dans lequel la stimulation nociceptive a lieu, la sensation résultante

dépendant de la mise en jeu de puissants mécanismes de modulation centrale (Wall, 1999).

Il existe en réalité des voies de transduction spécifiques des stimuli nociceptifs (voir Chapitre

1) montrant ainsi le haut niveau de spécialisation des nocicepteurs périphériques, qui

représentent le premier site du système d‟alarme de l‟organisme. Par ailleurs, la mise en jeu de

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mécanismes de sensibilisation centrale par une grande variété de stimuli (douloureux mais

également non-douloureux) permet de comprendre pourquoi certains états de douleur chronique

n‟impliquent pas, en fait, l'activation de nocicepteurs.

Dans ce chapitre, nous verrons que les réseaux neuronaux qui intègrent les influx

périphériques agissent de concert avec les systèmes de modulation, dès l‟arrivée du message

nociceptif dans le système nerveux central. Après une analyse succincte des mécanismes de

contrôle spinal et bulbo-spinal, l‟importance des mécanismes d‟origine corticale sera illustrée par

leur capacité à moduler l‟ensemble des réseaux nociceptifs situés en amont. Nous verrons qu‟une

meilleure connaissance de ces derniers permettra probablement de comprendre les interactions

entre les réseaux nociceptifs spécifiques et polymodaux ainsi que les phénomènes de plasticité

liés à la douleur chronique.

Modulation périphérique

La cohabitation des nocicepteurs au sein des fibres périphériques rend complexe le traitement

de l‟information à l‟origine de la sensation de douleur, qui résulte probablement d‟une

convergence d‟influx d‟origines diverses (Green, 2004 ; Julius et Basbaum, 2001 ; Woolf et Ma,

2007). Sur le plan psychophysique, cette convergence est illustrée par le fait que chez l‟individu

normal la perception des sensations thermiques douloureuses ou non-douloureuses dépend de la

co-activation et de l‟interaction entre des réseaux thermiques et nociceptifs, composés des fibres

spécifiques et polymodales (figure 1). Ces interactions peuvent rendre compte des sensations

douloureuses paradoxales provoquées par des stimuli thermiques non-douloureux chez des

individus sains (Craig et coll., 1996; Green, 2004; Bouhassira et coll., 2005 ; Green et coll.,

2008) et des sensations thermiques douloureuses et non douloureuses paradoxales que l‟on peut

provoquer dans des situations pathologiques (Defrin et coll., 2002).

Sur le plan physiopathologique, il nous semble cependant nécessaire d‟élaborer un nouveau

cadre conceptuel qui intègre l‟ensemble des mécanismes de traitement périphérique et central de

la douleur, en prenant en compte non seulement les phénomènes de plasticité post-lésionnelle

mais également les processus de sensibilisation centrale à l‟origine des douleurs chroniques.

Modulation segmentaire

La théorie du portillon médullaire de Melzack et Wall (1965) a proposé que les inhibitions

segmentaires, qui se produisent au sein même du métamère d‟un foyer douloureux, sont générées

par des fibres afférentes de gros diamètre (A ) activées par des stimulations mécaniques non

nociceptives. Cependant, il a été montré que les fibres fines (A ) peuvent également être à

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l‟origine de puissantes inhibitions à la fois segmentaires et hétérosegmentaires (voir réfs. dans

Bouhassira et coll., 1987). En effet, bien que la stimulation électrique transcutanée (TENS) soit

efficace lorsqu‟elle est appliquée à des fréquences et intensités qui activent principalement les

fibres A , les effets antalgiques ainsi obtenus sont souvent limités au segment stimulé. Des effets

analgésiques plus puissants sont déclenchés en utilisant une intensité de stimulation plus élevée,

qui produit une sensation déplaisante, mais non douloureuse. Une méta-analyse des travaux

portant sur cette question a d‟ailleurs clairement montré que l‟intensité d‟une stimulation est un

paramètre critique dans l‟obtention d‟une analgésie par TENS segmentaire (Deslile et Plaghki,

1990).

Sur la base de la théorie du portillon (figure 2), il a été également proposé que l‟activation des

fibres A joue un rôle essentiel dans les effets analgésiques déclenchés par la stimulation

électrique des cordons postérieurs (dénommée stimulation médullaire chez l‟homme). En effet,

les fibres A cheminant dans les cordons postérieurs émettent des collatérales qui contactent les

couches III-V de la corne dorsale. Lors de la stimulation des cordons postérieurs, une invasion à

contre-courant (antidromique) activerait ces afférences puis, secondairement, de façon

orthodromique, leurs collatérales sous-jacentes, provoquant ainsi une inhibition des neurones

nociceptifs de la corne dorsale. Cependant, les expériences chez l‟animal ont montré que la

stimulation des cordons postérieurs ne provoque que des inhibitions très brèves de l‟activité des

neurones nociceptifs, alors que chez l‟homme, le soulagement de la douleur peut durer plusieurs

heures. De plus chez l‟homme, la stimulation médullaire peut non seulement soulager les

douleurs ischémiques, mais également augmenter la circulation périphérique et la température

cutanée (Linderoth et Meyerson, 1995). Il est donc possible que la stimulation médullaire active

des contrôles inhibiteurs descendants cheminant dans les cordons postérieurs, et affectant

l‟activité des neurones des couches superficielles de la corne dorsale à l‟origine des réflexes

somato-sympathiques provoqués par des stimulations nociceptives.

La modulation bulbo-spinale

1- La région caudale du tronc cérébral : le subnucleus reticularis dorsalis (SRD)

Les contrôles hétérosegmentaires sont déclenchés principalement par des stimulations

nociceptives. Un foyer douloureux provoque des inhibitions de l‟ensemble des neurones des

couches profondes de la corne dorsale. Ces inhibitions, qui partagent le même substrat

anatomique et fonctionnel chez l‟animal et l‟homme, ont été dénommées « contrôles inhibiteurs

diffus induits par des stimulations nociceptives » (CIDN ; figure 3, voir réfs dans Villanueva et

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Le Bars, 1995). Les structures supraspinales responsables des CIDN sont confinées dans la partie

caudale de la formation réticulée bulbaire, incluant notamment le SRD. Les neurones du SRD

présentent des caractéristiques fonctionnelles typiques des CIDN : ils sont activés exclusivement

par des stimuli nociceptifs quelle que soit la région du corps stimulée et codent précisément

l‟intensité de ces stimulations (Villanueva et coll., 1996). De plus, des lésions localisées dans la

partie caudale du tronc cérébral réduisent les CIDN aussi bien chez l‟animal que chez l‟homme

(De Broucker et coll. 1990). Ces réseaux pourraient favoriser la détection de l‟information

nociceptive en améliorant le rapport signal/bruit entre la population de neurones médullaires

activés par le stimulus nociceptif et l‟inhibition concomitante des autres neurones médullaires.

Comme de nombreux neurones du SRD innervent à la fois le thalamus et la moelle épinière, il

est probable que ce noyau régule simultanément l‟information sensorielle qui transite dans les

voies nociceptives médullaires et thalamiques (Monconduit et coll., 2002b). Il a d‟ailleurs été

montré que les couches profondes de la corne dorsale (V-VII), qui contiennent des neurones

répondant aux stimulations nociceptives cutanées et/ou viscérales, projettent principalement dans

la partie dorsale du SRD qui en retour, exerce des influences inhibitrices et excitatrices sur ces

neurones. Ces influences excitatrices sont exacerbées dans des modèles de douleur

neuropathique (Sotgiu et coll. 2008).

2- La région rostrale du tronc cérébral : le bulbe rostro-ventro-médian (RVM)

De nombreuses expériences de microstimulation bulbaire chez l‟animal ont montré que des

effets antinociceptifs puissants étaient déclenchés à partir de la substance grise périaqueducale

ventrale (PAG) et de la RVM (voir réfs. dans Oliveras et Besson, 1988). La RVM module

l‟activité des neurones des couches superficielles et profondes de la corne dorsale par des voies

descendantes directes. Les cellules de la RVM reçoivent les influx nociceptifs indirectement, par

l‟intermédiaire de la PAG et du noyau reticulé gigantocellulaire. La RVM joue un rôle clé dans

la modulation descendante car la PAG a peu de projections directes sur la corne dorsale. En

réalité, comme les systèmes bulbaires caudaux, les réseaux incluant la RVM sont à la fois

excitateurs et inhibiteurs (voir réfs. dans Fields et coll., 2004).

L‟enregistrement de l‟activité électrophysiologique des neurones de la RVM a permis de

comprendre ce mécanisme de contrôle bidirectionnel (figure 3). En fait, il existe trois classes de

neurones dans la RVM : les cellules « off », dont l‟activité s‟arrête juste avant le réflexe de

retrait provoqué par un stimulus nociceptif, les cellules « on », qui deviennent actives juste avant

ce même réflexe, et les cellules neutres qui ne présentent pas d‟activité pouvant être reliée au

réflexe. Les cellules « on » et « off » projettent directement sur les couches superficielles et

profondes de la corne dorsale. La microinjection d‟agonistes opioïdes ou de bicuculline dans la

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RVM active les cellules « off » et inhibe la transmission spinale de l‟information nociceptive. En

revanche, les cellules « on », dont l‟activité facilite la transmission nociceptive, sont inhibées par

une injection locale ou systémique d‟opioïdes et sont activées par des stimulations nociceptives

toniques.

Dans certaines circonstances environnementales, les neurones de la RVM peuvent intégrer

des informations provenant des systèmes somatomoteur et autonome. Ils participent ainsi non

seulement à la modulation de la douleur, mais aussi aux régulations homéostasiques associées à

des réactions d‟éveil, des changements vasomoteurs, de thermorégulation ou au comportement

sexuel (Mason, 2001). Ces mêmes systèmes contribuent à l‟hyperalgésie et à l‟allodynie

observées dans les modèles animaux de douleur inflammatoire et neuropathique (Dickenson et

coll., 2004).

Chez l‟animal éveillé, on peut provoquer des effets anti-nociceptifs ou pro-nociceptifs

puissants par des manipulations stressantes, comme lors de situations qui représentent une

menace pour son intégrité (voir réfs. dans Andre et coll . 2005). Ainsi, des stimulations

nociceptives sans possibilité d‟échapement, ou la présence d‟un prédateur, ou encore des

indicateurs contextuels associés à des stimuli nociceptifs intenses ou prolongés peuvent modifier

l‟activité du système PAG-RVM. L‟effet résultant (pro- ou anti- nociceptif) dépend de

l‟influence de l‟hypothalamus sur ces structures (Lumb, 2004).

Il est couramment admis que certaines influences descendantes de la RVM sont véhiculées

par des neurones sérotoninergiques qui ne sont ni des cellules « on » ni des cellules « off ». De

plus, leur activité n‟est pas affectée par la morphine ou par la stimulation électrique de la PAG.

Ces neurones sérotoninergiques projettent sur la corne dorsale et sont fortement activés par les

influx venant des barorécepteurs. Ainsi, en même temps qu‟ils contribuent probablement au

contrôle de la transmission de l‟information nociceptive, les neurones sérotoninergiques de la

RVM constituent une voie de modulation parallèle, activée indépendamment de celle des cellules

on/off.

3- Implications fonctionnelles

Les études décrites ci-dessus ont montré que plusieurs réseaux spino-bulbo-spinaux sont

activés simultanément lorsqu‟on applique une stimulation nociceptive. Ces réseaux ne sont pas

organisés somatotopiquement et constituent des boucles de rétrocontrôle positif et négatif par

lesquelles l‟intensité des signaux nociceptifs spinaux peut être atténuée ou augmentée.

Néanmoins, il est difficile de corréler les changements d‟activité de ces systèmes avec

l‟analgésie, probablement du fait que plusieurs réseaux bulbo-spinaux agissent en parallèle ;

l‟effet résultant ne peut donc pas être attribué à un seul système. Par ailleurs, leur activité est

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sous le contrôle de structures situées en amont, notamment au niveau hypothalamique et cortical.

Ceci est illustré ci-dessous par deux exemples: le phénomène de contre-stimulation et l‟analgésie

morphinique.

Analgésie par contre-stimulation

Les CIDN pourraient participer au masquage d‟une douleur provoqué par un stimulus

douloureux appliqué ailleurs. Ce phénomène, connu depuis l'antiquité et souvent décrit sous le

terme de "contre-stimulation", est à la base de traitements antalgiques traditionnels tels certaines

formes d'acupuncture ou même plus récents comme la TENS intense à basse fréquence ou

électro-acupuncture (voir réfs. dans Villanueva et Le Bars, 1995; Macdonald, 1998).

L‟application d‟une stimulation douloureuse hétérotopique chez l‟individu sain réduit à la fois

la perception d‟une douleur aiguë expérimentale provoquée par une stimulation électrique et le

réflexe spinal (RIII) qui en résulte. Cependant, ces effets sont abolis chez des sujets entraînés,

qui s‟attendent à ressentir une douleur provoquée par le protocole de contre-stimulation (Goffaux

et coll. 2007). De plus, chez des patients douloureux chroniques, plusieurs mécanismes,

n‟impliquant pas toujours les CIDN, interviennent dans les phénomènes de contre-stimulation.

Par exemple, chez les patients souffrant de douleurs neuropathiques, la contre-stimulation

produit des effets différents en fonction du mécanisme d‟allodynie concerné (Bouhassira et coll.,

2003). Une pression légère exercée sur la région allodynique induit une inhibition du réflexe RIII

et de la sensation douloureuse concomitante, tandis que des frôlements dans le même territoire

induisent une diminution de la sensation douloureuse, sans modifier pour autant le réflexe RIII.

Dans cette situation, l‟allodynie mécanique dynamique produit une analgésie par contre-

stimulation qui impliquerait plutôt des circuits supraspinaux que les réseaux spino-bulbo-spinaux

des CIDN. Par ailleurs, chez des patients souffrant de fibromyalgie, les CIDN sont inefficaces

sur une douleur expérimentale. Une absence de CIDN a été également observée sur la

sommation temporelle d‟une douleur expérimentale chez des sujets (femmes) saines.

Analgésie morphinique

A partir des observations montrant qu‟une stimulation nociceptive provoque la libération

spinale de peptides opioïdes et que des neurones contenant ces peptides sont présents dans le

tronc cérébral, il a été proposé que l‟analgésie par contre-stimulation pouvaît impliquer les

systèmes opioïdes endogènes bulbaires. En plus de son action médullaire bien connue, la

morphine pourrait réduire la transmission nociceptive spinale en activant des contrôles

inhibiteurs descendants issus de la RVM (Fields et coll., 2004). L‟analgésie morphinique

pourrait également résulter d‟une réduction des mécanismes d‟amplification des influx

nociceptifs spinaux assurée par les CIDN (Le Bars et coll., 1983).

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En effet, l‟action antalgique des opiacés dépend de leurs interactions avec plusieurs réseaux

de modulation centrale (voir réfs. dans Rivat et coll., 2007), incluant de nombreuses aires

corticales et sous-corticales. Des études d‟imagerie fonctionnelle chez l‟homme ont montré que

les structures du système nerveux central activées par le système opioïde endogène, lors d‟une

douleur soutenue, sont les mêmes que celles identifiées chez l‟animal. En plus de la PAG, on

détecte une activation de régions sous-corticales telles que l‟hypothalamus, l‟amygdale et le

thalamus ventrolatéral, ainsi que les cortex cingulaire, préfrontal et insulaire (Zubieta et coll.,

2001). De plus, l‟activation des récepteurs réduit l‟activité de toutes les régions corticales et

sous-corticales activées par la douleur. La grande sensibilité du diencéphale aux opioïdes est

illustrée par les études effectuées chez l‟animal montrant que l‟activité évoquée des neurones

thalamiques est déprimée par la morphine à des doses bien plus faibles que celles nécessaires

pour réduire l‟activité des neurones de la corne dorsale (voir réfs. dans Monconduit et coll.,

2002a).

Le cortex cérébral : une source universelle de modulation nociceptive

Des puissants contrôles endogènes de la douleur sont issus du cortex, étant donné que

pratiquement l‟ensemble des relais nociceptifs centraux est sous l‟influence de contrôles

corticofuges, y compris les réseaux spinaux de modulation segmentaire et hétérosegmentaire

(figure 4 ; voir réfs. dans Villanueva et Fields, 2004). Cependant, contrairement aux contrôles

descendants bulbo-spinaux, les systèmes de modulation corticofuge sont également activés par

des stimuli non-douloureux.

Cortex limbique et modulation nociceptive

Les phénomènes d’attention

Lorsque des sujets sont entraînés à réaliser une tâche de discrimination visuelle ou thermique,

l‟attente d‟une stimulation douloureuse augmente la perception de la douleur, tandis qu‟une distraction

la réduit (voir réfs. dans Peyron et coll., 2000 ; Tracey et Mantyh, 2007). Bien que les circuits

neuronaux impliqués dans la modulation par l‟attention ne soient pas bien connus, les études

d‟imagerie fonctionnelle chez l‟homme suggèrent la participation du système RVM-PAG. En effet,

lorsque des sujets sains évaluent une douleur thermique en présence d‟un élément perturbateur visuel,

l‟intensité de la douleur perçue est significativement plus basse et on observe une augmentation

concomitante de l‟activité neuronale dans la PAG. De plus, les temps de réaction à une stimulation

douloureuse sont augmentés et la perception de l‟intensité est diminuée durant une manœuvre de

distraction. On observe de façon concomitante une augmentation de l‟activité du cortex cingulaire

antérieur (ACC) pendant la distraction et une diminution d‟activité dans le thalamus controlatéral, les

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cortex insulaire et cingulaire médian. Les résultats d‟imagerie cérébrale indiquent donc que l‟ACC et

la PAG sont activés lors d‟une distraction associée à une réduction de l‟intensité de la douleur et une

baisse d‟activité des voies nociceptives afférentes.

Les phénomènes d’attente

Des évènements sensoriels extéroceptifs a priori neutres peuvent devenir de puissants modulateurs

de l‟activité des neurones nociceptifs de la corne dorsale en l‟absence d‟un stimulus douloureux.

Ainsi, lorsqu‟un sujet est conditionné par des signaux spécifiques, permettant de prédire quand un

stimulus sera douloureux ou non, ces signaux peuvent moduler puissamment la sensation douloureuse

(voir réfs. dans Tracey et Mantyh, 2007). En particulier, lorsqu‟un signal prédisant un stimulus

nociceptif est présenté juste avant une stimulation thermique non douloureuse, les sujets rapportent

cette stimulation comme étant douloureuse. Chez ces mêmes sujets, l‟ACC et le cortex insulaire

antérieur sont activés par des signaux prédictifs de la douleur. En accord avec ces données d‟imagerie

cérébrale chez l‟homme, des enregistrements réalisés dans l‟ACC de primates éveillés ont montré des

neurones spécifiquement activés pendant des comportements d‟évitement de la douleur. De plus, chez

l‟animal, des lésions de l‟ACC empêchent l‟apprentissage de comportements d‟évitement associés à

des stimulations nociceptives toniques (Johansen et coll., 2001) .

Chez des sujets sains on a étudié deux situations impliquant l‟attente d‟une stimulation

douloureuse. Dans la première, les sujets s‟attendent à une stimulation douloureuse, tandis que dans la

deuxième ils ne savent pas si la stimulation suivant le signal sera ou non douloureuse. La première

attente est associée à une modification de l‟activité neuronale dans l‟ACC et le cervelet postérieur,

tandis que la seconde est liée à des changements d‟activité dans le cortex préfrontal ventromédian,

cingulaire médian et l‟hippocampe. L‟attente associée à la connaissance de l‟avenir provoque un

sentiment de peur qui aboutit à une hypoalgésie tandis que l‟attente associée à l‟incertitude se traduit

par de l‟anxiété plutôt que de la peur, et par une augmentation de la sensibilité à la douleur.

Comment les neurones de l‟ACC et du cortex insulaire antérieur participent-ils à la

modulation liée à l‟attente? Il existe des projections directes de l‟ACC sur la PAG. Il y a aussi

une projection dense de l‟ACC sur le noyau accumbens qui projette à son tour sur

l‟hypothalamus et l‟amygdale basolatérale. Il existe également des connexions directes entre

cortex insulaire antérieur, RVM et locus coeruleus (Jasmin et coll., 2003). D‟autres études seront

certainement nécessaires pour élucider les mécanismes de modulation corticale liés à l‟attente de

la douleur. Certains des mécanismes possibles sont décrits dans les paragraphes suivants.

Modulation corticofuge des neurones de la corne dorsale

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Le faisceau corticospinal issu du cortex somatosensoriel primaire (S1) projette sur les couches

superficielles de la corne dorsale de la moelle (voir réfs. dans Villanueva et Fields, 2004).

Certains de ces axones ont des collatérales qui se terminent dans les couches profondes, donnant

ainsi la possibilité à ce système de moduler simultanément l‟activité de l‟ensemble des neurones

nociceptifs de la corne dorsale. La stimulation du cortex S1 et moteur peut activer ou inhiber les

cellules spinothalamiques chez le singe. Des effets inhibiteurs sont obtenus principalement lors

d‟une stimulation de l‟aire S1 tandis que des effets mixtes (inhibition ou facilitation) sont

provoqués à partir du cortex moteur. Par le cortex insulaire antérieur rostral (RAIC) module

l‟activité des neurones de la corne dorsale et provoque des effets bidirectionnels sur l‟intégration

du message nociceptif (Jasmin et coll., 2003). Ces contrôles semblent impliquer des structures

bulbaires telles que la RVM et les neurones noradrénergiques du locus coeruleus.

L‟augmentation locale du taux de GABA dans le RAIC provoque des effets antinociceptifs par

l‟intermédiaire des contrôles descendants noradrénergiques bulbaires. L‟activation sélective

locale des récepteurs GABAB dans le RAIC produit au contraire une hyperalgésie, en activant un

circuit pro-nociceptif dans l‟amygdale. L‟ensemble de ces données montre donc que de

nombreuses aires corticales exercent des effets directs et indirects sur l‟intégration des influx

nociceptifs au niveau de la corne dorsale. Ces systèmes pourraient être à l‟origine de la

modulation corticale de la douleur chez l‟homme, et représenter le substrat de l‟analgésie

produite par stimulation électrique du cortex somatosensoriel ou moteur (Garcia-Larrea et coll.,

1999 ; Nguyen et coll., 2004).

Modulation corticofuge du système trigéminal

Des études anatomiques ont également montré des projections directes du faisceau

corticobulbaire sur le noyau caudal du trijumeau (Sp5C ; voir réfs. dans Desbois et coll., 1999).

L‟innervation corticale du Sp5C est strictement latéralisée et issue principalement des cortex S1

et insulaire (INS). Il est possible que les cortex S1 et INS contribuent aux mécanismes de

sensibilisation centrale qui aboutit aux migraines et autres types de céphalées. Cette hypothèse

est en accord avec les études montrant que la dépression corticale envahissante (CSD) semble un

élément clé à l‟origine de l‟activation du système vasculaire trigéminal (Pietrobon et Striessnig,

2003).

Afin d‟analyser les liens possibles entre l‟excitabilité corticale et la nociception méningée,

nous avons étudié l‟architecture fonctionnelle des réseaux cortico-trigéminaux (Noseda et coll.

2008). Il est apparu que le cortex S1 innerve les couches profondes tandis que l‟INS innerve

seulement les couches superficielles du Sp5C, ces deux régions contenant l‟ensemble des

neurones nociceptifs trigémino-vasculaires. Il existe une relation étroite entre les projections du

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cortex insulaire sur le Sp5C, le récepteur de la sérotonine de type 5-HT1D et le peptide CGRP,

deux molécules neuroactives impliquées dans les mécanismes des migraines. De plus,

l‟induction de la CSD dans le cortex S1 provoque une inhibition simultanée des réponses tactiles

cutanées et nociceptives méningées des neurones du Sp5C. En revanche, une facilitation

sélective des réponses nociceptives méningées est provoquée lors de l‟induction de la CSD dans

le cortex insulaire. Cette étude renforce l‟hypothèse selon laquelle la CSD serait en mesure

d‟interagir spécifiquement avec des mécanismes à l‟origine du déclenchement de la céphalée

migraineuse. D‟autres aires corticales pourraient également moduler les activités des neurones

du Sp5C par l‟intermédiaire de la PAG, qui semble également impliquée dans la pathogenèse de

l‟attaque de migraine.

Dans les conditions physiologiques, les contrôles corticofuges participent également au

traitement de l‟information somatosensorielle d‟origine trigéminale. Par exemple, chez des

singes éveillés entraînés à réaliser des tâches comportementales faisant l‟objet d‟une

récompense, l‟activité des neurones nociceptifs du Sp5C varie en fonction de la signification du

stimulus. Si le stimulus est associé à une récompense, la réponse neuronale est plus importante.

Ainsi, les neurones qui répondent à une stimulation thermique peuvent être activés par un

stimulus visuel ou moteur uniquement dans le cadre de la tâche comportementale, alors que

l‟intégration d‟un stimulus visuel ou d‟un mouvement de la main n‟avait auparavant jamais été

associée à l‟activité neuronale dans le Sp5C. Il semble donc que la modulation, par le

comportement, de l‟activité des neurones trigéminaux se fasse par l‟intermédiaire de réseaux

distincts, impliqués soit dans le traitement d‟influx sensoriels, soit dans la préparation de l‟acte

moteur. Ceci indique qu‟une information pertinente en relation avec l‟environnement est traitée

dans des régions du système nerveux impliquées dans le comportement de l‟animal. Ainsi,

l‟activité neuronale du Sp5C peut dépendre entièrement du contexte environnemental dans lequel

un signal sensoriel est reçu. Etant donné que des activités similaires, modulées par une tâche

comportementale, ont été mises en évidence dans plusieurs aires corticales, ces modifications de

l‟activité trigéminale sont probablement dues aux mécanismes de modulation corticofuge mis en

place lors des paradigmes comportementaux (voir réfs. dans Villanueva et Fields, 2004).

Modulation corticofuge des contrôles bulbospinaux

Modulation corticofuge du SRD : un lien commun pour le traitement des influx nociceptifs

et moteurs ?

La partie dorsale du SRD est innervée par de nombreuses régions corticales, telles que les

cortex moteur, somatosensoriel et insulaire (Desbois et coll., 1999). Ces influences corticofuges

11

atteignent, par l‟intermédiaire des projections du SRD, simultanément plusieurs régions du SNC.

De nombreuses études ont suggéré que le système pyramidal pourrait mettre en route et affiner

les profils d‟activité de base générés par des circuits bulbaires réticulo-spinaux (voir Canedo,

1997). Le SRD constituerait ainsi un lien privilégié entre les influx nociceptifs et moteurs. Le

cortex, par l‟intermédiaire de ses projections pyramidales sur le SRD, coordonnerait

l‟information nociceptive qui transite à la fois par les structures thalamiques et la corne dorsale,

et pourrait synchroniser sur le plan temporel l‟activité de ces deux relais. Ces mécanismes

corticofuges permettraient au cortex de sélectionner l‟information pertinente en supprimant ou en

augmentant les signaux ascendants ou descendants qui cheminent par le SRD. En accord avec

cette hypothèse, des études électrophysiologiques et comportementales chez le rat (Zhang et coll.

2005) ont montré que la facilitation des réponses nociceptives induites par une stimulation de

l‟ACC était bloquée par des lésions du SRD.

Modulation corticofuge du réseau PAG/RVM : un substrat commun de l’analgésie

morphinique et de celle induite par effet placebo ?

Le blocage de l‟analgésie placebo par un antagoniste des récepteurs opiacés a été confirmé

dans des modèles de douleur cliniques et expérimentaux (voir réfs. dans Benedetti et coll., 2005).

Des études d‟imagerie cérébrale, réalisées chez l‟homme par Petrovic et coll. (2002), ont

comparé les régions activées par l‟administration de fentanyl, un agoniste µ, ou d‟un placebo

(sérum physiologique). Lorsqu‟on applique une stimulation nociceptive thermique, on observe

une superposition significative des aires activées par le fentanyl et le placebo. Ces aires incluent

l‟ACC et des régions localisées dans le tronc cérébral. Ces auteurs ont également observé que

l‟activité de l‟ACC co-varie avec celle dans des régions autour de la PAG durant l‟analgésie

provoquée par le fentanyl et le placebo, mais pas durant la stimulation nociceptive thermique

seule. Ceci suggère que l‟ACC, par l‟intermédiaire de ses connexions avec la PAG, intervient

dans les processus de modulation qui sont à l‟origine de l‟analgésie morphinique et par le

placebo (Vogt, 2005).

Modulation corticothalamique

La participation du cortex S1 dans la dimension sensori-discriminative de la douleur a été

proposée à partir des données anatomiques montrant que des zones restreintes de S1 sont

innervées par le thalamus ventrobasal (VPL), qui reçoit directement les projections du faisceau

spino-thalamique (voir Chapitre précedent). Ces données anatomiques suggèrent aussi que les

activités corticales sont largement dépendantes des interactions réciproques existant avec leurs

relais thalamiques car il y a environ 10 fois plus de fibres qui projettent en retour du cortex au

thalamus que celles innervant le cortex, en provenance du thalamus. Les neurones du VPL sont

12

hétérogènes sur le plan fonctionnel puisqu‟on distingue 3 types de neurones : les uns répondent

uniquement à la stimulation nociceptive (neurones nociceptifs spécifiques) ou non nociceptive

(neurones non nociceptifs), les autres sont activés par les deux types de stimulations (neurones

nociceptifs non-spécifiques). Cependant, ces trois catégories fonctionnelles sont homogènes sur

le plan morphologique : l‟ensemble des neurones du VPL sont multipolaires avec un arbre

dendritique dense, et projettent dans la même région de la couche IV de S1. Des enregistrements

électrophysiologiques ont montré que la discrimination des modalités sensorielles (nociceptives

ou non-nociceptives) au sein du cortex S1 s‟exerce par le biais des boucles thalamo-cortico-

thalamiques. En effet, ce contrôle corticothalamique module simultanément et de façon sélective

des réponses tactiles et nociceptives au sein du VPL, par l‟intermédiaire de systèmes

GABAergiques et glutamatergiques (Monconduit et coll., 2006).

Les premières études d‟imagerie cérébrale avaient montré que l‟application d‟une stimulation

nociceptive thermique à un membre antérieur induisait soit une augmentation soit une

diminution voir même une absence de modification d‟activité dans S1 (voir réfs. dans Duncan et

Albanese, 2003). Ces résultats contradictoires pourraient être en rapport avec la somatotopie

précise et l‟organisation restreinte de la boucle thalamo-corticale, conduisant à des activations

nécessairement ponctuelles au sein de S1, qui ne peuvent être être détectées qu‟avec des

méthodes à haute résolution. Un autre élément à prendre en compte est que l‟activation de S1 par

des stimuli tactiles ou nociceptifs peut être modulée par l‟attention, voire des suggestions

hypnotiques en vue de modifier spécifiquement l‟intensité d‟une douleur sans interférer avec sa

valence désagréable (voir réfs. dans Duquette et coll., 2007).

Conclusions

L‟ensemble des travaux présentés ici montrent que le SNC constitue un système sélectif de

reconnaissance qui permet de modifier l‟information afférente en fonction du contexte, de telle

sorte que la spécificité d‟une sensation résulte d‟une sélection a posteriori.

Les sensations et les réactions provoquées par une douleur résultent de mécanismes de type

“ bottom-up ” et “ top-down ” étroitement imbriqués. De nombreuses régions corticales, en

ajustant à la fois les cartes sensorielles thalamiques et pré-thalamiques, sont en mesure de

modifier l‟activité de l‟ensemble des réseaux situés en amont. De fait, les études d‟imagerie

fonctionnelle montrent que les aires corticales ne sont pas simplement des récepteurs de

l‟information afférente mais participent activement à la modulation de divers aspects de la

sensation douloureuse en fonction de facteurs environnementaux (Friston, 2002).

13

En l‟absence d‟influx périphériques, les projections corticofuges seraient capables de générer

des activités dans les relais situés en amont, et être ainsi à l‟origine de phénomènes de simulation

ou d‟anticipation. Dans des conditions pathologiques, elles pourraient donc représenter un

générateur central de douleurs qui surviennent sans lésion organique apparente ou bien en

absence de stimulation nociceptive (voir Ramachandran, 1998; Harris, 1999; Villanueva et

Fields, 2004). Il est intéressant de souligner à cet égard le cas d‟un patient présentant une

insensibilité congénitale à la douleur qui a expérimenté une seule et unique attaque de céphalée

intense, juste après la mort de son frère (Danziger et Willer, 2005). Cette observation est à

rapprocher des données récentes montrant que des mécanismes de modulation corticale de la

douleur participent également au traitement des processus déclenchés par le stress de séparation

ou d‟exclusion lié à la perte d‟un être cher (Eisenberger et Lieberman, 2004).

Harris (1999) a été le premier à proposer qu‟une douleur sans lésion organique apparente,

comme celle observée chez des patients ayant un membre fantôme ou lors de dystonies de la

main chez les musiciens, les écrivains ou les opérateurs sur claviers pourrait résulter d‟un conflit

entre l‟intention motrice, la conscience du mouvement et le retour visuel. Cette discongruence

provoquerait des changements plastiques dans le cortex somatosensoriel et moteur qui

aboutiraient à un contrôle cortical incorrect de la proprioception. Ce conflit entre l‟intention et le

mouvement déclencherait une douleur, et serait l‟équivalent du mal des transports, où il y a

conflit entre les sensations visuelles et vestibulaires.

D‟ailleurs, des travaux récents montrent l‟existence de liens entre systèmes somatosensoriels,

proprioceptifs et visuels dans la modulation de la douleur, permettant de développer des

traitements cognitifs viables. Par exemple, il est possible de soulager la douleur du membre

fantôme en regardant l‟image virtuelle de ce membre de façon synchrone avec la commande

motrice (Ramachandran, 1998; Giraux et Sirigu, 2003). Plus récemment, on a montré chez des

patients atteints d‟algodystrophie avec atteinte unilatérale, l‟existence de troubles de la

perception visuospatiale, à savoir une perception décalée d‟un point lumineux systématiquement

du coté douloureux (Sumitani et coll., 2007a,b). Des exercices ont permis de recaler la

perception visuelle suite à une adaptation de lunettes prismatiques. Cette rééducation non

seulement a soulagé la douleur mais a également amélioré d‟autres symptômes de

l‟algodystrophie tels que l‟oedème, la décoloration de la peau et les troubles moteurs.

Il est évident que la sensation douloureuse possède une qualité qui lui est propre et lui permet

d‟être perçue de façon univoque. Etant donné l'existence de sensations désagréables non

douloureuses, on a proposé de décrire sous le terme d‟ “ algosité ” la propriété psychophysique

14

d‟une expérience somesthésique lui permettant d‟être identifiée précisément comme une douleur

(Fields, 1999). On peut se demander si cette "algosité" est le résultat du traitement de

l‟information par des réseaux neuronaux spécifiquement “ algoceptifs ”, par des modalités

d‟activité au sein de réseaux somesthésiques, ou par les deux ?

En réalité, on ne peut répondre à cette interrogation sans avoir à l'esprit qu'un stimulus

nociceptif n‟apparaît jamais dans un SNC vide. Le SNC possède une activité somesthésique de

base non seulement importante pour la douleur, mais qui fournit également une information en

continu, essentielle pour l‟homéostasie, constamment sélectionnée et modulée en vue d‟une

réponse appropriée.

Comme l‟a suggéré Wall (1989), un tel état dynamique pourrait expliquer la très grande

variabilité des réponses aux stimuli douloureux lors d‟expériences identiques effectuées par

différents laboratoires sur des sujets entraînés. Ceci pourrait également expliquer la variabilité

des douleurs chez des patients admis aux urgences et ayant été triés en fonction de lésions

équivalentes. Une autre donnée pertinente concerne les fluctuations des douleurs spontanées lors

des lombalgies chroniques qui se révèlent associées à l‟activation de régions corticales distinctes.

Ainsi, lors des phases de douleurs soutenues de grande intensité, on observe des activations

spécifiques confinées au cortex pré-frontal médian. En revanche, lors des douleurs spontanées

d‟intensité croissante, on détecte une augmentation d‟activité dans de nombreuses régions

corticales mises en jeux lors des douleurs aiguës, incluant notamment l‟ACC (Baliki et coll.,

2006).

Sur la base de toutes ces données, on peut considérer que la perception de la douleur est

vraisemblablement un processus actif. Curieusement, ce concept a été adopté par les deux écoles

antagonistes : P. D. Wall (1999), chef de file des “ non-spécifistes ”, a proposé que “ la douleur

s‟apparente aux sensations telles que la faim, la soif, ou les démangeaisons, que l‟on peut

considérer comme des besoins qui vont déclencher l‟action à suivre ”. Pour cet auteur, “ la

douleur est un attribut assigné par le cerveau en tant que qualité ”. De son côté, A. D. Craig

(2003), “ spécifiste ” convaincu, propose que “ la douleur est une émotion homéostasique,

comme la sensation thermique, les démangeaisons, la faim et la soif. En d‟autres termes, la

douleur est à la fois un aspect de l‟entéroception et une motivation comportementale

spécifique ” .

Remerciements

15

Les auteurs remercient les Drs. Jean-François Bernard et Michel Hamon pour leurs précieux

commentaires lors de la révision du manuscrit. Ce travail a été effectué grâce au soutien de

l‟Institut UPSA de la Douleur, de l‟INSERM et de l‟Université Pierre et Marie Curie.

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LEGENDES

Figure 1 La stimulation des thermorécepteurs contribue à la sensation de douleur

provoquée par la chaleur.

Echelle de perception de l‟intensité d‟une stimulation thermique en fonction de la température

appliquée sur la peau de l‟avant-bras avec une thermode. Les mesures ont été effectuées à

l‟intérieur des zones insensibles à la chaleur non-douloureuse (triangles blancs) qui sont donc

dépourvues de sensibilité thermique normale, et des zones cutanées adjacentes, ayant une

sensibilité thermique normale (triangles noirs). La sensation de chaleur est à peine perçue dans

les zones insensibles, y compris dans une gamme de températures suffisamment chaudes qui

stimulent les nocicepteurs thermiques (au delà de 41°C). En revanche, une stimulation à 44°C

dans les zones sensibles, qui provoque une très forte stimulation des nocicepteurs, évoque des

sensations de chaleur et de brulure cinq fois plus intenses (Modifiée à partir de Green, 2004).

Figure 2 : Organisation des influences segmentaires sur les neurones à convergence.

Les neurones à convergence (cercle noir) sont activés par des stimuli nociceptifs et non

nociceptifs. D‟autre part, ils possèdent un champ inhibiteur qui n'est activé que par des stimuli

non nociceptifs, surtout s'ils sont appliqués de façon répétitive et rapide (frottements, vibrations).

Les influences périphériques sont donc excitatrices (+) et inhibitrices (-). Dans ce dernier cas

elles font intervenir des interneurones inhibiteurs (cercle blanc) qui régulent l'accès des

21

informations issues de la périphérie vers les neurones à convergence situés dans des couches plus

profondes de la corne dorsale de la moelle. La mise en jeu des afférences de gros diamètre A

augmente l'activité de ces interneurones (le « portillon medullaire », voir Melzack et Wall, 1965;

Nathan, 1976). L'activation des fibres fines A et C déprime ce tonus inhibiteur, déclenchant

alors l'ouverture du portillon, ce qui facilite l'envahissement des neurones à convergence, par

désinhibition. On peut soulager la douleur en renforçant les contrôles inhibiteurs segmentaires

par stimulation électrique à haute fréquence et faible intensité des nerfs (A) ou des cordons

postérieurs (B). D'autres hypothèses ont cependant été proposées pour expliquer les effets

bénéfiques de la stimulation segmentaire (voir texte).

Figure 3 : Contrôles inhibiteurs issus du tronc cérébral qui s'exercent sur la

transmission spinale des messages nociceptifs.

Dans la partie rostrale du bulbe, l'application d'un stimulus nociceptif active via la

substance grise périaqueducale (PAG), les contrôles inhibiteurs descendants issus du bulbe

rostro-ventro-médian (RVM). L'existence de deux types neuronaux assure une boucle de

rétroaction positive : les cellules "on", qui excitent les neurones de la corne dorsale, sont activées

par stimulation nociceptive; les cellules "off", qui inhibent les neurones de la corne dorsale, sont

inhibées par stimulation nociceptive; ainsi la transmission nociceptive spinale est facilitée par un

double mécanisme de facilitation et de désinhibition.

Les contrôles inhibiteurs diffus induits par une stimulation nociceptive (CIDN) sont

déclenchés spécifiquement par les stimulations nociceptives et par la mise en jeu des fibres

périphériques A et C. Les voies ascendantes et descendantes de la boucle sont localisées

respectivement dans le quadrant antéro-latéral et dans le funiculus postéro-latéral. Les structures

cérébrales participant aux CIDN sont localisées dans la partie caudale du bulbe.

Figure 4 : Schéma des principaux mécanismes de modulation centrale de la douleur.

Un stimulus nociceptif active des mécanismes segmentaires et bulbo-spinaux par lesquels la

transmission nociceptive spinale peut être atténuée ou amplifiée. Les aires corticales constituent

la source principale de modulation descendante car pratiquement l‟ensemble des relais

nociceptifs du système nerveux central est sous l‟influence de contrôles corticofuges (voir texte).

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