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Interview de Claude Lafond à l'occasion des 50 ans de l'appellation reuilly.
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LE BERRY REPUBLICAIN JEUDI 31 MARS 2011 3
Le fait du jourUne vieille histoireD’après des documents historiques, Dagobert afait don de Reuilly, ses prairies, ses champs etses vignes à l’abbaye de Saint-Denis auVIIe siècle.
Un chiffre50 Cela fait, cette année, cinq
décennies que le reuilly a obtenuune appellation d’origine contrôlée pourson rouge et son rosé.
Sept communesUne vingtaine de vignerons ont planté dusauvignon blanc, du pinot noir et du pinot grissur deux cent dix hectares, à Reuilly, Diou,Lazenay, Chéry, Lury, Cerbois et Preuilly.
BERRY■ Rencontre avec Claude Lafond, un vigneron qui a toujours cru à la bonne étoile de l’appellation
Le reuilly ne fait plus grise mine
ENTRETIENGuillaume Bellavoine
C laude Lafond a de la mémoire. Le viticulteur serappelle de l’inquiétudequ’il avait instillé chez
son banquier quand il avaitvoulu investir dans la vigne àReuilly, alors que personne n’ycroyait. Il a de l’humour aussi. Ilmime avec conviction le durtravail de la vigne qu’il menaitavec son père dans les années1960, sous la pluie et sans mécanique, alors que leur voisincéréalier écoutait tranquillement la radio à l’abri dans sontracteur. Il a de la suite dans lesidées enfin. Âgé de cinquanteneuf ans, il compte bientôt passer la main à sa fille et investitdans un chai pour assurer la pérennité de l’entreprise dans lestrente années à venir.
« Je dois être un peufêlé (rires). J’ai uncôté marginal »
■ L’AOC existe pour le reuilly rou-ge et rosé depuis cinquante ans.Ça vous a apporté quoi ? On a eul’appellation d’origine contrôléepour le blanc en 1937. À l’époque, le rouge et le rosé se vendaient sous l’étiquette côteauxdel’arnon, en appellation d’origine simple. Les gens ne faisaient pas la différence et çapartait bien. Après, quand onest passé en vin de pays, heureusement qu’on a bénéficié del’AOC. Vendre du vin de pays à
Reuilly n’aurait pas eu un avenirphénoménal.
■ Comment se sont déroulés vosdébuts de vigneron ? En 1977, ondisait de la vigne à Reuilly : plusça va, moins il y en a ; plus çaira, moins il y en aura, et puisça viendra qu’il n’y en aura plus.C’était une chose acquise pourtout le monde : les simples citoyens, les instances municipales de l’époque et, plus grave,les vignerons euxmêmes. Le vignoble est reparti grâce à desjeunes qui se sont dit que si lavigne marchait ailleurs, elle lepourrait ici. De trentehuit hectares en 1977, on est passé àdeux cent dix hectares plantés
aujourd’hui.
■ Pourquoi y avez-vous cru ? Jedois être un peu fêlé (rires). J’aiun côté marginal. Ce que je revendique, à Reuilly, c’est d’avoirété le premier à être pris pourun con en voulant faire de la vigne. Les anciens disaient qu’onn’avait pas des terrains aussibons qu’à Sancerre, qu’on ne ferait pas de meilleurs vins, qu’onrécolterait moins et qu’on nevendrait jamais aussi cher.
■ Mais au final, ce n’est pas parextravagance que vous avez percédans ce métier… Je me suisaperçu rapidement que pourque le reuilly se développe, il ne
fallait pas que Lafond soit toutseul. Il fallait que des gens viennent faire ce métierlà. J’ai actuellement un salarié sur l’exploitation que j’ai vu arriverdans les années 1980 en me disant qu’il voulait travailler dansles vignes ; je me suis alors ditque c’était gagné si des jeuneslocaux s’intéressaient à la vigne.
■ Maintenant, vous êtes un vigno-ble plus important… On s’est faitune petite reconnaissance. Petite parce qu’on fait des volumesfaibles, dix mille hectolitres. Encomparaison, le beaujolais représente plus d’un mill iond’hectolitres. Mais en ce moment il vaut mieux être un petitvigneron à Reuilly qu’un grosdans le Beaujolais.
■ Le reuilly ne manque-t-il pas devisibilité, notamment vis-à-vis dusancerre ? Des gens disent que leBureau interprofessionnel desvins du Centre (BIVC) ne s’occupe que de Sancerre. Maisc’est Sancerre qui amène la plusgrande partie du financement.Et qu’on parle de Reuilly à côtéde Sancerre, c’est mieux que sion voulait parler du reuilly toutseul. Nous sommes liés au devenir des vignobles qui composent le BIVC. Ils représentent un
peu plus de cinq mille hectaresde vigne et marchent pas malmalgré la crise. Si Sancerre etPouilly fonctionnent, on marchebien. Il n’y a donc aucune concurrence avec nos collègues duCentreLoire. Au contraire, il y ade la synergie.
■ Le vignoble peut-i l encores’étendre ? Oui, on a à peu prèssix cents hectares de zone classée. On a donc quatre centshectares possibles d’extensionmais ils n’appartiennent pasforcément à ceux qui veulentplanter. Que Reuilly se développe, c’est le souhait de tous maisil faut le gérer et que tout aillede concert entre le nombred’hectares plantés, la qualité dela vinification et les capacitéscommerciales.
« Le roséest à la modemais la modeest éphémère »
■ Et il y a beaucoup de vigneronsqui agrandissent leurs parcelles ?Oui, on a droit chaque année àcinq ou six hectares de plantation nouvelle.
■ En produisant du gris, le vigno-ble trouve une originalité. N’est-cepas une chance à mettre enavant ? On ne fait que parler durosé aujourd’hui. C’est vrai qu’ilest à la mode mais la mode estéphémère. Oui, on manque derosé. Oui, il faut planter du roséà Reuilly mais il faut penser quela vigne qu’on plante aujourd’hui ne donnera du vin quedans quatre ans. C’est comme lepinot noir il y a quinze ans : il yen avait très peu, alors tout lemonde voulait du reuilly rouge.Aujourd’hui, on vend du rougemais il faut en faire de très bonne qualité et on se rend comptequ’il vaut mieux faire du blanc àReuilly.
■ Quelle est la particularité tech-nique de ce cépage ? Le pinotgris n’est pas forcément trèsproductif et assez fragile : s’il y ade la coulure (*), il sera un desplus touchés. Mais il craintmoins l’esca (**) que le sauvignon.
■ Vous êtes optimistes pour l’ave-nir du reuilly ? Reuilly sera ceque ses vignerons en feront. Lavaleur des structures ne tientque par la valeur des hommesqui la composent. C’est maintenant à la génération des quarante ans de faire tourner le vignoble. ■
(*) Coulure : chute des jeunes raisins.
(**) Esca : une maladie du bois qui faitdes ravages dans les vignes.
À cheval entre le Cher etl’Indre, le vignoble deReuilly fête cette annéeles cinquante ans de sonAOC pour le rouge et lerosé. Une bonne excusepour rencontrer ClaudeLafond, un des vigneronsqui a ressuscitél’appellation.
TRAVAUX. Claude Lafond, devant son futur chai en chantier.
Son attache à Reuilly« Mon père était de l’assistancepublique, il a été placé dans lesfermes, il a fini charretier, il aconnu ma mère, il s’est marié eta été vivre chez elle, à Reuilly. »
Un père dans la vigne« Comme partout à Reuilly, il yavait quarante-cinq ares devignes qui faisaient la boissonde la maison. Mon père atravaillé chez deux frèresviticulteurs, qui l’employaientchacun à mi-temps. C’est là qu’ila appris le métier de la vigne eta choisi de se mettre à soncompte au début des années1960. »
Ses débuts dans le métier« J’ai toujours été bercé aurythme des travaux de la vigne.J’hésitais avec l’électronique,même si ça n’a rien à voir. Maisje me suis dit que si je neprenais pas la suite, toutes sespeines seraient vaines. J’aitravaillé avec lui de 1966 à1977, jusqu’à son décès. J’airepris les huit hectares de vigneet décidé tout de suite d’enplanter le double. »
ExploitationDes trois cents bouteilles queson père produisait à ses débutsdans la vigne, Claude Lafond ensort maintenant deux à troiscent mille chaque année.
■ CLAUDE LAFOND
L’exploitation de Claude Lafond construit son propre chaiAvant de céder la direction del’entreprise à sa fille Nathalie,Claude Lafond a entrepris deconstruire un nouveau chai prèsde l’ancien, au Bois-Saint-Denis.
Cette année encore, la vinification de sa production est réalisée dans le chai de reuilly, qu’ilavait collaboré à créer au débutdes années 1990 et qui regroupeplusieurs viticulteurs.
Pour une raison de statuts du
chai collectif, Claude Lafond nepouvait pas y exploiter tout sonraisin. En plus de son domaine,le viticulteur gère aussi le domaine ChâteauGaillard, desraisins achetés à d’autres viticulteurs, et des vignes près d’ArgentonsurCreuse et de Valençay.
La vinification se fera à présent dans une surface de millecinq cents mètres carrés. Les
bureaux et la réception déménageront également dans cesnouveaux locaux. La fin des travaux est prévue pour débutjuillet.
« C’est une page qui se tourne,affirme Claude Lafond. Ce chaicollectif a servi à l’appellation, ila servi tous les vignerons qui s’ytrouvent, y compris moi. Mais lefait que je parte ne met pas enpéril son existence. »