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INTRODUCTION À LA LINGUISTIQUE ET À LA SÉMIOLOGIE GÉNÉRALES SYLLABUS Titulaire du cours : F. PROVENZANO

Introduction à la linguistique et à la sémiologie générales LLM 1

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Introduction à la linguistique et à la sémiologie générales LLM 1 ULg

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INTRODUCTION À LA LINGUISTIQUE ET À LA

SÉMIOLOGIE GÉNÉRALES

SYLLABUS

Titulaire du cours : F. PROVENZANO

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INTRODUCTION À LA LINGUISTIQUE ET À LA SÉMIOLOGIE GÉNÉRALES

TITULAIRE : F. PROVENZANO

I. QUESTION D’ÉTIQUETTES : L’INTITULÉ DU COURS

1. AVANT LA LINGUISTIQUE : LA PHILOLOGIE

Etymologiquement, « philologie » signifie « amour du logos » (donc des lettres, du discours). Plus concrètement, il s’agit d’une discipline scientifique qui s’occupe de restaurer les textes

anciens (principalement littéraires) et de faire la critique de ces éditions. Pour cela, il est nécessaire de lever trois types de barrières empêchant la compréhension des textes en

question, qui ont subi d’importantes modifications au fil du temps :

la barrière linguistique : la langue évoluant au cours du temps, elle a subi des modifications profondes entre le moment de la rédaction du texte et celui auquel le philologue travaille. Il lui est donc nécessaire de décrypter le texte avant de l’éditer.

la barrière matérielle : les matériaux servant de support aux textes ont pu être dégradés au fil du temps, d’où des problèmes de lecture. La science s’occupant des inscriptions (surtout sur matériaux durs) s’appelle l’épigraphie.

la barrière culturelle : il est nécessaire de comprendre le contexte dans lequel ont été écrits les textes en question (par exemple, comprendre la Chanson de Roland sans comprendre la société médiévale est impossible).

La philologie est apparue à la Renaissance, période de l’histoire où l’on prend conscience que l’immense patrimoine culturel antique devient inaccessible. Les savants se préoccupent dès lors d’établir des éditions modernes de textes anciens (principalement grecs et latins), ce qui les oblige à mettre au point des techniques d’établissement des textes : c’est la philologie. L’un des grands désirs de la Renaissance sera également de retourner au texte original de la Bible, ce qui se fait en comparant plusieurs versions du même texte.

Ce n’est que beaucoup plus tard, au 19e siècle, que la philologie entrera à l’université et que les scientifiques se préoccuperont de l’établissement des textes littéraires tels que la poésie, essentiellement médiévale.

2. LA GRAMMAIRE, BRANCHE DE LA PHILOLOGIE

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Dans un premier sens du mot, la grammaire est la branche de la philologie qui s’occupe des faits de langue. Or, celle-ci est l’une des barrières empêchant de retrouver le sens d’un texte ancien. La grammaire permet de lever cette barrière en proposant un classement et une description des faits de langue.

A ce premier sens va se superposer un second, avec lequel nous sommes familiers : la grammaire scolaire. Ce n’est néanmoins pas du tout la même chose : contrairement à la grammaire au premier sens du terme, dont la visée est descriptive, la grammaire scolaire est normative : elle dicte le bon usage auquel il faut se conformer et condamne les usages fautifs. La première apparition d’une conception normative de la grammaire est chez VAUGELAS dans ses Remarques sur la langue française de 1647 (apparition de la notion de « bon usage »).

Il existe également une troisième acception du mot « grammaire » : la grammaire historico-comparative, apparue au 19e siècle. Il s’agit d’une des premières institutionnalisations scientifiques de réflexion sur la langue, sous la forme d’une discipline qui cherche à retracer la parenté génétique des langues (de reconstituer un arbre généalogique linguistique, pourrait-on dire) pour retrouver une langue-mère. Ainsi, Franz BOPP travaillera sur l’indo-européen, Jakob GRIMM, les langues germaniques, et Friedrich DIEZ, les langues romanes. Au 20e

siècle, la linguistique moderne émergera du terreau de la grammaire historico-comparative, en réaction à ce qu’elle proposait.

NOTE : LES TYPES DE POINT DE VUE

Lorsqu’il est question d’analyser un objet quelconque, il est possible d’adopter plusieurs types de points de vue. Pour la langue, on peut décrire ces points de vue en fonction des trois alternatives ci-dessous.

POINTS DE VUE DESCRIPTIF ET PRESCRIPTIF

Le point de vue descriptif est un point de vue qui… décrit l’objet, sans chercher à établir de norme. Le point de vue normatif, quant à lui, cherche à établir des règles en analysant l’objet ou se fonde sur une norme pour évaluer l’objet.

POINTS DE VUE INTERNE ET EXTERNE

Le point de vue interne ne se préoccupe que de ce que contient l’objet en lui-même, sans s’intéresser aux facteurs extérieurs qui l’entourent.Le point de vue externe prend en compte les facteurs extérieurs à l’objet.

POINTS DE VUE SYNCHRONIQUE ET DIACHRONIQUE

Le point de vue synchronique se concentre uniquement sur l’objet dans son état présent, sans s’intéresser à sa genèse (donc à son passé, à son évolution).Le point de vue diachronique, quant à lui, s’intéresse plus à l’évolution de l’objet qu’à son état actuel.

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Il est donc possible, par exemple, d’adopter un point de vue descriptif interne diachronique, ou encore un point de vue descriptif externe synchronique, un point de vue prescriptif interne diachronique, etc.

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3. LA SÉMIOLOGIE

Etymologiquement, on peut diviser le mot sémiologie en deux parties : (logos) signifie ici « discours spécialisé, discours de savoir sur quelque chose » tandis que (séméion) signifie « signe », au sens de « trace, indice, signe ambigu devant être interprété ».

ATTENTION : ne pas confondre la sémiologie avec la séméiologie, discipline médicale qui s’intéresse à l’interprétation des symptômes ! Cela dit, ce terme de séméiologie permet d’éclairer celui de sémiologie en tant que science s’occupant de la compréhension du fonctionnement d’un système de signes. Qu’est-ce qu’un signe ? L’un des grands objectifs du cours est de répondre à cette question. Néanmoins, nous nous intéresserons particulièrement au langage en tant que système de signes (la suite de sons des paroles amène une image mentale, les mots sont des signes de linguistique).

Pourquoi dès lors ne pas parler de linguistique ? Parce que la sémiologie déborde du cadre de la linguistique, qui ne s’intéresse qu’au langage (le plus complexe et le plus important des systèmes de signes), et peut prendre comme objet d’étude tout autre système de signes : elle essaie de comprendre comment ces codes produisent une signification.

LA SÉMIOTIQUE

Ce n’est qu’une précision langagière : à l’heure actuelle, on parle de sémiotique, plus de sémiologie. Le terme « sémiotique » désigne à la fois la discipline et les objets particuliers qu’elle prend en charge. On dira par exemple que le langage est une sémiotique particulière (que prend en charge la sémiotique comme discipline) ou qu’on peut étudier différentes sémiotiques visuelles, comme la peinture ou le langage des signes.

GÉNÉRALE ?

Générale, parce que l’objectif de ce cours n’est pas de décrire telle ou telle langue, pas plus que tel ou tel système de signes, même si les exemples concrets s’appuieront surtout sur le français. Ce cours se situe au niveau des principes communs aux différentes sémiotiques, c’est pourquoi il sera très abstrait et général, donc difficile : il s’agira davantage de maîtriser ce niveau d’abstraction (et ses applications dans les cas concrets) que de mémoriser des définitions ou des faits précis.

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II. ELÉMENTS D’HISTOIRE DES IDÉES LINGUISTIQUES

1. DE L’ANTIQUITÉ GRÉCO-ROMAINE À LA RENAISSANCE

A. LE TRIVIUM

Depuis l’Antiquité gréco-latine jusqu’au Moyen-Âge, trois grandes disciplines portent un discours sur le langage : la rhétorique, la logique et la grammaire. On les regroupe sous le nom de Trivium, par opposition au Quadrivium, l’ensemble des deux formant les arts libéraux (arts que l’on pratique pour se cultiver, dont le but est d’acquérir des connaissances plutôt que de gagner de l’argent). Voyons plus en détail ce que sont le Trivium et le Quadrivium :

Le Quadrivium est un ensemble de quatre arts relatifs à l’usage des nombres. Il s’agit de la géométrie, de l’arithmétique, de l’astronomie et de la musique. Précisons que cette dernière, à l’époque, tient du jeu mathématique, pas de l’expression d’un sentiment.

Le Trivium est, comme on l’a dit, composé de la rhétorique, de la logique et de la grammaire. Ces trois voies s’intéressent au langage en tant qu’il permet d’effectuer quelque chose, ne prêtent attention à son fonctionnement qu’en tant qu’il est mis au service d’autre chose : La rhétorique étudie la force que le langage peut avoir sur un auditoire, elle

étudie son efficacité et sa capacité de persuasion. La logique étudie les moyens langagiers permettant d’accéder à la

connaissance. La grammaire observe la langue écrite en tant qu’elle permet d’accéder aux

textes écrits dans cette langue.

B. ZOOM SUR LA GRAMMAIRE ANTIQUE

Dès l’Antiquité, un savoir grammatical particulier se crée, puisqu’il faut des grammairiens pour étudier la langue écrite. Les manuels de grammaire apparaissent, et certains d’entre eux vont traverser l’Antiquité pour arriver au Moyen-Âge. Parmi eux, deux grandes grammaires fondamentales : la Tekhnê de Denys le Thrace (2e siècle ACN) et l’Ars grammatica de Donat (4e siècle PCN). Les termes de tekhnê et d’ars signifient « pratique concrète » : la grammaire originelle n’a pas d’ambition théorique, mais une finalité pratique que ces manuels affichent, à savoir pouvoir décrire des faits de langue écrits et accéder à des textes littéraires.

a. LA TEKHNÊ DE DENYS LE THRACE

Cette grammaire est l’une des premières du monde occidental. Nous en avons retenu une chose fondamentale toujours d’actualité en grammaire scolaire : la notion de partie du discours. En effet, Denys le Thrace est le premier à les avoir identifiées et classifiées, chacune de ces parties se caractérisant par le type d’accident (casus en latin, ptôsis en grec ; un accident peut être défini comme ce qui est susceptible d’affecter

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et de modifier la forme d’une partie du discours) qu’elle peut recevoir (exemple : les cas en latin).

La Tekhnê est une grammaire qui s’en tient au niveau élémentaire du mot, sans envisager les relations qu’ils peuvent avoir entre eux. Son canevas sera repris par plusieurs grammairiens latins tels que Varron, Priscien et (surtout) Donat.

b. L’ARS GRAMMATICA DE DONAT

Ce monument de la tradition grammaticale occidentale sera employé jusqu’à la Renaissance. La raison de son succès est qu’il est très didactique : non seulement il est divisé en ars minor (résumé) et ars maior (exhaustif), mais en plus il fonctionne par questions/réponses (technique toujours employée dans la grammaire scolaire).

La diffusion de cette grammaire, qui est une description du latin classique, permettra à cette langue de perdurer, puisqu’elle en transmettait la norme. Ainsi, à la Renaissance, les humanistes ont pu pratiquer le latin dans une forme très comparable à celle du latin classique en se basant sur les règles données par Donat dans son Ars : contrairement à la Tekhnê, l’Ars a une visée normative.

Si l’Ars permet au latin de se diffuser et de se préserver, il servira également de modèle aux premières grammaires des variétés non latines (langues romanes, par exemple). Le transfert du latin à la langue non latine (le français, dans notre cas) s’effectue comme suit :

On traduit tout d’abord en français les explications grammaticales de Donat. L’objet étudié est toujours le latin, mais le métalangage ne l’est plus.

On traduit ensuite les exemples. La frontière est maintenant très mince entre une grammaire latine en français et une grammaire française tout court.

On supprime finalement les formes latines pour ne garder que le français. Le Donait françois, qui date du 15e siècle, est la première grammaire du français, et directement dérivée de la structure de l’Ars grammatica.

Cette traduction progressive du latin au français présente néanmoins un problème majeur : une grammaire étant une grille conceptuelle plus ou moins ajustée à la description d’une langue particulière, ce qui convient au latin ne convient pas forcément au français ! Exemple : le cas. Pertinent en latin, il ne convient pas du tout au français. Conséquence ? Les grammairiens du français vont s’acharner à trouver des cas dans une langue qui n’en a pas : « le », au lieu d’être un article, sera vu comme la marque du nominatif ; « de », comme la marque du génitif, etc. Ils mettront du temps avant de se débarrasser de ce système totalement inadapté.

C. AU MOYEN-ÂGE : LES GRAMMAIRIENS MODISTES

Cet autre type de grammaire est beaucoup plus spéculatif et ne prend pas pour objet une langue en particulier, mais réfléchit sur le langage dans sa généralité : on cherche à comprendre la manière dont le sens fonctionne dans le langage, à définir des catégories grammaticales universelles. Avec les modistes, on quitte la description pour entrer dans la réflexion grammaticale.

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On appelle ces grammairiens les « modistes » en raison des traités qu’ils rédigeaient : De modis significandi (« au sujet des manières de produire du sens », littéralement). Différencions les modi signandi, les manières de désigner (on se situe ici au niveau du mot et des concepts), des modi significandi, les mises en relation des mots pour former une unité de sens supérieure. En insistant sur ce second aspect, les modistes franchissent le pas entre une grammaire du mot et une syntaxe phrastique.

D. LA RENAISSANCE

a. CONTEXTE CULTUREL

Cette époque présente une série de mutations importantes qui conditionneront la réflexion sur le langage.

1. OPPOSITION STRUCTURANTE ENTRE LANGUES ANCIENNES ET VERNACULAIRES

En redécouvrant les langues de l’Antiquité (latin, grec, hébreu) dans leur variété la plus classique, on s’aperçoit que ce sont désormais des langues mortes puisqu’elles ne correspondent plus à l’usage contemporain. Par contre, les langues vernaculaires, langues maternelles de la communauté servant aux usages quotidiens, sont le fondement identitaire de la communauté en question, pas ces langues mortes qui ne sont plus connues que d’une élite restreinte.

On se rend compte que les langues vernaculaires souffrent d’un déficit de légitimité par rapport aux langues anciennes, alors qu’elles sont malgré tout importantes pour les locuteurs. Il convient donc de les préserver en tant qu’objets de savoir et les doter d’un prestige. 1303 : DANTE ALIGHIERI, De vulgari eloquentia (« de l’éloquence du (parler) vulgaire »).

2. RIVALITÉS POLITICO-CULTURELLES

A cette époque, des rapports de rivalité s’établissent entre des Etats-nations en formation, où commence à émerger une conscience nationale. Dans ces rapports, la langue joue un rôle symbolique fondamental puisqu’elle permet aux nations de se mesurer entre elles. Devenue un emblème du pouvoir politique, symboliquement investie de valeurs, facteur de reconnaissance pour le peuple, la langue mérite d’être illustrée et défendue. 1549 : JOACHIM DU BELLAY, Deffence et illustration de la langue françoyse.

3. INVENTION DE L’IMPRIMERIE

Bien loin de n’être qu’une invention technique, l’imprimerie va avoir une influence considérable sur notre rapport au langage parce qu’elle pousse à stabiliser et uniformiser les formes linguistiques, en particulier les graphies. Si l’on décide d’imprimer un texte en français, il faut d’abord se mettre d’accord sur la variété à employer. La variété devient norme, cette norme se diffuse.

b. PREMIÈRES GRAMMAIRES VERNACULAIRES

Chacun des trois éléments précédents peut être rattaché à une grammaire :

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JOHN PALSGRAVE, L’esclarcissement de la langue françoyse, 1530. Cette grammaire est l’une des premières du français, rédigée à l’usage d’Anglais désirant apprendre cette langue. A l’époque, le vernaculaire français était donc considéré comme assez prestigieux pour être enseigné en tant que langue étrangère.

ANTONIO DE NEBRIJA, Gramática de la lengua castellana, 1492. Cette grammaire du castillan (espagnol) est étroitement liée au prestige de la cour de Castille, l’une des plus importantes de la péninsule ibérique à l’époque. Le but politique poursuivi par la rédaction de cette grammaire, à savoir préserver et valoriser la langue castillane, était évident pour les contemporains.

LOUIS MEIGRET, Tretté de la grammere françoèze, 1550. L’auteur cherche ici à fixer l’orthographe de la langue française en la systématisant de la manière la plus rationnelle et la plus efficace possible. Pour cela, il a travaillé avec un typographe (d’où le rapport avec l’imprimerie). Cette tentative n’eut pas de succès.

c. COMPILATIONS LINGUISTIQUES

Avec la découverte de mondes nouveaux, donc de peuplades nouvelles et de langues inconnues, on se rend compte du grand nombre de langues existantes. La Réforme religieuse ayant pour ambition d’évangéliser ces peuples, il devient nécessaire de connaître les langues qu’ils parlent. On se met à décrire abondamment un nombre sans cesse croissant de langues.

Apparaissent alors les compilations linguistiques : il s’agit d’y inventorier le plus possible de langues et d’observer leurs usages dans le monde connu, avec une visée pratique (à savoir l’évangélisation).

Une célèbre compilation linguistique est le Mithridates de Conrad GESSNER (1555), qui propose 27 versions du Notre père. Si l’ambition pragmatique est clairement affichée, ce recueil fournit un matériau précieux pour la description linguistique et intéressant pour le comparatisme (contrairement aux grammaires, qui ne traitent que d’une seule langue).

Avec cette idée de comparer le même texte en plusieurs langues différentes, on dépasse le stade de la description grammaticale pour mettre en évidence les principes communs sur lesquels elles reposent. On retrouve donc, après les modistes, un jalon de réflexion générale sur le langage.

2. L’ÉPOQUE CLASSIQUE

A. LA GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET RAISONNÉE DE PORT-ROYAL (1660)

Rédigée dans un important foyer intellectuel et religieux de l’époque (Port-Royal) par des jésuites, cette grammaire se situe dans la lignée des modistes.

La réflexion de ces jésuites est axée autour d’une association étroite qu’ils postulent entre langage et pensée. En effet, selon eux, l’expression linguistique n’est qu’un reflet des logiques du raisonnement. Décrire le langage revient donc à décrire la pensée ; arriver à comprendre comment il fonctionne, c’est comprendre le fonctionnement de la pensée. Cette

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approche peut être définie comme mentaliste et universalisante de la grammaire. Mentaliste, parce qu’elle part du principe que le langage n’est qu’une excroissance de la pensée ; universalisante, parce qu’une description de la pensée (donc du langage) est commune selon eux à toutes les langues. Cette hypothèse est caractéristique du 17e

siècle, où tout est envisagé comme universel, mais n’est plus du tout considérée comme valide par les linguistes actuels.

Selon les jésuites de Port-Royal, trois opérations mentales sont possibles : concevoir, juger et raisonner. L’on peut mettre chacune de ces trois opérations en rapport avec le langage : le stade de la conception n’a pas forcément de traduction langagière (selon eux, il est possible de concevoir une notion sans en donner une traduction linguistique) ; le jugement doit avoir une traduction linguistique, qui est la proposition (émettre un jugement est émettre une proposition, donc du matériau linguistique) ; quant au raisonnement, il est le fruit de la combinaison de plusieurs jugements. Cette vision du langage mène à quitter la grammaire du mot pour arriver à la syntaxe de l’énoncé.

EXTRAIT DE LA GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET RAISONNÉE :

« Jusqu’ici, nous avons parlé des mots qui signifient les objets des pensées : il reste à parler de ceux qui signifient la manière des pensées, qui sont les verbes, les conjonctions et les interjections.

La connaissance de la nature du verbe dépend de ce que nous avons dit au commencement de ce discours, que le jugement que nous faisons des choses (comme quand je dis : La Terre est ronde) enferme nécessairement deux termes, l’un appelé sujet, qui est ce dont on affirme, comme Terre ; et l’autre appelé attribut, qui est ce qu’on affirme, comme ronde ; et de plus, la liaison entre ces deux termes, qui est proprement l’action de notre esprit qui affirme l’attribut du sujet. »

(Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal, Paris, Allia, 2010, p. 103)

Les grammairiens de Port-Royal vont également développer la notion de complément, l’un des constituants principaux de la phrase. Ce cadre, qu’on trouve encore dans la grammaire traditionnelle (phrase = sujet + verbe + complément), sera par la suite abondamment repris.

3. LE 19E SIÈCLE

A. UNE MUTATION ÉPISTÉMOLOGIQUE GÉNÉRALE

Le 19e siècle se caractérise par un changement radical dans la manière de construire la connaissance : elle sera dorénavant établie à partir de faits objectifs (méthode inductive : partir des faits pour essayer d’en tirer une loi générale) et sera attentive à la temporalité (nous sommes au siècle de l’Histoire).

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B. LA GRAMMAIRE HISTORICO-COMPARATIVE

Ces deux caractéristiques prennent la forme d’une obsession bien particulière chez les linguistes de l’époque : retrouver la langue-mère, la langue originelle, à savoir l’indo-européen. Pour cela, il s’agira de comparer le plus grand nombre de langues possibles et d’y établir des correspondances systématiques pour retrouver l’étymon originel. Pour être parlantes, ces correspondances doivent porter sur au moins deux termes différents ayant des points communs et être issues du lexique fondamental (famille, nature). Elles sont essentiellement phonétiques : il s’agit d’établir des lois à partir desquelles on peut reconstituer les langues par prédiction rétrospective (reconstitution probable mais hypothétique des mots tels qu’ils devaient avoir existé en indo-européen).

EXEMPLES DE COMPARAISONS ET DE CORRESPONDANCES

CONJUGAISON DU VERBE « PORTER »

SANSKRIT GREC LATIN ANCIEN IRLANDAIS

1re PS bharami phero fero biru2e PS bharasi phereis fers biri3e PS bharati pherei fert birid1re PP bharamas pheromen ferimus birmi2e PP bharatas pherete fertis birthe3e PP bharanti pherousi ferunt birit

CORRESPONDANCES ENTRE LES MOTS

LATIN NÉERLANDAIS ANGLAIS

père Patrem Vater Fatherpoisson Piscem Vis Fish

Néanmoins, la grande question des indo-européanistes demeure : est-ce que les lois phonétiques permettent vraiment de connaître ce qu’a été l’indo-européen, ou n’arrivent-elles qu’à un modèle artificiel et probable, un prototype ?

C. TYPOLOGIE DES LANGUES

On doit à l’Allemand Wilhelm von HUMBOLDT une typologie pertinente pour décrire le fonctionnement des langues sur le plan morphosyntaxique. Trois groupes de langues sont identifiables.

Les langues isolantes, où la forme des mots varie très peu. L’ordre des mots dans la phrase est par conséquent rigide : il permet de comprendre les rapports qu’ils entretiennent. L’information grammaticale n’est pas donnée dans les mots en eux-mêmes, mais dans l’ordre de la phrase. Exemple de langue isolante : le français, où les seules variations décelables sont celles du genre et du nombre (informations grammaticales peu importantes).

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Les langues flexionnelles, dans lesquelles les mots ont une partie morpholexicale stable (le radical) à laquelle on ajoute des désinences variables. L’information grammaticale porte sur le mot et sur sa forme, ce qui rend la position dans la phrase beaucoup plus libre. Exemple de langue flexionnelle : le latin.

Les langues agglutinantes, dans lesquelles les mots sont constitués d’une série de petites parties qui s’agglutinent les unes aux autres, chacune étant porteuse d’une information grammaticale bien précise. Les langues agglutinantes sont proches des langues flexionnelles mais, contrairement à celles-ci où plusieurs informations sont contenues dans la désinence (exemple : lat. –ibus, datif/ablatif pluriel), chacune des informations grammaticales est contenue dans une partie bien précise du mot. Notons qu’il est possible d’agglutiner à peu près infiniment, ce qui mène à des mots très longs comportant beaucoup d’informations grammaticales. Exemple de langue agglutinante : le turc. Exemple de mot agglutiné : evleri (ev : maison, ler : pluriel, i : possession ; traduction : des maisons en tant qu’elles sont possédées).

4. LE 20E SIÈCLE

A. LE COURS DE LINGUISTIQUE GÉNÉRALE DE F. DE SAUSSURE

a. FERDINAND DE SAUSSURE

Le père de la linguistique n’a laissé que fort peu d’écrits, qui nous sont parvenus indirectement (publication de ses Cours à partir des notes de ses étudiants). L’homme en lui-même est difficile à cerner, pour ne pas dire paradoxal : il apparaît comme un météore surgi de nulle part pour révolutionner la linguistique, mais est extrêmement pris dans les débats de son temps où le paradigme de la grammaire historico-comparative est dominant. Baigné dans la grammaire historico-comparative, Saussure s’en détache et construit son projet à rebours, dans une opposition parfaite à la grammaire. Son travail et ses idées vont féconder d’autres disciplines en-dehors de la linguistique : il est à la base du structuralisme, doctrine qui marquera toutes les sciences humaines.

b. UNE RÉCEPTION COMPLEXE

La publication du Cours de Saussure est discrète et indirecte : indirecte, parce qu’elle a été réalisée par ses collègues Charles BALLY et Albert SÉCHEHAYE à partir de notes d’étudiants ; discrète, parce qu’elle n’aura dans un premier temps que très peu d’écho et d’impact sur la communauté des linguistes en France. Les idées de Saussure se répandent de manière périphérique, via des chercheurs tels que Louis HJELMSLEV (danois) et Roman JAKOBSON (tchèque), deux figures centrales de la linguistique au 20e siècle, qui leur donneront un retentissement mérité.

Après s’être diffusées en France à parti des années ’50 (le cours a été publié en 1916), ces idées finissent par avoir un succès massif et un impact important, surtout hors du champ de la linguistique, au point de devenir une référence incontournable du

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structuralisme, courant qui imprègne les sciences humaines : pour ne citer qu’eux, Claude LÉVI-STRAUSS (anthropologue), Roland BARTHES (critique littéraire), Jacques LACAN (psychanalyste) et Michel FOUCAULT (philosophe), structuralistes, appliqueront les idées de Saussure dans leurs domaines respectifs.

Aujourd’hui, la pensée de Saussure bénéficie d’un retour philologique : on essaie de retrouver le Saussure authentique, sachant que le Cours de linguistique générale n’est pas basé sur ses écrits, mais sur les notes prises par ses étudiants. A partir des manuscrits de Saussure, on cherche à retrouver l’authenticité de sa pensée.

B. LA PENSÉE SAUSSURIENNE

Saussure bouleverse plusieurs choses dans notre manière de réfléchir sur le langage, et pose entre autres trois grands gestes épistémologiques décisifs. Il modifie ainsi les conditions d’étude et de connaissance du langage.

« C’est le point de vue qui crée l’objet. »

Cette simple phrase amène un changement radical dans les manières qu’avaient alors les linguistes d’approcher la réflexion sur le langage. En effet, jusqu’alors, le grammairien historico-comparatiste collectait des faits, se plaçait face à des données empiriques, mais ne se posait pas de question quant à l’objet. Saussure dénonce cette illusion : la langue n’est pas un objet donné sur un plateau d’argent, mais le résultat d’une modélisation à partir d’un point de vue particulier.

Prenons par exemple le mot « fruit », à partir duquel nous allons pouvoir concevoir plusieurs objets d’étude différents. On peut l’envisager comme une suite des sons (/frwi/ vs /frwa/), comme renvoyant à un certain concept (« fruit » vs « légume ») ou encore comme le résultat d’une évolution phonétique particulière à partir du lat. fructum).

« Toute généralisation est impossible tant qu’on n’a pas séparé l’état de sa genèse. »

L’exemple précédent reflète deux points de vue, selon Saussure : les deux premiers portent sur un état de langue (point de vue synchronique), tandis que le troisième porte sur la genèse du mot (point de vue diachronique). Cette distinction, posée par Saussure, est capitale : elle lui permet, en choisissant la synchronie, de s’opposer à la grammaire historico-comparative. La linguistique de Saussure ne se préoccupe que des états de langue, sans prendre en considération ses états antérieurs ni vouloir prévoir ses états futurs.

Cela dit, nuançons : on peut avoir des synchronies d’extension assez variable, une synchronie étant un laps de temps pendant lequel la langue est considérée comme stable, ou du moins où les variations sont assez peu nombreuses. Mais la synchronie privilégiée est souvent l’état contemporain de la langue (temps T du linguiste).

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« Aucune démonstration n’est possible sans une simplification conventionnelle des données. »

En dépit du choix de la synchronie, il reste une difficulté : même dans un état de langue, les données sont trop hétéroclites pour pouvoir être étudiées brutes : pour un même mot, il y a beaucoup de manières différentes de prononcer, beaucoup de contextes différents où la notion est employée, peut-être des tendances de changement qui affectent le sens de ce mot ou sa prononciation. Le 3e geste épistémologique de Saussure est un principe d’abstraction : le fait synchronique observé n’est pas l’infinie variété des réalisations linguistiques concrètes, mais une modélisation : le linguiste synchronique néglige les changements dans le temps (cf. point précédent), comme il néglige aussi les variations dans l’espace (variations diatopiques), dans la société (variation diastratiques), dans les contextes d’usage (variation diaphasique). Saussure fait comme si tous les locuteurs d’une même langue avaient la même pratique effective.

C. UNE ARCHITECTURE CONCEPTUELLE PUISSANTE

Les concepts de Saussure sont tellement généraux et abstraits qu’ils vont pouvoir être appliqués à d’autres objets que le langage. Voyons plus en détail en quoi consistent ces principes.

1. LANGUE VS PAROLE

Parole : activité concrète et individuelle, ensemble virtuellement infini des énoncés particuliers ; la parole est soumise à la variation et donc inanalysable ; mise en œuvre singulière (écrite ou orale) du système abstrait qu’est la…

Langue : modélisation abstraite des faits de parole, dimension collective : « la langue est un fait social » : la langue est l’une des institutions qui servent de fondement à une communauté, c’est le modèle abstrait dans lequel la communauté accepte de se reconnaître. Modélisation, donc lieu de la systématicité, observable scientifiquement.

Cela dit, nuançons : la parole demeure le matériau premier du linguiste, à partir duquel il extrait la langue. Autre nuance : toute parole renvoie au système de la langue, sans quoi il n’y aurait pas d’intercompréhension. La position de Saussure sera donc extrêmement critiquée, surtout dans la seconde moitié du 20e siècle (cf. infra).

2. SYSTÈME VS VALEUR : UN POINT DE VUE IMMANENT

Chez Saussure, la notion de système est corrélée à celle de valeur. Les unités linguistiques ne se définissent que de manière relationnelle (c’est-à-dire par les relations qu’elles entretiennent avec les autres unités, pas avec les objets du monde auxquels elles renvoient). Les objets étrangers au langage ne donnent pas de valeur à une unité du système.

Pour mieux faire comprendre cette abstraction, Saussure utilisait la métaphore du jeu d’échecs, bel exemple d’un système immanent : chaque pièce du jeu définit sa valeur par

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opposition aux autres unités de ce même jeu (par exemple, le cavalier s’oppose aux autres pièces par la forme de ses déplacements, mais ne peut pas être mis en rapport avec un vrai cavalier).

Un exemple langagier : le mot « fruit » définit sa valeur non pas par rapport à l’objet du monde qu’il désigne, mais par opposition à d’autres unités du système linguistique français telles que « légume », « viande », etc.

Un signe étant d’abord ce que les autres signes ne sont pas, la linguistique est attentive aux différences dans le système linguistique. Par exemple, « louer » s’oppose en français à « acheter » ; mais en allemand, il existe deux termes pour dire « louer » : un du point de vue du locataire (mieten) et un autre du point de vue du propriétaire (vermieten) qui s’opposent entre eux en plus de s’opposer à « acheter » (kaufen). Le découpage du spectre notionnel varie donc selon les langues.

3. SIGNIFIANT ET SIGNIFIÉ

Les relations d’opposition peuvent se faire soit du point de vue du signifiant, soit du point de vue du signifié, l’association étroite et indissociable des deux formant un signe linguistique. Une opposition du point de vue du signifiant : /frwi/ vs /frwa/ (matérialité sonore du mot) ; une opposition du point de vue du signifié : « fruit » vs « légume » (image mentale à laquelle le signe renvoie).

La poésie et la poésie exploitent souvent le matériau signifiant de la langue, à des fins soit esthétiques, soit de persuasion :

« Nous, c’est le goût. » (Quick)« Ba-ba-ba, ba-Ba-bylel » (Babybel)

« Nel mezzo del camin di nostra vita,Mi ritrovai per una selva oscuraChé la diritta via era smarritaAhi quanto a dir qual era è cosa duraEsta selva selvaggia e aspra e forteChe nel pensier rinova la paura ! »(DANTE ALIGHIERI, Inferno)

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4. PRINCIPE D’ARBITRARITÉ

Selon Saussure, la nature du lien reliant signifiant et signifié est purement arbitraire : il ne répond à aucune nécessité naturelle mais est fixé par convention au sein de la communauté. « Arbitrarité » ne signifie donc pas que tout un chacun est libre de modifier cette convention, mais que tous les locuteurs d’une même communauté s’accordent pour reconnaître que telle suite de sons renvoie à tel concept, sans remise en question. La meilleure preuve du principe d’arbitrarité réside dans le fait que toutes les langues emploient des suites de sons différentes pour renvoyer à des objets identiques.

Une seule exception, à ce principe d’arbitrarité : les onomatopées, motivées par l’objet auquel elles renvoient. Cela dit, cette exception est toute relative, puisque les onomatopées varient selon les langues :

Première vignette : françaisSeconde vignette : anglaisTroisième vignette : néerlandaisQuatrième vignette : italienCinquième vignette : ?Sixième vignette : ?

Autre nuance : un signe peut, à l’origine, être une onomatopée, puis perdre cette motivation par évolution phonétique. Exemple : lat. pipio > fr. pigeon.

5. PRINCIPE DE LINÉARITÉ

Ce principe est simple : le signifiant est de nature auditive, donc se déroule dans la temporalité, dont il emprunte les caractéristiques. Il se présente donc comme une succession de sons, ce qui permet d’opposer la langue à d’autres systèmes de signes, qui fonctionnent par exemple sur le canal visuel (pas de syntaxe linéaire, mais une syntaxe tabulaire : les unités ne sont pas en relation d’antériorité/postériorité, mais peuvent être présentes simultanément).

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D. NAISSANCE DU STRUCTURALISME

Les concepts posés par Saussure pour décrire la langue vont s’appliquer non seulement à d’autres systèmes de signes, mais aussi à d’autres sciences humaines :

ALGIRDAS JULIEN GREIMAS (sémiologue) amorce le mouvement du structuralisme dans les années 50 en reprenant les principes de Saussure ;

CLAUDE LÉVI-STRAUSS, le plus grand anthropologue du 20e siècle, applique les principes de Saussure à sa discipline pour décrire les populations primitives, notamment le fonctionnement de leurs mythes.

JACQUES LACAN (psychanalyste) applique à la description de l’inconscient les principes de Saussure, car il pense que « l’inconscient est structuré comme un langage ».

ROLAND BARTHES, l’un des plus grands théoriciens littéraires du siècle, va s’inspirer des idées de Saussure pour analyser les récits littéraires comme des systèmes immanents. Il s’est également signalé en publiant Le système de la mode (1976), où il montre que celle-ci est structurée par diverses oppositions (il développe donc une sémiologie de la mode).

E. L’APRÈS SAUSSURE : CONTRE-PROPOSITIONS

Alors que se développe le structuralisme, d’autres spécialistes prennent le contrepied des idées de Saussure en reprenant les phénomènes de variation que ce dernier a délaissés et en soutenant que la linguistique doit aussi s’y intéresser. Les deux phénomènes en question sont le sujet parlant et le contexte, que Saussure avait éliminés parce qu’ils faisaient de la langue un objet variable. Les contre-saussuriens vont réintroduire ces deux paramètres dans l’étude de la langue, car ils voient davantage celle-ci comme un usage concret dans un contexte précis et visant des objectifs particuliers que comme une chose abstraite.

a. EMILE BENVENISTE ET LA LINGUISTIQUE DE L’ÉNONCIATION

Actif dans les années ’50 et ’60, il sera à l’origine de tout un courant actuellement appelé la « linguistique de l’énonciation ». Il se distingue de la linguistique saussurienne sur ce point : selon Benveniste, les énoncés, résultats d’un acte d’énonciation, ne peuvent être compris que quand celui-ci est pris en considération dans l’étude de ceux-là : il laisse des traces dans l’énoncé (coordonnées spatio-temporelles, rapport d’interlocution particulier, subjectivité de l’énonciateur).

Un exemple : « Je viendrai demain t’apporter un beau livre. » Voyons les marques de l’énonciation…

« Demain » est une coordonnée spatio-temporelle très précise, son sens ne peut être interprété qu’en connaissant le temps T de l’énonciation ;

« Je » et « t’ » ne peuvent être compris qu’en connaissant la situation de communication ;

« Beau » marque la subjectivité du locuteur.

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b. JOHN AUSTIN ET LA PRAGMATIQUE

La pragmatique est le pendant de la linguistique de l’énonciation : elle envisage l’impact réel que peut avoir un énoncé sur le monde qui l’entoure. Austin met également au point le concept d’énoncé performatif (énoncés qui ne font pas que désigner un objet du monde ou un concept, mais qui réalisent vraiment une action). Exemple : « Je vous déclare mari et femme. »

c. WILLIAM LABOV ET LA SOCIOLINGUISTIQUE

Au contraire de Saussure, qui postule que tous les locuteurs parlent la même langue, Labov soutient que tout système linguistique n’est pas homogène, mais stratifié, et que cette stratification peut être corrélée à une stratification sociale. Exemples : « J’ai kiffé grave la meuf dans le tromé. » (français « de banlieue ») vs « J’ai trouvé la fille dans le métro très jolie. » (français standard) vs « Mon regard s’est attardé durant plusieurs minutes sur une charmante demoiselle dans les transports en commun. » (français recherché).

5. RÉCAPITULATIONS TRANSITOIRES

A. LES INTERROGATIONS PROFANES SUR LE LANGAGE

A côté de l’interrogation savante sur le langage, il y a les questions que tout un chacun peut se poser, qui ont traversé les siècles et font partie d’un imaginaire populaire. Bien qu’elles demeurent des universaux, elles sont délibérément écartées par les communautés scientifiques :

Article 2 des statuts de la Société Linguistique de Paris, 1866 :« La société n’admet aucune communication concernant soit l’origine du langage, soit la création d’une langue universelle. »

Ces questions sont principalement l’origine du langage, l’arbitraire du langage (étymologie populaire) et la question de l’universalité.

1. L’ORIGINE DU LANGAGE

Cette question comporte un important arrière-fond chrétien, composé de trois épisodes de la Genèse : la création d’Adam par Dieu (donc celle d’une langue, la langue adamique), celui de la tour de Babel (punition de Dieu, qui mélange les langues des hommes) et celui du Déluge (qui explique la dispersion géographique des différentes langues mélangées à l’épisode précédent).

2. L’ARBITRAIRE DU LANGAGE

Le mythe fondateur de cette question est le dialogue du Cratyle de Platon. Ce dialogue met en scène deux personnages, Cratyle et Hermogène, qui ont deux points de vue différents sur le rapport entre le langage et les choses : Cratyle soutient qu’il y a une

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motivation à l’extrême (d’où le cratylisme, la croyance que les mots collent à la réalité des choses) tandis qu’Hermogène est dans la position de l’arbitrarité totale.

Bien qu’il soit prouvé que le langage soit complètement arbitraire, le cratylisme va continuer à obséder l’imaginaire populaire à travers les siècles. Un avatar contemporain de cette obsession est l’étymologie populaire, dans laquelle on cherche à rattacher les mots et les réalités auxquelles ils renvoient. Exemple : choucroute = chou qui forme une croûte ? (En réalité, ce mot vient de l’allemand sauerkraut.)

3. LA QUESTION DE L’UNIVERSALITÉ

Cette question est liée à celle de l’origine du langage : si on cherche à identifier la langue originelle, c’est qu’on a la nostalgie d’une langue universelle. Cette question a connu deux volets : le projet de réaliser concrètement une langue universelle comprise par tous, qui a eu quelque succès au début du 20e siècle dans des langues artificielles telles que l’esperanto ou le volapuk ; et le versant plus politique, qu’illustre par exemple au 18e siècle Antoine de RIVAROL, auteur du Discours sur l’universalité de la langue française (1784) où il « prouve » que la langue française est une langue que tout le monde devrait parler, donc universelle. Accorder à une langue en particulier un privilège d’universalité qu’on cherche à justifier par ses propriétés internes, c’est un instrument de domination politique.

B. LES MODALITÉS DU GÉNÉRAL DANS LA RÉFLEXION SUR LE LANGAGE

Nous avons donné trois réponses à cette question :

Le général peut être une généralisation empirique : c’est la méthode inductive de la grammaire historico-comparative, qui part d’une accumulation empirique pour donner une idée générale du fonctionnement du langage.

Le général peut être une généralité principielle, une généralité des principes abstraits, comme par exemple le principe d’arbitrarité du saussurisme. Dans ce cas-là, il s’agit d’énoncer des principes très généraux qui s’appliqueront ensuite à l’ensemble des faits de langage.

L’acception la plus actuelle du souci de généralité est celle d’interdisciplinarité : la connaissance du langage implique une multitude de points de vue (psycho-, socio-, neuro-, pragmatique, interactionnels, etc.) qui, mis bout à bout, permettent de donner une image générale (au sens de « globale ») du fonctionnement du langage. Cette pluralisation de la linguistique est sensible dans l’appellation actuelle « sciences du langage ».

C. LES GRANDES OPPOSITIONS TERMINOLOGIQUES

Ces oppositions permettent de situer la linguistique.

Une première opposition peut être faite entre philologie, grammaire scolaire et linguistique, qui s’opposent en termes de type de connaissance poursuivi : la philologie cherche à reconstruire un texte écrit, la grammaire scolaire, à dicter une norme, et la linguistique a un objectif descriptif.

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Quatre autres oppositions peuvent être faites dans la branche linguistique : Historique (point de vue diachronique) vs synchronique (état actuel de la

langue) ; Particulière vs contrastive vs générale (qui n’a pas été commentée, mais est

sensible au fil du cours) : la linguistique générale cherche à éclairer le fonctionnement du langage, quelle que soit la langue donnée ; la linguistique particulière a pour objectif la description d’une langue précise et la linguistique contrastive compare les fonctionnements de plusieurs langues ;

Théorique vs appliquée. Nous nous situons essentiellement dans le champ de la linguistique théorique, mais tout un pan de la linguistique a pour objectif la résolution d’un problème concret. Un exemple de linguistique appliquée : la mise au point d’un logiciel de traitement automatique du langage, ou encore la création de nouvelles terminologies ;

Immanente vs énonciative et pragmatique : la linguistique immanente envisage la langue comme un système de signes dont la description peut être menée sans faire intervenir d’éléments extérieurs à ce système, tandis que les orientations énonciatives et pragmatiques débordent le cadre strict du système de signes pour envisager ses usages par des locuteurs dans des situations concrètes.

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III. LES SYSTÈMES SÉMIOTIQUES

1. PRÉALABLES

A. LA LANGUE : OBJET VOCAL, OBJET SOCIAL

La langue est un objet vocal, ce qui signifie que la communication exploite le canal auditif. C’est cette communication qui est étudiée par les linguistes, pas sa transcription écrite (qui est un autre code, très différent).

Pour l’étudier, les linguistes sont obligés de passer par des simplifications conventionnelles : s’occuper d’un objet vocal, c’est se mettre face à une série de difficultés notamment dues au fait que ces données doivent être étudiées dans un contexte de communication et qu’elles sont sans cesse modifiées ou complétées par d’autres données, qui sont paraverbales voire non-verbales : ce peut être des gestes, des postures, une distance entre les interlocuteurs,… Ces données viennent compléter ou contredire l’énoncé. Il faudrait donc en tenir compte, mais ce n’est pas possible (bien qu’actuellement, des domaines se spécialisent dans leur étude).

La langue est également un objet social, ce qui signifie au moins trois choses :

Etant une institution sociale parmi d’autres, elle peut faire l’objet d’une politique linguistique : réformes orthographiques, législations linguistiques (parfois très sévère), etc.

Elle varie dans et en fonction de la société : utiliser le langage, c’est se signaler socialement.

Elle remplit des fonctions sociales, en particulier celle de communication. Pour cela, la langue fonctionne sur la base d’un code suffisamment riche pour communiquer des expériences individuelles extrêmement différentes, mais suffisamment économique pour être partagé.

B. LA DOUBLE ARTICULATION DU CODE LINGUISTIQUE

Pour être à la fois riche et économique, le langage est doublement articulé : des unités de première (composées d’un signifiant et d’un signifié) et de seconde articulation (composées uniquement d’un signifiant) s’articulent pour le constituer.

1. LES UNITÉS DE PREMIÈRE ARTICULATION

Le flux expérientiel est quelque chose de singulier et de continu dans lequel on découpe une série d’unités significatives (dites « de 1re articulation »). C’est à ce niveau du langage qu’on trouve les signes linguistiques (assemblage d’un signifiant et d’un signifié), que nous appellerons provisoirement « mots ». Nous passons donc de quelque chose d’incommunicable à quelque chose de communicable, mais ces unités, organisées en liste ouverte, sont en très grand nombre et susceptibles de varier facilement . C’est insuffisant pour communiquer avec économie.

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2. LES UNITÉS DE SECONDE ARTICULATION

Le deuxième niveau d’articulation découpe uniquement le signifiant (la matière sonore) des unités de première articulation. On obtient ainsi une liste fermée de phonèmes, des unités distinctives : aucun signifié n’y est rattaché, mais elles permettent de différencier entre elles des unités de 1re articulation. Ces oppositions entre phonèmes sont le socle du fonctionnement d’une langue, on n’en ajoute pas (ou n’en retire pas) comme on veut, contrairement aux unités de 1re articulation. En outre, ces phonèmes sont peu nombreux : il en existe une trentaine en français, contre 100 000 mots…

REMARQUES

Ce principe de double articulation permet de mieux comprendre l’arbitrarité du langage : la langue est toujours doublement articulée, mais cette double articulation se réalise différemment selon les langues, chacune découpant différemment l’expérience.

Notons que d’autres systèmes de communication ne vont pas forcément recourir à ce principe de codage par double articulation : une telle sophistication n’est pas nécessaire lorsque ce qu’il y a à communiquer n’est pas élaboré.

Le degré de formalisation diffère selon les plans, ce qui signifie qu’étant donné que les unités significatives sont extrêmement nombreuses et variables, les oppositions entre elles seront moins faciles à décrire que celles entre les unités de 2e articulation, beaucoup plus facile à décrire parce que moins nombreuses et plus stables.

C. SYNTAGME VS PARADIGME : UNE OPPOSITION QUI STRUCTURE TOUTE LA GRAMMAIRE

Les unités, qu’elles soient de 1re ou de 2e articulation, peuvent entretenir entre elles deux types de relation :

Les relations syntagmatiques : elles entretiennent ici des rapports de combinaison (elles forment une succession d’unités réalisées effectivement dans un énoncé, donc un syntagme). Ces relations sont sur un axe horizontal, les unités sont en coprésence dans l’énoncé.

Les relations paradigmatiques : ce ne sont pas des relations de combinaison, mais de sélection. En chaque point du syntagme, chaque unité entretient des relations avec les unités qui auraient pu être présentes à sa place à cet endroit. Les unités d’un même paradigme s’excluent donc entre elles.

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Exemple : « Je prends une douche ». On aurait pu y remplacer « je » par d’autres unités de son paradigme telles que « tu », « il », « elle », « on », rien, « quelqu’un », etc. Autre exemple : « je mange une … ». Les points de suspension représentent le paradigme des choses comestibles de genre féminin.

Il est possible d’identifier les paradigmes par le test de commutation : en tel point du syntagme, quelles sont les unités qu’on peut permuter ? Ces unités appartiennent au même paradigme.

Exemple :

je prend(s) une

d ouchetu avale(s) m

il embrasse(s) b

Cette opposition entre syntagme et paradigme structure tous les niveaux de la grammaire d’une langue, aussi bien dans les unités minimales (phonèmes) que dans les grosses portions d’unités.

D. LA THÉORIE DE L’INFORMATION

Toutes les caractéristiques énoncées ci-dessus se comprennent à la lumière de la théorie de l’information : tout message linguistique se conçoit comme une suite d’unités qui viennent apporter une portion d’information, cet apport informationnel étant mesuré à la manière dont l’unité réduit l’incertitude. Ces unités sont caractérisables par une fréquence (nombre de fois où l’unité est employée en discours, par rapport au nombre total d’unités dans un corpus donné) et par un coût (de production, donc une énergie articulatoire, et de stockage mémoriel).

1. LE PRINCIPE D’ÉCONOMIE

Pour organiser des unités en grand nombre dans un code complexe, la langue adopte un principe d’économie : trouver le bon équilibre entre les besoins communicatifs et le coût mémoriel et articulatoire, qu’on veut le plus réduit possible (loi du moindre effort). Elle a donc le choix entre deux stratégies :

Elle peut faire porter le coût sur l’axe syntagmatique en utilisant des unités qui existent déjà et en les combinant d’une manière telle qu’elle puisse

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répondre au nouveau besoin communicatif. Exemple : « machine à laver » vs « Miele ».

Elle peut faire porter le coût sur l’axe paradigmatique en créant un nouveau mot. Exemple : « stylo à bille » vs « Bic », où le surcoût de stockage mémoriel est compensé par le coût très bas d’énergie articulatoire.

Le principe d’économie explique le changement linguistique : lorsqu’une unité voit sa fréquence diminuer, il est fort probable qu’elle disparaisse ou soit remplacée par une unité moins coûteuse sur le plan syntagmatique. A l’inverse, les unités fréquemment employées vont voir leur coût de production réduit : université > unif’, cinématographe > cinéma > ciné)

2. LE PRINCIPE DE REDONDANCE : UNE PARADE AU BRUIT

Dans la théorie de l’information, le bruit est tout ce qui vient empêcher ou gêner la transmission de l’information : ce peut être une difficulté articulatoire, un obstacle sur le chemin de la vision, un problème d’ouïe, etc. Toutes les informations étant gênées par le bruit, il est nécessaire que le message soit redondant (donc qu’il répète les mêmes unités) pour être transmis. Exemple : « les beaux arbres », /l bozarbr/, répète deuxԑ fois la marque du pluriel.

3. RENDEMENT FONCTIONNEL ET CHANGEMENT LINGUISTIQUE

Notons que même les unités de pur signifiant (les phonèmes) ont un rendement fonctionnel : s’il diminue ou est trop faible, il est possible que ces unités disparaissent ou fondent leurs oppositions. Exemple : / / ԑ� vs / / ne présente qu’un faible rendementœ� fonctionnel, puisqu’il ne différencie que deux paires (/br / ԑ� vs /br /, «œ�  brin » vs « brun » ; /apr t/ ԑ� vs /apr t/, «œ�  empreinte » vs « emprunte »), ce qui explique que le Parisien d’aujourd’hui les confonde et prononce uniformément / /.ԑ�

La théorie de l’information est extrêmement importante pour comprendre la double articulation du langage, l’opposition entre syntagme et paradigme, mais aussi l’opposition entre synchronie et diachronie : il y a toujours instabilité du système, ce qui entraîne des changements diachroniques. L’opposition est relative, de même que l’idée que la synchronie désigne un état de stabilité du système.

2. PHONÉTIQUE ET PHONOLOGIE

A. LA PHONÉTIQUE ARTICULATOIRE

L’APPAREIL PHONATOIRE

Deux grandes branches de la linguistique s’occupent des petites unités de la langue : ce sont la phonétique et la phonologie. Voyons tout d’abord la première d’entre elles, la phonétique, qui s’occupe de la production physique des sons. En effet, un son est produit par le passage d’une colonne d’air des poumons à la bouche. Ce passage peut être totalement libre (voyelles), partiellement obstrué (consonnes latérales, vibrantes et fricatives) ou totalement obstrué (consonnes occlusives). L’endroit où a lieu cette

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obstruction, partielle ou totale, du canal est appelé point d’articulation ; l’organe qui bloque le passage de l’air est appelé organe articulateur.

LES CONSONNES

Les consonnes occlusives : elles sont au nombre de neuf, chacune correspondant à une articulation et à un résonateur différent. Du point de vue de l’articulation, les consonnes peuvent être bilabiales (les lèvres se rejoignent pour bloquer le canal buccal, donc le passage de l’air), apico-dentales (la pointe de la langue va toucher les dents pour bloquer le canal) ou dorso-vélaires (le dos de la langue va toucher le voile du palais pour bloquer le canal). En ce qui concerne les résonateurs, il peut soit ne pas y en avoir (consonnes sourdes), soit s’agir ou des cordes vocales (consonnes sonores), ou des fosses nasales (consonnes nasales). Nous obtenons donc un tableau des consonnes occlusives semblables à celui-ci :

bilabiales apico-dentales dorso-vélairessourdes p t ksonores b d gnasales m n ɳ

Les consonnes latérales sont formées avec la pointe de la langue sur le palais dur. En français, la seule consonne latérale est le [l].

Les consonnes vibrantes sont caractérisées par des vibrations. Il s’agit des trois variétés du « r » : [r], [R] et [ ].ᴚ

Les consonnes fricatives (ou spirantes) sont caractérisées par une friction au niveau du point d’articulation (qui peut être l’avant, le milieu ou l’arrière du palais) :

avant milieu arrièresourde f s ʃsonore v z Ʒ

On ajoute à ces consonnes fricatives les glides, ou semi-voyelles, des sons consonantiques continus qui se rapprochent de la voyelle : il s’agit de [j] et [w].

LES VOYELLES

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Pour les classer, il faut prendre en compte l’aperture (degré d’ouverture du canal buccal), l’entrée en jeu d’un éventuel résonateur (fosses nasales ou projection vers l’avant des lèvres) et le point d’articulation.

palatales labialisées vélairesorales nasales orales nasales orales nasales

fermées i y usemi fermées e

ø osemi ouvertes ε ε�ouvertes a a œ œ� ᴐ ᴐ�

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L’ALPHABET PHONÉTIQUE INTERNATIONAL

Etant donné que le linguiste réfléchit sur le matériau sonore, il lui faut un système de transcription. Ce sera l’alphabet phonétique international (A.P.I.), dont les symboles présents dans le diaporama sont à retenir pour l’examen.

CLASSEMENT ET TRANSCRIPTION DES CONSONNES

Le classement des consonnes prend ainsi en considération la sonorisation/le voisement (sonores vs sourdes), l’occlusion, la friction (son résultant du frottement de différents organes, la colonne d’air n’étant pas entièrement obstruée ; exemples : , f) et leʃ point d’articulation (bilabial, alvéodentaire, palatal ou vélaire). Nous obtenons donc un tableau des consonnes tel que celui-ci :

Alphabet phonétique international – tableau des consonnes

Dans ce tableau :

p, b, t, d, k, m, n, l, f, h, b : valeur habituelle

δ : angl. this x : all. ach r : it. Romas : fr. son ɣ : esp. luego R : « r » français

g : fr. gare z : fr. zèle ɲ : fr. mignon ᴚ : « r » fricatifβ : esp. saber ʃ : fr. chat ɳ : angl. sing w : angl. willθ : angl. thing Ʒ : fr. jour λ : it. voglio j : fr. mien

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CLASSEMENT ET TRANSCRIPTION DES VOYELLES

Le même type de classement peut être appliqué aux voyelles, cette fois-ci selon deux axes : le degré d’aperture (de la plus ouverte à la plus fermée) et le point d’articulation. Selon ce dernier point, on oppose les voyelles antérieures (où le point d’articulation est à l’avant du palais, exemples : i, y) et les voyelles postérieures (où le point d’articulation est à l’arrière du palais, exemple : u). Nous obtenons donc un tableau des voyelles comme celui-ci :

Alphabet phonétique international – tableau des voyelles

Dans ce tableau :

i : fr. si a : fr. patte u : fr. tout œ : fr. veuf ε� : fr. peindree : fr. thé o : fr. beau y : fr. lune ǝ : fr. petit ᴐ� : fr. fondreε : fr. mettre ᴐ : fr. porte ø : fr. peu a : fr. tendre œ�  : fr. brun

TRANSCRIPTION

Exemple d’exercice de transcription du français à l’A.P.I. :

J’aime l’automne, cette triste saison va bien aux souvenirs. Quand les arbres n’ont plus de feuilles, quand le ciel conserve encore au crépuscule la teinte rousse qui dore l’herbe fanée, il est doux de regarder s’éteindre tout ce qui naguère brûlait encore en vous.

[ em lot n s t trist s z va bj oƷ ᴐ ε ǝ ǝ ε ᴐ� ε� suveniR ka l zaRbR n ply d fœyε ǝ ᴐ� ǝ ka l sy l k s Rv ak R o krepyskylǝ ε ᴐ� ε ᴐ la t t rus ki doR l Rb fane il duε� ǝ ε ǝ ε ε d r gaRde set dR tu se ki nag Rǝ ǝ ε� ε bRyl tak R a vu]ε ᴐ

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D’autres phonétiques possibles

La phonétique acoustique, qui envisage les sons selon leur intensité, leur hauteur et leur durée (mesure physique des sons).

La phonétique combinatoire, qui étudie les influences et interactions des sons les uns sur les autres. Quelques phénomènes étudiés par la phonétique combinatoire :

L’assimilation : phénomène dans lequel le son adopte les caractéristiques articulatoires du son suivant. Exemple : lat. noctem [kt] > it. notte [tt], où le [k] dorso-vélaire devient un [t] apico-dental.

La dissimilation : phénomène inverse à l’assimilation. Exemple : afr. couroir > fr. couloir, où la vibrante [R] devient latérale.

La gémination : phénomène de redoublement articulatoire, de renforcement. Exemple : fr. il lit [illi], le [l] est renforcé.

B. LA PHONOLOGIE

a. Les fonctions des éléments phoniques

Pour bien situer la frontière entre phonétique et phonologie, il convient de se demander quelle peuvent être les fonctions assumées par les éléments phoniques dans la langue. Ces fonctions sont au nombre de trois :

La fonction contrastive : opposition entre syllabe tonique et syllabe atone. La fonction expressive traduit l’état d’esprit du locuteur lors de

l’énonciation. Il peut s’agir, par exemple et en français, d’une insistance : l’énonciateur qui prononcera [abbbb minabl ] en insistant sur le [b] traduiraᴐ ǝ son agacement tandis que l’énonciateur qui n’insistera pas sur le [b] traduira son indifférence.

La fonction la plus importante est la fonction distinctive, qui permet d’opposer deux unités de signification différentes, de distinguer deux mots. Par exemple, en italien, l’insistance sur le « t » de notte [n tt ] (la nuit) permet deᴐ ε distinguer ce mot de note [n t ], pluriel de ᴐ ε nota (la note), bien qu’apparemment cette insistance soit absolument semblable à celle de l’exemple précédent. Exemples de fonction distinctive : o fr. rat [Ra] vs. fr. là [la] : [R] vs [l],

o fr. ton [t ] ᴐ� vs. fr. don [d ]ᴐ�  : [t] vs [d]

Par contre :

o fr. par. cabane [kaban] vs fr. qc. cabane [kjab n] pose problème, car ilε

présente deux réalisations phonétiques d’un seul et même phonème /k/, l’une en français parisien, l’autre en français québecois, sans distinction de sens entre les deux réalisations.

A l’inverse :o esp. mucho [mut ] ʃᴐ vs esp. *[mu ]ʃᴐ  ? En espagnol, le son [ ] est toujoursʃ

réalisé précédé du son [t]. Mucho [mut ] s’oppose donc par exemple à esp.ʃᴐ

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mulo [mul ], ce qui permet de constater que contrairement au français,ᴐ l’espagnol ne considère pas [ ] comme un phonème, mais bien l’ensemble [t ].ʃ ʃ

b. Les phonèmes : faisceaux de traits articulatoires pertinents

La frontière entre phonétique et phonologie passe ici : la phonétique s’occupe du matériau sonore, la phonologie s’occupe des sons en tant qu’ils ont une fonction distinctive (donc des phonèmes).

Ce passage de phonétique à phonologie opère une réduction considérable : l’appareil phonatoire permet de produire une quantité très élevée de sons, mais tous n’ont pas une fonction distinctive, donc ne sont pas des phonèmes. Chaque système linguistique abstrait ainsi entre trente et quarante phonèmes, le nombre variant d’une langue à l’autre. Cela dit, l’absence de traduction sur le plan phonologique ne veut pas dire que ces sons sont totalement indifférents : ils n’ont pas de fonction distinctive, mais sont géographiquement ou socialement connotés.

Il s’agit ensuite d’identifier les traits articulatoires pertinents, chaque phonème se définissant à l’aide de deux ou trois traits articulatoires, qui permettent de l’opposer à d’autres phonèmes pertinents. Par exemple, pour identifier le phonème /k/ en français, on peut opposer cruche [kRy ] à ʃ bûche [by ] (doncʃ opposition entre [kr] et [b]), puis opposer cruche [kRy ] à ʃ ruche [Ry ] pourʃ reconnaître que /k/ est bien un phonème unique combinant les traits « occlusion », « vélarité » et « sonorisation ».

C. LA PROSODIE

La prosodie complète le tableau formé par phonétique et phonologie : elle s’occupe des faits de paroles qui ne relèvent ni de l’une, ni de l’autre, mais qui rendent compte du fait que l’activité de parole n’est pas uniquement une suite de sons qu’on modélise sous forme de phonèmes, qu’elle fait intervenir autre chose que simplement des sons. La prosodie classe ces faits de paroles selon trois critères : l’énergie articulatoire, la durée et la hauteur mélodique, ces trois variables concourant à former les accents d’une langue.

L’accent a souvent une fonction contrastive, comme en français (qui est une langue oxytonique, c’est-à-dire que l’accent tonique tombe sur la dernière syllabe de l’unité de sens), mais attention : dans certaines langues, l’accentuation peut avoir une fonction distinctive, donc relever de la phonologie ! Par exemple, en espagnol, on peut opposer terminó (« il termina »), termíno (« je termine ») et término (le terme).

3. MORPHOLOGIE ET SYNTAXE

A. QUESTIONS D’ÉTIQUETTES

a. Le mot, une unité linguistique ?

Jusqu’à présent, nous nous sommes contentés d’appeler les unités de 1re articulation des « mots », mais le concept de « mot », bien qu’extrêmement répandu dans l’appréhension courante (renforcée par le dictionnaire) qu’on se fait de la langue, désigne une unité graphique : un mot, c’est une suite de caractères isolée par deux blancs

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typographiques. Cette définition n’a donc rien à voir avec une unité linguistique ! Pourquoi n’est-il pas pertinent de s’arrêter à ce niveau ?

La raison en est simple : l’analyse linguistique a pour objectif d’identifier des unités minimales. Peut-on, en prenant un mot, se dire que l’analyse est terminée et qu’on ne peut plus découper ce continuum en unités de signification plus petites ? C’est parfois le cas : « maison » est impossible à subdiviser en unités de 1re articulation. Mais très souvent, les mots ne coïncident pas avec une seule unité significative : au contraire, soit ils en contiennent plusieurs, soit il faut plusieurs mots pour en constituer une seule. Par exemple, maisonnette = <maison> + <-ette> (signification : « de petites dimensions »), ou encore marchait = <march-> + <-ait> (signification : « passé duratif ») pour les mots contenant plusieurs unités de 1re articulation ; pour les unités de 1re

articulation composées de plusieurs mots : chemin de fer, pomme de terre, dont le signifié n’est pas le résultat de l’addition des signifiés des trois mots.

b. Morphème, lexème, grammème

Le mot n’étant pas une unité pertinente, la linguistique parle de morphème pour désigner la plus petite unité formelle dotée de signification. Ces morphèmes, la linguistique les répartit en deux catégories : les lexèmes et les grammèmes.

Cette opposition n’est pas celle entre lexique et grammaire ! Il faut donc s’en méfier, car si on la respectait, on devrait imaginer que, par exemple, le –aux de chevaux est inclus dans le lexique, mais ce n’est pas un lexème : c’est une unité significative qui n’est pas du lexique. Par contre, on trouve dans le dictionnaire des unités telles que que (conjonction de subordination), qui a une valeur sémantique imprécise, un signifié très flou et sert essentiellement à la construction grammaticale.

Le partage entre lexèmes et grammèmes se fait en fonction des paradigmes auxquels ils appartiennent : les lexèmes appartiennent à des paradigmes ouverts et riches, tandis que les grammèmes appartiennent à des paradigmes pauvres et fermés.

Notons toutefois que ce partage est très souvent remis en question dans l’évolution linguistique : par exemple, l’actuel grammème malgré est issu de mal gré (adjectif mal + substantif gré = « mauvaise volonté »), soit de deux lexèmes qui se sont figés pour devenir un grammème.

L’opposition traditionnelle entre « lexique » et « grammaire » n’est donc pas toujours très pertinente pour identifier les niveaux de la description linguistique.

c. Morphologie et syntaxe

On parle donc plus volontiers de morphologie et de syntaxe, deux niveaux de description qui s’occupent des unités significatives. Le partage entre morphologie et syntaxe a trait à la taille des unités considérées : la morphologie s’occupe de la combinaison d’unités significatives entre elles pour former des mots, tandis que la syntaxe s’occupe de segments supérieurs aux mots (propositions et phrases). Cela dit, l’opposition n’est pas si nette, car certains phénomènes morphologiques

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remplissent une fonction syntaxique (par exemple dans les langues flexionnelles). Certains linguistes parlent donc de morphosyntaxe.

d. Sémantique

Ce n’est pas parce qu’on parle d’unités significatives que la signification se trouve uniquement à ce niveau-là et pas aux autres ! Bien au contraire, la sémantique est un niveau d’analyse qui traverse la division entre morphologie et syntaxe, puisque celle-ci fournit parfois des informations sémantiques très importantes : par exemple, Jean mange le poisson et Le poisson mange Jean sont deux phrases dont les unités significatives sont identiques, mais qui sont sémantiquement très différentes. La syntaxe, en organisant les liens entre les unités significatives au sein d’une phrase construit donc un sens global qui n’est pas seulement le résultat de l’addition du sens de chacune des unités significatives.

B. IDENTIFICATION DES UNITÉS SIGNIFICATIVES

a. Segmentation en morphèmes

Identifier les unités significatives revient à identifier les endroits où le locuteur aurait pu faire un choix différent. Prenons un exemple simple :

Je courais dans la ruelle[ kur da la ry l]Ʒε ε ε

<Ʒε>

<kur> < >ε <da> <l> <a> <ry> < l>ε

ty maƷ [ø] d ri rε ε m kur [ø]il uƷ y

lε d rmᴐ

(Les lexèmes sont sur trame mauve, les grammèmes sur trame bleue.)

b. Problèmes

Malheureusement, des cas aussi simples sont rares : la plupart du temps, on ne peut pas faire aussi facilement correspondre des différences formelles à des unités de sens. Voyons ces cas problématiques :

L’amalgame : cas où à un seul signifiant dans la chaîne parlée correspondent plusieurs signifiés. Exemples :

o I cut his hair : impossible de diviser le radical de la terminaison dans

<k t>.ᴧo Je vais au marché : <o> contient deux informations en un seul

morphème, puisqu’il signifie « à le ». o Rosarum : <arum> est une terminaison impossible à découper pour

séparer ce qui indique le « génitif » de ce qui indique le « pluriel » et de ce qui indique le « féminin ».

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Notons que la plupart des flexions sont des morphèmes qui comportent plusieurs informations et dont on ne peut pas découper la chaîne formelle pour les distinguer.

Le signifiant discontinu : cas de redondance, où un même signifié se répartit sur différentes marques de signifiant.Exemples :

o Nous courons : l’information « 1re personne du pluriel » est répétée.

o La grande montagne blanche : l’information « féminin » est répétée.

Le signifiant zéro : cas où le signifié est absent de la chaîne des signifiants et où il faut aller rechercher l’information ailleurs dans l’énoncé.Exemple :

o Je vois qu’il court vs Je veux qu’il coure : [kilkur] est présent deux fois,

mais on ne peut pas différencier l’indicatif du subjonctif. Il faut donc aller rechercher cette information dans la principale.

Le syncrétisme : fusion de différentes formes appartenant au même paradigme pour devenir une seule forme et n’apparaître plus que comme indifférenciées. Ce cas est assez proche de l’amalgame. Attention : on ne parle pas ici de syntagme, mais de paradigme ! Ce n’est donc pas le même point de vue !Exemples :

o Rosis : cas de syncrétisme entre « datif » et « ablatif », formes qui

devraient être différenciées dans le paradigme, car elles renvoient à deux signifiés différents.

o I cut his hair : syncrétisme entre les formes « présent » et « passé », qui

correspondent à deux effets de sens différents.o Je veux qu’il coure vs Je veux qu’il coure : syncrétisme entre les formes de

l’ « indicatif » et du « subjonctif ».

C. ELÉMENTS DE MORPHOLOGIE LEXICALE

Il existe trois moyens de combiner des morphèmes pour former des lexèmes :

La dérivation, c’est-à-dire l’ajout d’un affixe (préfixe ou suffixe) à une base lexicale, l’affixe étant un morphème ne peut apparaître à l’état isolé dans la langue. La dérivation modifie souvent la sémantique (amoral, indirect, etc.) ainsi que parfois la catégorie grammaticale du mot (joliment, petitesse) ;

La composition, c’est-à-dire la création d’un nouveau lexème en combinant deux lexèmes préexistants qui peuvent être rencontrés à l’état isolé dans la langue. Exemples : homme-grenouille, machine à laver, laisser-aller.

L’interfixation, c’est-à-dire la formation d’un lexème à partir de deux morphèmes (ou plus) qui ne sont plus utilisables séparément dans la langue. L’interfixation recourt souvent à l’étymologie. Exemple : orthophonie, mortifère.

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Une fois ces morphèmes combinés, on obtient ce que certains linguistes appellent des synthèmes (résultats de la combinaison de morphèmes qui présentent un certain degré de solidarité). Mais le figement résultant de la solidarité de ces morphèmes est variable. On peut la tester en faisant des tests d’adjonction, de séparabilité ou de marquage (par exemple la mise au pluriel). Exemples :

o Œil-de-bœuf : synthème à degré de figement très élevé puisque le test d’adjonction

est négatif (on ne peut pas dire *œil-de-jeune-bœuf), de même que le test de marquage (œil-de-bœuf, pluriel : œil-de-bœuf),

o Carte à jouer : synthème à degré de figement moins élevé, puisque le test

d’adjonction est négatif (on ne peut pas dire *carte jaune à jouer) et que le test de marquage est positif (carte à jouer, pluriel : cartes à jouer).

D. ELÉMENTS DE MORPHOLOGIE GRAMMATICALE

Le procédé de formation employé en morphologie grammaticale est celui de la flexion, à savoir l’ajout d’une désinence à un radical. Peu de choses distingue flexion de suffixation, la seule grande différence notable étant que les suffixes, contrairement aux flexions, ne font pas vraiment système (ils n’ont pas d’application systématique, contrairement aux flexions, qui s’appliquent systématiquement aux bases lexicales de même nature).

REMARQUES SUR LES DÉSINENCES ASPECTUELLES

Quel signifié peut-on attribuer aux désinences ? De manière simple, les désinences nominales apportent des informations de genre, de nombre et éventuellement de cas (langues flexionnelles). Quant aux désinences verbales, elles apportent des informations de personne, de nombre, de mode, de temps et de voix. Il existe également des désinences aspectuelles (relatives à l’aspect d’un verbe, c’est-à-dire à la représentation que le sujet parlant se fait du procès exprimé par le verbe).

En français, les références de temps contiennent des marques aspectuelles, mais ce n’est pas le cas de toutes les langues : dans certaines, comme l’anglais, l’aspect est distinct du temps (I’m going to do something : description de l’action en tant qu’elle est sur le point d’être réalisée). L’aspect est une catégorie présente dans toutes les langues du monde. La manière dont les langues expriment formellement les informations aspectuelles est donc un bon critère de comparaison.

E. SYNTAXE

a. Combinaisons au sein d’un syntagme

A la différence des phonèmes, les unités significatives ont une certaine liberté de positionnement : leurs rapports au sein d’une phrase ne sont pas simplement des rapports de contiguïté et de succession, mais ils sont hiérarchisés. En effet, les unités significatives entretiennent des fonctions les unes par rapport aux autres. Il est donc nécessaire de comprendre comment le locuteur a construit ces rapports entre les morphèmes, donc les fonctions qu’ils entretiennent entre eux. Exemple : Paul a vu le bouquet de sa chambre. Deux analyses syntaxiques sont possibles :

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o soit on considère de sa chambre comme complément circonstanciel de lieu du

verbe principal (Paul a vu le bouquet d’où ? De sa chambre),o soit on considère de sa chambre comme complément déterminatif du nom

bouquet (De quel bouquet s’agit-il ? De celui de sa chambre.).

A l’inverse, il est possible d’avoir la même analyse syntaxique de deux énoncés totalement différents : Pierre regarde le match et La sœur de son voisin a acheté une voiture d’occasion suivent également la même structure sujet + verbe + complément direct du verbe.

La fonction₪

Elle peut être marquée de différentes manières :

Le morphème contient lui-même l’information fonctionnelle (il dit déjà le type de rapport qu’il entretient avec les autres morphèmes de l’énoncé). Les adverbes appartiennent à cette catégorie : ils n’ont pas besoin d’un autre morphème indiquant leur fonction, leur emploi indique déjà le type de rapport qu’il entretient et la place qu’il occupe dans la hiérarchie syntaxique de la phrase.

Cela dit, notons que le point d’incidence a son importance : Il faut vite courir et il faut courir vite n’ont pas le même sens, l’adverbe se rapportant dans le premier cas à falloir et dans l’autre à courir ; il est donc nécessaire de savoir de quel procès on parle avant de dire que l’adverbe lui apporte une nuance sémantique. Autre type de point d’incidence : les adverbes d’énonciation, qui apportent une information non pas relative à un élément de l’énoncé, mais à l’énonciation elle-même (Franchement, tu exagères !).

Le morphème s’adjoint un morphème fonctionnel, c’est-à-dire qu’il y a un morphème dont le rôle est d’indiquer la fonction du morphème qu’il introduit. C’est le cas le plus fréquent en français. Dans ce cas-là, l’ensemble des deux morphèmes forme un syntagme autonome (dont la position dans l’énoncé est relativement libre). Celui-ci est plus ou moins figé dans les langues : par exemple, le degré de séparabilité de lat. homini est très inférieur à celui de fr. pour l’homme, puisqu’on ne peut rien ajouter dans homini tandis qu’on peut intercaler des mots dans pour l’homme (pour le grand homme, par exemple). Il existe également des cas de fusion entre morphème et morphème fonctionnel : angl. cutted > cut.

La position du morphème peut en elle-même indiquer sa fonction. Exemple : Pierre bat Paul vs Paul bat Pierre.

La détermination₪

Pour les rapports centrés autour d’un noyau nominal, on ne parle pas de fonction, mais de détermination, c’est-à-dire que les morphèmes centrés autour d’un noyau

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nominal précisent l’extension sémantique de ce dernier. Ces morphèmes peuvent être :

o un article (défini ou indéfini),

o un déterminant (possessif, démonstratif, interrogatif, numéral),

o un adjectif,

o un syntagme prépositionnel,

o ou une proposition subordonnée.

Il est évidemment possible d’avoir plusieurs déterminations pour un même noyau nominal.

b. Analyse syntaxique de la phrase

En analyse syntaxique, la phrase est le niveau d’analyse maximal pris en considération pour comprendre les rapports entre les morphèmes. Une phrase, syntaxiquement parlant, c’est un ensemble hiérarchisé de rapports de dépendance entre morphèmes et syntagmes, ces rapports produisant une unité de signification globale. L’analyse syntaxique peut procéder soit par décomposition, soit par composition.

L’A.C.I.₪

L’A.C.I. (analyse en constituants immédiats) est une manière d’envisager et de comprendre les rapports entre morphèmes en décomposant la phrase en différentes unités et en identifiant chacune de ces unités selon le noyau autour duquel elle se constitue. Pour décomposer une phrase, il faut partir du niveau supérieur (la phrase) et descendre à chaque fois d’un niveau dans les constituants immédiats (à savoir ceux qui constituent immédiatement le niveau supérieur), ces constituants s’identifiant par commutation (c’est-à-dire en les remplaçant par un autre morphème).

Exemple : Fier de son exploit, le père de Sophie a mangé son repas sans prononcer un mot. On peut identifier dans cette phrase un syntagme nominal, un syntagme verbal et un syntagme prépositionnel, constituants immédiats de cette phrase. En descendant d’un niveau, on peut diviser le syntagme Fier de son exploit, le père de Sophie en deux constituants immédiats : un syntagme nominal et un syntagme adjectival, qui contient lui-même un syntagme prépositionnel.

Autre exemple, montrant à la fois la commutation et l’analyse par décomposition : Le facteur courageux distribue le courrier. Identification des syntagmes par commutation à l’aide de la phrase Alfred travaille : un syntagme nominal (Le facteur courageux, qu’on peut commuter avec Alfred) et un syntagme verbal (distribue le courrier, qu’on peut commuter avec travaille). Divisons ensuite les syntagmes de la phrase Le facteur courageux distribue le courrier et représentons cette division sous la forme d’un arbre :

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Dés. : désinence ; dét. : déterminant.

Ce cas était encore relativement simple, puisqu’il ne comprenait que deux syntagmes. Dans des cas plus complexes, la phrase se décompose en plus de deux constituants : le syntagme nominal, le syntagme verbal et le syntagme prépositionnel. Celui-ci est repérable grâce à son caractère déplaçable et effaçable. Exemple : Le salon sera remis en ordre de la fête de ce lundi et Le salon sera remis en ordre de la fête dès ce lundi. Un seul morphème varie, et la construction grammaticale change radicalement : la première phrase comportait uniquement un syntagme nominal et un syntagme verbal ; la seconde, quant à elle, comporte en plus un syntagme prépositionnel (caractère effaçable : Le salon sera remis en ordre de la fête, caractère déplaçable : Dès ce lundi, le salon sera remis en ordre de la fête).

Dans certains autres cas, l’analyse grammaticale permet de trancher une ambiguïté syntaxique. Exemple : Les militaires rebelles se sont rendus en Argentine. Il est possible de décomposer cette phrase de deux manières différentes :

o Les militaires rebelles se sont rendus en Argentine : syntagme nominal et

syntagme verbal. Sens de la phrase : ils sont allés en Argentine. « En Argentine » est vu comme complément du verbe.

o Les militaires rebelles se sont rendus en Argentine : syntagme nominal,

syntagme verbal et syntagme prépositionnel. Sens de la phrase : ils ont rendu les armes en Argentine. « En Argentine » est donc vu comme complément circonstanciel de lieu.

ANALYSE DU SYNTAGME NOMINAL

Le syntagme nominal peut être constitué de plusieurs composants :

SN = déterminant + GN ; GN = nom + adjectif :

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SN = déterminant + GN ; GN = nom + SA ; SA = adverbe + adjectif :

SN = déterminant + GN ; GN = nom + SP ; SP = préposition + SN ; SN = déterminant + nom :

SN = déterminant + GN ; GN = nom + détermination ; détermination = conjonction de subordination + P1 ; P1 = SN + SV ; SV = V + SN

CAS D’AMBIGUÏTÉ SYNTAXIQUE : CARACTÉRISATIONS DÉTERMINATIVE ET EXPLICATIVE

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Un autre cas d’ambiguïté syntaxique est l’hésitation entre caractérisation déterminative (qui limite l’extension sémantique du sujet) et caractérisation explicative (qui ne la limite pas, mais apporte une information supplémentaire sur le sujet). Exemple : Les Alsaciens qui boivent de la bière sont obèses. Cette phrase peut être lue de deux manières :

Caractérisation déterminative : certains Alsaciens, ceux qui boivent de la bière, sont obèses.

Caractérisation explicative : les Alsaciens boivent tous de la bière, donc sont tous obèses :

(source : O. SOUTET, La linguistique, Paris, P.U.F., 2005, pp. 302-303)

La G.G.T.₪

La G.G.T., la grammaire générative et transformationnelle, est une méthode d’analyse qui considère que les énoncés réalisés sont des structures de surface dérivant de structures profondes ayant subi une série de transformations. Cette méthode peut servir à trancher des cas d’ambiguïté, une structure de surface pouvant être déterminée par deux structures profondes : par exemple, l’indication du feu rouge peut corresponde à deux structures profondes (« le feu rouge est indiqué » ou « le feu rouge indique »).

Mais la grammaire générative et transformationnelle sert surtout à la paraphrase, à savoir des cas où plusieurs structures de surface correspondent à une même structure profonde. Par exemple, Paul bat Pierre (actif) et Pierre est battu par Paul (passif) correspondent à la même structure

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profonde. Cette paraphrase suit des règles transformationnelles : pour passer de l’actif au passif, il faut repasser par la structure profonde. Exemple : Le chat mange la souris > Le chat manger la souris > La souris être mangée par le chat > La souris est mangée par le chat.

Le syntagme prédicatif₪

Par l’A.C.I., on voit que la phrase se laisse toujours analyser comme l’association entre un SN et un SV (éventuellement complété d’un SP), cette association étant appelée le syntagme prédicatif (association d’un sujet et d’un prédicat). Ce syntagme prédicatif est le noyau logique de la proposition. Pour rappel, la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal avait déjà mis en évidence cette première structure syntaxique fondamentale. Selon un point de vue logique, le syntagme prédicatif (ou proposition logique) est le correspondant linguistique de l’opération mentale du jugement.

Selon une approche plus communicationnelle, cette structure syntaxique est plutôt décrite comme la mise en rapport d’un thème (ce dont on parle) et d’un rhème (ce qu’on en dit).

Cette analyse permet de remarquer la topicalisation, qui consiste à faire de n’importe quel constituant de la phrase, même s’il n’est pas le sujet (notons d’ailleurs que le sujet grammatical n’est pas toujours le sujet logique de la phrase), le thème (donc ce à propos de quoi on va apporter une information). Exemple : Marc prend son train aux Guillemins. Le sujet grammatical et le thème de cette phrase est Marc. Mais, avec la topicalisation, on peut changer le thème : Les Guillemins, Marc y prend son train. Le thème est devenu les Guillemins, tandis que le sujet grammatical de la phrase reste Marc.

Expansions du syntagme prédicatif₪

Il existe deux expansions différentes du syntagme prédicatif :

La coordination, à savoir l’ajout d’un élément dont la fonction est identique à celle de l’élément auquel il est ajouté. La coordination peut s’appliquer à un verbe, à un syntagme nominal ou à un déterminant du nom.Exemples :

o Il vend et achète des meubles.

o Il part avec ou sans ses valises.

o He leaves with his and her bags.

La subordination, qui peut également s’appliquer à tous les niveaux, est l’ajout d’un élément ayant une fonction différente de celle de l’élément préexistant.Exemples :

o Il part quand elle arrive.

o Les chiens mangent les croquettes.

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o La blancheur de son visage.

o The face he saw was black.

o La très belle robe.

F. LA SÉMANTIQUE

La sémantique transcende la distinction entre morphologie et syntaxe et déborde même de la construction phrastique : la construction du sens d’un texte n’est pas l’addition du sens de chacune des phrases qui le composent, mais peut se construire dans les rapports qu’entretiennent les phrases entre elles.

a. Anaphore, isotopie et allotopie

Retenons quelques phénomènes sémantiques qui débordent la dimension phrastique :

o L’anaphore, c’est-à-dire la reprise pronominale ou lexicale d’un syntagme

nominal antérieur. Exemple : J’habite dans une maison. Celle-ci est très grande.

o L’isotopie, c’est-à-dire la redondance sémantique au sein d’un texte. Exemple :

Je bois de l’eau. (Nous avons ici deux fois le sème de la liquidité).

L’isotopie est très employée en poésie, et souvent beaucoup plus complexe qu’en prose : certains poètes n’hésitent pas à multiplier les isotopies pour construire plusieurs réseaux de signification (poly-isotopie). Exemple :L’étoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles,L’infini roulé blanc de ta nuque à tes reins ;La mer a perlé rousse à tes mammes vermeillesEt l’Homme saigné noir à ton flanc souverain.(Arthur RIMBAUD)Isotopies chromatique, cosmologique et anatomique.

o L’allotopie : c’est le contraire de l’isotopie, donc une rupture des attentes

sémantiques. Apparaît alors un sème imprévu, qui déçoit les attentes sémantiques du destinataire. Exemple : Je bois du béton (le béton ne correspond pas au sème de la liquidité). Face à une allotopie, il est susceptible de se produire un mécanisme de lecture figurale : on cherche à redonner une cohérence isotopique au message en se demandant quels liens peuvent entretenir les sèmes allotopes. Exemple :

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipagePrennent des albatros, vastes oiseaux des mersQui suivent, indolents compagnons de voyage,Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planchesQue ces rois de l’azur, maladroits et honteux,Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches

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Comme des avirons trainer à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !Lui, naguère si beau, comme il est comique et laid !L’un agace son bec avec un brûle-gueule,L’autre mime en boitant l’infirme qui volait.

Le Poète est semblable au prince des nuéesQui hante la tempête et se rit de l’archer :Exilé sur le sol au milieu des huées,Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.(Charles BAUDELAIRE, L’Albatros)

Les trois premières strophes suivent la double isotopie (maritime et animalière), mais la quatrième voit apparaître la figure allotope du Poète. Cette allotopie est facilement levée grâce à la comparaison avec le « prince des nuées » (l’albatros), ce qui suscite une lecture figurale.

L’allotopie (de même que l’isotopie) peut également se rencontrer dans d’autres sémiotiques que celle du langage. Exemple :

Dans ce dessin de Kroll, on retrouve l’isotopie du drapeau norvégien (croix sur fond rouge) dans lequel apparaissent des éléments allotopes : la croix n’est plus bleue, mais noire, et ses extrémités rappellent la croix gammée nazie ; quant aux bords du drapeau, ils ressemblent à des éclaboussures de sang. Ce dessin, paru dans le journal au lendemain du massacre en Norvège, donne lieu à ce qui s’apparente à une lecture figurale : le lecteur se livre à un travail interprétatif pour savoir quel sens donner à la présence de ces éléments allotopes.

b. Deux modèles de description du sens : dictionnaire et encyclopédie

Les termes de « dictionnaire » et d’ « encyclopédie » ne doivent pas simplement renvoyer à deux catégories d’ouvrages ! En sémiotique, ils renvoient à deux manières de décrire le sens, de construire les définitions. Quant aux ouvrages concrets, ils recourent tantôt à des stratégies dictionnairiques, tantôt à des stratégies encyclopédiques : un

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Larousse, par exemple, aura de temps en temps des définitions plutôt dictionnairiques et le reste du temps des définitions plutôt encyclopédiques, bien qu’il s’agisse d’un dictionnaire, pas d’une encyclopédie.

Pour comprendre cette opposition entre ces deux stratégies de définition, il faut comprendre la différence entre proposition analytique et proposition synthétique. La proposition analytique est intralinguistique, c’est-à-dire qu’on peut se prononcer sur sa véracité ou sa fausseté en observant uniquement les termes qui la composent. Par exemple, une table est un meuble peut être considéré comme un énoncé vrai parce que la catégorie sémantique de « meuble » inclut celle de « table ». Quant aux propositions synthétiques, elles sont extralinguistiques, ce qui veut dire qu’on doit recourir à une certaine expérience du monde pour se prononcer sur leur véracité ou sur leur fausseté. Par exemple, la table de la cuisine est blanche exige qu’on sorte de la proposition pour la confronter à un état du monde avant de se prononcer sur sa véracité.

La définition dictionnairique recourt à des propositions analytiques, donc décrit une notion en termes exclusivement linguistiques, sans faire intervenir l’expérience qu’on peut avoir de cette notion. Exemple : est imperméable ce qui ne se laisse pas traverser par l’eau. Quant à la définition encyclopédique, elle recourt à la proposition synthétique. Exemple : l’imperméable est un long manteau, souvent gris, généralement associé à l’univers des films policiers.  Notons que pour comprendre des énoncés, on a plus vite besoin d’une définition encyclopédique qu’une définition dictionnairique. En outre, la définition encyclopédique aide à comprendre des expressions. Par exemple, la définition dictionnairique de cochon sera « mammifère de l’ordre des artiodactyles », tandis que sa définition encyclopédique sera « animal souvent sale et dont la représentation est associée à des comportements vulgaires. » Or, il est nécessaire de disposer de cette définition encyclopédique pour comprendre un énoncé comme Il mange comme un cochon.

Cela dit, attention à ne pas trop rigidifier cette opposition, car des transferts sont possibles de traits sémantiques au départ encyclopédiques puis stabilisés (c’est-à-dire répandus au sein de la communauté et présentant une certaine longévité) au point d’intégrer une définition dictionnairique. Par exemple, pas besoin que le locuteur ait vu un lièvre détaler pour dire et comprendre détaler comme un lièvre et associer cet animal au sème de « rapidité ». Les propositions analytiques sont donc en fait ce qu’une communauté culturelle accepte de ne plus remettre en question.

Considérons en outre qu’il peut y avoir coprésence de définitions encyclopédiques qui associent parfois des traits différents voire incompatibles à une même notion. Ces définitions sont concurrentes parce que derrière chacune, il y a des rapports au monde différents. Par exemple, éléphant sera défini comme « espèce à protéger car en voie de disparition » par le militant de Greenpeace, tandis qu’un trafiquant d’ivoire le définira comme « source de richesses potentielles liées à l’ivoire de ses défenses. » Ainsi,

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chaque profil social appelle une certaine manière de découper le réel et d’associer aux notions des traits sémantiques.

G. AU-DELÀ DU TEXTE : COMPOSANTES ÉNONCIATIVES ET PRAGMATIQUES DE LA GRAMMAIRE

Le sens de beaucoup d’énoncés se construit dans l’interaction que les interlocuteurs ont dans l’échange lui-même : des composantes énonciatives et pragmatiques sont donc à prendre en compte dans l’analyse grammaticale.

4. ENONCIATION ET PRAGMATIQUE

L’énonciation et la pragmatique sont deux branches de la linguistique qui considèrent que le sens ne se limite pas aux données linguistiques fournies par l’énoncé, et qui donc s’intéressent à l’acte de production de l’énoncé, plus particulièrement aux traces que cet acte a pu y laisser, plutôt qu’à l’énoncé produit en lui-même.

A. L’ÉNONCIATION

Elle s’intéresse à l’emploi particulier de la langue fait par l’énonciateur pour produire un énoncé et postule que cet acte n’est pas forcément chaotique ni dénué de toute systématicité là où Saussure et ses successeurs avaient écarté la parole de leur champ d’étude, la considérant comme dénuée de systématicité tandis que la langue en était pourvue. La position de Saussure est remise en question depuis quelques décennies : à la suite de Benveniste, les linguistes considèrent maintenant que la parole présente une forme de systématicité, donc peut être relativement rigoureusement décrite.

a. Les embrayeurs (ou déictiques)

Les embrayeurs, ou déictiques (par commodité, nous considérerons les deux termes comme étant synonymes), sont les éléments de la langue qui lui permettent d’être articulée à une situation de parole à chaque fois particulière. Autrement dit, les déictiques donnent au matériau linguistique une prise sur la réalité de son utilisation à un temps T par un locuteur L dans une circonstance C. Ils renvoient concrètement à des objets du monde.

Les déictiques ne sont interprétables que mis en relation avec la situation de communication dans laquelle ils ont été produits. Par exemple, Je suis derrière toi ou Tu iras là-bas demain sont deux phrases bourrées de déictiques : on ne peut interpréter « je », « derrière », « toi », « tu », « là-bas » et « demain » que si l’on embraye ces éléments avec la situation concrète dans laquelle ils ont été prononcés.

Concrètement, on peut diviser les déictiques en deux grandes catégories : les pronoms et les éléments de localisation spatiotemporelle.

Pronoms

o Les pronoms personnels (qui réfèrent aux partenaires de l’énonciation),

o Les pronoms possessifs (toujours formés d’un déterminant défini + un pronom

personnel : mon livre = le livre de moi),o Certains pronoms démonstratifs.

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Attention ! Tous les pronoms démonstratifs ne sont pas forcément déictiques, ils peuvent également avoir un emploi anaphorique. Par exemple, certains démonstratifs renvoient au cotexte (contexte textuel) : J’ai lu Madame Bovary, de Flaubert. Ce livre était très intéressant : dans ce cotexte-ci, ce est une anaphore pronominale ; tandis que dans la phrase Assieds-toi sur ce banc, il a une valeur déictique.

Eléments de localisation spatiotemporelle

Ceux-ci ne sont pas non plus toujours déictiques : tout dépend du centre de référence utilisé. Si le centre de référence est l’énonciateur, l’emploi est déictique ; si le centre de référence est cotextuel, l’emploi n’est pas déictique.

o Les marques de localisation spatiale : la chaise est devant la table a pour

centre de référence l’énonciateur, mais la voiture est devant le camion a pour centre de référence le camion, c’est lui qui donne son sens à « derrière ». Il peut donc facilement y avoir des ambiguïtés entre emploi déictique ou non déictique !

o Les verbes de mouvement : ils s’interprètent parfois en fonction du cotexte

(Il approche de Paris : Paris est le centre de référence, il est présent dans le cotexte), mais parfois aussi en fonction de l’énonciateur (Il va à Paris vs Il vient à Paris : le centre de référence est l’énonciateur, qui interprète le trajet vers Paris comme un éloignement ou un rapprochement par rapport à lui). Il se peut également que le destinataire soit pris comme centre de référence, ce qui est aussi un emploi déictique : Je viendrai chez toi (le centre de référence spatiale est le destinataire) vs J’irai chez toi (le centre de référence spatiale est l’énonciateur).

o Les marques temporelles peuvent aussi être anaphoriques, par exemple :

Le navire prit la mer le 7 janvier 1845. Un mois plus tard, il accosta en Bretagne est un emploi cotextuel (référence de un mois plus tard : le 7 janvier 1845), tandis que demain , je partirai en vacances est un emploi déictique (la référence de demain est le temps T de l’énonciation, le moment où la phrase est prononcée).

Selon les langues, la déixis (ensemble des coordonnées spatio-temporelles et personnelles qui caractérisent l’activité de parole) peut être gérée de différentes manières : le français ne distingue que la proximité et l’éloignement, mais certaines langues sont beaucoup plus nuancées (éloignement lointain, éloignement proche, rapprochement ténu, rapprochement prononcé, etc.).

b. Autres éléments de l’énonciation

La linguistique énonciative prend également en considération d’autres éléments :

o Adverbes d’énonciation : certains adverbes renvoient à l’acte de production

de l’énoncé. En effet, dans la mesure où je dis est sous-entendu derrière chaque énoncé, des adverbes particuliers apportent une information sur ce sous-entendu

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plutôt que sur le cotexte. Exemple : Franchement, je le trouve désagréable est  Je le trouve désagréable prononcé par un énonciateur se disant franc, tandis que Il est très désagréable est prononcé par un énonciateur qui ne donne aucune information sur son acte d’énonciation.

o Modalités : ce sont tous les moyens de nuancer un énoncé, de lui imprimer

un degré de certitude, de nécessité ou de possibilité. Cette nuance renvoie à un centre de référence qui est la subjectivité de l’énonciateur (le procès est énoncé selon son point de vue et non sa situation personnelle ou spatio-temporelle, comme dans le cas de la déixis). Exemple : Il se peut que Jean vienne (par opposition à Jean vient).

o Dimensions aspectuelles : elles peuvent également apporter des informations

sur la manière dont le locuteur envisage le procès. Ce sont, par exemple, les locutions du français, comme aller, finir de, ne pas cesser de, commencer à, continuer à, etc.

o Polyphonie : c’est la coprésence de plusieurs voix au sein d’un énoncé, ainsi

que la manière dont cette coprésence est orchestrée. En effet, il peut y avoir dissociation entre le locuteur (source de la production effective de l’énoncé) et l’énonciateur (celui qui assume la responsabilité de l’énoncé ou d’une partie de celui-ci). Un cas typique de cette dissociation est le discours rapporté : mettre des guillemets, c’est faire parler quelqu’un d’autre au sein de l’énoncé. Exemple : Une nouvelle « fin de la Belgique » se dessine dans le paysage politique belge.

o Subjectivèmes : ce sont des unités linguistiques subjectives (c’est-à-dire qui

renvoient à l’évaluation ou aux affects d’un individu singulier). Néanmoins, il convient au préalable de s’interroger : tout choix linguistique n’est-il pas subjectif ? C’est le danger des subjectivèmes : à force de les traquer, on peut finir par les retrouver partout, comme les linguistes et anthropologues Edward Sapir et Benjamin Whorf, dont l’hypothèse est que le monde ne préexiste pas au langage, mais que le langage façonne l’univers et lui impose un certain découpage conceptuel. Selon cette hypothèse, le langage ne vient pas ainsi mettre des étiquettes sur les objets du monde, mais le monde se crée par l’emploi du langage. Ainsi, chaque emploi linguistique par un locuteur modifie la réalité.

Quoi qu’il en soit de cette hypothèse, on peut reconnaître malgré tout que le locuteur peut s’impliquer plus ou moins dans un énoncé, en allant du terme le moins subjectif (célibataire, par exemple, n’implique aucune subjectivité, c’est un constat) au plus subjectif (moche, par exemple, est un subjectivème : il émet un jugement de valeur, illustre l’appréhension du monde par un sujet).

o Les subjectivèmes affectifs : ils réfèrent à la perception émotionnelle du

sujet. Exemple : C’est un film poignant !

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o Les subjectivèmes évaluatifs : ils émettent un jugement de quantité ou de

qualité et sont interprétables par rapport à ce que le sujet a comme échelle de référence pour ses interprétations. Exemple : C’est une grosse somme ! ou C’est une belle robe !

o Verbes : le choix de certains verbes amène également une dimension

subjective. Exemple : choisir brailler plutôt que crier, c’est indiquer une évaluation plutôt négative de l’action.

Typologie des discours

En faisant la somme de toutes ces marques énonciatives, il est possible d’élaborer une typologie des discours, c’est-à-dire de décrire la manière dont certains genres de discours présentent plus ou moins de marques énonciatives, donc autorisent plus ou moins la présence du sujet dans l’énoncé. Ainsi, on opposera des stratégies d’effacement (exemple : l’article scientifique, où il est hors de question de dire « à mon avis », donc où l’énonciateur doit s’effacer au maximum jusqu’à devenir imperceptible) et des stratégies de subjectivation (par exemple, la poésie lyrique ou le manifeste, écrits où on souligne les traces laissées par le sujet dans l’énoncé).

B. LA PRAGMATIQUE

La pragmatique est un domaine assez proche de l’énonciation, mais qui s’intéresse plus particulièrement aux usages de la langue et aux différences qu’il peut y avoir entre eux. La pragmatique s’interroge sur ce qui fait finalement la valeur d’usage de tel emploi de la langue et sur la manière dont on doit l’interpréter en situation, au-delà du sens que produisent ces unités par leur succession dans l’énoncé. Exemples :

o J’ai kiffé grave la meuf dans le tromé est-il équivalent à Mon regard s’est attardé sur

une charmante demoiselle dans les transports en commun ? D’un point de vue non normatif, les deux usages sont corrects et attestés, mais leurs usages sont très différents.

o Peux-tu me passer le sel ? n’a en contexte pas de valeur interrogative, mais bien une

valeur impérative : Passe-moi le sel !o L’ironie : c’est un cas extrême, où les règles pragmatiques imposent une inversion

complète de la signification produite par les unités, cette inversion étant commandée par les éléments contextuels. Il est donc impossible de se cantonner à la linguistique de l’énoncé pour la décrire ! Exemple : Quelle belle ponctualité ! pour dire Tu es vraiment très en retard !

LE PRINCIPE DE PERTINENCE

Le principe de pertinence est une constante dans tous ces cas où il faut réinterpréter l’énoncé. Ce principe pose que les unités produites dans un énoncé doivent forcément avoir la signification la plus pertinente dans le contexte dans lequel elles sont employées. Ce principe oblige parfois à modifier la littéralité des unités produites, lorsque cette littéralité enfreint le principe de pertinence. Par exemple, dire Oh, il est déjà 23h ! dans une soirée où on s’ennuie : le principe de pertinence rend cet énoncé très peu

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pertinent pour constater l’heure et oblige à réinterpréter les unités le composant comme une indication relativement subtile de départ prochain ou que la soirée commence à être ennuyeuse.

5. ELÉMENTS DE SÉMIOTIQUE

A. DU LINGUISTIQUE AU SÉMIOTIQUE

Quand il s’agit de décrire le sens, on déborde très vite du cadre linguistique : la langue n’a pas le monopole de la communication ! Bien au contraire, énormément de situations de communication sont peu pourvues voire dépourvues de langue : cinéma, bande dessinée, panneaux routiers, icônes du GSM, etc.

a. Diversité des canaux

La langue est un objet vocal qui transite par le canal auditif, mais ce canal n’est pas le seul. En effet, toute expérience sémiotique est ancrée dans du sensible, donc dans de la corporéité. Cela signifie que communiquer, c’est d’abord percevoir des stimuli via nos organes de perception (donc, pour les êtres humains : stimuli auditifs, visuels, tactiles, olfactifs et gustatifs), chacun de ces organes couvrant un certain spectre au sein duquel il est plus ou moins capable de différencier les stimuli. Par exemple, l’œil humain ne perçoit ni les infrarouges, ni les ultraviolets, il faut donc concevoir des stimuli qu’il puisse percevoir dans le spectre de la lumière (donc allant de rouge à violet) dans la conception d’un système sémiotique visuel (dans notre exemple).

b. Diversité des codes

Le code linguistique est qualifié de doublement articulé, c’est-à-dire qu’il doit s’organiser selon ce principe qui découpe dans l’expérience des unités significatives et distinctives pour remplir ses besoins communicationnels d’une manière à la fois très riche et très économique. Mais tous les codes n’ont pas de besoins communicationnels aussi poussés, c’est pourquoi ils n’ont pas besoin d’être organisés selon le principe de double articulation.

CODE SANS ARTICULATION

La version la plus simple d’un code sémiotique serait un code qui ne comporterait que quatre unités, parce que pour qu’il y ait code sémiotique, il faut qu’il y ait un plan du signifiant et un plan du signifié et que sur chacun de ces plans, il y ait au moins une opposition entre deux unités. Ces codes sont dits sans articulation car leurs signes ne sont ni combinables, ni décomposables.

Un exemple de ce type de code est celui de l’élection papale. Deux signifiants : /fumée blanche/ vs /fumée noire/, deux signifiés : « pape élu » vs « pas de pape élu ». Autre exemple de code sans articulation à quatre unités : la canne des aveugles. Deux

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signifiants : /canne blanche/ vs /rien (pas de canne blanche)/, deux signifiés : « personne malvoyante ou aveugle » vs « personne voyante ».

CODE À 1RE ARTICULATION

Dans ce type de code, les unités sont toutes significatives et combinables entre elles (présence d’une syntaxe), mais elles ne sont pas décomposables en unités distinctives plus petites.

Un exemple de ce type de code est une main (ensemble des cartes tenues en main) dans un jeu de cartes. Cette main a une signification pour le joueur, cette signification résultant de la combinaison des cartes (qui forment chacune une unité composée de plusieurs types d’unités significatives : couleur, famille et valeur numérique), qui se combinent entre elles, mais qu’on ne peut pas découper ultérieurement en unités qui seraient de pur signifiants sans signifié.

Autre type de code à 1re articulation : le code de la route. Chaque panneau peut être découpé en unités (forme, couleur, logo au centre), toutes significatives : il n’y a pas d’unité de pur signifiant qui aurait, comme les phonèmes dans la langue, une fonction distinctive (le guidon du vélo du logo, par exemple, qui n’a aucun signifié en lui-même, n’est pas une unité pertinente dans le code de la route, car elle ne commute avec aucune autre pour former une autre unité de signification au niveau supérieur – il n’y a pas de logo avec un gouvernail à la place du guidon).

CODE À DOUBLE ARTICULATION

La langue en est un exemple significatif, mais ce n’est pas, contrairement à ce qu’on entend parfois, le seul exemple de code à double articulation : les numéros de téléphone en sont un autre. Par exemple, la suite 04/366 56 45, qui peut être découpée en trois unités significatives : /04/ (« Liège »), /366/ (« Université de Liège »), /56 45/ (« bureau de François Provenzano »). Au sein de ces unités significatives (et de la centrale en particulier), chacun des chiffres n’a pas de signification en particulier (donc est comme le phonème /d/ de [du ]), mais il a une fonction distinctiveʃ  : si on remplaçait, par exemple, le dernier /6/ de /366/ par un /5/, on obtiendrait une signification différente (/365/ -> « Chaudfontaine »).

Le concept de redondance, l’une des grandes caractéristiques du code linguistique, peut également être appliqué à d’autres codes. Par exemple, un billet de banque est un énoncé extrêmement redondant, la sémiotique monétaire étant obligée de prévoir une grande redondance en raison des informations sociales extrêmement importantes qu’elle véhicule. Ainsi, un billet de 20€ véhiculera un seul signifié via plusieurs signifiants : la matière (/papier/ ou /métal/), la couleur, les motifs, la valeur numérique écrite en chiffres et en lettres, etc.

c. Morphologie et syntaxe non linguistiques

Il existe également une morphologie et une syntaxe non linguistiques. Par exemple, la morphologie pourra s’appliquer à la description du contenu d’un panneau routier

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(/cercle rouge/, /fond blanc/, /image de piéton/). Elle pourra également s’appliquer à l’identification des unités minimales d’une signification telle que celle présente dans ces deux images : /anneau/ vs /rien/ signifient « marié » vs « célibataire ».

Quant à la syntaxe, elle peut être vue comme l’étape où l’on essaie de décrire les possibilités combinatoires. Ceci permet de se rendre compte qu’un énoncé, même non linguistique, peut être agrammatical :

En linguistique : *Personne ne vient pas à cette fête est agrammatical car personne, en position de sujet grammatical, impose la suppression de la seconde négation.

En sémiotique monétaire : cette image est agrammaticale car la valeur « 1€ » est représentée par une pièce à bord doré, pas argenté.

* En arithmétique : les règles syntaxiques sont de ne pas faire se succéder deux

symboles d’opération et de mettre une valeur numérique après le signe /=/. L’énoncé *23 + x 17 = + est donc agrammatical.

d. Modèle tétradique du signe

En prenant en considération la variété des canaux, il faut, avant le signifiant, faire une place au stimulus (qui fait déjà partie du schéma du signe, puisque tout part de lui). Le stimulus est l’expérience concrète, modélisée par un signifiant. Ce signifiant renvoie à un signifié, qui est lui-même l’image conceptuelle d’un référent, une autre expérience concrète. Nous en arrivons donc à un schéma tel que celui-ci :

Exemple : odeur de pizza qui indique la proximité d’une pizzeria. Stimulus : olfactif (l’ensemble des odeurs concrètement perçues), signifiant : /odeur de pizza/, signifié : « proximité d’une pizzeria », référent : pizzeria au coin de la rue dans laquelle se trouve le sujet.

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B. TYPOLOGIE DES RELATIONS SÉMIOTIQUES

Le modèle tétradique du signe permet d’élaborer une typologie des relations sémiotiques. On en distingue généralement trois : les relations indicielles, iconiques et symboliques. Les deux premières catégories de relations sémiotiques sont motivées, tandis que la troisième est arbitraire.

a. Types de relations

RELATIONS INDICIELLES

Ces relations sont motivées par causalité, c’est-à-dire que ce sont des signes où le référent est la cause physique immédiate du signifiant (donc que le référent crée le signifiant, qu’il lui donne sa forme et ses caractéristiques).

Un exemple classique de signe motivé par causalité est la trace de pas dans la neige, qui renvoie au signifié « passage de quelqu’un à cet endroit » et dont le référent est la personne concrète passée à cet endroit. Le référent est donc bel et bien la cause physique immédiate du signifiant /trace de pas/.

Autre exemple de relations indicielles : poser la main sur le capot d’une voiture pour savoir si le moteur a fonctionné récemment. Stimulus : tactile (sensation de chaleur ressentie par la main), signifiant : /chaleur/, signifié : « activité récente du moteur », référent : moteur utilisé récemment. Ici aussi, le référent est la cause du stimulus, donc du signifiant.

RELATIONS ICONIQUES

Ce sont les motivations par ressemblance : le signifiant adopte certaines caractéristiques du référent. Par contre, il convient de faire attention au mot « icône », très utilisé de nos jours : son sens courant n’est pas son sens sémiotique. Ainsi, sur cet

écran, les icônes au sens sémiotique sont entourées.

Comme on peut le constater, toutes ne sont pas motivées. Si la tasse de café est motivée par ressemblance avec un café réel, rien ne vient motiver le choix d’une étoile pour les

favoris, qui est donc un symbole (une relation arbitraire).

Dans la vie courante, on rencontre énormément d’icônes : plans de montage (où on est obligé de modéliser par ressemblance les éléments du meuble Ikea, par exemple), signaux routiers (attention : la bordure rouge, par exemple, est arbitraire donc

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symbolique, mais le logo du vélo au centre est motivée donc iconique), etc. Il existe également des symboles sur d’autres canaux que le canal visuel : les onomatopées, par exemple, sont des icônes transitant par le canal auditif, de même que les bruitages cinématographiques. Cela dit, le canal visuel est de loin le plus utilisé.

RELATIONS SYMBOLIQUES

Dans ce type de relations, le lien entre signifiant et signifié est fondé par convention, le référent ne participe pas à la manière dont le signifiant est conformé. C’est le cas des signes linguistiques et des signes mathématiques ainsi que de certains signifiants visuels.

Un exemple de relations arbitraires : rien ne vient motiver le lien fait entre une /balance/ et l’idée de « justice », celle-ci étant d’ailleurs représentée de diverses manières (par exemple, une /femme aux yeux bandés tenant une épée/), tout aussi socialement acceptées que celle-ci.

b. Perméabilité des catégories

Nous venons de décrire ces catégories comme si elles étaient étanches, mais tel n’est pas le cas, puisque ce sont des types de relations sémiotiques plutôt que des catégories. Des transferts sont donc possibles.

Exemple de transfert d’icône à symbole : l’aigle peut être interprété comme une icône (/image d’aigle/ -> « aigle ») et comme un symbole à cause du blason des Etats-Unis. L’image est donc désiconisée (/image d’aigle avec blason/ -> « Etats-Unis ») pour devenir symbolique.

Exemple de transfert de symbole à icône : le symbole « 5 continents participant aux jeux olympiques » (/5 anneaux de couleur/) est iconicisé via des menottes, dont le signifié est « pratiques peu respectueuses des droits de l’Homme en Chine ».

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Exemple de transfert d’indice à icône : cette photo du célèbre coup de boule de Zidane (donc un indice, la photo étant par excellence une marque laissée par le référent) est devenue le sigle d’une marque de vêtements chinoise, d’où une signification iconique plus

vague (« spontanéité », « colère », etc.).

Exemple de transfert d’indice à icône, puis d’icône à symbole : cette photo des athlètes noirs réfère à un événement bien précis, mais a été iconisé (abstrait des conditions matérielles dans lesquelles il a été produit : cf. dessin) pour finalement devenir un symbole (le poing levé, symbole de la lutte contre le racisme).

c. Conventionalité des icônes

Les icônes, motivées par ressemblance, ont malgré tout une part de conventionalité. Par exemple, sur ce plan du métro londonien, on peut remarquer des icônes (tracé de la Tamise et des lignes du métro) ainsi que des symboles (ronds pour désigner les stations, abstraction du dénivelé du terrain, attribution arbitraire des couleurs aux lignes).

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N.B. : n’oublions pas qu’il faut décrire ces signes (indices, icônes ou symboles) en tant qu’ils sont pris dans une certaine pratique d’interprétation. Il est donc impératif de mentionner le signe et ce à quoi il renvoie, puisqu’un signe n’est signe que quand on décide de l’interpréter comme tel. Exemple : le /drapeau américain/, en tant qu’il renvoie aux « Etats-Unis », fonctionne comme un symbole. Mais on peut dire aussi que ses étoiles et ses bandes ont une part iconique (la valeur numérique des Etats pour les étoiles et des colonies pour les bandes) et une part symbolique (le choix de représenter ces Etats et ces colonies par des étoiles et par des bandes).

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IV. ANNEXES

1. NOTATIONS CONVENTIONNELLES

Durant tout ce cours, nous avons employé les notations conventionnelles suivantes :

Les crochets droits pour les [notations phonétiques en API] Les barres obliques pour les /phonèmes/ et /signifiants/ en général Les guillemets pour les « signifiés » Les crochets pour les <morphèmes> L’italique pour les citations et exemples L’astérisque pour les *énoncés agrammaticaux.

Ces conventions sont, bien entendu, à respecter.

2. QUESTIONS-TYPES

A l’examen d’introduction à la linguistique et à la sémiologie générales, les questions posées relèveront des types suivants :

Identifier les branches disciplinaires étudiant un phénomène donné, Retranscrire en API, Identifier des unités de seconde articulation, Identifier des unités de première articulation (et éventuellement justifier une

segmentation), Décomposer une phrase en constituants immédiats, Décrire des cas d’ambiguïté syntaxique (à l’aide de l’ACI), Dégager des isotopies et allotopies, Faire une analyse énonciative, Décrire une relation sémiotique à l’aide du modèle tétradique du signe, Définir le caractère indiciel, iconique ou symbolique de relations sémiotiques.

Des exemples de questions sont fournis dans les diaporamas du cours.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION À LA LINGUISTIQUE ET À LA SÉMIOLOGIE GÉNÉRALES

I. QUESTIONS D’ÉTIQUETTES : L’INTITULÉ DU COURS

1. Avant la linguistique : la philologie page 12. La grammaire, branche de la philologie

A. Note : les points de vue page 23. La sémiologie page 3

A. La sémiotiqueB. Générale ?

II. ELÉMENTS D’HISTOIRE DES IDÉES LINGUISTIQUES page 41. De l’antiquité au moyen-âge

A. Le TriviumB. Zoom sur la grammaire antique

a. La Tekhnêb. L’ars grammatica page 5

C. Les grammairiens modistesD. La Renaissance page 6

a. Contexte culturelb. Premières grammaires vernaculairesc. Compilations linguistiques page 7

2. L’époque classiqueA. La Grammaire générale et raisonnée

3. Le 19e siècle page 8A. Mutation épistémologique généraleB. La grammaire historico-comparative page 9C. La typologie des langues

4. Le 20e siècle page 10A. Le Cours de linguistique générale

a. Ferdinand de Saussureb. Une réception complexe

B. La pensée saussurienne page 11C. Une architecture conceptuelle puissante page 12D. Naissance du structuralisme page 15E. L’après-Saussure

a. Benveniste : linguistique énonciativeb. Austin : pragmatique page 16c. Labov : sociolinguistique

5. Récapitulations transitoiresA. Interrogations profanes sur le langageB. Modalités du général page 17C. Oppositions terminologiques

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III. LES SYSTÈMES SÉMIOTIQUES page 191. Préalables

A. La langue, objet vocal et objet socialB. La double articulation du code linguistiqueC. Syntagme vs paradigme page 20D. La théorie de l’information page 21

2. Phonétique et phonologie page 22A. La phonétique articulatoireB. La phonologie page 26

a. Fonctions des éléments phoniquesb. Faisceaux de traits articulatoires pertinents page 27

C. La prosodie3. Morphologie et syntaxe

A. Questions d’étiquettesa. Le mot, une unité linguistique ?b. Morphème, lexème, grammème page 28c. Morphologie et syntaxed. Sémantique page 29

B. Identification des unités significativesa. Segmentation en morphèmesb. Problèmes

C. Eléments de morphologie lexicale page 30D. Eléments de morphologie grammaticale page 31E. Syntaxe

a. Combinaisons au sein d’un syntagmeO La fonction page 32

O La détermination

b. Analyse syntaxique de la phrase page 33O L’A.C.I.

O La G.G.T. page 36

O Le syntagme prédicatif

O Expansions du syntagme prédicatif page 37

F. La sémantiquea. Anaphore, isotopie, allotopie page 38b. Dictionnaire et encyclopédie page 39

G. Composantes énonciatives et pragmatiques page 404. Enonciation et pragmatique page 41

A. L’énonciationa. Les embrayeurs/déictiquesb. Autres éléments de l’énonciation page 42

B. La pragmatique page 445. Eléments de sémiotique page 45

A. Du linguistique au sémiotiquea. Diversité des canauxb. Diversité des codes

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c. Morphologie et syntaxe page 46d. Modèle tétradique du signe page 47

B. Typologie des relations sémiotiquesa. Types de relations page 48b. Perméabilité des catégories page 49c. Conventionalité des icônes page 50

IV. ANNEXES page 511. Conventions d’écriture2. Questions-types

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