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'"' , fJ C~'NTRE DE RECHERCHE SUR LE DROIT r.__ _ c., DES MARCHÉS ET DES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX DE LA FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES ÉCONOMIQUES DE DIJON __Li ~ C}" ~~~".~-- .. INVESTISSEMENTS ETRANGERS ET ARBITRAGE ENTRE ETATS ET PERSONNES PRIVEES La Convention B.I. R.D. du 18 Mars 1965 Ouvrage honoré d'une subvention de le Faculté de Droit et des Sciences Economiquesde Paris 1) Z=t Q. Ci\.TtA .o: t!"" \~>O~ PAR IS EDIT ION S k. P EDO N E Librairie de la Cour d'Appel et de l'Ordre des Avocats I3, rue Soufflot 1969

INVESTISSEMENTS ETRANGERS - LALIVE · 2018. 6. 27. · fj, c~'ntrede recherche sur le droit r.___c., des marchÉs et des investissements internationaux de la facultÉ de droit et

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DES MARCHÉS ET DES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUXDE LA FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES ÉCONOMIQUES

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INVESTISSEMENTSETRANGERS

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ARBITRAGE ENTRE ETATSET

PERSONNES PRIVEESLa Convention B.I. R.D. du 18 Mars 1965

Ouvrage honoré d'une subvention de le Faculté de Droit

et des Sciences Economiquesde Paris

1)Z=t Q.

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PAR I S

E DIT ION S k. P EDO N E

Librairie de la Cour d'Appel et de l'Ordre des AvocatsI3, rue Soufflot

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110 LUCIEN SIORAT

Oonvention revient au droit commun. J'ajoute que cette phrase que jeviens de citer in extenso semble impliquer que la Convention tout entière,plutôt que la première partie de l'article 26ne veut pas se présenter dutout comme ayant posé une exception au droit commun. Alors je mepose une question d'interprétation quant à la ,volontéprécise concernantau fond le début de l'article 26.J'avoue que j'ai des difficultésbeaucoupplus à cause du texte interprétatif qu'à cause du texte de l'articlelui-même.

LE PRÉSIDENT

On a l'impression que lorsque le consentement des parties est donné,puisqu'il n'est plus retirable, cela implique la renonciation à l'exercicede tout autre recours (c'est ce qui apparaît à la première phrase). Maisalors, lorsqu'il s'agit non pas de la conciliation mais de l'arbitrage, laclause compromissoirepeut comporter une réserve, et l'Etat importateurde capitaux peut ne consentir à cet arbitrage qu'à la condition que sesrecours internes soient épuisés.

M. KOVAR:

Que se passe-toilsi précisément le différend porte sur la question desavoir si les recours internes, dans l'hypothèse où il ya cette réserve, ontété épuisésou non, s'il y a des recours à épuiser; qui est alors compétent?

M. BROCHES:

Le tribunal est juge de sa compétence.Je crois que la clause compro­missoire ou le compromis régleraient ces problèmes. En tout cas, jesais que les Etats qui ont demandé une telle réserve avaient pour but delimiter la compétence du Centre au déni de justice. Mais dans le cas del'épuisement des recours administratifs on pourrait avoir un examenbeaucoupplus étendu. Un expert d'un pays latino-américainavait voulufaire une distinction très nette entre recours administratifs et recoursjudiciaires. Il estimait que l'épuisement des recours judiciaires étaitincompatible avec la notion d'un arbitrage international mais que dansbeaucoup de cas on pouvait éviter les différends devant une instanceinternationale en exigeant que les parties épuisent leurs recoursadministratifs.

LE PRESIDENT remercie les trois rapporteurs et même les quatrerapporteurs car M. Broches a répondu à beaucoup de questions. Il lefélicite de sa scienceet de sa gentillesse inépuisables.

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M. PIERRE LALIVEDoyen de la Faculté de Droit de Genève

Professeur à l'Université et à l'Institut de Heures Etudes InternationalesAssocié de l'Institut de Droit International

ASPECTS PROCEDURAUX DE L'ARBITRAGEENTRE UN ETAT ET UN INVESTISSEUR ETRANGER

DANS LA CONVENTION DU 18 MARS 1965:POUR LE REGLEMENT DES DIFFERENDS

RELATIFS AUX INVESTISSEMENTS ENTRE ETATSET RESSORTISSANTS D'AUTRES ETATS

Note liminaire.

Les observations qui suivent tendent moins à rendre compte d'unemanière détaillée ou complètedes dispositionsde la Conventionélaboréesous les auspices de la Banque Mondiale, qu'à « situer » ses principauxaspectsprocéduraux sur la toile de fond du « droit commun », c'est-à-direpar rapport à l'état actuel du droit relatif à l'arbitrage entre Etat etressortissants étrangers (soit à l'arbitrage que nous appellerions volon­tiers pour abréger, « semi-international» - terme qui, sans être parfait,nous paraît préférable, comme préjugeant moins du statut de l'institu­tion, à celui de « quasi-international » qu'on lui appliqueparfois).

Ce rapport, loin de se limiter aux commentaires des dispositions dela Convention,met au contraire souvent l'accent sur « le droit commun ».L'analyse de la Convention elle-mêmea déjà été faite maintes fois, etsouvent d'excellente façon, notamment par des voix particulièrementautorisées-. Il paraît plus indiqué, pour introduire une discussionde ces« Journées d'études de droit international », et pour apprécier la portéevéritable de la Convention du 18mars 1965,d'examiner aussi, voire sur­tout, les problèmes et les solutions du « droit commun ».

Il est un motif supplémentaired'élargir quelquepeu le débat : on segardera de croire que la Conventiona fait perdre tout intérêt aux contre­verses et aux solutions « traditionnelles ». Il est trop tôt pour juger dela portée pratique qu'aura la Convention, aussi convient-il - nous yreviendrons en conclusion- de ne pas surestimer son rôle, pas plus quel'on ne doit surestimer, d'une manière générale, les chances de l'arbi­trage « institutionnel » par rapport à l'arbitrage international « ad hoc ».

(1) Cf. par exemple Broches, 59 Proceedings American Society of InternationalLaw, 1965,p. 33, Columbo J. Transnat. L. 1966,263et la bibliographie cité; Delaume;JOUTn. dr, into 1966,p. 26;Roulet, Ann. suisse dr. into 1965,XXII,p. 121.

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112 PIERRE LALIVE

Enfin, il paraît superflu de justifier le choix de l'objet de ces obser­vations : dans l'état actuel du droit, « il est évident que l'aspect procë­dural des relations entre Etats et particuliers revêt une importance aumoins égale à celle qui s'attache à la formulation des normes, contrac­tuelles ou autres, définissant le statut juridique de leurs rapports2 »,Une caractéristique essentielle de la Convention, précisément, est qu'elletend avant tout à établir des mécanismes et des procédures.

I. - CONSTITUTIONDU TRIBUNALARBITRAL

L'expériencea suffisammentdémontré que la constitution du tribunalétait le problème fondamental de l'arbitrage international, sinon privé(arbitrage pour lequel il existe assez souvent la possibilité de faire inter­venir un tribunal ordinaire pour suppléer aux défauts de collaborationd'une partie), du moins public ou tnter-étatiquea. Ceci est vrai aussi del'arbitrage « semi-international » qui offre, ici au moins, des analogiesévidentes avec l'arbitrage purement international.

La pratique moderne, surtout d'après guerre, a montré un certaindéveloppement (parallèle au développement des rapports internationauxde tous genres, et à la multiplication des clauses compromissoires) desrefus de coopération à l'arbitrage, notamment dans sa phase initiale decréation du tribunal. De même pourrait-on dire, « mutatis mutandis »,qu'il semble y avoir un certain parallélisme, sur le plan du règlement deslitiges inter-étatiques, entre les adhésions plus nombreuses à la clausefacultative de juridiction obligatoire de la C.I.J. et la multiplication desexceptions d'incompétence dans les affaires soumises à la Cour inter­nationale.

A. - Refus d'une partie de coopérer à la constitution

du tribunal arbitral en nommant « son » arbitre

Notons tout d'abord que si ce refus peut certes émaner aussi biende l'investisseur que de l'Etat, en pratique il arrivera beaucoup plusfréquemment, de par la nature même des relations économiques et durapport des forces, que ce soit l'Etat qui soit défendeur à l'arbitrage etque ce soit lui qui refuse de coopérer à la création du tribunal.

Le refus d'arbitrage par l'Etat défendeur, illustré par le célèbre précé­dent de l'Anglo-Iranian, peut paralyser unilatéralement, nul ne l'ignore,tout règlement du litige. D'où les divers efforts faits, à une époquerécente, en faveur de l'arbitrage « institutionnel »,

(2) Delaume, op. cit., note l, p. 27.(3) Cf. Johnson, B. Y. B. L L., 1953,p. 152.

~IV

PIERRE LALIVE 113

Précisons en passant que nous employons ce terme, équivoque,d' « institutionnel », par opposition à l'arbitrage « ad hoc », pour dési­gner le cas où les parties se sont soumises par avance à la « compé­tence » et, dans une mesure plus ou moins complète, au règlement d'unorganisme « qui assure l'application de son règlement+ ». En ce sens,l'arbitrage prévu par le Règlement - du 1er juin 1955- de la Chambrede Commerce Internationale est « institutionnel », bien que la mal­nommée « Cour d'arbitrage » de la C.C.Ln'arbitre pas. De même, maisil s'agit d'un cas limite, l'arbitrage soumis aux « Règles de Copenhague1950» de I'LL.A.- laquellen'est pas, et se défend d'être, un « organismed'arbitrage » - semble être « institutionnel » puisqu'il prévoit l'inter­vention du Président du « Conseilexécutif» de l'LL.A.,par exemple pourla nomination de l'arbitre d'une partie défaillante. En ce sens, toujours,et malgré les apparences, l'arbitrage devant la Cour Permanente d'Arbi­trage ne serait pas « institutionnel » : le « Règlement d'arbitrage et deconciliation pour les conflitsinternationaux entre deux parties dont l'uneseulement est un Etat », du 26mars 1962,article 6, ne donne compétence'au Secrétaire Général de Ia C.P.A.pour procéder à Ia désignation desarbitres qu'à la condition « que les parties lui aient expressément attribuécette tâche5 ».

_ On ignore parfois que l'arbitrage de la Chambre de CommerceInternationale est aussi utilisé dans les rapports entre Etats et investis­seurs étrangersë.

La Convention de la Banque Mondiale s'inscrit dans ce mouvementgénéral vers un arbitrage institutionnel (ou tout au moins vers un arbi­trage renforcé, mieux protégé contre le risque d'obstruction unilatérale)et il en constitue la manifestation la plus parfaite à ce jour : l'engage­ment d'arbitrage est « internationalisé » et, une fois donné, ne peut plusêtre retiré unilatéralement (article 25, al. 1).

Mieux nommé que la Cour Permanente d'Arbitrage ou que la Courd'Arbitrage de la C.C.I.,le « Centre international pour le règlement desdifférends relatifs aux investissements », « institution internationaleautonome », « parrainé » (Rapport des Administrateurs, n° 16) par la,Banque Mondiale, offre un cadre et des moyens efficaces propres àempêcher le « blocage » unilatéral de l'arbitrage.

Pour mesurer l'intérêt du progrès accompli, il convient de comparerle système de la Convention, non pas tant à l'état de choses existantlors de l'affaire de l'Anglo-Iranian qu'à la situation créée depuis lors parle développement de clauses compromissoiresplus raffinées, telles qu'encontiennent par exemple de nombreux « contrats pétroliers? ».

{4) Cf. Van Ommeren, Rapport au Congrès international de l'arbitrage. Paris1961,p. 2.

(5) Sur ce règlement, v. G. Guyomar, A.F.D.l. 1962,pp. 377-383.(6) Cf. BöCkstiegelA.J.LL. 1965,579. Sur les diverses études ou tentatives en

vue de fournir un cadre plus ferme à l'arbitrage entre Etat et ressortissants étrangers.v. par exemple Domke, Arbitration b.etweengovernmental bodies and foreign pravatefirms, Arbitration J., vol. 17, 1962,p. 129 et Spofford, Cours La Haye 1964,vol. 113.pp. 121-236.

rI) V. J. Logie, Les contrats pétroliers iraniens, Rev. belge dr. into 1965,p. 392.

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114 PIERRE LALIVE

En effet, il est aujourd'hui de pratique absolument courante, dansl'arbitrage « semi-international », de prévoir dans la clause compromis­soire l'hypothèse d'un refus de collaboration à la création du tribunalarbitral, et de ne pas se fier à une éventuelle intervention de tribunauxordinaires (du « siège» de l'arbitrage, par exemple, si ce siège a été fixédans la clause compromissoire),tribunaux dont la compétence pourraitêtre sujette à controverses pour nommer un arbitre en lieu et place del'Etat défaillant, soit à cause de la qualité du défendeur, soit, plus simple­ment, en raison de l'absence, aux yeux du tribunal ordinaire, de rattache­ment suffisant de l'arbitrage avec le pays du « siège » et du défaut devolonté des parties, dans la clause compromissoire, de se soumettre àune compétence de ce genre de la part des autorités judiciaires du siège8.Ce n'est pas le lieu ici d'examiner la question, controversée, de la portéeà attribuer à la fixation par les parties du « siège » de l'arbitrage dansun pays tiers.

Rarement envisagé (peut-être parce que trop draconien et susceptiblede soulever des difficultésau stade de la reconnaissance et de l'exécutionde la sentence), un premier procédé consiste à stipuler que, faute par ledéfendeur à l'arbitrage d'avoir désigné « son» arbitre (dans les délais),l'arbitre désigné par le demandeur sera arbitre unique (cf. l'article 45 del'accord entre l'Arabie saoudite et la Société Pacific Western Oil Co, du20 février 1949). Beaucoupplus fréquente est la clause qui prévoit l'inter­vention d'un ou, mieux, plusieurs tiers, auxquels sera demandé de pro­céder à la nomination de l'arbitre à la place de la partie défaillante - oudu surarbitre, à défaut d'accord entre les arbitres nommés par les parties.

B. - Refus du tiers « désignateur » de procéder

à la nomination de l'arbitre

Dans l'affaire de l'Anglo-Iranian, le contrat de concession de 1933conférait au Président de la Cour Permanente de Justice Internationale(et non pas, et pour cause, au président d'un éventuel organisme judi­ciaire successeur - comme prend soin de le faire l'article 44 du contratconclu, en 1954, entre le Consortium international pétrolier et l'Etatiranien et la Société N.I.O.C.)le pouvoir de nommer l'arbitre. En décli­nant de procéder à cette nomination, le vice-président Guerrero (le11 octobre 1952) - pour des raisons que l'on a discutées maïs qui nousparaissent conformes à la nature de sa magistrature internationale - a

(8) Cf. par analogie les motifs de l'arrêt du tribunal cantonal vaudois du12 février 1957dans l'affaire Société européenne d'études et d'entreprises c. Yougo­slavie, Rev. crit. dr. into pr. 1958.p. 358.

o-:»PIERRE LALIVE 115

fait découvrir à beaucoup que le Président de la C.I.J. est loin d'êtrel'autorité idéale à désigner pour rendre certaine en fait la constitutiond'un tribunal arbitrale.

Dans le domaine de l'arbitrage international privé, un précédentconnu, celui du litige entre les Société Philips et Telefunkanto, a faitprendre conscience aux milieux intéressés, d'une manière analogue, del'insuffisance d'une clause confiant à un seul « tiers préconstitué » lesoin de nommer l'arbitre. Rappelons que, en cette affaire, si les partiesn'avaient pas envisagé l'éventualité d'un refus de nomination par lePrésident du Tribunal fédéral - refus qui fut motivé par le fait que lasociété défenderesse alléguait l'invalidité du contrat et de la clausecompromissoire -, l'arbitrage put cependant suivre son cours, les tribu­naux de Genève étant légalement compétents pour nommer les arbitres,à la fois en raison du contrat lui-mêmequi fixait le siège de l'arbitrage àGenève et contenait une soumissionassez nette aux tribunaux locaux, eten raison du Protocole de Genève de 1923; chiffre 2, 1.

On sait que, dans la grande majorité des « contrats d'investisse­ment » récents, notamment pétroliers, il est prévu une succession de« tiers préconstitués » chargés de nommer l'arbitre, en la personne demagistrats, présidents de cours supérieures « nationales » ou « régio­nales ». Ainsi dans le contrat entre la Société iranienne des pétrolesN.I.O.C. et la Société italienne A.G.I.P. Mineraria, de 1957, ou dansl'accord Etat iranien -Consortium, déjà cité11.

En fait, si les contrats pétroliers sont particulièrement riches deprécisions quant aux mécanismes de nomination des arbitres, tous lescontrats internationaux d'investissement suivent plus ou moins le mêmemodèle sur ce point, et l'on n'imagine plus aujourd'hui que les rédacteursd'une clause compromissoire méconnaissent la possibilité que le tiersdésigné refuse de procéder à la nomination de l'arbitre. En pratique, lerisque d'une paralysie totale de l'arbitrage pour cette raison semble doncpouvoir être considéré, sinon comme inexistant, du moins comme trèsfaible.

Il n'en reste pas moins que la Convention de la Banque Mondiale,avec son article 38, réalise un progrès certain. Il est plus rapide (et il estsuperflu d'insister sur l'importance des considérations de temps enmatière d'arbitrage international), et il est plus sûr : contrairement à cequi est quasiment la règle en « droit commun », le tiers désignateurd'arbitre, dans le système de la Convention, c'est-à-dire le Président duCentre (article 38; cf. l'article 30 pour la conciliation), est juridiquementobligé de procéder à la nomination de l'arbitre ou des arbitres non encoredésignés, « à la demande de la partie la plus diligente », pour autant bienentendu que les conditions posées par la Convention soient remplies.

(9) V. D. .Johnson,art. cité note 3.(10l Arrêts du Tribunal fédéral suisse 78, I, 352,Semaine judiciaire 1953,p. 417.

Ann. suisse dr, into 1954,II, p. 334.(11)G. Logie, article cité note 7, p. 416.

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116 PIERRE LALIVE

(Cf. l'article 6, déjà mentionné, du Règlement de la C.P.A., du 26 mars1962, selon lequel, dans des circonstances analogues, « le secrétairegénéral de la C.P.A.procède à la désignation des arbitres à condition queles parties lui aient expressément attribué cette tâche ».)

Cet élément de sécurité ne doit pas être sous-estimé, quand bienmême il ne faut pas exagérer, d'autre part, l'incertitude qui existerait endroit commun: il est vrai que le « tiers préconstitué » (le plus souventun haut magistrat) n'est pas juridiquement obligé, généralement - cer­taines législations prévoient cependant une telle obligation, lorsque lesparties sont d'accord; cf. l'arrêt déjà cité de la Société européenned'études et d'entreprises, Rev. crit. dr. into pr. 1958, p. 358, p. 363 - àmoins de s'être engagé contractuellement à cet effet, hypothèse assezthéorique (le Président du Tribunal suisse, comme le Président de laCour internationale, est assez souvent pressenti officieusement, par cour­toisie, avant la rédaction de la clause compromissoire; son assentiment,ou son absence d'objection, si elle ne le lie pas, ~ a fortiori ne lie sessuccesseurs dans la fonction qu'il occupe, n'est pourtant pas dénuée detout effet). En résumé, si l'absence d'obligation juridique de procéder à lanomination sollicitée constitue bien un élément d'insécurité pour lesparties, en fait, on doit tenir compte de la force, quasi-contraignante,d'une pratique constante, comme celle du Président du Tribunal fédéralsuisse dans son activité « nominatrice ».

On pourrait même parler, à propos de cette pratique, d'une véritable« jurisprudence constante »; ceci d'autant plus que, contrairement àcertains avis, et même à certaines décisions anciennes, le Président duTribunal fédéral est considéré aujourd'hui comme exerçant une activitéde nature judiciaire, et non pas privée, lorsqu'il procède à la nominationd'arbitre à la demande d'une partie; plusieurs de ses décisions sontd'ailleurs publiées dans le Rec, off. arrêts trib. [éâ. suisse,et la « juris­prudence» en la matière paraît assez bien fixée; par exemple, « il est... depratique constante que le Président, saisi ès-qualité d'une demande denomination d'arbitre, y donne suite si la partie qui ne requiert pas lanomination y consent néanmoins », sinon, il faut distinguer selon qu'elleconteste la validité du contrat principal ou la validité de la clause com­promissoire12•

Plus appréciable peut-être est la supériorité du système de la Conven­tion sur un autre point : elle n'exclut pas seulement le risque d'un refusdu tiers désignateur d'arbitre, elle élimine aussi celui d'une contestation,par l'une des parties de la décision positive de ce tiers, c'est-à-dire lerisque d'une contestation de la validité de la nomination de l'arbitre.

·(12) Décision Paperconsult SA, 7 juillet 1962: A.T.F. 88, I, 100,Journ, dr. into1966,p. 173;DécisionSociété M.T.P. c. Ministère de la guerre de la République arabeunie, 12septembre 1967: Journ. des trib. 1967,I, 585.

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<:.PIERRE LALIVE 117

C. - Le refus de reconnaître la validité de la nomination de l'arbitre

par le « tiers préconstitué »

Un .tel refus n'est guère concevable dans le système de la Conven­tion : l'investisseur n'est pas en mesure, pratiquement, de contester lanomination de l'arbitre faite par le Président du Centre, ni la validitéde la sentence rendue ultérieurement - d'autant moins que l'exécutionde cette dernière pourra facilement être obtenue par l'Etat partie àl'arbitrage (cf., en particulier, l'article 54 de la Convention). Quant àl'Etat lui-même, il est lié par un traité international. TI est superflud'imaginer l'hypothèse, bien théorique, où le Président du Centre auraitprocédé à la nomination, de l'avis de l'Etat en question, en dehors desconditions prévues par la Convention (par exemple dans un cas où letribunal arbitral aurait été constitué « dans les quatre-vingts jours sui­vant la notification... » de l'avis de l'Etat, mais non pas de l'avis duPrésident du Centre).

En droit commun, en revanche, le risque d'une contestation de ladécision du tiers désignateur de nommer l'arbitre et, partant, d'unecontestation de la validité de la sentence arbitrale elle-même, ne peutpas être ignoré. Même s'il est rarement réalisé dans la pratique, sa seulepossibilité constitue un inconvénient majeur, et risque du reste de pesersur l'attitude des « tiers désignateurs », en les incitant à une prudenceexagérée, propre à favoriser les pratiques de la partie qui se dérobe àl'arbitrage.

Une récente illustration de cette hypothèse est fournie par l'affaireSapphire. Il est d'autant plus admissible de citer ce précédent dans uneétude sur l'arbitrage « semi-international » que le co-contractant de laSociété canadienne Sapphire, la Société iranienne des pétroles N.I.O.C.,bien que société commerciale de droit iranien ayant une certaine auto­nomie, dépend assez étroitement de l'Etat iranien et que, d'autre part,la Convention de la Banque Mondiale, précisément, en son article 25,al. 1, s'applique aux différends entre un investisseur et une « collectivitépublique » ou un « organisme dépendant » de l'Etat contractant, pourautant, il est vrai, que ce dernier l'ait désigné au Centre; cet élargisse­ment nécessaire tient compte du fait notoire que « dans de nombreuxcas les questions relatives aux investissements étrangers relèvent non del'Etat central lui-même mais de subdivisions politiques, établissementspublics ou autres organismes spécialement créés à cet effet et jouissantd'une certaine autonomie, y compris dans le domaine financier13». Quoiqu'il en soit du statut exact de la société N.I.O.C.14,la valeur du précé­dent n'est pas niable.

(13)Roulet, étude citée note t, p. 138.(l4) Cf. sur ce point Logie, étude citée note 7, p. 393.

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c118 PIERRE LALIVE

Dans cette affaire, le Président du Tribunal fédéral, M. Schönen­berger, rendit une « ordonnance », le 12 janvier 1961,sur la demande deSapphire, nommant arbitre unique, au sens de l'article 41 du contratentre les parties, le juge fédéral Cavin.

Quelquetemps après, N.I.O.C.demandait au même Président du Tri­bunal fédéral, notons-le,d'annuler la nomination de l'arbitre, nominationdemandéeà son avis, en violation de la clause compromissoire,soit avantl'expiration du délai de deux mois « dès l'ouverture de la procédure »(N.I.O.C. considérait en effet la procédure comme n'ayant pas étéouverte valablement par une lettre du 28 septembre 1960signée par laSociété mère, « Sapphire Petroleum, et non pas par la Société fille,cessionnairedu contrat, Sapphire international). En présence d'un désac­cord entre les parties sur l'interprétation des termes de la clause arbitrale,le ({tiers désignateur » devait nécessairement entrer en matière sur larequête de nomination (et non pas, évidemment, la rejeter du seul fait del'opposition d'une partie), ne fût-ce que pour vérifier si les conditionsd'une nomination d'arbitre étaient réalisées - vérification qui impliquaitl'interprétation de la clause compromissoire.

Dans sa « décision» du 17mars 1961,rejetant la requête de N.I.O.C.en .annulation de la nomination d'arbitre, le Président du Tribunalfédéral réaffirme que le délai part bien du 21'septembre 1960,et que, parconséquent, la nomination de l'arbitre a été faite conformément aucontrat; et il ajoute que l'argument de la Société N.I.O.C.({heurte mani­festement le principe de la bonne foi... principe juridique généralementreconnu ». Quant à l'arbitre auquel la Société N.I.O.C.ne présenta pasd'exception d'incompétence,_il devait se considérer comme lié, à la foispar la décision ({ judiciaire » du Président du T.F. et par sa propreacceptation.

On sait la suite, soit le défaut de N.I.O.C.,la contestation par celle-cide la validité de toute la procédure arbitrale et l'instance en annulationintentée par N.I.O.C., avec succès, devant le Tribunal de premièreinstance de Téhéran15•

Le précédent Sapphire - auquel il sera fait encore allusion à proposde l'exécutiondes sentences arbitrales - illustre bien la relative fragilitédes mécanismes de droit commun en matière d'arbitrage internationalou « semi-international ». Et ilmet en lumière, par contraste, la fermetéplus grande du système de la Convention de la Banque Mondiale.

(15) Sur l'affaire Sapphire, surtout quant au fond, v. J.F. Lalive, Ann. suisse dr.cru; 1962,IX, p. 273,et sur les aspects procéduraux, le commentaire intéressant maistrès tendancieux de Suratgar in CoLum.J. TransnationaL Law 1965,pp. 152 et ss..article dont nous montrons les principales insuffisances dans une étude à paraîtreprochainement à Fribourg dans un recueil de « Mélanges » en l'honneur du jugeSchönenberger,

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PIERRE LALIVE 119'

II. - AUTRES DIFFICULTES « PROCEDURALES»DE L'ARBITRAGE ENTRE ETATS ET PERSONNES PRIVEES

Le tribunal arbitral étant constitué, un pas essentiel a été franchi,et un « problème fondamental » résolu. Cependant, certains problèmessubsistent, certaines difficultéspeuvent surgir qui sont propres à compro­mettre, soit la bonne marche de I'arbitrage, soit, plus tard, l'efficacitédela sentence. Passons en revue quelques-unesde ces difficultés,

D'autres possibilités de non-coopération(autres que le refus de colla­borer à la constitution du tribunal lui-même) s'offrent en effet auxparties. Nous envisagerons ici la partie étatique (non pas, faut-il le pré­ciser, qu'il faille la tenir à priori pour suspecte, mais tout simplement,parce que l'investisseur, lui, est généralement plus vulnérable en fait, sibien que son éventuelle obstruction suscite moins de düficultés juri­diques).

A. - Le retrait de l'arbitre nommé par une partie

Dans l'arbitrage international privé, un tel retrait est rare et nepose guère de problèmesparticuliers : des moyens existent, tel le recoursà un tribunal ordinaire, pour obtenir le remplacement de l'arbitre défail­lant - qui n'aurait pas été retenu par la perspective des dommages­intérêts auxquels l'exposerait un retrait ou une démission injustifiée.Dans l'arbitrage inter-étatique, en revanche, on trouve d'assez nombreuxexemples de retraits, soit avant soit après le début de la procédureie.Sur ce terrain, la variété des solutions données, souvent plus politiquesque juridiques, rend düficile la formulation de règles, non pas sur lecaractère illicite ou non du retrait de l'arbitre mais sur les effets juri­diques d'un retrait illicite.

En matière d'arbitrage « semi-international », on connaît le prece­dent fameux de la « Léna Goldfields », affaire dans laquelle, malgrél'absence de l'arbitre soviétique (comme des conseils du Gouvernementde l'U.R.S.S.),un tribunal arbitral de deux membres fut en mesure derendre sa sentence, le 3 septembre 1930,sur la base d'une clause compro­missoire originale qui prévoyait expressément l'hypothèse d'un refus desiéger de la part d'un arbitreit. Même lorsque la cause compromissoired'un contrat d'investissement révèle semblable prévoyance, il est clair

(16) V. par exemple, pour la première hypothèse. l'affaire du Conseil arbitrajfranco-tunisien. Rev. gén. dr. into pub. 1958,p. 256, A.F.D.r. 1957,p. 181, et pour laseconde, l'affaire de la Commissionarbitrale franco-mexicaine créée par la conventiondu 25 septembre 1924 ou l'affaire des Optants de Transylvanie sans parler du casplus récent de la « Commission d'enquête et de conciliation franco-marocaine » dansl'affaire de l'avion F. OABV,en 1950.

(17) Cf. Cornell L. Qrly 1950,36. p, 42.

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-que le retrait de l'arbitre sur les instructions de la partie gouverne­mentale annones de sérieuses difficultés pour l'avenir, au moins au stadede l'exécution de la sentence.

Le système de la Convention de la Banque Mondiale, pour sa part,coupe court à ces difficultés et paraît bien propre à décourager l'Etat derecourir à ce procédé (cf. l'article 38, applicable, semble-t-il,par analogieà l'hypothèse du retrait de l'arbitre, ainsi que le Règlement d'Arbitrageélaboré par le Conseil Administratif du Centre).

B. - Le défaut

Des considérations analogues s'appliquent au défaut d'une partie,lequel, en droit commun, sans paralyser la marche de l'arbitrage,annonce pourtant de graves difficultés au stade de l'exécution de lasentence, ainsi qu'en témoignent les affaires Léna Goldfields et Sapphire.On peut penser que sont valables en quelquesorte a fortiori sur le terrainde l'arbitrage « semi-international » les principes dégagés par la pratiquede l'arbitrage international pubücte.

On peut partir, en droit commun, du principe général suivant lequel« personne ne saurait se prévaloir en sa faveur du non-accomplissementde ses obligations juridiques » : opposé dans un arbitrage à un investis­seur, un Etat ne peut donc espérer paralyser la procédure par sa non­participation.

Cette constatation n'enlève pas son intérêt à l'article 45de la Conven­tion, qui la confirme indirectement, en réglementant plus précisémentla procédure par défaut.

C. - Les contestations de la compétence

Si le défaut est souvent motivé par une prétendue incompétence dutribunal, voire par son inexistence, il va sans dire que l'attitude correcteconsiste en une comparution sous toutes réserves, accompagnée de l'allé­gation d'exceptions. La pratique de l'arbitrage, qu'il soit inter-étatique,commercial, ou encore « semi-international », est notoirement riched'allégations de ce genre : le défendeur prétend qu'il n'y a pas de diffé­rend, ou pas de différend « arbitrable », ou que la nomination de l'arbitreunique est nulle (commeon l'a vu dans le cas Sapphire) ou encore, assezfréquemment, que le contrat et la clause compromissoire sont inexistantsou nuls. Le procédé est véritablement classique (encore qu'il ne faille pas

(18) V. par exemple l'avis catégorique de M. Verzijl, président de la Commissionfranco-mexicaine en 1929,cf. Balasko, p. 280,ainsi que le deuxième Avis consultatifsur l'interprétation des traités de paix, de la C.LJ., Rec. 1950,p. 223, où la Courmentionne, sans avoir à l'appliquer, le principe selon lequel un tribunal peut statuervalablement malgré la réduction du nombre primitif de ses membres par un retrait.

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nécessairement attribuer son emploi à une volonté d'obstruction, aussibien au stade de la constitution du tribunal arbitral que plus tard aucours de la procédure ainsi que de l'opposition à l'exécution de lasentence).

On sait les difficultés d'ordre théorique que soulèvent, par exemple,les contestations fondées sur une prétendue invalidité de la clause com­promissoire, ceci aussi bien pour l'arbitrage interne que pour l'arbitrageinternational.

Dans une conception « contractuelle »,et non pas « juridictionnelle »de l'arbitrage, l'invalidité du contrat d'arbitrage enlève toute base à laprocédure (au sens large de ce terme) et l'arbitre n'est plus rien; lemoyen tiré de l'invalidité paralyse efficacement toute solution arbitralel9_Il est superflu de souligner les inconvénients d'une théorie qui est pourreprendre les termes d'un arrêt de la Cour de Paris20à propos de l'actionpréventive devant les tribunaux ordinaires en nullité d'une conventiond'arbitrage, « de nature à retirer toute portée certaine aux conventionsd'arbitrage et à les rendre illusoires ».

Or c'est pourtant la solution qui fut adoptée dans l'affaire Losingerpar le surarbitre (un juge fédéral suisse) dans un jugement préjudicieldu 11 octobre 1935 : considérant que le quatrième des déclinatoires decompétence présentés par l'Etat yougoslave (sur la base de la loi yougo­slave, postérieure à la naissance du différend,sur « la direction du conten­tieux d'Etat» loi qui interdisait l'arbitrage pour les litiges auxquels l'Etatest partie) mettait en cause la validité même de la clause arbitrale et.donc, sa propre compétence (ou « investiture » - car il n'y a pas lieu, à .ct' ' ,

notre avis, en tout cas en matière d'arbitrage international, de distinguer .'investiture et compétence), l'arbitre a suspendu la procédure, laissantaux parties le soin de soumettre la question « à l'autorité compétente » !

Cette fâcheuse décision, bien qu'elle porte, peut-être la marque d'uneépoque révolue, illustre assez bien une certaine fragilité inhérente à l'arbi­trage entre Etat et personnes privées d'une autre nationalité, au moinsdans une certaine conception doctrinale exposée naguère, au Congrès deParis de l'Arbitrage, par le Doyen Vedel. Selon cette conception, la vali­dité de la clause compromissoire,comme du contrat qui la contient, entrel'Etat et le ressortissant étranger, ne pourrait avoir d'autre base logiqueque la loi même de cet Etat et, par conséquent, serait inévitablementsusceptible d'être affectée par toute modification postérieure de la légis­lation étatique (quoi qu'il en soit d'une éventuelle responsabilité interna­tionale de ce chef). - Ce n'est pas ici le lieu de discuter cette thèse _qui nous paraît inadmissible - dont on sait les réactions qu'elle asuscitées, notamment un mouvement doctrinal vigoureux en faveur du« droit transnational » et de l'application du principe « pacta sunt ser-

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(19) Pour un exemple de certaines décisions en ce sens, Casso6 octobre 1953,D. 1954,p, 25,Adde Carabiber, J. ci, dr. into 585B no 47.

(20) 22 janvier 1957 cité par Rubellin-Devichi, L'arbitrage, nature juridique,Droit interne et Droit international privé, no 333.

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vanda » aux rapports entre Etat et ressortissants étrangers. Nous n'exa­:mineronspas ici la question du droit applicable à la validité de l'enga­gement d'arbitrage ni, plus généralement, aux rapports entre les parties(cf. à ce dernier sujet l'article 42de la Convention).n était utile, cepen­dant, de l'évoquer en passant, ne fût-ce que pour mesurer l'immenseprogrès apporté par la Convention de la Banque Mondiale, avec son.« internationaliSation » de l'engagement d'arbitrage.

La décision de l'arbitre dans le cas Losinger était probablementconforme à la doctrine de l'époque. Depuis, la pratique internationale,ainsi queles Junsprudences nationales et la doctrine,a évolué.En matièred'arbitrage international, aussi bien privé qu'inter-étatique, le droit desarbitres de statuer sur leur propre investiture ou compétence est certai­nement reconnu aujourd'hui; de nombreux règlements d'institutionsarbitrales en témoignent, avec certaines variantes dans les soluttonsai.Sur le terrain particulier de l'arbitrage « entre deux parties dont l'uneseulement est un Etat », il faut citer encore l'article 4 du Règlement dela Cour Permanente d'Arbitrage.

C'est donc avec raison que, commentant l'article 41, al. 1, de laConvention, le Rapport des administrateurs de la B.I.R.D.constate sim­plement qu'il « réaffirme le principe bien établi que les tribunaux inter­-nationauxdoivent être juges de leur propre compétence ». L'originalitédu système de la Convention est ailleurs, par exemple, dans la compé­tence, d'ailleurs étroitement limitée (Rapport, n- 38) donnée au Secré­taire général du Centre de « filtrer » les requêtes d'arbitrage, lorsqu'il« estime au vu des informations contenues dans la requête que le diffé­rend excèdemanitestement la compétencedu Centre ». On notera, d'autrepart, que l'article 64ne confèrepas à la Cour Internationale de Justice lepouvoir de ({réviser les décisions d'une commission de conciliation oud'un tribunal arbitral relatives à leur propre compétence à l'occasiond'un différend qui leur est soumis ». (Rapport des administrateursn° 4522.)

D. - Recours contre la sentenceet refus d'exécution

Le dernier « aspect procédural » quenous voudrionsévoquerconcerneIa force obligatoire et l'exécution des sentences arbitrales. Nul n'ignoreque c'est dans ce domaine que peuvent surgir les plus graves difficultés,en particulier pour l'investisseur qui aurait obtenu gain de cause devantle tribunal arbitral. Aussi est-ce dans ce même domaine qu'apparaissentpeut-être le mieux à la fois l'importance et la relative faiblesse de laConvention du 18mars 1965.

(21) Cf. par exemple l'article 13du Règlement de la Cour d'arbitrage de la C.C.Î.,v. aussi l'article 2, par. 3, de la Convention de New York de 1958et surtout, disposi­tions particulièrement significativesde cette tendance à la « juridictionnalisation » del'arbitrage international commercial, les articles 5 et 6 de la Convention de Genèvede 1961.

(22) Cf. à ce sujet Broches, op. cit. note L p. 274, et Roulet, op. cit. note 1,-pp. 132-133.

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Certes, il ne faut pas surestimer les difficultés ou leur fréquence.-:Enmatière d'arbitrage « semi-international », en particulier, les sentencesdéclaratoires - qui se bornent à constater un état de fait ou de droit -ne sont pas rares. La « pression de l'effet moral au de la portée socialede la décision23» suffit souvent à assurer le respect de la décision parla partie perdante, s'agit-il même d'un Etat, que l'on aurait tort d'ima­giner comme ayant toujours une position ou une volonté « monolithi­ques » sur le problème litigieux. Les difficultés d'exécution, enfin, nesont pas nécessairement proportionnelles à l'importance de l'enjeu(ainsi qu'en témoigne,par exemple,le cas de l'arbitrage Arabie Saoudite­Aramco, où la sentence, du 23 août 1958,fut respectée par le Gouverne­ment Saoudite).

nn'en demeure pas moins que l'investisseur aura souvent de grandesdifficultés,une fois la sentence arbitrale obtenue à son profit, d'en obtenirl'exécution, de par le déséquilibreinhérent, en général, à la position desparties (et à la localisation matérielle des investissements en cause,souvent situés géographiquementdans le territoire de l'Etat condamné).On pensera ici, par exemple, à l'affaire, déjà citée, de la Société euro­péenne d'études et d'entreprises ou, plus récemment, à l'affaireSapphire24•

En droit commun, la seule possibilité pratique pour l'investisseurCsauï, sans doute, lorsqu'il s'agit d'une puissante société qui, dominantun marché mondial, est en mesure d'exercer une pression efficace surl'Etat défendeur) consiste à rechercher dans d'autres Etats, le plussouvent des Etats tiers, des biens (comptes en banque, navires, aéronefs,etc.) appartenant à l'Etat défendeur ou à l'un de ses organismesplus oumoins dépendants. Cecipose, on le voit d'emblée,le problème de l'immu­nité de l'Etat ou des organismes étatiques (et le jugement hollandais quivient d'être cité dans l'affaire Cabolent, démontre l'importance de cetobstacle).

Avant même, pourtant, que la question vienne à se poser, l'Etatpartie à l'arbitrage (et qui, par hypothèse toujours, a été condamné par1a sentence) disposede moyens souvent efficacesde paralyser l'exécution(ou tout au moins de la retarder assez longtemps pour amener l'investis­seur à composer), en contestant la validité de la .sentence devant lestribunaux ordinaires, soit de son propre pays (cf. l'affaire Sapphire), soitdevant ceux d'un Etat tiers.

n faut évoquer,sans pouvoir bien entendu l'approfondir, le problèmeimportant du droit applicable à la procédure arbitrale, soit de la « loi deJ'arbitrage »,

Quellequ'ait été cette loi, en fait, comment les arbitres pourraient-ilsêtre sûrs que la procédure qu'ils ont suivie ne sera pas considérée, surtel ou tel point, comme contraire aux conceptions fondamentales del'Etat où se posera une question d'exécution (après un séquestre, par

(23) Roulet, op. cit. note 1. p. 152; Delaume, op. cit. note 1. p. 41.(24) Cf. à ce sujet le jugement de la Cour de district de La Haye, 2' Chambre.

-dansl'affaire N.V. Cabalent c. Nioc, du 15 avril 1965.

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exemple)? Plus précisément des difficultés peuvent surgir en cas dedivergences entre les dispositions de la « loi de l'arbitrage », choisieexpressément ou tacitement (mais non pas selon une prétendue ({volontéprésumée » ou hypothétique) par les parties, directement ou indirecte­ment, d'une part et, d'autre part, les règles impératives ou, mieux, d'ordrepublic de la loi du lieu où se déroule l'arbitrage, c'est-à-dire de la loidite, selon le terme consacré et discuté, du ({siège » de l'arbitrage.

En matière d'arbitrage international privé, la controverse se poursuitentre les partisans de l'autonomie absolue ou, au moins, très large desparties, et les tenants des thèses « territorialistes », beaucoup d'auteursadoptant au ,surplus des positions intermédiaires. Selon souser-nauss :

« Il est des règles de l'Etat du siège qui sont strictement impéra­tives et auxquelles les parties ne peuvent déroger; elles concernent ledroit que tout Etat se réserve de contrôler dans une certaine mesure lesopérations d'arbitrage et de réviser les sentences arbitrales ou d'en pro­noncer la nullité ...26 »

Ajoutons encore à cette trop rapide esquisse doctrinale, quelquesindications, également Simplifiées,sur la pratique : on sait que la juris­prudence de plusieurs pays s'est montrée de plus en plus favorable, à uneépoque récente, à l'autonomie de la volonté en matière d'arbitrage inter­national, n'hésitant pas à refuser d'appliquer à cet arbitrage les normesmême impératives, même d'ordre public, de la loi du siège27.Dans unsens analogue, on pourrait citer la jurisprudence française qui, en vertude la dualité de l'ordre public, admet la reconnaissance en France d'unesentence « anglaise » non motivée, ou accepte qu'une procédure arbitralesoit régie par un droit autre que celui du « siège » français.

La portée de telles décisions, cependant, prête à controverses et n'estaucunement incompatible avec la thèse territorialiste de la prédOminancedu siège. A l'appui de cette dernière thèse, certains ne manquent pas defaire observer que, dans divers pays, il est impossible aux parties de sous­traire entièrement la procédure arbitrale au droit de l'Etat du siège (aumoins dans la phase de reconnaissance et d'exécution de la sentence oumême, auparavant, dans la phase de la procédure proprement dite :ainsi, en Angleterre, même lorsque l'une des parties à l'arbitrage est unEtat étranger28).

(25) Ann. Institut dr. into 1952, 44, I. p. 531.(26) Pour une récente réaffirmation, très vigoureuse et incisive, de la compé­

tence nécessaire de la loi du siège comme lex aroitri, d'où dépend toute idée d'auto­nomie des parties : F.A. Mann, « Lex facit arbitrum », in Liber amicorum MariinDOm.ke, pp, 157-183. En sens opposé les exposés les plus marquants sont ceux de,B. Goldman, ainsi que l'ouvrage de Fouchard.

(27) V. par exemple l'arrêt du tribunal cantonal vaudois dans l'affaire Omniumfrançais de pétroles c. Gianotti, du 24 novembre 1948, Journal des Tribunaux 1949, m"112,à propos d'un arbitrage de la C.C.I.,ou l'affaire Rhodiaceta C. Montecattini jugéepar le tribunal de première instance de Genève le 2 juillet 1959 : Rev. de l'arbitrage1959, p. 90.

(28) Duff DevelopmentCo Ltd V. Government of Kelantan (1924)' A.C. 797

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D'autre part, on connaît la tendance contemporaine vers un arbitrage-« dénationalisé », détaché aussi totalement que possible de l'emprise,d'une loi étatique, notamment de celle du siège, pour être soumis à une.autonomie « totale », au moins en ce qui concerne la constitution dutribunal arbitral et la procédure. Si les efforts de certains milieux, commeceux de la Chambre de Commerce internationale, pour obtenir la consé­.cration de la notion de « sentence internationale », soustraite à l'autoritéde toute législation interne, même impérative, n'ont pas abouti, on doit.reconnaître la réalité de l'évolution accomplie dans ce sens, avec les.Conventions de New York de 1958,';;.rticle5V, § 1 - dont la portée est.du reste contestée29,et de Genève de 1961,article IV30.

Ces quelques jalons rapides permettent de mieux situer la Conventionde la Banque Mondiale « en perspective », bien qu'elle ait, elle, pO,ur {'objet spécifique l'arbitrage « semi-international », Tout le mécanisme .de cette Convention, soit dit en abrégé, tend à créer un système auto-nome, indépendant d'une loi locale et à soustraire la procédure arbitraleà toute possibilité d'intervention de l'Etat « local» - qu'il s'agisse del'Etat où se pose' un problème d'exécution ou de l'Etat du « siège », quece soit le District of Columbia ou un autre Etat, dans l'hypothèse excep-tionnelle de l'article 63. Ce « détachement 11 oil, mieux, cette « interna­tionalisation » du droit de l'arbitrage est opérée par divers moyens : par"l'établissement d'un petit code de procédure par la Convention elle-mêmeet, surtout, par le Règlement adopté par le Centre d'arbitrage; ainsi que_par le devoir fait aux Etats signataires de « reconnaître toute sentencerendue dans le cadre de la Convention comme obligatoire » (article 54)et, par conséquent, d'exclure toute compétence de leurs lois locales et deleurs tribunaux locaux à l'égard de ces sentences.

L'intérêt de cette solution est trop évident pour appeler de longscommentaires. On sait assez l'inadaptation de la plupart des lois localesaux exigences particulières de l'arbitrage international, et tout particu­lièrement de l'arbitrage entre Etat et personnes privées (on se souvient-,des tribulations récentes de deux sentences rendues en territoire vaudois,'.dans l'afiaire de la Société européenne d'études et entreprises et dans: l'affaire Sapphire).

Il faut encore mentionner, en rapport direct avec cette inadaptation-.des procédures locales à l'arbitrage international ou « semi-interna­,tionaI », la thèse proclamée dans la sentence arbitrale rendue entre_l'Arabie Saoudite et l'Aramco, selon laquelle « l'institution de l'arbitrage,comme telle ne peut que relever directement du droit des gens... »..il Y aurait là, selon M""e S. Bastid31 un important « précédent Il, dont les.motifs « paraissent valoir pour tout arbitrage entre Etat et particuliers »,

{29) V. Fragistas,Rev. crit. dr. into pr. 1960, p. 16.(30) Cf. Klein, Rev. cTit. dr. into pr. 1962, pp. 621-635; Fouchard « L'arbitrage

"commercial international », Paris 1965, n' 513 et passim.

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Rappelons que le tribunal arbitral32, voulant appuyer la procédure­arbitrale sur un système de droit existant, et non pas la laisser à sapropre discrétion, a commencé par écarter l'applicabilité des deux loisétatiques des parties (Ia loi saoudite, à cause de la volonté manifeste desparties de l'écarter, la loi américaine comme n'ayant aucun titre decompétence).Ensuite, la sentence entreprend d'écarter, dans une moti­vation insistante, sinon entièrement convaincante, l'application de la loidu « siège », c'est-à-direde la loi de procédure de Genève,car le tribunal« ne saurait admettre que l'arbitrage auquel participe un Etat souverainpeut relever de la loi d'un autre Etat; il estime qu'une ingérence dElcedernier constituerait un empiètement sur les prérogatives de l'Etat partieà l'arbitrage, de nature à rendre illusoire la sentence qui serait renduedans ces conditions ». (P. 305.)

On arrive ainsi, par élimination - la sentence ayant rejeté implici­tement l'hypothèse d'une procédure entièrement régie par l'autonomiedes parties, qui auraient délégué presque entièrement leurs pouvoirs surce point aux arbitres - au droit international public.

Seul, à notre connaissance, des commentateurs de cette sentence,M. Batiffola relevé le caractère curieux de ce rattachement au droit desgens, quant à la procédure arbitrale, dont le tribunal ne semble avoirtiré d'autre conséquence que la possibilité de déposer la sentence auxarchives de l'Etat (plutôt qu'au Greffe du tribunal de Genève)33.De fait"les motifs explicites de la décision sur ce point ne sont guère convain­cants : on remarquera que, en ce qui concerne la procédure d'arbitrage,le tribunal retient le fait que l'une des parties est un Etat, ceci pourexclure le jeu des principes du droit international privé, et arriver àsoumettre la procédure au droit des gens. En ce qui concerne le fond dulitige, le même tribunal constate que l'une des parties n'est pas un Etat,mais une compagnieprivée,d'où résulte que la concessionde 1933ne peutpas relever du droit des gens (conformément au « fameux » principeproclamépar la C.P.J.Ldans l'affaire des Emprunts serbes,Série A~n- 20,p. 41).Cette argumentation « sélective » demeure peut compréhensible,ànotre avis, si l'on ne s'efforcepas de lire entre les lignes, et de découvrirles raisons pour lesquelles une application de la loi du siège aurait pu« rendre illusoire la sentence qui serait rendue ».La jurisprudence gene­voise ne s'étant jamais prononcée, ainsi que le rappelle le tribunal, surl'applicabilité de la loi locale à un arbitrage « semi-international », lerisque existait, et devait être envisagé,d'une décision « affirmative » surce point, risque aggravépar le dépôt de la sentence, prévue par la loi, auGreffe du tribunal. Il en aurait résulté, notamment, l'application del'article 372LPC, d'ordre public, selon lequel les parties ne peuvent pasrenoncer par avance à attaquer en nullité une sentence arbitrale. Or les

(31) A.F.DJ. 1961,p. 912;v. aussi Batiffol, Rev. crit. dr. into pr. 1964,p. 648et s.(32) V. Ie texte de la sentence in Rev. crit. dr. into pr. 1963,pp. 272-363.(33) Rev. crit. dr. into pr. 1964,p. 649.

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nombreux moyens de nullité offerts par la loi locale aux parties perdantesallaient directement à l'encontre de la volonté clairement exprimée parles parties, en l'espèce, d'obtenir une sentence définitiveet sans recours.

Nous ne saunons affirmer en conclusion que la sentence de l'Aramco-constitue un véritable précédent, ni qu'il existe un « droit commun» del'arbitrage entre Etat et particuliers sur la question de la loi applicableàl'arbitrage et, en particulier, de l'applicabilité ou de l'inapplicabilitéde laloi localedu « siège».En l'état actuel des choses,il est clair qu'un arbitreprudent fera bien, tout en proclamant peut-être dans sa sentence, soitl'autonomie absolue des parties, soit le fait que l'arbitrage est régi par ledroit international public, de consulter discrètement les règles impéra­tives du « siège » ainsi que, s'il est possible, celles des pays, s'ils sontdéterminables, où la sentence pourrait éventuellement être contestée.

On mesure aisément, dans cette situation, l'intérêt de la solutionnouvelle apportée par la Convention de la Banque Mondiale.

Pour en revenir au problème spécifiquede l'exécution de la sentence,'et en terminer avec lui, signalons l'intérêt des dispositionsqui définissentet réglementent les voies de recours (articles 50,52) et surtout l'intérêtdes articles 53 et 54, dont la valeur provient, plus encore que de leurcontenu propre, de leur caractère conventionnel, s'imposant aux Etats(à « chaque Etat contractant » précise l'article 54, fût-il un Etat tierspar rapport au lieu de l'arbitrage et à la nationalité des parties. Il y a làun progrès considérable,que pouvait seul réaliser un traité international,en regard des difficultés et des menaces qui pèsent, ainsi qu'on l'a vu,.sur les arbitrages « ad hoc » en droit commun).

Une lacune, ou une imperfection, assez importante de la Convention,toutefois, consiste dans son extrême prudence - sans doute inévitabledu point de vue diplomatique,si les auteurs de la Convention voulaient'en obtenir l'adoption - quant à l'immunité d'exécution des Etats (arti­de 55). La Convention ne résoud par le problème illustré par exemple'par le jugement du tribunal de District de La Haye, dans l'affaireCabolent contre N.LO.C.Sans s'en étonner, on peut le regretter, et yvoir une entorse au principe, qui a inspiré toute la Convention, de l'équi­libre entre les deux parties, Etat et investisseurs. Il faut bien admettre,avec Delaume34que « en l'état actuel du droit, cette solution, sans doutetout aussi peu satisfaisante pour l'esprit que la diversité des législationsen présence, s'avérait inéluctable... », sur le terrain de la Convention.'Un progrès peut être souhaité sur le terrain de la pratique en matièred'immunité d'exécution, plus particulièrement en ce qui concerne les-organismes,plus ou moins dépendants de l'Etat, que ce dernier a jugébon de créer, souvent dans son intérêt et dans l'espoir de faciliter sesTapports avec les investisseurs.

(34) Journ. dr. into 1966.p. 640.

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CONCLUSION

La Convention du 18mars 1965 a créé un « mécanisme institutionnelpour le règlement par voie de conciliation et d'arbitrage des différendsrelatifs aux investissements entre Etats et investisseurs étrangers »(cf. Rapport des Administrateurs, p. 2, n° 6). Le type d'arbitrage qu'elleétablit est bien « institutionnel II au sens de la définition proposée plushaut (quand bien même le « Centre international pour le Règlement desDifférends relatifs aux Investissements II n'arbitre pas lui-même leslitiges, pas plus que la Cour d'Arbitrage de la Chambre de CommerceInternationale ou le Bureau de la Cour Permanente d'Arbitrage).

Son très grand mérite, chacun s'accorde à le reconnaître, est d'assurerque le consentement à l'arbitrage, une fois donné, ne peut plus être retiréunilatéralement, et de garantir la constitution et le fonctionnement dutribunal contre les manœuvres d'obstruction dont l'histoire contempo­raine nous a donné trop d'exemples.L'arbitrage « semi-international II estdevenu nettement, dans un tel cadre, un « arbitrage judiciaire II (paropposition à l' « arbitrage traditionnel », où la constitution et le fonc­tionnement du tribunal sont largement laissés à la bonne volonté des.parties35.

Sur le terrain de la procédure proprement dite, la Convention nousoffre un système bien équilibré, qui consacre d'ailleurs le plus souventla meilleure pratique internationale, parfois en la précisant (ou même,plus rarement, en restant prudemment en retrait - ainsi sur la question.des mesures conservatoires que, selon l'article 47, le tribunal peut seule­ment « recommander II - à la différencede ce que prévoit par exemplel'article 24 du Règlement de la C.P.A.).

On lit parfois qu'un progrès majeur accompli par la Conventionconsiste en ce qu'elle « confère II ou accorde à des personnes privées undroit d'accès direct auprès d'un organisme international dans un litigequi les oppose à un Etat étranger36• Cette formule est inexacte, bien.entendu, puisque c'est l'Etat hôte qui, en acceptant de soumettre auCentre un différend avec un investisseur, donne à ce dernier cet accès'direct à une instance internationale (comme le déclare très justement leRapport des Administrateurs n° 33).Cela dit, l'innovation reste « impor­tante II et l'œuvre accomplie mérite l'admiration.

Est-ce à dire que le mécanisme ainsi créé sera fréquemment utilisé àl'avenir? Nous ne nous risquerons pas à des prédictions. Exprimonsseulement ici quelquehésitation à suivre certains des zélateurs de l'arbi­trage (I institutionnel », pour lesquels ce dernier type d'arbitrage seraitappelé à remplacer, à plus ou moins brève échéance, l'arbitrage ad hocou occasionnel. En dépit des avantages de l'arbitrage organisé, nous

(35) D. Johnson, op. cit. note 3.(36) Cf. Roulet, op. cit. note 1, pp. 140-153.

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croyons que l'arbitrage ad hoc continuera à être utilisé dans des litigesd'investissement, notamment lorsqu'un Etat y est en cause. Il est fortprobable que les parties préféreront toujours conserver, à tort ou àraison, dans certains cas, un contrôle plus étendu du règlement du litige'et du choix des arbitres. Quoi qu'il en soit, la Convention du 18 mars1965 ne manquera pas, indépendamment même de son application directe,d'exercer de l'influence sur le développement de la pratique arbitraleänternationale.

DISCUSSION

M. KISS:

J'aimerais que M. le Doyen Lalive me rassure sur une dispositionfondamentale de la Convention, l'article 55 qui dit : « aucune des dispo­sitions de l'article 54ne peut être interprétée comme faisant exception audroit en vigueur dans un Etat contractant concernant l'immunité d'exé­cution dudit Etat ou d'un Etat étranger »,

Je me demande si, dans certains cas, il n'y a pas un risque que lasentence ne puisse être exécutée car l'Etat ne reconnaît pas d'exécutionforcée contre lui-même.

M. LALIVE :

Je crains de ne pouvoir rassurer M. Kiss car j'aimerais moi-mêmeêtre rassuré sur ce point. Beaucoup d'Etats ne partagent pas en effet, laconception assez restrictive qui est celle de la jurisprudence suisse enmatière d'exécution contre les Etats étrangers.

Je pense que M. Broches pourra nous rassurer...

M. BROCHES

Vous vous rendez compte que s'u..t~t de l'immunité d'exécution. demandée par un Etat contreune ..§.entemcerendue contre cet Etat, une.~autre stipulation de la Coûiéii'ti;';; j-;;;_;:~'~;;rs'~~~è;tTeng~gème;t formel ~:$. d'ordre international public d'exécuter une sentence. On ne peut ja,maisaller au-delà de cette obligation non équivoque et librement acceptéepar les Etats.

Quant aux sanctions, plusieurs orateurs ont souligné qu'elles pour­raient exister avec l'intervention de la Banque Mondiale... Nous nousefforçons d'être très discrets et de ne pas exercer de pressions mêmemorales sur les pays qui sont des signataires potentiels de la Convention-ou pour obtenir l'application effective de la Convention par les Etats

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130 PIERRE LALIVE

signataires.Mais il se peut que si un Etat viole une obligation très nette"exprimée dans la Convention, les organes de la Banque et d'autres insti-·tutions affiliéeset peut-être la Communauté financière et d'aide aurontdes réticences considérables avant d'accueillir favorablement desdemandes d'assistance de ce pays. Et c'est une des raisons pour lesquellesnous avons pris l'initiative; nous avons voulu éviter ainsi des situations. très délicates, devant lesquelles nous nous trouvons parfois lorsque' des,~pays membres ou des investisseurs portent plainte contre un Etat X et!nous demandent d'arrêter notre aide et nos opérations financières avec~;ce pays. Ce sont des situations délicates car l'on se trouve devant desrevendications unilatérales; il n'y a pas alors de décision impartiale etnous sommesdevant une situation très difficile,car nous ne voulons pasêtre juge. Avec la Convention, si un Etat consent à la compétence duCentre, s'il y a eu sentence rendue contre cet Etat et que celui-cin'exécute pas la sentence, nous avons une situation très nette et trèsclaire et les problèmes de conscience ne se présenteraient pas de lamême façon ou ne se présenteraient pas du tout. C'est pour nous la seuleassurance indirecte.

M. LALIVE :

Je ne suis pas totalement rassuré et j'en vois une autre preuve dansl'art. 54, dans cet engagement que « chaque Etat contractant reconnaîttoute sentence rendue dans le cadre de la présente Convention commeobligatoire». '".•• ~,,"""-"'''-~''''''''''''' ..~ ,_.~~ _ , ~ .

Je signale en passant un récent jugement du tribunal administratifde l'Organisation Internationale du Travail qui note que l'expressionfrançaise « dans le cadre de » ne signifie strictement rien et que cela estissu de la terminologie anglo-saxonne qui se prête à toutes les interpré­tations. Peut-être le texte anglais est-il plus précis! Mais cela permeti déjà à un Etat de dire que la sentence n'est pas obligatoire car elle n'ai pas été rendue dans le cadre de la Convention. Et on peut, en plus,I penser, commeMonsieur Kiss, que cet engagement est limité en raisonde l'article 55 : il y a donc double possibilité, à deux échelons, de contes­tations de plus ou moins bonne foi.

M.WOLFF:

Je crois qu'il faut aussi lire ces deux articles 54 et 55 à la lumière dece qui est écrit au paragraphe 43 du rapport des administrateurs oùnous lisons que « cet article ne demande pas que les Etats aillent plusloin et mettent à exécution les sentences rendues dans le cadre de laconvention lorsque des jugements définitifs ne pourraient faire l'objet demesures d'exécution »,

Il me semble que c'est précisément la limite prévue par l'article 55.L'explication que m'a donnée ce matin Monsieur Brochès m'a convaincu:dans une très large mesure : il m'a précisé en effet que c'était en fait

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PIERRE LALIVE 131

une protection pour l'Etat receveur cela me semble être un élémentextrêmement important.

M. BROCHES:

li Èn' effet, l'article 54 reflète, à l'origine, un souci exprimé par les paysR. SO~~Y5!1<!.p~squi nous ont dit, à tort ou à raison, mais avec beaucoup~!d'émotion : « notre situation, quant à nous, est extrêmement simple :. si la sentence est rendue contre nous, nous n'avons aucun choix à causedes sanctions indirectes. Si, par contre, et le cas existe ou peut exister,le pays d'accueil a raison et l'investisseur a tort, que ferons-nous?

- S'il y a des avoirs dans notre pays, nous pourrons évidemmentprocéder à une exécution; sinon on tombe sur la Convention de NewYork de 1968,une partie de ces pays sont adhérents de cette Convention,et on poursuit l'investisseur ». Or, pour eux, l'investisseur est une collec­tion de sociétés anonymes avec des actionnaires encore plus anonymeset des avoirs cachés dans tous les pays. C'est dans l'esprit de répondre àcette objection d'un manque d'équilibre du fait qu'on leur imposait descharges plus lourdes qu'à l'investisseur, qu'on a pensé à inclure cetarticle 54.Cela c'était à l'origine.Nous nous sommes demandés ensuite st.on ne pouvait pas en faire quelque chose de plus positif. Il y avait deslimites très nettes si on ne voulait pas déborder le cadre des préoccupa­tions légitimes d'une institution comme la Banque qui ne peut, biensûr remanier les institutions de droit international public. L'exclusion. ou plutôt le saving clause de la réserve de l'article 55 s'explique par!la volonté de mettre une sentence sur le même plan qu'un jugementIi d'une cour nationale mais de ne pas aller au-delà. L'article 43 précise« l'article 54 exige que les Etats contractants assimilent une sentencerendue dans le cadre de la Convention à un jugement définitif de leurstribunaux nationaux. Cet article ne demande pas que les Etats aillentplus loin et mettent à exécution des sentences rendues dans le cadre dela Convention lorsque des jugements définitifs ne pourraient faire l'objetde mesures d'exécution ». Cela ne s'applique évidemment pas à unesentence rendue contre l'Etat en question parce que cet Etat est liédirectement par l'article 53.Ce que nous avons eu à l'esprit ici c'est lecas des Etats tiers ou de l'Etat investisseur. Pour le reste, je crois qu'avecle développement du droit international (pour l'instant tout le dévelop-pement de la théorie et de la pratique de l'immunité, de l'immunité ... _."restreinte, joue sur le plan national) et du droit national au~ujet.....de-"l'immunité, le champ d'application de la Convention sera étendu auto­matiquement. On a dû réserver l'existence d'un certain droit nationalinternational en la matière. /'--_

M. FRANCESCAKIS:

Je voudrais poser une question un peu marginale de terminologie :je voudrais savoir pourquoi Monsieur le Doyen Lalive a employé leterme « semi-international »?

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'I.

~

132 PIERRE LA LIVE

M. LALIVE

Le terme me semblait bien préférable à celui de « quasi-interna­tional Il qu'a utilisé notamment M. Verdross et d'autres et ilme semblaitsurtout beaucoup plus neutre. Maintenant, je suis prêt à le remplacerpar un autre qui serait meilleur.

M. FRANCESCAKIS:

« Semi-international Il appelle une autre moitié qui devrait être« semi-national Il?

M. LALIVE :

Je reconnais avec vous qu'une demi-bouteillepleine est équivalente àune demi-bouteillevide...

M. FRANCESCAKIS

'.

Nous avons dans une matière comme celle-là deux éclairages : ledroit international privé et le droit international public. Nous avonsdeux côtés : semi-international privé et semi-international public. Celapose l'utilisation du terme « international Il.Votre thème ne couvre pasle droit international privé et je le déplore car je suis pour la contiguïtédes deux branches.

M. LALIVE :

Je reconnais la pertinence de cette observation et je ne défendrai pasoutre mesure ce terme qui me paraît simplement un abrégé moins mau­vais et plus commode que celui de quasi-international.

M. GOLDMAN:

Je pense que l'emploi abusif du mot « international » par les seulsinternationalistes de droit public n'est qu'un anglicisme puisque celarevient à traduire « international law » que nos amis britanniques consi­dèrent comme étant le droit international public. Cela est une erreurcar le droit international privé est tout aussi international que le droitinternational public.

M. BERTHOLD GOLDMANProfesseur à la Faculté de Drait et des Sciences Economiques de Paris.

LE DROIT APPLICABLE SELON LA CONVENTIONDE LA B.I.R.D., DU 18 MARS 1965, POUR LE REGLEMENT"DES DIFFERENDS RELATIFS AUX INVESTISSEMENTS­ENTRE ETATS ET RESSORTISSANTS D'AUTRES ETATS,

1. On connaît les difficultés que rencontre l'arbitre, lorsqu'il est­appelé à désigner, dans un arbitrage international auquel une au moinsdes parties n'est pas un Etat ou une organisation mternationalet le droitapplicablesoit à la procédure, soit au fond du litige2• Elles tiennent, pourl'essentiel, à l'absence de systèmes de procédure et de règlement desconflits de lois qui lui soient impérativement imposés (comme le droitjudiciaire et le droit international privé du for le sont au juge étatique),voire simplement d'application,pour lui, logiquement nécessaire; et aussi

~. à l'inadltPt!ttion, souvent constatée, d'un droit matériel étatique quelqu'ilsoit~po~r régir, sous tous leurs aspects, les opérations du commerce­international et régler les litiges qui en résultentë.

Ces difficultés comportent des aspects particuliers, au moins en cequi concerne le droit applicable au fond du litige, lorsque l'une des:

(1) L'arbitrage auquel ne sont parties que des Etats ou des organisations inter­nationales est en dehors de notre propos; il ne fait du reste pas naitre des dlificultésde même type, puisque le règlement des différends qui en relèvent s'opère nécessai­rement dans le cadre du droit international public « classique », c'est-à-dire du droitdes relations entre Etats ou organismes ne dépendant pas d'un Etat (v, S. Bastid,.L'arbitrage international, in J. Cl.Dr. int., fase. 245;Ch. Rousseau, Droit internationalpublic, 1953,no 640s.: P. Reuter, Droit international public, 1958,pp. 292s.; Dehaussyet Goldman, Arbitrage (en général), in Ene. DaU.,Dr. int., nes L et 4; Dehaussy,Arbitrage (Droit international public, ibid.).

{2) V. Fouchard, L'Arbitrage commercial international, Paris 1965,nos 471 s.,536 s.; Goldman, Les conflits de lois dans l'arbitrage international de droit privé,Hec. COUTS,Acad. dr. int., 1963,I, 347 s., 366 s.; Ene. Dan., Dr. int., v. Arbitrage­(droit international privé), nos 42 s., !87 s., 227s.: Robert, Arbitrage civil et commer­cial, Paris 1968,nOS340s., 347s.

(3) V. Fouchard, op. cit., nOS509s., 576s.; Kahn, La vente commerciale interna­tionale, passim; Kahn, The law applicable to foreign investments : The contributionof the World Bank convention on the settlement of investment dispute; Indiana LawJournaL 1968,vol. 44,no 1, p, 15; v. aussi, dans le domaine des contrats entre Etats etentreprises, les références données infra, note 4.