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 Archives de sciences sociales des religions 115 (juillet-septembre 2001) Islam et politique dans le monde (ex-)communiste ................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. ......... Nathalie Clayer Islam et identité nationale dans l’espace albanais (Albanie, Macédoine, Kosovo) 1989-1998 ................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. ......... Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document.  T oute autre reproduction est interdite sau f accord préalable de l'éditeur, en d ehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. .................. ................. ......... Référence électronique Nathalie Clayer, « Islam et identité nationale dans l’espace albanais (Albanie, Macédoine, Kosovo) 1989-1998 »,  Archives de sc iences sociales des religions [En ligne], 115 | juillet-septembre 2001, mis en ligne le 19 août 2009, consulté le 25 juillet 2015. URL : http://assr.revues.org/18443 ; DOI : 10.4000/assr.18443 Éditeur : Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales http://assr.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://assr.revues.org/18443 Document généré automatiquement le 25 juillet 2015. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. © Archives de sciences sociales des religions

Islam Et Identite Nationale Dans l Espace Albanais Albanie Macedoine Kosovo 1989 1998

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Islam Et Identite

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  • Archives de sciences socialesdes religions115 (juillet-septembre 2001)Islam et politique dans le monde (ex-)communiste

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    Nathalie Clayer

    Islam et identit nationale danslespace albanais (Albanie, Macdoine,Kosovo) 1989-1998................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    AvertissementLe contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord pralable de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislationen vigueur en France.

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    Rfrence lectroniqueNathalie Clayer, Islam et identit nationale dans lespace albanais (Albanie, Macdoine, Kosovo) 1989-1998,Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 115|juillet-septembre 2001, mis en ligne le 19 aot 2009,consult le 25 juillet 2015. URL: http://assr.revues.org/18443; DOI: 10.4000/assr.18443

    diteur : ditions de l'cole des hautes tudes en sciences socialeshttp://assr.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur :http://assr.revues.org/18443Document gnr automatiquement le 25 juillet 2015. La pagination ne correspond pas la pagination de l'ditionpapier. Archives de sciences sociales des religions

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    Archives de sciences sociales des religions, 115 | juillet-septembre 2001

    Nathalie Clayer

    Islam et identit nationale dans lespacealbanais (Albanie, Macdoine, Kosovo)1989-1998Pagination de ldition papier : p. 161-181

    1 Pour les populations albanaises des Balkans, comme pour dautres populations de lancien bloc de lEst , le sortir du communisme a amen le multipartisme, et avec lui unerecomposition politique houleuse, chaotique, voire dramatique. Rpartis principalement entrelAlbanie, la Macdoine, le Kosovo et le Montngro1, les Albanais vivent depuis 1989 au curde diverses crises politiques, dont ils sont protagonistes: celle de la difficile reconstructionde ltat albanais aprs leffondrement des structures de lancien rgime lun des plusdurs quon ait vu lEst , celle de la dislocation de la Yougoslavie, celle de laffrontemententre Serbes et Albanais au Kosovo, ou encore celle que connat le nouveau et fragiletat macdonien. Sur le terrain, cette difficile recomposition politique saccompagne dunaccroissement des possibilits de circulation des hommes, des biens et des ides. Elle nestcependant pas ncessairement une rupture. On peut voir certains de ses aspects comme desdveloppements de processus entams depuis le milieu des annes 1980, et mme parfois bienavant. Les acteurs sont dailleurs souvent ceux dhier. Plus gnralement, les mentalits nontpas radicalement chang.

    2 En ce qui concerne le champ religieux, auparavant contrl, instrumentalis, marginalis,voire totalement touff (dans le cas de lAlbanie, o les pratiques religieuses furent interditesen 1967), les volutions sont galement rapides. Il y a l aussi recomposition travers larestructuration des hirarchies officielles et le dploiement des activits dune multitude degroupes et de rseaux venus de, ou influencs par lextrieur, et mlant action humanitaire etproslytisme.

    3 Dans lespace dinteraction (ou de recouvrement) de ces deux champs politique etreligieux trs instables, on observe des phnomnes complexes qui mettent en relation defaon multidimensionnelle des communauts ethnico-religieuses ou des rseaux desolidarits, des partis politiques, des mouvements et groupes religieux locaux, des acteursextrieurs (politiques, religieux ou politico-religieux). Il sensuit un jeu dans lequel peuvententrer en ligne de compte, non seulement des facteurs religieux et politiques, mais aussi desfacteurs communautaires, personnels, matriels ou autres, qui forment un cheveau souventdifficile dmler. Lun des rvlateurs de ces recompositions politico-religieuses estle dbat qui sinstaure dans la socit albanaise dans son ensemble autour des questionsidentitaires, notamment sur larticulation entre identit ethnico-nationale et identit religieuse.

    4 Lislam en particulier, religion de la majorit des Albanais, tient une place non ngligeabledans ce champ dinteraction entre le politique et le religieux, mme si, en tant que tel, ilnest pas au cur des conflits et tensions actuels et cela pour plusieurs raisons. Il nest pasun marqueur identitaire unique face aux populations voisines (Serbes, Macdoniens, Grecs).La majeure partie des lites albanaises est lacisante , voire athe , et les oulmasnont pas une position vritablement prminente dans la socit. Enfin, il nexiste pas demouvement islamiste comparable au courant panislamiste de Bosnie-Herzgovine, loriginede la constitution du Parti de lAction dmocratique (Stranka demokratske akcije, SDA)2.

    5 Le but de cet article est de montrer comment sarticule diffremment le rapport entre islamet politique selon quil sagit de lAlbanie, du Kosovo ou de la Macdoine. Il faut voir l lersultat de la diversit des situations vcues depuis la fin de lpoque ottomane, dans le cadre delAlbanie dune part, et dans celui de la Yougoslavie (Kosovo et Macdoine) de lautre. Pourcela je prsenterai brivement les situations ethnico-confessionnelles, ainsi que les volutionssocio-politiques depuis la fin de lpoque ottomane. Dans un second temps, jtudierai les

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    dveloppements politico-religieux rcents, en considrant dun ct limplantation des rseauxislamiques transnationaux, et de lautre les facteurs internes la socit albanaise au Kosovo,en Macdoine et en Albanie.

    6 Cependant, au-del des spcificits rgionales et des volutions divergentes forges parlexistence de frontires relativement hermtiques, on assiste depuis dix ans uneintensification des contacts entre les Albanais de lancien espace yougoslave et leurs cousins . Ceci nest pas sans consquence sur le plan politique, religieux, et plusgnralement identitaire. Je montrerai comment lislam sinsre dans ces recompositionsidentitaires, cette fois dans lensemble de lespace albanais.

    Des situations ethnico-religieuses et historiques diverses7 Larticulation entre islam et politique nest pas tout fait la mme pour les Albanais dAlbanie,

    du Kosovo et de Macdoine. Ceci est en partie le fruit dune diversit dans les quilibresethnico-nationaux, religieux et politiques. Ainsi, les rapports ethnico-nationaux au sein descommunauts religieuses, et vice-versa, les rapports religieux au sein des communautsethnico-nationales sont diffrents suivant les cas. Les situations vcues depuis la fin de lapriode ottomane par les populations albanaises nont pas t non plus les mmes en Albanieet en Yougoslavie (Kosovo et Macdoine).

    Des configurations ethnico-religieuses diffrentes8 Le tableau qui suit synthtise les caractristiques principales des configurations actuelles sur le

    plan ethnique et confessionnel, selon les trois pays/rgions: poids de la population albanaise;proportions des albanophones au sein des communauts musulmanes; place des Bektachiset membres des autres confrries mystiques musulmanes dans ces mmes communauts ;pourcentages de musulmans, de chrtiens catholiques et chrtiens orthodoxes par rapport lensemble des communauts albanaises.

    9 Ces chiffres ne sont quindicatifs, car il ny a pas eu de recensement tenant compte du critrereligieux depuis plusieurs dcennies3. Il faut cependant retenir les points suivants.

    10 En Albanie, et dans une moindre mesure au Kosovo, les Albanais forment la trs grandemajorit de la population, alors quen Macdoine, ils ne constituent quune importanteminorit. En Albanie, la population musulmane est essentiellement albanaise, alors quenMacdoine et, dans une moindre mesure, au Kosovo, le pourcentage des musulmans nonalbanais (Turcs, Roms, Torbeshs4, Bochniaques, etc.) est beaucoup plus significatif, ce quiautorise davantage de fluidit dans lidentification ethnico-nationale au sein de la communautmusulmane de ces deux dernires rgions. En Macdoine et au Kosovo, la population albanaiseest presque exclusivement musulmane, alors quen Albanie elle ne lest quaux deux tiers, etle christianisme y a donc un poids plus important. En outre, lislam des musulmans albanaisdAlbanie, dans certaines rgions, est (ou tait) plus fortement teint de bektachisme (islammystique, htrodoxe et syncrtique) que celui des musulmans albanais du Kosovo et deMacdoine, ce qui implique une identit musulmane sunnite moins forte5.

    11 Malgr ces contextes diffrents, que ce soit au Kosovo, en Macdoine ou en Albanie, lesidentits communautaires base religieuse sont restes trs fortes ( ct des identitsfamiliales et rgionales6), et cela mme si elles saffirment aujourdhui moins travers despratiques, qu travers une conscience dappartenir un groupe (largement endogame), unrseau de solidarit7. La diffrence rside en fait davantage dans les rapports entre religieux

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    et politique et entre religieux et national, et ceci en premier lieu pour des raisonshistoriques.

    Des situations socio-politiques dissemblables depuis la fin delpoque ottomane

    12 Dj lpoque ottomane, la Macdoine et le Kosovo (surtout dans leurs parties orientales)se trouvaient dans une situation gopolitique diffrente de celle des territoires de lAlbanieactuelle. Situs plus lcart, ceux-ci navaient vu que peu de colons musulmans (turcophonesou autres) sinstaller. La domination ottomane y avait t moins effective. La culture turco-ottomane sy tait moins dveloppe.

    13 Aprs la chute de lEmpire ottoman, la position socio-politique des musulmans est devenuefondamentalement dissemblable de part et dautre de la nouvelle frontire albano-yougoslave.Les Albanais du Kosovo et de Macdoine (la Serbie du Sud de lpoque) sont devenus,comme tous les musulmans du Royaume de Yougoslavie, des citoyens de second rang, faceaux chrtiens orthodoxes et catholiques Serbes, Croates et Slovnes8. Les lites citadinesont migr en grand nombre vers la Turquie. Lorsquelles sont restes et se sont exprimes,elles lont fait en tant que musulmans ou en tant que beys-grands propritaires terriens, plusrarement en tant quAlbanais ou en tant que Turcs9.

    14 En Albanie en revanche, les musulmans, qui formaient la majorit de la population du pays,ont continu dtenir une partie importante du pouvoir politique et conomique. Il ny pas eudans ce pays de vritable rforme agraire avant la collectivisation communiste. Les musulmansdAlbanie ne sont donc pas devenus citoyens de second rang.

    15 Cependant, trois facteurs ont contribu affaiblir le statut de lislam sunnite dans le nouveltat qui, il faut le souligner, na adopt aucune religion officielle. Lunit devait se faire sur lacomposante ethnico-nationale (albanaise) et non sur la composante confessionnelle, du fait dela forte proportion de chrtiens, orthodoxes et catholiques. Les Bektachis, aurols de leur rledans la formation dune identit nationale albanaise et reconnus de facto comme appartenant une communaut religieuse spcifique, reprsentaient dsormais une force distincte decelle de la communaut musulmane sunnite10. Enfin, il existait parmi les intellectuels etfonctionnaires dorigine musulmane ayant tudi en Occident ou dans les grandes coles dela capitale ottomane (dans lesquelles avaient pntr aussi les ides occidentales positivistesnotamment) une tendance scularisante11.

    16 On a lhabitude de voir sur la scne albanaise des annes 1930 trois courants se divisantautour des questions de modernit et de tradition : les Anciens (T vjetr),plutt orientalistes; les Jeunes (T rinjt), occidentalistes, et les No-albanais(Neoshqiptart), partisans de la mise en valeur de lessence et de la culture propre des Albanais.Dans ce cadre, ds les annes 1920-1930, un dbat sest instaur en Albanie sur larticulationentre religion et nation. Pour les Anciens , lislam gardait une valeur importante. LesJeunes prnaient le rejet de toute religion et de lislam en particulier, considr comme une religion barbare . Quant aux No-albanais , ils slevaient contre les divisionsreligieuses sans tre contre la religion en tant que telle, et semblent avoir t assez favorablesau bektachisme12.

    17 Cest aussi au cours de cette priode que sest amorc lentement le passage de lislam de lasphre publique la sphre prive. Les dirigeants de la Communaut islamique taient ainsiamens affirmer que:

    Linfluence de la religion (feja) islamique parmi les fils dAlbanie ne doit pas tre considrecomme un signe anti-national, car la religion est une question individuelle que chaque personnedoit choisir selon ses dsirs et sa conscience. La religion doit prparer, pour lhomme, la vie aprsla mort. Pour cette raison, la religion na pas de relation avec la nationalit (= identit nationale,kombsi). Cest lune des raisons pour lesquelles la nation albanaise dans sa majorit a t attirepar, et a accept la religion islamique bien que celle-ci lui ait t transmise par lennemi national[= le Turc13].

    18 Ceci nempchait pas, dans le mme temps, les autorits politiques dutiliser la hirarchie etles structures de la Communaut islamique, afin dagir sur la population pour laquelle, dans

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    son ensemble, les identits religieuses, familiales et rgionales restaient primordiales face une identit nationale encore peu dveloppe14.

    Laffirmation des identits nationales sous les rgimes communistes19 Tant en Yougoslavie quen Albanie, linstauration des rgimes communistes a eu

    naturellement de profondes consquences dans le champ religieux. Les pratiques, les rapportsentre politique et religieux, mais aussi larticulation entre identit nationale et identitreligieuse ont alors chang.

    20 Dans leur politique vis--vis de la religion, les deux rgimes, albanais et yougoslave, ont suivi peu prs la mme ligne antireligieuse dans les deux premires dcennies de leur existence,avant de diverger totalement. Alors que lAlbanie abolissait en 1967 toute pratique cultuelleet instaurait en 1976 un tat athe, la Yougoslavie assouplissait nettement son attitude,notamment vis--vis des musulmans (dans le cadre de sa politique de non-alignement). Ainsi, partir des annes 1970, on vit de plus en plus de jeunes aller faire des tudes religieusesdans les pays musulmans. De leur ct, les confrries mystiques se rorganisrent au Kosovoet en Macdoine.

    21 En Yougoslavie, durant cette priode, les recensements15 rvlent une pousse du nationalismealbanais et une valorisation de la nationalit et de lidentit albanaises. Cette volution sestfaite dans le cadre de la politique des narod et narodnost (nation/nationalit) mise en place parle rgime yougoslave, selon laquelle, les Turcs comme les Albanais, possdant un tat, taientconsidrs en Yougoslavie non comme des narod, mais comme des nationalits, cest--dire des minorits nationales ayant droit une certaine reprsentativit dans les instancespolitiques et administratives, des coles, etc.

    22 Cest surtout partir de 1966 (aprs la chute du ministre de lIntrieur, A. Rankovi) que lesmodalits dapplication de ce systme ont favoris le nationalisme albanais. La cration deluniversit de Pritina en 1970 a entran la formation dune lite nationaliste, socialisanteet athisante. Puis, ladoption de la Constitution de 1974, qui donnait un statut de provinceautonome au Kosovo jouissant pratiquement des mmes droits quune rpublique, a favorislclosion dun nationalisme dtat. ces facteurs politiques, il faut ajouter la forte poussedmographique du ct albanais, les nombreux dparts des Turcs16 vers la Turquie partirdes annes 1950, ainsi que lurbanisation (notamment au Kosovo) qui ont contribu eux aussi la valorisation de lidentit nationale albanaise dans la Yougoslavie communiste, parmi lesmusulmans.

    23 Lidentit turco-ottomane, la plus courante jusqu il y a une vingtaine dannes chez lesmusulmans citadins de Macdoine et du Kosovo17, a connu une forte perte de prestige, au profitde lidentit albanaise, et de plus en plus de musulmans non albanophones de ces deux rgionsont opt pour la nationalit albanaise. Ce dernier phnomne tmoigne de la mdiatisation nonexplicite, mais nanmoins la plus frquente, de lidentit nationale par lidentit religieuse.Une identit religieuse qui, pour la majeure partie de la population, est dailleurs loin davoirt marginalise.

    24 En Albanie, les champs politiques et religieux ont t galement bouleverss durant le rgimedEnver Hoxha. Pour dautres raisons quen Yougoslavie, lidentification nationale albanaisey a t aussi valorise. De fait, pour ses besoins, le rgime a uvr consolider celle-ci, sur labase dune propagande la fois nationaliste et stalinienne, qui a t renforce partir de 1978, la suite de lisolement du pays sur la scne internationale. Dans le mme temps, la religiontait combattue, puis, partir de 1967, totalement supprime, y compris dans la sphre prive.

    25 Les acteurs locaux saccordent pour dire que laction des autorits communistes a contribu dvaloriser, plus que toute autre identit religieuse, lidentit musulmane. Il y a plusieursexplications ce phnomne, qui se dessinait dj avant la Seconde Guerre mondiale pourlidentit musulmane sunnite, on la vu. Avec la destruction du pouvoir traditionnel, lesmusulmans ont perdu une grande partie de leur suprmatie dans la socit. Dautre part, leslites communistes taient en majorit issues du sud du pays, lui-mme dominante chrtienneorthodoxe et musulmane bektachi. Enfin, la culture marxiste a gomm la culture islamiquelocale, plus que les autres cultures traditionnelles du pays. Si lon examine par exemple le

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    contenu des enseignements en histoire et en littrature dispenss durant la priode communiste,on saperoit quaucune place ntait faite lhistoire et la culture du monde musulman,puisque le modle tait celui de lhistoire marxiste europenne18. Dans un autre domaine, laconsommation de porc, interdite par la religion islamique, a t largement promue durant lescinq dernires dcennies19. Indpendamment du rgime lui-mme, la tlvision italienne, queles Albanais ont cherch de plus en plus capter pour sortir de leur carcan, a promu, elleaussi, un modle des plus loigns de la culture musulmane.

    26 Comme dans le cas de la Macdoine et du Kosovo, ni cette dvalorisation, ni le large abandondes pratiques religieuses ne signifient pour autant une disparition de lidentit communautairemusulmane, comme le montrent dun ct le faible nombre de mariages mixtes20, et de lautreles dveloppements sociaux et politiques de ces dernires annes.

    Lislam dans les transformations rcentes27 Lislam nest pas proprement parler au centre de ces volutions. La majeure partie des

    lites et des leaders politiques de la priode post-communiste sont issus des rangs des litessocialisantes et athisantes formes luniversit de Pristina ou lcole dEnverHoxha. Le groupe des oulmas et intellectuels musulmans religieux forms Sarajevo oudans les pays musulmans qui merge en Macdoine et au Kosovo depuis les annes 1980 estencore limit. En Albanie commence peine se former depuis le milieu des annes 1990une nouvelle gnration de cadres religieux forms la hte. En outre, je lai dit, lislam nestpas le seul marqueur identitaire des Albanais face aux Serbes, aux Macdoniens ou aux Grecs,comme il lest pour les musulmans de Bosnie-Herzgovine face aux Serbes et aux Croates.Et, de faon gnrale, les populations essayent avant tout de surmonter les normes difficultsconomiques auxquelles elles ont faire face dans un climat de chaos politique et social.

    28 Pourtant, il est indniable que la religion a fait son retour dans la sphre publique (dans lecas de lAlbanie), ou y a renforc sa position (dans le cas de la Macdoine et du Kosovo), etquil existe un champ dinteraction entre le politique et le religieux. Y contribuent desfacteurs externes et des facteurs internes la scne albanaise.

    Limplantation des rseaux islamiques29 La chute des anciens rgimes a provoqu la mobilisation de multiples rseaux islamiques, dans

    lesquels sont impliqus: des tats (pays arabes, Iran, Malaisie, Turquie), des Communautsislamiques officielles (comme le Diyanet de Turquie, ou les Communauts islamiques deMacdoine et de Kosovo vis--vis de lAlbanie), des centres islamiques dEurope occidentale(comme lATIB Avrupa Tiirk Islam Birlii et les Milli Gr Tekilati21 dAllemagne),des organisations non gouvernementales (comme la Islamic Relief de Grande-Bretagne, lafondation al-Waqf al-Islami de Hollande, la Third World Relief Agency fonde Vienne parFatih el-Hassanein, lorganisation al-Harameyn dArabie Saoudite, la Munazzamat al-Dawaal-Islamiyya du Soudan, etc.), des mouvements et groupes islamiques divers (Fethullahcis etSleymancis de Turquie, Jamaat al-Tabligh, Ahmadis, Bahais, Chiites, Salafis, sans oublierles panislamistes de la mouvance dAlija Izetbegovi22).

    30 Tous se sont plus ou moins empresss de venir en aide leurs coreligionnaires albanais,participant lafflux massif de missionnaires (galement chrtiens23) et dorganisationshumanitaires dans ces rgions, qui se livrent une rude comptition. Laide, quil faut voirgalement comme un moyen de pntration, est financire (investissements, subventions,bourses dtudes, etc.), humanitaire (dons de nourriture et de vtements, aide aux orphelins,etc.), humaine (fourniture de cadres religieux ou de conseillers), religieuse et culturelle(construction de mosques, cration de centres islamiques, importation de littraturereligieuse, aide aux publications locales, cours dinformatique, cours danglais24, etc.), voiremilitaire.

    31 Au Kosovo, jusqu lt 1999, tant donn la prsence policire yougoslave, lactivitdes rseaux islamiques sest exerce moins directement quen Macdoine, et surtout quenAlbanie. Dans ce dernier pays, qui est, en thorie, en majorit musulman, o depuis 1991 lasituation est des plus instables et o les dirigeants au pouvoir entre 1992 et 1997 (gouvernement

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    de Sali Berisha), ont utilis leur prsence, les groupes venus du monde musulman extrieuront pu sinstaller et se dployer assez largement. Du fait de linterdiction totale des cultesentre 1967 et 1990 et de la lgendaire indiffrence religieuse de ses habitants, lAlbanieconstitue un champ particulirement attrayant, voire mme symbolique pour les missionnairesde tous horizons. Pour les chrtiens, il sagit de reconvertir un pays en majorit musulman(le pays le moins vanglis dEurope25). Pour le monde musulman, il sagit de mainteniret de soutenir ce pays europen majorit musulmane. Le rsultat est quen marge desCommunauts islamiques officielles, les acteurs se sont multiplis dans le champ religieux;des acteurs qui disposent dun pouvoir financier (peu important dans labsolu, mais consquentdans le contexte local), des acteurs qui sont ventuellement lis des gouvernements ou des rseaux politiques, et qui, par leur action, peuvent influer sur une partie, ne serait-ce querduite, de la population.

    32 Cependant, on se tromperait en ne voyant dans le renforcement de lislam dans les sphresprive et publique que laction de ces groupes et mouvements venant de ltranger. En Albanie,on peut constater par exemple que les ONG ou autres acteurs islamiques se sont implants enpremier lieu dans les anciens bastions de lislam sunnite (Shkodr, Kavaja, Durrs, Tirana,Elbasan). Car, le phnomne est troitement li des facteurs internes, quil sagisse dequestions de stratgies et dintrts (financiers ou de pouvoir) ou de questions didologie, decroyance et de recomposition identitaire. Jexaminerai successivement les relations complexesqui se sont instaures entre lislam et le politique au Kosovo, en Macdoine, puis en Albanie.

    Lislam larrire plan des dveloppements politiques au Kosovo33 Dans lancienne province autonome yougoslave du Kosovo, la scne politique est marque

    depuis une dizaine dannes par le bras de fer entre les Albanais, qui ont dclar de faonunilatrale lindpendance et cr des institutions parallles (t 1990), et les autoritsserbes, qui maintiennent une pression policire et militaire. Dans ce contexte qui ne facilitepas le dveloppement des activits politiques et religieuses, lespace dinteraction entre lepolitique et le religieux semble tre limit26. Car les nouveaux leaders politiques, commeIbrahim Rugova, chef du principal parti (la Ligue dmocratique du Kosovo, LDK), autourdesquels, dans les premires annes, un large consensus stait fait au sein de la populationalbanaise, de mme que la majorit des activistes politiques soutenant dornavant lUK(Arme de Libration du Kosovo) appartiennent la mouvance athisante27.

    34 Pourtant cet espace de recouvrement du politique et du religieux est loin dtre nul. Djdans les premiers temps, une collaboration stait instaure entre les responsables politiques etles responsables religieux musulmans en certaines occasions, mme si Rugova et ses prochesaimaient instrumentaliser davantage lEglise catholique vis--vis de lOccident, tout enutilisant par ailleurs la communaut de religion pour attirer dans leurs rangs les musulmansnon albanophones.

    35 Par la suite, les oulmas, qui taient dans lensemble rests sur la rserve vis--vis desdirigeants politiques mais pas vis--vis du mouvement albanais, se sont naturellement misplutt du ct des dus de la ligne Rugova. Ils ont commenc vers 1997 justifier lemploide la force (et donc les agissements de lUK) comme un djihad dautodfense28. Parmi lesdiffrents groupes qui forment cette arme de libration dont la coordination reste limite,il est vraisemblable que quelques-uns soient en contact avec des rseaux islamiques (possdantdes relais en Albanie notamment), prts les aider en matriel, voir en hommes29. Cependant,la majeure partie de ces groupes de gurilla ne semble pas y avoir eu recours jusqu prsent.Et la prsentation que font de lUK certains religieux musulmans albanais de la diaspora,comme dune organisation islamique albanaise dtermine dfendre son peuple, sa patrieet sa religion30, trahit une instrumentalisation du politique par le religieux.

    36 Sur le terrain, linstrumentalisation cette fois du religieux par le politique tendance se faire dautant plus grande que les rapports de force internes se sont quilibrs vers la fin delanne 1998 entre la LDK dIbrahim Rugova, lUK et le Mouvement Dmocratique Unifi(LBD) de Rexhep Qosja. Cest ainsi que les dirigeants dune LDK affaiblie ont alors cherch tablir une collaboration plus troite avec la Communaut islamique, reconnaissant que cette

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    dernire devait tre davantage prsente dans linstitutionnalisation ultrieure de la vie socialeet politique, tant donn son rle dans la socit31.

    Un jeu plus compliqu en Macdoine37 En Macdoine, il sest tabli un jeu plus subtil entre le champ politique et le champ religieux,

    pour au moins trois raisons. Llite albanaise athisante est moins forte quau Kosovo (lapratique dun islam traditionnel, ml la loi coutu-mire albanaise, est plus ancre dans lapopulation). Les Albanais, et mme lensemble des musulmans, forment une minorit faceaux Macdoniens. Enfin, la scne politique est plus complexe, car au sein de chaque groupeethnico-national ont t fonds un ou plusieurs partis qui participent une vie politiquemacdonienne moins entrave.

    38 Chacune des formations reprsentant les Albanais (mais aussi les Turcs, les Bochniaques, lesRoms, voire les musulmans en gnral dans le cas du seul parti islamiste, le SDA-Juste Voie32)a donc une stratgie des niveaux multiples pour accder (ou participer) aux pouvoirs local etnational: dans le cadre de la scne politique gnrale; lintrieur du bloc musulman33; lintrieur du groupe ethnico-national duquel il se rclame; ou encore vis--vis de certainsacteurs politiques, politico-religieux ou religieux (de Macdoine, dAlbanie, du Kosovoou dailleurs) susceptibles dapporter un appui.

    39 Au niveau de la scne politique macdonienne, on retrouve surtout le jeu des rapports entrelancien establishment communiste et ceux qui nen faisaient pas partie (division qui traversetous les groupes ethnico-nationaux). Ainsi, la scission du principal parti albanais (Parti pourla Prosprit Dmocratique, PPD) en 1993-1994 sest-elle produite en apparence pour desraisons de mthodes (plus ou moins radicales), mais en ralit surtout en fonction de cettedivision. De mme, les coalitions gouvernementales se sont, jusqu prsent, faites en fonctiondes anciennes solidarits politiques. Preuve en est le remplacement la suite des lections delautomne 1998 dune coalition forme par les anciens establishments macdonien et albanais,par une coalition compose en majorit par une nouvelle lite politique, ct macdonien etct albanais.

    40 Les alliances lectorales, quant elles, se font partiellement en fonction de lappartenanceethnico-nationale; ainsi, aux lections de lautomne 1998, les partis albanais ont form unealliance, laissant les petits partis musulmans non-albanais (Turcs, Roms et Bochniaques)unir leurs efforts de leur ct. Elles se font aussi parfois au sein du bloc musulman .Cependant lislam, qui entre dans le jeu politique tantt en tant que tel, tantt combin dautres facteurs, semble surtout jouer un rle dans la comptition politique interne au sein dece bloc musulman, et cela de deux faons.

    41 Des collaborations, plus ou moins effectives, se nouent entre certains partis dun ct, et delautre les autorits religieuses musulmanes ou dautres groupes islamiques. On constate ainsiquau sein de la population albanaise, lestablishment religieux (avec sa tte le nouveau chefde la Communaut islamique de Macdoine, Sulejman Rexhebi) et lestablishment politique(PPD) ont troitement collabor, alors quun rapprochement stait fait entre les dissidentsreligieux (un groupe form Tetovo entre 1992 et 1996) et les dissidents politiques(PDSH, Parti Dmocratique des Albanais). Il nest donc pas surprenant que, depuis lentrede ces derniers dans la coalition gouvernementale la fin de lanne 1998, Sulejman Rexhebi,accus par ailleurs de malversations et tenu pour responsable de la faillite de la Communautislamique, ait t dnonc publiquement par certains dirigeants du PDSH pour son ingrencedans les affaires politiques (en faveur du PPD) et soit dornavant dans une position difficile.

    42 Par ailleurs, la dfense de la religion et de la culture musulmanes, laquelle sont attachscertains segments de la population, rentre plus ou moins dans les programmes des partis enquestion. Et mme si lislam est absent, ceux-ci peuvent tre amens instrumentaliser lereligieux si besoin est. Le Parti dmocratique des Albanais (PDSH), domin par de jeunescadres proches de la ligne athisante des leaders kosovars, a pu faire ainsi une alliancelectorale avec le SDA-Juste Voie en 1996, lors dune lection partielle. Tout rcemment, cemme parti sest charg de rcolter la sadakat ul-fitr et la zekat au bnfice des Albanais duKosovo, en se basant sur les textes sacrs et des recueils de droit musulman et en sappuyant

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    sur le Centre islamique dIstanbul, mais en court-circuitant les autorits religieuses de laRpublique, qui, elles, se sont leves contre cette action34!

    43 Les autorits macdoniennes peuvent entrer aussi dans le jeu, comme elles lon dj fait aumoins trois reprises, en continuant (comme la fin de lpoque communiste) se servirde la communaut des Macdoniens musulmans (musulmans de langue macdonienne)afin daffaiblir le bloc musulman, en permettant louverture dune Facult islamique aumoment o tait fonde illgalement lUniversit albanaise de Tetovo, puis en autorisant en1996 la cration dune seconde Communaut islamique sous lgide de lancien Reis-ul-ulemade Yougoslavie, Yakub Selimoski (mme si celle-ci na pas russi se maintenir).

    Linstrumentalisation de lislam en Albanie44 En ce qui concerne lAlbanie, la diversit ethnique de la Macdoine ou du Kosovo nexiste

    ni au niveau national, ni au niveau de la communaut musulmane. Le jeu politique est doncli, en premier lieu, la dichotomie entre collaborateurs et bannis de lancien pouvoircommuniste (que lon retrouve partiellement dans lopposition entre Parti Socialiste et PartiDmocratique). Il est fonction, dautre part, des rseaux de solidarit forms notammentautour des allgeances familiales (au sens large), des appartenances rgionales et/ou desappartenances communautaires base religieuse. Tout ceci, comme lpoque communisteet aux poques prcdentes35, cela prs quil sy est ajout la possibilit de sallier desacteurs politiques, politico-religieux et religieux, locaux ou trangers36. Ainsi, commedans les prcdentes priodes de lhistoire de ltat albanais, on veille depuis 1991-1992 effectuer une rpartition symbolique de certains postes institutionnels, entre les quatre grandescommunauts religieuses du pays (musulmans sunnites, chrtiens orthodoxes, catholiques etBektachis37).

    45 Dans les pres querelles qui secouent la scne politique interne, la religion, qui avait tofficiellement combattue, lude puis bannie lpoque communiste, tient aujourdhui uneplace non ngligeable, dans la mesure o elle est souvent instrumentalise par les diffrentesfactions. Dans le nouveau spectre politique, les partis dits de droite sont accuss, parleurs adversaires dits de gauche, de favoriser le dveloppement du fondamentalismeislamique dans le pays, tandis que les seconds sont accuss par les premiers dtre vendus la Grce et de favoriser le proslytisme de lglise orthodoxe, ou de faire la politique dela Serbie, donc dans les deux cas de faire le jeu du fondamentalisme orthodoxe.

    46 Les accusations contre le fondamentalisme islamique, qui existaient dj depuis plusieursannes, ont redoubl dintensit depuis lt 1998, la suite de larrestation et de lexpulsiondu pays de plusieurs membres dorganisations non gouvernementales islamiques, suspectsdactivit terroriste en liaison avec lattentat de Louxor ou les attentats perptrs contre lesambassades amricaines en Tanzanie et au Kenya, ou encore la suite du meurtre dunmudjahid albanais par lun de ses camarades, un franais converti, tous deux se prparant combattre au Kosovo. La polmique a par ailleurs t ravive en janvier 1999 par unedclaration du ministre des Affaires trangres yougoslaves accusant lAlbanie dtre un foyerdu terrorisme international, principalement islamique, et un tremplin pour son infiltration enYougoslavie.

    47 Il est vrai que Sali Berisha (lui-mme dorigine musulmane), chef du Parti Dmocratiqueet prsident de la Rpublique de 1992 1997, semble avoir entretenu des liens troits avecles dirigeants de la Communaut musulmane sunnite, qui le soutenaient en retour38. Certainsmembres de son entourage auraient contribu lentretien de ses relations avec les autoritsreligieuses dun ct, avec certains pays ou rseaux islamiques de lautre. Parmi eux, ilfaut citer le chef des services secrets, Bashkim Gazidede, qui avait t un temps chef delAssociation des intellectuels Kultura Islame39. Sali Berisha a dailleurs li son pays lOrganisation de la Confrence Islamique40, alors que le Parti socialiste de Fatos Nano (lui-mme dorigine orthodoxe), ds son arrive au pouvoir, sest ht (au moins dans un premiertemps) de geler cette participation41.

    48 droite , cest en ralit surtout Abdi Baleta, lancien ambassadeur de lAlbaniecommuniste lONU, et son parti (de la Droite Dmocratique, rebaptis Parti du Redressement

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    National) qui, mme sil na pas de poids politique direct et mme sil met officiellement enavant le nationalisme albanais, milite en faveur des valeurs islamiques et des liens aveccertains pays musulmans, ou, pour le moins, se fait leur plus ardent dfenseur face leursdtracteurs42.

    49 Il faut aussi noter que si les polmiques qui opposent les partis et les factions empruntentsouvent au registre confessionnel, elles se dveloppent paralllement sur le thme durgionalisme (krahinarizm): soit nord contre sud (qui peut recouper lopposition musulman[ou catholique] contre orthodoxe), soit rgions contre rgions (par exemple, rgion de Tropoj,Labri, rgion de Shkodra, Mat, Skrapar, etc.).

    Lislam facteur des recompositions internes50 Dans le contexte trs instable de recomposition et dcomposition que vivent depuis une

    dizaine dannes les populations albanaises, mme si les dveloppements de lislam en leursein sont aids et influencs par des rseaux du monde musulman extrieur, lislam apparatdonc, avant tout, quil soit instrumentalis ou non comme un facteur de la recompositionpolitique et identitaire interne. Il na de rle moteur ni dans les conflits existants, ni dansle face face avec des minorits ou nations voisines, il nest mme pas le moteur principaldans la recomposition/dcomposition interne, fruit de la lutte pour la survie conomique (oulenrichissement personnel) et de la lutte pour le pouvoir qui lui est en partie lie dans lecontexte de dliquescence des tats, tout cela sur fond de nationalisme fortement laque.

    51 Mais ce nationalisme, port par des lites issues de la priode communiste et nourri par le clichqui veut que la religion ne soit que de peu dimportance parmi les Albanais, ne doit pas masquerune autre ralit: pour beaucoup dAlbanais, lidentit nationale, telle quelle sexprime sur lascne albanaise, reste lie lidentit communautaire base religieuse (musulmane, orthodoxeou catholique).

    52 Si lon compare les trois cas tudis, il est clair quen Albanie, la prsence de plusieursreligions ainsi que les volutions historiques de cet tat quasi-mononational ont contribu affaiblir linfluence du facteur musulman43. Ce facteur rapparat toutefois pour plusieursraisons. Il y a lintrt symbolique (mais aussi concret) des rseaux islamiques vis--vis dece pays europen en majorit musulman (au moins en thorie) et qui doit tre rislamis.En outre, ceux-ci ont eu de plus grandes possibilits de se dployer du fait du manque destructures et de cadres religieux aprs les vingt-cinq annes dabolition de la religion44. Ilsont bnfici galement du chaos socio-politique dans lequel le pays est plong maintenantde faon chronique. Mais le facteur musulman a aussi refait surface parce quil est unecomposante significative de lidentit de certains segments (sociaux ou rgionaux) de lapopulation, en particulier en Albanie du Nord et en Albanie centrale.

    53 En Albanie linstrumentalisation politique de lislam ou de lanti-islamisme se fait dans lecadre de la ractualisation des luttes politico-sociales aprs la chute du rgime communiste.Celle-ci met aux prises des rseaux reposant en partie sur les segments traditionnels de lapopulation, sur leurs affinits et leurs antagonismes. Chacun, tout en sappuyant sur desrseaux extrieurs (politiques, religieux ou politico-religieux), tente de rhabiliter (ou demaintenir) la place de certains segments de la socit. Pour cela, chacun utilise certainespeurs et se fait le champion contre lennemi quil dsigne. Il est intressant de noter quela dnonciation du facteur islamique par lancienne nomenklatura (essentiellement du sud)sinscrit dans un rejet du retour la tradition, dans une assimilation des campagnes lislam. Daprs Ervin Hatibi, les musulmans seraient considrs comme les cousins de laprovince qui salissent la rputation et isolent de lOccident45. Il faut voir l, je crois, uneraction la fois politique contre Sali Berisha , et sociale contre larrive massive dans lesvilles des montagnards du nord et du nord-est du pays46. Inversement, la volont de relgitimerla place de certains groupes de la population (surtout du nord et du centre du pays) passepar lexacerbation dun anti-serbisme ou dun anti-hellnisme, qui se transforme souvent enngation de lidentit albanaise de certains membres de lestablishment politique et intellectuelaccuss dtre grecs, valaques, ou vendus aux Grecs, aux Serbes, etc. Les conditions souventdifficiles dans lesquelles travaille et vit une trs forte proportion de la population du pays

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    (environ 10%) en Grce alimentent ce genre de phobie et daccusation. Cela dit, commela montr Christian Pihet, certains signes font croire que ce type dopposition binaire tend,dans certaines rgions et notamment dans le triangle le plus urbanis Tirana-Durrs-Elbasan, sessouffler47.

    54 En ce qui concerne la Yougoslavie, Marie-Paule Canapa tirait dune tude effectue au milieudes annes 1980 les conclusions suivantes: le rle de lislam dans les diverses nationalitsest largement dtermin par la question des nationalits et, chez les Albanais, le rle dela religion dans le nationalisme albanais nest pas trs marqu ni direct, bien que lislampuisse tre utilis des assimilations qui tendent renforcer le nombre des Albanais ou quilpuisse tre une forme dexpression nationale en milieu pluriconfessionnel48 . De fait, lapolitique yougoslave des nationalits a induit une opposition entre nationalismes, en premierlieu nationalisme albanais contre nationalisme serbe (au Kosovo) ou nationalisme macdonien(en Macdoine) que lon retrouve aujourdhui au cur des crises. La religion nintervient pasforcment dans ces oppositions, sauf lorsque certains acteurs associent lun ou lautre unereligion (lislam pour les Albanais, lorthodoxie pour les Serbes et les Macdoniens). Commele soulignait Marie-Paule Canapa, lislam a t galement instrumentalis cette fois vis--vis des autres groupes musulmans, afin de les associer ou de les absorber. Mais, aujourdhuilislam intervient galement, et mme peut-tre surtout, dans les recompositions internes ausein des communauts albanaises du Kosovo et de Macdoine.

    55 Les deux volutions importantes par rapport lpoque communiste sont en effet lutilisationplus ouverte, mais aussi plus complexe, de lislam par les dirigeants politiques, et de lapolitique et du nationalisme par les dirigeants religieux, sur fond de multipartisme, demultiplication des acteurs religieux, darrive de nouvelles gnrations, etc. cela vientsajouter une dimension supplmentaire: linsertion, mme relative, dans un espace albanaiso les frontires ne sont plus infranchissables et o un dbat dides sinstaure49.

    Le dbat sur identit nationale et identit religieuse dans lasocit albanaise

    56 Les joutes politiques sont replacer plus gnralement dans le cadre du dbat qui sest ouvertau sein de la socit albanaise dans son ensemble (y compris au Kosovo et en Macdoine),au sujet des relations entre identit nationale et identit religieuse, et qui tmoignedes recompositions identitaires lies aux bouleversements politiques et sociaux. Larticulationentre national et religieux se dcline bien entendu en fonction de la situation, desaspirations et des peurs des divers segments de la population albanaise des trois pays enquestion.

    57 Au niveau local, on la vu, lidentit musulmane (mme dvalorise) est reste trs forte, quece soit en Albanie, au Kosovo ou en Macdoine, sauf parmi certaines couches citadines, chezlesquelles la dvalorisation de lislam est pousse lextrme. Lidentit nationale, que lesrgimes communistes avaient contribu renforcer dans le cas de lAlbanie et pratiquement crer dans le cas de la Yougoslavie, est aujourdhui exacerbe au Kosovo et en Macdoine,dans les face face qui opposent les Albanais aux Serbes et aux Macdoniens50. Au contraire,elle semble (au moins en apparence) en voie de dliquescence en Albanie, o les chanes quiattachaient chaque individu ltat ont t rompues et o limage de lalbanit renvoye parlextrieur est des plus ngatives.

    58 Dans ce contexte, les nouvelles autorits religieuses musulmanes prnent, aux cts de certainsintellectuels musulmans, une sorte de synthse albano-islamique , et cherchent faireconcider, amalgamer lidentit nationale albanaise une identit musulmane. Et celamme en Albanie o les chrtiens reprsentent pourtant un fort pourcentage de la population.Leur principal argument (qui touche, semble-t-il certains segments musulmans albanais deMacdoine, du Kosovo et dAlbanie du nord, beaucoup moins en Albanie du sud) est quelislam aurait permis aux Albanais de prserver leur identit ethnico-nationale des menacesassimilatrices de leurs voisins orthodoxes51.

    59 En cela, ils sopposent bien entendu ceux qui rejettent purement et simplement lislam, etqui veulent ventuellement associer lidentit nationale une identit chrtienne catholique

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    ou orthodoxe. Rsultat de la dvalorisation de lislam, leur position va souvent de pair aveclide que cette religion est une barrire au progrs et la civilisation occidentale vers laquellela socit albanaise doit tendre. On la trouve exprime chez les chrtiens, mais aussi chez desmusulmans dAlbanie (intellectuels, citadins et mme ruraux dAlbanie du sud) et du Kosovo(intellectuels et citadins).

    60 Il existe un troisime type darticulation qui constitue une sorte de voie mdiane suivant,dune certaine faon, celle des Neoshqiptar des annes 1920-1930. Il consiste (surtout dans lediscours savant) placer la religion, quelle quelle soit, au second plan derrire lidentitnationale, tout en considrant la multiconfessionnalit comme une caractristique, voire unerichesse de la socit albanaise.

    61 Enfin, certains jeunes musulmans dinspiration islamiste ou panislamiste, placent lidentitmusulmane au premier plan, devant lidentit nationale, ou, pour le moins, insistent sur lanature diffrente de ces deux types didentification.

    Un nouveau centre de gravit de la dfinition de lidentit nationale62 Au-del de lactivit des rseaux islamiques et de linstrumentalisation du religieux par

    le politique et inversement, le dbat sur lidentit nationale, qui avait t initi dansles annes 1920 en Albanie, est devenu aujourdhui plus large et plus intense au sein delensemble de la socit albanaise. Ce dbat a acquis une nouvelle dimension avec la prisede position maintenant plus forte des Albanais du Kosovo (et dans une moindre mesure deMacdoine). Une autre volution rside dans la remise en question de la sparation entreidentit nationale et identit religieuse qui avait t jusque-l promue par les dirigeantspolitiques et les intellectuels. De nos jours, la majeure partie des oulmas albanais nexpliquentplus que la religion na pas de rapport avec la nationalit. Bien au contraire, ils essaientde promouvoir un amalgame entre les deux.

    63 Ces deux principales volutions sont, je crois, lies un dplacement du centre de gravitde llaboration de lidentit nationale albanaise, du Sud vers le Nord, cest--dire de la sphreTosk vers la sphre Geg52. Dornavant lintelligentsia kosovare possde un poids nonngligeable dans lensemble de lespace albanais. La crise du Kosovo a stimul son activismeet a, par ailleurs, entran linstallation en Albanie de nombreux intellectuels, activistespolitiques et oulmas kosovars, qui occupent, pour certains, des positions importantes dans laformation de lopinion publique dans le pays (journalistes, enseignants, muftis, imams, etc.).Par ailleurs, depuis la chute du rgime communiste albanais, certains acteurs de lAlbaniedu nord tentent de revaloriser la place des Gegs dans la vie politique, culturelle, etc., aprscinquante ans de domination des dirigeants communistes (en grande partie Tosks). Preuve enest la polmique qui a clat propos de la langue standard labore lpoque communiste,et qui, pour certains, serait base uniquement sur le dialecte tosk. Dans un article sur larenaissance actuelle du Gee53. Ardian Vehbiu crivait:

    Presently, due to changes in the geopolitical balance, the Gheg component has gained visibilityand weight in national life, and it is worth mentioning that those people who use it -to begin withthe former President Berisha- have maintained a strong Gheg identity, not to mention a traditionalreluctance to abide by the language standard, even in the most formal of the circumstances, whereoral presence is required. Thanks to a deep transformation in the perception of Albanian ethnieand territories in the Balkans, a new vision, significantly more dynamic, of the Albanian nationhas emerged. In this context, the numerical proportions between Gheg and Tosk Albanians havechanged, and distinguished elements from Kosova, Macedonia, and other Albanian-populatedterritories of ex-Yugoslavia are playing an active role in the nations cultural (and often political)stage. Gheg and Tosk identity is becoming at least as important as national identity, especiallybecause of press revelations and allegations about a supposed Tosk domination of their Ghegcounterpart during the years of communist dictatorship. A new important impulse to the rise ofGheg culture is due to the revival of Albanian Catholicism, traditionally distinguished for itshighly prestigious cultural tradition and generic Albanianism. It is worthy of mention, however,that the expansion of the virtual Gheg area on territories outside Albania has opened the gatesof the system to elements of alterity, especially if one think of the old unity between religion(Catholicism) and culture, which was a substantial characteristic of the Shkodra cultural koineuntil 1945. The elites from Kosova have already carved their niche in the national culture, and theCatholic monopoly now belongs to history, as far as even some cultural domains where Catholic

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    elites used to enjoy some kind of exclusivity -like theater, music, and social research- are nowwidely accessible to everyone interested54.

    64 Dans son analyse, au demeurant fort juste, A. Vehbiu ne mentionne pas le facteur musulmande cette culture kosovare qui a dsormais mis fin au monopole catholique de Shkodra. Car,il est un fait que lislam, en tant que religion ou simplement en tant que culture, est un lmentplus inextricablement li aux identits (nationales, rgionales, familiales, etc.) de la majoritdes Albanais du Kosovo et dAlbanie du nord (y compris Shkodra55). Dans ce contexte, ilnest pas tonnant de voir que les remises en question les plus brutales de la vision du passalbanais viennent aujourdhui de ces milieux.

    65 Il suffit de citer ici lexemple du livre de Hysamedin Feraj, originaire du Kosovo, maintenantcharg de cours luniversit de Tirana aprs y avoir soutenu sa thse en 199656. Danscet ouvrage sur la pense politique albanaise, le jeune auteur (n en 1962) effectueune rvision totale de lhistoire albanaise, commencer par une rhabilitation de lpoqueottomane, systmatiquement noircie lpoque communiste. Il voit tout au long des siclesdeux grands courants de pense politique se dessiner chez les Albanais: dune part, un courantanti-nationaliste de collaboration avec les Serbes et les Grecs, oppos aux dominations extra-balkaniques, et reprsent entre autres par Skanderbeg, le soi-disant hros national ;et dautre part, un courant nationaliste, acceptant la collaboration avec des peuples non-balkaniques (y compris turc) pour lutter contre les Serbes et les Grecs et dfendre lintgritdes territoires albanais. Daprs H. Feraj, Enver Hoxha et les lites communistes sont placerdans le premier courant. Qui plus est, ces lites auraient t en majorit non albanaises, puisquevalaques orthodoxes.

    66 Lislam noccupe pas une place centrale dans louvrage de Hysamedin Feraj (qui, audemeurant est proche dAbdi Baleta, lui-mme promoteur des valeurs islamiques57).Cependant, la promotion du pass ottoman poque de la conversion des Albanais -, ladngation de lidentit albanaise des lments orthodoxes, progrecs, pro-serbes, ouencore le discours teint dirrdentisme (au sujet du Kosovo ou de la amrie58), vont dansle sens de ce rquilibrage identitaire en voie dlaboration depuis la fin des rgimescommunistes, qui accompagne les recompositions politiques et sociales sur la scne albanaise,et dans lequel lislam est amen peser.

    Notes

    1 Les Albanais sont environ 5,5 millions : environ 3,2 millions en Albanie ; environ 1,7 million auKosovo ; environ 480 000 en Macdoine ; et environ 40 000 au Montngro (le cas de ce grouperelativement peu nombreux ne sera pas trait ici de faon spcifique). Il existe galement un groupeimportant dalbanophones (ou danciens albanophones) orthodoxes en Grce (appels Arvanites). tantdidentit nationale hellne, ils nappartiennent pas lespace albanais proprement dit, bien quilse produise des phnomnes intressants chez eux depuis larrive massive de travailleurs albanaisdAlbanie. Il existe galement une importante diaspora en Europe occidentale, en Turquie, en Amrique,en Australie, etc. Signalons que ce texte a t crit au dbut de lanne 1999 et ne tient pas comptedes dveloppements ultrieurs : frappes de lOTAN contre la Serbie, instauration dun protectoratinternational au Kosovo et situation de quasi-protectorat en Macdoine et en Albanie.2 ce sujet, voir la thse de Xavier BOUGAREL, Islam et politique en Bosnie-Herzgovine. Le Parti delAction Dmocratique, Paris, Institut dtudes politiques, 1999.3 Cf. Alexandre POPOVIC, Lislam balkanique, Berlin-Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1986, pp.42-43;343-344. Dans le cas de lAlbanie, o aucun recensement na mme t effectu depuis la chute durgime communiste, il est probable que le rapport confessionnel a chang par rapport aux annes 1940,si lon prend en considration les carts importants quil y aurait eus dans les taux daccroissementde la population dans les diverses rgions. On remarque ainsi que les zones dominante chrtienneorthodoxe dans le sud auraient eu un taux daccroissement beaucoup plus faible que certaines zonesrurales, autrefois dominante musulmane ou catholique, dans le nord du pays (cf. Monographie parpays-Albanie 1993, Bruxelles-Luxembourg, Statistisches Bundesamt-Eurostat, 1994, p.37).4 Musulmans parlant le macdonien.5 Sur le Bektachisme en Albanie, cf. Nathalie CLAYER, LAlbanie, pays des derviches, Berlin-Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1990. Sur son expansion (moindre) en Macdoine et au Kosovo, cf.

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    Frederick William HASLUCK, Christianity and Islam under the Sultans, Oxford, Oxford University Press,1929, t.II, p.523-525; ainsi que les contributions de Nimetullah HAFIZ et Liliana MAULOVI-MARSOL,dans Alexandre POPOVIC et Gilles VEINSTEIN, Bektachiyya, Istanbul, Isis, 1995. Dautres confrriesmystiques musulmanes se sont implantes parmi les populations albanaises dAlbanie, de Kosovo etde Macdoine (la Halvetiyye, la Kadiriyye, la Rifaiyye, la Sadiyye, la Tidjaniyye, la Djelvetiyye, laMelamiyye, la Nakshibendiyye, la Glsheniyye, etc.) et ont aussi contribu, bien que dans une moindremesure, diffuser un islam en partie alide, cest--dire crypto-chiite. La Metohija (frange occidentale duKosovo, le long de la frontire albanaise) est ainsi fortement imprgne de cet islam confrrique.6 Pour des zones prcises des montagnes de lAlbanie du Nord, on peut peut-tre encore parler galementdidentit clanique. Mais la rfrence gnrale aux clans, sous-entendu traditionnels, pour lensemblede la socit albanaise est abusive (dautant quil y a plusieurs sicles que cette structure nexiste pluschez les Albanais du Sud, dans les plaines du centre, au Kosovo, etc.). Dailleurs quand les Albanais eux-mmes parlent de clans aujourdhui, ils le font en employant un nologisme (klan, ou klanorepour clanique), dans un sens qui est le sens figur dans lequel nous utilisons nous-mmes le terme pourdsigner des factions. Au Kosovo subsistent encore, en zone rurale, des familles largies, ou fratries,rassemblant plusieurs familles nuclaires.7 Cf. la thse de Gilles de Rapper effectue sur la rgion du Devoll ( lest de la ville de Kora), quimontre fort bien la force de ces identits lpoque actuelle (Gilles de RAPPER, La frontire albanaise.Famille, socit et identit collective en Albanie du sud, Universit de Paris X-Nanterre, 1998).8 Cf. Alexandre POPOVIC, Lislam balkanique, op.cit., pp.313-314.9 Cf. Alexandre POPOVIC, Lislam balkanique, op.cit., pp. 330-331 ; du mme Le parti politiqueDemijet (Cemiyet) de Skoplje/skb (1919-1925) et ses organes Hak (1920-1924), Hak yolu (1925)et Mudahede/Mcahede (1925), in Nathalie CLAYER, Alexandre POPOVIC, Thierry ZARCONE, Presseturque et presse de Turquie, Istanbul-Paris, ISIS,1992, pp. 293-305 ; et Darko TANASKOVI, Lascne politique yougoslave travers le journal de langue turque Sada-yi millet (1927-1929), in ibid.,pp.307-316. Le mouvement des kaaks peut difficilement tre considr comme national ou nationaliste.En revanche, il a exist un mouvement irrdentiste en Albanie, men par des Albanais originaires duKosovo, appel Mouvement pour la dfense du Kosovo, avec sa tte Hasan Prishtina.10 Cf. Nathalie CLAYER, Bektachisme et nationalisme albanais , in Alexandre POPOVIC, GillesVEINSTEIN, ds., Bektachiyya. tudes sur lordre mystique des Bektachis et les groupes relevant de HadjiBektach, Istanbul, Isis, 1995, pp.277-308.11 Des observateurs occidentaux ont contribu ds lannonce de lindpendance du pays ladvalorisation de lislam sunnite, soit au profit du christianisme dans le cas des missionnaires protestantsou du Vatican (cf. par exemple, Alexandre POPOVIC, Lislam balkanique, op.cit., p.19, qui cite CharlesTelfords ERICKSON, Albania, the key to the Moslem world, The Moslem World, 4 , 1914, pp.115-119),soit au profit des Bektachis (cf. Margaret HASLUCK, The Non-conformist Moslems of Albania, TheMoslem World, 15, 1925, pp.388-398).12 Cf. Viron KOKA, Rrymat e mendimit politiko-shoqror n Shqipri n vitet 30 t shekullit XX, Tirana,LAcadmie des Sciences, 1985; Michael SCHMIDT-NEKE, Entstehung und Ausbau der Knigs-diktaturin Albanien (1912-1939), Munich, Oldenbourg, 1987, pp.250-253; lllyria, Tirana, n 28, 1935, p.5 etn 37, 1936, p.3.13 Zani i nalt, Tirana, 1937, XII/11, p.329.14 Sur le mme type de politique men par les dirigeants italiens aprs lannexion de lAlbanie lItaliefasciste, en 1939, cf. Roberto MOROZZO DELLA ROCCA, Nazione e religione in Albania (1920-1944),Bologne, Il Mulino, 1990, pp.180 sqq.15 Par exemple, il y avait en Macdoine, en 1953, 12,5% dAlbanais et 15,6% de Turcs. En 1994,les chiffres sont de 22,9% dAlbanais et 3,9% de Turcs (Cf. Statislical Yearbook of the Republic ofMacedonia, Skopje, 1996, p.88). Au Kosovo, en 1953, il y aurait eu 65% dAlbanais et 4,5% de Turcs.Alors quen 1991, on comptait 82% dAlbanais et 0,6% de Turcs.16 Beaucoup de musulmans non turcs Albanais, musulmans slavophones du Sandjak, du Kosovo oude Macdoine se sont dclars Turcs afin de bnficier de la possibilit de quitter une Yougoslaviecommuniste pour une Turquie o les conditions de vie politiques, conomiques et religieuses taientmeilleures.17 Cf. Eran FRAENKEL, Urban Muslim Identity in Macedoni : The Interplay of Ottomanism andMultilingual Nationalism, in Eran FRAENKEL, Christina KRAMER, eds., Language Contact-LanguageConflict, New York, Peter Lang, 1993, pp.27-41.18 Pour les programmes dhistoire, cf. Gabriel JANDOT, LAlbanie dEnver Hoxha (1944-1985), Paris,LHarmattan, 1994, pp.218-222.19 Sur la valeur symbolique positive attribue la consommation de la viande de porc parmi lesmusulmans de la rgion du Devoll, cf. Gilles DE RAPPER, op.cit., 1998.

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    20 En Albanie, les mariages mixtes se sont multiplis surtout au sein des lites urbaines (maislurbanisation a t restreinte durant toute la priode communiste). Ils se sont perptus galementde faon traditionnelle dans certaines rgions o les hommes musulmans avaient coutume de prendreventuellement pour pouse des femmes chrtiennes (jamais linverse). Or, aujourdhui, on observe unphnomne oppos: des musulmans prfrent marier leurs filles des chrtiens. Ceci illustre encore unefois la dprciation du statut des musulmans dans le pays et la promotion du statut des chrtiens (cf. lathse de Gilles DE RAPPER, op.cit.).21 manation du Refah Partisi, parti islamiste turc.22 Il sagit surtout de jeunes intellectuels ayant tudi Sarajevo dans les annes 1980.23 Les missionnaires catholiques et protestants, de mme que les sectes, sont extrmement actifs, et ilexiste aussi de ce ct un espace de recouvrement entre le religieux et le politique.24 Lenseignement de linformatique et de langlais est rgulirement mis en avant (tant du ct chrtien,que du ct musulman), afin de prouver la modernit de laction des missionnaires.25 Il est noter quen Albanie, un nombre non ngligeable de jeunes citadins dorigine musulmane ontt attirs en particulier par les missionnaires protestants. En Grce, des baptmes individuels et mmecollectifs de travailleurs albanais (y compris dorigine musulmane) auraient eu lieu.26 Bien que lon veuille montrer parfois (notamment du ct des autorits serbes) le conflit comme uneopposition entre musulmans et chrtiens orthodoxes.27 Le Mouvement Populaire du Kosovo (Lvizja popullore e Kosovs), qui assure dans la diaspora lalogistique de lUK, se rclame de lidologie marxiste.28 Il faut signaler que, dj en 1992, au moment o dbutait la guerre en Bosnie-Herzgovine, avaitclate une affaire mettant en cause certains responsables de la Communaut musulmane de Prizren,accuss de dtenir des armes, davoir des relations avec lIran, etc. Lun deux, Nexhat Ibrahimi (ayanttudi Sarajevo et li la mouvance dAlija Izetbegovi), avait t alors condamn 8 ans de prison.En ce qui concerne les confrries mystiques musulmanes, il est difficile de savoir quelle est la part prisepar les cheikhs dans le conflit et leur ventuelle influence.29 LUK possderait des camps dentranement en Albanie, o se seraient par ailleurs replis certainsmudjahidin ayant combattu en Bosnie-Herzgovine.30 Cf. les dclarations du Sheikh Muhammad STUBLA, prsident de la Socit Islamique Albanaisede Londres, dans la revue Nidaul Islam, 23, avril-mai 1998. Il existe dailleurs une mobilisation descommunauts musulmanes dEurope occidentale et dAmrique du Nord (dans lesquelles se trouventdes Albanais), en faveur des musulmans kosovars. Cette mobilisation (qui peut tre instrumentale ounon) se manifeste sous diffrentes formes, telles: des appels au djihad (comme celui du Kosova SupportCouncil of Al-Muhajiroun lanc sur internet depuis Londres en mars 1998), des crations de groupes depression (comme la Kosova Task Force labore par des Communauts musulmanes nord-amricainesen janvier 1999), etc.31 Qendra pr Informim e Kosovs (QIK), 14 dcembre 1998, Informatori ditor nr. 2269a. entendreles propos du chef de la Communaut musulmane, Rexhep Boja, loccasion du Bajram, en janvier 1999,qui rappelait la population le droit de chaque peuple dorganiser lautodfense de son existenceface lagression, tout en prnant la paix (cf. QIK, Informatori ditor nr. 2302 B), il est difficile de savoirsi les dirigeants religieux du Kosovo ont pris rellement partie pour un camp ou un autre.32 Ce parti avait dabord pris le nom de SDA (Parti de lAction Dmocratique) Voie islamique.33 Le mot bloc, qui est utilis par certains acteurs eux-mmes, nest pas prendre au sens propre,car il nexiste pas proprement parler de bloc, cest--dire de groupe soud rassemblant tous les partispolitiques qui reprsentent les musulmans de Macdoine.34 Cf. Ergon BERISHA, ALBPRESS, Bulletin 44, Skopje, 14 janvier 1999; et Bulletin 49 du 19 janvier1999.35 Sur cette structure de rseaux de solidarit base familiale/rgionale/religieuse/profession-nelle/etc, qui marque galement la socit albanaise du Kosovo et de la Macdoine, cf. par exemple BajramKABASHI, Abdi Baleta m ka thn vetm nacionalizmi e shpton kombin shqiptar, Prishtina, 1998,pp.251-253.36 Il existe tout un jeu dalliances nouer, pour les acteurs politiques albanais, avec la Grce, lItalie,les Etats-Unis, lAllemagne, la Turquie, lIran, la Malaisie, les Pays arabes, etc. LItalie et la Grce sontcertainement les deux pays les plus impliqus dans les dveloppements conomiques et politiques delAlbanie. Et la concurrence quelles se livrent nest pas absente des luttes politiques qui secouent lepays. un autre niveau, il existe un jeu dalliances avec les acteurs de la scne politique albanaise duKosovo et de la Macdoine.37 Par exemple, durant la prsidence de Sali Berisha (dorigine musulmane), le Premier ministre taitdorigine orthodoxe et le Prsident de lAssemble nationale dorigine catholique. Pour ce qui est des

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    Bektachis (reprsents dans le gouvernement par certains ministres), leur place sur la scne politiquealbanaise actuelle ne mest pas trs claire (elle semble pour le moins efface).38 Il sagissait dune allgeance de la Communaut musulmane aux autorits politiques qui pouvaitrappeler, sous certains aspects, le modle de lpoque ottomane et post-ottomane.39 Voir Stephan LIPSIUS, Politik und Islam in Albanien Instrumentalisierung und Abhngig-keiten,Sdosteuropa, 47/3-4, 1998, pp.128-134.40 En ralit, les premires dmarches dans ce sens avaient t faites lpoque de son prdcesseurRamiz Alija. Par ailleurs, cest aussi lpoque de Sali Berisha que se sont largement dploys desrseaux de missionnaires chrtiens (catholiques, protestants ou orthodoxes), et que des alliances se sontnoues avec des pays occidentaux.41 En fait, les contacts ont t repris au cours de lanne 1998 entre le nouveau gouvernement et lOCI(cf. Koha Jon, Tirana, 13 octobre 1998, p.7).42 Abdi Baleta est le leader politique qui entretient les relations les plus troites avec les dirigeants desinstitutions musulmanes officielles dAlbanie, du Kosovo et de Macdoine. Il milite en faveur de liensavec la Turquie, voire avec lIran (cf. Stephan LIPSIUS, art.cit.).43 Dans un texte rdig par un jeune pote de Tirana la suite de la campagne de presse lance contre lefondamentalisme islamique dans le pays, celui-ci allait jusqu crire que Les musulmans albanaisont pratiquement commenc ressembler une communaut culturelle et politique discrimine ,ajoutant que ces mmes musulmans cachent leur identit (lettre de Ervin HATIBI, parue dans RilindjaDemokratike, 31 janvier 1999).44 Notons que des oulmas de Macdoine et du Kosovo se sont galement installs en Albanie,notamment certains dentre eux qui taient poursuivis par les autorits serbes ou risquaient de ltre.45 Cf. Ervin HATIBI, op.cit., 1999.46 titre dexemple, la population de la capitale, Tirana, est passe de 200 000 habitants en 1990 400 000 habitants et plus aujourdhui.47 Christian PIHET, lections et partis en Albanie: une lecture gographique, Hrodote, 3e trimestre1998, n 90, pp.54-55 et p.61.48 Marie-Paule CANAPA, Lislam et la question des nationalits en Yougoslavie, in Olivier CARR,Paul DUMONT, ds., Radicalismes islamiques, tome 2, Maroc, Pakistan, Inde, Yougoslavie, Mali, Paris,LHarmattan, 1986, pp.100-150.49 Il existait, avant la chute des anciens rgimes, des contacts entre les Albanais des territoiresyougoslaves et ceux dAlbanie, notamment grce aux accords passs entre Tirana et Belgrade au sujet delenvoi de professeurs luniversit de Pritina. Des livres et des publications scientifiques circulaientgalement entre les deux pays.50 Ceci ne signifie pas que les communauts albanaises de ces rgions voient leur cohsion renforce.Sur la crise de cohsion de la socit albanaise du Kosovo, cf. Xavier BOUGAREL, Kosovo. Une crisepeut en cacher une autre, Politique trangre, Paris, octobre 1998. Par ailleurs, on peut se demandersi lidentit nationale des Albanais du Kosovo (et de Macdoine) concide avec lidentit nationaledes Albanais dAlbanie. Les projets de Grande Albanie ne font certes pas dfaut. Mais analyser lesdiscours de part et dautre des frontires, ont peut dceler des diffrences et parler dune identit albanaisekosovare ne recouvrant pas tout fait la mme ralit quune identit albanaise dAlbanie.51 Cf. Nathalie CLAYER, Identit nationale et identit religieuse chez les musulmans albanais, inMichel BOZDMIR, d., Islam et lacit. Approches globales et rgionales, Paris, LHarmattan, 1996,pp.137-149.52 Les Tosks (en Albanie du sud et un peu en Macdoine) et les Gegs (en Albanie centrale, Albanie dunord, Kosovo et Macdoine) parlent des dialectes de lalbanais appartenant deux groupes diffrents.Ils ont aussi connu des volutions historiques et culturelles parfois divergentes ( lpoque communiste,ces dnominations taient taboues). Or, la fin du XIXe sicle et au dbut du XXe sicle, le nationalismealbanais a germ parmi, et a t labor dabord par les Albanais du sud en contact avec lhellnisme, puisaux prises avec la question macdonienne. La prsentation du Kosovo, comme berceau du nationalismealbanais en rfrence la Ligue de Prizren (1878) est donc quelque peu abusive, me semble-t-il, ettraduit plutt le rle actuel des Kosovars dans la dfinition de lidentit albanaise face aux Serbes.53 Paralllement la promotion du dialecte geg, il faut signaler comme allant dans le mme sens lapromotion du kanun (loi coutumire) beaucoup plus reprsentatif de la socit geg.54 Ardian VEHBIU, Standard Albanian and the Gheg Renaissance: A Sociolinguistic Perspective,Journal of Albanian Studies, p.13.55 Si Shkodra est le bastion du catholicisme albanais (on dit de la ville quelle est le second Vatican),elle est aussi le bastion de lislam sunnite en Albanie (cf. Nathalie CLAYER, Islam, State and Societyin post-communist Albania, in Hugh POULTON and Suha TAJI-FAROUKI, eds, Muslim Identity and theBalkan State, Londres, Hurst, 1997, p.124.

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    56 Hysamedin FERAJ, Skic e mendimit politik shqiptar [Esquisse de la pense politique albanaise],Tiran, 1998.57 Sur Abdi Baleta, cf. supra, pp.173-175.58 Rgion situe en Grce, la frontire sud de lAlbanie, do ont t expulss la fin de la SecondeGuerre mondiale les Albanais musulmans.

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Nathalie Clayer, Islam et identit nationale dans lespace albanais (Albanie, Macdoine, Kosovo)1989-1998, Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 115|juillet-septembre 2001,mis en ligne le 19 aot 2009, consult le 25 juillet 2015. URL: http://assr.revues.org/18443; DOI:10.4000/assr.18443

    Rfrence papier

    Nathalie Clayer, Islam et identit nationale dans lespace albanais (Albanie, Macdoine,Kosovo) 1989-1998, Archives de sciences sociales des religions, 115|2001, 161-181.

    propos de lauteur

    Nathalie ClayerCentre dtudes du domaine turc CNRS Paris

    Droits dauteur

    Archives de sciences sociales des religions

    Rsums

    Cet article montre comment, du fait de la diversit des volutions historiques et politiqueset de la varit des quilibres ethnico-nationaux, larticulation entre islam et politique se faitdiffremment dans les trois pays o vivent la majeure partie des Albanais. De faon gnrale,cependant, ni en Albanie, ni dans lex-Yougoslavie, lislam nest un facteur de conflits avec lespays voisins ou les autres groupes nationaux. Il est davantage un facteur des recompositionsinternes. En outre, deux volutions importantes marquent le passage lre post-communiste:lutilisation plus ouverte, mais aussi plus complexe, de lislam par les dirigeants politiques,et de la politique et du nationalisme par les dirigeants religieux, sur fond de multipartisme,de multiplication des acteurs religieux, darrive de nouvelles gnrations, etc. cela vientsajouter une autre dimension: linsertion, mme relative, dans un espace albanais, o sestproduit un dplacement du centre de gravit des dfinitions identitaires, du Sud, vers le Nord;ce qui peut impliquer, lavenir, galement un plus grand poids de lislam dans la formulationde lidentit nationale albanaise.This paper shows how the articulation between Islam and politics differs in the three countrieswhere the majority of the Albanian is leaving, because of the diversity in the historicaland political evolutions and of the variety of ethnic and national equilibriums. Nevertheless,generally speaking, neither in Albania, nor in former Yugoslavia, Islam is not a factor inthe conflicts with neighboring countries and other ethnic groups. It is much more a factor ininternal recompositions. Besides, two important changes have marked the passage to the post-communist era: the more open, but also more complex, use of Islam by political leaders, anduse of politics and nationalism by religious leaders, with a new background characterized by:the multiparty system, the multiplication of religious actors, the arrival of new generations,

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    and so on. To this, we can add a new dimension: the insertion, even relative, in an Albanianspace, where took place a displacement of the identity definitions gravity centre, from theSouth to the North; a fact which can imply, in the future, a more important role of Islam in theformulation of the Albanian national identity.Este artculo muestra cmo, a partir de la diversidad de las evoluciones histricas y polticasy de la variedad de los equilibrios tnico- nacionales, la articulacin entre Islam y poltica serealiza de manera diferente en los tres pases donde viven la mayora de los albaneses. Demodo general, sin embargo, en Albania y en la exYugoslavia, el Islam no es un factor deconflicto con los pases vecinos, ni con los otros grupos nacionales: es en principio un factorde recomposiciones internas. Adems, dos lneas de evolucin importantes marcan el pasaje ala era post-comu-nista: la utilizacin ms abierta, pero tambin ms compleja, del Islam porparte de los dirigentes polticos, y de la poltica y del nacionalismo por parte de los dirigentesreligiosos, con el multipartidismo, la multiplicacin de los actores religiosos, la llegada delas nuevas generaciones, etc., como teln de fondo. A esto se agrega una nueva dimensin:la insercin, an relativa, en un espacio albans, donde se ha producido un desplazamientodel centro de gravedad de las definiciones identitarias del Sur hacia el Norte, lo que puedeimplicar, a futuro, un peso mayor del Islam en la formulacin de la identidad nacional albanesa.