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7/30/2019 JUSTE VALEUR OU VALEUR INJUSTE http://slidepdf.com/reader/full/juste-valeur-ou-valeur-injuste 1/5 R.F.C. 418 Février 2009 31 Comptabilité plus complexe que l’image habituellement véhiculée. Sa mise en œuvre s’appuie sur un ensemble de dispositions élaborées permettant d’en encadrer – sinon d’en éliminer – les difficultés. De surcroît, les reproches formulés peuvent surprendre s’agis- sant des banques d’investissement, soumises dans le cadre des normes françaises à des dispositions qui ne s’écartent pas néces- sairement très sensiblement d’une telle solution, ce que l’exa- men du traitement comptable des produits dérivés permettra de mettre en évidence. Les critiques formulées ne concernent peut- être au final pas tant la juste valeur elle-même que le modèle social et de gouvernance véhiculé par les normes internationales et que symbolise cette disposition particulière. Replacer le dis- cours dans ce cadre plus général permettra de mieux apprécier l’importance de l’enjeu. 1. COMPTABILITÉ DES INSTRUMENTS FINANCIERS ET JUSTE VALEUR Sur quel objet porte le débat et de quoi parle-t-on quand il est question de juste valeur ? Au-delà d’un traitement comptable, cela recouvre également une qualification des opérations dès leur négociation. 1.1. LA COMPTABILITÉ D’INTENTION L’enjeu de la juste valeur est le traitement en période d’inven- taire des instruments financiers , les modalités de constatation du résultat les concernant. Ce processus repose sur l’intention affi- chée par l’entreprise lors de la mise en place de l’opération, que ce soit à l’actif ou au passif. A cet effet, elle doit classer l’instru- ment en fonction d’une part de sa nature financière, d’autre part de ses perspectives de détention. Ce classement aboutit à inscrire la transaction dans un des quatre portefeuilles possibles (cf . tableau ci-dessous) et d’en déduire le traitement à appliquer en inventaire. JUSTE VALEUR OU VALEUR INJUSTE : LE DÉBAT SUR L’ÉVALUATION DES INSTRUMENTS DE MARCHÉ L es normes comptables internationales, élaborées par l’IASB, ont essuyé un feu roulant de critiques à l’occasion des récents troubles boursiers. On leur a reproché d’amplifier les mouvements du marché, d’être “pro-cycliques” selon la terminologie consacrée. La juste valeur a été plus particulièrement clouée au pilori, en raison peut-être de son caractère emblématique pour ce dispositif normatif. Au demeurant, la modification de la norme IAS 39 votée par l’IASB en octobre 2008, permettant d’assouplir dans des circonstances exceptionnelles cette règle de la fair value, tend à accréditer l’idée de sa contribution à la crise actuelle, ne serait-elle qu’indirecte. Un rapide retour sur la nature exacte de ce que l’on appelle la “juste valeur” et la manière dont elle s’insère dans le cadre plus général des règles applicables aux instruments financiers (1) per- mettra de mettre en évidence que cette notion est notablement Résumé de l’article La crise financière a accentué les critiques formulées à l’en- contre des normes comptables internationales en général et de la juste valeur en particulier. L’examen du dispositif nor- matif permet de mettre en évidence que ce mécanisme est notablement plus élaboré que l’image renvoyée dans le dis- cours commun. Les contraintes de mise en œuvre permet- tent ainsi de répondre, au moins en partie, aux reproches exprimés. De surcroît, sa nouveauté par rapport aux textes encadrant le traitement des instruments dérivés par les éta- blissements de crédit n’apparaît pas nécessairement radi- cale, en particulier s’agissant des banques d’investissement – au cœur de la tourmente. Cela ne signifie évidemment pas que les normes interna- tionales s’imposent comme le terme de l’évolution de la comptabilité. Mais la juste valeur apparaît davantage comme la déclinaison locale d’un modèle social et de gouvernan- ce. La question devrait porter sur la validité de celui-ci plu- tôt que de se focaliser sur une de ses conséquences – aussi emblématique soit-elle. 1. Les termes en italique sont repris dans le glossaire figurant à la fin de l’article. Stéphane LEFRANCQ IAE de Paris – Université Paris 1 Panthéon Sorbonne [email protected] Intitulé Intention Traitement à l’inventaire • Résultat à court Val oris at ion Juste valeur terme en contrepartie par le résultat Seul choix du compte pour les dérivés de résultats • Détention sans Valorisation Disponible à la vente horizon particulier en contrepartie des capitaux propres Prêts et créances • Terme de l’opération Lissage actuariel Détention Terme de l’opération Lissage actuariel

JUSTE VALEUR OU VALEUR INJUSTE

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7/30/2019 JUSTE VALEUR OU VALEUR INJUSTE

http://slidepdf.com/reader/full/juste-valeur-ou-valeur-injuste 1/5R.F.C. 418 Février 2009

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Comptabilité

plus complexe que l’image habituellement véhiculée. Sa mise

en œuvre s’appuie sur un ensemble de dispositions élaborées

permettant d’en encadrer – sinon d’en éliminer – les difficultés.

De surcroît, les reproches formulés peuvent surprendre s’agis-

sant des banques d’investissement, soumises dans le cadre des

normes françaises à des dispositions qui ne s’écartent pas néces-

sairement très sensiblement d’une telle solution, ce que l’exa-

men du traitement comptable des produits dérivés permettra de

mettre en évidence. Les critiques formulées ne concernent peut-

être au final pas tant la juste valeur elle-même que le modèlesocial et de gouvernance véhiculé par les normes internationales

et que symbolise cette disposition particulière. Replacer le dis-

cours dans ce cadre plus général permettra de mieux apprécier 

l’importance de l’enjeu.

1. COMPTABILITÉ DES INSTRUMENTSFINANCIERS ET JUSTE VALEUR 

Sur quel objet porte le débat et de quoi parle-t-on quand il est

question de juste valeur ? Au-delà d’un traitement comptable,

cela recouvre également une qualification des opérations dès

leur négociation.

1.1. LA COMPTABILITÉ D’INTENTION

L’enjeu de la juste valeur est le traitement en période d’inven-

taire des instruments financiers , les modalités de constatation du

résultat les concernant. Ce processus repose sur l’intention affi-

chée par l’entreprise lors de la mise en place de l’opération, que

ce soit à l’actif ou au passif. A cet effet, elle doit classer l’instru-

ment en fonction d’une part de sa nature financière, d’autre

part de ses perspectives de détention. Ce classement aboutit à

inscrire la transaction dans un des quatre portefeuilles possibles

(cf . tableau ci-dessous) et d’en déduire le traitement à appliquer 

en inventaire.

JUSTE VALEUR OU VALEUR INJUSTE :LE DÉBAT SUR L’ÉVALUATION

DES INSTRUMENTS DE MARCHÉ

L es normes comptables internationales, élaborées par l’IASB, ont essuyé un feu roulant de critiques 

à l’occasion des récents troubles boursiers. On leur a reproché d’amplifier les mouvements du marché, d’être “pro-cycliques” selon la terminologie consacrée.La juste valeur a été plus particulièrement clouée au pilori,en raison peut-être de son caractère emblématique pour ce dispositif normatif. Au demeurant, la modificationde la norme IAS 39 votée par l’IASB en octobre 2008,permettant d’assouplir dans des circonstances exceptionnelles cette règle de la fair value, tend à accréditer l’idée de sa contribution à la crise actuelle,

ne serait-elle qu’indirecte.

Un rapide retour sur la nature exacte de ce que l’on appelle la

“juste valeur” et la manière dont elle s’insère dans le cadre plus

général des règles applicables aux instruments financiers (1) per-

mettra de mettre en évidence que cette notion est notablement

Résumé de l’article

La crise financière a accentué les critiques formulées à l’en-contre des normes comptables internationales en général

et de la juste valeur en particulier. L’examen du dispositif nor-matif permet de mettre en évidence que ce mécanisme estnotablement plus élaboré que l’image renvoyée dans le dis-cours commun. Les contraintes de mise en œuvre permet-tent ainsi de répondre, au moins en partie, aux reprochesexprimés. De surcroît, sa nouveauté par rapport aux textesencadrant le traitement des instruments dérivés par les éta-blissements de crédit n’apparaît pas nécessairement radi-cale, en particulier s’agissant des banques d’investissement– au cœur de la tourmente.

Cela ne signifie évidemment pas que les normes interna-tionales s’imposent comme le terme de l’évolution de lacomptabilité. Mais la juste valeur apparaît davantage comme

la déclinaison locale d’un modèle social et de gouvernan-ce. La question devrait porter sur la validité de celui-ci plu-tôt que de se focaliser sur une de ses conséquences – aussiemblématique soit-elle.

1. Les termes en italique sont repris dans le glossaire figurant à la fin de l’article.

Stéphane LEFRANCQ

IAE de Paris – Université Paris 1Panthéon Sorbonne

[email protected]

Intitulé IntentionTraitement

à l’inventaire

• Résultat à court ValorisationJuste valeur terme en contrepartiepar le résultat • Seul choix du compte

pour les dérivés de résultats

• Détention sansValorisation

Disponible à la ventehorizon particulier

en contrepartiedes capitaux propres

Prêts et créances • Terme de l’opération Lissage actuariel

Détention • Terme de l’opération Lissage actuariel

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Ce tableau appelle plusieurs remarques. Tout d’abord, la justevaleur n’est pas le seul mode de comptabilisation possible,puisque pour les produits non liquides (prêts et créances) ou lesinstruments que l’entreprise souhaite conserver jusqu’à leur terme le résultat doit être étalé sur la période de détention,indépendamment de toute variation de juste valeur intervenantentre la date d’entrée dans le bilan et l’échéance (2). Par ailleurs,deux modes de traitement à la juste valeur existent, l’un ayantsa contrepartie en capitaux propres, l’autre en résultat. Le por-tefeuille objet de toutes les critiques semble être le premier dela liste – pour lequel la contrepartie des variations de juste valeur 

 figure en résultat. Il est plus communément connu sous le nomde “Trading ” et son fonctionnement est détaillé dans l’exempleci-dessous. Soulignons au passage que cette différence de trai-tement des variations de juste valeur ne présente pas nécessai-rement un caractère aussi central qu’on pourrait le penser deprime abord, les capitaux propres, au sein desquels le résultat

 figure, constituant le premier point d’attention des investisseurs– destinataires privilégiés des états élaborés en normes IFRS.

Ce traitement en Trading  est le seul possible pour les instru-ments dérivés , restriction qui nous semble majeure du point devue de l’IASB. Cet organisme tient en effet avec déterminationà ce que les modes de comptabilisation de ces produits particu-

lièrement volatils soient strictement encadrés afin d’éviter le“pilotage” du résultat. Au demeurant, et l’IASB l’a réaffirmérécemment, l’objectif d’une généralisation du modèle de lajuste valeur reste d’actualité pour les instruments financiers , neserait-ce que pour simplifier les normes les concernant en sup-primant les options ouvertes et leur encadrement. Au-delà deces remarques, un des points soulevés est que la juste valeur neconcerne pas seulement des instruments faisant l’objet d’unecotation active. L’examiner rend nécessaire de définir ce quecette notion recouvre pour l’IASB et la manière d’y parvenir.

1.2. LA JUSTE VALEUR 

Figurant dans le corpus de l’IASB sous son nom anglais de fair 

value , dont la traduction française ne peut être qu’approximati-

ve, la juste valeur a été définie comme le prix qu’une contre-

partie indépendante serait prête à payer dans des conditions de

concurrence normale pour obtenir un actif financier ou exigerait

pour supporter un passif financier. On voit que sa force, sa jus-tesse, vient de l’équilibre des relations entre les parties à la tran-

saction envisagée. Notion essentielle, la juste valeur est entou-

rée de modalités de mise en œuvre très élaborées.

L’IASB distingue deux types de fair value , la valeur de marché et

la valeur de modèle (IAS 39 §AG71 à AG82 ; cette démarche a

été explicitée par l’IASB Expert Advisory Panel en octobre 2008).

La première découle de l’observation sur un marché actif et

liquide de transactions portant sur un instrument identique à

celui détenu par l’entreprise. Le prix de marché constitue à cet

égard la meilleure estimation possible de la juste valeur, puisque

des transactions se sont effectivement dénouées à ce niveau.

Bien évidemment, de telles observations ne sont pas toujoursdisponibles, ce qui impose alors, et la hiérarchie est explicite,

l’utilisation d’une valeur de modèle dont la détermination doit

se faire selon des approches également hiérarchisées (3) :

• Des prix sont disponibles, mais le marché n’est pas actif et

liquide ; on utilise ces prix en tenant compte de l’illiquidité du

marché ;

• Des prix sont disponibles, mais pour un instrument similaire ;

on utilise ces prix en les corrigeant pour tenir compte des diffé-

rences entre les instruments ;

• Aucun prix n’est disponible, on procède alors à une valorisa-

tion par modèle, en s’appuyant en particulier sur l’actualisation

des flux futurs ou les modèles de valorisation des options.Définie avec précision, davantage que la valeur de marché en

France, la juste valeur s’intègre à un modèle comptable dont les

objectifs et les destinataires sont clairement définis par le cadre

conceptuel. Il s’agit en effet de permettre à l’investisseur de

Abstract

The financial crisis has increased criticism of international

accounting standards in general and more particularly,the notion of fair value. A closer look at the existing stan-dards system shows that it is far more sophisticated thanthe image given to the general public. Implementationrestrictions are often the answer to criticism. Furthermore,when compared to former doctrine providing the controlframework for instruments used by credit organizations,new standards offer little radical change. This is particu-larly true for investment banks that lie at the heart of thestorm.

Clearly this does not mean that international accountingstandards are the end of accounting development.However, fair value would now appear to be the localtranslation of social and governance models. Analysis of whether this is acceptable is more important than focusingdebate on the consequences – however significant theymay be.

2. En réalité, des ajustements peuvent s’avérer nécessaires, en particulier encas de dégradation du risque de crédit.

3. On ne passe donc à l’approche suivante que si la précédente ne peut être utilisée pour l’instrument que l’on cherche à valoriser : l’entreprise ne fait pas son choix dans les approches.

Exemple de comptabilisation en Fair Value Through Profit & Loss 

Soit une option achetée moyennant le règlement d’une prime de10 le 2 mars 2008. Au 31 mars, la valeur de cette option s’établità 15 (soit une variation de valeur de + 5). Le 30 avril, elle n’est plusque de 9 (soit une variation de valeur de - 6 par rapport au 31 mars).Au moment de sa cession, l’option vaut 12 (soit une variation devaleur de + 3 par rapport au 30 avril).Le traitement comptable de cette opération sera le suivant :

CompteBilan – actif Trésorerie de résultat

Acquisition 10 10

Valorisation mars 5 5

Valorisation avril 6 6

Cession 9 12 3

Le traitement aboutit donc à traiter symétriquement les charges etles produits latents, en rupture avec le principe de prudence habi-tuellement associé à la comptabilité. Soulignons cependant qu’aufinal, le résultat cumulé n’a évidemment pas changé ; seule chan-ge sa répartition dans le temps.

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Comptabilité

intrinsèque mais bien davantage le besoin de trouver des liqui-

dités ou des conditions de marché particulièrement défavo-rables. Ce point a été évoqué dans le cas d’établissements ban-caires en difficulté, mais également sous le nom de « déport decrise » (Bordenave et al. 2008) reflétant l’aversion des investis-seurs pour certains instruments. La proposition était alors de

corriger la juste valeur de ce “déport de crise” pour neutraliser l’excessive volatilité provenant du comportement ponctuelle-ment erratique des marchés.

En dehors du fait que l’introduction d’une telle notion risque de

conforter l’objection de non-observabilité de la juste valeur, ilnous semble important de souligner que l’IASB a bien soulignéque le prix d’une transaction forcée ou n’intervenant pas sur unmarché liquide ne saurait refléter la juste valeur d’un instrument.

Si une entité partie à la négociation est dans une situation dedétresse ou que le marché est déséquilibré, avec par exempledavantage de vendeurs que d’acheteurs, alors les prix affichéslors des transactions réalisées ne sont pas nécessairement à utili-ser en l’état pour l’évaluation des produits détenus. Il faut faire

usage de ce que l’IASB appelle le jugement, ce qui ouvre la porteà la troisième critique formulée à l’encontre de la juste valeur.

2.3. JUSTE VALEUR ET MANIPULATION

Tant l’utilisation d’un modèle que le jugement à mettre enœuvre pour identifier les transactions forcées ou intervenant sur des marchés déséquilibrés soulignent l’irréductible recours à desparamètres internes à l’entité et donc suspects d’être manipuléspour les besoins de communication financière de celle-ci.

L’idée d’une parfaite transparence de la comptabilité noussemble cependant illusoire et l’image renvoyée comporte iné-luctablement des interprétations, des choix et des évaluations

propres à l’entreprise sur lesquels la communication exhaustiveest impossible. La situation ne serait ainsi pas fondamentale-ment différente pour l’appréciation de l’adéquation d’un niveaude provisionnement ou l’activation de frais de développement.La juste valeur est une facette, certainement particulièrement

visible, de cette impossible univocité de la comptabilité, aveccette dimension particulière il est vrai qu’elle amène égalementà constater des plus-values latentes. La sincérité, ou la “true and fair view” , constitue dans cette perspective un principe fonda-mental puisqu’elle guide la préparation de comptes exploitables

par les lecteurs. Elle n’est pas consubstantielle à la comptabilité,l’histoire l’a suffisamment montré, mais elle demeure une quali-té essentielle à son utilisation.

 Au demeurant, cet objectif général ne repose pas sur la seulebonne foi du préparateur des états financiers. Il fait l’objet d’une

révision ; les diligences des cabinets d’audit sur les modalités de

valorisation des instruments financiers sont significatives et

constituent une part notable du contenu des missions réalisées

au sein des établissements de crédit, à la mesure de l’importan-

ce de l’information pour leurs lecteurs. Par ailleurs, la porte des

modèles n’est pas ouverte sans contrepartie par les normes

internationales et une communication précise est exigée sur les

modalités d’obtention de la juste valeur. Il faut, parmi d’autres

exigences (5), communiquer sur les modèles de valorisation utili-

prendre des décisions économiques en s’appuyant sur la lectu-re des états financiers. Au-delà des critiques dont elle fait l’objet,et sur lesquelles nous allons revenir, il nous semble important desouligner la cohérence de cette méthode avec les objectifs affi-chés d’un modèle comptable orienté vers un seul lecteur et uneutilisation et qui a pu en ce sens être qualifié d’”extrémiste” (4).La normalisation française ne présente pas il est vrai cette carac-téristique car plus marquée par la recherche d’un consensus, neserait-ce qu’en raison de son processus d’élaboration.

2. LA JUSTE VALEUR FACE AUX CRITIQUES

Le débat autour de la juste valeur nous semble pouvoir êtreregroupé autour de trois critiques essentielles. La première sou-ligne qu’un marché n’existe pas nécessairement et donc qu’onne peut pas toujours observer une valeur pour l’instrument. Ladeuxième vient de la possible absence d’équilibre dans unetransaction observée ; les conditions consenties par une entre-prise en détresse pour obtenir de la liquidité vont par exemple

aboutir à la réalisation d’opérations à des prix peu favorablespour celle-ci, impactant de ce fait la valeur des instruments simi-laires détenus par d’autres intervenants. Enfin, les possibilités demanipulation qu’offrirait la notion de juste valeur constituent engénéral l’estocade portée à cette notion.

2.1. JUSTE VALEUR ET OBSERVABILITÉ

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la plupart des ins-truments financiers ne font pas l’objet d’une cotation active. Lesdérivés  apparaissent à cet égard emblématiques ; si certainesoptions font l’objet d’une cotation (Nyse Euronext par exemple), de nombreuses opérations restent négociées bilatéra-lement afin d’adapter leurs caractéristiques aux besoins, ce qui

n’est évidemment pas possible pour les instruments négociéssur un marché organisé. Ces produits sont dits “OTC”, “Over The Counter ”, en ce qu’ils sont négociés de gré à gré, sans rap-porter les opérations à un marché centralisé.

 Ainsi que nous avons pu le voir, la capacité à observer un prixde transaction n’est pas exigée pour afficher une juste valeur.Dans la pratique, il est même fréquent que faute de pouvoir satisfaire aux exigences d’une juste valeur de marché en raisonde l’importance des instruments négociés de gré à gré, l’entitése trouve dans l’obligation de procéder à une valorisation par l’application d’un modèle. Ce n’est pas pour cela que ladémarche perd toute pertinence, puisqu’elle doit agir en secomportant ainsi que le ferait un intervenant susceptible d’ac-

quérir l’instrument : la valeur obtenue n’est certes pas un prix,mais elle une évaluation de ce que ce prix serait. La valeur nesera de ce fait pas unique et un même instrument peut se trou-ver valorisé de différentes manières par plusieurs entités ; l’uni-cité de la juste valeur n’est pas un objectif en soi à condition quecelle affichée représente bien la meilleure estimation par l’entitépour la publication de ses états financiers. L’hypothèse sous-jacente est que même approximative et non observée, une justevaleur porte davantage d’informations qu’un maintien au coût(Raffournier, 2007) pour le lecteur privilégié des états en normesinternationales que reste l’investisseur.

2.2. JUSTE VALEUR ET TRANSACTIONS FORCÉES

Le contexte particulier de la crise financière, reconnu d’ailleurscomme exceptionnel par l’IASB lors de l’amendement de lanorme IAS 39, peut amener une entité à consentir à céder uninstrument financier à des conditions reflétant non sa valeur 

4. Richard et Colette (2008).

5. Ces questions relèvent plus particulièrement de la norme IFRS 7.

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sés et sur les paramètres de valorisation, en particulier s’ils nesont pas observables. Concernant ces derniers, point critiquepour la fiabilité de la juste valeur, il convient d’en préciser lasource, d’indiquer leur degré de certitude (par exemple un pré-cisant un intervalle de confiance) et de communiquer sur l’effetqu’aurait une variation de ces paramètres sur la juste valeur obtenue. Au total, et sans prétendre à l’exhaustivité, les infor-mations doivent permettre d’apprécier la fiabilité de la justevaleur et de l’exploiter, sans évidemment aller jusqu’à permettreun calcul contradictoire.

3. LES PRINCIPES DE COMPTABILISATIONEN NORMES BANCAIRES FRANÇAISES

Le processus de valorisation des instruments financiers  querecouvre l’appellation de juste valeur n’est pas aussi innovantqu’on le laisse penser, en particulier pour les établissements decrédit actifs sur les marchés – entités les plus concernées par cesproblématiques. De fait, s’il n’a pas son équivalent en l’état dans

la normalisation française à destination des sociétés commer-ciales, on retrouve des démarches comparables dans les dispo-sitions applicables aux titres ou aux dérivés pour les banques.Nous allons l’illustrer pour ces derniers instruments, avant denous interroger sur la portée des différences incontestablesentre les deux systèmes normatifs.

3.1. UNE COMPTABILITÉ D’INTENTIONPOUR LES OPÉRATIONS HORS COUVERTURE

Les dispositions comptables françaises applicables aux instru-ments dérivés négociés par les banques (Règlement 90-15 duCRBF en particulier) prévoient également une comptabilité d’in-tention. En dehors des relations de couverture (cf. Infra ), deuxportefeuilles sont prévus. Le premier, dit de “micro-spéculation”ou de “position ouverte isolée”, accueille les opérations isoléesou peu fréquentes mises en place par l’établissement. Le deuxiè-me, connu sous le nom quelque peu barbare de “gestion spé-cialisée d’un portefeuille de transaction”, est le principal utilisépar les banques d’investissement puisqu’y figurent les opéra-tions sur lesquelles la banque intervient régulièrement, demanière significative et dont elle suit globalement le risque et lerésultat.

Si le portefeuille de position ouverte isolée est régi par le princi-pe de prudence, aboutissant à ne constater comptablement queles pertes latentes (6), le deuxième, également appelé « trading »

au demeurant, conduit à comptabiliser les variations de valeur de marché en résultat, qu’il s’agisse de profits ou de pertes. Celareflète l’intention de l’établissement de détenir ces positions àcourt terme pour en dégager un résultat grâce à leur gestionactive. En cela, et même si la notion de valeur de marché faitl’objet de développement plus réduit, il est à rapprocher du trai-

tement des mêmes opérations selon les normes internationales,dont il ne se distingue pas (les établissements les considèrentd’ailleurs généralement comme convergents d’après nos obser-vations personnelles). Dans la mesure où il s’agit d’un porte-

 feuille central pour enregistrer les dérivés au sein des banquesd’investissement, cette similitude permet de relativiser la nou-veauté du dispositif de l’IASB, au moins pour ces entités (cf .tableau ci-dessous).

3.2. DES DIFFÉRENCES RÉELLES EN PARTICULIER POUR LE TRAITEMENT DE LA COUVERTURE

Cela ne signifie évidemment pas que les traitements des instru-ments financiers sont toujours identiques entre les dispositifs nor-matifs. Ainsi alors que le portefeuille de Trading  est un porte-

 feuille de référence, en normes internationales, son équivalent français ne peut être utilisé que sous réserve de respecter des cri-

tères d’activité et de suivi rigoureux ; le traitement par défaut estcelui des positions ouvertes isolées, ce qui fait prévaloir la pru-dence dans l’enregistrement des valeurs de marché. Cet écartnous semble néanmoins à relativiser pour les banques d’inves-tissement, qui remplissent pour l’essentiel de leurs activités lesexigences réglementaires posées.

Plus significatives sont les différences dans le traitement desopérations de couverture , particulièrement complexe dans lecorpus élaboré par l’IASB qui ne reconnaît de surcroît pas toutesles relations existant en France (7). De fait, le traitement de tellesopérations peut permettre de déroger à la règle de la justevaleur pour les dérivés, ce que l’IASB juge d’autant moinsopportun qu’elle a réaffirmé (cf. Supra ) la valeur de ce principe

dans le cadre du projet d’évolution de la norme IAS 39(8)

. Le lieun’est pas ici de revenir sur le détail de ces écarts de traitement trèssubstantiels de la couverture entre dispositifs français et IFRS (9),mais il paraît en revanche opportun de souligner les consé-quences potentielles de ces divergences de prise en chargecomptable. Le risque existe en effet, ainsi que l’a soulignérécemment (entre autres) P. Gruson (2008), que “la forme tuele contenu” et que les établissements abandonnent des pra-tiques opportunes en termes de gestion du risque (la couvertu-re, permettant de réduire leur exposition) en raison de l’incapa-cité ou de la difficulté à les restituer comptablement. Là gît pro-bablement un danger très réel des normes IFRS et du modèle dela juste valeur : peser sur les processus de gestion et de décisionen raison de l’incapacité (ou du refus) de ces normes de lesappréhender comptablement. L’impossibilité selon les textes del’IASB de couvrir un risque net global (issu d’un ensemble decréances et de dettes) et plus généralement les exigences enmatière de documentation et de suivi de la couverture ont pu

6. A l’exception des opérations négociées sur un marché règlementé ou assi-milé, pour lesquelles une comptabilisation symétrique des charges et des pro-duits est possible.

7. Il n’y a ainsi pas de traitement comparable à la macro-couverture françai-

se, permettant de couvrir un risque net global.

8. Discussion Paper émis par l’IASB en mars 2008 sur la réduction de la com-plexité du traitement des instruments financiers.

9. Une présentation peut être trouvée dans Foulquier et Touron, 2008.

Comparaison des dispositifs comptables français et IFRS

applicables au dérivés (hors relation de couverture)

Normes IFRS

Juste valeur

par le résultat

Normes françaises Commentaire

Position ouverte isolée :

• Comptabilisation des plus

ou moins-values latentes

sur les marchés organisés

• Principe de prudence

pour les opérations OTC 

Gestion spécialisée d’unportefeuille de transaction :

comptabilisation des plus

ou moins-values latentes

Portefeuille par

défaut et des

petits volumes

Principalportefeuille

pour les banques

d’investissement

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35

Comptabilité

particulièrement son cadre conceptuel. Plaçant l’actionnaire etson processus de décision au cœur des préoccupations de lacomptabilité, il est de fait qu’il s’écarte en cela d’un modèle“continental” et français, recherchant un équilibre entre les par-ties prenantes. Richard (2008) souligne l’importance de l’impactde ces normes dans les comptes des entreprises, aboutissant àune constatation plus rapide des profits potentiels. Cette évolu-

tion correspondrait à celle du modèle capitaliste vers uneapproche financière. Au-delà des discussions sur la juste valeur,ce qui paraît en jeu dans les débats est bien la pertinence decette orientation générale, dont les normes IFRS sont le refletmais qu’elles peuvent contribuer également à alimenter.

 Au total, la juste valeur n’est pas en soi un mal ou un bien. Il estvrai qu’elle amène à refléter en comptabilité les gains et pertes sansattendre le débouclement de l’opération, privilégiant uneapproche symétrique du résultat supposée plus en adéquationavec le besoin d’information de l’actionnaire. L’enjeu n’est pas tantcet effet que sa source, le modèle social et de gouvernance véhi-culé par les normes comptables sous leur apparence outrageuse-ment technique. Le débat est à replacer à ce niveau mais est-ilencore temps de l’engager, alors que les normes sont mises enœuvre pour la troisième clôture annuelle et que l’évolution des dis-positifs matériels (systèmes d’information évidemment, mais pasuniquement) vient juste de s’achever ? Les normes comptablesIFRS sont peut-être déjà obsolètes (Richard, 2008), mais leur rem-placement sera certainement une opération de longue haleine.

Stéphane LEFRANCQ

dissuader certains établissements de mettre en œuvre de tellesqualifications, ce qui paraît probablement peu opportun s’agis-sant de restituer comptablement des pratiques de gestion cou-rantes.

4. AU-DELÀ DE LA COMPTABILITÉ…

La mise en œuvre du modèle de la juste valeur, loin d’être aussisimple ou univoque que la présentation qui en est habituellement

 faite, s’avère donc soucieuse de tenir compte du contexte de valo-risation, de la situation des marchés et de la transparence de lacommunication. Le dispositif n’est certainement pas technique-ment parfait et présente des faiblesses reconnues dont la moindren’est pas sa complexité (10). Mais en dépit des difficultés de son uti-lisation, il est possible de constater, même dans un cadre de pré-sentation aussi étroit que cet article, qu’il n’est pas sans présenter des similitudes avec les dispositions régissant le traitement ennormes françaises des opérations des banques de marché, pre-miers acteurs au cœur de la tourmente financière actuelle.

Pourquoi toutes ces critiques alors ? B. Colasse (2004) a bienmontré qu’au-delà de choix comptables, le problème provenaitdu modèle de gouvernance et de société véhiculé par lesnormes. La lettre adressée par Jacques Chirac à la CommissionEuropéenne en juillet 2003 soulevait déjà la question du poidsde la vision financière que véhiculait le dispositif de l’IASB et plus

10. Un projet de simplification des normes relatives aux instruments financiers 

est d’ailleurs en cours. Les vues semblent encore passablement divergentes entre l’Europe et l’IASB.

Bibliographie

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Glossaire

Couverture  : une opération de couverture vise à réduireou à neutraliser un risque pesant sur l’entité du fait d’uneopération, qui peut n’être que probable. Ainsi le risque debaisse d’une action détenue peut-il être couvert par l’achatd’une option de vente. On distingue la micro-couverture,concernant une ou plusieurs opérations identifiées, de lamacro-couverture visant en particulier à réduire le risquede taux né de la position de transformation de l’établisse-ment. Les normes IFRS n’autorisent pas la couverture de cerisque net.

Dérivé : instrument financier écrit sur un sous-jacent (taux,actions…), mis en place pour une somme nulle ou faible àl’origine. Il donne le droit (option) ou l’obligation(contrats fermes) d’acheter ou de vendre à un prix et/ou àun terme déterminé l’actif sous-jacent, ou de recevoir etpayer des flux (swaps ).

Instrument financier : actif financier pour une entité, pas-sif financier ou instrument de capitaux propres pour uneautre. Les titres émis ou acquis (obligations, actions, TCN,EMTN…), les prêts et emprunts, les dérivés sont les plusconnus des instruments financiers.

Option : droit d’acheter (option d’achat ou call ) ou devendre (option de vente ou put ) un sous-jacent à un prixfixé à l’avance. Le terme peut être déterminé (option euro-péenne) ou couvrir toute une période (option américaine).Le prix payé en échange de l’acquisition de ce droit estappelée la prime.

Swap : contrat d’échange de flux pendant une période et

à des dates fixées par les parties. Il comporte fréquem-ment deux “jambes”, une des entités s’engageant à payerun flux variable (par exemple un taux révisable) en échan-ge d’un flux fixe (par exemple un taux fixe).