7
Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 1984 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 4 juil. 2020 00:33 International Review of Community Development Revue internationale d’action communautaire La France à l’écart ? France: a case apart ¿La Francia al margen? Sylvie Mantrant Le mouvement pour le désarmement et la paix Numéro 12 (52), automne 1984 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1034564ar DOI : https://doi.org/10.7202/1034564ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Lien social et Politiques ISSN 0707-9699 (imprimé) 2369-6400 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Mantrant, S. (1984). La France à l’écart ? International Review of Community Development / Revue internationale d’action communautaire, (12), 91–96. https://doi.org/10.7202/1034564ar Résumé de l'article Il existe en France un nouveau mouvement de paix indépendant (le CODENE) qui évolue à côté d’un mouvement plus traditionnel et proche de la mouvance communiste. L’auteure identifie et analyse brièvement les facteurs qui occasionnent le retard dans la construction du mouvement indépendant, soit : le consensus des Français concernant « leur » force de frappe, le rôle joué par le Parti communiste français dans le mouvement de la paix, l’attitude de l’Église catholique favorable à la dissuasion nucléaire, et la timidité des syndicats à s’engager dans la lutte pour le désarmement. De concert avec les autres groupes indépendants européens, le CODENE continue toutefois à promouvoir la réflexion sur le non-alignement et s’apprête à lancer une enquête-référendum nationale auprès des Français, concernant la modernisation de l’armement en France.

La France à l’écart › fr › revues › riac › 1984-n12-riac02311 › ... · nisations du cartel et la recherche d'objectifs précis, atteignables par étapes, notamment l'opposition

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La France à l’écart › fr › revues › riac › 1984-n12-riac02311 › ... · nisations du cartel et la recherche d'objectifs précis, atteignables par étapes, notamment l'opposition

Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 1984 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 4 juil. 2020 00:33

International Review of Community DevelopmentRevue internationale d’action communautaire

La France à l’écart ?France: a case apart¿La Francia al margen?Sylvie Mantrant

Le mouvement pour le désarmement et la paixNuméro 12 (52), automne 1984

URI : https://id.erudit.org/iderudit/1034564arDOI : https://doi.org/10.7202/1034564ar

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Lien social et Politiques

ISSN0707-9699 (imprimé)2369-6400 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleMantrant, S. (1984). La France à l’écart ? International Review of CommunityDevelopment / Revue internationale d’action communautaire, (12), 91–96.https://doi.org/10.7202/1034564ar

Résumé de l'articleIl existe en France un nouveau mouvement de paix indépendant (le CODENE)qui évolue à côté d’un mouvement plus traditionnel et proche de la mouvancecommuniste. L’auteure identifie et analyse brièvement les facteurs quioccasionnent le retard dans la construction du mouvement indépendant, soit :le consensus des Français concernant « leur » force de frappe, le rôle joué parle Parti communiste français dans le mouvement de la paix, l’attitude del’Église catholique favorable à la dissuasion nucléaire, et la timidité dessyndicats à s’engager dans la lutte pour le désarmement. De concert avec lesautres groupes indépendants européens, le CODENE continue toutefois àpromouvoir la réflexion sur le non-alignement et s’apprête à lancer uneenquête-référendum nationale auprès des Français, concernant lamodernisation de l’armement en France.

Page 2: La France à l’écart › fr › revues › riac › 1984-n12-riac02311 › ... · nisations du cartel et la recherche d'objectifs précis, atteignables par étapes, notamment l'opposition

La France à l'écart?

S. Mantrant

Le CODENE (Comité pour le désarmement nucléaire en Europe) est né de la volonté d'un certain nombre de personnes et d'associa­tions de créer en France une coa­lition regroupant différents cou­rants — mouvements de paix, éco­logistes, féministes, chrétiens, tiers-mondistes... — capables de travail­ler sur la base d'un consensus mini­mum concernant les questions du désarmement nucléaire et de la lutte pour la paix.

Un peu d'histoire Jusqu'à la création du

CODENE, deux courants princi­paux, mais isolés dans l'opinion publique (voir plus loin), se consa­craient en France à la lutte pour la paix.

- Le premier, animé par le « Mouvement de la paix », proche de la mouvance communiste, s'est

formé dès 1948. Il a notamment pris une part active à la création du « Conseil mondial de la paix » et au lancement de l'appel de Stockholm.

- Le second, animé par le MDPL (Mouvement pour le désar­mement, la paix et la liberté), dont la naissance remonte à 1963, s'est formé en réaction au développe­ment par la France d'une force de frappe nucléaire, soi-disant indépendante.

À cette époque, les partis de gauche (Parti socialiste, Parti com­muniste et Parti socialiste unifié principalement) s'opposaient à l'ar­mement nucléaire français et rien n'empêchait ces deux courants de collaborer. Ils l'ont fait bien souvent avec succès, notamment autour de la guerre du Viêt-nam.

Mais la signature du « Pro­gramme commun de la gauche » en 1972 et l'espoir de voir cette coa­

lition arriver au pouvoir en France a démobilisé les militants pour la paix au profit d'un travail dans les structures des partis politiques. En outre, dès les années 1977-J8, le PC et le PS modifiaient leurs posi­tions sur la force de frappe française et se prononçaient en sa faveur (pour des motifs différents) au grand désespoir de nombreux militants, communistes ou non. Les deux mouvements de paix étaient exsan­gues mais ils pouvaient s'attendre à un retour de militants déçus par les nouvelles positions adoptées par les grands partis de gauche. Ils durent déchanter car la perspec­tive des élections législatives de 1978, où l'on pensait que la gau­che avait des chances d'être majo­ritaire, drainèrent les énergies mili­tantes. En vain d'ailleurs. Election, quand tu nous tiens I

Plusieurs événements allaient

Page 3: La France à l’écart › fr › revues › riac › 1984-n12-riac02311 › ... · nisations du cartel et la recherche d'objectifs précis, atteignables par étapes, notamment l'opposition

Revue internationale d'action communautaire 12/52

La France à l'écart ?

92 réveiller les consciences « pacifis­tes » sans provoquer toutefois une unification des deux courants cités plus haut, le Mouvement pour la paix s'engageant résolument dans un silence gêné (du fait de la posi­tion du PC) vis-à-vis l'armement nucléaire français.

Le premier événement fut la double décision de l'OTAN de décembre 1979 et les premières manifestations européennes d'op­position qui suivirent. Ensuite, dès avril 1980, interpellés par le lance­ment de l'appel pour « Une Europe sans arme nucléaire » de la Fon­dation Bertrand Russell pour la paix, certains mouvements, dont le SCI (Service civil international), le MAN (Mouvement pour une alternative non violente) et le MDPL se rejoi­gnaient et tentaient de renouveler la lutte pour la paix en France, en parallèle aux autres mouvements qui se développaient en Europe. Des « Assises de résistance à la militarisation » se tenaient en jan­vier 1981 et d'autres associations venaient se joindre à ce premier noyau. Ces différents courants pre­naient alors l'habitude de travail­ler ensemble dans la perspective de la création d'une large coalition mais les élections présidentielles de 1981 retardèrent grandement l'avancement des travaux.

Ce passage à vide (l'avènement pour certains de l'« état de grâce » en raison de l'élection de François Mitterand à la présidence de la

République) dura peu pour les mili­tants français de la paix et fut suivi des Rencontres internationales du Larzac, en août 1981, où l'on reprit contact dans la perspective de la rentrée qui s'annonçait riche en événements. Les Allemands de l'Ouest venaient de lancer l'Appel de Bonn, signé par 800 organisa­tions en vue de la manifestation du 10 octobre dans cette ville, mani­festation qui regroupa 300 000 per­sonnes. Ce phénomène sans pré­cédent encouragea les militants français à créer, sans plus tarder, le « nouveau mouvement de paix indépendant » qu'ils appelaient de leurs voeux depuis de nombreux mois. Le CODENE était créé en novembre 1981, riche de la variété et des expériences de ses diver­ses composantes.

Dès cette époque, le CODENE affirmait sa filiation avec les mou­vements de paix indépendants d'Europe de l'Ouest, son soutien aux groupes de paix et mouve­ments sociaux d'Europe de l'Est, son non-alignement par rapport aux blocs et aux partis politiques, son but à long terme : une Europe non-alignée et sans arme nucléaire. Dans cet esprit, il marquait sa volonté de porter le débat sur la res­ponsabilité de la France dans la course aux armements nucléaires.

La méthode de travail était sim­ple : le consensus parmi les orga­nisations du cartel et la recherche d'objectifs précis, atteignables par étapes, notamment l'opposition aux Pershing II et missiles de croisière américains ainsi qu'aux SS-20 soviétiques, à la modernisation de la force de frappe française pour arriver à terme à son démantèle­ment (ce mot d'ordre fut adopté en raison du vote du Parlement fran­çais — qui allait se dérouler en hiver 1983 — sur la loi de programma­tion militaire modernisant les for­ces armées françaises, notamment nucléaires).

En diffusant un appel en novem­bre 1981 et en lançant officiellement

le mouvement le 1 e r février 1982, en présence de nombreux repré­sentants des mouvements de paix européens, le CODENE trouvait un écho favorable au sein de certai­nes couches de l'opinion publi­que — parfois qualifiées de margi­nales (version pessimiste) ou d'al­ternatives (version optimiste) — mais aussi auprès des chercheurs,

d'intellectuels et d'organisations à forte capacité militante, tel le MRJC (Mouvement rural de la jeunesse chrétienne). Bien sûr, l'actualité européenne favorisait cet intérêt et le CODENE n'a eu de cesse de s'élargir encore à d'autres secteurs, depuis cette époque.

Difficultés « hexagonales » Pourtant, en France, la situa­

tion était — est toujours, et plus que jamais — peu favorable à Péclo-sion d'un tel mouvement et ceci pour des motifs « bien français », qu'il est nécessaire d'examiner afin de mieux comprendre les retards enregistrés dans la construction d'un mouvement de paix indépen­dant dans notre pays.

Confiance mal placée Les Français ont confiance en

« leur » force de frappe qui garan­tit l'indépendance nationale et la « grandeur » du pays. Ils ont con­fiance en un concept mais ne s'at­tardent pas sur le contenu. Ainsi, la modernisation de l'arsenal nucléaire français ne leur pose pas question et rien n'est d'ailleurs fait

Page 4: La France à l’écart › fr › revues › riac › 1984-n12-riac02311 › ... · nisations du cartel et la recherche d'objectifs précis, atteignables par étapes, notamment l'opposition

pour que le débat soit porté sur la place publique. Ceci est affaire d'ex­perts militaires et autres qui justi­fient le glissement progressif vers l'adoption d'un armement plus offensif technologiquement et stra-tégiquement parlant par des argu­ments inadaptés — I'obsoles­cence — ou éculés — la dissuasion du faible au fort — datant pour cer­tains de l'époque gaulliste. Ces arguments n'ont rien à voir avec la nouvelle nature de cet armement et les alliances politico-militaires nouvelles que son adoption impli­que. Personne ou presque ne relève la supercherie. Or, rappelons que la loi de programmation militaire pour 1984-88 prévoit notamment :

• la multiplication par 6 des ogi­ves stratégiques (pouvant atteindre l'URSS) basées sur sous-marin (il en existe 80 à l'heure actuelle) aux­quelles il faut ajouter les 18 missi­les du Plateau d'Albion ;

• la construction d'un 7e sous-marin nucléaire ;

• la modernisation des arme­ments nucléaires tactiques. Les anciens missiles — Pluton — pou­vaient seulement atteindre la RFA, les nouveaux — Hadès — attein­dront l'Allemagne de l'Est. Ceci n'a évidemment de sens que s'ils sont intégrés au dispositif et à la stra­tégie atlantique lors d'éventuelles batailles de l'avant;

• la création d'une force d'ac­tion rapide (FAR), conventionnelle, de 47 000 hommes, destinée non seulement à intervenir dans le Tiers-Monde mais aussi en Europe (on suppose de l'Est) à une distance de 600 km au-delà des frontières nationales avec l'accord et la col­laboration de l'État major de l'OTAN.

Il ne s'agit donc pas d'obsoles-cence. Par contre, l'adoption de cette loi de programmation militaire signifie :

- escalade dans la nature offen­sive de l'armement français (accroissement numérique et mul­tiplication des objectifs) ;

- rapprochement de l'OTAN et de sa stratégie.

Une autre hypothèse peut être aussi avancée : la France peut sou­haiter assurer une certaine « hégé­monie » en matière de défense de l'Europe de l'Ouest. Giscard d'Es-taing parlait de sanctuarisation élar­gie ; la version socialiste de ce con­cept pourrait être l'acceptation d'un champ de bataille européen sous contrôle français. En tout état de cause, cette modernisation ne s'ac­commode plus de la stratégie de la dissuasion du faible au fort. Mais encore faudrait-il que le gouverne­ment français énonce clairement ses objectifs et sa stratégie.

Consensus au sein des partis politiques et silence des mouvements de paix

Deux autres éléments, déjà évo­qués plus haut, renforcent l'atten­tisme et la méfiance des Français à l'égard des « pacifistes ».

D'une part, la vie politique fran­çaise est dominée par quatre grands partis qui monopolisent l'es­sentiel du débat politique. Ceux de droite — RPR et UDF — sont depuis toujours favorables à l'arme nucléaire et le ralliement du PS et du PC à la force de frappe a con­sidérablement marginalisé les oppo­sants à la dissuasion nucléaire.

D'autre part, l'existence du Mouvement de la paix et depuis la création de l'Appel des 100 rendent suspecte toute mobilisation pour la paix aux yeux de l'opinion publique, suspicion « tous azimuts » renfor­

cée par des campagnes de presse virulentes contre les manifestations pour la paix en Europe.

Il est vrai que les participants aux manifestations de ces deux mouvements dépassent rarement la mouvance communiste élargie et les revendications s'en ressen­tent. Pour l'anecdote, les intellec­tuels qui se flattent de rassembler l'Appel des 100 n'ont rien trouvé d'autre comme slogan pour ce mou­vement que le fameux « j'aime la paix, j'aime la vie » — le lecteur remarquera à cet égard la profon­deur de la réflexion de certains intel- ^3 lectuels français... Mais sur le ter­rain de l'intellectualisme, la gauche n'a rien à envier à la droite...

Par ailleurs, le Mouvement de la paix, s'il a repris à son compte le slogan de « gel nucléaire » dans la foulée des propositions d'Andro­pov, ne lui a donné aucun contenu précis, en particulier en ce qui con­cerne la France. Enfin, ces deux mouvements se sont mobilisés autour d'une improbable réussite des négociations de Genève sur les armes nucléaries intermédiaires, mobilisation qui n'a eu pour con­séquence que de favoriser à nou­veau l'attentisme et d'escamoter la tenue d'un réel débat parmi les mili­tants et les sympathisants.

Il était donc particulièrement hasardeux pour le CODENE de s'al­lier avec le Mouvement de la paix et/ou l'Appel des 100 malgré de nombreux appels du pied venant parfois directement du Parti com­muniste. Un mouvement de masse sur les questions de la paix et du désarmement ne peut être, à notre sens, que totalement indépendant et facteur de pression réelle sur les décisions gouvernementales.

Et les Églises S'il n'y avait donc que peu de

choses à attendre du gouverne­ment, des partis politiques et des pseudo-mouvements de paix, on pouvait par contre imaginer que d'autres institutions, en particulier

Page 5: La France à l’écart › fr › revues › riac › 1984-n12-riac02311 › ... · nisations du cartel et la recherche d'objectifs précis, atteignables par étapes, notamment l'opposition

Revue internationale d'action communautaire 12/52

La France à l'écart ?

les Églises, feraient preuve d'une attitude bienveillante à l'égard des mobilisations pacifistes. Contraire­ment à ce qui s'est passé dans d'autres pays européens, la hiérar­chie catholique, non seulement n'a pas participé aux débats suscités par la relance de la course aux armements en Europe, mais encore, quand il s'est agi de pren­dre position, a affirmé sa confiance en la dissuasion nucléaire, en par­ticulier française. Rappelons que la religion catholique est majoritaire en France.

Quant à l'Église protestante, elle s'est prononcée en faveur du gel nucléaire — ce qui était mieux que rien — mais en est restée là. Face à cette divergence entre les deux courants religieux les plus impor­tants, certains commentateurs ont cru bon d'évoquer les guerres de religion. Cependant, les tensions suscitées par cette opposition se sont rapidement calmées et au sein des milieux chrétiens, aucun débat national n'a jusqu'à présent eu lieu en France sur ces questions, même si la « base » n'en pense pas moins...

Et les syndicats ? Pour rester dans le domaine des

éventuelles alliances que pourrait souhaiter construire un mouvement de paix indépendant en France, il est aussi nécessaire d'aborder la question des syndicats. Les deux grands syndicats de gauche sont

CGT (Confédération générale du travail) — alliée au Parti communiste — et la CFDT (Con­fédération française démocratique du travail) — syndicat d'origine chrétienne, partisan de l'autoges­tion. Ce dernier s'est traditionnel­lement toujours prononcé contre l'armement nucléaire et a été en France l'une des principales forces soutenant le syndicat polonais Solidamosc.

L'affaire des euromissiles a évi­demment ébranlé la CFDT d'autant que de grands syndicats euro­péens, comme le DGB allemand, s'engageaient petit à petit aux côtés des mouvements de paix. Un rap­prochement CFDT/CODENE s'est alors effectué lors du rassemble­ment organisé au Larzac à l'été 83 et ensuite une négociation s'est entamée en vue de l'organisation d'une initiative commune. Celle-ci s'est déroulée le 23 octobre 1983 à Paris au moment des grandes manifestations européennes.

Le principe de cette manifesta­tion commune était le suivant : cha­que organisation développait ses thèmes spécifiques tout en s'accor-dant sur quelques points dont les plus essentiels étaient : la paix est indivisible et la lutte pour le retrait des SS-20 et la non-installation des Pershing II et des missiles de croisière.

L'annonce de cet accord ponc­tuel lors d'une conférence de presse commune fit l'effet d'une bombe : la CFDT rejoignait le camp des « pacifistes » (sous-entendu mani­pulés par Moscou) et aussi bien dans la centrale syndicale qu'au CODENE, de nombreuses réac­tions, dont nous ne citerons que les aspects négatifs, se succédaient. Pour les uns (en particulier les appa­rentés PS et/ou la hiérarchie de ce parti), cet accord était le signe d'une alliance prosoviétique allant à ren­contre de la politique mitterran-dienne de soutien à l'implantation des Pershing. Crime de lèse-Mitterand... Pour les autres (on a

les extrémistes que l'on peut ou que l'on mérite), il s'agissait d'une alliance avec d'affreux sociaux-démocrates (les pires !) qui allaient s'empresser de noyauter, de mani­puler le CODENE et de l'entraîner dans la mouvance du PS.

Malgré des attaques venant donc de part et d'autre — mais c'est la rançon du pluralisme — la mani­festation du 23 octobre fut un suc­cès politique, une avancée dans la recherche de l'élargissement et dans l'apprentissage de la gestion en commun des particularismes.

Malheureusement, on en resta là. La CFDT, effrayée par son audace, coincée entre sa base et les socialistes, souhaitait « réflé­chir » et retrouver sa spécificité : un nouveau passage à vide dans les relations était enregistré, l'offensive socialiste triomphait de même que le refus du débat.

À l'heure actuelle, un timide tournant semble à nouveau s'effec­tuer. Les illusions tombent, l'état de grâce est oublié depuis long­temps. Un débat se déroule au sein de la CFDT sur les problèmes de défense et nous espérons en récol­ter les fruits dans les mois (ou les années) qui viennent.

Les quelques « obstacles » cités ci-dessus ont donc grandement contribué, à notre avis, à entraver la croissance en France d'un mou­vement de paix indépendant, même si le CODENE survit et se déve­loppe depuis trois ans.

Nous sommes persuadés que la lutte pour le désarmement en France ne peut s'appuyer unique­ment sur le refus de fusées étran­gères. Mais la lutte pour que la France mène elle-même une poli­tique incluant ses propres armes, se heurte au fait que la France fait figure d'indépendante au sein de l'Alliance atlantique, et qu'aux yeux de certains, c'est la force nucléaire qui tempère son alignement sur les positions de l'Alliance.

Page 6: La France à l’écart › fr › revues › riac › 1984-n12-riac02311 › ... · nisations du cartel et la recherche d'objectifs précis, atteignables par étapes, notamment l'opposition

Quelques remarques sur la stratégie du CODENE

Pour résumer La France est investie à part

entière, militairement et politique­ment, dans le système de domina­tion nucléaire de la planète. Dans l'état actuel des choses, elle n'est pas l'embryon d'un « 3e bloc ». Sa participation présente à la course aux armements, par le développe­ment de son armement comme par son soutien à l'implantation des euromissiles américains, est intime­ment liée à son intégration à un bloc. Le « gel » que nous réclamons pour la force de frappe est donc une partie d'un tout. Mais plus profon­dément, si nous nous interrogeons sur les capacités et la nature de Tin-dépendance de la France et sur la place et la mise en cause de la dis­suasion nucléaire — indépendam­ment des alliances actuelles — cela nous impose de réfléchir aux for­mes politiques et militaires des alter­natives de défense possibles.

Notre bataille contre le système des blocs est un combat pour une autre Europe et en cela, nous rejoi­gnons largement les questions posées par les mouvements de paix européens. Pour notre part, compte tenu des difficultés évoquées plus haut et de la place géopolitique de notre pays, nous sommes sans doute interpellés plus rapidement et plus globalement que d'autres par toutes les données fondamen­

tales qui sous-tendent notre action et notre faiblesse ne nous permet souvent de répondre que par des esquisses.

Mais nous savons déjà que la lutte contre la course aux arme­ments nucléaires en Europe con­duit à mettre en cause la logique des blocs, donc à promouvoir le désengagement vis-à-vis de cette logique. Celle-ci ne doit pas être interprétée comme une caution aux velléités de « 3e bloc » européen, mais à la lutte pour le non-alignement actif, pour d'autres rap­ports avec le Tiers-Monde pour dépasser ou détruire les systèmes d'alliances ou de domination actuels (d'où la logique de tisser des rela­tions à l'Est ou au Sud).

Nous sommes un groupe de pression dans le cadre d'une con­joncture bien particulière. Parce qu'en réalité, ce sont les Américains qui ont l'initiative des formes de la course aux armements, les Russes ripostent par la quantité, et les nou­veaux mouvements de paix euro­péens se retrouvent conjoncturel-lement des alliés objectifs de l'URSS, à laquelle ils apportent un « bol d'air ». Mais, parce que, par nature, ces mouvements non-alignés soulèvent la question des blocs et ne se limitent pas à vou­loir « renforcer la détente par en haut », en préconisant la « détente par le bas » (avec tout ce que cela signifie comme contacts, discus­sions et soutiens aux groupes indé­pendants de l'Est), ils constituent à moyen terme un danger pour le bloc soviétique (et ce moyen terme est déjà l'actualité).

Il en serait ainsi même si les mouvements indépendants de l'Est n'existaient pas encore, mais ils existent déjà et le fait de les sou­tenir n'est pas pour les mouvements à l'Ouest, une « enjolivure » mais une tâche fondamentale. Cette tâche est la création d'une dyna­mique commune, de part et d'au­tre du rideau de fer, dont le projet essentiel est la définition de nos

intérêts et la concrétisation de ces intérêts pour l'Europe.

Un objectif : gel et retrait Il est grand temps qu'un débat

national sur les décisions françai­ses en matière de défense voit le jour dans notre pays. Un tel débat doit tenir compte des éléments exis­tants ou en prévision (force nucléaire de « dissuasion «/moder­nisation en modifiant la nature), des rapports de force politiques natio­naux et européens, des moyens politiques et techniques permettant la mise en oeuvre d'une politique de désarmement et des proposi­tions alternatives à la défense nucléaire actuelle et les stratégies qui gravitent autour (une défense défensive). Avouons que sur ce der­nier point, la réflexion et les pro­positions, aussi bien en France qu'en Europe, ne sont pas encore aussi élaborées que nous le sou­haiterions. Par contre, la recherche concernant une politique crédible de désarmement et les propositions afférentes sont particulièrement avancées.

Comme les autres mouvements européens, nous pensons que toute politique de désarmement, cohé­rente, doit être faite d'étapes, que ces dernières soient indépendan­tes ou concertées. C'est la raison pour laquelle le CODENE associe le gel (s'appliquant bien entendu aussi à la France) de toute produc­tion, essai, déploiement de nouvel­les armes nucléaires au retrait des armes étrangères implantées en Europe ou pointées sur elle et en premier lieu, des nouveaux missi­les implantés aussi bien à l'Est qu'à l'Ouest.

Il ne s'agit pas de préserver le statu quo, c'est-à-dire d'accepter les anciennes armes existantes, mais bien de prendre des mesu­res réellement efficaces afin d'amor­cer la désescalade et de pouvoir inciter au démantèlement des anciennes armes. C'est pourquoi nous disons non à la modernisa-

Page 7: La France à l’écart › fr › revues › riac › 1984-n12-riac02311 › ... · nisations du cartel et la recherche d'objectifs précis, atteignables par étapes, notamment l'opposition

Revue internationale d'action communautaire 12/52

La France à l'écart ?

tion de la force de frappe pour arri­ver à terme à son démantèlement.

Le gel et le retrait doivent avoir pour nous la même priorité car la relance de la course aux arme­ments (qu'il s'agisse d'essais nucléaires ou de nouvelles instal­lations) représente un danger glo­bal. Par ailleurs, la mise en oeu­vre de telles mesures ne nécessite pas d'interminables négociations car elles sont immédiatement véri­tables par les moyens techniques existants (satellites, radars, surveil­lance des séismes provoqués ou non, etc.). Il s'agit bien de volonté politique et c'est la tâche des mou­vements de paix d'exiger que les gouvernements manifestent cette volonté politique en prenant ce type de mesures.

Le CODENE va donc, dans les mois qui viennent, lancer une « enquête-référendum » auprès de la population française. Cette enquête s'appuiera sur un nombre limité de questions permettant d'ob­tenir des sources suffisamment vas­tes quant à l'attitude des Français face à la modernisation de l'arme­ment et plus généralement face à la dissuasion nucléaire française. Il s'agira ensuite d'utiliser les résul­tats de cette enquête pour interpel­ler, sur la base des propositions de gel et de retrait, les députés, le gou­vernement, l'armée, etc. Bien entendu, des initiatives de rue ponc­tueront le déroulement de cette enquête nationale reprise dans cha­

que groupe local. Le but est donc simple : s'ap­

puyer sur une sensibilisation et une information de l'opinion publique pour faire pression sur la politique gouvernementale française.

Il se passe donc des choses en France... et l'avenir n'est pas si sombre. Les militants du CODENE ne manquent ni d'enthousiasme, ni de persévérance, ni de « culot » !

Mais notre lutte ne peut s'effec­tuer sans nos alliés européens et d'outre-Atlantique. Chaque mouve­ment de paix, si fort soit-il nationa-lement, constitue un élément du puzzle. Cet élément est indispen­sable pour les autres, mais il ne peut avoir de sens qu'avec les autres. C'est pourquoi en « balayant devant notre porte », difficilement parfois mais résolument, nous pensons apporter notre contribution à ce grand mouvement social qui a révo­lutionné les mentalités européen­nes et qui a contribué à donner nais­sance au CODENE.

31 août 1984 Sylvie Mantrant