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Les PME face au droit de la concurrence Ce document provient du site internet du CREDA : http://www. creda.ccip.fr Les droits de reproduction sont réservés et strictement limités 1 LA PME, « VICTIME » DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES Table ronde animée par Yves Chaput, Directeur scientifique du CREDA, Professeur à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne) Didier KLING, Vice-Président trésorier de la CCIP, Président du Comité technique du CREDA.– Chacun et chacune dans cette salle connaît le professeur Yves Chaput. Vous savez qu’il est à la fois professeur d’Université et directeur scientifique du CREDA, c’est-à-dire qu’il nous fait bénéficier de sa science et de sa compétence qui sont aussi grandes l’une que l’autre. Il va animer la deuxième table ronde de l’après-midi qui porte toujours sur les PME, mais non plus en tant qu’auteurs, mais en tant que victimes de pratiques anticoncurrentielles. Monsieur le professeur, je vous laisse le soin de présenter les personnes qui vont intervenir lors de cette table ronde. YVES CHAPUT.– Monsieur le président, je vous remercie pour votre indulgence. Les intervenants vont répondre à des questions qui pourraient paraître voisines de celles qui ont été étudiées lors de la première table ronde sur la PME, auteur de pratiques anticoncurrentielles, parce qu’après tout, on pourrait se dire que le droit de la concurrence, vu du côté de l’auteur de l’infraction ou vu du côté de la victime, tourne toujours autour du même sujet, des mêmes textes et des mêmes institutions. Or, il est probable que, s’agissant de la victime, les perspectives ne sont plus les mêmes. D’abord, quand il s’agit des PME, leur accès même au droit, leur accès à la culture de concurrence est rendu plus difficile que pour l’auteur de l’infraction. Je m’explique tout de suite. L’auteur de l’infraction n’y peut mais s’il est poursuivi devant l’Autorité de la concurrence. Ça n’est pas lui qui a pris l’initiative, sauf cas exceptionnel évidemment, comme en présence d’une procédure de clémence. La plupart du temps, l’auteur a la désagréable surprise d’être poursuivi devant l’Autorité de la concurrence. Et c’est l’Autorité de la concurrence qui va lui expliquer toutes les subtilités de ce droit. On comprend bien qu’à ce moment-là, l’auteur est obligé de se pencher par lui-même ou avec des conseils éprouvés sur ces subtilités. A-t-il besoin d’un guide, cela n’est même pas certain ? Si l’on se place à présent du côté de la victime, et tout particulièrement du côté d’une PME qui est victime d’une entente ou d’un abus de position dominante, la situation n’est pas la même. La victime doit prendre, si elle le souhaite, des initiatives. Or, a-t-elle avantage à déclencher les procédures ? Bien entendu, serait-on enclin à répondre, puisque la victime veut obtenir la cessation d’agissements illégaux et la réparation de son préjudice et donc l’allocation de dommages-intérêts, voire, le cas échéant, l’annulation des contrats constitutifs d’une entente. Certes, mais si l’on aborde la question sous cet angle, le centre de gravité se déplace. Vous pouvez encore parler de l’Autorité de la concurrence, mais celle-ci ne va pas allouer des dommages-intérêts à la victime, non plus qu’elle ne va annuler les contrats. On peut alors se poser la question – et je le fais avec les plus grandes précautions devant le

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LA PME, « VICTIME » DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

Table ronde animée par Yves Chaput, Directeur scientifique du CREDA, Professeur à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Didier KLING, Vice-Président trésorier de la CCIP, Président du Comité technique du CREDA.– Chacun et chacune dans cette salle connaît le professeur Yves Chaput. Vous savez qu’il est à la fois professeur d’Université et directeur scientifique du CREDA, c’est-à-dire qu’il nous fait bénéficier de sa science et de sa compétence qui sont aussi grandes l’une que l’autre. Il va animer la deuxième table ronde de l’après-midi qui porte toujours sur les PME, mais non plus en tant qu’auteurs, mais en tant que victimes de pratiques anticoncurrentielles. Monsieur le professeur, je vous laisse le soin de présenter les personnes qui vont intervenir lors de cette table ronde.

YVES CHAPUT.– Monsieur le président, je vous remercie pour votre indulgence. Les intervenants vont répondre à des questions qui pourraient paraître voisines de celles qui ont été étudiées lors de la première table ronde sur la PME, auteur de pratiques anticoncurrentielles, parce qu’après tout, on pourrait se dire que le droit de la concurrence, vu du côté de l’auteur de l’infraction ou vu du côté de la victime, tourne toujours autour du même sujet, des mêmes textes et des mêmes institutions. Or, il est probable que, s’agissant de la victime, les perspectives ne sont plus les mêmes. D’abord, quand il s’agit des PME, leur accès même au droit, leur accès à la culture de concurrence est rendu plus difficile que pour l’auteur de l’infraction. Je m’explique tout de suite. L’auteur de l’infraction n’y peut mais s’il est poursuivi devant l’Autorité de la concurrence. Ça n’est pas lui qui a pris l’initiative, sauf cas exceptionnel évidemment, comme en présence d’une procédure de clémence. La plupart du temps, l’auteur a la désagréable surprise d’être poursuivi devant l’Autorité de la concurrence. Et c’est l’Autorité de la concurrence qui va lui expliquer toutes les subtilités de ce droit. On comprend bien qu’à ce moment-là, l’auteur est obligé de se pencher par lui-même ou avec des conseils éprouvés sur ces subtilités. A-t-il besoin d’un guide, cela n’est même pas certain ?

Si l’on se place à présent du côté de la victime, et tout particulièrement du côté d’une PME qui est victime d’une entente ou d’un abus de position dominante, la situation n’est pas la même. La victime doit prendre, si elle le souhaite, des initiatives. Or, a-t-elle avantage à déclencher les procédures ? Bien entendu, serait-on enclin à répondre, puisque la victime veut obtenir la cessation d’agissements illégaux et la réparation de son préjudice et donc l’allocation de dommages-intérêts, voire, le cas échéant, l’annulation des contrats constitutifs d’une entente. Certes, mais si l’on aborde la question sous cet angle, le centre de gravité se déplace. Vous pouvez encore parler de l’Autorité de la concurrence, mais celle-ci ne va pas allouer des dommages-intérêts à la victime, non plus qu’elle ne va annuler les contrats. On peut alors se poser la question – et je le fais avec les plus grandes précautions devant le

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président Lasserre – de savoir à quoi sert l’Autorité de la concurrence. Elle est très utile, personne n’en doute. Mais elle sert évidemment à sanctionner les mauvais comportements et à restaurer à tout le moins la concurrence sur les marchés, puisque nous sommes dans une économie de concurrence. Et remercions les victimes qui vont informer l’Autorité de la concurrence de tels agissements, puisque les victimes vont agir dans l’intérêt général.

La victime, ensuite, son juge naturel, c’est le juge de droit commun. Or, devant le juge de droit commun, il faut rapporter la preuve de la faute. Dès lors, on peut penser que si une sanction a été prononcée par l’Autorité de la concurrence, il y a une faute. Et on sait très bien que la preuve d’une faute n’est pas suffisante : il faut également démontrer le dommage et le lien de causalité. Or, la preuve du dommage et du lien de causalité relève d’un autre ordre. Ce n’est plus une autorité administrative qui peut en connaître, c’est le juge judiciaire. Dans cette approche, à la différence de la première table ronde où l’auteur de l’infraction relève bien de la compétence des autorités de concurrence, se pose la question, pour la victime, de savoir si elle a intérêt à engager une action – question d’opportunité – et comment elle pourra obtenir une réparation qui dépasse très largement la restauration de la concurrence sur le marché et qui concerne, un peu comme en matière de concurrence déloyale, l’article 1382 du code civil quand ça n’est pas les articles 1134 ou 1147 du code civil pour obtenir l’annulation d’un contrat. C’est la raison pour laquelle cette seconde table ronde n’est pas composée de la même façon que la première.

Nous entendrons d’abord à cette tribune une victime ou prétendue telle – présomption d’innocence des entreprises mises en cause oblige – en la personne de Monsieur Pierre Gaches, qui est président-directeur général de Gaches Chimie. Une fois que la victime aura présenté sa cause, nous donnerons la parole aux représentants des autorités de la concurrence. D’abord à l’Autorité de la concurrence, en la personne d’Étienne Pfister, qui est économiste et rapporteur général adjoint à l’Autorité de la concurrence, puis à la Commission européenne, en la personne de Rainer Becker, qui est Policy Officer, chargé du Private enforcement à la DG concurrence. Et on verra très vite que se posera la question de la représentation des victimes, à travers une question d’actualité qui est celle des actions collectives ou celle des recours collectifs. C’est la raison pour laquelle, madame la professeure Prieto abordera la question de la défense des victimes, de la défense des consommateurs à propos des recours collectifs. Puis, Maître Philippe Rincazaux, qui est avocat à la Cour, pourra poursuivre cette réflexion. Il est normal, en effet, que des avocats interviennent pour défendre les victimes et non pas seulement pour défendre les auteurs des infractions. Nous observerons ainsi un véritable glissement du contentieux pour arriver ensuite au cœur de la question de la PME victime, c’est-à-dire le judiciaire, et Madame le haut-conseiller Riffault-Silk pourra nous exposer quelle devrait être une véritable politique de concurrence alliant l’approche administrative à l’approche judiciaire. Et comment notamment peut-on, par le biais du référé, faire cesser les infractions ? Comment la victime elle-même peut-elle, grâce aux autorités de concurrence, constituer un dossier ? Et comment peut-elle ensuite faire comprendre aux tribunaux de commerce quel est le préjudice qu’elle a subi et pourquoi ce préjudice se rattache

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à des atteintes sur des marchés pertinents, ce qui n’est pas toujours facile à démontrer pour une victime ? Comment finalement doit se faire une coordination entre l’administratif et le judiciaire ? Et on sait très bien que le juge des libertés reste le juge judiciaire. Il est donc tout à fait normal que nous disposions de cette vision judiciaire de la question, qui est d’ailleurs renforcée quand il s’agit de la Cour d’appel, puisque certains recours contre les décisions de l’Autorité de la concurrence, comme les recours contre les jugements des tribunaux de commerce, sont portés devant non pas les cours d’appel, mais devant la seule Cour d’appel de Paris. D’où une autre question pour les victimes qui est celle de l’accès à la justice, lorsqu’elles sont très éloignées de la Cour d’appel de Paris. J’ai trop parlé. Je donne donc immédiatement à la parole au plaignant qui n’est autre que Monsieur Pierre Gaches.

Pierre GACHES, Président-directeur général de Gaches Chimie.– Merci. Je viens vous faire partager une expérience de dix ans dans le domaine du droit de la concurrence. Je suis actuellement une présumée victime et rien de plus… J’entamerai également mon propos en vous faisant partager mon expérience du rugby, sport reposant sur le rapport de force, s’il en est, et qui présente beaucoup d’analogie avec le droit de la concurrence, y compris celle de ne pas pouvoir jouer lorsque l’arbitre ne siffle pas les en-avant et les hors-jeu de l’équipe adverse. Deuxième caractéristique essentielle du rugby, plus le match avance plus les erreurs d’arbitrage et les mauvaises interprétations de la règle pèsent sur l’équipe la plus faible.

À titre de propos liminaires, je voudrais proposer une première explication concernant l’augmentation qui semble devoir être constatée du nombre d’infractions au droit de la concurrence. Celle-ci tient, de mon point de vue, à la financiarisation de l’économie et en particulier à la mise en place de valorisations excessives d’entreprises et de LBO successifs qui conduisent les dirigeants à adopter des comportements infractionnels afin obtenir des résultats financiers hors norme.

Les PME en matière de droit de la concurrence sont assez apathiques, car elles ne disposent pas d’une culture de concurrence suffisante et ne sont pas en mesure de percevoir l’intérêt stratégique que peut revêtir pour elles le droit de la concurrence. Dans mon cas, c’est la DGGCCRF, que j’avais contactée, qui m’a ouvert aux possibilités que donne ce droit. À cette occasion, je me suis aperçu que l’intérêt des PME rejoignait l’intérêt général. Tout cela dans un contexte où les intervenants traditionnels – les syndicats professionnels – sont totalement absents de ces informations et de ces débats et où le MEDEF se trouve particulièrement gêné dans la mesure où il a, à la fois, des ouailles qui sont victimes et des ouailles qui sont auteurs. Je souhaiterais donc vous exposer les pesanteurs qui accablent les PME dans ce contexte.

La première pesanteur, c’est la solitude. Un homme seul, une entreprise seule, appelés très souvent le « mouton noir ». La présomption d’innocence qui, en règle générale, est très favorable, me paraît être un problème en cette matière dans la mesure où elle est incompatible avec la notion de preuve et d’obtention de la preuve. Cette présomption d’innocence justifie que tous les acteurs restent silencieux et hors de la procédure et n’exercent pas le statut de tiers

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intéressé. La clémence est perçue dans le milieu économique comme une délation. Cela conduit à remuer le passé, à rompre des équilibres et à rompre des habitudes. Tout ceci dérange fortement et contribue à renforcer la solitude.

La deuxième pesanteur, c’est un environnement qui est très orienté. Ainsi, le fonds de commerce des avocats, c’est essentiellement la défense des auteurs et très peu celle des victimes. Regardez les articles dans les journaux, c’est toujours pour expliquer que les entreprises qui ont fauté, si elles l’ont fait, trouvent des explications économiques et d’autres justifications pour leur attitude ou limitations de responsabilités. Les formations en droit de la concurrence sont très légères, aussi bien dans le cursus universitaire que dans la vie professionnelle.

Troisième pesanteur, l’étonnante discrétion, la loi du silence. Lorsque la procédure devant l’Autorité de la concurrence avance, la partie plaignante est le plus souvent tenue complètement à l’écart de l’instruction, notamment lorsqu’il y a demande de clémence, initiée par un des acteurs, et ce, malgré une plainte. Les victimes sont donc ignorantes à tous les stades de ce qui se passe dans la procédure jusqu’à l’adoption de la décision par l’Autorité. L’action de l’Autorité est au profit de l’État et au profit de l’économie, pas au profit de la victime. Mais qu’est-ce que l’économie, si ce n’est pas les entreprises et les consommateurs. À titre personnel, je me sens partie prenante d’une toute petite partie de l’économie. Il n’y a donc pas de statut de la victime qui donne droit certain à réparation et qui donne droit d’accès à la procédure. L’étonnante discrétion continue car les acteurs eux-mêmes n’interviennent pas par crainte, par peur de modifier les équilibres établis, les habitudes, le confort et de créer de l’incertitude.

Autre pesanteur, la quatrième, c’est la preuve. Elle est par nature extrêmement difficile à rapporter. Il faut des études économiques, il faut un pouvoir d’enquête dont seules les autorités de concurrence disposent. Les ententes sont difficiles à détecter et les abus de position dominante sont difficiles à cerner. Le standard de la preuve, comme me l’a dit mon avocat, la première fois que je suis allé le voir, est extrêmement élevé. C’est très encourageant quand on souhaite engager une action… Les droits de la défense sont très bien organisés, très bien structurés, avec des professionnels qui passent beaucoup plus de temps à penser aux droits de la défense qu’à la défense des victimes. Par ailleurs, il existe en cette matière des débats sans fin, comme la délimitation du marché pertinent, la répercussion des coûts, etc. J’ajouterais même que les inexactitudes et les mensonges ne sont pas réprimés. Enfin, le temps qui passe crée des confusions qui sont toujours favorables aux fraudeurs. Le temps qui passe est une stratégie de défense et le temps qui passe efface, complique la réparation du dommage de la victime.

Cinquième pesanteur, les déséquilibres. Tout au long de la procédure, comme c’est le cas sur le marché, de façon très parallèle, dans la procédure, les dominants restent les dominants. La défense utilise pour limiter les montants des amendes encourues le chantage à l’emploi,

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l’incapacité à payer. Le temps économique pour les entreprises n’est pas le même que le temps juridique, et il se crée au fur et à mesure des déséquilibres croissants et exponentiels. Il en va ainsi des moyens financiers et humains – avocats, lobbyistes. Par ailleurs, les abus de procédure sont multiples. Des déséquilibres en moyens humains existent à l’intérieur des entreprises. Des effets de masse et de levier : quand quelqu’un fraude à hauteur de dix millions d’euros, dix ans après, ces dix millions d’euros, bien utilisés, en font cent. Si vous avez fraudé et que vous avez gagné 50 000 euros, vous aurez à peu près 70 000 ou 80 000 euros à l’arrivée. Dans le premier cas, le comportement a une influence sur la structuration définitive du marché, dans le second, il n’a pratiquement pas d’influence. La clémence est utilisée par les grandes entreprises – je suis intimement persuadé que plus de 90 % des demandes de clémence sont présentées par les grandes entreprises. Pourquoi ? Parce que ça rentre dans une stratégie de faute lucrative. Les victimes n’ont pas accès à la procédure. En revanche, le fraudeur a accès au dossier, et, par suite, connaît l’identité de la personne qui a mis en évidence la fraude, et peut, à partir de là, organiser des représailles, directes et indirectes, avec tout le savoir-faire que cela suppose. Et souvent les décisions de l’Autorité de la concurrence ne remettent pas en cause la structure du marché comme elles le font en matière de concentration.

Sixième pesanteur, après les sanctions, la crainte de non-indemnisation se traduit de la manière suivante : une entreprise qui a été victime ne va pas demander réparation parce qu’elle est obligée de continuer à vivre avec le dominant qui a fraudé et qui peut par la suite la mettre en échec. En témoigne le très faible nombre de demandes d’indemnités en réparation du dommage concurrentiel. J’ai eu l’occasion de le vérifier dans le cartel du négoce de l’acier. Enfin, s’agissant des transactions secrètes, je ne sais pas s’il y a en beaucoup, en tout cas elles n’ont aucune vertu pédagogique et ne sont absolument pas dissuasives. En fait, le péché originel des atteintes au droit de la concurrence vient du fait que toutes ces actions ne sont pas brutales, ne sont pas visuelles et ne sont pas médiatiques. Pour synthétiser mon propos, je vais vous livrer une question à laquelle j’ai été obligé de répondre qui est la suivante : « Comment, Monsieur, après dix ans de prédation, êtes-vous encore en vie ? » Alors là, je me suis dit, si jamais quelqu’un se fait rosser par des voyous dans le rue, qu’il va voir les gendarmes et que ceux-ci lui disent : « Très bien, vous avez été rossé, mais comment se fait-il que vous soyez toujours en vie ? » Alors, Mesdames et Messieurs les spécialistes, comment rendre ce droit plus opérationnel, surtout plus rapide, plus accessible et comment le rééquilibrer au profit des victimes qui sont souvent des PME ? Merci.

Yves CHAPUT.– Merci beaucoup. Je n’ai plus rien à ajouter puisque vous avez posé les questions. Et si je comprends bien, vous posez d’abord ces questions aux autorités de concurrence et au premier chef à l’autorité nationale de la concurrence ici représentée par Monsieur Étienne Pfister.

Étienne PFISTER, Économiste, Rapporteur général adjoint à l’Autorité de la concurrence.– Merci, Monsieur le professeur. Avant de répondre à certaines des observations qui viennent

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d’être formulées, il est important, vu l’intitulé de notre table ronde, de souligner, comme le fait l’ouvrage du CREDA « Les PME et le droit de la concurrence », l’hétérogénéité de la population des PME.

En effet, lorsque les services d’instruction de l’Autorité de la concurrence sont saisis par une PME victime de pratiques que celle-ci juge anticoncurrentielles, le rapporteur en charge du dossier est naturellement sensible à l’éventuelle fragilité financière de l’entreprise mise en cause tout comme à l’asymétrie de moyens qui peut exister entre l’entreprise saisissante et le mis en cause. Toutefois, les PME ne se résument pas à cette seule variable.

Il faut aussi garder à l’esprit que, dans de nombreux secteurs, les PME, qui représentent 97 % du parc des entreprises, peuvent, du fait de leur taille, être moins efficaces – économiquement j’entends – que leurs concurrents de grande taille et donc moins à même de faire face à une concurrence intense. Je vous renvoie à l’un des premiers chapitres de l’ouvrage du CREDA qui décrit très bien ce déficit de performance. De fait, les plaintes émanant de PME visent parfois, non pas le comportement de tel ou tel concurrent plus important, mais l’intensité de la concurrence à laquelle elles sont soumises. Or, l’objectif du droit de la concurrence n’est pas de protéger le concurrent moins efficace, mais de laisser s’opérer une sélection loyale, par les mérites, des opérateurs les plus efficaces par leurs clients. Cette sélection concurrentielle est un processus économiquement efficace car, d’une part, elle incite les opérateurs à devenir plus performants, d’autre part, elle permet une réallocation des ressources vers les opérateurs les plus performants.

Cela étant dit, les PME souffrent aussi de désavantages qui n’ont rien à voir avec leur capacité à être un opérateur efficace sur le marché. Elles peuvent avoir des difficultés à surmonter des barrières à l’entrée. Elles peuvent, par exemple, rencontrer des difficultés à obtenir des financements de montants suffisants. De façon générale, comme elles produisent moins, elles ont plus de difficultés à rentabiliser des coûts fixes. L’environnement réglementaire tente déjà de prendre ces particularités en compte : circuit de financements adapté, dispositions du droit du travail spécifiques aux PME, etc.

Il y a un autre aspect des PME auquel le droit de la concurrence est sensible : dans de nombreux secteurs, celles-ci sont aussi un facteur de changement, un facteur d’évolution, qui peut jouer un rôle primordial pour la concurrence. C’est donc à ce facteur d’évolution que l’Autorité est plus particulièrement attentive.

Le droit de la concurrence doit donc arbitrer entre ces deux objectifs : d’une part, laisser s’opérer le jeu de la concurrence afin que le processus de sélection naturelle que je décrivais puisse s’effectuer, d’autre part, être attentif à ce que les pratiques des opérateurs les plus puissants ne conduisent pas à évincer des PME qui, tout en ayant à surmonter des obstacles spécifiques, sont également des moteurs de changement et d’évolution des industries.

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Comment le droit de la concurrence prend-il en compte ces différentes dimensions ?

Il convient en premier lieu de relever que l’un des objectifs du droit de la concurrence est de corriger des asymétries entre entreprises qui, sinon, pourraient distordre le jeu de la concurrence. Ainsi, la qualification d’un abus de position dominante vise précisément à exiger de l’entreprise dominante qu’elle s’abstienne de mettre en œuvre certains comportements qui, du fait de l’asymétrie constatée avec ses concurrents, conduiraient à l’éviction des entreprises moins bien implantées sur le marché. Il en va de même des pratiques d’ententes verticales, comme les exclusivités d’approvisionnement ou de fourniture, qui peuvent, dans certains contextes de marché, conduire à l’éviction de concurrents et notamment de PME. Dans une certaine mesure, la qualification de l’abus de position dominante et certaines qualifications d’ententes verticales prennent donc d’emblée en compte l’asymétrie qui peut exister entre des PME et des grands groupes dès lors que ces derniers détiennent un pouvoir de marché significatif.

Nous pourrions alors nous demander si, dans certains cas, plutôt que de réduire les possibilités d’action du dominant, il ne serait pas plus efficace d’accroître la protection des « dominés » : par exemple, protéger les PME, par une discrimination positive à leur égard, parce qu’elles seraient supposées dominées. Deux limites immédiates à cette solution. Premièrement, il peut être beaucoup plus facile d’identifier un dominant que d’identifier des « dominés ». Un exemple concret de ces difficultés, c’est toute la législation commerciale sur les pratiques restrictives, dont l’objectif est bien de protéger les entreprises « dominées », notamment celles qui doivent négocier avec les centrales d’achat du secteur de la grande distribution. Mais identifier les entreprises « dominées » s’est finalement avéré difficile, et, très rapidement, le législateur a choisi de protéger tous les fournisseurs, y compris les plus importants d’entre eux. Deuxièmement, en protégeant les « dominés », le législateur risque en fin de compte de réduire la concurrence qu’ils se livrent entre eux. En protégeant les PME, le régulateur réduirait également la concurrence qui pourrait s’exercer entre les PME. Or, la concurrence est bénéfique également pour les PME. De nombreuses études économiques le montrent : des PME soumises à un environnement plus concurrentiel deviennent plus productives.

Néanmoins, le droit de la concurrence permet de recourir à d’autres dispositifs ou qualifications qui peuvent être de nature à mieux prendre en compte, dans des circonstances bien particulières, la situation des entreprises « dominées » et des PME en particulier.

La qualification de l’abus de dépendance économique se situe précisément dans cette logique d’accroissement des droits de l’entreprise dominée. Quatre conditions doivent cumulativement être réunies pour que soit constatée une situation de dépendance : 1) la notoriété du partenaire dont le saisissant s’estime dépendant, 2) la part de marché importante de ce partenaire, 3) la part importante du partenaire dans le chiffre d’affaires du dépendant et 4) l’absence de solutions alternatives. La situation de dépendance caractérise ainsi la situation

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d’une entreprise qui, sans être dominante sur l’ensemble du marché, est néanmoins dominante vis-à-vis de l’un de ses partenaires commerciaux. Si cette situation de dépendance est établie, des pratiques telles qu’une discrimination, un refus de vente, ou une modification brutale des conditions de vente ou d’achat, et qui sont de nature à affecter la situation de la concurrence sur le marché, sont susceptibles de constituer des pratiques abusives et ce, sans qu’il soit nécessaire de démontrer la position dominante de leur auteur. Il s’agit là d’un dispositif législatif spécifique, permettant, lorsque les circonstances de marché l’exigent, de rehausser les droits d’une entreprise dominée, et notamment d’une PME à l’égard d’un groupe plus important. Le dispositif est proportionné : d’une part, il repose sur des critères clairs, définis et précisés par la jurisprudence, qui permettent d’identifier et de circonscrire la situation de dépendance et, d’autre part, les droits du dépendant ne sont accrus que vis-à-vis de l’entreprise dont il est dépendant. Le risque que ce surcroît de protection ne contribue à une atténuation du jeu concurrentiel est donc très faible.

Un second dispositif permet également, en droit de la concurrence, de prendre en compte la situation spécifique dans laquelle peuvent se trouver des PME. Il s’agit de la procédure de mesures conservatoires. On sait bien, vous l’avez souligné Monsieur Gaches, qu’une instruction prend du temps. Or, si le temps juridique est nécessairement long, le temps de l’économie et des entreprises est parfois compté, notamment lorsque les pratiques anticoncurrentielles alléguées ont pour cible(s) une ou plusieurs PME. Lorsque les pratiques alléguées sont si graves qu’elles peuvent produire des conséquences qui soient à la fois immédiates et néfastes, irréversibles, tant sur la concurrence, le secteur, ou les consommateurs que sur l’entreprise plaignante, l’Autorité de la concurrence peut alors, sitôt que les pratiques en cause sont susceptibles d’être qualifiées d’anticoncurrentielles, y mettre fin par le prononcé de mesures conservatoires. A nouveau, il s’agit là d’un dispositif pragmatique et efficace, notamment au vu des secteurs dans lesquels des mesures conservatoires ont été prononcées. Il s’agit en effet de secteurs émergents ou nouvellement libéralisés dans lesquels les PME, en tant que nouveaux entrants, contribuent de façon importante à l’évolution du secteur et à la dynamisation du jeu concurrentiel.

D’aucuns regretteront peut-être que ces dispositifs spécifiques ne soient pas plus utilisés, notamment pour protéger les PME et accroître ainsi leurs droits et leur protection. Mais à nouveau – et je vous renvoie à l’introduction de mon exposé –, la situation des PME est très hétérogène et il faut donc être très prudent dans l’application de ces dispositions afin de ne pas décourager des pratiques qui, bien que pénalisantes pour certaines PME, relèveraient néanmoins d’une concurrence par les mérites.

Pour conclure, le droit de la concurrence présente donc des dispositifs spécifiques qui permettent de prendre en compte la situation très particulière des PME. Plus généralement, le droit de la concurrence s’attache à prendre en compte l’asymétrie entre les opérateurs dès lors que celle-ci pourrait empêcher l’exercice d’une concurrence par les mérites. Dès lors, les PME, même si elles ne sont pas expressément nommées dans les dispositions du droit de la

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concurrence, bénéficient naturellement d’une très grande attention de la part des autorités de concurrence.

À présent, quelques réponses aux différentes remarques formulées par M. Gaches. Comme vous l’avez indiqué, l’instruction est parfois longue au regard des contraintes auxquelles sont soumis les opérateurs. Mais la procédure de mesures conservatoires permet, lorsque la pratique risque de causer un dommage immédiat, de raccourcir ce temps juridique. Je rajouterai en outre que l’Autorité de la concurrence a considérablement réduit les délais d’instruction dans un contexte où les standards de preuve ont plutôt eu tendance à devenir plus exigeants, comme le montrent les débats relatifs à la détermination des sanctions.

Effectivement, le droit des pratiques anticoncurrentielles ne permet pas d’intervenir sur la structure des marchés car, à nouveau, l’intervention du droit de la concurrence dans le champ économique se doit d’être proportionnée. Or, la structure des marchés découle des circonstances économiques du secteur. La présence d’économies d’échelles permet ainsi aux opérateurs les plus importants de réduire leurs coûts et d’accroître des parts de marché, parfois au détriment de PME. Il s’ensuit naturellement une plus grande concentration du marché mais aussi une plus grande efficacité productive. C’est là également le jeu et les bénéfices de la concurrence, et le régulateur ne doit donc s’y immiscer qu’avec une très grande prudence. Cet équilibre entre efficacité productive et atteinte à la concurrence est en revanche pris en compte par le droit de la concurrence à travers le contrôle des concentrations qui intervient sur la structure du marché.

Enfin, le droit de la concurrence impose effectivement des standards de preuve élevés. Ils sont néanmoins justifiés car la constatation d’infractions au droit de la concurrence remet en cause la liberté économique des opérateurs, dont dépend également l’intensité de la concurrence. Je vous remercie.

Yves CHAPUT.– Merci beaucoup d’avoir clarifié le débat et d’avoir replacé les différents domaines en perspective. En vous écoutant, je pensais d’ailleurs aussi au droit pénal. Il y a toujours cette idée de sanction et de constitution de partie civile devant les juridictions répressives. Le droit pénal en tant que tel n’est pas fait pour défendre une victime particulière. Il est fait pour défendre l’intérêt général et l’ordre public. Dès lors, la constitution de partie civile est une exception mais qui présente un avantage, celui de permettre d’accéder au dossier. Il y a un inconvénient actuellement, c’est qu’il y a un mélange des genres dans le projet de réforme devant l’Assemblée nationale qui permettra, s’il est adopté en l’état, à la partie civile de faire appel d’une décision qui est une décision purement pénale de sanction. Et là on voit le danger de confondre deux choses, la défense de l’ordre public et la défense d’intérêts privés. Dans les explications que vous nous avez données, on voit très bien comment est défendu l’intérêt général quand il s’agit de la concurrence puisque c’est un choix économique qui a été fait et c’est une défense de la concurrence et non pas du consommateur, non plus que de tel agent économique. Simplement, mais un peu comme le secret de l’instruction ou le secret des

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affaires, on se demande ce qu’il en est de la victime, qui, elle, veut invoquer autre chose. La victime, en réalité, n’invoque pas une atteinte à la concurrence. La victime invoque une faute, en quelque sorte un préjudice qui découle directement de l’infraction. C’est pour cela que je pensais au domaine pénal. La constitution de partie civile, c’est pour obtenir réparation d’un préjudice qui découle directement de l’infraction. La victime a aussi cette problématique. Elle pense qu’une infraction a été commise – c’est la concurrence, c’est l’intérêt général, c’est l’ordre public. Elle n’est donc pas directement concernée, mais en même temps, cette faute qui porte atteinte à des valeurs essentielles pour une société a des conséquences pour ses intérêts particuliers. Et là, on voit que les choses ne sont pas aussi bien organisées qu’elles ne le sont en droit pénal. La victime n’a pas d’accès au dossier. On va lui opposer un secret de l’instruction et un secret des affaires. Et c’est là probablement que le temps va jouer un rôle. Il y a une durée de procédure et il n’y a pas de concordance, d’harmonie dans cette juridicité entre la poursuite des infractions et la réparation d’un dommage. Là, il y a quand même un mur, alors que l’on sent bien qu’il y a un lien. C’est une question que l’on peut se poser, mais que l’on peut se poser également sur le plan européen, puisque l’on voit bien que la Commission et les autorités européennes veulent faciliter les recours, et ceux des entreprises qui éventuellement pourraient se regrouper, et on parle beaucoup actuellement de recours collectifs. Je me retourne donc vers le représentant de la Commission. Que vous inspire ce que vous avez entendu de la part de la victime comme de l’autorité de concurrence nationale ?

Rainer BECKER, Policy Officer, Private enforcement, DG Concurrence, Commission européenne.– Je souhaiterais répondre aux interrogations formulées et plus particulièrement en mettant l’accent sur les actions privées. Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier pour cette invitation. J’étais ravi lorsque j’ai lu le programme de notre manifestation. Tout d’abord, en raison de la double approche retenue, celle de la PME, auteur de pratiques anticoncurrentielles, et celle de la PME, victime, que l’on pourrait même remplacer par la qualification d’« acteur de la concurrence ». Ensuite, lorsque j’ai vu le temps qui était prévu pour parler de ce dernier sujet. En effet, j’ai la profonde conviction – même si je ne dispose d’aucune statistique pour le démontrer – que, lorsque les PME sont en contact, conscient ou inconscient, avec le droit de la concurrence, c’est beaucoup plus souvent en tant que victime qu’en tant qu’auteur de pratiques anticoncurrentielles.

Il est très difficile de répondre aux préoccupations dont s’est fait l’écho Monsieur Gaches. Les difficultés qu’il a évoquées sont bien réelles mais difficiles à résoudre. Quand on s’intéresse aux différents groupes de victimes, c’est incontestablement le groupe des PME, ainsi que celui des consommateurs finals, qui sont les moins protégés. J’ai parcouru avant de venir quelques décisions que la Commission a adopté récemment en matière de cartels et je les ai comparées aux affaires d’actions privées relatées dans la presse. Par exemple, dans le cartel du verre pour automobile, il y a bien eu des actions privées et d’autres se préparent si l’on en croit la presse. Mais qui est à l’origine de ces actions privées ? Ce sont les constructeurs automobiles, ce sont des assureurs, bref de grandes entreprises. Où sont les garagistes qui ont acheté des pare-brises ? Pour eux, le dommage pourrait s’avérer bien plus important. Aucune de ces actions n’a

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été préparée et portée devant le juge pour le moment. Autre cas plus ancien, l’affaire du cartel du graphite. Une action en réparation du dommage a été entamée à Londres par Bosch, Emerson, Valeo, etc., qui poursuivent en tant que consommateurs de masse les producteurs de graphite qui ont pris part au cartel. Et pourtant, aucune PME n’est présente dans cette action, alors que des PME figuraient aussi parmi les clients des membres du cartel. Même remarque à propos de l’affaire récente du cartel du fret aérien. On constate la présence de beaucoup de grands comptes dans les actions privées en réparation du dommage concurrentiel, aux États-Unis, mais aussi en Europe, et notamment aux Pays-Bas où Philips et Ericsson ont introduit une action privée dans cette affaire. Et l’on pourrait poursuivre le constat à l’infini. Pourquoi ? Le premier constat est assez simple : les coûts d’une action individuelle en réparation du dommage concurrentiel sont trop importants pour être supportés par une PME, et même les plus importantes d’entre elles. Les toutes petites entreprises n’ont simplement aucune chance, étant donné les coûts assez complexes d’une action en droit de la concurrence. Par exemple, lorsque l’on passe à la quantification du préjudice, on atteint un niveau de complexité qui peut décourager la PME victime. La Commission a récemment publié, aux fins de consultation publique, un projet de document d'orientation adressé aux tribunaux nationaux pour faciliter la lourde tâche de quantifier le préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l'article 101 ou 102 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne (voir http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/). Toutefois, même avec un tel guide, les coûts d’une action individuelle resteront tout simplement prohibitifs. Par conséquent, d’une façon ou d’une autre, il faudra envisager des modalités permettant de regrouper ces actions individuelles.

Monsieur Gaches, vous avez mentionné la vengeance. C’était dans le contexte de la procédure publique. Si l’on regarde les actions privées, la meilleure protection contre les représailles est encore de se regrouper parce que si tous les clients d’un gros fournisseur se rassemblent pour demander la réparation de leur préjudice causé par le comportement infractionnel du fournisseur, la vengeance sera plus difficile à mettre en œuvre.

À présent, une remarque à propos de la confidentialité que vous avez également mentionnée. Au moins pour les personnes physiques, il y a une règle établie par la Cour de justice dans l’affaire Adams (Aff. 145/83, Rec. 1985, 3539) selon laquelle une personne physique qui informe la Commission européenne de l’existence d’un cartel peut demander la confidentialité de son identité dans la procédure administrative. Je ne veux certainement pas suggérer que n’importe quelle entreprise qui présente des informations pertinentes à une autorité de concurrence devrait avoir les mêmes droits que les personnes physiques. Mais il y a peut-être une petite piste.

Je ne veux pas vous ennuyer avec le forum shopping, mais l’on peut tout de même se demander pourquoi les grandes entreprises introduisent souvent leurs actions privées à Londres, telles que Michelin ou Valeo, pour donner des exemples français dans l’affaire du cartel du caoutchouc synthétique et celui du graphite. Apparemment, lorsqu’il y a des

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problèmes d’accès aux éléments de preuve, la traversée de la Manche constitue une option intéressante. Il va sans dire que ce luxe d’une telle recherche d’un fore avantageux, qui implique, entre autres, de se payer des avocats à Londres et de se soumettre à une procédure civile différente, n’est pas aussi accessible aux PME qu’aux grandes entreprises, sauf à ce qu’elles se regroupent afin d’avoir un accès à la justice plus réaliste.

Pour toutes ces raisons, et je ne vous apprendrai rien de nouveau, la Commission a envisagé en matière de concurrence, dans son livre blanc de 2008, de favoriser le développement des actions représentatives confiées à des organismes agréés sur le modèle nordique de l’Ombudsman ou encore des associations de consommateurs ou d’entreprises.

C’est pourquoi nous avons introduit un deuxième volet en plus de ce que l’on a proposé pour le recours collectif dans le livre blanc en matière de concurrence. Il s’agissait justement des actions représentatives par des organismes qui représentent les intérêts des entreprises. Bien entendu, on a d’abord pensé aux PME, mais pas seulement. J’entends bien l’objection concernant d’éventuels conflits d’intérêts au sein de ces organisations professionnelles, telles que le MEDEF, dont les membres peuvent être indifféremment des auteurs et des victimes de pratiques anticoncurrentielles et dans lesquels les conflits d’intérêt sont en quelque sorte programmés. Cela dit, il existe aussi des organisations professionnelles dont l’objet est suffisamment restreint pour éviter la plupart des conflits d’intérêts. C’était le cas, par exemple, dans le cartel de la cire, secteur dans lequel il existe un syndicat européen des fabricants de bougies. Autre possibilité prévue dans le livre blanc pour les PME, en cas de conflits d’intérêt au sein de leurs associations professionnelles, celle d’agir en se tournant vers des organismes représentatifs agréés ad hoc, ce qui permet de sortir des problèmes de conflits d’intérêts.

Évidemment, les dommages de masse ne concernent pas que le droit de la concurrence. Il n’y a pas que là que les actions individuelles en réparation sont inefficaces. C’est dans cette optique que nous avons conduit, au début de cette année, une autre consultation publique. Nous sommes à la recherche de principes conducteurs qui pourraient assurer la cohérence dans une approche européenne des recours collectifs. Cette approche pourrait être soit générale soit sectorielle, par exemple en matière de concurrence. Des principes conducteurs permettront de s’assurer que l’on parviendra à un dispositif qui non seulement soit efficace mais qui en outre comporte des garanties solides contre les dérives potentielles de ce type de recours. La Commission est en train de réfléchir très sérieusement à ces risques d’abus. Nous analysons en ce moment les milliers de pages des 300 contributions – c’est du jamais vu ! – que nous avons reçues dans le cadre de notre dernière consultation. Et je ne suis pas encore en mesure de vous donner des éléments de réponses précis. Vers la fin de l’année, la Commission compte adopter une communication qui prendra position sur l’approche à suivre au niveau européen en matière de recours collectifs.

Yves CHAPUT.– Merci beaucoup. Vous posez une question qui rejoint ce que disait Monsieur Gaches : « des recours collectifs pourquoi pas, mais avec qui ? » Car Monsieur

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Gaches se plaint d’être seul dans son combat. On comprend très bien que, pour les consommateurs, il y ait des préjudices de masse. Mais, s’agissant des PME et des actions qui pourraient être menées en matière de concurrence pour la réparation des préjudices, je le vois moins nettement que pour les consommateurs. Peut-être la professeure Catherine Prieto pourrait-elle à présent approfondir ces thèmes.

Catherine PRIETO, Professeure à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne).– Merci de me poser directement cette question pour organiser notre débat. L’intérêt stratégique du droit des pratiques anticoncurrentielles pour les PME est resté jusqu’à présent dans l’ombre, à la différence du droit de la concurrence déloyale. Il faut donc se féliciter de l’initiative du CREDA, menée à son terme sous la houlette d’Yves Chaput et d’Aristide Lévi, avec la précieuse assistance d’Alain Ronzano. Le point de départ de nos rencontres était d’examiner le sort des PME confrontées à une application rigoureuse du droit des pratiques anticoncurrentielles par le Conseil de la concurrence. Dans le cadre de la réflexion générale confrontant PME et droit de la concurrence, il m’est apparu opportun d’orienter ma contribution sur un aspect en contrepoint : les PME ne sont pas seulement susceptibles être poursuivies en tant qu’auteurs de pratiques anticoncurrentielles ; elles peuvent également en tirer une protection. Monsieur Gaches, en tant que président-directeur général d’une PME, témoigne qu’une prise de conscience est en train de s’opérer. Elle revêt un enjeu important non seulement pour les PME, mais aussi pour l’intérêt général. La raison d’être du droit des pratiques anticoncurrentielles est de préserver une structure concurrentielle des marchés pour que les challengers et innovants aient toute leur place et que triomphe en définitive le bien-être général que les économistes appellent « le bien-être du consommateur ». On voit bien que c’est précisément dans l’intérêt des PME que les marchés demeurent ouverts pour qu’elles puissent faire valoir leur mérite sur le plan des prix, mais aussi et surtout sur le plan de la qualité et de l’innovation.

Il convient donc de diffuser cette culture de concurrence auprès des PME en les sensibilisant aux problématiques des pratiques anticoncurrentielles. Mais, comme pour toute branche du droit, elles doivent avant tout se reposer sur une assistance juridique solide. Or, les conseils spécialisés dans ce domaine sont encore trop peu nombreux et le savoir-faire existant est soutenu et réservé à la défense des grandes entreprises, comme l’a fort bien souligné Monsieur Gaches.

Pour cerner un peu mieux les besoins des PME, il convient de distinguer les PME victimes évincées du marché et les PME victimes en tant que consommateurs intermédiaires. La problématique des recours collectifs, sur laquelle je suis invitée à me prononcer lors de cette table ronde, ne présente pas le même intérêt selon qu’il s’agit de la première ou de la seconde catégorie.

Les victimes évincées sont parfaitement conscientes de leur préjudice – l’éviction d’un marché – et celui-ci est d’un montant très important. Leur survie est parfois en jeu. L’éviction

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résulte d’un abus de position dominante ou d’une entente contractuelle dans le cadre de restrictions verticales ou de transfert de technologie. À l’instar de Monsieur Gaches, leur difficulté est de deux ordres : établir l’existence de la pratique et celle de leur préjudice. Ces deux types de preuve reposent sur des analyses économiques souvent complexes et coûteuses. On retiendra ici que l’éviction d’un marché occasionne, par définition, un préjudice individuel ou subi par un petit nombre d’opérateurs économiques. Le développement des recours collectifs n’est donc pas véritablement utile pour elles.

Les victimes consommateurs intermédiaires connaissent, quant à elles, d’autres types de problèmes. Le plus souvent, ces victimes ignorent leur état et leur préjudice. C’est à l’issue d’une condamnation par la Commission européenne ou par une autorité nationale de concurrence que l’ampleur et les répercussions d’une pratique anticoncurrentielle sont connues. L’affaire du cartel de la téléphonie mobile en est un bon exemple, qu’il s’agisse du consommateur final ou de l’entreprise en tant que consommateur intermédiaire. Or, malgré toute la publicité donnée par les autorités, ces condamnations n’ont guère de suite. Il est vrai que la condamnation règle en elle-même une partie du problème, puisqu’elle emporte la cessation de la pratique en cause. Cependant, la réparation ne peut être prononcée que par le juge judiciaire. Elle nécessite une action des victimes. Il s’avère que la plupart d’entre elles restent inertes. C’est un paradoxe puisque la réalité de la pratique anticoncurrentielle est d’ores et déjà reconnue. L’explication tient au fait que le préjudice est perçu comme étant relativement faible au regard du coût en temps et en argent que requiert une action en justice. Le phénomène d’apathie rationnelle explique cette situation. C’est donc pour cette seconde catégorie de victimes – les consommateurs intermédiaires – que les recours collectifs présentent un intérêt.

À cet égard, il y a tout lieu de considérer que les entreprises consommateurs intermédiaires doivent être traitées de la même manière que les consommateurs finals. C’est d’ailleurs un point très positif à relever dans la consultation publique ouverte en février dernier par la Commission européenne. La solution n’était pas acquise. Certes, les travaux de la Direction générale de la concurrence intégraient le sort des PME dès le livre vert de 2005 relatif aux actions en dommages et intérêts en réparation de la violation des articles 101 et 102 TFUE. Mais ce n’était pas l’approche de la Direction générale de la santé et de la consommation qui, dans son livre vert de 2007, réservait les recours collectifs aux consommateurs au sens du droit civil. En conformité avec l’approche économique intégrant les entreprises dans la catégorie des consommateurs lorsqu’elles consomment à des fins de production, la Direction générale de la concurrence a maintenu son intérêt pour les PME dans le livre blanc de 2008. Après ce document, on pouvait escompter, comme la Commissaire Neelie Kroes l’avait laissé espérer, une directive présentant un cadre minimal pour le développement des actions privées dans les États membres. Les conditions posées au renouvellement du Président Barroso ont été telles que ce projet de directive, diabolisé en tant que prétendu vecteur de « class actions », a été reporté sine die. En tant que nouveau Commissaire en charge de la concurrence, Joaquín Almunia a repris avec conviction l’axe général du développement du private

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enforcement dans la politique européenne de concurrence, dans lequel figuraient en bonne place les recours collectifs. Mais il n’a pu le faire que dans une démarche transversale du fait de la création de la Direction générale de la Justice, car cette dernière ne pouvait pas rester à l’écart d’un projet d’une telle dimension pour les juges. La Commissaire Viviane Reding a donc voulu s’assurer de solides principes communs transversaux. Ainsi s’explique la consultation lancée conjointement par les trois Directions générales en février dernier. Il faut se féliciter que le Commissaire Almunia ait pu convaincre les deux autres Commissaires pour que soit présentée à la consultation la nécessité d’élargir aux PME le champ des personnes recevables à former des recours collectifs. Dès l’introduction, les PME sont mentionnées, au même titre que les citoyens, pour exploiter en pratique toutes les possibilités offertes par le marché unique conformément au programme de Stockholm.

Est ensuite posée la question de savoir si un certain particularisme doit être envisagé pour l’efficacité des recours collectifs formés par les PME. Cette question générale se décline sur le plan de la représentation et sur celui du financement.

En premier lieu, Il s’agit de préciser si et comment le droit de recours doit être réservé à certaines entités. De manière générale, la Commission européenne défend l’idée que les recours collectifs pourraient se développer de manière efficace mais raisonnable s’ils étaient portés par des entités dites qualifiées qui seraient spécialement habilitées dans chaque État membre. Les modalités et les critères de ces habilitations seraient définis par chacun d’entre eux. Néanmoins, la consultation publique de février dernier permettait d’approfondir l’analyse.

Il est certainement nécessaire de faire une distinction entre les associations représentant les intérêts des consommateurs et celles représentant les intérêts des entreprises. Les premières peuvent être constituées de manière permanente et faire l’objet d’une habilitation générale. C’est d’ailleurs le cas à l’heure actuelle et on peut imaginer que ces actions de consommateurs seraient parfaitement opérationnelles en France dès lors que serait supprimée, dans le régime de l’action en représentation conjointe, l’aberrante interdiction de toute forme de publicité qui en a fait une action mort-née. L’affaire du cartel de la téléphonie mobile en a donné une démonstration supplémentaire, s’il en était besoin, avec l’annulation par la Cour d’appel de Paris de l’action engagée par l’association UFC Que choisir. Cette seule suppression changerait la donne. En revanche, le profil des associations représentant les entreprises pose difficulté. Là encore, l’affaire du cartel de la téléphonie est révélatrice. Aucune action en réparation ne fut engagée au nom d’entreprises consommateurs intermédiaires alors que la réalité de leurs préjudices est aussi indéniable que ceux subis par le consommateur final. La première explication de cette inertie réside dans l’hypothèse de conflits d’intérêts. Plus l’association couvre des secteurs différents, plus elle s’expose à des conflits d’intérêts, ce qui la rend inapte à porter une demande en réparation pour un préjudice de masse. Dans certains cas de figure, une association d’un secteur donné pourra subir un préjudice collectif homogène et porter à elle seule une action en réparation. Demeure malgré tout un risque de conflit d’intérêts lorsque les associations professionnelles ont l’habitude d’œuvrer ensemble pour défendre un

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même secteur. En tout état de cause, il est opportun de ne pas figer la situation de la représentation en justice des entreprises par des habilitations générales et de laisser la faculté de constituer des associations ad hoc, dont l’habilitation sera décidée au cas par cas par le juge sur des critères généraux fixés par le législateur.

En second lieu, l’interrogation porte sur un financement spécifique aux recours collectifs qui seraient exercés par les PME. De ce point de vue, il est permis de raisonner à nouveau de manière transversale en envisageant à la fois les actions des consommateurs intermédiaires et finals. Dans sa réponse à la consultation publique de février dernier, le réseau Trans Europe Experts propose que soit constitué un organisme public habilité à exercer des actions confiscatoires de gains illicites de telle sorte à pouvoir ensuite répondre aux demandes de financement des associations habilitées pour les recours collectifs. Ce mécanisme pourrait profiter à toutes les entités qualifiées, qu’elles représentent les consommateurs finals ou les consommateurs intermédiaires. Il existe aussi une voie de financement spécifique aux entreprises avec les expériences menées en Allemagne à la suite de la condamnation du cartel des vitamines et du cartel du ciment. Il s’agit d’exploiter toutes les possibilités offertes par le mécanisme juridique de la cession de créances dans les modalités imaginées par l’entreprise Cartel Damage Claims. L’activité sociale de cette entreprise porte exclusivement sur le développement du private enforcement (voir carteldamageclaims.com pour des illustrations des affaires engagées). Sur ce point, il serait intéressant de connaître l’appréciation de Monsieur Becker.

Rainer BECKER.– C’est exactement cela. Voilà l’état des lieux de cette approche : cela fait maintenant trois ou quatre ans que la question a été portée devant les tribunaux, jusqu’à la Cour suprême. À présent, on sait que l’action est recevable. Et l’on commence peu à peu à examiner la substance de la question. Si l’on regarde la somme totale qui est demandée dans l’affaire du ciment, si l’on regarde l’armada des conseils – la crème de la crème des avocats et des économistes en Allemagne –, c’est une affaire qui risque d’aller très loin et qui ne se règlera pas en trois mois. Et je crois que, dans ce cas, les questions de quantification des dommages-intérêts ne se résoudront pas sans de grandes expertises, sans bataille entre experts. Partant, cette procédure risque d’être très chère et ne semble pas a priori s’adresser aux PME, sauf bien entendu, si le dommage subi par la PME est considérable, car c’est bien, en cette matière, l’importance du dommage qui rend le recours à cette procédure intéressante pour une société comme CDC. Vous l’avez déjà souligné, il est clair que pour les entreprises comme CDC il faut un retour sur investissements. Cela semble difficile, au vu des coûts de procédure et de transaction, quand la valeur des créances cédées n’est pas suffisamment élevée. Le modèle des cessions (tel que pratiqué par CDC) semble donc uniquement être une option parmi d’autres et il ne remplace absolument pas les recours collectifs pour les PME et les consommateurs dont la valeur des créances risque souvent d’être moins élevée en termes absolus. Dans notre livre blanc de 2008, nous avions envisagé deux types d’actions : d’une part l’action de groupe lorsque les dommages sont élevés et lorsque les entreprises font preuve d’un certain activisme ; d’autre part les actions en représentation dans les autres situations.

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C’est pour les actions de groupe que le modèle de CDC pourrait constituer une alternative, mais il ne saurait remplacer les actions en représentation.

Philippe RINCAZAUX, Avocat à la Cour (Orrick, Rambaud, Martel).– Je voudrais apporter cet après-midi un regard de praticien et sortir des sentiers battus pour vous donner le fruit de certaines expériences auxquelles j’ai été confronté et qui montrent que les choses peuvent marcher un peu mieux qu’on ne le croit ou peuvent marcher moins bien qu’on ne peut l’espérer. Je le ferai avec l’objectif non pas de dire comment faire, mais de soulever des questions, susciter le débat, le « provoquer » peut-être…

Mon premier commentaire portera sur le constat que, s’il est une chose sur laquelle on doit être tous d’accord, c’est que, si une PME est victime de pratiques anticoncurrentielles, elle a droit à réparation et qu’il faut que le système permette de lui apporter réparation de manière effective. Une réparation qui n’est pas apportée de manière effective, ce n’est pas une réparation. Une victime doit pouvoir obtenir réparation de son préjudice.

Le deuxième point que je voudrais aborder prend la forme d’une question : de quoi a-t-on besoin quand on est victime et que l’on demande réparation ? On a besoin de quatre choses. On a d’abord besoin de faits, qui sont à l’origine du préjudice que l’on a subi. On a besoin d’une preuve. On a besoin d’un juge et on a besoin de ressources. Les faits existent par eux-mêmes et on les subit. La preuve, là se pose une question tout à fait majeure que nous allons aborder. Le juge, vous verrez que c’est pour moi la clé de tout ou presque. Et les ressources. Finalement, si l’on arrive à un système, en ce qui concerne la preuve et le juge, qui peut fonctionner de manière efficace, le sujet des ressources deviendra moins important que ce que l’on peut croire aujourd’hui.

Il faut aussi tenir compte d’un élément qui est la logique de notre système et notre culture. Et je voudrais prendre deux exemples pour bien montrer que ce dont on parle aujourd’hui, ce n’est pas quelque chose de complètement abstrait et de strictement spécifique à la concurrence, mais c’est quelque chose auquel nous sommes confrontés depuis longtemps. En France, nous n’avons pas de système de discovery. Nous avons en France un problème d’accès à la preuve. Comment l’a-t-on réglé ? Dans de nombreuses affaires – et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons ce système –, on utilise le juge d’instruction. Pourquoi y a-t-il autant de recours au pénal en France ? Parce qu’on a besoin d’un juge qui enquête, parce que l’on a besoin de quelqu’un qui va chercher les preuves et qui dispose des pouvoirs et des moyens pour le faire. On dispose de la constitution de partie civile, on a le procureur et le juge d’instruction, on a les expertises dont le plaignant ne supporte le coût que très partiellement. On a le pour et le contre qui est recherché par le procureur et le juge d’instruction, par quelqu’un qui est expert, par quelqu’un qui a des moyens, peut-être pas assez, mais qui a des pouvoirs et des moyens, qui transmet un dossier à un tribunal devant lequel – Yves Chaput l’a rappelé tout à l’heure et c’est l’une des meilleures expressions qui pourra résumer notre discussion – il n’y a pas le « mur ». Parce que vous allez devant le même juge en lui disant que Monsieur X est

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coupable de… et que vous êtes victime et vous pouvez lui demander la réparation du préjudice que vous avez subi. Alors ensuite, le cas échéant, on va devant la Cour d’appel et puis devant la Cour de cassation, et tout cela de manière synchrone. On ne dispose pas en concurrence de la même unité de temps et de lieu. En concurrence, on rencontre des problèmes qui sont à peu près les mêmes. Et on voit qu’on a élaboré une construction singulière en donnant au ministre le pouvoir, en matière de pratiques restrictives, d’agir devant un tribunal. Pourquoi ? Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de préjudice, c’est parce qu’il n’y a pas d’action. Donc, on a délégué au ministre le soin de le faire, de manière un peu étonnante, mais le Conseil constitutionnel l’a validé. Le législateur a dit au ministre : « Faites le travail à la place de la victime, parce qu’elle ne peut pas le faire, elle ne peut pas demander réparation, parce que c’est son fournisseur ou son client ». En matière de concurrence, on est confrontés à de nombreuses questions. L’Autorité de la concurrence suggère de recourir à la procédure de follow-on. Je dirai tout à l’heure pourquoi il me semble que c’est une bonne idée, mais que la mise en œuvre d’un tel schéma susciterait des difficultés importantes, en tout cas dans de nombreuses situations. On en a un exemple très récent qui permet d’illustrer ces réticences. Mais je voudrais tout d’abord me concentrer sur la preuve et le juge.

Comment a-t-on accès à la preuve dans une matière aussi complexe que la concurrence ? Il ne faut pas croire que cela n’est pas possible. Il y a un certain nombre de moyens qui sont peu utilisés, mais qui existent, même s’ils comportent des obstacles tout à fait importants, qui pourraient être atténués. Le premier moyen de preuve, auquel il est usuel d’avoir recours en droit des affaires, c’est le recours aux expertises de l’article 145 du code de procédure civile. Bien utilisé, ce texte permet d’obtenir des éléments de preuve. Ça n’est pas forcément très facile, mais c’est un outil qui est à disposition et qui peut être efficace. Il y a un autre moyen ou un double moyen qui consiste à déposer une plainte puis de se constituer partie civile ensuite, le cas échéant, puisqu’il y a un texte en droit français qui sanctionne pénalement le fait de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en œuvre de pratiques d’entente ou d’abus de position dominante (C. com., art. L. 420-6). La procédure peut ne pas aboutir à un renvoi ou une condamnation, mais la plainte peut avoir pour effet de déclencher une enquête, il peut y avoir un juge… Et puis il y a la saisine de l’Autorité de la concurrence avec une vraie difficulté, c’est qu’on n’a pas accès au dossier pendant toute la période d’instruction. On ne sait pas ce qu’il y a dans le dossier et on ne peut donc pas l’utiliser.

Est-ce à dire que l’on ne peut rien faire ? Non ! On peut faire quelque chose, mais c’est un autre moyen de procédure qui recèle une difficulté elle aussi tout à fait importante : il s’agit alors de saisir un tribunal – et on n’a pas besoin d’attendre que l’Autorité de la concurrence se soit prononcée – et de solliciter ce tribunal afin qu’il demande à l’Autorité de la concurrence de lui communiquer une partie de son dossier. C’est quelque chose que j’ai pratiqué ; c’est quelque chose qui marche. Avec une difficulté majeure cependant, c’est que, au regard de notre droit de la procédure civile, il faut que le demandeur liste les pièces dont il demande au juge de demander la communication. Évidemment, si vous n’avez pas accès au dossier, vous ne savez

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pas si c’est une lettre en date de 12 décembre ou un compte rendu de réunion en date du 14 mars. Dans ce cas-là, vous ne pouvez pas le faire efficacement. En revanche, si vous avez connaissance du dossier, vous pouvez demander un certain nombre d’éléments. Aurait-on alors la possibilité de demander au juge de solliciter la communication par l’Autorité de la concurrence de l’intégralité du dossier ? Cela n’irait pas sans poser de difficulté procédurale. En outre, l’Autorité ne serait sans doute pas favorable à la communication de l’intégralité de son dossier, d’autant que ça pourrait être un moyen pour avoir connaissance de pièces dans un dossier encore en cours d’instruction. Cela poserait un certain nombre de questions. C’est un moyen tout à fait intéressant. Il pourrait être efficace, mais il est confronté à une difficulté procédurale. Y a-t-il d’autres obstacles ? Il y a une difficulté face au juge. Et il ne s’agit pas là de dire que le juge ne fait pas bien son travail, bien au contraire. Je veux dire deux choses sur ce thème.

La première concerne la spécialisation. On a spécialisé huit tribunaux de commerce et huit tribunaux de grande instance, ainsi qu’une seule cour d’appel, la Cour d’appel de Paris. Au niveau de la Cour d’appel, il me semble que c’était le meilleur schéma que l’on pouvait avoir en France actuellement, d’autant que la Cour d’appel de Paris dispose de la même compétence exclusive pour les pratiques restrictives. Au niveau des juridictions de première instance, la question ne concerne pas les juges eux-mêmes. La question est de savoir s’il y a un volume de dossiers suffisant pour développer une véritable expertise et une pratique régulière pour chacun de ces tribunaux. Si chacun de ces seize tribunaux avait, ne serait-ce qui dix ou douze affaires par an – une affaire par mois – ils acquerraient une véritable pratique ; il y aurait des juges qui seraient confrontés de manière régulière à ces problématiques de réparation du dommage concurrentiel. Mais les dossiers ne sont, semble-t-il, pas aussi nombreux. Donc, même si le législateur les a spécialisés, on est en présence de juges qui, eux, ne sont pas confrontés à la matière de manière régulière et qui donc ne peuvent pas acquérir les automatismes, les réflexes, ni disposer d’experts rodés dans leur ressort, auxquels ils peuvent faire appel, et donc qui ne peuvent bénéficier de tout le système qui permet d’avancer de manière efficace. Pourrait-on aller, au moins de manière transitoire, vers une juridiction unique en France, c’est-à-dire un tribunal de grande instance et un tribunal de commerce, voire une juridiction « ad hoc » et une cour d’appel pour traiter de ces questions ? Il me semble que c’est une question à explorer, et pas par défiance. J’avais soutenu l’idée de spécialiser la spécialisation des juridictions, sachant que la contrepartie de la spécialisation est de limiter la « capillarité » du système. Et c’est tout à fait vrai ! Mais le problème, c’est que la capillarité nécessite une masse d’affaires suffisante. Je ne soutiens pas que la spécialisation est le meilleur des systèmes – je préférerais que toutes les juridictions soient confrontées à l’application des règles de concurrence –, mais j’estime que c’est une piste à explorer.

Ensuite – et là, permettez-moi de tenir ce discours, parce que c’est un des lieux où il faut le tenir –, il me semble que la France doit doter la Cour d’appel de Paris des ressources nécessaires, du nombre suffisant de magistrats dédiés aux questions de régulation que sont la concurrence et la bourse, sans leur affecter au surplus d’autres domaines, et de les doter de

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référendaires qui pourraient travailler sur les dossiers et à la préparation des décisions. Et je répète que la France devrait affecter les ressources suffisantes pour doter ses magistrats des moyens nécessaires pour traiter ces dossiers, ce qui n’est pas le cas. Ce serait utile à notre économie et aussi aux PME victimes de pratiques anticoncurrentielles. Il serait alors possible de dire qu’il y a des juges accessibles qui traitent ces questions, qui ont le savoir-faire, qui disposent des experts nécessaires et qui ont les moyens de traiter les dossiers. C’est quelque chose qui pourrait permettre de résoudre un certain nombre de difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Après cela – et c’est l’un des travaux que les avocats ont à faire –, si on va demander 5 000 euros d’« article 700 » devant un tribunal sans le justifier et encore plus en lui demandant 50 000 euros sans les justifier, on ne pourra pas obtenir ce que l’on demande. Apprenons-donc à justifier les « article 700 » et à faire en sorte que les juridictions puissent appréhender le travail qu’a nécessité la défense d’une entreprise et l’indemniser justement.

En conclusion, je voudrais revenir sur la question du temps et indiquer pourquoi je suis réservé sur l’option du follow-on. Il ne faut pas prendre l’exemple des moutons à cinq pattes pour en déduire que les moutons sont tous des animaux bizarres. Mais, si on prend l’exemple d’une procédure toute récente – c’est un cas extrême, et rare –, qui porte sur des faits de 1988, avec une décision du Conseil de la concurrence de 1996, qui vient de faire l’objet d’un nouvel arrêt de cassation, nous sommes donc vingt-trois ans après les faits et il n’y a toujours pas de décision définitive. Combien de temps est-il raisonnable d’attendre avant de pouvoir demander et d’obtenir réparation ? On parle de PME, d’entreprises souvent familiales, personnelles. Entre-temps, l’entreprise victime aura été vendue, le chef d’entreprise aura pris sa retraite ou sera peut-être même décédé, on ne sait pas ce qui se passera, mais en tout cas, dix, vingt ou trente ans pour obtenir réparation d’un préjudice, ça n’a plus beaucoup de sens. Vous preniez l’exemple des matches de rugby, il est clair que si vous avez joué quinze saisons avant qu’on vous ait dit comment vous auriez dû jouer lors de la saison initiale, vous ne serez plus joueur de rugby le jour où, vous, vous le saurez. Et qu’est-ce que l’on va faire ? Eh bien, on ne va pas refaire votre vie. Je pense que, sur le terrain du temps, il y a une difficulté et que la procédure de follow-on proposée par l’Autorité de la concurrence est confrontée à un obstacle pratique important, parce que, de toutes façons, on parle souvent au minimum de dix ans. Une fois qu’on a cumulé les deux délais, même si les procédures se sont déroulées dans les meilleurs délais, les deux procédures n’aboutiront souvent pas à une décision définitive avant dix ou quinze ans. On parle donc d’un délai incompatible avec les nécessités économiques et il faudrait trouver un moyen pour que l’examen de la demande de réparation du dommage se fasse plus en parallèle avec l’examen des pratiques anticoncurrentielles par l’Autorité de concurrence, que de manière successive. Merci.

Yves CHAPUT.– Merci beaucoup. On voit bien, de proche en proche, que notre débat se déplace. Nous sommes partis des autorités de concurrence et nous arrivons tout naturellement au judiciaire, car lorsque l’on parle des recours collectifs, que ce soit sur le plan européen ou que ce soit sur le plan national, ce ne sont pas tellement des recours collectifs pour s’attaquer, devant les autorités de concurrence, à un adversaire. C’est en réalité pour aller devant les

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tribunaux et les juridictions judiciaires. Et c’est pourquoi, nous allons demander, en apothéose, à Madame le haut conseiller Riffault-Silk de rechercher s’il peut exister, s’il existe déjà, une sorte de politique de la concurrence qui soit harmonieuse entre les autorités de la concurrence et le judiciaire. La tâche est difficile. Il est heureux que ce soit vous qui soyez chargée de cette conclusion.

Jacqueline RIFFAULT-SILK, Conseiller à la Cour de cassation.– Merci Monsieur le Président. Après toutes ces interventions, j’ai l’impression que tout a été dit et qu’il conviendrait à présent de répondre à tout cela. Parce que le juge se trouve, après toutes ces interventions, un peu accablé de bien des maux, de bien des impuissances, voire d’un manque de compétence et même d’impossibilité d’en acquérir puisqu’il ne travaillerait pas assez sur ces dossiers particuliers, à la fois difficiles et complexes. Par où commencer ? Il faut revenir d’abord sur un acteur qui est plus important que le juge, parce que c’est lui qui le saisit : cet acteur, c’est la PME, car c’est bien elle qui décide d’aller vers le juge, et qui définit les termes du litige. C’est en cela que l’intervention du juge en dépend. En effet, le juge civil ou commercial n’a pas le pouvoir d’une autorité de concurrence de prendre une affaire de sa propre initiative. Donc, la première réalité, c’est que c’est à l’entreprise d’aller vers le juge.

Alors, s’agissant de la réparation du dommage concurrentiel, pourquoi les PME ne saisissent-elles pas le juge ou le saisissent si peu ? Il y a un certain nombre de raisons à cet état de fait. On a souligné déjà, lors de nos débats, l’importance stratégique des PME. Elles sont une force d’innovation, elles sont un soutien à l’exportation. Mais elles se distinguent aussi d’autres acteurs économiques par des caractères spécifiques. D’abord, comme l’a dit Madame le professeur Prieto, sauf dans l’hypothèse où elles ont déjà été évincées du marché – et n’ont plus rien à perdre –, les PME se trouvent dans une situation tout à fait différente de celle des consommateurs. Elles, elles ont à craindre d’une action en justice et des représailles qui peuvent s’ensuivre, tel un déréférencement qui les condamnerait à mort, tout simplement. Ensuite, le facteur temps est terrible pour une entreprise et plus encore sans doute pour une PME. Tout à l’heure, il a été question d’efficience. Sur ce point, j’avais en tête les arrêts rendus par la Cour européenne de Strasbourg, le 21 décembre 2010, dans les affaires Canal + et Primagaz. Saisie de la validité, au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, du régime français transitoire des autorisations par le juge de visites domiciliaires en matière de concurrence, la Cour insiste sur le fait que l’efficience – et cela pèse – c’est d’abord et avant tout de répondre vite et, serait-on tenté d’ajouter dans ce domaine différent du dommage concurrentiel, de faire en sorte que l’entreprise victime de pratiques anticoncurrentielles obtienne, concrètement, une réparation rapide.

Dès lors, la question se pose de savoir comment assurer l’efficience d’une réparation rapide pour les PME. Et ceci d’autant plus que les intérêts des PME sont en conflit avec d’autres intérêts reconnus prioritaires. On l’a dit, le fait que l’on privilégie l’efficience des marchés a pour conséquence que l’on hésite à contrarier le développement de l’acteur économique le plus efficace, même si cela se fait aux dépens d’un plus petit ou d’un moins

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habile, voire de celui qui entre sur le marché et qui aurait peut-être besoin d’être soutenu, au moins un temps. Et puis il y a cette autre tendance lourde, à la fois européenne et nationale, qui se traduit par le délaissement – l’abandon aurait dit Portalis – des pratiques moins graves par les autorités de concurrence au profit de la lutte contre les comportements les plus néfastes, tels que les cartels, au nom de la politique économique. C’est du reste ce que souligne le préambule du règlement 1/2003 du Conseil entré en vigueur le 1er mai 2004. Mais les PME sont-elles en mesure de remplir l’espace laissé vacant ? Sont-elles incitées à le faire par le biais d’incentives analogues à ceux que prévoit le droit américain, en particulier ? On ne trouve pas de semblables incitations en Europe ou en France. Et les micro-PAC, sont-elles aptes à remplir au moins partiellement ce vide ? Rien n’est moins sûr. Et même dans les procédures concernant les comportements les plus graves, la priorité donnée aux impératifs de régulation du marché – le public enforcement – fait que lorsque cet objectif se trouve en conflit avec celui de la réparation des préjudices, le choix est vite fait. Le choix, c’est celui de protéger les procédures alternatives, c’est de donner toute leur dimension aux programmes de clémence, et à nouveau, à l’inverse de choix américains, en sacrifiant l’impératif de la réparation. Je rappelle tout de même qu’aux États-Unis, un demandeur à la clémence s’engage aussi à faciliter l’indemnisation des victimes. Pas en France. Pas en Europe.

Et il faut y ajouter des tentations bien françaises auxquelles sont sensibles les régulateurs et les pouvoirs publics : reprendre la main, ou la conserver, malgré une dépénalisation quasi généralisée. Ainsi, les litiges devraient se porter vers les juridictions. Pourtant, ils ne s’y portent pas tellement. Et, finalement, c’est l’autorité publique qui gère directement ces contradictions – et là, je pense plus particulièrement aux pratiques restrictives de concurrence dont Monsieur Pfister a parlé à juste raison. Le droit des pratiques restrictives offre en effet un exemple tout à fait topique de cette problématique. Malgré la dépénalisation de pratiques reconnues illicites, le pouvoir a été donné à l’autorité publique – le ministre de l’économie – de mener des actions civiles en annulation des clauses contraires à la loi et en réparation des préjudices subis par les entreprises. Ces dispositions ont été reconnues pleinement conformes à la Constitution ainsi qu’aux principes fondamentaux de notre droit et aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, puisqu’il s’agit de la protection de l’intérêt général et de l’ordre public économique, a dit le Conseil constitutionnel le 13 mai 2011, et que cette action est une action autonome de protection du marché, a dit la Cour de cassation le 8 juillet 2008. Les réformes intervenues ces dernières années illustrent ces tensions, et ces tentations, mais elles illustrent aussi les points de contact que l’on peut trouver, en France et en Europe, entre ces différents objectifs.

Quelques mots sur la spécialisation des juridictions, d’autant qu’elle a été quelque peu remise en cause. Du moins, si Philippe Rincazaux l’encourage de ses vœux, il la perçoit de façon quelque peu monolithique, avec une seule juridiction en première instance et une seule juridiction en appel comme bien sûr en cassation… On pourrait presque faire l’économie des deux premières. Est-ce bien raisonnable ? Est-ce qu’il n’est pas important, réellement, dans une démocratie, d’avoir un débat d’une certaine richesse, à plusieurs niveaux. Qu’il y ait un

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débat en première instance puis devant la cour d’appel sur le fond est important, et il est important que ces débats ne soient pas toujours portés devant les mêmes juges. Cela dit, il est tout à fait exact que nos huit juridictions consulaires seront plus occupées en droit de la concurrence stricto sensu que les huit tribunaux de grande instance. C’est indiscutable. Mais n’oubliez pas qu’il y a aussi la propriété intellectuelle qui est un correctif à cette concentration plus grande devant les juridictions consulaires.

Et puis, quels sont les pouvoirs du juge ? Ils sont loin d’être inexistants. Certes, nous n’avons pas de Discovery devant les juridictions françaises, pas plus du reste que devant les juridictions britanniques. Il me semble que la procédure de Disclosure britannique doit être soigneusement distinguée de la Discovery américaine : le juge britannique dispose de pouvoirs importants pour limiter les demandes des parties en matière de communication de pièces et pour résoudre les conflits qui peuvent surgir au stade de l’instruction du litige porté devant lui. En France, nous ne sommes pas parvenus à élaborer un nouveau principe directeur de la procédure civile – le principe de loyauté des parties vis-à-vis du juge que l’on trouve en droit anglo-saxon. C’est bien dommage ! Mais le juge français a tout de même des pouvoirs incontestables, donnés au juge civil, comme, par exemple, le pouvoir d’ordonner la communication de pièces au besoin sous astreinte, celui d’ordonner des enquêtes et des expertises, ou encore d’ordonner la comparution personnelle des parties et, lorsqu’elles n’obtempèrent pas, le code de procédure civile permet au juge de tirer toute conséquence de ce refus. Tout ceci fournit aux parties une forte incitation à jouer le jeu.

En droit de la concurrence plus spécialement, cette question de la recherche des preuves, et celle, qui en est le corollaire, du droit d’accès à la procédure menée devant l’autorité de concurrence, sont vraiment cruciales. Nous sommes tous d’accord là-dessus. Et il est sûr aussi que dans les procédures négociées menées par les autorités de concurrence, nous sommes loin du compte.

Fait exception la procédure d’engagements, sur laquelle la Cour de cassation a pris le 4 novembre 2008 (pourvoi n° 07-21275, Bull. 188), et à nouveau le 2 février 2010 (pourvoi n° 08-70449, Bull. 26), une position très ferme en décidant, au visa du principe du contradictoire, que toutes les parties à une procédure d’engagement, y compris le plaignant, doivent avoir accès à l’intégralité des documents sur lesquels s’est fondé le rapporteur pour établir l’évaluation préliminaire, et à l’intégralité de ceux soumis à l’autorité pour statuer sur les engagements. En revanche, lorsqu’il s’agit de clémence, les victimes n’ont strictement aucun accès à la procédure, ni pendant, ni après. Elles sont hors la procédure. Il est même interdit au demandeur de clémence de leur communiquer des informations ! Les raisons de cette rigueur viennent d’être données de façon très claire par la Cour de l’Union européenne dans son arrêt du 15 juin 2011 rendu dans l’affaire Pfleiderer (http://curia.europa.eu/jurisp/cgi-bin/form.pl?lang=FR&Submit=rechercher&numaff=C-360/09) : la Cour a constaté que l’efficacité des programmes de clémence pour la protection du marché, et l’effectivité du droit à réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles, sont deux intérêts également

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protégés par le droit communautaire, et qu’ils sont en conflit, de sorte qu’en l’absence d’une règlementation contraignante du droit de l’Union en matière de clémence, on ne peut établir une hiérarchie entre les deux, ni même opérer une distinction en fonction de la nature des informations détenues par l’autorité de concurrence. Elle a considéré qu’il revenait aux autorités nationales et aux juridictions nationales de dire, au cas par cas, ce qui devait prévaloir, de l’intérêt du marché entendu comme un impératif d’ordre public économique, ou bien de l’impératif de réparation des préjudices et donc des victimes du dommage concurrentiel.

On peut rapprocher cette décision des dispositions de notre code de commerce concernant la communication de pièces lorsqu’est en jeu le secret des affaires – c’est l’article L. 463-4. Ces dispositions ménagent certes une consultation ou une communication de ces pièces lorsqu’elle est nécessaire, mais en citant seulement l’auteur de la pratique et le respect des droits de la défense. À nouveau, il n’est pas fait mention de la victime. La Cour de cassation a rappelé, le 19 janvier 2010 (pourvoi n° 08-19761, Bull. 8), au visa de l’article L. 463-6 du code de commerce, que le secret de l’instruction devant l’Autorité de la concurrence ne cédait devant le principe du respect des droits de la défense, que si la divulgation des informations en cause était nécessaire à l’exercice de ces droits. Mais de la victime, il n’est pas question !

Les dispositions de procédure concernant les pratiques anticoncurrentielles locales (les micro-PAC), qui pourtant concernent directement les PME, sont en parfaite cohérence avec ce refus « de principe » de donner à l’entreprise plaignante un accès au dossier, instruit dans ce cas par les services de la DGCCRF. La transaction prévue par l’article L. 464-9 du code de commerce, entre l’entreprise en cause et le ministre, fait suite à l’établissement d’un rapport administratif d’enquête établi par les services de la DGCCRF ainsi qu’à une « communication des faits constatés » par le ministre, l’un et l’autre visés par l’article R. 464-9-1 du Code de commerce. Si l’entreprise en cause refuse la transaction proposée, le dossier est transmis à l’Autorité de la concurrence. Mais dans le cas d’une transaction acceptée, la procédure s’achève et, là encore, aucun accès au dossier n’est ouvert à la victime, alors qu’il y a bien évidemment – c’est l’article R. 464-9-1 du code de commerce précité qui le prévoit – un droit de communication pour l’entreprise en cause, à laquelle il est proposé de signer la transaction.

Cela signifie-t-il que nous sommes décidément incorrigibles ? Est-ce à dire que l’on ne peut traiter ces problèmes que par le biais de la défense de l’intérêt général et par l’adoption de décisions prises par les autorités publiques ? Cela, nous savons effectivement très bien le faire. Seulement, le paysage a changé. L’Europe a fait le choix d’une économie de marché, soumise au libre jeu de la concurrence. Tout cela suppose que les entreprises prennent en charge leur destin. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on ne les aide pas beaucoup.

Il faudrait dire un mot, également, de l’amicus curiae prévu par le règlement 1/2003 et introduit dans nos législations internes. C’est une expression de l’obligation de coopération prévue par le Traité, entre la Commission européenne, et les juridictions nationales. Y fait écho la coopération mise en œuvre en droit interne entre l’autorité nationale de concurrence, et le

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juge. Quelle portée lui donner ? On ne peut que constater la rigueur de la position adoptée par la Commission européenne, dans la réponse qu’elle a apportée, notamment, à la demande de la Cour suprême suédoise le 1er mars 2007 (aff. T-2808-05): l’amicus curiae doit se limiter à la délivrance d’une information factuelle, d’un avis juridique ou économique, sans que le bien-fondé de l’affaire portée devant le juge puisse être apprécié, sans qu’une mesure d’enquête puisse être envisagée.

N’y a-t-il pas une contradiction entre le choix affiché des autorités de concurrence de se concentrer sur la répression des infractions les plus graves et de s’appuyer sur le rôle complémentaire des juridictions nationales, comme le déclarent les points 5 et 7 du préambule du règlement 1/2003, alors que ces mêmes juridictions – et les entreprises qui les saisissent – restent privées d’un soutien effectif dans l’instruction de procédures particulièrement complexes, de sorte que seules les procédures engagées postérieurement à une décision administrative de sanction – procédures dites de « follow-on » – ont une chance raisonnable d’aboutir ?

Mais ceci pose une nouvelle question, celle de l’articulation entre public et private enforcement. D’une manière générale, la décision sur la réparation suppose la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux. Toute la difficulté est de savoir comment articuler ces procédures en follow-on, c’est-à-dire des procédures aux fins de réparation civile, portées devant les juges, avec la décision de sanction déjà prononcée par une autorité de concurrence. En effet, pour l’heure, en France, il n’existe pas, en droit, d’autorité de la chose décidée. Les Allemands, en revanche, l’ont admise. La réforme allemande entrée en vigueur le 1er juillet 2005 a introduit dans les textes cette autorité de la chose décidée, laquelle est accordée de par la loi non seulement aux décisions de l’autorité de concurrence allemande, mais également à celles des autorités de concurrence des autres États membres, considérées comme équivalentes dans leur compétence et dans le bien-fondé de leur appréciation.

En Grande-Bretagne, on est allé encore plus loin. Certes, l’autorité de la chose décidée n’est accordée qu’à l’autorité de concurrence britannique, l’Office of Fair Trading (OFT), mais cette prérogative est accompagnée d’une autre disposition extrêmement importante et tout-à-fait remarquable : le Competition Appeal Tribunal (CAT), juridiction composée notamment de juges de la High Court, et juridiction d’appel des décisions de l’OFT, peut connaître au premier degré des demandes en réparation fondées sur les décisions de sanction prononcées ou confirmées contre les entreprises auteurs de pratiques anticoncurrentielles dès lors qu’elles sont définitives. Mettant en œuvre cette prérogative, le CAT a élaboré une jurisprudence d’une grande efficience : il a ainsi considéré, dans une décision du 15 novembre 2006 (Healthcare at home c/ Genzyme Ltd, aff. n° 1060/5/7/06), qu’il pouvait prononcer des réparations provisionnelles pouvant aller jusqu’à 80 % du montant estimé du préjudice, dès lors qu’il était saisi d’une demande en réparation et que la décision sur l’infraction avait un caractère définitif. Il a également retenu (28 avril 2008, Emerson Electric Co c/ Morgan Crucible plc, aff. n° 1077/5/7/07), s’agissant d’une action en réparation engagée devant lui alors qu’un appel

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était pendant contre une décision prononcée par la Commission, qu’il lui était impossible de se prononcer sur la réparation dès lors que l’appel ne portait pas seulement sur la sanction, mais aussi sur le fond de l’affaire, autrement dit sur le principe de la faute, laissant entendre qu’une action en réparation pourrait être déclarée recevable dans le cas d’un recours contre la décision sur l’infraction limité à la sanction. Peut-être cela pourrait-il apaiser les craintes évoquées tout à l’heure. Cela démontre en tout cas qu’il est possible de créer un système plus efficient.

Je souhaiterais enfin évoquer les mesures provisoires. Elles peuvent être prononcées par l’Autorité de la concurrence, ce qui est le plus souvent le cas. Il est non moins vrai qu’elles peuvent être demandées au juge de droit commun et prononcées par lui. Ces procédures d’urgence, portées directement devant le juge, se sont révélées particulièrement efficaces dans le cas de pratiques affectant un marché émergent, ou concernant de nouvelles technologies. Plusieurs exemples le confirment en France et en Grande-Bretagne, qui concernent les marchés de l’accès à l’internet (Cour d’appel de Paris, 13 juillet 2000, Wappup.com c/ Itineris et SFR, confirmant la décision du 30 mai 2000 du tribunal de commerce de Paris faisant injonction aux opérateurs dominants de modifier le paramétrage des mobiles mis en vente pour permettre aux consommateurs de choisir le nouveau fournisseur d’accès à l’internet Wappup) ou encore le marché du trafic voix sur internet (High court, Chancery division, 17 juillet 2007, Truphone software cellular network c/ T-Mobile UK Ltd, aff. HC07C, faisant injonction à l’opérateur dominant sur T-mobile UK de contracter avec la société Truphone pour lui permettre d’exercer son activité). Ces procédures ont donné lieu – au moins en France – à une demande d’avis adressée à l’autorité de concurrence, et une procédure a été engagée parallèlement devant l’autorité de concurrence. Ainsi, le juge a fait face à l’urgence, a prononcé des injonctions et rétabli les conditions d’une concurrence acceptable sur le marché, en attendant que l’autorité de concurrence examine l’affaire de façon plus approfondie.

À présent, que proposer ? Une première suggestion est de réfléchir aux raisons pour lesquelles, à Bruxelles comme en France, comme ailleurs en Europe, puisque c’est la Commission européenne qui conduit la politique de clémence, on persiste à écarter tout engagement des demandeurs de clémence, de faciliter l’indemnisation des victimes. Il pourrait être intéressant de rechercher, concrètement, comment les règles américaines, inverses des nôtres sur ce point, sont appliquées en pratique.

Une autre suggestion concerne les class actions. D’autres viennent d’en parler, je n’y reviens pas.

Ma seconde proposition concerne l’instauration d’une autorité de chose décidée, par le législateur. Une telle réforme est importante, parce qu’elle seule permet de concentrer la réparation du préjudice devant la même juridiction, composée des mêmes juges que celle qui a statué sur l’infraction. Sans cette autorité légale de chose décidée, une telle concentration est impossible puisqu’il y aurait violation du principe d’impartialité inscrit à la Convention

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européenne des droits de l’homme. Nous sommes donc contraints à une duplication de procès avec toutes les conséquences qui en découlent, en termes de durée du procès et de coût. Je conclurai sur cette proposition, d’instaurer cette autorité de chose décidée comme nos principaux partenaires l’ont déjà prévu, et de construire sur cela, comme d’autres l’ont fait.

Yves CHAPUT.– Merci beaucoup Madame le haut conseiller. Monsieur Pierre Gaches souhaite apporter quelques précisions à titre de conclusion.

Pierre GACHES, Président-directeur général de Gaches Chimie.– Merci. Effectivement, suite aux différents propos échangés, je souhaite en conclusion pouvoir préciser quelques idées essentielles.

J’aimerais tout d’abord couper court à l’idée dominante formatée à dessein, celle de la supériorité systématique de l’efficience économique des grandes entreprises sur les PME. Il y a, dans toutes les catégories, des entreprises bien gérées et d’avenir et des moins bonnes. Il n’y a qu’à observer le renouvellement en vingt ans des cent premières entreprises pays par pays pour s’en convaincre. La défense des PME n’est pas la défense du conservatisme et de l’ordre établi et celle des grandes entreprises la défense de l’intérêt général. Les PME sont des animateurs irremplaçables du jeu concurrentiel et de l’innovation.

Le deuxième point est celui de l’absolue nécessité d’avoir accès en défense au contenu des dossiers sur un mode contradictoire à tous étages et à tous moments, même dans le cas de procédures de clémence, car, sinon, les victimes n’ont pas la possibilité de s’identifier et n’ont pas la capacité d’évaluer et d’établir leur préjudice.

Enfin, bien que la conscience de la difficulté des victimes a existé et le souci de rééquilibre entre les acteurs ait été largement partagé par les intervenants, force est de remarquer que, d’un point de vue stratégique, le froid constat actuel m’emmènerait, si j’intervenais en tant que conseil, à le faire de façon amorale de la manière suivante.

Pour une PME, afin d’éviter de disparaître en présence d’une entente (mais le raisonnement est le même pour un abus de position dominante) : 1) soit elle y participe ; 2) soit elle se prépare à dix à quinze ans de bataille juridique et 200 K€/an de dépenses ; 3) soit elle doit se vendre.

Pour un grand groupe guidé par des objectifs de développement et de gains hors du raisonnable : 1) organiser et participer à des ententes en incluant des PME ; 2) faire en sorte qu’elles durent le plus possible (le risque qu’une PME fasse une procédure de clémence ou que l’entente soit mise au jour est très faible) ; 3) intégrer la clémence dans le timing de votre stratégie. Les gains illicites obtenus par tous types d’ententes vous permettront par effet de masse plus effet de levier d’être dans tous les cas très largement gagnant de 1 à 10.

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Pour les abus de position dominante, le mécanisme est le même. De plus, le risque de la clémence n’existe pas. L’analyse de risque est déséquilibrée par la durée et l’absence en pratique d’indemnisation des victimes. Merci.

Yves CHAPUT.– Merci beaucoup. Je pense que le programme que nous nous étions fixé en préparant cette table ronde a été rempli. Reste à savoir ce qu’en pense la salle.

Débat

Philippe MIGEOT, Expert judiciaire agréé par la Cour de cassation.– Une des épreuves les plus flagrantes pour une PME est de voir un brevet, un modèle contrefait. Et, lorsque la PME victime est bien informée, elle a la tentation de demander à son avocat-conseil ou à un expert s’il est envisageable de cumuler l’action en réparation du préjudice dû à la contrefaçon – ce qui est de plus en plus aisé grâce à la loi de 2007 – et, en même temps, l’action en réparation de l’atteinte à la concurrence déloyale. Je reconnais que l’avocat et l’expert sont confrontés à cette double question : « Ai-je la possibilité, l’intérêt de demander à la fois réparation du préjudice de la contrefaçon et une atteinte à la concurrence déloyale ». Et ceci est rendu d’autant plus difficile que, par la spécialisation de notre structure judiciaire, en principe la propriété intellectuelle et, a fortiori, industrielle, est confiée à la juridiction du TGI de Paris alors que le recours le plus habituel en matière de réparation d’une concurrence déloyale est, à juste titre, le tribunal de commerce. Mais évidemment, il n’est pas question pour l’avocat, ni même pour l’expert, de saisir les deux juridictions.

Yves CHAPUT.– Merci beaucoup. La question que vous posez, qui est analogue à celles sur lesquelles nous avons eu à travailler tient quand même à la spécificité du droit de la propriété intellectuelle et au fait, effectivement, que la jurisprudence considère qu’il ne peut pas y avoir de cumul entre l’action en concurrence déloyale et l’action en réparation de la contrefaçon. Vous posez donc un problème général de compétence des juridictions qui relèverait davantage de l’IRPI, l’Institut de recherche en propriété intellectuelle de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, que du CREDA. Mais vous signalez là encore une faiblesse, mais qui ne tient pas à l’organisation judiciaire, mais qui tient au droit substantiel, c’est-à-dire au fait que la règle spéciale – specialia generalibus derogant – du droit de la contrefaçon déroge au droit commun de la concurrence déloyale. De la même façon, on pourrait s’interroger sur concurrence déloyale et atteinte à la concurrence. On pourrait raisonner par analogie.

Jacqueline RIFFAULT-SILK.– Je peux ajouter que la Cour de cassation a rendu récemment, le 9 novembre 2010, un arrêt sur la question de la portée de la compétence donnée aux juridictions spécialisées. On se demandait s’il fallait restreindre cette compétence obligatoire aux demandes fondées sur les dispositions du droit de la concurrence. En pratique, la situation est la suivante : un contentieux se noue au sein d’un réseau de distribution sélective ou exclusive autour de l’inapplication alléguée d’une stipulation contractuelle. Le partenaire mis

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en cause rétorque alors en évoquant l’application du droit de la concurrence. La Cour de cassation vient de dire qu’il y avait lieu d’appliquer les dispositions relatives à la spécialisation des huit tribunaux de commerce et des huit TGI, aussi bien lorsque le droit de la concurrence est invoqué en demande qu’en défense. À présent, les choses sont tout à fait claires.

Jean-Bertrand DRUMMEN, Président de la Conférence générale des juges consulaires de France, ancien Président du Tribunal de commerce de Nanterre.– Une première observation, les victimes ne demandent pas toujours réparation parce que, tout simplement, elles ont peur. Elles ont peur des représailles, notamment dans leurs rapports avec la grande distribution, qui se traduisent par le déréférencement. C’est pourquoi, à l’époque, l’action du ministre avait été couronnée de succès en dépit de l’absence de toutes les victimes. En deux mots, le Galec, le centre de référencement du groupe Leclerc, avait observé qu’un autre grand distributeur avait bénéficié d’un certain nombre d’avantages de la part d’une vingtaine de fournisseurs. Qu’à cela ne tienne. Il s’est retourné vers la vingtaine de fournisseurs en question et a exigé d’eux, puisque il était en mesure de leur fournir les mêmes services que l’autre grand distributeur, la réparation de son « préjudice », puisque il estimait n’avoir pas été en mesure de recevoir la rémunération qu’il pouvait raisonnablement attendre. Le Galec a alors imposé la conclusion d’une vingtaine de transactions pour compenser son « manque à gagner ». Et c’est à ce moment-là que le ministre de l’économie a engagé cette action devant le Tribunal de commerce de Nanterre en demandant la restitution de l’indu pour le compte de la vingtaine de fournisseurs. Il y a alors eu un très grand débat. Le Tribunal de commerce de Nanterre a donné raison au ministre. Il a été infirmé par la Cour de Versailles. Mais il y a eu un pourvoi en cassation. La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour de Versailles et a renvoyé devant cette même Cour, autrement composée, qui a finalement donné raison au Tribunal de commerce de Nanterre. C’est un excellent exemple de la force que représente l’ordre public économique, car c’est au nom de l’ordre public économique que la Cour de cassation a finalement considéré que le ministre disposait d’un droit autonome qui lui permettait d’agir en l’absence des victimes.

Deuxième observation. Il n’est pas interdit non plus au juge d’avoir une jurisprudence créative. Dans un autre domaine, qui opposait les cafés Legal à un grand distributeur à la suite d’une rupture abusive et d’un déréférencement immédiat. Action en référé. Et le juge – le Tribunal de commerce de Nanterre, en l’occurrence – a ordonné, en référé, la poursuite de l’activité, le temps de souffler, ce qui n’est pas négligeable.

Quant à la spécialisation, c’est un très vaste sujet. Il faut le traiter avec beaucoup de modération, de mesure, de discernement. Je me souviens des paroles d’un garde des sceaux qui avait dit lors du congrès annuel des tribunaux de commerce qui se tenait à Versailles en 2009, en s’adressant donc aux juges consulaires, que la spécialisation a ses mérites mais qu’il convient également de cultiver une certaine proximité. C’est presque un couple. S’opposer frontalement à la spécialisation, ça n’a peut-être pas beaucoup de sens, mais de l’autre côté, il faut la mettre en œuvre avec beaucoup de mesure pour ne pas casser cette proximité qui est

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très importante. C’est un sujet extrêmement délicat. Pour l’instant, on en parle un peu moins. La spécialisation peut induire une modification de la carte judiciaire. La spécialisation a des effets d’ordre psychologique sur les juges composant la juridiction. Nous sommes très sensibles à l’évolution de ce débat.

Philippe RINCAZAUX.– La raison pour laquelle je plaide pour une spécialisation plus importante, c’est pour une raison de volume. S’il y avait plus d’affaires, ce serait très bien que les juridictions ne soient pas spécialisées. Qu’il n’y ait pas de malentendu là-dessus. S’il y avait plus d’affaires, il faudrait qu’il y ait plus de juridictions compétentes.

Catherine PRIETO.– Je voudrais réagir aux propos de Madame Riffault-Silk sur le conflit entre la clémence et la réparation du préjudice et souligner la prudence « constructive » de la Cour de justice dans l’arrêt rendu le 14 juin 2011 dans l’affaire Pfleiderer. Les faits de l’espèce correspondent précisément au schéma que j’ai préalablement décrit pour les entreprises victimes en tant que consommateurs intermédiaires. Le Bundeskartellamt a condamné sur le fondement de l’article 101 TFUE trois fabricants européens de papier peint à une forte amende. Pfleiderer est producteur de bois d’ingénierie et acheteur de papiers peints spéciaux. En tant que client des entreprises, il comprend qu’il a subi un préjudice et s’adresse au Bundeskartellamt pour avoir accès à toutes les pièces du dossier, ce que refuse cette autorité en faisant valoir le bénéfice de la confidentialité due à la clémence. Saisie d’un recours contre cette décision, l’Amtsgericht de Bonn pose une question préjudicielle sur la portée des articles 11 et 12 du règlement n° 1/2003 : doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle aux informations volontairement communiquées dans le contexte d’un programme de clémence ? La Cour de justice répond en posant un principe de conciliation entre les règles relatives à la clémence et celles relatives au private enforcement. En effet, la clémence et les actions en réparation servent tout autant le principe d’efficacité de l’article 101 TFUE (points 25 à 29). On peut observer que la recherche d’une hiérarchisation au regard de l’effectivité n’a pas été envisagée tant elle semble d’emblée périlleuse. La conciliation semble donc la seule issue viable. Au surplus, la Cour de justice n’envisage pas une conciliation sur un plan général. Elle se prononce pour une appréciation au cas par cas. Elle recommande donc au juge national de mettre en balance les besoins de l’action en réparation et la protection des informations communiquées dans le cadre d’un programme de clémence. C’est sous réserve de cette condition qu’elle conclut que le règlement n° 1/2003 ne s’oppose pas à cette communication (points 30 à 32).

Il faut donc concrètement procéder à l’appréciation des besoins de la victime agissante. Si l’on revient au cas d’espèce Pfleiderer, on peut relever que le Bundeskartellamt avait proposé une liste des éléments de preuve constatés lors de la perquisition et avait limité son rejet aux informations couvertes par le programme de clémence. Mais Pfleiderer s’était obstiné et a formé un recours pour obtenir l’accès à l’intégralité du dossier. La question se pose donc au juge national de savoir si la liste des pièces fournie par le Bundeskartellamt était ou non suffisante pour mener sérieusement l’action en réparation. Les actions en réparation sont utiles

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en ce sens qu’elles renforcent les possibilités de confisquer les gains illicites et, par là-même, elles renforcent la dissuasion. Il en va de l’intérêt bien compris des ANC de faciliter ces actions en réparation. Le Bundeskartellamt ne semble pas avoir adopté une attitude hostile à la victime. S’agissant de l’Autorité de la concurrence, on peut noter également un état d’esprit d’ouverture à l’égard des victimes. Ceci est particulièrement clair dans sa réponse à la consultation de février dernier sur les recours collectifs. Elle insiste sur le fait qu’elle s’efforce – et le fera encore davantage à l’avenir – de donner des indications factuelles importantes dans sa motivation de sorte à ce que les victimes puissent ensuite orienter efficacement leurs investigations.

En dernier lieu, il faut insister sur les trois preuves requises pour une action en responsabilité civile : la faute, le préjudice et le lien de causalité. S’agissant de la preuve de la faute, il faut rappeler avec l’Avocat général, dans ses conclusions sur l’affaire Pfleiderer, que les victimes peuvent s’appuyer sur la décision définitive de l’autorité nationale de concurrence : le législateur allemand l’a expressément prévu et, dans l’attente que le législateur français suive cet exemple, le juge français peut aisément tirer toutes les conséquences d’une condamnation par l’Autorité française. Ne peut-on considérer que les informations recueillies dans le cadre d’un programme de clémence intéressent plus la preuve de la faute que la preuve du préjudice ? Finalement, c’est bien la seule preuve du préjudice qui pèse sur les victimes (celle du lien de causalité en découlera). De ce point de vue, il faut compter sur la sagacité – et l’intérêt bien compris – de l’Autorité française pour orienter les victimes vers des faits ou des données aisés à cibler, sans qu’il soit besoin de forcer la protection offerte dans les programmes de clémence.

Jacqueline RIFFAULT-SILK.– Il n’y a pas présomption de lien de causalité. Il me semble que ça n’est pas possible. La procédure suivie devant l’Autorité porte sur des pratiques qui constituent une infraction au droit de la concurrence en portant atteinte à un marché entendu comme une entité globale. Et c’est cette infraction qui fait l’objet éventuellement de la demande de clémence. Mais sur le lien de causalité entre ces faits, ces pratiques avec un préjudice individuel subi par une entreprise dans l’exercice de sa propre activité, il ne peut y avoir de présomption. Tout au plus un renversement de la charge de la preuve, comme l’a décidé la Cour de cassation italienne (15 décembre 2006, Fondiaria societa Assicuratrice industtriale c Nigriello).