22
This article was downloaded by: [The University of British Columbia] On: 11 March 2013, At: 21:40 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Canadian Journal of Science, Mathematics and Technology Education Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/ucjs20 La recherche en didactique mise à profit dans la formation à l’enseignement des mathématiques: le cas du cours « Raisonnement proportionnel et concepts associés » à l’Université du Québec à Montréal Caroline Lajoie a & Mireille Saboya a a Université du Québec à Montréal, Montréal, Québec, Canada Version of record first published: 28 Feb 2013. To cite this article: Caroline Lajoie & Mireille Saboya (2013): La recherche en didactique mise à profit dans la formation à l’enseignement des mathématiques: le cas du cours « Raisonnement proportionnel et concepts associés » à l’Université du Québec à Montréal, Canadian Journal of Science, Mathematics and Technology Education, 13:1, 49-69 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/14926156.2013.758327 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Full terms and conditions of use: http://www.tandfonline.com/page/terms-and-conditions This article may be used for research, teaching, and private study purposes. Any substantial or systematic reproduction, redistribution, reselling, loan, sub-licensing, systematic supply, or distribution in any form to anyone is expressly forbidden. The publisher does not give any warranty express or implied or make any representation that the contents will be complete or accurate or up to date. The accuracy of any instructions, formulae, and drug doses should be independently verified with primary sources. The publisher shall not be liable for any loss, actions, claims, proceedings, demand, or costs or damages whatsoever or howsoever caused arising directly or indirectly in connection with or arising out of the use of this material.

La recherche en didactique mise à profit dans la formation à l’enseignement des mathématiques: le cas du cours « Raisonnement proportionnel et concepts associés » à l’Université

Embed Size (px)

Citation preview

This article was downloaded by: [The University of British Columbia]On: 11 March 2013, At: 21:40Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registeredoffice: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK

Canadian Journal of Science,Mathematics and Technology EducationPublication details, including instructions for authors andsubscription information:http://www.tandfonline.com/loi/ucjs20

La recherche en didactique mise à profitdans la formation à l’enseignementdes mathématiques: le cas du cours «Raisonnement proportionnel et conceptsassociés » à l’Université du Québec àMontréalCaroline Lajoie a & Mireille Saboya aa Université du Québec à Montréal, Montréal, Québec, CanadaVersion of record first published: 28 Feb 2013.

To cite this article: Caroline Lajoie & Mireille Saboya (2013): La recherche en didactique mise àprofit dans la formation à l’enseignement des mathématiques: le cas du cours « Raisonnementproportionnel et concepts associés » à l’Université du Québec à Montréal, Canadian Journal ofScience, Mathematics and Technology Education, 13:1, 49-69

To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/14926156.2013.758327

PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE

Full terms and conditions of use: http://www.tandfonline.com/page/terms-and-conditions

This article may be used for research, teaching, and private study purposes. Anysubstantial or systematic reproduction, redistribution, reselling, loan, sub-licensing,systematic supply, or distribution in any form to anyone is expressly forbidden.

The publisher does not give any warranty express or implied or make any representationthat the contents will be complete or accurate or up to date. The accuracy of anyinstructions, formulae, and drug doses should be independently verified with primarysources. The publisher shall not be liable for any loss, actions, claims, proceedings,demand, or costs or damages whatsoever or howsoever caused arising directly orindirectly in connection with or arising out of the use of this material.

CANADIAN JOURNAL OF SCIENCE, MATHEMATICSAND TECHNOLOGY EDUCATION, 13(1), 49–69, 2013Copyright C© OISEISSN: 1492-6156 print / 1942-4051 onlineDOI: 10.1080/14926156.2013.758327

La recherche en didactique mise a profit dans la formationa l’enseignement des mathematiques: le cas du cours« Raisonnement proportionnel et concepts associes »

a l’Universite du Quebec a Montreal

Caroline Lajoie et Mireille SaboyaUniversite du Quebec a Montreal, Montreal, Quebec, Canada

Resume: La recherche en education devrait avoir davantage d’echo dans la formation initiale desenseignants (voir par exemple Debien, 2010). La question se pose toutefois a savoir comment cetteformation peut concretement prendre appui sur les avancees de la recherche dans ce domaine. Dans cetarticle, nous analysons notre pratique de formatrices dans le cadre d’un cours intitule «Raisonnementproportionnel et concepts associes» en vue de degager a la fois les diverses manieres dont noustirons profit de la recherche en didactique des mathematiques et les intentions de formation qui nousamenent a proceder ainsi.

Abstract: Educational research should have greater resonance in early teacher training (see Debien,2010, for example). The question remains as to how such training can, in concrete ways, benefit fromthe advances made in educational research. In this article, we analyse our framework for trainingeducators in the course “Proportional reasoning and related concepts” in order to discern the variousways we take advantage of didactical research in mathematics and the training objectives which leadus to do so.

INTRODUCTION

En 2001, le Ministere de l’Education du Quebec invoque le fait qu’il est desormais possible, graceaux avancees de la recherche en education, de mieux comprendre la nature et la pertinence decertaines pratiques enseignantes pour recommander que la professionnalisation de l’enseignement«prenne appui» sur les donnees de la recherche en education (MEQ, 2001, p. 217). Ainsi, toujourssuivant le meme document, la recherche en education devrait «occuper une place importante»dans la formation des enseignants et ses resultats devraient y etre «reinvestis» (p. 28). Se pose alorsla question de savoir comment la professionnalisation de l’enseignement, a laquelle contribue laformation initiale, peut concretement prendre appui sur la recherche en education. Cette questionnous interpelle doublement, a la fois comme formatrices soucieuses d’ameliorer la formationinitiale a l’enseignement des mathematiques, mais aussi comme chercheures en didactique des

Address correspondence to Caroline Lajoie, departement de mathematiques, Universite du Quebec a Montreal, CP8888, succursale Centre-Ville, Montreal, QC H3C 3P8, Canada. E-mail: [email protected]

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

50 LAJOIE ET SABOYA

mathematiques interessees a mieux comprendre comment la formation initiale peut s’articuler ala recherche.

Nous presenterons, dans cet article, une analyse de notre propre pratique de formatricessous l’angle de l’influence de la recherche sur cette pratique. En utilisant l’exemple du cours«Raisonnement proportionnel et concepts associes», un des cours obligatoires du Baccalaureaten enseignement secondaire, concentration mathematiques de l’Universite du Quebec a Montreal(UQAM), nous degagerons differentes manieres dont nous tirons profit de la recherche en didac-tique des mathematiques, de meme que les motivations qui les sous-tendent1. Cette reflexiondans laquelle nous nous engageons peut etre vue comme une source d’apprentissage pournous mais aussi pour tout formateur-chercheur preoccupe par la formation a l’enseignementdes mathematiques. Elle s’inscrit dans une demarche de developpement professionnel (le notre)mais aussi dans une volonte, en tant que chercheures, de mieux comprendre comment la recherchedans notre domaine peut contribuer a la formation initiale.

Au depart de cette reflexion, nous choisissons deliberement de ne recourir a aucun cadred’analyse de notre pratique defini a priori. Nous preferons degager, petit a petit, au fil de notreecriture, nos differentes manieres de recourir a la recherche, ces manieres etant demeurees,jusqu’a ce jour, implicites. Dans la conclusion, nous verrons quel eclairage supplementairecertaines recherches actuelles en education peuvent apporter a notre analyse.

Plusieurs travaux de recherche a travers le monde, en particulier en France et au Quebec,ont contribue au cours des 40 dernieres annees a de considerables avancees sur l’apprentissageet l’enseignement du raisonnement proportionnel. Les travaux dont il sera question ici portentprincipalement sur l’analyse (sous differents angles) de problemes sollicitant le raisonnementproportionnel, sur les procedures «personnelles» mises en œuvre par les eleves dans le traitementdes problemes proportionnels avant tout enseignement de la proportionnalite, sur les difficultesqui caracterisent l’apprentissage de la proportionnalite ou encore sur les pratiques d’enseignementde la proportionnalite. Toutefois, nous ne nous limiterons pas a ces travaux puisque l’apport de larecherche dans notre cours ne s’arrete pas la. Nous pourrions par exemple faire ressortir plusieurscadres, concepts et outils theoriques developpes par la recherche en didactique des mathematiques(non specifiquement rattachee a l’apprentissage et l’enseignement du raisonnement proportionnel)qui trouvent echo dans notre cours. Nous nous limiterons plutot a l’essentiel. Ainsi, nous verronscomment les notions de «registre de representations» et de «variable didactique», issues toutesdeux de la recherche en didactique des mathematiques sont mises a profit. Enfin, nous nousrefererons au courant constructiviste en education, qui influence sans contredit notre pratique deformation, en particulier en ce qui a trait au statut que nous attribuons a l’erreur.

LA PERSPECTIVE CONSTRUCTIVISTE DE L’APPRENTISSAGE:UNE POSITION EPISTEMOLOGIQUE QUI S’EXPRIME DE DIFFERENTES

MANIERES DANS NOTRE PROPRE PRATIQUE DE FORMATION

Il nous apparaıt important de glisser des maintenant quelques mots sur la pratique educative miseen avant par les formateurs intervenant dans la formation didactique des futurs enseignants demathematiques du secondaire a l’UQAM. Au sein de l’equipe, nous nous appuyons en general, demaniere plus ou moins implicite, sur un cadre de reference qui guide notre pratique, tant au niveaudes taches que nous proposons a nos futurs enseignants qu’au niveau de l’approche generale que

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

QUELLE PLACE POUR LA RECHERCHE EN FORMATION INITIALE? 51

nous privilegions dans notre enseignement. Ce cadre de reference, qui peut etre resume commesuit, puise ses fondements dans la perspective constructiviste de l’apprentissage2:

Dans cette formation, les grandes theories de la didactique des mathematiques ne sont pas exposees,il ne s’agit pas d’enseigner la didactique, mais de former le futur enseignant a l’intervention enmathematiques par la didactique, celle-ci sert en quelque sorte de cadre de reference a nos interventionscomme formateurs. Nous ne tenons pas un discours sur l’action a faire en classe, mais nous faisonsen sorte que l’etudiant se construise les connaissances qui lui permettent d’aborder cette intervention.(Bednarz, Gattuso et Mary, 1995, p. 20)

Ainsi, le cours de didactique dont il sera question ne vise pas a former les etudiants a la didactique(a ses objets, ses concepts, ses manieres de concevoir et de parler de l’apprentissage et del’enseignement) mais plutot par la didactique. Dans ce cours, en coherence avec notre postureepistemologique, les connaissances issues des theories de la didactique des mathematiques nesont pas exposees (formation a la didactique) mais plutot mises en pratique (formation par ladidactique) a travers les situations proposees aux futurs enseignants. Cette nuance nous apparaıtimportante en ce sens que ce choix a des repercussions sur notre pratique, en particulier sur lesmanieres dont nous pouvons tirer profit de la recherche.

CONSTRUCTION DE CERTAINES CONNAISSANCES PAR LESETUDIANTS EUX-MEMES: UNE PRESENCE CONTINUE MAIS

GENERALEMENT IMPLICITE DE LA RECHERCHE SURL’APPRENTISSAGE DU RAISONNEMENT PROPORTIONNEL

Au debut de notre cours (de 45 heures au total), nous demandons a nos etudiants de composerdes problemes dits «proportionnels», et de les resoudre par ecrit de deux manieres differentespour examiner, d’une part, ce qui constitue pour eux un «bon» probleme proportionnel, et pouridentifier, d’autre part, les moyens qu’ils mettent en œuvre pour les resoudre. Ce travail prealablenous permet par la suite de susciter une reflexion sur le choix de problemes et contextes pertinentspour introduire ou donner du sens a la proportionnalite, en amenant les etudiants, entre autreschoses, a mesurer la difficulte a composer de «bons» problemes et a identifier les facteurs quicreent cette difficulte.

La classification des differents types de problemes sollicitantle raisonnement proportionnel

En general, a cette etape, les principaux types de problemes qui ressortent sont des problemes deproportionnalite simple (un des quatre termes de la proportion est le nombre 1) et de recherched’une quatrieme proportionnelle (trois termes d’une proportion sont connus et le quatriemeest recherche), aussi appeles problemes de regle de trois. Les problemes de proportionnaliteinverse ou de regle de trois inverse, les problemes de comparaison, de double proportionnalite,a plusieurs couples, etc. sortent rarement a cette etape. Une premiere analyse collective desproblemes composes par les etudiants permet de faire ressortir differents types de problemes,permettant par le fait meme de rejeter certains des problemes proposes (comme les problemes deproportionnalite simple) parce que le raisonnement proportionnel n’y est pas reellement sollicite.

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

52 LAJOIE ET SABOYA

Au moment de nommer ces differents types de problemes, nous nous appuyons sur la classificationque l’on retrouve dans les ecrits en didactique des mathematiques, en particulier chez Vergnaud(1991).

A propos des strategies de resolution de problemes dits «proportionnels»

En ce qui concerne les procedures utilisees par nos etudiants pour resoudre leurs propresproblemes, elles correspondent generalement a des techniques ou methodes apprises a l’ecole,que les etudiants nomment eux-memes, parfois indistinctement ou avec beaucoup de confusion,«proportion», «produit croise», «produit en croix», «regle de trois» ou encore «methode du pois-son»! Souvent, en fait, ils preferent ne pas les nommer puisqu’ils ne se souviennent pas du nomexact. Les etudiants sont d’ailleurs toujours surpris que, pour une procedure donnee, il n’y ait pasdans la classe de consensus sur le nom devant lui etre attribue3. Les productions suivantes illus-trent differentes manieres de nommer une meme methode visant a trouver la valeur manquantedans une proportion etablie a partir d’un probleme de recherche d’une quatrieme proportionnelle.

FIGURE 1 Differentes productions d’eleves presentant la nomenclature de la methode utilisee.4 (color figure availableonline)

Les futurs enseignants reconnaissent rapidement ne pas etre en mesure de donner du sens aces techniques, qu’ils considerent eux-memes comme des recettes a suivre mais qui s’averentefficaces dans la plupart des cas5. A ce stade, nous voulons convaincre les etudiants qu’il y ad’autres moyens de resoudre des problemes de proportionnalite qui s’averent plus porteurs desens.

Les procedures personnelles mobilisees avant l’enseignement duraisonnement proportionnel

Un des resultats de recherche qui alimente une partie du cours «Raisonnement proportionnelet concepts associes» et qui a un impact majeur sur celui-ci est le fait qu’avant tout enseignementformel, les eleves ont recours a une panoplie de strategies qu’ils mobilisent dans la resolution deproblemes proportionnels. Plusieurs chercheurs a travers le monde font ce constat, et ce depuis

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

QUELLE PLACE POUR LA RECHERCHE EN FORMATION INITIALE? 53

plus de 35 ans (par exemple Charnay, 1997–1998; Cote et Noelting, 1971; Julo, 1982; Karplus,Karplus et Wollmann, 1974; Levain, 1992; Oliveira, 2000, 20086; Pfaff, 2003; Tournaire, 1986).Puisque de nombreux travaux de recherche realises dans des contextes varies montrent que leseleves mobilisent des procedures personnelles de resolution de problemes de proportionnaliteavant tout enseignement formel de la proportionnalite, il nous apparaıt important que, d’une part,les futurs enseignants soient conscients que les eleves ne partent pas de zero lorsqu’ils abordenten classe l’etude du raisonnement proportionnel et que, d’autre part, ils connaissent ces diversesprocedures. Ainsi, ils seront mieux prepares a prendre ces procedures en consideration dans leurenseignement, voire meme a en tirer profit. Nous y reviendrons plus loin.

Etant donne que la panoplie des procedures personnelles mises en œuvre par les eleves pourresoudre des problemes de proportionnalite est bien documentee par la recherche en didactique desmathematiques, nous aurions pu choisir de presenter ces procedures aux etudiants, les illustrera l’aide d’exemples bien choisis, les analyser, etc. Nous avons plutot choisi7 d’amener nosetudiants, dans un premier temps, a identifier eux-memes ces procedures a travers une premiereexperimentation (realisee par eux) aupres de personnes de leur entourage. Des lors, et pendantune partie importante du cours, nous les placons eux-memes en quelque sorte en pleine demarchede recherche.

Nous proposons dans un premier temps une serie de trois problemes proportionnels aux futursenseignants, soit deux problemes de recherche d’une quatrieme proportionnelle et un problemede comparaison. Chaque etudiant a comme mandat de demander a au moins trois personnesde son entourage de les resoudre par ecrit en laissant toutes les traces de leur demarche. Lespersonnes choisies pour resoudre doivent etre des eleves a qui le raisonnement proportionnel n’apas encore ete enseigne de maniere formelle8 ou des adultes n’ayant pas etudie les mathematiquesau cours des dernieres annees. Les problemes proposes aux etudiants a cette etape proviennentd’une banque elaboree au fil des ans a partir de divers travaux portant sur la proportionnalite(dont en particulier Boisnard, Houdebine, Julo, Kerboeuf et Merri, 1994). A titre d’exemple, lestrois problemes pourraient etre ceux que l’on retrouve a la figure 2.

Le lecteur averti aura devine que le choix des problemes n’est pas anodin et que certainesvariables didactiques ont fait l’objet d’un choix judicieux, l’idee derriere ce choix etant deprovoquer chez les volontaires le plus de procedures personnelles possibles, dont des procedureserronees, et d’eviter le plus possible le recours a des methodes enseignees. Le jeu sur ces variablesdidactiques fera l’objet d’une discussion approfondie avec les etudiants a une etape subsequente(voir section 4.1). A cette etape-ci, rien n’est mentionne aux etudiants relativement au choix desproblemes.

Les productions des participants a cette premiere experimentation nous sont par la suiteremises. Nous compilons toutes les solutions, incluant celles qui sont incompletes ou erronees,et les remettons aux etudiants. Des solutions variees, parfois surprenantes pour les etudiants,apparaissent, et ceux-ci doivent les decortiquer, les analyser, et se prononcer sur leur validite.La methode suivante (utilisee pour resoudre le probleme 3 de la Figure 2), par exemple, suscitegeneralement une vive discussion lorsqu’elle apparaıt dans les copies, les etudiants n’etant plusfamiliers avec l’expression «a est a b ce que c est a d».

Rapidement, les etudiants reperent des ressemblances et des differences entre les solutions,puis les classent selon la procedure mise en œuvre. Une discussion a lieu par la suite pourcomparer les differentes procedures reperees, et pour confronter les differentes interpretationslorsque ces dernieres ne concordent pas. Par la suite, une video (Henry, Bednarz, Morand et

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

54 LAJOIE ET SABOYA

Problème 1(Mazout):

En 7 heures, une installation de chauffage consomme 35 litres de mazout. Combien consomme-t-

elle en 21 heures ?

Problème 2(Orangeade):

Nadine et Simon sont invités à une fête. Ils ont décidé de préparer de l’orangeade. Nadine a

utilisé 20 verres d’eau pétillante et 16 verres de jus d’orange. Simon a utilisé 16 verres d’eau

pétillante et 12 verres de jus d’orange. Quel mélange goûtera le plus le jus d’orange ? Celui de

Nadine ou celui de Simon ?

Problème 3(Distance parcourue):

Catherine et Martin quittent la maison à la même heure tous les matins pour se rendre à l’école.

Catherine a remarqué qu’elle parcourt 3,5 mètres alors que Martin en parcourt 5. Si, après un

certain temps, Martin a parcouru 6 mètres, quelle distance Catherine a-t-elle parcourue ?

FIGURE 2 Un exemple de trois problemes utilises dans la premiere experimentation.

Rene de Cotret, 1988)9 dans laquelle on peut voir une classe d’eleves quebecois avoir recours ades procedures personnelles pour resoudre des problemes «proportionnels» avant enseignementformel est presentee. Des noms sont alors proposes pour les diverses procedures. Les etudiantsdoivent donc tenter de nommer les procedures reperees dans les productions des participants a la

FIGURE 3 Une solution au probleme 3 (distances parcourues par Catherine et Martin).

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

QUELLE PLACE POUR LA RECHERCHE EN FORMATION INITIALE? 55

premiere experimentation a partir de la terminologie presentee dans la video. Puis, un paralleleest fait avec la terminologie utilisee par le Ministere de l’education, des loisirs et des sports dansle «Programme de formation de l’ecole quebecoise» (MELS, 2003). A partir de ce moment, lesetudiants sont encourages a utiliser cette derniere puisqu’elle a cours dans la majorite des manuelsscolaires quebecois actuels.

Les differentes procedures que nos etudiants sont ainsi invites a etudier sont essentiellementcelles que l’on retrouve dans les differents travaux de recherche s’etant attardes a la resolutionde problemes proportionnels (mentionnes precedemment). Dans un souci de coherence avec leprogramme de formation de l’ecole quebecoise (MELS, 2003), nous les nommons comme suit10:

• Recherche du rapport ou du coefficient de proportionnalite[procedure fonctionnelle];• Recherche d’un facteur de changement[procedure scalaire];• Retour a l’unite;• Recherche d’une valeur [grandeur] intermediaire;• Procede additif [addition iteree, procedure additive] ou procede mixte [procedure lineaire].

A partir de ce moment, il est a noter que nous encourageons nos etudiants a utiliser un tableaude proportionnalite, qui n’est pas une procedure de resolution mais simplement un supportpermettant d’analyser les differentes procedures. Nous utiliserons d’ailleurs ce support dans lasuite du present article. Par exemple, la production precedente sera representee par le tableausuivant.

Distance parcourue par Catherine (m) Distance parcourue par Martin (m)

0,7

3,5

? (= 3,5 + 0,7)

1

5

6 (= 5 + 1)

5 5

FIGURE 4 Un exemple de tableau de proportionnalite.

A l’instar d’Hersant (2005), nous considerons ce tableau de proportionnalite comme un registrede representation au meme titre que le registre verbal, symbolique, visuel, schematique, etc.Suivant Duval (1988, 1993), Janvier (1993) et Hitt (2003), la comprehension d’un conceptmathematique emerge de la coordination entre differents registres de representation. Dans lecours, l’accent est mis sur le discours (soit le registre verbal), sur le registre tableau, et sur lacoordination entre ces deux registres. Nous insistons en particulier sur le fait que la verbalisationpermet un jeu d’explicitation des relations entre les nombres. Dans le cas du probleme dela distance parcourue, par exemple, nous encouragerons une verbalisation telle que: «QuandMartin parcourt 5 metres, Catherine en parcourt 3,5. Quand Martin parcourt un metre de plus,soit une distance 5 fois plus petite que precedemment, Catherine parcourt elle aussi une distance5 fois plus petite que precedemment, soit 0,7 metre. Quand Martin parcourt 6 metre, Catherineen parcourt donc 3,5 plus 0,7, soit 4,2 metres».

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

56 LAJOIE ET SABOYA

Ce n’est qu’a la suite de la classification des diverses procedures reperees dans les productionsecrites des participants que nous faisons explicitement reference a la recherche. Nous visonsalors a informer les etudiants que l’observation qu’ils font (a l’effet que les eleves disposent deprocedures personnelles de resolution de problemes proportionnels avant enseignement) n’est pasexceptionnelle, en ce sens qu’elle a ete faite dans differents contextes, et a valider leur classifica-tion des procedures puisque celle-ci correspond grosso modo a celle que permettrait de faire unesynthese des recherches effectuees dans le domaine. Advenant le cas ou certains elements que nousjugeons importants (comme par exemple certains types de problemes, certaines procedures. . .)ne ressortent pas naturellement, nous introduisons ces elements en precisant qu’ils sont ressor-tis dans certains contextes documentes par la recherche en didactique des mathematiques. Larecherche vient alors completer, enrichir les conclusions tirees par les etudiants.

EVALUATION DIAGNOSTIQUE: PREPARATION, PASSATION, ANALYSEET PLANIFICATION DE L’ENSEIGNEMENT

Une question se pose generalement assez rapidement au sein des groupes: Pourquoi nous interesserautant aux procedures personnelles des eleves puisque de toutes facons, au bout du compte, nousleur enseignerons une technique plus efficace? Nous en profitons alors pour prendre clairementposition: sachant que les eleves peuvent mobiliser avec succes des procedures personnelles dansla resolution de problemes de proportionnalite, l’enseignement doit tabler sur ces proceduresplutot que de les ignorer. La recherche en didactique des mathematiques peut alors venir nouspreter main-forte puisqu’elle permet de semer le doute chez les etudiants. En effet, des travauxayant porte sur l’analyse des strategies mobilisees par les eleves avant et apres enseignement dela proportionnalite a l’ecole via les algorithmes usuels suggerent que les eleves, apres enseigne-ment, sont centres sur les donnees numeriques et commettent des erreurs liees a une utilisationnon controlee des algorithmes enseignes (Dupuis, 1981; Oliveira, 2000, 2008; Sokona, 1989).En particulier, le recours systematique a l’algorithme du produit croise s’avere peu propiceau developpement par les eleves du controle sur les situations non proportionnelles (Oliveira,2008).

En vue de preparer nos etudiants a enseigner eventuellement le raisonnement proportionnelen prenant appui sur les procedures «naturelles» utilisees par les eleves, nous les invitons aelaborer une evaluation diagnostique sur le raisonnement proportionnel. Le travail mene lorsde la premiere experimentation prepare le terrain pour l’evaluation diagnostique. Les etudiantsdoivent a ce stade transformer les trois problemes de la premiere experimentation, ou en composerde nouveaux, qu’ils soumettront a des eleves d’une classe de debut secondaire. Ils analyseront parla suite les resultats ainsi recueillis et proposeront des pistes pour l’enseignement du raisonnementproportionnel dans cette classe. Cette evaluation diagnostique, qui consiste elle aussi en troisproblemes proportionnels, vise essentiellement a determiner les procedures de resolution deproblemes «proportionnels» deja en place chez les eleves avant toute forme d’enseignement, et avoir comment un enseignant pourrait se preparer a enseigner le raisonnement proportionnel dansun tel contexte (voir Saboya [2010] pour plus de details). Ce faisant, pour employer les mots deScallon (1988), l’evaluation diagnostique place l’enseignant dans un «etat d’alerte» au momentd’entreprendre l’enseignement du raisonnement proportionnel dans sa classe.

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

QUELLE PLACE POUR LA RECHERCHE EN FORMATION INITIALE? 57

Le jeu sur les variables didactiques

Les etudiants remarquent rapidement a travers l’analyse des productions ecrites des participants ala premiere experimentation qu’une meme personne peut avoir recours a une certaine procedurepersonnelle pour resoudre un probleme donne, alors qu’elle peut avoir recours a une autreprocedure pour resoudre un autre probleme. Ce constat que font nos etudiants va dans le memesens que celui fait par divers chercheurs (dont Julo, 1982 et Oliveira, 2008), a l’effet que les elevessont capables de passer d’une procedure a l’autre dependamment des situations, faisant preuved’une grande flexibilite dans la resolution de problemes proportionnels. Les etudiants emettentrapidement une hypothese qui concorde, sans qu’ils en soient conscients, avec une conclusiondes chercheurs evoques precedemment, a l’effet que ce va-et-vient d’une procedure a l’autre estattribuable en grande partie au choix des nombres dans le probleme propose, plus particulierementaux relations numeriques en jeu. C’est a ce moment que le concept de variable didactique estpropose de maniere explicite aux futurs enseignants.

Dans la recherche en didactique des mathematiques, la notion de variable didactique estgeneralement definie comme suit:

Un champ de problemes peut etre engendre a partir d’une situation par la modification des valeurs decertaines variables qui, a leur tour, font changer les caracteristiques des strategies de solution (cout,validite, complexite. . . etc.) [. . .] Seules les modifications qui affectent la hierarchie des strategies sonta considerer (variables pertinentes) et parmi les variables pertinentes, celles que peut manipuler unprofesseur sont particulierement interessantes: ce sont les variables didactiques. (Brousseau, 1982a)Ces variables sont pertinentes [. . .] dans la mesure ou elles commandent des comportements differents.Ce seront des variables didactiques dans la mesure ou en agissant sur elles, on pourra provoquer desadaptations et des regulations: des apprentissages. (Brousseau, 1982b)

Nos etudiants sont familiers avec cette notion de variable didactique, un outil issu de la rechercheen didactique des mathematiques en France. En effet, des leur premier cours de didactiquedes mathematiques, les variables didactiques leur sont presentees comme etant les elementsd’une situation que l’enseignant change consciemment et judicieusement de facon a provoquerdifferents comportements (par exemple l’apparition de diverses procedures de resolution) chezl’eleve. Dans le cours «Raisonnement proportionnel et concepts associes», la notion de variabledidactique s’avere utile. Les etudiants doivent eux-memes jouer sur certaines variables didactiquesen anticipant l’effet de ce jeu sur les procedures des eleves et ce, principalement a deux reprisespendant la session: au moment de preparer l’evaluation diagnostique et au moment de planifierl’enseignement.

Quelles variables didactiques pour les problemes proportionnels?Une question ayant fait l’objet de plusieurs recherches

De maniere generale, dans le cours «Raisonnement proportionnel et concepts associes», lesvariables didactiques que reperent les etudiants en analysant les problemes qu’ils construisent etceux que nous leur proposons, parallelement aux procedures personnelles qu’ils mobilisent et acelles mobilisees par les participants, sont:

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

58 LAJOIE ET SABOYA

• Familiarite du domaine de reference de l’enonce11;• Nature des grandeurs (grandeurs «homogenes» si de meme nature, «heterogenes»

autrement);• Permanence du lien multiplicatif entre les deux grandeurs en presence, qui peut etre plus

ou moins explicite (pour les problemes de recherche d’une quatrieme proportionnelle);• Presentation du probleme (texte, tableau, dessin), maniere de communiquer le taux ou le

rapport;• Nature des nombres impliques (nombres petits ou grands, entiers ou non);• Nature des rapports et/ou taux entre les donnees (nombres entiers ou non);• Nature du nombre recherche (pour les problemes de recherche d’une quatrieme proportion-

nelle).

Si cette liste non-exhaustive de variables didactiques provient des etudiants, elle correspondgrosso modo a celle que l’on pourrait construire a partir des variables identifiees ou prises encompte par la recherche en didactique des mathematiques (par exemple El-Assadi, 2008; Fenichelet Pfaff, 2005; Julo, 1982; Oliveira, 2008; Rene de Cotret, 1991; Sokona, 1989). Les etudiantsfont ressortir d’eux-memes (a travers une analyse des problemes realisee en parallele avec celledes procedures sollicitees), plusieurs variables didactiques prises en compte dans le choix destrois problemes. Pour le probleme de la distance parcourue, par exemple, ils remarquent que lesgrandeurs sont homogenes (dans les deux cas, il s’agit d’une distance parcourue); que l’ecart entre3,5 et 5, comme celui entre 5 et 6, est petit; que le lien multiplicatif entre 3,5 et 5, tout comme celuientre 5 et 6, n’est pas immediat, d’autant plus qu’une des donnees est un nombre decimal. Lesetudiants emettent alors l’hypothese que ce choix de variables didactiques a pousse une grandepartie des participants a percevoir une structure additive, ce qui les a amenes a commettre uneerreur (du type de celles qui seront presentees a la Figure 5).

Apres avoir repere les differentes variables didactiques avec les futurs enseignants, nous leurdemandons de modifier les valeurs des variables et d’anticiper les effets que ces modificationspourraient avoir sur les procedures des eleves, sur les erreurs provoquees ainsi que sur le degrede difficulte des problemes proposes. Le but est d’outiller les etudiants pour le choix ou laconstruction de trois «bons» problemes («meilleurs»12 que ceux de la premiere experimentationsi possible) pour l’evaluation diagnostique, qui permettra d’etablir les differentes procedurespouvant etre mobilisees par les eleves avant que le raisonnement proportionnel n’ait fait l’objetd’un enseignement formel.

Une prise de position necessaire sur le statut de l’erreur dans la construction desconnaissances

Comme nous l’avons precise precedemment, les futurs enseignants sont confrontes des la premiereexperimentation a des procedures erronees. Nous sentons donc le besoin, assez rapidement,de porter une attention particuliere a l’erreur, plus precisement au statut de l’erreur dans laconstruction des connaissances.

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

QUELLE PLACE POUR LA RECHERCHE EN FORMATION INITIALE? 59

Les erreurs les plus courantes dans la resolution de problemesproportionnels – Resultats de recherche en didactique des mathematiquesportant sur l’analyse des erreurs frequentes

Les erreurs courantes commises par les eleves en contexte de resolution de problemes pro-portionnels sont largement documentees par la recherche en didactique des mathematiques(Brousseau, 1981; Cote et Noelting, 1971; Noelting, 1978; Vergnaud, 1983; Karplus, Puloset Stage, 1983; Oliveira, 2008; Rene de Cotret, 1991). Les chercheurs les attribuent en general ades difficultes de passage des structures additives aux structures multiplicatives. Dans les produc-tions ecrites des participants a l’experimentation decrite precedemment (au point 3), les etudiantssont confrontes essentiellement a deux types d’erreurs provoquees par le jeu sur les variablesdidactiques, en particulier par le choix des problemes proposes. Comme pour les strategies nonerronees, differentes terminologies sont utilisees dans les recherches:

• l’erreur additive ou le procede additif errone• la procedure lineaire erronee ou le procede mixte errone

A titre d’exemple, le probleme Pas a pas (ci-dessous), lorsqu’il est propose, provoquegeneralement les erreurs suivantes.

Problème Pas à pas: Quand mon père avance de 3 pas, j’en avance de 5. Si j’avance de 11 pas,

combien de pas mon père fait-il ?

Exemple d'erreur additive Exemple de procédé mixte erroné

Père avance de 3 pas, j’avance de 5 pas, je fais

donc 2 pas de plus.

Si je fais 11 pas alors mon père fait 2 pas de

moins que moi donc 9 pas.

Papa Moi

3 5

? (= 7) 11

x2 +1 x2 +1

FIGURE 5 Le probleme Pas a pas et les deux erreurs les plus frequentes qu’il provoque.

Dans le cas de l’erreur additive, l’eleve applique une structure strictement additive entre lesdeux grandeurs en presence, en se concentrant sur la difference entre le nombre de pas du fils etcelui du pere (comme c’est le cas dans la partie gauche de la Figure 5), ou entre deux valeursd’une meme grandeur, en procedant comme si une difference de 6 pas chez l’enfant se traduisaitnecessairement par une difference de 6 pas chez le pere. L’erreur additive derive du choix desvariables didactiques. Par exemple, dans le cas de l’erreur additive presentee a la Figure 5, ladifference de 2 entre les nombres 3 et 5, l’absence de lien multiplicatif facilement perceptible

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

60 LAJOIE ET SABOYA

entre 3 et 5, de meme qu’entre 5 et 11, et le fait qu’il s’agisse dans les deux cas d’un nombre depas, pousse l’eleve a voir un lien additif entre ces nombres. Dans le cas du procede mixte errone,l’eleve n’applique pas qu’une structure strictement additive entre les deux grandeurs en presence.La procedure presentee a la Figure 5, par exemple, consiste a considerer que si l’enfant fait ledouble de pas (que le nombre de ses pas a un instant donne) plus 1, alors le pere fera lui aussile double de pas (que le nombre de ses pas au meme instant) plus 1. C’est au moment de fairecorrespondre «un pas de plus » chez l’enfant a «un pas de plus» chez le pere que l’eleve commetune erreur. Encore une fois, cette erreur derive du choix des variables didactiques. L’absence d’unlien multiplicatif facilement perceptible entre 3 et 5, et entre 5 et 11, de meme que le fait quele nombre 11 soit pres d’un multiple de 5, guident l’eleve a appliquer directement le lien qu’ilpercoit entre les deux distances parcourues par le fils (le double de pas plus 1 pas) aux nombresde pas du pere (le double de pas plus 1 pas, soit 11 pas).

A partir du moment ou ils se rendent compte que le choix des problemes et le jeu surles variables didactiques sont susceptibles de provoquer de telles erreurs, les etudiants posentgeneralement une question qui suscite a chaque fois un debat anime dans la classe: Est-ilsouhaitable de provoquer l’erreur dans une evaluation diagnostique ou ne devrait-on pas plutotchercher a eviter le plus possible que cette erreur ne se produise? Par ailleurs, il est a noter quecette question s’avere tres importante pour la suite du cours puisqu’elle ne tarde jamais a depasserle cadre de l’evaluation diagnostique. En effet, la question que se posent rapidement nos etudiantsest: Doit-on, dans notre enseignement, provoquer l’erreur ou eviter le plus possible qu’elle ne seproduise?

Les futurs enseignants ont souvent comme idee qu’apprendre consiste a combler un videde connaissance ou a remplacer une connaissance erronee par une connaissance correcte(Lajoie, 2010). Ne reconnaissant pas la fecondite de certaines erreurs, ils ont plutot tendancea vouloir eviter l’erreur, tant dans le contexte d’une evaluation diagnostique que dans celuide l’enseignement en general, plutot que de la provoquer. Ainsi, plusieurs de nos etudiants, aumoment de preparer l’evaluation diagnostique, proposeront de jouer sur les variables didactiquesde maniere a eviter les erreurs de type additif au lieu de les faire ressortir. En ce qui nous con-cerne, a l’instar de plusieurs didacticiens des mathematiques, nous percevons l’erreur comme une«source de connaissance» (Charnay, 2002), tant pour les eleves que pour les enseignants. Nousla considerons comme une etape normale de l’apprentissage, comme un element revelateur duparcours privilegie par l’eleve dans la resolution d’un probleme donne. Ainsi, pour nous, l’erreurne doit pas etre evitee. Elle doit plutot etre provoquee, pour ensuite etre exploitee pour aiderl’eleve a progresser dans ses apprentissages. L’erreur doit donc etre prise comme point d’appuipour l’enseignement13.

Analyse des resultats de l’evaluation diagnostique (deuxieme experimentation)et retour sur les problemes proposes: reinvestissement de tout ce qui precede

Les concepts didactiques construits en classe et confirmes en quelque sorte par la recherchefournissent a cette etape un cadre d’analyse pour le futur enseignant. A ce stade, les etudiantssont amenes a faire une analyse comparative entre les procedures qui etaient attendues lors del’evaluation diagnostique et celles effectivement mises en œuvre par les eleves participant acette evaluation. Les etudiants sont ainsi amenes a s’exprimer autour des problemes qu’ils ontretenus ou construits pour l’experimentation: Quel diagnostic de la classe permettent-ils d’etablir?

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

QUELLE PLACE POUR LA RECHERCHE EN FORMATION INITIALE? 61

Etaient-ils adequats? Etaient-ils susceptibles de faire ressortir toutes les procedures en place chezles eleves? Devraient-ils etre modifies s’ils devaient etre utilises dans une autre classe?

Un questionnement sur les pratiques d’enseignement favorisant le developpement du raison-nement proportionnel est necessaire a ce stade. Ce questionnement vise a preparer les futursenseignants a l’enseignement du raisonnement proportionnel de maniere generale. Au regard deleur travail comportant une evaluation diagnostique, il vise aussi a les aider a proposer des pistesd’intervention en fonction des resultats obtenus.

L’ENSEIGNEMENT DE LA PROPORTIONNALITE:QUELLES PRATIQUES PRIVILEGIER?

En ce qui a trait au raisonnement proportionnel, les principales erreurs qui pourront servir depoint d’appui pour l’enseignement sont les erreurs citees precedemment, soit l’«erreur additive»et la «procedure mixte erronee». Nous examinons ces deux types d’erreurs avec nos etudiants,en parallele avec les problemes susceptibles de les provoquer, et nous voyons ensuite commenttirer profit de ces erreurs a partir de deux situations distinctes, soit «Pas a pas» (voir l’enonce aupoint 4.2) et «Puzzle» (Brousseau, 1981).

Interventions sur les principales erreurs: recours a des situations «classiques» dela didactique des mathematiques

Dans le cours, nous nous interessons aux interventions que les futurs enseignants pourraientfavoriser aupres des eleves ayant commis les deux types d’erreurs mentionnes precedemment.La recherche en didactique des mathematiques, soit en particulier les travaux de Rene de Cotret(1991) et de Brousseau (1981), est de nouveau mise a profit, mais cette fois de maniere plusexplicite.

Le probleme «Pas a pas» ou le recours a un troisieme couple

Une fois les deux types d’erreurs mis a jour, nous demandons aux futurs enseignants quellesinterventions ils privilegieraient pour amener des eleves qui auraient commis ces erreurs a lesdetecter. A ce stade, plusieurs etudiants sont portes a enseigner, soit a dire aux eleves qu’ilsont commis des erreurs et a leur expliquer comment obtenir la solution attendue. Nous insistonsalors sur le fait que nous sommes plutot a la recherche d’interventions susceptibles d’amenerles eleves a se questionner sur la validite de leurs strategies, susceptibles aussi de les amener areflechir par eux-memes au sens de leurs reponses. Une des interventions generalement proposeesse rapproche de celle presentee par Rene de Cotret (1991). Ainsi, dans le probleme «Pas a pas»,les futurs enseignants proposent generalement de rajouter un troisieme couple, soit celui dont lenombre de pas effectues par le fils est 10. Le raisonnement elabore est le suivant: «comme le perefait 3 pas quand le fils en fait 5, si le fils fait deux fois plus de pas (soit 10), le pere parcourra luiaussi deux fois plus de pas (soit 6)». La question se pose alors de savoir s’il est possible que pourun pas de plus de l’enfant (soit 11), le pere en parcourt quant a lui 3 de plus (soit 9), amenantainsi l’eleve a douter de la vraisemblance de sa reponse.

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

62 LAJOIE ET SABOYA

Nombre de

pas du père

Nombre de

pas du fils

3

6

9

5

10

11

x2 x2

+1 +3?

FIGURE 6 Une intervention possible face aux erreurs en raisonnement proportionnel.

Comme le precise Rene de Cotret (1991), l’ajout d’un troisieme couple peut aider les elevesa preciser la proportionnalite des problemes et a les orienter vers des solutions justes. Les elevespeuvent ainsi passer des procedures additives aux procedures proportionnelles. Avec des donneessupplementaires, l’eleve est porte a verifier la pertinence de la procedure qu’il a utilisee, letroisieme couple lui permettant ainsi de valider sa procedure.

Ainsi, les procedures additives sont contrariees par ce troisieme couple de deux facons, soit de facondirecte en revelant les ecarts differents, la difference entre les donnees n’etant pas constante d’uncouple a l’autre, la procedure additive devient alors difficile a utiliser; soit de facon indirecte enrevelant le modele proportionnel, les ecarts peuvent amener l’eleve a reconnaıtre la proportionnalitequ’ils sous-entendent. Le troisieme couple peut preciser la proportionnalite du probleme. De cefait, les procedures additives (et les fausses en general) sont abandonnees en faveur des proceduresproportionnelles, ce qui provoquera par le fait meme une augmentation du taux de reussite. (Rene deCotret, 1991, p. 45)

Le «Puzzle»: une situation a retroaction

Une situation bien connue de la recherche en didactique des mathematiques est celle du«Puzzle» elaboree par Brousseau (1981) et utilisee a maintes reprises par Brousseau lui-memeainsi que plusieurs autres chercheurs. Notre intention en presentant cette situation dans le cours

Consigne : voici des puzzles, vous allez en fabriquer des semblables, plus grands que les modèles, en respectant la règle suivante : le segment qui mesure quatre centimètres sur le modèle devra mesurer sept centimètres sur votre reproduction. Je donne un puzzle par équipe de 5 ou 6, mais chaque élève fait au moins une pièce ou un groupe de 2 en fait 2. Lorsque vous aurez fini, vous devez pouvoir reconstituer les mêmes figures qu’avec le modèle. » (Brousseau, 1981, p.70)

FIGURE 7 Le «Puzzle».

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

QUELLE PLACE POUR LA RECHERCHE EN FORMATION INITIALE? 63

est d’amener les etudiants a reconnaıtre son potentiel, et a la percevoir comme moyen a privilegierpour faire ressortir une variete de procedures de resolution de problemes proportionnels (erroneesou non) et pour intervenir face aux principales erreurs liees a la resolution de tels problemes.

Dans un premier temps, les etudiants sont places dans le role d’eleves qui ont a effectuer latache suivante.

Rares sont les etudiants qui appliquent le modele additif rapporte par Brousseau (1981).Toutefois, le fait de devoir construire le casse-tete agrandi amene les etudiants a s’interroger surla portee de cette situation, sur son potentiel, et les place donc face a leur role de futur enseignant.

Le puzzle est une situation classique et plusieurs chercheurs en didactique des mathematiquesreconnaissent son potentiel puisqu’elle a ete eprouvee a plusieurs reprises. Elle est effectivementinteressante, tant pour le chercheur que pour l’enseignant, et ce pour plusieurs raisons14. D’abord,elle permet aux eleves d’y entrer de differentes manieres, en particulier avec des connaissancesinadequates. Ainsi, differentes procedures personnelles peuvent etre mobilisees, dont la proceduremixte erronee et l’erreur additive. Ensuite, et c’est la que la situation devient particulierementinteressante, la validation est apportee par la situation elle-meme. En effet, comme les elevesdoivent agencer leurs morceaux agrandis pour reconstituer le casse-tete, ils peuvent constatereux-memes la reussite ou l’echec de leurs procedures. Ainsi, par exemple, les eleves sont amenesa constater que l’erreur additive (qui consiste ici a ajouter 3 centimetres a toutes les dimensions)ou la procedure mixte erronee (qui consiste a multiplier par 2 chacune les differentes dimensionset a soustraire 1) menent directement a une erreur, le casse-tete ainsi agrandi etant impossible aassembler.

A defaut d’apporter des solutions cles en main, ce qu’apporte la recherche al’enseignement du raisonnement proportionnel

Dans les travaux de recherche qui ont porte sur l’apprentissage ou l’enseignement de la proportion-nalite, on qualifie d’«usuelle» une pratique d’enseignement de la proportionnalite qui se resumeessentiellement a l’enseignement des techniques de la «regle de trois». Ainsi, l’enseignement dela notion de proportionnalite passe souvent par un apprentissage prealable de certains outilsmathematiques comme la multiplication, la division, la regle de trois, le produit en croix,etc. (Gros, 2001). On presente en quelque sorte des «recettes de cuisine mathematique» enesperant que la comprehension suivra. Les chercheurs qui se sont interesses a l’apprentissage oua l’enseignement de la proportionnalite remettent generalement en question ces pratiques usuellesd’enseignement. Brousseau (2009), par exemple, les qualifie de «pataudes» (p. 4), affirmant deplus que les produits en croix ne peuvent avoir aucun sens pour les eleves qui ne connaissentpas l’algebre (p. 7). Julo (1982), quant a lui, souligne que l’inefficacite de l’enseignement de laproportionnalite provient du fait que celui-ci ne prend pas en compte la facon dont l’eleve analysela situation qui lui est proposee.

Une fois que les futurs enseignants sont sensibilises aux consequences possibles d’un en-seignement usuel de la proportionnalite, que leur propose-t-on? Somme toute, peu de recherchesont porte sur les pratiques usuelles d’enseignement du raisonnement proportionnel au moment del’introduction de ce concept et sur les effets reels de ces pratiques sur les eleves (Oliveira, 2008).Ainsi, a ce chapitre, on doit s’attendre a ce que la recherche n’apporte pas autant de reponsesqu’on pourrait le souhaiter. La recherche suggere cependant quelques lignes directrices, de meme

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

64 LAJOIE ET SABOYA

que quelques conduites a eviter. En ce sens, elle peut amener les etudiants a remettre en questiondiverses pratiques qui pourraient leur etre proposees (par exemple dans les manuels).

C’est dans cette optique que nous avons alors recours, explicitement, a une these de doctoratrealisee en contexte quebecois et intitulee «Exploration de pratiques d’enseignement de la pro-portionnalite au secondaire en lien avec l’activite mathematique induite chez les eleves dans desproblemes de proportion» (Oliveira, 2008). Nous reprenons en fait les exemples de Maurice etde Jacques, les deux cas analyses par Oliveira, qui s’averent des cas contrastes dont aucun nepourrait etre considere comme un cas exemplaire. En effet, tel qu’illustre dans les extraits suiv-ants, les pratiques d’enseignement du raisonnement proportionnel mises en place par Maurice etJacques comportent toutes deux des limites.

Dans le cas de Maurice et d’une pratique d’enseignement tres structuree, laissant peu de place al’eleve, fortement organisee autour du savoir, les eleves s’approprient ce savoir et certaines manieresde faire des mathematiques a propos de ce savoir. On retrouve alors dans leurs productions ecritesles traces d’une notation et d’une procedure qui a ete privilegiee en classe. L’emphase mise sur unecertaine maniere de faire cause des difficultes chez les eleves, ces derniers attribuant peu de sens acette demarche lorsqu’on sort des problemes de proportion usuels. On percoit bien dans ce cas leslimites, sur le plan de l’activite mathematique induite chez les eleves, d’un enseignement qui cherchea faire en sorte que les eleves « soient en controle» sur un certain savoir par le biais de l’introductionde marches a suivre et de mises en garde. Les eleves ont ici peu de chance de s’approprier le savoiret de comprendre en quoi et pourquoi ce qu’ils font conduit a une erreur. (Oliveira, 2008, p. 528)Dans le cas de la pratique de Jacques, ce dernier ne s’attarde pas a l’utilisation d’une procedureprivilegiee en classe, mais ouvre sur differentes procedures de resolution possibles venant des eleves.Pourtant, les eleves dans ce cas ne presentent pas de traces d’un changement/d’une evolution quantaux procedures utilisees au test final, c’est-a-dire, qu’ils gardent, de maniere generale, les memesprocedures que celles utilisees avant enseignement. On trouve aussi la presence des memes difficultes.On percoit bien dans ce cas les limites d’un enseignement qui part des procedures des eleves sansstatuer sur celles-ci, sans travailler a la validation de ces dernieres, aux liens qui permettraient d’allerplus loin. (Oliveira, 2008, p. 528–529)

Ces resultats tires de la these d’Oliveira montrent bien que l’enseignement de la proportionnaliteest complexe. Ils suggerent aussi que toute pratique d’enseignement comporte des limites. Ainsi,plutot que d’imposer aux etudiants une pratique particuliere, nous leur presentons plusieursoptions. Nous les invitons par la suite, toujours dans l’optique de leur travail comportant uneevaluation diagnostique, mais aussi dans l’optique de leur pratique eventuelle en classe, a choisirparmi ces options ou encore a composer a partir de celles-ci.

Une de ces options est essentiellement celle proposee par Boisnard et al. (1994). Suivantcelle-ci, l’enseignant incite ses eleves a resoudre les problemes a leur maniere, en s’assuranttoutefois (contrairement a ce que fait Jacques) de faire evoluer ces manieres de proceder et deguider les eleves vers la maıtrise de procedures nouvelles (par exemple celles de leurs pairs)auxquelles ils n’auraient pas acces sans un apprentissage specifique. Une autre option, assezproche de la premiere, consiste a faire evoluer les procedures personnelles des eleves vers desmethodes ou techniques institutionnalisees, comme par exemple celles decrites par Hersant (2005)et repertoriees dans des manuels scolaires anciens ou actuels. Dans les deux cas, le defi consiste aconvaincre les futurs enseignants que, si une certaine «automatisation» des procedures comportedes avantages en terme de temps, cette automatisation doit etre adoptee deliberement par l’eleve

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

QUELLE PLACE POUR LA RECHERCHE EN FORMATION INITIALE? 65

alors qu’il se trouve deja en controle de la proportionnalite, et non imposee de maniere artificiellepar l’enseignant (comme cela semble etre le cas dans ce que fait Maurice).

CONCLUSION

En redigeant le present article, nous nous sommes engagees dans une demarche d’analyse denotre propre pratique de formation, sous l’angle de l’influence de la recherche en didactique desmathematiques sur cette pratique. Cette demarche a permis de rendre explicite ce qui, jusque-la,etait demeure pour nous de l’ordre de l’implicite. Ainsi, nous avons pu cerner plusieurs desintentions qui nous amenent a recourir a la recherche dans notre enseignement, et nous avons eteen mesure de faire ressortir differentes manieres dont nous avons recours a la recherche, tant ases resultats qu’a ses concepts, outils, etc.

Notre analyse eclaire l’apport de la recherche en didactique des mathematiques a notre pro-pre pratique de formation, mais aussi de maniere plus generale son apport a la formation desfuturs enseignants. Bien entendu, un choix different de travaux de recherche a la base du coursdans lequel nous intervenons aurait certainement une influence non negligeable sur l’eclairageapporte.

Tout d’abord, la recherche s’avere pour nous, en tant que formatrices, une source d’inspirationconstante, un support a la mise en place de «bonnes conditions» pour la construction de con-naissances par nos etudiants. En particulier, nous avons vu comment le courant constructivisteen education et les travaux sur les registres de representations influencent au jour le jour notrepratique de formation. De plus, du fait que les etudiants du cours «Raisonnement proportionnelet concepts associes » sont de futurs enseignants de mathematiques, nous cherchons, a traversles situations proposees dans le cours, a les sensibiliser a leur tour aux rudiments d’une theoriede l’apprentissage inspiree du courant constructiviste (en ce qui a trait plus particulierement ades considerations sur le statut de l’erreur dans la construction des connaissances, sur la prise encompte des procedures personnelles des eleves, etc.) de meme qu’a l’importance du discours et dela coordination entre celui-ci et le tableau de proportionnalite (soit d’une maniere plus generaleentre les representations discursives et en tableau).

La recherche est mise a profit aussi de maniere plus ponctuelle, et souvent de maniere plusexplicite, avec comme principale intention de soutenir nos interventions. Ainsi, la recherche estmise a profit pour:

• Renforcer, confirmer des hypotheses et des constats formules par les etudiants a proposdes difficultes que pourraient rencontrer des eleves, a propos de procedures (erronees ounon) que ceux-ci pourraient mettre en œuvre, a propos aussi des variables didactiques aconsiderer dans la construction de problemes proportionnels, etc.

• Confirmer des propositions emanant des futurs enseignants a propos d’interventions pos-sibles (comme par exemple l’apport d’un troisieme couple pour contrer l’erreur additivedans un probleme de recherche d’une quatrieme proportionnelle).

• Confronter, infirmer des hypotheses, semer le doute, provoquer la reflexion et la discus-sion, en particulier quand les resultats de recherche evoques vont a l’encontre de ce queles etudiants pourraient avoir comme idees sur l’enseignement et l’apprentissage du raison-nement proportionnel. Ainsi, par exemple, les resultats de la recherche peuvent etre le point

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

66 LAJOIE ET SABOYA

de depart d’un questionnement sur les pratiques courantes d’enseignement du raisonnementproportionnel et de certains concepts qui lui sont associes.

• Informer, suggerer, orienter, completer, enrichir, . . .

La recherche nous fournit aussi, et elle fournit (souvent) indirectement a nos etudiants, un largerepertoire de ressources pour l’enseignement du raisonnement proportionnel:

• Des mots pour des objets construits dans l’action par les etudiants, par exemple pour destypes de problemes, des procedures de resolution (erronees ou non), . . .;

• Des concepts, des outils theoriques, comme celui de variable didactique, qui peuvents’averer utiles pour le travail de l’enseignant (en particulier pour la conception de problemes)et devenir en quelque sorte des modeles «pour regarder», des cadres d’analyse du fonc-tionnement d’une classe, des cadres de reflexion (Rene de Cotret, 2000).

• Des outils plus «pratiques», comme par exemple des problemes-types (Mazout, Cafe-creme, Orangeade. . .) ou des situations (le «Puzzle» de Brousseau) qui ont ete developpeset eprouves par la recherche. Les etudiants ont l’occasion d’analyser le potentiel de cesoutils en classe et meme (dans certains cas du moins) de les mettre a l’epreuve.

Enfin, la recherche est aussi pour nous une demarche a faire vivre aux etudiants eux-memes. Eneffet, la demarche d’evaluation diagnostique dans laquelle s’engagent nos etudiants s’apparenteen plusieurs points a une demarche de recherche. La recherche n’y est toutefois pas vue commeune fin en soi puisque nous ne cherchons pas a former nos etudiants a la recherche mais plutotcomme un moyen de contribuer a leur formation a l’enseignement.

Notre analyse met en evidence le fait que plusieurs des connaissances sur lesquelles nousnous appuyons en tant que formatrices (pour la construction de situations, pour le choix desproblemes, etc.), de meme que celles que nos etudiants sont appeles a construire a l’interieurde notre cours, sont, pour plusieurs du moins, derivees de la recherche en didactique desmathematiques. Le lecteur familier avec le mouvement de recherches portant sur les connais-sances pour l’enseignement y aura reconnu un type particulier de connaissances de cet ordre. PourShulman (2007, p. 105), par exemple, ces connaissances seraient de l’ordre de la connaissancepedagogique du contenu (Pedagogical Content Knowledge, PCK), definie comme etant «cetteforme particuliere de connaissance du contenu qui integre [embodies] les aspects du contenules plus lies a son enseignabilite» (p. 105). La recherche vient donc contribuer ici, souvent im-plicitement, au developpement chez les etudiants d’un bagage de connaissances necessaire pourl’enseignement, ce que Shulman (2007) designe par le savoir pedagogique necessaire. Il nousapparaıt toutefois important de revenir sur le fait que ces connaissances ne sont pas presenteesaux etudiants mais plutot construites a travers les differentes situations que nous leur proposons.

Si cette maniere de faire decoule de notre propre conception de l’enseignement et del’apprentissage, elle a toutefois pour consequence que l’apport de la recherche peut passerinapercu. Elle peut donc amener les futurs enseignants a terminer leur cours sans avoirl’impression que la recherche y a ete reinvestie. En tant que chercheures, ce constat nouspreoccupe. Bien entendu, ce cours, et de maniere plus generale le programme de formation dontil fait partie, ne vise pas a diffuser les resultats de la recherche en didactique des mathematiques,pas plus qu’il ne vise a initier les etudiants a la recherche dans ce domaine. Il vise plutot a lespreparer a enseigner le raisonnement proportionnel de maniere reflechie, en etant a l’ecoute de

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

QUELLE PLACE POUR LA RECHERCHE EN FORMATION INITIALE? 67

leurs eleves, sensibles a leurs comprehensions et incomprehensions. La recherche, en ce sens, visedavantage a nous informer, comme formatrices, et elle vient appuyer notre pratique. Ainsi, onpourrait croire qu’il n’est pas utile d’expliciter davantage les liens avec la recherche. . . Mais alors,comment esperer, dans un tel contexte, que nos etudiants soient amenes a considerer la recherchecomme une des ressources possibles pour leur enseignement. A envisager qu’ils peuvent tirereux-memes profit de la recherche en didactique des mathematiques dans leur propre pratique?Devrions-nous etre plus explicites? Cette question demeure pour le moment sans reponse, ou dumoins sans reponse simple! Nous devrons nous y pencher dans un avenir proche.

NOTES

1. Il sera question dans cet article de notre pratique de formation. Il est a noter cependantqu’au fil des ans, plusieurs didacticiens de l’UQAM se sont impliques dans ce cours, dontBernadette Janvier, qui a fait un travail colossal au niveau de la mise en place de plusieursdes activites de formation auxquelles nous ferons reference.

2. Cette pratique educative a ete decrite a maintes reprises et illustree a l’aide de diversexemples (Bednarz, 2001; Bednarz, Gattuso et Mary, 1995; Dufour-Janvier et Hosson,1999; Janvier, C., 1996; Saboya, 2010 : Tanguay, 2003).

3. Nous avons constate en preparant le present article que le «flou» au niveau de la termi-nologie utilisee pour parler du raisonnement proportionnel n’a rien d’exceptionnel. Lelecteur interesse pourra lire a ce sujet Comin (2002).

4. Nous avons retranscrit les productions des etudiants pour preserver leur anonymat.5. Ces methodes sont travaillees ulterieurement dans le cours (en faisant un lien entre les

aspects syntaxique et semantique).6. L’etude d’Oliveira de 2000 a ete effectuee aupres d’eleves au Bresil et celle de 2008

aupres d’eleves du Quebec.7. Ce qui est en accord avec notre position constructiviste.8. L’enseignement formel du raisonnement proportionnel commence generalement au

Quebec au cours de la deuxieme annee du premier cycle du secondaire, soit vers l’age de13 ans.

9. Video produite a des fins de formation par Eric Henry, Nadine Bednarz, Jean-CharlesMorand et Sophie Rene de Cotret.

10. Nous nous en tenons ici qu’aux procedures non erronees. Nous traiterons des procedureserronees au point 4.1.2. Aussi, nous indiquons entre crochets des expressions equivalentesqui peuvent etre trouvees dans divers ecrits en didactique des mathematiques.

11. Cette variable peut sembler anodine mais il n’en est rien. Dans sa these de doctorat, Renede Cotret (1991) a constate que certains themes etaient plus facilement percus par leseleves comme proportionnels.

12. Dans ce contexte-ci, des problemes seront consideres «meilleurs» que d’autres s’ils fontressortir une plus grande variete de procedures (erronees ou non) chez les participants.

13. Nous reviendrons sur cet aspect au point 5.14. Brousseau (APMEP, no457, p. 218–219) fait ressortir plusieurs autres caracteristiques de

cette situation.

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

68 LAJOIE ET SABOYA

REFERENCES

Bednarz, N. (2001). Didactique des mathematiques et formation des enseignants: le cas de l’Universite du Quebec aMontreal. Revue canadienne de l’enseignement, des sciences, des mathematiques et des technologies, 1(1), 61–80.

Bednarz, N., Gattuso, L. et Mary, C. (1995). Formation a l’intervention d’un futur enseignant en mathematiques ausecondaire. Bulletin de l’Association mathematique du Quebec (AMQ), XXXV(1), 17–30.

Boisnard, D., Houdebine, J., Julo, J., Kerboeuf, M. et Merri, M. (1994). La proportionnalite et ses problemes. Paris,France: Hachette Education.

Brousseau, G. (1981). Problemes de didactique des decimaux. Recherches en didactique des mathematiques, 2(1), 37–127.Brousseau, G. (1982a). Les objets de la didactique des mathematiques. Dans Actes de la Troisieme ecole d’ete de

didactique des mathematiques (p. 5–17). Orleans, France: Olivet.Brousseau, G. (1982b). Ingenierie didactique: d’un probleme a l’etude a priori d’une situation didactique. Dans Actes de

la Deuxieme ecole d’ete de didactique des mathematiques (p. 39–60). Orleans, France: Olivet.Brousseau, G. (2009). L’erreur en mathematiques du point de vue didactique. Tangente Education, 7, 4–7.Charnay, R. (1997–1998). De l’ecole au college, les eleves et les mathematiques. Grand N, 62, 35–46.Charnay, R. (2002). L’erreur, source de connaissance pour l’enseignant et pour l’eleve. Envol, 120, 33–39.Comin, E. (2002). L’enseignement de la proportionnalite a l’ecole et au college. Recherches en Didactique des

Mathematiques, 22 (2.3), 135–182.Cote, B. et Noelting, G. (1971). Qu’est-ce qu’apprendre, comprendre, savoir? Fonctionnement cognitif et apprentissage

de la mathematique. Quebec: Teleuniversite.Debien, J. (2010). Repertorier les modalites favorisant une demarche de developpement professionnel chez les en-

seignants de mathematique de niveau secondaire (memoire de maıtrise, Universite du Quebec a Montreal, Canada).www.archipel.uqam.ca/2789/1/M11272.pdf

Dufour-Janvier, B. et Hosson, N. (1999). L’etudiant futur enseignant en interaction, dans le cadre d’activites geometriquesvariees : observations et elements de reflexion. Dans B. Cote (dir.), Actes du colloque du Groupe de Didactique desMathematiques du Quebec, «De Euclide a Cabri: le point sur la didactique de la geometrie» (p. 39–53). Montreal:Universite du Quebec a Montreal, Departement de mathematiques.

Dupuis, C. (1981). La proportionnalite et son utilisation. Recherches en didactique des mathematiques, 2(2), 165–212.Duval, R. (1988) Graphiques et equations: l’articulation de deux registres. Annales de Didactique et de Sciences Cognitives

1, 235–253.Duval, R. (1993) Registres de representation semiotique et fonctionnement cognitif de la pensee. Annales de Didactique

et de Sciences Cognitives 5, 37–65.El-Assadi, M. (2008). Etude de la notion de proportionnalite chez des eleves du secondaire de la premiere nation crie

(memoire de maıtrise, Universite du Quebec a Montreal, Canada). www.archipel.uqam.ca/1890/1/M10687.pdfFenichel, M. et Pfaff, N. (2005). Donner du sens aux mathematiques (Vol. 2, Nombres operations et grandeurs). Paris:

Bordas.Gros, D. (2001). Une enquete statistique au service de la proportionnalite ou «tentative pour ne pas mettre la charrue

avant les bœufs». . . REPERES – IREM, 44, 69–80.Henry, E., Bednarz, N., Morand, J.-C. et Rene de Cotret, S. (1988). Procedures des eleves et developpement du raison-

nement proportionnel au secondaire. Document VHS. Montreal: Fondation de l’UQAM et CIRADE.Hersant, M. (2005). La proportionnalite dans l’enseignement obligatoire en France, d’hier a aujourd’hui. REPERES –

IREM, 59, 5–41.Hitt, F. (2003). Le caractere fonctionnel des representations. Annales de didactique et de sciences cognitives, 8, 255–

271.Janvier, C. (1993). Les representations graphiques dans l’enseignement et la formation. Les sciences de l’education, 1(3),

17–37.Janvier, C. (1996). Constructivism and its consequences for training teachers. Dans L. P. Steffe, P. Nesher, P. Cobb, B.

Riraman et B. Greer (dir.), Theories of mathematical learning (p. 449–464). Mahwah, New Jersey: Lawrence ErlbaumAssociates.

Julo, J. (1982). Acquisition de la proportionnalite et resolution de probleme (these de doctorat non publiee). Universitede Rennes 1, France.

Karplus, E. F., Karplus, R. et Wollmann, W. (1974). The influence of cognitive style. School Science and Mathematics,6, 476–482.

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013

QUELLE PLACE POUR LA RECHERCHE EN FORMATION INITIALE? 69

Karplus, R., Pulos, S. et Stage, E. (1983). Proportional reasoning of early adolescents. Dans R. A. Lesh et M. Landau(dir.), Acquisition of mathematics concepts and processes (p. 219–234). New York: Academic Press.

Lajoie, C. (2010). Les jeux de roles: une place de choix dans la formation des maıtres du primaire en mathematiques al’UQAM. Dans J. Proulx et L. Gattuso (dir.), Formation des enseignants en mathematiques: tendances et perspectivesactuelles (p. 101–113). Sherbrooke: Editions du CRP.

Levain, J.-P. (1992). La resolution de problemes multiplicatifs a la fin du cycle du primaire. Educational Studies inMathematics, 23, 139–161.

MELS. (2003). Programme d’etudes de mathematiques du secondaire. Quebec: Gouvernement du Quebec.MEQ. (2001). Programme de formation de l’ecole quebecoise. Version approuvee, Education prescolaire, Enseignement

primaire. Quebec: Ministere de l’Education, Gouvernement du Quebec.Noelting, G. (1978). La construction de la notion de proportion chez l’enfant et l’adolescent et les mecanismes

d’equilibration. Numero special (deux volumes) de L’APAME, Ecole de Psychologie, Universite Laval, Quebec(p. 1–70 et 71–174).

Oliveira, I. (2000). Um studio sobre a proporcionalidade: a resolucao de problemas de proporcao simple no ensinofundamental (memoire de maıtrise non publie). Universidade Federal de Pernambuco, Recife, Brasil.

Oliveira, I. (2008). Exploration de pratiques d’enseignement de la proportionnalite au secondaire en lien avec l’activitemathematique induite chez les eleves dans des problemes de proportion (these de doctorat, Universite du Quebec aMontreal, Canada).

Pfaff, N. (2003). Differencier par les procedures: un exemple pour la proportionnalite au cycle 3. Grand N, 71, 49–59.Rene de Cotret, S. (1991). Etude de l’influence des variables indice de proportionnalite du theme et du nombre de couples

de donnees sur la reconnaissance, le traitement et la comprehension de problemes de proportionnalite chez les elevesde 13–14 ans (these de doctorat non publiee). Universite Joseph Fourier, Grenoble, France.

Rene de Cotret, S. (2000). La didactique des mathematiques et la formation des enseignants: de la reflexion a l’action. DansP. Blouin et L. Gattuso (dir.), Didactique des mathematiques et formation des enseignants (p. 21–28). Mont-Royal:Modulo Editeur.

Saboya, M. (2010). Reflexions autour des differents objectifs poursuivis par l’evaluation diagnostique dans la formationde futurs enseignants de mathematiques du secondaire. Dans J. Proulx et L. Gattuso (dir), Formation des enseignantsen mathematiques: tendances et perspectives actuelles (p. 74–87). Sherbrooke: Editions du CRP.

Scallon, G. (1988). L’evaluation formative des apprentissages. Quebec: Les Presses de l’Universite Laval.Shulman, L. (2007). Ceux qui comprennent: le developpement de la connaissance dans l’enseignement. Education et

didactique, 1(1), 97–114.Sokona, S.-B. (1989). Aspects analytiques et aspects analogiques de la proportionnalite dans une situation de formulation.

Petit X, 19, 5–27.Tanguay, D. (2003). Un cours de didactique preparatoire aux stages. Dans Actes du colloque Espace Mathematique

Francophone « Sur CD-Rom. 7 pages. » Tunis, Tozeur: Editions CNP.Tournaire, F. (1986). Proportions in elementary school. Educational Studies in Mathematics, 17, 401–412.Vergnaud, G. (1983). Multiplicative structures. R. Lesh et M. Landau (dir) Dans Acquisition of mathematics concepts

and processes (p. 127–174). Orlando: Academic Press.Vergnaud, G. (1991). L’enfant, la mathematique et la realite: Problemes de l’enseignement des mathematiques a l’ecole

elementaire. Exploration: Serie recherches en sciences de l’education. Berne: Peter Lang.

Dow

nloa

ded

by [

The

Uni

vers

ity o

f B

ritis

h C

olum

bia]

at 2

1:40

11

Mar

ch 2

013