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L'Ampoule n°16

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Numéro 16 de L'Ampoule (juin 2015), revue littéraire et numérique des éditions de l'Abat-Jour, sur le thème « Audace & Irrévérence ».Avec les participations de Christian Attard, Sylvain Barbé, Bastien Bastien, Gabriel Berteaud, Patrick Boutin, Emmanuelle M. Bova, Henri Cachau, Angèle Casanova, Sandrine Cuzzucoli, François Debout, Marianne Desroziers, Jean-Baptiste Dumont, Enokat, Nadia Harre, Jean-David Herschel, Benoit Jeantet, Marc Laumonier, Manuela Legna, Le Golvan, Lemée, Lordius, Sébastien Marcheteau, Danièle Momont, Vlad Oberhausen, Raymond Penblanc, Jérôme Pitriol, Georgie de Saint-Maur, Olivier Savignat, Alice Scaliger, Antonin Sobel, Audrey Tison, Marlène Tissot, Stéphane Werth et WIL.

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  • Japprochais Louise Bourgeois. Le rendezvous mavait t accorddans sa chambre, aprs tant de refus. Javanais tel Rousseau, montapuscrit la main, devanant jamais une trane dintellectuels et deplasticiens reconnus mais pour le coup pris de court ! Rien ne mtaitacquis que ce simple ttette son chevet et le risque constant de mevoir congdier pesait plus lourd encore que mes maladresses venir, que lahonte davoir ressortir de cet immeuble recueilli sans Sa prface ou queces regards dun entourage dj trop mdicalis. Jexigeais trop debizarrerie en ngociant la prface dune simple nouvelle, 5000 signesdorgueil ! Mais jen tais l, dans laudace et qui sait ? dans le charmede ma jeunesse. Japprochais Louise Bourgeois.Javais cependant pour moi un antcdent flatteur qui avait denfoncer bien des portes mon intention : ma je peux dire ma prface de Ren Char mon premier roman. On me lavait prsent tel uncolosse dont la voix terrasse, je lui trouvais un corps devenu chtif et letimbre un peu voletant on le disait taciturne, il sest rpandu enanecdotes, hsitantes parfois on mavait dit sa passion pour la peinturesur galets, je lui en portais un, dnich chez ma tante qui habite sa rgion,avec le secret espoir de repartir avec sous le coude une uvre du matre etun sujet dbahissement pour mes contemporains. Il mavait lanc que samain ntait plus sre et il est trop rond ton caillou , avec ce phras preet dfinitif de lhomme sigeant lessentiel des tres et des mots unesorte de langage primal, prpondrant : un aboutissement.Et il avait accept. Et le moindre mrite dont je me targue est davoirfavoris une fois de plus, lachvement de sa vie, la parole du matre, l oson silence hantait et rglait le monde des lettres. Il mavait poliment rendumon caillou je lai gard comme une trace plus concrte de notrerencontre. Il y avait tout de mme pos la main !Jai attendu le papier, tordu de stress. Sept mois dune gestationbillonne, priv du droit de le revoir, de presser les choses. Jattendaismes feuillets hypnotiques, saigns de son criture presque rupestre : uneuvre plastique part entire et je blanchis mon me un magot pourmes vieux jours. Cest avec une demipage dactylographie que jai poussGallimard, Denol, Actes Sud, Seuil et les autres lvidence. Imaginez lespectacle rjouissant de lincrdulit ! Chez Flammarion, jai mme faittoucher ledit caillou que javais port comme une relique un JeanMarc Roberts mdus !

  • Questce que vous voulez que jcrive ? Madame Bourgeois, je ne me permettrais pas. Ce sera dj unhonneur si grand !Oui, la formule est pompire au possible mais jai plac mon futurde ralit : cela sera ! La peau de lours ou de lorange Et puis, jai du mal lire mme avec mes lunettes. Plus rien nyfait. Cest pour cela que ce nest quune courte nouvelle ! Je peuxmme vous la lire cela prendra un rien de temps !Bref comment dvaloriser des nuits de fivre sculpter le dur de lamatire, mme pour 5000 signes. Courte nouvelle trop jouer latautologie et laide domicile, jirai me la faire crire ailleurs, ma prface ! Vous savez, je lisais surtout des histoires, comment dire,sentimentales ! Cest l votre complexit, madame.Jai failli lappeler Louise. Manifestement, cest mon approcheflagorneuse et ampoule qui complique tout elle grimace et rougit un peu.Je sens la gne nouer ses belles mains dartiste. Elle est coquette sesongles sont faits, un grenat, son parfum. Un compliment, vite ! Vous tes gentil et je vois bien que a a lair important pour vous,maisElle respire fort. Cest embarrassant. Je men remets vous Ce sera non, monsieur Je me permets dinsister. Louise, une ou deux lignes ! Je ne peux pas Dictezlesmoi, cest gal ! Je vous donne le dbut ? Je ne peux pas, je ne sais pas ! Laissezmoi sil vous plat ! Allez, voyons ! Une femme de votre trempe ! Une artiste si Vous me fatiguez, monsieur. Sil vous plait, je suis si fatigue.Partez, sil vous plait ! a sert quoi alors la notorit de lart ? Je vous en supplie !videmment, lentourage se manifeste et on appelle du renfort.Voil je suis importun on mconduit vite. Je ne reverrai plus LouiseBourgeois qu sa mort. Il ny a qu attendre et la simple anecdote quenous nous sommes entretenus de ma nouvelle tiendra assez lieu de prface.Cest donc fait !Sur le perron, le soleil me foudroie une bouffe de chaleur schecontraint ma respiration je respire trop fort. La route nationale drouleses chos sourds, un rance de colza que javais ignor jusquel : tout un

  • dcor qui me tombe dessus en fin de compte. Lpreuve maura mis lesnerfs en courtcircuit. Je profite du temps quil me reste pour me calmer etpeler une des oranges que je ne lui ai pas laisses. La voiture est un fourinutile sur le parking visiteurs. Pass la grille automatique, jirai macheterun camlia chez Jardiland.

  • Je te vois !Cest vrai que jai le regard immobile. Cest vrai que je suiscondamne admirer le montant du lit avec ses deux boules dbne. Cestvrai que je te devine l, sur le ct, et que tes parents simpatientent en facede moi. Si seulement on mavait donn le choix, un ciel dorage auraitavantageusement remplac la vision de ces deux pouvantails cramponns leurs chaises. Tiens ! On dirait que ton gniteur simpatiente, il lorgne sursa montre, il se courbe lgrement pour se masser le mollet. Cest defamille. Il a hrit de mes problmes de circulation. Et ta mre pendant cetemps ? Elle narrte pas de me lacrer des yeux. On dirait du mtal enfusion. Aucune motion lhorizon. Ni regret, ni mansutude. Ta mre, dela mansutude ? Tu plaisantes ! Cent contre un quelle enrage aprs lamdecine et ses serments stupides. La vie, vaille que vaille ! Cote quecote ! Et dieu sait si je cote ! Une journe de grandmre cest le prixdun allerretour au Touquet ou mieux, deux jours Disneyland pourlaffreux gamin dont lombre sagite sur ma droite. Pathtique ! Regardezmoi cette comdie, cette compassion de pacotille. Vos silences se passentde mots. Vos poses affectes nimpressionnent gure que les infirmires.Voil limage que je supporte longueur de temps. La dernire quejemporterai avec moi. Arrive au ciel je la dchire. Mme pas un sourire dela part de mon fils douard, un larbin aux ordres de sa femme. Un vraitapis dcoratif. Jai d accoucher dun paillasson mle. Si seulement vouspouviez vous abstenir de minfliger ces ttes denterrement. Sans cettemaudite paralysie gnrale ma dolance serait dj sur le bureau duDirecteur. Une dolance humaniste ! Interdire ces visites dpourvues demansutude qui sapparentent un avantgot de cimetire. Une rptitiongnrale en somme. Un autre mouvement sec. Mon paillasson sagite surson sige, les fourmis grimpent, les jambes simpatientent. Cest cela,dplieles, massetoi les mollets, remplis les minutes comme tu peux.Bande dhypocrites ! Rapaces ! Mme toi, le sale gosse planqu en retrait.Tu timagines que je tai oubli ? Labruti sa maman, avec son nez aplati,ses lvres trop rouges et ses mches cuivres de premier de la classe. Enattendant tu redoubles. Comme si je ne devinais pas ton ombre glisser surma droite et ta main triturer la poigne de la fentre. Je te vois pivoterautour de la table de chevet et te baisser discrtement pour soulever mondrap en te pinant le nez. Admire ! Tu fais sourire ta mre. Elle ne se cachemme pas, fire de lhumour pitoyable de son mioche. Huit ans et dj

  • aussi con quun vieux. Un abruti satur de courants dair dont le passetemps favori est dcarteler les grenouilles aux abords de la mare. Cest lapremire chose que je demanderai lhaut, que ce mioche soit rincarn engrenouille.Je perds la vie mais pas la vue. Japerois encore la cloison vitredonnant sur le couloir. Des chariots pleins croisent des chariots vides, lesdmarches sont rapides, les blouses blanches se soulvent en dcrivant desdanses ariennes. Parfois une infirmire sarrte et scrute lintrieur de lachambre. Pauvre vieille , quelle doit se dire ! Elle a bien de la chancedavoir une famille. Si elle savait ! Tout bien rflchi, une paralyse cestune presquemorte. Comment jai perc leurs intentions ? Tout simplementen surprenant les doigts boudins du sale mioche sur le conduit de laperfusion. Il ne ma pas fallu une minute pour comprendre la raison de leurvisite. Le pouce et lindex appuyaient par saccades, pressaient le plastique,ralentissaient le liquide, le gouttegoutte sespaait. Un spasme a comprim ma poitrine. Jtais prisonnire de fils barbels qui tranglaient mesveines. Mes lvres se tortillaient en livrant des spasmes grossiers, jesuffoquais sans que personne ne bronche. Cest alors que jai ralis queleur arme ctait le gosse. Il sest pench pour voir le rsultat de son travail,il est apparu dans mon champ de vision, nos yeux se sont croiss pendantque ses doigts se refermaient sur le tube. Je lobservais avec une telleintensit quil a fini par lcher. Il sest tourn vers sa mre le regard affol.Interrogateur. Elle affichait un grand sourire en opinant de la tte, unencouragement silencieux qui semblait dire : Continue, mon petit. Cestbien ! .Que voisje ! Ton pre fustige ta mre des yeux, le menton dressvers un endroit prcis de la main quelle se dpche de dissimuler. Troptard, jai vu ! Le reflet vient de disparatre au creux de sa paume maislanneau brille encore. La garce ! Elle na pas perdu de temps, elle a djvid ma bote bijoux. Le calme revient, un ange passe. Paillasson pre maccorde une ultime attention, mitriste, mirsigne, il y a bien longtemps quil a abdiqu devant sa femme. Un faible.Les voil qui se lvent. Jai d manquer un pisode, ils ont dschanger un signe furtif. Maintenant ils se dirigent vers la porte. Lesmains sortent des poches. Dici peu les cigarettes vont surgir. Jai compris ! eux lalibi champtre et le bol dair au fond du parc. Alors petit, tattendsquoi ? Si jeune et dj des problmes de conscience ! Au fond je te plains !Je te vois flotter sur ma droite. Ton ombre se dplace doucement. Je devinetes petits doigts qui se dplient, qui se donnent du courage, qui caressentle montant daluminium. Si tu ninclinais pas la tte pour scruter le sol,tes gestes seraient plus prcis. moins que tes chaussures tinspirent

  • davantage que mes yeux. Tu fais un drle de tueur en socquettes. Maparole, tu as perdu ta superbe. Ah oui, joubliais, ta mre nest plus l pourte soutenir. Elle et ton pre tont laiss la sale besogne. toi la btise ! Onmettra a sur le compte de lge mental. Alors, a vient ? Que tu peux trebalourd ! Serre donc ! Encore un froussard ! Un paillasson bis. Enfin ! Pastrop tt ! Les flocs sespacent. Cest quoi ce bruit ? Tu renifles. Pourquoi turenifles ? Tu ne serais pas en train de pleurer des fois ? Tu viens decomprendre. Rien voir avec les grenouilles de ltang. Tu menvoies lamort sans te douter que moi aussi. Ta mmoire ma grave tout jamais.Serre plus fort, cest a. Tu as eu tort de me regarder tout lheure. Je ne telcherai plus ! Plus jamais ! Je suis maintenant dans ton crne. Tu as beaute tenir de profil et regarder le sol insipide, tu ne mchapperas pas. Letuyau a entirement disparu dans ta main. Mon corps explose, jailimpression que mon thorax se brise en mille morceaux et que des crocspuissants me transpercent de lintrieur. La douleur est terrifiante. Je tiensbon parce quau bout de la souffrance, il y a la rcompense. Ma rsurrection. Mes yeux vont senraciner dans tes jours jusque dans tes nuits. Tesrves ne mchapperont plus. Ils sont moi dsormais. O que tu ailles, oque tu te caches, nous sommes un rendezvous perptuel.Cest a. Agrippetoi. Serre le tube. Pliele !Seulement il est trop tard. Je suis dans tes entrailles, dans les secretsde ton me. Nous deux, cest pour lternit. la moindre faute dinattention je surgirai sans prvenir. Coucou ! Tu te souviens ? Cest moi tagrandmre. Comment vastu mon chri ? Heureux ? Quand tu fermerasles paupires pour mchapper, je me glisserai dans un autre coin de toncerveau. Recoucou ! Cest encore moi. Tu dors ? Mes yeux illumineront tammoire au point quils dcideront de ton film du soir, que prfrestumon garonnet ? Une comdie humaine ou un cauchemar intrieur ?Joubliais ! Inutile de venir tapitoyer sur ma tombe. Ne te donne pas cettepeine. Je ny serai pas, puisque nous logeons sous le mme toit, nosconsciences enlaces lune lautre comme des amoureux. Tu as djaim ? Non ? Voil une jolie occasion dapprendre. Ma vision devientapproximative, je repre ta silhouette stirant dans tous les sens, un coup gauche, un coup droite. On dirait une marionnette plante sur un ressort.Srement que ta main sankylose force de serrer. Regarde tes doigts, ondirait des coquillages cramponns un rocher. Un murmure ? Jentends unmurmure. Ma parole, tu pleures ! Oh, le petit chou ! Fais couler ! vacue lechagrin. Les larmes cest fait pour a, cest juste du chagrin qui sen va.Compare toi, jai de la chance. Je suis lintrieur. Au sec. labri desturbulences de lme. Pour un peu, tu remonterais dans mon estime salegosse sale gosse sale go

  • Je voudrais que a ait commenc autrement.Un prsage trange dans un biscuit sec, un vieux Chinois mechuchotant ses avertissements sibyllins depuis le fond de sa boutiqueobscure mais existetil encore de tels personnages, except dans lesfilms ? Un signe avantcoureur quelconque Cela donnerait monhistoire, si ce nest un sens, du moins une certaine cohsion. Mais non.Tout a dbut sur une plage brsilienne, avec les cris porcins dunebourgeoise en pleine noyade.Entre deux ges, entre deux eaux, elle sest cramponne moi, sonsauveur, comme pour mentraner par le fond avec elle. Auraisje eumeilleur compte la laisser masphyxier ce jourl ? Cest sa gratitudefanatique et ma btise, que jai prise lpoque pour de laudace queje dois de me retrouver ici ce soir, dans cette somptueuse villa de SaintGermainenLaye, do les invits murmurent quon devrait me chassersance tenante. Ils me croient sans doute ivre, jaimerais tellement que cesoit le cas. La vrit sur mon tat personne ny croira jamais.Je mavance. Revenons ma rencontre avec Mme Ostent, il y a huitmois de a.Une fois la rescape ramene sur la plage, ignorant sesremerciements entrecoups de quintes de toux, je nai pas attendulongtemps avant den tre dbarrass par les secours. Et je pensais nejamais la revoir, bien dcid que jtais continuer ma traque aux jeunesfilles de bonne famille. Ctait sans compter sur cet acharnement quont lesgens seuls sagripper au moindre contact social nou, surtout lorsqueceluici implique une forte dose dadrnaline, et une histoire palpitante raconter. Elle ma donc retrouv, facilement qui plus est moi et mamanie de toujours chasser sur le mme banc de plage Retrouvaillesthtrales, effusions frntiques, et jen passe. Ce nest quaprs le cocktailquelle ma offert que jai compris que, malgr son accoutrement cheap etsommaire, elle tait riche. Quelque chose dans sa faon de parler auserveur Je sais les reconnatre Aprs tout, jen vis.Je mappelle Louis Deranis un nom demprunt plus chic que monBidos natal et je suis un imposteur. Rio de Janeiro, il ne mavait past difficile de ferrer, par le biais dune connaissance tout aussirecommandable que moi, quelques fortunes locales piques de francophilie. Elles me prodiguaient de quoi mener une existence dlicieusement

  • oisive. En change, je leur donnais des leons le mot est fort sur lalangue de Molire et quelques bribes de culture pour briller dans les soiresmondaines. La bonne socit carioca compte plusieurs de ces dames quisentourent de coachs et de professeurs particuliers comme dautant decourtisans. Une marotte bien dcadente, mais infiniment bienvenue pourceux qui, comme moi, aiment travailler peu tout en vivant bien. Pendant untemps raisonnable, en tout cas. Mais pour que le charme opre, mieux vauttre exotique.Or, Mme Ostent tait franaise. Pire, parisienne. Notre drame, nous les Parisiens, cest de toujours tomber sur nos compatriotes mme lautre bout du monde, que ce soit des tudiants en vacances ou des couplesen lune de miel. Ajoutez cela loccasionnelle veuve pleine aux as que lonarrache une mort certaine.Son dada ? Les nouveaux pays mergents. Persuade que les BRICSdomineraient bientt le monde, elle stait mis en tte dinitier son uniquerejeton la culture des futures puissances plantaires. Cest trs bien davoir commenc par le portugais, massommaitelle. Mais vous ne devriez pas vous arrter l. Le russe, par exemple, a, avous ouvrirait des portes !Je luttais contre la lthargie. Et surtout, surtout, mon petit Louis : le chinois !taitce lennui ou lagacement ? Lenvie de me payer sa tte laemport et je me suis entendu rpondre : Quoi, le mandarin ? Mais je le parle couramment, chre madame.Sa mine pantoise a rveill mon intrt. Quelle tte ! Jai dcid devoir jusquo je pouvais pousser le bouchon. Jai travaill luniversit de Pkin, aprs mes tudes lInstitutdes langues orientales. Oh ! atelle piaill, ravie. Louis, vous avez tout compris ! Maispourquoi avoir quitt un poste pareil ? Ah, si josais Jai bien essaydintresser mon Jrme au chinois, mais je narrive pas lui fairecomprendre quel point son avenir en dpend. Si josaisL, cest moi qui ai os, pour le coup. Lune des cls de mon activitrside dans la mobilit. Javais fait mon temps Rio, et je savais quil nefaudrait pas trois mois mes respectables mcnes pour me remplacer parun professeur de tennis ou un gourou New Age. Et javais en face de moiune douairire qui, non contente dtre idiote, me devait la vie.Ignorant la question de mon prtendu abandon de poste, jai prisune gorge nonchalante, ainsi que lair le plus srieux du monde, avant debaisser la voix.

  • Coline Vous permettez que je vous appelle Coline ? ChreColine, aije poursuivi sans attendre son assentiment, et si je parlais moimme votre fils ?Vous voulez scotcher lattention dune femme mallable ? Rptezson prnom aussi souvent que possible. Je nallais de toute faon pas quitter Rio sans vous avoir dner !Vous tes mon sauveur, mon petit Louis, je vous dois bien a ! Mais pour cequi est de convaincre mon fils, ah l l, atelle achev en secouant la tte.Jai lev le doigt, arm de mon sourire le plus provocateur, un airque je me composais lorsque je tenais une prise. Faitesmoi confiance.Comme si jallais perdre mon temps raisonner le petit prince ! Luiserait peuttre assez malin pour se trouver un professeur de mandarinqualifi. Mais aucun dentre eux naurait sorti Coline Ostent des vagues deCopacabana, ni russi la charmer comme seul sait le faire un LouisDeranis.Quelques jours plus tard, nous tions tous les trois dans un avionpour Paris. Comment un type comme moi sy prend pour embobiner unecible aussi rapidement ? Eh bien, cest un mtier. Un vrai.Dabord il vous faut analyser la cliente . Quelle soit crdule nestpas suffisant : la parfaite poire est un mlange parts gales de vanit, deromantisme frustr et de manque de confiance en soi. Ajoutez une pincede complexes lis la petite enfance, remuez le tout et servez bien frais. Lesfemmes panouies sont la ruine de mon commerce. Pire, si je souponnechez un mari ou amant un vague souci de ce que sa bourgeoise dpensepour ses loisirs, je bats en retraite. Heureusement, ces btesl sont raresdans les cercles que jai frquents Rio. Javais pu tranquillementponctionner le compte en banque de ces messieurs par le biais de leursgnreuses compagnes, sachant quun homme riche et orgueilleux se refuse compter ce que madame dilapide. Ah, les grands seigneurs des paysmergents Si javais t cynique, je les aurais faits cocus pardessus lemarch. Pas par envie, simplement pour en rire plus tard.La deuxime tape rside dans le bachotage. Les bonnes damesdIpanema, Copacabana et Leblon se frquentant assidment, javais dlimiter mes champs dexpertise prtendus pour rester crdible. Dordinaire,quelques vieux ouvrages de vulgarisation font laffaire, aprs avoirparcouru ce quInternet offre de plus synthtique sur un sujet dont jematrise dj les bases : littrature, art, musique Mon charme et monassurance font le reste.Le coaching de vie mavait tent, une poque, mais pour quelquuncomme moi, sans relles comptences ou formation srieuse, il requiert un

  • tel talent de manipulateur que je ne mtais pas senti la hauteur.Courageux mais pas tmraire. Jusqu lincident Ostent, cette aventurequi a ruin ma vie.Jessaie encore aujourdhui surtout aujourdhui de mexpliquerce qui ma pouss passer la vitesse suprieure en me dcrtantprofesseur dune langue dont je ne parlais pas un tratre mot. La seuleexplication que je trouve est que lennui, le besoin dun dfi et la certitudeque je pouvais faire beaucoup mieux, ont excit chez moi lapptit durisque. Fort de mes modestes succs au Brsil, jai cru pouvoir entrer dansles annales comme le parasite le plus culott de Paris.Les mois qui ont suivi notre retour en France ont t les plusentreprenants de ma carrire. Javais trouv bien avant le voyage unstratagme que je pensais ingnieux : prendre une mthode Assimil etavoir systmatiquement deux ou trois leons davance sur Jrme. Lors dudner o sa mre nous avait prsents, je lavais devin suffisamment peumotiv pour ne jamais me poser de questions. Les tudiants franaisaffichent dans lapprentissage, et particulirement dans celui des langues,une passivit qui ne cesse de me fasciner. Et qui a bien arrang mes affaireslorsque mon lve et moimme avons entam nos leons. Ostent fils nefichait pour ainsi dire rien, et me laissait lassommer de digressionsdestines rallonger nos sances sans veiller les soupons de la mre surla superficialit de mes enseignements.Et comme je sais si bien le faire, jusais de mille flatteries pour memettre Coline dans la poche. La convaincre des progrs de son cher angeme parut dune facilit dconcertante, mme pour moi. Galvanis par laconfiance quelle me vouait, je rayonnais chaque jour un peu plus et medlectais de voir mon aplomb la faire fondre. Un compliment sur lescapacits de fiston parci, une repartie spirituelle parl, et elle se laissaitenvoter par son petit Louis.Jai lou une chambre de bonne, en attendant que moninvestissement porte ses fruits. Sous couvert dune thse terminer, jereprenais les cours particuliers qui mavaient fait vivre dans une autre vie.Une activit sympathique, mais rien ngale le plaisir grisant denseigner cequon ignore, le frisson de limposture. Je comptais amener progressivement ma mcne mentretenir plein temps, puis pourcouronnement de mon coup de poker mintroduire dans des sphres oje pourrais pingler une jolie dot. Lhritire du groupe Laforcade, dontColine disait compter le pre parmi ses amis les plus proches, me tentaitparticulirement. Jamais je naurais pu rver aussi haut autrefois. Parisnest pas Rio, y faire son trou arm du seul talent que jaie jamais possddemande des annes deffort et un rseau qui me manquait jusqualors.

  • Cest pourquoi jtais prt tous les sacrifices pour massurer uneplace permanente dans la vie de Coline, un spcimen de pigeon unique enson genre. Non seulement elle avait le bon got dtre veuve depuis desannes, mais elle me facilitait encore la tche en refusant de remplacer M.Ostent, un nouveau riche dont le portrait vous toisait dans chaque pice dela maison lexception de la chambre du fils. Je suis donc devenu leconfident de ses questionnements ordinaires, puis de ses tourments lesplus intimes. Un soir sur deux, aprs avoir copieusement menti sur lintrtde Jrme pour le mandarin et sa soif dapprendre, jendossais le costumede lami fidle. Je la plaignais lorsquelle se sentait seule, lapprouvaisquand elle sindignait de quelque vulgarit entendue un dner, etmextasiais devant telle ou telle atrocit quelle stait fait refiler dans unegalerie la mode. prix dor, a va de soi. Je minquitais dailleurs deconstater que je ntais pas le seul profiteur lui tourner autour. Si dautressamusaient la traire dans mon dos, il allait falloir que jy mette le hol unjour sans la vexer : lorsquune poire se rend compte quon la traite commetelle, elle finit par se mfier de tout le monde, y compris de sonsympathique piqueassiette. Mme sil lui a sauv la vie.Rien ne ma t pargn durant mon entreprise de sductionplatonique. Quelle me trane une confrence sur les perspectivesconomiques dans les pays mergents ou mappelle au milieu de la nuitparce quelle avait eu des palpitations inquitantes , je suis reststoque, toujours fix sur mes objectifs.Si ma bienfaitrice me tapait de plus en plus sur le systme, je doisquand mme reconnatre que les rudiments de langue chinoise appris aucours de ces quelques mois mont distrait de lennuyeuse compagnie desOstent. Jai mme russi matriser de quoi alimenter un dbut deconversation tandis que mon apprenti baragouinait peine les politessesde base. Et le jour est enfin arriv o ma persvrance allait se voirrcompense. Du moins, cest ce que je croyais.Lucien Meynard, lun des grands amis de Coline, etaccessoirement lun des plus gros exportateurs de vins franais au monde,organisait une rception pour lanniversaire de sa fille. Chagrine de navoirplus eu de cavalier pour ce genre doccasions depuis feu M. Ostent, la bravefemme a tenu my inviter. Il y aura quelquun que je tiens vous prsenter , atelle ajout dun air quelle voulait mystrieux. Je latrouvais touchante lorsquelle essayait de se rendre intressante. Et pourune fois, elle a russi piquer ma curiosit. La fille de Meynard taitfiance, Coline men a rebattu les oreilles pendant tout le trajet jusquSaintGermainenLaye. Il ny avait donc rien esprer de ce ctl. Maisqui sait, lune de ses amies ou cousines

  • Durant les rjouissances, je peux dire sans me vanter que jai t aumeilleur de ma forme. Aprs les politesses dusage envers le matre demaison et sa ravissante fille, je me suis lanc lassaut des convives commeun sportif un jour de comptition. Charmant avec les dames, brillant avecles messieurs, malicieux avec les demoiselles Un vrai dandy de gala.Javais dailleurs pu me faire payer des vtements neufs pour loccasion merci, chre Coline. Naviguer dans ces eaux nouvelles a t un challengeautrement plus lectrisant que de jouer au Franais cultiv Rio. Il enfallait, de la gnaque, pour berner des compatriotes sur ma vraie nature,dans un univers plus snob quaucun Brsilien, mme riche, ne pourraitjamais ltre. Et comme je men sortais merveille, je nai rien vu venir certains diront pourtant que a me pendait au nez.Jai vol haut, si haut que je me voyais dj rafler la petite Meynardsous le regard impuissant de son fianc. Bien sr, je nen ai rien fait. Jaigard une prudence de bon aloi chaque fois que mon domaine decomptence fictif tait voqu. Jarrivais heureusement me faire valoirdavantage comme un avenant jeune homme que comme le professeur demandarin de Jrme Ostent, qui avait eu la bonne ide de sedcommander, au grand dam de sa mre et pour mon plus grandsoulagement.Toutes les bonnes choses ont une fin. Et la fin, pour moi, sestprsente brutalement lorsque Coline ma enfin retrouv dans le jardin ojessayais de lui chapper pour la journe. son bras, Meynard semblaitmener une enfant impatiente de faire un tour de mange. Louis ! Vous tes l ! Je vous ai cherch partout, gazouillaitelle. Et vous mavez trouv, Coline !Je me suis rsign. Il fallait bien que je lui tienne un peu compagnie,aprs tout. Notre ami est enfin l. Venez, venez ! On va vous prsenter toutde suite.Pour ma dfense, le e manquant ami est un dtailindtectable loreille. Je me suis malgr cela senti bien stupide lorsquecest une silhouette masculine qui est venue ma rencontre une fois quema protectrice ma entran lintrieur. La dception a immdiatementfait place leffarement. Devant les traits asiatiques de lami en question,jai senti le pige se refermer avant mme que Coline ne prononce, commedans un mauvais rve : M. Yu nous arrive tout droit de Shacheng, pour ses affaires avecLucien.Lhomme sest inclin. Jai senti dans mon dos la main de Meynardrejoindre celle de Coline, encadr que jtais comme une fiance que lonprsente son futur poux avant un mariage arrang.

  • Paternaliste, notre hte sest voulu encourageant : M. Yu, Mme Ostent ne tarit pas dloges sur ce jeune professeurmrite qui enseigne le mandarin son fils.Jai lu quelque part quen cas de stress intense, la Nature aprogramm notre systme sanguin pour irriguer davantage nos membresinfrieurs, afin de faciliter la fuite. Dommage quelle nous ait aussiprdisposs la paralysie. Le sang a quitt mon visage et laiss derrire luides sueurs glaces, presque aussi froides que la main de lhomme, que jaiserre comme un automate. Son sourire fig se fendillait comme duparchemin. , sestil content de dire.Pas bavard ? Javais peuttre une chance de men sortir avec mesmaigres bases, il suffisait quil sintresse aussi peu moi que moi lui. Ilvenait de faire un long voyage, peuttre avaitil eu peine le temps de serafrachir son htel. , aije rpondu tout en pensant :

    Mais cet enfoir sest lanc dans un petit laus, bien sr, avec lachance que javais Mon cerveau carburait cent lheure, peinant dcrypter son charabia un peu plus chaque seconde. Jai compris unephrase qui ressemblait un compliment. Puis les mots aimable , voyager , anniversaire canard ?Je fondais grosses gouttes. Les regards de mes deux entremetteurspesaient sur moi dune implacable admiration, ils croyaient que je suivaiscette logorrhe qui nen finissait plus.Simuler un malaise ? Trop gros. Coline seule y aurait cru, etMeynard se serait charg dveiller ses doutes.Silence. Tous trois attendaient que je rponde, mais quoi ?Alors, jai fait la seule chose qui simposait, en dsespoir de cause.Jai ouvert la bouche et sorti les quelques politesses que je connaissais.Jtais persuad darticuler de faon dplorable, et pourtant le sourire deYu sest largi en une sincre approbation. taisje dou au point davoirmatris la prononciation pinyin en si peu de temps ? Le Chinois macompliment sur ma diction et, lorsquil a enchan sur le plaisir quilaurait discuter avec moi des relations entre nos deux pays, je me suistonn de comprendre mot. Son vocabulaire tait pourtant pluscomplexe quil y a quelques secondes Ma stupeur a redoubl lorsque jeme suis entendu rpliquer des remerciements beaucoup plus labors quetout ce que javais lu dans ma mthode Assimil. Loin de me rassurer, mon

  • talent inexplicable ma fait craindre des prolongations. Heureusement, unnouveau serrage de mains ma indiqu que mon supplice tait fini. Pardonnezmoi si je dois vous emprunter M. Yu, ma dit Meynardavec une claque dans le dos. Je vous le rendrai ds que possible pour quevous puissiez faire plus ample connaissance.Cette terrible promesse appuye dun clin dil, les deux hommestournrent les talons en devisant dans un anglais pouvantable.Encore ttanis, javais presque oubli la prsence de Colinelorsquelle a enfin retir sa main de mon dos, me faisant sursauter. Ils ne peuvent se rejoindre que sur langlais, vous comprenez.Mais en cas de souci, vous pourrez servir dinterprte, nestce pas ? Oh,bien sr, Lucien compte sur votre discrtion sur tout ce que vous traduirez.Je me sentais si vide que je ne me demandais mme plus commentje mtais fourr dans une situation aussi prvisible. Par contre, ladcouverte de ma science nouvelle me taraudait. Louiiiis ? a ne vous drange pas, nestce pas ? Je pensais vousfaire plaisirJai invoqu ma fatigue, relle, et lui ai demand de mexcuser. Maisje nai pas pu quitter la pice comme je le voulais. Pas aprs avoir entendule son de ma propre voix. Coline a clat dun rire niais et ma attrap lebras. Oh, mon petit Louis, arrtez de me taquiner. Questce que vousavez dit ?Ce que javais , ctait : Excusezmoi, je suis fatigu. Mot pourmot. Par contre, ce que javais , ctait : Jai essay de me corriger, de lui expliquer que je voulais juste allerme reposer, mais je nai russi qu dverser des flots de mandarin.Inexplicable pour moi, incomprhensible pour elle. Nous nous sommesdvisags, aussi stupides lun que lautre. Allons, Louis Ce nest pas trs gentilLa panique me rendait son regard de dindon plus insupportableencore, et ces yeux vacants qui me renvoyaient mes propres questionsMa troisime tentative a t un hurlement grotesque qui la faitreculer. Nous avons jou lespace de quelques secondes qui allait senfuirle premier. Jai gagn.Le seuil de la portefentre ma fait trbucher droit dans les brasdun binoclard BCBG qui jai bredouill des excuses quil na pascomprises. Pas plus que les jurons que jai sems dans mon dos encontinuant mon chemin. Je nai pas compris tout de suite o jallais, dansquel but mes jambes avanaient seules. Arriv au buffet, jai attrap unecarafe avec un fond deau et me suis asperg le visage dun seul coup,

  • provoquant des oh ! guinds autour du plateau fromages. On madoucement attrap lpaule, une voix masculine sest inquite de masant. Jai commis la gaffe de repousser linconnu en criant :videmment, ce nest pas ce qui est sorti de ma bouche, et si tout lemonde ma entendu, l encore, personne ne ma compris. Vieilles peauxtrop maquilles, jeunes plantes trop vtues, costards impeccables : trs peutaient amuss, beaucoup me jugeaient, tous me regardaient.Jai eu le rflexe de reprendre contenance, pas celui de me taire.Nouvelles excuses, et des murmures se sont levs. Estce quils mecroyaient ivre ? Ou en proie une crise de nerfs (je nen tais pas loin) ?Jai aperu Meynard, sans Yu, et je me suis prcipit vers lui. Yu ! Lui seulme comprendrait ! Le matre des lieux sest raidi quand je lai pris par lesbras en bafouillant. Dinquite, sa mine sest faite svre. Jai rpt commeun autiste le nom de Yu pour quil comprenne, remarquant peine le gestequil esquissait de la main. Pas mon intention. Je rptais encore le nomquand Meynard sest fendu de quelques mots mielleux destins mecalmer. Il me parlait comme un fou. Je continuais de rpter Yu quand des mains fermes mont tir en arrire, et que des bras montentran loin du buffet, de Meynard et de ses invits.Et tandis que je continuais de supplier, jai compris quilsmemmenaient plus loin encore : loin de toutes les belles rceptions, loindes jolies hritires et de leurs dots, loin des Coline Ostent et loin desleons de mandarin.

  • Comme jaimerais tre une crature immatrielle... Pouvoir savourerla sensation dtre intangible, devenir une conscience libre de la prisonbiologique quelle subit chaque seconde de son existence. Mais je ne suisquun corps de chair et de sang. Jai froid et jai peur. perte de vue la nuit,les toiles et locan... Derrire moi une carcasse tordue, les mts briss,coule lentement. Je ne me retourne pas. Je nage sous la pleur grle de lalune. Un vent glac saisit de blmes cumes pour les parpiller dans lestnbres. La peau lisse des flots est boursoufle de vagues aux originessubaquatiques. Surtout ne pas paniquer. Mes muscles sont crisps,douloureux. Je devine ce vide incommensurable fait deau et de mystre. Jetente de percer du regard ce miroir immense. Que peut bien cacherNeptune dans les profondeurs de son royaume lui dont la respirationprofonde perturbe ainsi la stabilit des lments ? Des secrets inavouablesprobablement, dont lexistence est une atteinte la notion de vie ellemme. Fou celui qui oserait sy confronter ! Ou hroque... Jessaye de nepas me perdre dans des considrations qui pourraient me mener ladmence. Je me concentre sur linstant prsent. Survivre ! Cependant jai lepressentiment que je ne verrai pas le soleil se lever. Les remoussaccentuent. Des vagues dferlent dans lobscurit. Elles grondent dunevoix rauque. Des clats livides lacrent par intermittence les eaux noires.Ils se refltent dans le ciel constell. Emport au gr des courants, je meretrouve au sommet dune de ces montagnes deau. Je distingue lescontours dchiquets dune le inconnue. Je reconnais les restes dliquescents dun volcan. Sur ce squelette de terre des formes incertainesdansent autour dun monolithe. Il me semble entendre des incantationsdun autre temps mais je ne peux mapprocher plus. Une violente attractionvenue des abysses menlace sans que je puisse rsister. Affol, les toiles,locan et le ciel se mlangent. Je coule dans les profondeurs sans lumire,me dbats pour tenter de remonter la surface. Tandis que je menfonce, lalune audessus de moi se trouble, se dsagrge et disparat de mon champde vision. De leau partout. Je secoue les bras, les jambes. Rien ny fait. Jailimpression de suffoquer. Impuissant, je cesse toute rsistance. La plongese poursuit, inluctable descente dans linconnu. Je respire toujours... Je necomprends rien ce qui marrive. Je croise, incrdule, de curieuses formesde vie. Elles ondulent tout autour, me fixent de leurs yeux scintillants puissloignent. Au bout dun laps de temps indfini, qui me parat durerdes heures voire des jours, ne subsiste plus alentour quun espace videsans limite. Cependant, en de de ma position simpose mon regard unelueur dplaisante. Nimbe dune aura spectrale apparaissent les pointes

  • aberrantes de tours informes. Dans les abmes dort une cite engloutie. Songe na aucune mesure avec celui des socits humaines. Ltrange amasminral ose provoquer le temps. Il demeure dans les entrailles de laplante, relique antdiluvienne qui a connu la gense du globe. Cest unchaos architectonique dont la seule description est le mot folie .Dodieux feux follets bleutres planent dans les eaux sombres. Au centre dece pandmonium trne un gigantesque cercueil dacier. Cest vers cemonument que je me dirige sans le vouloir. Il repose dans la phosphorescence dalgues crulennes, cern de fissures vomissant des nueslumineuses qui sagitent sur la coque cuirasse du btiment. De discrtesciselures en dcorent la surface et transforment lengin en une inquitanteuvre dart. Cest un sousmarin. Je me rapproche peu peu. Lpave agitsur moi comme le ferait un aimant. Je nage dans sa direction comme sijtais un habitant de ces ruines immmoriales. Cette pense me heurte carje nose imaginer quoi ont pu ressembler ceux qui ont vcu ici,dconnects de lespace et du temps. Je parviens aux abords du spulcredont la modernit tranche avec sa vtust indescriptible. Fantmeaquatique, je longe le btiment chou dont il me semble connatre le nom.Cest un engin dune complexit prodigieuse et dune solidit apparemment toute preuve. Je pose les mains sur la coque lorsque je suis happ parune force implacable. En une fraction de seconde je suis emmen lintrieur du submersible. Jvolue dans un corridor dont ltroitessemtouffe. Il y rgne une temprature glaciale : ce lieu nest pas rserv lavie. Le sol, les parois et le plafond sont forgs dun mme mtal argent.Des plafonniers meraude lancent leurs formes tentaculaires le long de lastructure. La lumire blafarde irradie faiblement lespace puis svanouit enun halo diffus. intervalles rguliers se dressent des poutrelles dcores demotifs dune finesse hors norme. Le sculpteur semble avoir vouluimmortaliser les remous perptuels de locan dans lacier. Sur les portescloses des symboles alambiqus tincellent comme du givre. Je dambule travers les entrailles du sousmarin. Je nai aucune emprise sur mesmouvements. Je ne sens plus mon corps. Seul mon esprit reste vivace ettente danalyser les vnements. Japerois des bureaux plongs dans lesilence sur lesquels des manuscrits inachevs attendent une fin qui neviendra pas. Je traverse des chambres austres o des lits aux armaturesornementes se lassent dhypothtiques dormeurs. Lendroit nest pas aussidsert que je le pensais. Dans la pnombre gele du submersible desbouches invisibles mavertissent dun danger imminent. Des voixfrmissantes me chuchotent de vagues mises en garde. Mais contre qui ? Etque faire ? Mon tre est prisonnier du courant. Je suis victime dunevolont qui me dpasse. Je me perds dans les mandres de la salle desmachines aux dimensions herculennes, cathdrale mcanique o les

  • pistons remplacent les colonnes et les piliers, les turbines rouilles fontoffice de vitraux et les circonvolutions de tuyaux et de soupapes tiennentlieu dimprobable vote. Jarrive dans une pice dobservation munie dunvaste hublot sphrique. Il est form dun verre pais qui rsiste lapression incommensurable. Un panorama irrel stend devant mes yeux.Des mduses luminescentes flottent dans lobscurit. Les vanescencesbleutes des algues ondulent sur lamoncellement calcaire des coraux.Arraches aux abmes des clarts exsangues viennent mourir sur les formesillogiques de la ncropole. Je peux distinguer son architecture dmentielle,amas incohrent ddifices aux sinuosits impossibles. Je me tiens immobile dans la froideur du sousmarin. Face ces rminiscences dun passimpie, je perois inconsciemment que je frle du regard un monde tabou.Je pressens que je nai rien faire ici. Il me faut quitter cet endroit au plusvite et en oublier jusquau souvenir. Comme clou sur place, je restepourtant un long moment contempler ce paysage. Les sensations semlangent en moi. Une angoisse sourde dont lintensit augmente au fildes secondes se mle une admiration morbide devant lincomprhensible... Puis, comme m par un souffle, je reprends mon exploration. Jedivague de coursive en coursive et finis par arriver dans une bibliothque.Cette pice ddie la connaissance est immense. Des rayonnages auxlivres relis de cuir stendent sur toutes les parois jusquau plafond. Ilsagit dditions rares ou limites, que seules les plus minentes universitscachent prcieusement en leur sein. Elles proviennent de tous les pays,sont crites dans toutes les langues, traitent de politique, de philosophie,de thologie, de zoologie, de biologie ou de mcanique, comptent desromans dapprentissage et daventure, des recueils de posie, des essaistechniques Jamais je nai vu bibliothque plus complte que cellel. Yfigurent galement des ouvrages rdigs dans des langues inconnues, dontla calligraphie provoque en moi motion et stupeur. Mon esprit suppose laproximit dun savoir mort, ou futur, dont la comprhension est rserveaux initis seuls. Au fond de la salle, je dcouvre un ample et luxueuxfauteuil. Sur le dossier, un N majestueux, couleur saphir, est broddans le tissu noir. Il est plac devant un orgue magnifique. Ses cheminesopalines slvent jusqu se perdre dans lobscurit. Cest un instrumentdune beaut ingalable. Des couloirs adjacents me parviennent les chosdun sombre requiem. Mlancolie et colre se mlent dans une osmosedsespre... Les notes sternisent, vibrionnent pour sublimer le dsarroide son auteur. Quelle sensation droutante que cette marche funbretandis que je me tiens impuissant dans ce monstrueux cnotaphe Prs delorgue je dcouvre un bureau en ivoire sur lequel stalent divers objets :des feuillets manuscrits, un sablier de nacre dont le sable ne scoule pluset un trange violon lestampille indchiffrable. La musique obsdante

  • menveloppe, mimprgne de sa mlancolie. On pourrait croire que jaipntr dans la tombe dun roi. Plus encore : cest un empereur qui vit ici.Au point le plus loign de toute terre, lendroit le plus inaccessible, jairetrouv la trace du fils de Neptune, unique habitant des solitudesocaniques : le capitaine Nemo. Nemo... Cet homme esseul qui sestrfugi dans les entrailles du monde. Il a renonc son identit, abjurjusqu son nom et son humanit mme. Dans quel but ? Fuir cecauchemar inhumain quon appelle modernit , renier le progrs, lasocit, ses ternels conflits, tous ces charniers urbains o sentassentmisre et abattement. Il a eu laudace de slever contre ses semblables,Promthe lucide ayant dcouvert ce que les autres ne voulaient pas voir :lhumanit simmole aveuglment dans sa propre lumire. Je sens uneprsence dans mon dos. Il est l... Assis devant lorgue, hiratique, les yeuxferms, il joue. Ses doigts dansent sur les touches minrales, la musiqueinoue enfle et se rpand dans le . Les flammes noires de samisanthropie lont libr. De sa souffrance est n un empire deconnaissances infinies. Sa vie est une provocation envers Dieu quilmprise et les hommes qui lont rejet. Il a nargu les plus grandsmonarques, bafou toutes les normes, dfi puis mis mal chaquepuissance rgnant sur terre comme en mer. bord de son fabuleux serpentmcanique, il a coul les plus grands cuirasss de son poque, fiertsgrotesques de leurs nations. Son drapeau flotte toujours comme unebravade dans les solitudes glaces de lAntarctique, au pied des MontagnesHallucines. Il a survcu au maelstrm, trou noir des ocans. Sa puissanceabsolue, il la tire de la matrice originelle, la mer, source de toute vie. Il najamais craint personne. Sous ses doigts la musique semballe, la mlodieemporte tout sur son passage pareille un tourbillon. La furie des notescesse brusquement. Le capitaine rouvre enfin les yeux. Il se lve de sonfauteuil et traverse la bibliothque. Je le suis, hbt. Il semble ne pas mevoir, vient se poster devant lobservatoire maintenant. Les bras croiss, ilcontemple les reliques infmes issues dons maudits. Il observe les ombrestentaculaires qui surgissent de gouffres insondables. Son visage estimpassible, son regard a la profondeur des abmes qui sont le reflettroublant du cosmos. Il a connu ce qui dort ternellement et a embrass sesrves. Il est devenu le gardien des secrets les plus abjects quon puisseimaginer. Son esprit a rencontr des vrits inexprimables que seuls lescerveaux atemporels peuvent apprhender. Lclat des profondeurstransforme ses traits humains en ceux dune divinit. Il nest plus unhomme : il est la personnification de locan locan, le seuil de linfini...Charismatique capitaine, le regard lointain, il est perdu corps et me dansses penses indescriptibles. Lentement, il se tourne vers moi. Sa stature estcelle dun titan primordial. Les bras toujours croiss sur sa poitrine, il me

  • fixe et je ne peux affronter son regard. Je nai ni son audace ni sa force. Jetremble de terreur. Je sais que jai devant moi un tre qui a vaincu la mortellemme, qui sest transcend vers lternit. De rien, il est devenu tout !Et moi jai loutrecuidance de me tenir devant lui. Je recule, apeur. Ici, jesuis pris au pige, il mest impossible de traverser les parois du . Jette lacier, hsitant et fbrile. Je suis comme un animal en cage, un insectedans la paume dun gant. Je veux disparatre, quitter dfinitivement ceslimbes hants. Je veux me rveiller oui, cest a ! Je dois tre en train derver, sinon pourquoi ne suisje pas dj mort ? Je ferme les yeux, attends,mais rien ne se passe. Tout semble si rel Je ressens la rage de Nemo, sondgot pour ce que je reprsente. Lespace dun instant, dans un flamboiement cauchemardesque, je partage ses songes les plus insenss.Japerois des murailles liquides hautes comme des montagnes dferler surle monde des hommes. Elles submergent leurs cits toxiques, pulvrisentleurs tours phalliques, anantissent leur uvre phmre et ses crationsprtentieuses. Je vois les foules hurlantes emportes par les eaux, charriesdans les bras de la Mort le pauvre et le riche, la femme et lenfant, legueux et le combattant, tous tordus par les doigts carnassiers des flots. Lesurgit son tour, crve les navires et coule les constructionsvampires qui sucent le sang noir de la terre. Les continents se dchirent etdes failles vases remontent des hordes de tentacules qui sagrippent auciel, pour dchiqueter en silence le soleil, la lune et les toiles. Je pousse unhurlement la vision de ce nihilisme cosmique qui ne vise qu lradication de lHomme. Le a disparu et pourtant je suis toujours l. Jene rve pas. Je nai jamais rv. Dans les ruines englouties unfrmissement parcourt le minral et glisse sur ma peau. Quelque chosesenroule autour de moi et menveloppe. Mon tre se brise dans cet taumortifre. Je ne suis rien, je ne suis personne entre les mains de Nemo !Ma dernire vision est celle de son visage, ce masque de haine o luisentdhorribles yeux dun bleu polaire couleur parfaite de son ultime dsir,triomphe dfinitif du Nant.

  • Tu vois, le plus long encore, cest le tannage... La peau, il faut laplonger successivement dans plusieurs bains chimiques, des produits quischlinguent tous plus les uns que les autres, pour assouplir le cuir et puis lerendre imputrescible... Y a toutes ces saloperies de champignons, debactries, et jen passe, que a tabme le derme et la chair quil faut amollirpour bien lenfiler sur le mannequin en fil de fer galvanis et en rsine depolyurthane, ou en fibre de bois, pour reconstituer la musculature, dupeuplier sans doute, pour les volumes, form dans la position assise, enloccurrence... Des huiles de nourriture spcifiques, bactricides, fongicides, des trucs contre les insectes, du sel non iod aussi, en veuxtu envoil, de lacide formique, du lysol pour bien nettoyer, de lalun, enfin, jenpasse et des meilleures... Toute graisse retire, le cartilage aussi, le corpsest prt tre travaill, la peau fait trempette, et cest long, je tassure,jusquau foulonnage, avec de largile smectique, tu vois, pour lui redonnerde son gonflant et de sa brillance, pour quelle rutile, enfin, quelle paraissevivante nouveau... Hein ? Mais de quoi estce que tu me causes ? De Monsieur Py... De qui ? Py ! Tu sais bien, le clbre taxidermiste de lEssonne, il habitait Yerres depuis son enfance, fils de bourgeois, artistes sur les bords, dans lequartier du Belvdre, cest dans sa jeunesse un peu bohme quil avaitrencontr Louisette, sa femme... Oui, a me revient, cest vrai quil est fameux... Le digne successeur de Deyrolle, ce quil parat, non ? Oui, cest a... Et son dernier travail fut laboutissement dunecarrire, un chefduvre damour, mais de cruaut aussi, si tu veux, cestce que pensent certains... Moi, je trouve a magnifique... Raconte... ! Ce soirl... Non... Commenons par le dbut, que je te parle unpeu de sa Louisette... La pauvre, elle vivait comme une recluse chez elle,sans jamais sortir, elle navait plus got rien depuis de nombreusesannes, sabandonnant une vie sans joie, ne voyant personne, je veuxdire, hormis son mari... Ils navaient pas eu de gosses, a lavait foutue enlair, ctait pas faute davoir essay, tu peux me croire... Elle avait tout faitpour, calculant les cycles et sa courbe de temprature, hein, pour voirquand elle tait super fconde, observant ses glaires cervicales, et son PH le

  • plus au top, prenant je ne sais quelles plantes et vitamines, la C et dautres,de la spiruline, aussi, pour stimuler le truc, rien ny faisait, elle traquaitsans cesse, avec des tests dovulation trs prcis encore, pourtant, les picsdhormones lutinisantes, pour trouver le moment parfait, et l avec Py,elle lappelait toujours Py, jamais par son prnom, et ben, ils faisaient lediable quatre pattes, sans plaisir mme, ctait surtout question deprocrer, et elle faisait le poirier aprs pour que le sperme coule profond,pour la fconder, mais zobi ! Zut, la malheureuse... Oui, et depuis, elle vivait, et encore, cest un bien grand mot,comme une me en peine... Monsieur Py, quand il rentrait du boulot, ilbossait tous les jours, malgr son grand ge ctait un passionn, il latrouvait inexorablement assise devant la fentre, regardant le ciel plein denuages qui se refltait dans son regard vide, face un grand peupliermort... Elle tait petit feu... Il laimait si fort pourtant, et lui, il culpabilisait, il sen voulait... Il lui souriait, lui prparait toujours une soupe etune tartine de pain beurre, il avait fait les courses sur le chemin, ellemangeait, il la regardait, il se retenait de pleurer... Et ce soirl... Oui, bon, alors quoi, ce soirl ? Elle avala la mie de sa tranche de pain, sans la mcher et stouffaavec... Lui, il tait parti dans la cuisine, lui chercher un verre deau, etquand il revint, elle tait morte, dun coup prive dair... Il a pas appel les secours ? Non... Ben merde, mais questce quil a fait ? Il lui fallait mener bien son projet, il avait espoir de, enfin, depouvoir la conserver vivante ses cts, si tu veux, en la naturalisant ! Arrte tes conneries... Je te jure... Il lavait regarde longuement, elle tait bizarrementreste assise sur la chaise du salon devant le bol de Royco la tomate, etlui, il tait fig, plus raide quelle encore, saisi, non pas par le chagrin, aaurait t normal, au fond, mais par un tonnement morbide, assis sur lecanap, il la voyait comme un spcimen, une vie remettre sur pied, il enavait le pouvoir, Louisette ntait pas morte, et tant pis pour larticle 16... Sadcision prise, il navait que peu de temps pour agir... Il ne fallait paslaisser la peau le temps de sabmer, et avec une prcision de chirurgien,et en veillant ne pas perforer les organes, il pratiqua des incisions le longdu corps avec une lame finement aiguise, une large entaille sous le ventre,tranchant le long des bras et des jambes, afin de dgager la chair de lagraisse, extraire los de son enveloppe et le gratter sur toute ltendue de laLouise dpece et pele la main avec lenteur... Il travaillait patiemment,imperturbable, les yeux, excavs comme de petits radis blancs glatineux,

  • reposant sur un guridon, dans une soucoupe, le scrutaient avec le regardtoujours aussi vide... Il travailla longuement pour dgarnir le squelette deson manteau de peau assouplie, les oreilles, les paupires et les lvrestaient ddoubles, puis laves soigneusement, et le tannage commenaJe tai dj expliqu comment quil faisait, les bains successifs dans lesproduits acides ou huileux et tout le toutim, ce fut long, mais Monsieur Py,fort patient, scrupuleusement, faisait tremper cette, comment dire, cette exuvie que lme de son pouse semblait avoir abandonne, une formeflasque et humaine, sur laquelle la tte, dont le crne tait conserv danscette opration, dodelinait sans motivation aucune, seulement malmenedans la baignoire qui bouillonnait chimiquement... Ensuite, Monsieur Pyhabilla le mannequin sculpt et forg de fils en mtal, avec soin, le couvrantvritablement des paules aux pieds, comme jadis il vtait le corps nu de safemme dun peignoir de mousseline rose... Les parties molles, narines etlvres, furent modeles, puis repeintes larographe dans de jolies teintesde chair, les paupires aussi... Il disposa deux yeux de verre iridescents etcristallins, plus vifs quavant, moins ples et si bleus... Le volume sollicitpar les fibres de peuplier, il jeta un il sur celui mort du jardin, ne rendaitpas la forme dsire, nen dvoilait pas les rondeurs familires deLouisette, et il finit son uvre en garnissant le ventre, qui paraissaitrevivre, avec de la paille... Ben zut alors, tu parles, cest dun glauque ! Non, coute, lhistoire est incroyable... Elle est magique, mme...Tienstoi bien, aprs ce boulot extnuant, il linstalla assise, nue, face lafentre en PVC ouverte, devant le ciel mousseux de cumulus de cappuccinoet larbre esquint de cujus sur sa souche, volis foudroy jadis la cime,et fatigu, mais lui aussi semblant revivre, il sallongea prs delle, sur lecanap... Au petit matin, rveill par des piaillements, il contempla unspectacle hallucinant... Il vit une grive, qui stait introduite, sans crainte, lintrieur du salon, et qui avait, tienstoi bien, sur un toupillon de paillemal rembourre au sortir de la vulve de Louisette, sur ce nid en somme, aucreux et la naissance du basventre, o les poils soyeux et brillants dupubis, huils par les bains chimiques, faisaient touffes et chignon, loiseauavait pondu deux jolis petits ufs bleuts et tachets...

  • Les pataphysiciens ne sont pas amusants , aurait dit un jourMarcel Duchamp. Mme si ses propos nengagent que lui, quelle trangedclaration de la part du Satrape , qui transvasait son humourchiquen dans les mandres de sa dmarche cratrice (la moindrecasserole quivaudrait la dAltdorfer).Proclamation quivoque, donc, et rvlatrice (peuttre) de savolont dimpesanteur. Car si la pataphysique est une science, quy atil,au fond, de plus srieux quun scientifique ? Qui me contredira si jaffirmeque Jarry est plus que probablement un dynamiteur ? un audacieux ? un?Son esprit est alerte. Ses dogmes : antidogmatiques. Ses dispositions : rjouissantes ! Pourquoi cela namuseraitil pas Duchamp ? causede la graphorrhe impubre ? cause de la crotte de nez du potache ?Notons que, dans son verdict lapidaire, Duchamp parle bien despataphysiciens et non de la pataphysique ellemme. Sagitil de ceux quila ctoys le jour de lAcclamation de 1959 (1) ? Boris Vian ? Queneau ?Ionesco ?Qui sait ? Jarry luimme se serait peuttre agac le premier delorthodoxie de la clbration, et aurait plant tout le monde pour aller faireune salutaire promenade en bicyclette. onze ans de la fondation du Collge et douze jours de son trpas,le satrape Vian tait, mon sens, un des meilleurs thoriciens. Ses lettres(2) sont un bonheur. Elles invoquent quasimentdont il faisait si grand cas (3). Et Duchamp ne laurait pas estim sa justevaleur ? Il serait carrment pass ct ?Je ne pense pas que ce soit possible. Vian et Duchamp devaientforcment sapprcier. Quoiquen 1959, Duchamp quittait peine saconfidentialit newyorkaise et Boris le dni des grandes maisons. Et tousdeux ont connu un succs prioritairement posthume.Oui mais voil, il y a une chose quils navaient pas en commun : lanavigation !En mourant douze jours aprs la fte, Vian corrobore, en quelquesorte, lvidence de son manque. Il ne possde pas le sextant du risque .

    1 Le 11 juin 1959, Boris Vian organise la fte pour lAcclamation solennelle de SaMagnificence, cestdire la nomination du ViceCurateur du Collge, le BaronJean Mollet.2 Boris Vian envoya plusieurs lettrestudes au Collge, trois Henri Robillot,Provditeurditeur, et une au Baron Mollet.3Boris Vian

  • Duchamp, lhomme de la chance, louvoie entre les guerres,caparaonne son traintrain brancusien, amricanise la cocane du Bufsur le toit. De quoi viviezvous New York ? Je ne me souviens plus (comprenez : je ne me souviens que dea ). La mme hypermnsie secrte qui le dvore quand il confesse avoirtir neuf fois un cadavre de femmeFinalement, Duchamp, luimme, estil si amusant ?Lorsquon navigue dans lexistence, il nous appartient de nousplacer sous linfluence des forces de bndiction ou de maldiction. Il nousfaut donc faire le point, savoir qui lon est et o lon va. Faire un pas de ctau lieu de marcher sur le pige. Traverser lAtlantique comme on offre unplaidoyer pour la lchet prne par un Cline.Vian est plein de gratitude pour ceux qui lui accordent, enfin, unereconnaissance mrite. Il en a besoin. Duchamp, lui, nest pas un hommede clan. La leon quil nous lgue est lindiffrenciation, ou pluttlindiffrence lunivers est indiffrent la vie, je veux dire aux formes queprend la vie. Des milliers despces se sont teintes sans la moindreconsquence. Et la chance ne rcompense rien.Pourtant, dans le monde des hommes, il peut en tre autrement.Notre signification singulire peut revtir de limportance. Lopportunitde devenir, soimme, un personnage de son crivain prfr ne relvetelle pas (presque) dun enchantement, et nestelle pas cette source dejubilation qui peut dterminer toute une vie ? Dans ce cas, lAmicale desAmateurs de Fromages Trous ne sera plus pour nous le sosie du mythiqueCollge. Lquanimit laquelle nous invite souvent la pataphysiquepourrait tre corne par la magie irrprochable dune ralisation intime.Jen reviens donc ma question : Duchamp estil amusant ? Sesreadymades me laissent plutt froid (exception faite de son (4)).Mais cest son esprit qui virevolte audessus de la mle. Un esprit defarfadet (5) iconoclaste. Une intelligence du monde semblable celle deJarry.On la constat, remplacer une convention par une autre, pour endnoncer larbitraire, ntait pas dans le chef mais la porte dun Fabredglantine (6).Jarry natil pas dit comme il aurait dit ou comme ilaurait dit ? Et si on peut, par drision, se barder de mdailles et se

    4 Un portemanteau clou au sol. Choix de ne plus viter laccident mais delapprivoiser, de lui donner une place dans la vie quotidienne et dinventer lafonction mme du comme pensebte, appel la vigilance,reconnaissance des vertus du draillement.5 Je ne parle pas ici de ceux qui hantaient Berbiguier de TerreNeuve du Thym.6 Pote franais du XVIIIe sicle qui lon doit (entre autres) le calendrierrvolutionnaire franais.

  • gargariser de titres pompeux, ne viendratil pas un moment o faibliralefficacit de cette excellente plaisanterie ?Peuttre que si certains privilgient le protocole loufoque audtriment de lesprit ouvertement rvolutionnaire de Jarry, cest parcequancrer son uvre imaginaire dans la ralit est, pour eux, le moyenad hoc dendosser lhabit vert (comme une chandelle) de pataphysicien. Dejouir enfin, et juste titre, du bonheur de pouvoir participer laventure etde voguer dans le monde de Jarry enfin accessible. Enfin, accessible ,pas tout fait. Les membres du Collge, comme ceux de bien dautressocits savantes, imposent leurs codes comme gardefous.La connaissance ne peut se partager avec fruit quavec ceux qui senmontrent vraiment dignes. Nestce pas une simple question de bon sens(et non plus de nonsens) et un gage dimpeccabilit ?Ce quil faut garantir, cest laudace de Jarry.Pour terminer avec la transmutation du fictif en concret,remarquons que larchtype du tyran de papier qui nous faisait rire, parcequinoffensif, nous fait plutt frmir lorsquil prend rellement le pouvoir.Ubuesque, cette Europe de 2015 ubuesque, cette confiscation desgaranties de la civilisation ubuesque, lallongement sine die de lge dutravail kafkaen, cette aide sociale qui pousse des couples la sparation.Jarry ne supportait pas que lon se mlt de ses affaires.Quant moi, je veux trouver le passage du NordOuest (7)

    7 Le passage du NordOuest est le passage maritime qui relie locan Atlantique locan Pacifique en passant entre les les arctiques du grand Nord canadien.

  • Je vous prviens, lecteurs : je vais voquer ici un livre extraordinaire. Vous pouvez encore faire marche arrire. Vous pouvez encore nepas lire ces lignes. Car avec on ouvre un livre, on ne se mfie pas,et tout dun coup on entre dans un univers qui nest plus celui de laprostitution qui nous est familire.Au dpart pourtant, javais assez envie dviter la littrature, quinous fatigue tant. Javais envie de vous parler des Monty Python, commeme le suggrait si fort la couverture du prsent numro. Mais pour vousraconter quoi ? Que dire qui nait dj t dit, comme on dit ? Comme toutle monde, jaurais crit : La bande des Monty Python tait compose deJohn Cleese (20 % environ), de Graham Chapman (dans des proportionssimilaires), dEric Idle, Michael Palin, Terry Gilliam et Tony Blair. Et puisaprs ? Les Monty Python taient tous typiquement anglais, sauf TerryGilliam, qui tait typiquement amricain ? Rien de bien neuf. Si, larflexion, il y a bien une chose qui na pas t crite au sujet des MontyPython : mon film prfr deux est . Assurment lunedes sept merveilles du monde du septime art. Voil. Cest intressant,mais cest tout ce qui me vient.Comme disait La Bruyre : Tout est dit, et lon vient un petit peutard. Il est vrai que, savisant seulement dentrer dans la carrire quandMolire ny tait plus, La Bruyre na pas eu lopportunit de composer. (Corneille sen serait charg, paratil.) Mon livre prfr deLa Bruyre ? . Mais linformation nest pas dun intrtfulgurant, lcrivain nayant crit quun seul livre. Mme si, pour les indciscomme moi, cest toujours plus facile de faire son choix. Quel livre, quandmme ! On ne devrait jamais crire quun seul livre. Grand maximum. part a, que dire de La Bruyre qui nait dj t dit ?Jai donc dcid de vous parler plutt de , de Serge Rivron.Rien na encore t dit sur . Cest un livre lgendaire. Il est paru la fin du deuxime millnaire aprs J.C. aux ditions Les provinciales .Jai dcouvert lexistence de de faon scandaleuse, savoirpar hasard et avec douze ans de retard. Sur la toile. En cherchant unditeur pour un texte que javais moimme commis, extrmement lgendaire aussi.Trs intrigu, je me mis sans tarder en qute de luvre attirante et,un beau jour, finis par mettre la main dessus.

  • Je me souviens de ce matinl. Ctait un aprsmidi de printemps.Le soleil brillait. Les molcules de lair sagitaient, et jtais moimme toutexcit de tenir enfin le trsor tant convoit entre mes mains. Je revois leregard de dpit de ma libraire aussi, en mloignant amoureusement avecmon butin (le dpit dtre encore oblige de commander des livres lunitquand les six mtres carrs de la table centrale touffaient tactiquementcomme un tatami sous les quintaux du tout dernier Guillaume Sumo).Jprouvais alors un plaisir dadolescent attard, je le confesse, feuilletantles pages en traversant les rues, ma lgitime mfiance de lautomobilisteendormie, envot par un livre que javais le sentiment de dsirer depuislongtemps.Ds lors, jentretins avec , et ce plusieurs semaines durant,les rapports textuels frquents et non protgs que vous pouvez imaginer.Oui, autant vous le dire tout de suite, on nentre pas si facilement dans. Il y faut quelques prliminaires. Qui sen plaindrait ?Car luvre, qui narre les temps forts et frustes dun peuple trangement familier, dans une langue familirement trange, ne ressemble rien de connu. Cest un enchantement ! Son ton, son inventivit stupfianteme donnent un bonheur tel quil me faudrait ici des pages pour lexprimer et je ne vous ferai jamais une chose pareille, lecteurs chris. La provocationest pousse dans toutes les directions : genre, tons, thmes, syntaxe,lexique. Et quelle criture ! Le verbe transitif est strilis, la propositiondj toute relative est mascule (conjonction que coupe), et le pointcoupe court (ae !). Et avec a les mots reprennent vie ! Le moyen franaisremet le franais moyen sa place, langlicisme dfie lanachronique, et lenologisme, irrvrencieux, apostrophe lalphabtise du lexicographelambda (vous savez, celui qui, dans son dictionnaire, refuse au terme enculeur lentre qui lui est due).Le livre dgage un bonheur dcrire, de simpliquer dans uneaventure unique, le dsir de suivre ce chemin vierge entrevu et de le suivrele plus loin possible (qui dautre y serait all, sinon ?). Et il se range parmices uvres uniques, prcieuses, qui dlivrent et insufflent une nergieprodigieuse au lecteur, lui permettant de poursuivre sa propre route, enfaisant attention si possible aux automobilistes (1).

    1 Pour finir, toutes mes excuses Terry Jones.

  • Il est trange que les devises des deux hommes qui irritrent le plusLouis XIV, son surintendant des finances Nicolas Fouquet (16151680) etson capitaine des gardes le duc de Lauzun (16331723), fussent ce pointsemblables. Un cureuil pour le premier accompagnait linterrogation Jusquo ne monteratil pas ? , une fuse pour le second prcdait laphrase : Je vais le plus haut quon peut monter .Il est croire que le RoiSoleil ne supportait pas que lon lorgne versun firmament o lui seul devait paratre. Fouquet comme Lauzunpassrent le plus clair de leur vie dans la pnombre des prisons royalespour avoir eu linsolence de se penser son gal. Les deux hommes secroisrent pourtant loccasion de leur incarcration et nous verrons enquelles tranges circonstances.Antonin Nompar de Caumont, marquis de Puyguilhem, comte deSaintFargeau puis fait tardivement en 1692 duc de Lauzun o il taitn, tait de taille mdiocre, blond et prmaturment dgarni, les dents malplantes mais son allure altire, sa taille cambre et son pied lestecompensaient ses dfauts les plus vidents. En outre, la nature lavait dotdun esprit vif et dun culot toutes preuves. Ce toupet, cette audace, cetteinsolence, bref ces singularits en firent lun des hommes les plusextraordinaires qui soient. Celui dont le grand La Bruyre, dans sesCaractres, disait quil ntait pas permis de rver comme il avait vcu.Antonin tait en mme temps que tout cela un impnitentsducteur, il aimait charmer et son orgueil se nourrissait avec avidit de sesconqutes de lesprit avant que dtre celles des corps.

    Mont Paris comme Charles de BatzCastelmore, dit dArtagnan,qui plus tard larrtera, il rejoignit tout comme lui les fameux cadets deGascogne. Il sut sy faire apprcier et Louis XIV le remarqua pour sonintelligence, son charme et son esprit. Le roi sans cela ne laurait pasnomm gouverneur du Berry puis marchal de camp et colonel gnral desdragons, le premier rgiment de cavalerie du royaume.Ct cur, cet incorrigible don Juan eut tt fait de comprendre lesfemmes et de les satisfaire en tout, sachant attiser leur dsir. On lui prteds lors bien des liaisons, parfois avec de trs jeunes femmes, ce sicletant peu regardant cet gard. Capitaine au rgiment de Gramont,

  • Turenne le fait nommer colonellieutenant du rgiment de dragonstrangers puis capitaine des gentilshommes au bec de corbin, la compagniedes gardes du corps du roi. Tout cela fut facile car Antonin tait en familleau sein de rgiments que contrlaient depuis des lustres ses aeuls lesGramont et Caumont. Mais lhomme nen tait pas moins courageux.

    En 1669, le roi promet au jeune marquis de Puyguilhem le titre degrand matre de lartillerie de France, dont vient de se dcharger le duc deMazarin : cest l une opportunit majeure dans la vie de ce grandcourtisan. Il croit laffaire faite et a le malheur de se confier un majordome qui sempresse dinformer Louvois, secrtaire dtat de la Guerre, quinapprcie gure que lintriguant marquis se positionne comme son futurrival. Ne voyant rien venir, inquiet et pour sassurer de la dcision du roi,Puyguilhem insiste fortement auprs de la marquise de Montespan pourquelle intervienne en sa faveur auprs de son solaire amant. Cette dernirele balade plusieurs jours.Cest alors quil lui vint lesprit laction la plus incroyable, la plusaudacieuse, la plus irrvrencieuse qui soit : espionner le roi et samatresse afin de savoir qui des deux se joue de lui. Amant de la femme dechambre de Madame de Montespan, il la soudoie au point quelle acceptede le cacher sous le lit de sa matresse. Louis XIV a ses petites habitudes, ilne dcouche jamais la nuit mais aprs dner, il en est autrement, il va doncrejoindre la belle Athnas pour de royales galipettes et quelques confidences sur loreiller. Sous le sommier, linsens marquis entend tout etcomprend que la marquise se moque de lui, que le roi, soucieux de ne pasavoir batailler entre Louvois et lui, ne lui donnera jamais la chargeconvoite.Peuton simaginer pareille folie ? Lauzun osa !Et il aurait d sarrter cet exploit rampant, mais lhomme estorgueilleux, irascible, fanfaron et surtout trs rancunier. Il ne tarde pas coincer la Montespan quil agonit dinjures, allant jusqu la traiter, commenous le rapporte le duc de SaintSimon dans ses clbres , de pute chien . Le chien tant royal, Madame de Montespan blmitavant de seffondrer devant le roi. Elle croit le marquis sectateur du grandSatan : ne lui atil pas rpt mot pour mot ses panchements les plusintimes lors de sa sance royale ?Non content davoir boulevers jusqu lvanouissement la favoritedu roi, il va aussi sen prendre celuici en personne. Lattendant de piedferme, il casse son pe sous son nez, hurlant quelle ne saurait servir unparjure. Quant au roi, il a ce geste que rpteront avec admiration tous les

  • courtisans de son auguste personne : il ouvre une fentre et y jette sa cannepour ne pas avoir la briser sur le dos dun homme de qualit. On lui prteaussi lun des rares mots dun homme de peu desprit : Si je ntais roi, jeme mettrais en colre .Le lendemain, il tait offert limptueux marquis dallait calmerlardeur de son sang de Gascon en la glaciale Bastille.

    Finalement, le roi dcida de revenir sur sa dcision et le refitnommer capitaine de sa premire compagnie des gardes du corps. Peuttre, en ces temps de bassesses courtisanes, avaitil fini par apprcier lepanache et lhonneur flamboyant de ce diable de Puyguilhem ? Ctait sanscompter sur son esprit versatile et la mdisance de son entourage deflagorneurs... Pour lheure, Lauzun accepta avec mauvaise figure cettecharge de domestique , comme il se plaisait lappeler, et endossa avecpanache son bel uniforme bleu.La vie amoureuse de cet homme ntait gure plus paisible que sesmanuvres politiques, bien quen loccurrence cellesci se rejoignaientparfois. Il avait en effet failli pouser en 1670 Mademoiselle deMontpensier (16271693), cousine germaine du roi, tout aussi indomptablefrondeuse quil tait fougueux sducteur. L encore, Louis XIV avait retirsa bndiction nuptiale au tout dernier moment, sur lavis de ses prochescraignant la msalliance.Il fut aussi lamant de Madame Catherine de Monaco (16391678),sa cousine ne de Gramont, quil eut laudace de suivre aprs son mariagedans sa principaut mongasque dguis en valet. Rien dcidmentnarrtait cet intrpide sducteur. SaintSimon, toujours dans ses, relate que pour se venger delle, il lui marcha un jourvolontairement sur la main alors quelle tait tendue mme le parquetau pied de la reine. Car lhomme se fait aussi teigneux et fort mchantparfois. Ainsi, apprenant que le roi a des vues sur cette mme cousine,Madame de Monaco, il devance les amants sur leur lieu de rendezvous.Cach dans un placard de toilette, il voit pntrer le roi dans la chambre,lenferme double tour et jette la clef par les cabinets. Puis il attend,toujours dans sa cache, larrive de Catherine, qui ne peut entrer au grandtonnement du souverain incapable de lui ouvrir. Fort heureusement, cettefoisl, Louis XIV ne sut jamais qui lui avait jou cette lamentable farce.Ainsi tait Lauzun, diffrent jusqu lincroyable audace dactesinsenss, quil prenait pour courageux et lgitimes son honneur.Mais la rancune de Madame de Montespan tait tenace, elle navaitpas oubli les insultes, ni linjure dun Lauzun sous sa couche : elle fit tant

  • et si bien quelle finit par retourner le roi, une fois encore. En novembre1671, Lauzun tait arrt et conduit par dArtagnan et ses mousquetairesdans la sinistre forteresse de Pignerol o vieillissait, depuis 1664, lanciensurintendant des finances Nicolas Fouquet, coupable quant lui davoirtal des fastes plus que royaux.

    Il ntait pas dans les habitudes du RoiSoleil de faire occire sesennemis intimes comme le firent bon nombre de ses prdcesseurs la ttedu royaume. Jamais Nicolas Fouquet ne revit son fastueux chteau deVauxleVicomte et mourut victime de la vindicte royale dans sa cellule dePignerol en 1680, aprs quinze annes denfermement dans la forteresse osjourna la mme poque un autre prisonnier rest clbre, lhomme aumasque de fer.Mme au secret, Lauzun se dbrouilla, on ne sait comment, pour sefaufiler par un conduit de chemine et un trou quil agrandissait jour aprsjour. Il finit ainsi par rejoindre Nicolas Fouquet qui il narra sesmsaventures. Peu peu, leurs conditions dincarcration se firent moinssvres et les deux hommes purent recevoir des visites. Nicolas Fouquetrevit avec joie sa femme et sa fille, et ces dames purent vivre un temps dansla cellule de lancien surintendant alors que ce dernier tait relog dans uneautre aile du btiment.Ctait sans compter sur Lauzun qui en profita pour courtisereffrontment MarieMadeleine, la fille de Nicolas Fouquet qui couchaitdans lancienne cellule de son pre. Contre lavis de ses parents, cellecisenticha tant du trublion quelle le laissa une nuit parfaire sa conqute.Dcouverts en pleine action par les gardes et Nicolas Fouquet alert,Lauzun eut grand mal se prserver de la fureur de dun pre bafou quilui voua ds lors une haine absolue.Pendant ce temps, la pauvre Mademoiselle de Montpensier faisaitdes pieds et des mains pour faire largir le comte de Lauzun. Le roi yconsentit enfin aprs un sordide marchandage de terres que celleci dutcder au btard du roi, le duc de Maine. Lauzun libre reut lordre de nepas approcher moins de deux lieux du Soleil.Se mariatil secrtement, comme cela se fit beaucoup cettepoque, avec son inconditionnelle amoureuse et libratrice, la GrandeMademoiselle ?Faute de preuve, les historiens restent partags. Pour tromper sonennui, le comte de Lauzun se remit jouer, Il joua et gagna donc, jouaencore et finit par sexiler en Angleterre o lon jouait plus gros.

  • On et pu croire que cen tait fini des frasques et de limpudence dece petit homme si difficilement contrlable : ctait toujours mal leconnatre. LAngleterre de Jacques II tait en pleine Glorieuse Rvolution :le souverain, qui stait inexorablement alin le peuple par son appuiviolent aux catholiques, fut contraint lexil en France. Lauzun, sademande, permit dans un premier temps le passage en France de la reine etdu prince de Galles. Sur leur insistance auprs de Louis XIV, Lauzun putenfin reparatre en cours, le roi acceptant mme de le loger Versailles,prs de lui. Et SaintSimon dcrire : Il jouit le reste de sa longue vie deses privances avec le roi, de ses distinctions la cour, dune grandeconsidration, dune abondance extrme, de la vie et du maintien dun trsgrand seigneur et de lagrment de tenir une des plus magnifiques maisonsde la cour, et de la meilleure table, soir et matin, la plus honorablementfrquente, et Paris de mme aprs la mort du roi. Plus loin, SaintSimon dresse cet trange portrait de celui quipousa, en 1695, sa bellesur GeneviveMarie de Durfort, dite Mademoiselle de Quintin , fille du duc de Lorges elle avait quinze anset lui soixantedeux : Il tait extraordinaire en tout par nature, et seplaisait encore laffecter, jusque dans le plus intrieur de son domestiqueet de ses valets. Il contrefaisait le sourd et laveugle pour mieux voir etentendre sans quon sen dfit, et se divertissait se moquer des sots,mme des plus levs, en leur tenant des langages qui navaient aucunsens. Ses manires taient toutes mesures, rserves, doucereuses, mmerespectueuses et de ce ton bas et emmiell il sortait des traits perants etaccablants par leur justesse, leur force ou leur ridicule, et cela en deux outrois mots, quelquefois dun air de navet ou de distraction, comme sil nyet pas song. Aussi taitil redout sans exception de tout le monde, etavec force connaissances, il navait que peu ou point damis, quoiquil enmritt par son ardeur servir tant quil pouvait, et sa facilit ouvrir sabourse. Il aimait recueillir les trangers de quelque distinction, et faisaitparfaitement les honneurs de la cour mais ce ver rongeur dambitionempoisonnait sa vie. Il tait trs bon et trs secourable parent.

    Le duc de Lauzun steignit quatrevingtdix ans, sansdescendance, le 10 novembre 1723, non sans stre encore diverti jouerles Volpone, laissant croire quelques futurs hritiers trop presss quilallait tout lguer lglise et ses pauvres.Qui tait au fond cet homme ?

  • Un fou, un rvolutionnaire avant lheure, faisant fi du pouvoirroyal ? Le premier des dandies , comme se plaisait le qualifier BarbeydAurevilly ? Ou encore un hdoniste pour qui seul comptait donc son bonplaisir ?Il semblerait que cette philosophie fit bien des mules aux XVIIe etXVIIIe sicles, o tant dhommes sen firent les scandaleux reprsentants.Talleyrand ou JeanFranois Paul de Gondi le sulfureux cardinal de Retz eurent en bien des points des comportements semblables celui du ducde Lauzun. Vivant sans le moindre souci du jugement de Dieu ou de leurscontemporains, voluant au seul gr de leurs envies, changeantdallgeance et de compagnes, ces diables dhommes marqurent jamaisles esprits.Seule lapproche de la mort ramena Lauzun des sentiments plusmoraux et religieux. En cela, il ne fit que rejoindre le commun des hommesdesquels il stait portant tellement loign sa vie durant.Le mot de la fin pourrait revenir Voltaire, qui crivit de lui : Nous lavons vu mourir fort g et oubli comme il arrive tousceux qui nont eu que de grands vnements sans avoir fait de grandeschoses.

  • Jemmerde la thorie : les faits sont des situations qui auraient trsbien pu ne pas se produire.Jemmerde la pression sociale : le luxe cest sautoriser chouersans avoir honte.Jemmerde la cirrhose : dfaut de livresse du pouvoir je me laisseberner par le pouvoir de livresse.Jemmerde le verdict : les rves sontils condamns resterenferms dans le sommeil ?Jemmerde les ides noires : chaque matin me lever de bonheur.Jemmerde la fragilit : si jtais un objet incassable je ne serais pasdevenue fle aprs que tu mas laisse tomber.Jemmerde les dductions htives : quand la baignade est interditela noyade estelle forcment dfendue ?Jemmerde le calibrage : la perfection nest pas mon idal.Jemmerde la quantit : jai commenc avec rien et il men resteencore presque autant.

  • Depuis le tonitruant passage de Bukowski sur leurs plateaux ils neservent que de lorangeade lors des missions culturelles, dommage pourles Chablis et les PouillyFuiss. Malgr ce manquement la dontologie etla lgendaire bgueulerie de ce genre de programme, un amateur clair sytait inscrit afin de participer un forum intitul : LArt na nul besoin deprdicats, il doit toucher au cur ! Devaient y prendre langue desuniversitaires ainsi que des critiques dart, experts plus ou moins reprsentatifs de diverses chapelles, avec, comme prsentateur officiel, ce benotpersonnage devenu lun des bustes les plus en vue de notre lucarne.Nonobstant quelques prventions et a priori rgionalistes, lhomme detlvision ne cachant pas ses prfrences pour le beaujolais et le foot, alorsque les gots de ce spectateur penchaient pour le Madiran et le rugby, unaffrontement pouvant sensuivre, il se fit le plus discret possible. Aussiappritil des choses fort passionnantes : que les Cubains nont pas inventle cubisme, que les modles de ces messieurs les artistes sont passes soitpar les passerelles ou par le X !... Ceci dit en guise davertissement liminaire, afin de ne pointrajouter votre dsesprance, votre dception foncire devant autantdimprissables avis Poursuivez, matre, je vous en prie, nous vouscoutons ! Au fil des interventions de ses illustres invits, finobservateur de la scne mdiatique, lamphitryon avait remarqu combienses commensaux sirotant leurs fadasses orangeades, entre deux paragraphes de leurs amphigouriques laus, paraissaient sensibles saflagornerie, lorsquil les encourageait discourir : Allezy, allezy, matreou professeur, nous sommes comme suspendus vos... ! Une incitationqui, loue des auditeurs, instantanment se rpercuterait sous la formesuivante : Davoir visit, comme la majorit dentre nous, diffrents parcszoologiques ou dattractions, ces Disneyland faussement dguiss enmuses de lhomme, nous sommes obligs de convenir dun manqueflagrant dimagination divine : Dieu pourrait mieux faire, et pour sr Il en ales moyens ! Au lieu dabandonner les rnes de son char aux seuls bipdes,orgueilleux et flambeurs Reprenezvous, matre ou professeur, resservezvous un verre de... dorangeade ! Narcissiques, disaisje, les humains,prts senflammer pour un quelconque Hiroshima mon amour. Et leplus consternant, bards de comportements irrationnels, puisque donnantlillusion dtre consentants !

  • Bien que mal assis, lamateur dart se sentait oblig de convenir quela rhtorique applique requerrait, audel du savoir paratre sonavantage et didoines formules spcieuses, une culture authentique ainsiquune matrise de la parole des qualits indispensables afin de sassurerdeffets oratoires plus brillants quefficaces des techniques ncessaires laconqute dun auditoire, relev, alors que le concernant, lembrouillaminide ses penses, concurrenant la vacuit de ses ides, lempchait deformuler correctement ses proches ou amis dabstrus concepts ns denuits dinsomnie Mais chut ! Lorateur poursuit : Mme chose,mesdames messieurs, pour le style descriptif, il ne sagit que dunenomenclature taxinomique : les crimes y sont gratuits ou parfaits, lessciences diligentes ou inexactes, la peinture flamande ou abstraite Malgr une attention dvolue aux dbats, lhomme se souvint qu cetinstant prcis, 22h47, il y avait de cela quelques mois, dans ces mmeslieux et devant un auditoire mdus, Bukowski attaquait sa secondebouteille de Chablis ! Comme si, audel de cette collusion binaire lesavis ne pouvaient tre partags, nestce pas, mesdames, messieurs ? Dieuauraitil dfinitivement abandonn la partie ? Je requiers votre avis ? Alors, suspendant son envole lyrique tout en assurant la pose, endcomposant ses mouvements, lentement lorateur se servit un verre demais au vu de sa moue dprciative, chacun dans lassistance put imaginerque lui aussi, sa trogne rubiconde et son nez bourbonien de couleur violineen tmoignant, aurait prfr tter du Chablis !...Tel un avis metteur en scne, aprs avoir laiss flotter lindcision,une muette interrogation stablir parmi les convives, le prsentateur repritles rnes en annonant la surprise de la soire. Peu aprs il fit pntrer unevieille dame, chenue, amaigrie, ingambe malgr son apparent grand ge,chapeaute grand sicle, pomponne, frisotte, puis face la perplexeassistance la prsenta comme lune des muses du grand Picabia. Unepersonne qui, malgr ses heures rcentes de vol La HavaneParis,dbarquait de son le afin dentretenir un auditoire dj captiv par sonaspect de voyante extralucide, sur la vie mouvemente de son ancien amantet qui, nullement gne par lentourage, dune voix chevrotante, discourutavec son hte, ce qui livra lextravagant dialogue suivant : Il y a de cela trs, trs longtemps excusezmoi messieursdames je ne me souviens plus exactement, mais en ce tempsl Dieupourvoyait tout, bien avant que lidologie communiste ne vienne dansnotre le dtrner la religion, il fallut pour redonner sens la vie insulairetout lentregent de mon Francis... Vous comprendrez que son immensetalent et son esprit frondeur lamenrent, profitant du dsordre amoureux mais alors, quelle motion de le voir surfer en galante compagniemer des Carabes !

  • Voyons, voyons, madame, ne nous garons pas, venonsen auxfaits, savoir si votre concubin, lartiste, le peintre ? Ah, mon brave monsieur, ce Cubain, quel amant faisaitil ! Sivous saviez le nombre de fois o nous nous sommes vautrs dans ladpravation Seulement, je ntais pas la seule de notre le bnficier deson don gratuit dorgane, tant il tait robusto et macho la fois ! Reste savoir, madame, et cette fondamentale question intressenotre avis public : atil rellement invent le cubisme ? Comment ditesvous ? Le Cuba Libre ! Si, si, il en clusaitnormment, cela lmoustillait, lui donnait du punch, des ides nouvelles.Lamenait base de frasques, dautosatisfaction et dautoallumage de saBugatti vouloir supplanter notre pre cleste, devenir le porteparoleofficiel de lunique ralit valable ses yeux, celle de lArt ! Sa vocationuniversaliste ayant t dfinie, puis avalise mains leves lors du congrsde Vienne... jy tais Toutefois, vous excuserez mon grand ge mamenantparfois mlanger mes pinceaux, ainsi que ceux de mon matre bienaim Mais madame, concernant lesdits prdicats de Picabia, pourriezvous nous dire si Quoi ! Les prdicateurs dans lle de Cuba ? Non, non madame ! Lartiste, ses choix esthtiques, la polysmiede son uvre ? Quoi ! La polygamie ! Je vais vous dire, il les aimait toutes, brunesou blondes, mtisses ou vierges ! Le sexe, pour lui, ctait magique ! Mais madame, cette, non surprenante priorit chez un teldmiurge, lui fitelle ngliger lexcution de concepts couramment appliqus dans les beauxarts ? Je pense quil se considrait comme un camlon, susceptible dechanger de peau, non pas pour se fondre dans un mouvement mais sendtacher selon sa volont, se dmarquer des conventions usuelles, enpratiquant une chelle discordante lui permettant de sopposer tout cequi pouvait le soumettre au conformisme ambiant ! Bien sr, bien sr, madame, cependant le grand danger, ntaitcepoint cette prolifration dides, de styles, de genres, dont Picabia ne cessade jalonner sa fulgurante carrire ?Assaillie de questions, narrivant plus matriser ses rponses, lavoix de llgante petite vieille se fit chevrotante, hsitante, sa respirationdevint saccade, ses yeux exorbits, fureteurs, sattardrent sur cesinconnus la dvisageant sans amnit, sattachrent aux consommationsdisposes sa porte de main sur des tables basses, avant que dune voixsuppliante elle dclart avoir soif, souhaitt comme Bukowski il y avait de

  • cela quelques mois, sur ce mme plateau, obtenir du Chablis ou du PouillyFuiss, tant donn quelle navait consenti cet reintant voyage que pourune dernire fois tter des vins et des fromages franais ! Hlas, sadception fut laune de son envie, immense, quand lanimateur luiannona que depuis lesclandre provoqu par le pote amricain, artistes,politiques et autres personnalits ne buvaient plus que de lorangeade aussi, prtextant un besoin urgent se retiratelle vers larrire du plateau...Ce flottement permit au dbatteur de faire bnficier ses cherstlspectateurs de la promotion douvrages rcemment parus,notamment dun livre sur Watteau et son Gilles qui, selon la lecturedun passage quil en fit, base de formes ondulantes, de compositions enspirale, de couleurs vives, aurait russi recrer un univers particulirement sensuel et gracieux correspondant son insouciante poque... ! Il poursuivit avec son front bas et ses lunettes fiches en bout de nez, etprorait encore lorsque rapparut la vieille dame munie dune bouteille derhum et dune bote de coca, qui, titubante, sexclama dune voix altre : Vive le Cuba Libre ! Immdiatement, de secourables personnes vinrentsoutenir lenivrante chose qui stait mise dambuler et babiller hors depropos... Troubl par cette inattendue et calamiteuse intrusion, lhte seleva, se dirigea vers lincongru trio occupant lavantscne la vieillepersonne soutenue par deux quidams , leur intima de disparatre puisdclara la cantonade quil allait assurer une remise en ordre de cettefichue philosophie de comptoir O irionsnous si les professionnels abandonnaient la partie, si lemoindre intervenant se prenait pour un gnie de plateau ? La confusionla plus extrme rgnait, lorsque lun des invits, attentif et muet jusquel,se leva, puis dun regard inquiet et interrogateur, ayant qut lapprobationde cette petite socit en bullition, relana un dbat, risquant au vu delimprvisible tournure des vnements de saventurer vers des sentiersmal baliss. Car la veuve Cubaine, malgr les exhortations du dbatteur,refusait de se rasseoir, sinon, avanaitelle, comme Bukowski en sontemps, elle risquait de sassoupir et sur place cuver son tropplein denostalgie... Cependant, des bnvoles toujours la soutenant, leur trangegroupe parcourait tous les azimuts du plateau, avec des cameramen hilares,sefforant dviter leur apparition grandguignolesque sur lcran... Ilparat que durant cet intermde du plus haut comique, les tlspectateurseurent droit un interlude du son et de limage, une opportune rupturede faisceaux hertziens... Toutefois, se saisissant au vol des derniresinterrogations, le discoureur pressenti russit ractiver lattention, dansle mme temps o ltonnante muse, enfin effondre dans un fauteuil, semit bruyamment somnoler. Ainsi fait, bnficiant dun semblant deretour au calme, notre ama