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© Alexandra Gagné, 2018 L'appropriation de savoirs didactiques en formation : une étude de cas auprès de futures enseignantes de littérature du collégial Mémoire Alexandra Gagné Maîtrise en didactique - avec mémoire (M.A.) Maître ès arts (M.A.) Québec, Canada

L'appropriation de savoirs didactiques en formation : une ...iii Résumé Ce mémoire de maitrise en didactique de la littérature porte sur l’appropriation de savoirs par de futures

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© Alexandra Gagné, 2018

L'appropriation de savoirs didactiques en formation : une étude de cas auprès de futures enseignantes de

littérature du collégial

Mémoire

Alexandra Gagné

Maîtrise en didactique - avec mémoire (M.A.)

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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L’appropriation de savoirs didactiques en formation : une étude de cas auprès de futures enseignantes de

littérature du collégial

Mémoire

Alexandra Gagné

Sous la direction de :

Marion Sauvaire, directrice de recherche

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Résumé

Ce mémoire de maitrise en didactique de la littérature porte sur l’appropriation de savoirs par de futures

enseignantes de littérature du collégial (CRSH, 2016). Après avoir obtenu un diplôme de 1er cycle en études

littéraires, ces dernières suivent leur premier cours de didactique de la littérature dans un programme de

formation à l’enseignement collégial de 2e cycle universitaire.

Ces formations reposent sur des modèles épistémologiques et praxéologiques en tension : l’un est centré sur

une approche normative de la littérature où le professeur, en tant qu’expert de contenus, valorise la transmission

magistrale de savoirs disciplinaires; l’autre est axé sur la formation de sujets lecteurs où le professeur organise

des situations d’enseignement et d’apprentissage qui engagent les étudiants à construire des significations. Or,

la recherche de cohérence entre les savoirs disciplinaires et didactiques pose plusieurs défis aux enseignants

en formation, que le concept de lecture littéraire permet de mettre au jour.

La lecture littéraire est l’un des savoirs phares introduits au moment de la formation didactique. Elle est à la fois

un objet d’enseignement spécifique à la didactique du français et un objet cardinal de la formation générale au

collégial, puisque trois des quatre cours obligatoires de littérature y sont consacrés. Selon nous, la lecture

littéraire est un savoir essentiel pour former des enseignants : elle leur permet de mieux se comprendre eux-

mêmes comme sujets lecteurs, ce qui constitue une condition primordiale pour qu’ils se construisent comme

sujets lecteurs enseignants aptes à considérer la subjectivité des lecteurs étudiants.

Nous avons réalisé une étude de cas auprès de futures enseignantes dans un cours de didactique du français

au collégial. Trois outils de collecte ont été retenus : l’observation participante, les entretiens semi-dirigés et les

carnets de lecteurs. Nos résultats illustrent comment l’appropriation de savoirs didactiques en formation, plus

particulièrement la lecture littéraire, éclaire le passage de la compréhension de soi comme sujet lecteur à la

construction de soi comme sujet lecteur enseignant.

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iv

Table des matières

Résumé .............................................................................................................................................................. iii

Table des matières ............................................................................................................................................. iv

Liste des tableaux et figure ............................................................................................................................... viii

Remerciements ................................................................................................................................................... ix

Introduction ......................................................................................................................................................... 1

Chapitre 1 Problématique ................................................................................................................................... 3

1.1 Contexte social ......................................................................................................................................... 3

1.2 Le disciplinaire et le didactique : prolégomènes de définition ................................................................... 4

1.3 La structure spécifique du curriculum de formation des futurs enseignants de littérature du collégial ..... 6

1.4 La formation en études littéraires à l’université ........................................................................................ 8

1.5 L’influence possible de la formation en études littéraires sur les futurs enseignants de littérature du

collégial ........................................................................................................................................................ 10

1.5.1 Les savoirs hétérogènes en jeu en formation ................................................................................. 11

1.5.2 La reproduction d’une configuration traditionnelle de l’enseignement des lettres : quelques

exemples .................................................................................................................................................. 13

1.6 Les enjeux de la formation en didactique de la littérature ...................................................................... 15

1.6.1 Les enjeux de la formation de sujets lecteurs enseignants ............................................................. 16

Chapitre 2 Cadre théorique ............................................................................................................................... 19

2.1 Les savoirs disciplinaires et didactiques en formation à l’enseignement de la littérature ....................... 19

2.1.1 Les savoirs disciplinaires à enseigner ............................................................................................. 20

2.1.2 Les savoirs didactiques pour enseigner .......................................................................................... 21

2.2 La notion d’appropriation ........................................................................................................................ 23

2.3 Le concept de lecture littéraire et celui de sujet lecteur .......................................................................... 26

2.3.1 La lecture littéraire pour Dufays, Gemenne et Ledur : déblayage et fondation théorique du concept

comme « va-et-vient dialectique » ........................................................................................................... 28

2.3.2 La lecture littéraire pour Rouxel : tensions constitutives entre les « droits du texte » et son

appropriation par les sujets lecteurs......................................................................................................... 29

2.3.3 La lecture littéraire pour Langlade : le texte transformé en œuvre par « l’activité fictionnalisante du

lecteur » ................................................................................................................................................... 30

2.3.4 La lecture littéraire, le sujet lecteur et la formation à l’enseignement de la littérature ..................... 31

2.4 La notion de « rapport à » la lecture littéraire et à la littérature............................................................... 33

2.5 Le cadre d’analyse de la co-construction de soi et des savoirs par les sujets lecteurs enseignants ...... 36

2.5.1 Le détour utile par la notion de réflexivité : la proposition d’un cadre d’analyse collectif................. 37

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Chapitre 3 Méthodologie ................................................................................................................................... 39

3.1 Quelques considérations épistémologiques des études qualitatives ...................................................... 39

3.2 Les balisages théoriques de l’étude de cas ............................................................................................ 41

3.3 La collecte de données ........................................................................................................................... 41

3.3.1 La délimitation du site ..................................................................................................................... 41

3.3.2 L’échantillonnage (échantillon effectif) ............................................................................................ 42

3.3.3 Les outils de la collecte de données ............................................................................................... 43

3.3.3.1 Les carnets de lecteurs, des documents rédigés par les futurs enseignants ........................... 44

3.3.3.2 Les entretiens semi-dirigés ...................................................................................................... 45

3.4 Le traitement et l’analyse des données .................................................................................................. 46

3.4.1 Les outils du traitement et de l’analyse des données ...................................................................... 47

3.4.1.1 L’analyse de contenu ............................................................................................................... 47

3.5 Des choix méthodologiques rigoureux et pertinents ............................................................................... 57

Chapitre 4 Analyse des données : étude de cas............................................................................................... 58

4.1 Le portrait d’Andréa ................................................................................................................................ 59

4.1.1 La sujet lectrice : les premiers pas dans la stylistique ..................................................................... 60

4.1.2 Les savoirs, activités et pratiques disciplinaires et l’expérience d’étudiante en lettres : la

confirmation d’une passion ...................................................................................................................... 63

4.1.3 Les savoirs, activités et pratiques didactiques : des savoirs didactiques confrontant en cours

d’appropriation ......................................................................................................................................... 66

4.1.4 La construction de soi comme sujet lectrice enseignante : une transition ardue de la sujet lectrice

vers la sujet lectrice enseignante ............................................................................................................. 69

4.1.5 Bilan du portrait d’Andréa ................................................................................................................ 71

4.2 Le portrait de Valérie .............................................................................................................................. 71

4.2.1 La sujet lectrice : une expérience de lecture scolaire marquante .................................................... 71

4.2.2 Les savoirs, activités et pratiques disciplinaires et l’expérience d’étudiante en lettres : une

mobilisation des savoirs disciplinaires sur plusieurs fronts ...................................................................... 73

4.2.3 Les savoirs, activités et pratiques didactiques : le rôle des activités et des pratiques pour

s’approprier des savoirs didactiques ........................................................................................................ 76

4.2.4 La construction de soi comme sujet lectrice enseignante : le passage de la sujet lectrice à la sujet

lectrice enseignante ................................................................................................................................. 79

4.2.5 Bilan du portrait de Valérie .............................................................................................................. 81

4.3 Le portrait de Gabrielle ........................................................................................................................... 81

4.3.1 La sujet lectrice… et la sujet scriptrice ............................................................................................ 82

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4.3.2 Les savoirs, activités et pratiques disciplinaires et l’expérience d’étudiante en lettres : une

mobilisation des savoirs disciplinaires intriquée à la pratique .................................................................. 85

4.3.3 Les savoirs activités et pratiques didactiques : une appropriation des savoirs didactiques médiée

par les activités expérimentées ................................................................................................................ 88

4.3.4 La construction de soi comme sujet lectrice enseignante : la rencontre de la sujet lectrice, de

l’étudiante en lettres et de la future enseignante ...................................................................................... 90

4.3.5. Bilan du portrait de Gabrielle .......................................................................................................... 91

4.4 Le portrait de Josiane ............................................................................................................................. 92

4.4.1 La sujet lectrice : la conquête du livre ............................................................................................. 93

4.4.2 Les savoirs, activités et pratiques disciplinaires et l’expérience d’étudiante en lettres : que reste-t-il

des savoirs disciplinaires? ....................................................................................................................... 94

4.4.3 Les savoirs, activités et pratiques de la formation didactique : une appropriation des savoirs inégale

................................................................................................................................................................. 98

4.4.4 La construction de soi comme sujet lectrice enseignante : la (trans)formation des représentations

............................................................................................................................................................... 101

4.4.5 Bilan du portrait de Josiane ........................................................................................................... 103

Chapitre 5 Interprétation et discussion ........................................................................................................... 104

5.1 La mobilisation de savoirs disciplinaires et l’appropriation de savoirs didactiques ............................... 104

5.1.1 Des hypothèses relatives au hiatus entre savoirs disciplinaires et savoirs didactiques à nuancer 104

5.1.2 La mobilisation de savoirs disciplinaires : apports et limites de la formation disciplinaire ............. 107

5.1.2.1 Une faible rétention des savoirs disciplinaires ....................................................................... 107

5.1.2.2 Le réinvestissement des cours de création dans l’approche subjective : « lire, c’est créer, peut-

être à deux » (Balzac) ........................................................................................................................ 109

5.1.3 L’appropriation de savoirs didactiques : apports et limites de la formation didactique .................. 112

5.1.3.1 Une appropriation des savoirs didactiques inégale d’un sujet à l’autre ................................. 112

5.1.3.2 L’écriture réflexive et les activités de lecture subjective comme moteurs de l’appropriation des

savoirs didactiques ............................................................................................................................ 113

5.1.3.3 Les résistances du milieu collégial perçues vis-à-vis de l’approche subjective ..................... 115

5.2 Des liens à cultiver en formation entre sujet lecteur et sujet lecteur enseignant .................................. 118

5.2.1 Un rapport à la littérature avant tout subjectif ................................................................................ 118

5.2.2 Une formation disciplinaire au collégial et à l’université en rupture avec les pratiques ordinaires des

sujets lectrices ........................................................................................................................................ 119

5.2.3 La construction de soi comme sujets lectrices enseignantes ........................................................ 120

Conclusion ...................................................................................................................................................... 122

1. Défis et limites de la recherche .............................................................................................................. 122

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vii

1.1 La notion d’appropriation : mise à l’épreuve de données empiriques pour un objet spécifique, la

lecture littéraire ....................................................................................................................................... 122

1.2 Quels modes de collecte pour quels discours sur les savoirs? ........................................................ 123

1.3 Autres limites .................................................................................................................................... 124

2. Synthèse et conclusion générale ............................................................................................................ 125

Bibliographie ................................................................................................................................................... 127

Annexes .......................................................................................................................................................... 140

Annexe I – Le carnet de lecteur enseignant ............................................................................................... 140

Annexe II – Canevas d’entrevue ................................................................................................................ 143

Annexe III – Cadre d’analyse pour le thème 3 utilisé à l’occasion de l’étude exploratoire ......................... 146

Annexe IV – Exemples d’extraits d’un entretien transcrit littéralement ....................................................... 147

Annexe V – Exemple du traitement des énoncés d’un carnet de lectrice ................................................... 152

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viii

Liste des tableaux et figure

Tableaux

Tableau 1

Les savoirs littéraires (selon Simard, Dufays, Dolz et Garcia-Debanc, 2010)………………………………………21

Tableau 2

Les trois thèmes du cadre d’analyse : leur source originale, les altérations subies et leur utilité dans ce

mémoire..............................................................................................................................................................39

Tableau 3

La distribution des données recueillies grâce aux deux méthodes de collecte principales………………………47

Tableau 4

La progression analytique dans le traitement des données (adapté de Miles et Huberman, 2003)………………52

Tableau 5

Les définitions des sous-catégories du thème des ressources subjectives…………….…………………………53

Tableau 6

Les définitions des sous-catégories du thème de la réflexivité…………….…..……………………………………54

Tableau 7

Les définitions des sous-catégories du thème de la co-construction de soi et des savoirs du sujet lecteur

enseignant……………………………………………………………………………………………………………...…56

Figure

Figure 1

Quelques savoirs impliqués en formation à l’enseignement de la littérature au collégial……….……….………23

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ix

Remerciements

Je dois à Marion Sauvaire, ma directrice de recherche, le tout premier de mes remerciements. Pour son

enseignement solaire, son accompagnement consciencieux et sa remarquable acuité. Merci, Marion, de croire

résolument dans la chercheuse que j’aspire à être. Merci de m’offrir si généreusement le privilège de cheminer

à tes côtés dans cette aventure formidable et exigeante qu’est la recherche. Ce mémoire ne serait pas ce qu’il

est sans ton engagement de mille manières réitéré.

J’exprime de même toute ma reconnaissance à Judith Émery-Bruneau, lectrice attentive et perspicace de ce

mémoire à des moments charnières de sa rédaction. Judith, ce travail porte les traces tangibles de tes

commentaires toujours éclairants, toujours pertinents. Merci pour ta rigueur intellectuelle, et pour ta sincère

bienveillance.

Grand merci également à Érick Falardeau, qui a accepté d’agir à titre d’évaluateur. C’est une chance précieuse

que d’avoir pu compter sur ta rétroaction, et je suis emballée des années de collaboration à venir.

Je remercie chaleureusement les étudiants, et particulièrement les étudiantes, du cours de Didactique du

français au collégial I, qui m’ont accueillie comme l’une des leurs. Merci de m’avoir découvert avec confiance

un pan de vos histoires de sujets lectrices, et vos aspirations inspirantes de sujets lectrices enseignantes.

Mon infinie gratitude à mes familles et amis. Maman, Papa, Catherine, aucun mot (et oui!) ne suffit pour vous

témoigner la profondeur de ma reconnaissance. Des premiers jours d’école à l’obtention de ce diplôme de

maitrise, dans les moments de joie comme dans les périodes plus sinueuses, c’est votre amour indéfectible qui

m’a guidée.

Ariane, Mylène, Pascale, merci pour vos encouragements enthousiastes. À mes collègues et amies du CRIFPE,

merci pour votre appui au quotidien. Anne Marie, ma cosmique, merci d’aimer la littérature et la philosophie

autant que moi. Et de me permettre de ne pas l’oublier.

Christian, mon lumineux. Merci pour ta présence vive. Pour tes intelligences. Et pour ton regard dans lequel je

vois chaque jour celle que je veux devenir.

Je suis finalement redevable de l’aide financière non négligeable octroyée par le Conseil de recherches en

sciences humaines du Canada. Je remercie l’organisme de m’avoir fourni le soutien qui m’a permis de me

consacrer pleinement à ce mémoire. Dans le même esprit, je souligne l’apport financier, matériel et administratif

de différentes instances – et des humains dévoués qui les font exister – à cette recherche : le Centre de

recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante, la Faculté des sciences de l’éducation

de l’Université Laval, le Collectif CLÉ et l’Association des femmes diplômées des universités de Québec.

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x

La littérature fait changer de cadre, elle permet d’observer et de commenter avec une certaine distance nos

déterminismes. Elle est, sans conteste, le meilleur rempart contre la pensée unique, contre le livre unique. L’accès à

l’expression artistique et littéraire étend le désir de connaitre et celui d’apprendre, il renégocie en permanence notre

rapport au monde, il peut aider à résorber les durcissements, les « intégrismes », certes non pas naturellement, non pas

de manière irénique, mais bien grâce au travail des passeurs, des enseignantes et des enseignants. La littérature donne

à se penser, à se construire en passant par l’épreuve de l’Autre, à se libérer de ses contingences et de ses aliénations, à

découvrir sa propre « étrangeté », à assumer toutes les mémoires sans obligation de se dénier, de se renier.

[…]

L’accès à la parole littéraire, ouverte, mène, quel que soit le lecteur, pourvu que l’on accepte de le libérer des parcs

culturels dans lesquels il est arbitrairement assigné, à un décentrement progressif, à une « dénaturalisation », à

l’émerveillement lorsqu’il découvre que le texte contient une réserve de sens qui le touche.

[…]

Tous devraient être égaux devant le droit d’entrer, de manière subjective, paisible, généreuse et empathique dans la

substance vive des textes littéraires, d’être disposés à accueillir l’Autre dans un élan créatif. Ils sauront retourner vers

eux-mêmes, riches de s’être redécouverts dans le miroir de l’Autre, acculturés certes, – n’est-ce pas le rôle de l’école? –

mais désaliénés, c’est-à-dire armés contre les dogmes.

Soumya El Harmassi, Enseigner la littérature au début du XXIe siècle

(2015, p. 250-252)

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1

Introduction

La citation dense qui figure en exergue du présent mémoire témoigne de manière magistrale des préoccupations

qui nous ont habitée bien avant et tout au long de notre recherche de maitrise, et qui sauront traverser de part

en part, l’espérons-nous, les pages qui suivent. Elle nous place devant la nécessité de nous questionner sur cet

accès à la parole littéraire, en inscrivant cette réflexion dans le champ qui est le nôtre, celui de la didactique de

la littérature. Aussi, notre attention se tourne-t-elle vers ceux et celles qui s’engagent valeureusement sur la voie

de l’enseignement des lettres, et qui endosseront cette responsabilité cruciale, si l’on souscrit aux propos d’El

Harmassi, de faire entrer dans cette substance vive des textes littéraires d’autres qu’eux-mêmes.

Un travail de maitrise tel que nous l’avons entrepris ne peut faire l’économie, nous semble-t-il, d’une réflexion

rigoureuse sur les finalités de l’enseignement de la littérature. Nous nous situons, d’un point de vue

épistémologique, dans une perspective humaniste, au sens où nous considérons l’étude de la littérature comme

« une expérience nous apprenant à vivre “enfermé avec” ce que nous sommes, avec ceux qui nous entourent

et qui nous constituent » (Citton, 2017, p. 503). Nous croyons en outre que l’on se trouve aujourd’hui devant

l’urgence de penser les modalités de la cohabitation des discours pluriels sur l’enseignement des lettres, qu’ils

soient humanistes, instrumentalistes, anthropologiques, herméneutiques ou esthétiques (Côté et Simard, 2007).

Nous adoptons d’ailleurs, et cela se reflète dans ce mémoire, une attitude par laquelle nous nous défions

systématiquement des présentations par trop dichotomiques, souvent simplistes. En ce sens, nous pensons

qu’il est profitable de cesser de coincer l’enseignement de la littérature dans des réflexions d’opposition, héritées

du passé, et de se donner le droit de l’envisager dans tous ses possibles, étant entendu que, comme c’est le

cas ici, dès que l’unanimité est à jamais perdue, tout homme est jugé sur la qualité de ses incertitudes (Dumont,

1968).

Les interrogations développées au fil de ce mémoire trouvent leur source dans deux évènements charnières de

notre parcours d’étudiante : notre découverte de la didactique de la littérature lors de notre passage au Diplôme

d’études supérieures spécialisées en enseignement collégial de l’Université Laval et une étude exploratoire

menée avec notre lumineuse directrice de recherche, en parallèle de nos propres travaux de maitrise (Sauvaire

et Gagné, 2018). Le premier a été le moment d’un bouleversement radical et, paradoxalement, il s’est

accompagné de l’impression de rentrer – enfin! – chez soi. Il nous a permis de retrouver le sens, pour nous, de

la littérature, de son apprentissage et de son enseignement, après trois années d’une formation initiale en études

littéraires et philosophie où nous avons expérimenté de près le « verrouillage du jeu interprétatif, le

cloisonnement des logiques de l’écrit, la sujétion aux pouvoirs de l’auctor et l’impuissance déclarée de toute

lectio, autrement dit, le littéralisme obligatoire » (p. 12) dont parle Cusset dans la préface du très bel ouvrage

d’Yves Citton (2017), Pourquoi les études littéraires? Le second a quant à lui confirmé provisoirement nos

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2

intuitions, après avoir observé, chez d’autres que nous, mais dans un contexte similaire de formation à

l’enseignement, un rapport à la littérature pétri de littéralisme, lequel fige en amont la signification des textes

littéraires plutôt que de la laisser se déployer dans l’interprétation active, incarnée, subjective et subversive de

lecteurs bien réels. Ce sont ces deux évènements qui nous ont poussée à nous pencher sur les enjeux de

l’appropriation des savoirs pluriels et parfois contradictoires en jeu dans l’enseignement de la littérature au

collégial, et sur les deux temps en porte-à-faux, tant d’un point de vue épistémologique que praxéologique, de

cette formation d’abord disciplinaire, puis didactique.

Nous positionnons ainsi le présent mémoire dans une mouvance résolument didactique. Il emprunte les voies

tracées par les travaux sur les cultures disciplinaires et sur leur incidence quant à l’appropriation de savoirs

didactiques, la lecture littéraire faisant figure de proue parmi ceux-ci et révélant nombre de tensions entre des

axiologies et des modèles lectoraux et formatifs tantôt complémentaires, tantôt concurrents. Dans le premier

chapitre, nous exposons la problématique qui nous a amenée à préciser l’objectif et les questions de notre

recherche. Le deuxième chapitre est consacré au cadre théorique, qui est structuré autour de trois notions et

concepts principaux : après avoir présenté la typologie des savoirs que nous retenons, nous définissons la

notion d’appropriation (Vanhulle, 2002), le concept de lecture littéraire (Dufays, Gemenne et Ledur, 2005;

Rouxel, 2002; Langlade, 2007) et la notion de « rapport à » la lecture littéraire (Émery-Bruneau, 2010). Le

troisième chapitre présente la méthodologie adoptée pour l’étude de cas que nous avons réalisée et qui inclut

deux modes de collecte de données centraux : les « carnets de lecteurs », des documents rédigés par les futurs

enseignants, et les entretiens semi-dirigés. Les quatrième et cinquième chapitres sont dédiés à l’analyse et à

l’interprétation des résultats issus de cette collecte de données.

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3

Chapitre 1 Problématique

1.1 Contexte social

Au Québec, l’enseignement de la littérature constitue l’objet central de la formation collégiale1 (MEES, 2016).

Selon les plus récents programmes d’études, il a pour finalité d’amener les cégépiens à maitriser2 la langue

comme outil de réflexion, de communication et d’ouverture sur le monde, de stimuler leur imagination et

d’aiguiser leur sensibilité. Il vise aussi à élargir leurs connaissances dans le domaine littéraire et à leur permettre

d’intégrer les acquis de la culture vivante, actualisée et diversifiée dans laquelle ils s’inscrivent. La fréquentation

constante des œuvres littéraires et la pratique régulière de la lecture procureraient à l’étudiant une plus grande

autonomie pour structurer sa pensée et son discours, en plus d’améliorer la qualité de son expression, si bien

écrite qu’orale (MEES, 2016). Au confluent de nombreuses disciplines, l’enseignement du français permet

également l’exercice de pratiques scolaires et sociales, comme la rédaction de texte et les activités de

compréhension ou d’expression orale (Dufays, 2007b). Bien que cette utilisation instrumentale de

l’enseignement de la lecture et de la littérature comme « prétexte » au développement de compétences

langagières soit dénoncée par plusieurs auteurs (Goulet, 2000; Roy, 2009; Vallée et coll., 2013), il n’en demeure

pas moins qu’elle prend de plus en plus d’espace dans les pratiques (Babin, 2016) et qu’elle est un puissant

levier de sa justification dans les programmes scolaires du Québec. Nous sommes de ceux qui croient qu’il est

souhaitable de développer à la fois des savoirs sur la littérature et par la littérature (voir Richard, 2006).

Le Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur a maintes fois réitéré la pertinence des quatre cours

de Français, langue d’enseignement et littérature (dont trois sont obligatoires) sur le plan des connaissances,

des habiletés et des attitudes (MEES, 2016). Or, ces cours présentent « des défis […] importants pour une

majorité de jeunes, jugés faibles lecteurs par plusieurs professeurs du collégial » (Babin, 2016, p. 3). Les

statistiques révèlent que 41 % des étudiants du collégial subissent un échec à au moins un de leurs cours en

première session en raison de leurs difficultés de lecture (Riopel, Gagnon, Gagnon et Maisonneuve, 2006), et

que près du quart des étudiants inscrits pour la première fois au premier cours de français, Écriture et littérature,

l’échouent (CEEC, 2001; RCMM, 2010). Dans ce contexte, la formation de ceux qui ont pour tâche de leur

enseigner revêt la plus haute importance.

1 Au Québec, le cégep, acronyme pour collège d’enseignement général et professionnel, constitue un établissement d’enseignement postsecondaire qui propose des programmes d’études préuniversitaires et professionnels, d’une durée de deux ou trois ans. Les étudiants en sont, à leur admission, à leur douzième année de scolarité. 2 Le présent mémoire adopte les rectifications de l’orthographe, à l’exception des citations textuelles qui respectent la graphie originale.

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4

Les futurs enseignants3 de littérature du collégial reçoivent généralement une formation initiale disciplinaire en

études littéraires au baccalauréat et parfois à la maitrise et au doctorat. Ils peuvent compléter cette formation,

s’ils le souhaitent, par un diplôme de deuxième cycle en éducation, comme le Diplôme d’études supérieures

spécialisées (D.E.S.S.) en enseignement collégial de l’Université Laval, qui prévoit des cours en didactique du

français4. Les savoirs littéraires acquis lors de la formation disciplinaire, pour être transposables dans un

contexte d’enseignement, devraient venir de pair avec l’appropriation de savoirs et de dispositifs didactiques

centrés sur les étudiants : « La chose est entendue : le propre de l’activité enseignante consiste à rendre

“enseignables” les savoirs, “c’est-à-dire présentables aux élèves et assimilables par eux” (Durand, 1996, p. 176).

Ce qui exige, on s’en doute, un travail de réorganisation et de restructuration […] » (Simard, 2004, p. 149). Or,

il demeure encore à développer tout un pan de la recherche sur l’enseignement-apprentissage des savoirs

(Florey, Ronveaux et Cordonier, 2015) littéraires et didactiques. S’agissant de formation des enseignants,

Dufays faisait ainsi remarquer, en 2015, qu’un grand nombre de questions reste encore à poser, et que si la

formation a fait l’objet, au cours des dernières décennies, de nombreuses recherches de nature pédagogique,

on ne dispose guère, à ce jour, de recherches sur les aspects didactiques de cette formation. Développer des

travaux sur la formation didactique des enseignants est donc une tâche essentielle pour les didacticiens d’une

discipline. « Quels sont les savoirs, les outils et les démarches propres à la discipline utilisés pour former les

enseignants et quels effets produisent-ils? Et de quels autres savoirs, outils et démarches paraissent-ils avoir

besoin? » (2015, p. 71). À notre connaissance, aucune recherche n’a encore documenté la formation à

l’enseignement de la littérature au collégial, un ordre d’enseignement spécifiquement québécois.

1.2 Le disciplinaire et le didactique : prolégomènes de définition

Il nous semble indispensable de clarifier brièvement ce que nous entendons par les vocables « disciplinaire »

et « didactique ». Cet effort définitionnel, entrepris sous la direction de Reuter (2007) dans le Dictionnaire des

concepts fondamentaux des didactiques, met l’accent sur ce qui distingue les disciplines des didactiques.

Reuter définit la discipline scolaire comme une « construction sociale organisant un ensemble de contenus, de

dispositifs, de pratiques, d’outils… articulés à des finalités éducatives en vue de leur enseignement et de leur

apprentissage à l’école » (2007, p. 85; voir aussi Chervel, 1998 et Astolfi, 2008). L’une de ces finalités est

l’accession, dans une certaine forme, à un réel social extrascolaire par la construction de modes de penser, de

3 Selon un article publié dans la revue Correspondances, « enseignant » est « un terme générique qui désigne toute personne dont la profession est d’enseigner, qu’elle pratique à l’intérieur des ordres d’enseignement primaire, secondaire ou supérieur ». Le terme « professeur » renvoie quant à lui à « toute personne spécialisée dans l’enseignement d’une discipline, d’un art, d’une technique. Par le fait même, le terme désigne toute personne qui enseigne dans un établissement secondaire, collégial ou universitaire » (Clément, 2000). Considérant que chacun des termes peut caractériser une personne qui enseigne au niveau collégial, nous nous permettons d’employer « enseignant » et « professeur » comme des synonymes. 4 Les données collectées par Dezutter et ses collaborateurs (2012) montrent que pour la discipline Français, langue et littérature, les personnes employées détiennent en large majorité un diplôme de premier cycle en études littéraires, suivi d’une maitrise amorcée ou terminée dans ce même champ disciplinaire (voir aussi Babin, 2016).

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5

parler et d’agir qui transforment, combinent ou enrichissent des modes existant chez les élèves (Schneuwly,

2007). Toute discipline scolaire est en continuelle mutation. Elle est le « produit des pratiques multiformes des

différents acteurs du système scolaire » (Schneuwly, 2007, p. 12) et elle entretient un rapport complexe avec

une ou des disciplines scientifiques – de recherche – universitaires. Sans n’être jamais le décalque les unes

des autres, les disciplines scolaires et scientifiques sont jointes substantiellement. Les disciplines scientifiques

supposent « des lieux, instances, réseaux, supports, corps de professionnels spécialisés dans la production

systématique de nouvelles connaissances par la recherche scientifique » (Hofstetter et Schneuwly, 2001, p. 12).

Elles assument également un rôle de transmission des connaissances élaborées. En résumé, les disciplines

découpent dans la réalité des objets qui deviennent intérêts d’étude et de découverte (discipline scientifique) ou

matières à transmettre (discipline scolaire) (Schneuwly, 2007). La littérature, par exemple, à la fois comme

connaissance et comme pratique, est une discipline scolaire qui cultive des liens très denses avec la discipline

scientifique Études littéraires.

La didactique est une discipline de recherche scientifique et non une discipline scolaire. Elle accorde un intérêt

dominant au pôle des savoirs relatifs à une discipline donnée et aux rapports que les apprenants et les

enseignants établissent avec ceux-ci (Dufays, 2006). Elle analyse « les contenus (savoirs, savoir-faire…) en

tant qu’ils sont objets d’enseignements et d’apprentissages référés/référables à des matières scolaires. [C’est]

la focalisation sur les contenus et sur leurs relations à l’enseignement et aux apprentissages qui spécifie les

didactiques » (Reuter, 2007, p. 69). La didactique examine rigoureusement

les démarches d’enseignement qui ont cours dans l’institution scolaire et tente d’éclairer le phénomène de transposition des savoirs savants ou des pratiques sociales en savoirs scolaires [en plus d’] explorer les conditions et les processus d’acquisition de tel ou tel objet d’étude, en repérant les obstacles que les apprenants doivent surmonter et en tentant de dévoiler leurs conceptions et leurs façons de raisonner (Simard, Dufays, Dolz et Garcia-Debanc, 2010, p.15).

De ces analyses découle la mise en œuvre d’interventions didactiques susceptibles de guider et d’améliorer les

pratiques d’enseignement. Il s’agit de la partie plus pratique du travail des didacticiens, qui positionne également

la didactique comme discipline d’intervention et de formation. La didactique du français est, à l’instar d’autres

didactiques, un produit récent de l’évolution des systèmes scolaires. Elle est issue

de la discipline scolaire dans un processus de « disciplinarisation secondaire », lequel est en lien avec un mouvement de professionnalisation du métier enseignant, métier dont l’exercice exige des qualifications toujours plus élevées dans un système fortement complexifié. Sans être le reflet mécanique de la discipline scolaire, la « disciplinarisation » de la didactique du français interagit fortement avec les disciplines académiques de référence, linguistique et analyse littéraire surtout. Ainsi, la didactique évolue à travers des tensions complexes. Impossible, et inutile d’ailleurs, de vouloir donner des contours précis à cette discipline « didactique du français », dont l’ancrage reste néanmoins, par la force des choses, dans la discipline scolaire « Français » (Schneuwly, 2007, p. 23).

En d’autres termes, la didactique se définit dans sa relation à une discipline scientifique et se situe à un point

de jonction, voire de tension constitutive, entre cette dernière et une discipline scolaire (Reuter, 2007). La

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formation des futurs enseignants de littérature du collégial les engage dans cette épineuse triade : la littérature

en tant que discipline scientifique de référence et discipline scolaire et la didactique de la littérature, supposée

jeter les ponts entre les deux premières.

1.3 La structure spécifique du curriculum de formation des futurs

enseignants de littérature du collégial

Les qualifications minimales pour occuper un emploi d’enseignant de littérature dans un collège québécois sont

assignées par chaque établissement. Aucune norme ou législation ne régit l’ensemble du réseau et

contrairement aux ordres primaire et secondaire, les candidats ne sont pas tenus de détenir un brevet pour

enseigner (Emploi Cégep, s.d.). Peu importe le domaine, la formation la plus communément exigée par les

cégeps pour l’embauche des professeurs est celle de la discipline d’enseignement (CSE, 2000). Les données

collectées par Dezutter et ses collaborateurs (2012) montrent que pour la discipline Français, langue et

littérature, les personnes employées détiennent en large majorité un diplôme de premier cycle en études

littéraires, suivi d’une maitrise amorcée ou terminée dans ce même champ disciplinaire5 (voir aussi Babin, 2016).

Le profil de formation des futurs enseignants de littérature du collégial diffère donc de celui des enseignants des

autres ordres d’enseignement, formés au premier chef sur les plans didactique et pédagogique (Dezutter, Babin,

Goulet et Maisonneuve, 2012). La formation principalement disciplinaire requise pour enseigner au collégial

suppose que les enseignants acquièrent de façon autonome des savoirs pour enseigner (Lauzon, 2002).

En effet, bien que les différents programmes de baccalauréat québécois en études littéraires suggèrent

l’enseignement au niveau collégial comme l’une des perspectives d’avenir parmi les plus courantes (Université

Laval, 2016; UQAM, 2009; Université de Sherbrooke, s.d.; UQAC, 2016; UQTR, 2009; UdeM, s.d.), force est de

constater, par l’absence de cours de didactique dans les cheminements qu’ils décrivent, que la formation n’a

pas pour vocation de préparer à l’enseignement. Trois universités font exception et incluent, dans leur

programme de premier cycle en études littéraires, un cours optionnel d’enseignement de la littérature (Université

de Sherbrooke, 2016; UQAC, 2016; UQAM, 2016). Au Québec, c’est donc seulement après un minimum de

trois années d’immersion dans la culture des lettres que les futurs enseignants de littérature du collégial ont la

possibilité de s’initier à la didactique. La plupart d’entre eux sont alors néophytes en la matière. Leur contact

avec la didactique est, de surcroit, beaucoup moins prolongé qu’avec la discipline Études littéraires. À

l’Université Laval, par exemple, le Diplôme d’études supérieures spécialisées en enseignement collégial prévoit,

en fonction des cohortes, un ou deux cours de quarante-cinq heures chacun de didactique du français

5 « Si les enseignants du secondaire ont reçu une importante formation en pédagogie et en didactique, les professeurs du collégial sont à la quasi-unanimité diplômés en études littéraires uniquement (CSE, 2000) ». Pour Babin et Dezutter, cela contribue peut-être « à alimenter la résistance de quelques praticiens envers une certaine vision de l’enseignement de la lecture de la littérature, comme cela s’observe dans des high schools américains (Franzak, 2006) ou des lycées français (Bertucci, 2004) » (2013, p. 147).

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(Université Laval, 2016). À l’Université du Québec à Chicoutimi, pour le même programme, aucun cours n’est

désigné par l’appellation « didactique » (UQAC, 2015). Il en est de même pour l’Université du Québec à

Montréal, qui offre au deuxième cycle un programme court de quinze crédits en pédagogie de l’enseignement

supérieur (UQAM, 2016). Quant à l’Université de Sherbrooke, son Diplôme de deuxième cycle en enseignement

collégial propose aux futurs enseignants huit cours d’un à trois crédits intitulés « didactique », mais tous sont

optionnels. Un étudiant peut ainsi réaliser entre zéro et seize crédits en didactique (Université de Sherbrooke,

2016)6. Au vu des critères d’embauche des cégeps autant que de l’offre de cours des milieux universitaires,

nous pouvons conclure, après Babin « que la formation en didactique du français [est] essentiellement du ressort

individuel » (2016, p. 57).

Dans les recherches en didactique du français, les enjeux de la formation des enseignants de littérature de cet

ordre d’enseignement propre au système scolaire québécois ne sont pas documentés. Toutefois, nous appuyant

sur des recherches qui portent notamment sur la formation à l’enseignement au secondaire supérieur français,

nous entrevoyons d’entrée de jeu des difficultés relatives à un décalage entre les savoirs induit notamment par

la structure du curriculum (voir De Beaudrap, Duquesne et Houssais, 2004 et Petitjean, 2014) et au choc entre

deux champs dont les créneaux théoriques et pratiques sont marqués de nombreuses ruptures : le champ

centenaire des études littéraires et celui, plus récent, de la didactique du français (Bronckart, dans Kilcher-

Hagedorn, 1987; Reuter, 2011). D’abord, le faible arrimage entre les savoirs disciplinaires et didactiques est

posé comme l’un des principaux obstacles des formations en deux temps, comme celle à l’enseignement

collégial (voir à ce sujet Vanhulle et Lenoir, 2005). Puis, la formation en études littéraires et la formation en

didactique de la littérature reposent sur des modèles épistémologiques et praxéologiques en tension et elles ne

partagent pas les mêmes objectifs. Au terme de leur formation disciplinaire, il est attendu des étudiants qu’ils

maitrisent des savoirs de référence et des pratiques universitaires de la littérature. La formation disciplinaire

contribue également à installer une culture disciplinaire, au sens d’« ensemble organisé de croyances, de

normes et de valeurs liées à la nature de la discipline » (Saussez, 2009, p. 81) ainsi qu’à ses pratiques

d’enseignement. La formation didactique, quant à elle, vise à former des enseignants aptes à mettre en œuvre

des dispositifs d’enseignement et d’apprentissage qui engagent les étudiants à construire des significations. Elle

entend faciliter le passage de la maitrise des discours d’expertise sur la littérature à la pratique de la littérature

auprès de publics d’étudiants, en permettant aux futurs enseignants de s’approprier des savoirs et des savoir-

faire utiles à l’enseignement des lettres et à la transposition de contenus disciplinaires (Deronne, 2011).

6 La plupart des diplômes cités prévoient aussi la réalisation de stages d’enseignement en milieu collégial.

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1.4 La formation en études littéraires à l’université

Les études littéraires ont pour mandat de former des spécialistes disciplinaires. Au terme de leur formation, il

est attendu des étudiants qu’ils soient de fins connaisseurs et analystes de la littérature, un objet à priori

problématique, qui résiste aux tentatives définitoires et qui s’est trouvé historiquement secoué par des crises

épisodiques (voir Ahr, 2015). L’apprentissage des savoirs théoriques et des méthodes d’analyse est conditionné,

en études littéraires, par une exigence de rigueur et de conformité à diverses normes. Cette exigence et ces

normes sont elles-mêmes les conséquences d’une perpétuelle quête de légitimité scientifique, contrecoup du

« déclin des lettres comme discipline de sélection de l’élite » (Ropé, Bucheton et Leloch, 1994, p. 24) et de la

montée, dans les années 70, de la sémiotique et de la linguistique littéraires, lesquelles sont parfois considérées

comme le ferment de dérives formaliste et techniciste (Quet, 2006). Un discours distancié l’aurait ainsi emporté

dans le monde universitaire, lequel « [met] en œuvre des principes théoriques qui sont ceux de la fin du XXe

siècle » (Daunay, 2002, p. 147) en appliquant des méthodes imposées comme vulgate dominante d’approche

scolaire du texte littéraire. Citton (2009) l’a montré : le dispositif propre aux études littéraires consiste à

« neutraliser [la] dimension d’assertion personnalisée » (p. 9). « La compétence que doivent apprendre les

étudiants, à travers toute une série de techniques et de rituels transmis par les facultés de Lettres, c’est

précisément de pouvoir parler caché en faisant passer leurs affirmations comme des affirmations venant

d’autrui » (id.). Dans le même sens, Reuter (1995) fait remarquer que ce qui s’enseigne sous le nom de littérature

« consiste d’abord, institutionnellement, en la reconnaissance d’un corpus, de valeurs à lui attribuer, d’un type

de relation à ce corpus et en la “naturalisation” de cette reconnaissance. En conséquence, ce qui s’enseigne,

c’est à la fois une croyance et une posture » (p. 70).

Il n’existe pas, à notre connaissance, de travaux à visée descriptive qui fassent état des corpus étudiés dans

les programmes universitaires de littérature québécois7 : chaque professeur-chercheur en études littéraires fait

ses propres choix. Un rapide survol des syllabus des universités précitées permet toutefois de prendre acte d’un

conformisme plus ou moins prononcé d’un programmes à l’autre : panthéon d’œuvres consacrées et reconnues

par l’institution, auteurs classiques, curriculums « historicistes », etc. Par exemple, à l’Université Laval, à

l’exception des cours portant l’intitulé « Sujets spéciaux », le programme d’Études littéraires est segmenté par

époques, des littératures anciennes jusqu’à nos jours. En fonction de leur concentration, les étudiants

sélectionnent des cours parmi des blocs de tronc commun comme Histoire de la langue, Théories et approches

littéraires, Littératures ancienne, française, québécoise, francophone et universelle, Théâtre, etc.

7 Dezutter, Babin, Goulet et Maisonneuve (2012), au Québec, ont brossé un portrait du choix des œuvres dans les programmes des ordres d’enseignement primaire, secondaire et collégial.

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Même si Michel (2010) et Citton (2007) ont souligné « l’éclectisme théorique » (dans Ahr, 2017, p. 101) qui

marque les choix locaux des universités en matière d’enseignement de la littérature, certaines constantes

relatives aux « valeurs à attribuer [au corpus et au] type de relation » (Reuter, 1995, p. 70) à privilégier vis-à-vis

de celui-ci peuvent être inférées des conclusions concordantes auxquelles sont parvenues les recherches en

didactique des dernières décennies, majoritairement réalisées en Europe francophone. Ce qui y est relaté parait

pouvoir se transposer à la formation québécoise, qui serait encore fortement influencée par la tradition française

(Baribeau et Lebrun, 2005).

Dans le cadre des recherches convoquées dans les lignes qui suivent, les didacticiens constatent, à travers le

prisme de l’histoire de l’enseignement de la littérature à différents ordres d’enseignement (secondaire,

secondaire supérieur, collégial, universitaire8), un « excès de formalisme dans le traitement scolaire des textes

littéraires » (Daunay, 2007, p. 155). Daunay (2007) critique ainsi la « naturalisation des pratiques scolaires de

la littérature, qui apparaiss[ent] en fait comme le calque d’une pratique lettrée, instituée seule pratique de

référence de la lecture scolaire des textes littéraires » (p. 155). Rouxel (2007) parle d’une « formation conçue

comme soumission au texte » (p. 65). Elle cite Le Fustec et Sivan, qui identifient différentes pratiques et

stratégies d’évitement qui affadissent et dénaturent l’enseignement de la littérature : l’esquive des textes « forts,

ceux qui provoquent des émotions ou des réactions affirmées », l’esquive « des affrontements idéologiques et

des réalités sociales », enfin, « des méthodes d’analyse qui privilégient l’observation du jeu des formes et

relèvent d’une conception esthétisante de la littérature » (dans Rouxel, 2007, p. 66). Chanfrault-Duchet (2001)

remarque quant à elle, chez les étudiants universitaires, la recherche d’un discours « standard », légitimé par

sa présence dans plusieurs manuels. Dans le même sens, Langlade (2000) souligne le paradoxe selon lequel

la nécessaire acquisition de savoirs sur les textes éloigne souvent des expériences de lecture que ces mêmes

savoirs ont pour vocation de servir. Ahr, dans une étude menée en 2017, relate que 65 % des 82 diplômés en

lettres qu’elle a sondés affirment que pendant leur formation disciplinaire, on leur a demandé de produire des

écrits objectifs, « pas centrés sur la réception » (p. 99), et encore moins sur leur avis personnel. Deronne (2011),

finalement, synthétise cette discussion.

Si l’on se place du côté de l’enseignement de la littérature à l’université, on constate qu’il apporte aux étudiants un répertoire de savoirs utiles et nécessaires pour aborder les problématiques de la littérature (histoire littéraire, genres littéraires, courants, écoles, outils d’analyse narratologique, histoire de la critique, sans oublier l’étude des œuvres au programme). Mais la littérature comme création artistique et esthétique est peu abordée, ou plus exactement, la nature et les enjeux des relations de l’étudiant à l’œuvre littéraire dans sa perception et interprétations singulières ne semblent pas occuper une place importante. D’autre

8 Devant l’absence de travaux sur la formation en études littéraires au Québec, nous postulons ici, d’une certaine façon, que l’enseignement de la littérature à différents ordres d’enseignement est susceptible d’éclairer, sous des angles complémentaires, la formation littéraire à l’université. Si l’on peut reprocher au raisonnement son caractère sophistique, parce qu’il part des effets pour éclairer les causes, l’exercice s’avèrera tout de même éclairant pour notre propos.

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part, les formes de restitution et de transfert des savoirs littéraires acquis durant cette période restent très souvent académiques, qu’il s’agisse du commentaire littéraire ou de la composition française (p. 105).

Cette recension de citations met en exergue la pérennité de certains traits constitutifs de l’enseignement de la

littérature à l’université. Ce regard critique posé par la didactique sur la formation en lettres se doit toutefois

d’être replacé dans son contexte : il est inévitablement teinté par l’importance qu’accorde la didactique aux

rapports que les apprenants établissent avec les savoirs relatifs à une discipline donnée (Dufays, 2006), de

même que par la posture de la didactique comme discipline d’intervention et de formation.

1.5 L’influence possible de la formation en études littéraires sur

les futurs enseignants de littérature du collégial

S’inscrivant dans la perspective de la professionnalisation des enseignants, Saussez (2009) a mis en évidence

que « la discipline enseignée constitue un contexte conceptuel fondamental pour les enseignants » (p. 79).

Wilson & Berne (1999) ont souligné la pertinence de questionner les spécificités éventuelles du processus d’apprentissage de l’enseignement et du développement professionnel des enseignants au regard des particularismes disciplinaires, plus particulièrement sous l’angle des pratiques d’acquisition du savoir valorisées au sein de celles-ci. Dans cette optique, on peut aussi s’interroger sur le rôle de la formation disciplinaire (et des spécialistes de la discipline), de l’organisation des cursus d’études […] dans le développement d’une conception particulière de la discipline et d’une conception normative de l’enseignement de cette dernière (Saussez, 2009, p. 86).

Dans la situation particulière d’une formation à l’enseignement consécutive à une formation disciplinaire, il

appert que cette dernière constitue un « événement biographique important pour les enseignants en devenir »

(Saussez, 2009, p. 86).

En outre, dans l’accompagnement de certains enseignants en devenir, nous avons pu observer l’amorce d’un travail de reconfiguration identitaire se matérialisant dans l’expérience d’un passage d’une position d’expert de la discipline à celle de novice dans l’enseignement de la discipline. Certains enseignants vivaient parfois cette expérience sur le mode de la rupture entre discipline universitaire et discipline scolaire. Ils manifestaient leur inquiétude, lorsque soudainement, ils prenaient conscience qu’ils n’étaient pas à l’école pour continuer à pratiquer la discipline universitaire, mais pour la faire fonctionner dans un autre registre d’action (Saussez, 2009, p. 87).

La « culture disciplinaire » des études littéraires concourt à induire chez les futurs enseignants un « rapport à »9

(voir Charlot, Bautier et Rochex, 1992; Charlot, 1997; Barré-De Miniac, 2000; Falardeau et Simard, 2007, 2011)

la littérature (Émery-Bruneau, 2010, 2011, 2014) qui, parmi d’autres composantes, fondera leurs pratiques

quotidiennes, comme l’ont fait apparaitre Ropé, Bucheton et Leloch (1994). La formation universitaire

disciplinaire « contribue à la construction d’identités socio-culturelles en transmettant des savoirs et des savoir-

faire » (p. 11) et engendre chez les étudiants futurs enseignants de français des dispositions, des attitudes, des

9 Nous rendrons compte dans notre cadre théorique de la conceptualisation du « rapport à ».

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modes de pensée, des comportements spécifiques, « des représentations du monde, un “habitus” au sens de

Bourdieu » (Ropé, Bucheton et Leloch, 1994, p. 11).

En didactique du français, Émery-Bruneau (2014) a montré que la culture lettrée infléchit sensiblement les

conceptions et pratiques de la littérature des futurs enseignants. Deronne (2011) insiste également sur

l’importance des « représentations héritées des contextes d’enseignement/apprentissage dans lesquels se sont

trouvés les étudiants dans leur cursus » (p. 121), lesquelles orientent les dispositifs que valorisent les futurs

enseignants. De Beaudrap, Duquesne et Houssais (2004) soutiennent que la hiérarchisation des savoirs

effectuée par les stagiaires, qui ne font jamais « que répercuter les choix de l’instance de formation » (p. 83),

reflète celle de l’université. Babin (2016) a elle aussi observé que « le spécialiste disciplinaire parait […] calquer

en classe les modèles d’enseignement de l’œuvre littéraire complète hérités des études littéraires » (p. 58), et

que la formation initiale des professeurs est susceptible d’influencer leur enseignement10. L’identité du futur

enseignant serait donc faite de « strates de ce qu’a déposé l’enseignement reçu » (Ulma, 2010, p. 230), de ce

substrat scolaire et des effets de la formation en termes de pratiques et de savoirs.

1.5.1 Les savoirs hétérogènes en jeu en formation

D’un point de vue didactique, la littérature est en effet « affaire de savoirs et de savoir-faire objectivement

descriptibles et enseignables » (Daunay, 2007b, p. 49). Cette facette demeure pourtant occultée des

recherches.

On ne sait toujours pas très bien comment on apprend à devenir un enseignant, quels savoirs se construisent au juste, quel rapport au savoir (la perspective épistémologique), quels rapports aux savoirs (la perspective didactique) la formation vient infléchir, comment les futurs enseignants opérationnalisent les acquis de la formation initiale, quelles médiations précises se réalisent entre la théorie et la pratique. On ne dispose pas d’une vue claire sur la cohérence que les curriculums de formation apportent ou non, entre les cours consacrés aux disciplines-objets et les cours consacrés aux disciplines-outils11, etc. (Vanhulle et Lenoir, 2005, p. 234).

Pourtant, pour Vanhulle (2009), qui reprend cette idée de Raisky (1993), les savoirs ont un caractère

ontologique : ils structurent la personne, ils la constituent, la transforment et régulent ses actions, tout en se

laissant infléchir par des contextes ouvrant à de nouvelles significations. De plus, faut-il rappeler, après Ropé,

Bucheton et Leloch (1994), que

les savoirs choisis au sein des possibles conceptuels de notre époque, au sein du corps de connaissances disponibles, constituent le soubassement de la culture universitaire de référence des professeurs. Variables, ils contribuent à la richesse de la pensée, parfois en générant des tensions, voire des divisions,

10 L’analyse des pratiques à laquelle Babin (2016) s’est d’ailleurs prêtée révèle que cet enseignement est encore fortement coloré par un ancrage d’expert de la littérature. 11 De manière simplificatrice : la discipline-objet correspond à ce que nous appelons « le disciplinaire » et la discipline-outil s’apparente à ce que nous désignons par « le didactique ».

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dans un espace de concurrence où prévaut tel ou tel mode de pensée; communs, ils peuvent jouer un rôle unificateur (p. 11).

Quelles « conceptions du Savoir – donné d’avance, contemplé, transmis, découvert, construit, co-construit… –

déterminent la manière même d’enseigner et de concevoir l’apprentissage » (Vanhulle, 2006, p. 167)? Comment

les futurs enseignants du collégial s’approprient-ils les savoirs? Comment leur donnent-ils sens et les mettent-

ils en réseau? Comment des universitaires diplômés en études littéraires transposent-ils leur expertise et leurs

savoirs disciplinaires et comment les didactisent-ils en une forme qui puisse être comprise par les étudiants?

Il nous semble avisé de rappeler que la didactique de la littérature tire ses origines d’une contestation de

l’enseignement traditionnel (Daunay, 2007) et d’une critique virulente de ce qu’on a identifié comme une

« configuration ancienne » (Halté, 1992, p. 33) de l’enseignement du français. C’est en effet sur un socle

asymétrique, celui des nombreuses controverses idéologiques qui divisent le champ de l’enseignement des

lettres, que la didactique de la littérature s’est érigée12. Admettant ces liens litigieux entre la discipline Études

littéraires et la didactique de la littérature, lesquels procèdent de « conceptions différentes de l’enseignement

de la littérature, elles-mêmes issues de savoirs de référence distincts » (Ahr, 2015, p. 128), il nous apparait

d’autant plus pertinent de nous questionner sur la façon dont les savoirs issus de ces domaines sont mobilisés

et appropriés par les futurs enseignants, et particulièrement dans le cadre de la formation à l’enseignement

collégial. Si, pour Shulman (2007, dans Dufays, 2015), il est de première nécessité de s’interroger sur les

sources du savoir professoral, sur ce qu’un professeur sait et sur comment il vient à le savoir, mais surtout, sur

la manière dont le nouveau savoir est acquis, le savoir ancien récupéré, et les deux combinés pour former un

nouveau savoir, Canvat (2015) remarque que le problème des savoirs est loin d’être simple, en raison de la

démultiplication de ceux-ci dans les dernières années :

À l’heure actuelle, et à l’instar de toutes les disciplines marquées par l’avènement des systèmes ouverts et des « univers de la complexité » (Balandier, 1994), les études littéraires sont caractérisées par l’enchevêtrement des théories de référence et le brouillage des paradigmes. On voit le problème : le champ des savoirs de référence est sans limites. […] Comme on peut le deviner, les dangers de cette profusion des savoirs sont grands pour la didactique de la littérature : soit l’éclectisme « par lequel on grappille çà et là, au gré des humeurs et des occasions, extrayant les concepts des réseaux où ils prennent sens, les arrangeant en des assemblages composites dont l’objet, second mais essentiel, est de masquer œcuméniquement les inconciliabilités foncières »; soit le dogmatisme, car « quand on ne peut véritablement expliquer et faire comprendre rationnellement, faute de bon savoir, il faut convaincre et faire croire » (Halté, 1992, p. 68). Cette situation place la discipline en porte-à-faux et peut entrainer (au moins) deux positions : celle qui défend un fonctionnement qui a fait ses preuves, au risque d’un décalage croissant avec les diverses formes de savoirs savants qui s’occupent de littérature, ou celle qui accepte une transposition hasardeuse, au gré de laquelle peuvent se perdre des éléments essentiels de la spécificité disciplinaire (p. 35-36).

12 La didactique de la littérature est d’ailleurs elle-même tiraillée par les tensions qui l’animent de l’intérieur : progrès et tradition, centration sur les savoirs et étude de leur appropriation, visées scientifiques et discours normatif (voir Chiss, Reuter et David, 1995 et Dufays, 2006).

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13

1.5.2 La reproduction d’une configuration traditionnelle de l’enseignement des

lettres : quelques exemples

Nous l’avons dit, les futurs enseignants de littérature du collégial sont généralement formés à l’intérieur de

cadres disciplinaires précis, qui sont les « fruits d’une puissante tradition liée aux études littéraires » (Babin et

Dezutter, 2013, p. 151). Pour ces enseignants en devenir, la formation didactique arrive seconde et doit installer

sa légitimité vis-à-vis d’une culture disciplinaire qui a eu au moins trois ans pour s’établir. Des chercheurs ont

en effet montré que la socialisation au sein du champ originaire tend à cristalliser une allégeance conservatrice

à la discipline d’appartenance plutôt qu’à la fonction d’enseignant (Rege Colet et Berthiaume, 2009). Un

« ancrage identitaire comme professeur de littérature semble décrire les individus qui, à l’instar de leurs

collègues d’autres disciplines dans les cégeps, “se sentent légitimés de persister dans une orientation

strictement disciplinaire” » (Lauzon, 2002, p. 42, dans Babin, 2016, p. 58). Ainsi, Émery-Bruneau (2011), au

Québec, a constaté chez l’un de ses sujets formé en études littéraires la reproduction d’un « modèle plutôt

transmissif d’enseignant expert de littérature » (p. 170-171). L’équipe composée de Dezutter, Goulet,

Maisonneuve et Babin (2012) a quant à elle permis de dégager la figure de l’« être cultivé » dans le discours

des professeurs du collégial formés en lettres : ces derniers se perçoivent presque tous « responsables » de

promouvoir la littérature et de « transmettre » des savoirs historiques et culturels (cités par Babin, 2016, p. 58).

En Europe francophone, Dumortier et Lebrun (2006) ont relevé chez les futurs enseignants un parti pris pour

des pratiques inspirées de l’investigation savante et une perception d’eux-mêmes ancrée dans leur expertise

de la littérature et dans leur appartenance en priorité à la communauté des professeurs de lettres (Chanfrault-

Duchet, 2001). Les futurs enseignants tentent d’installer leur autorité « en mettant encore massivement de

l’avant une posture où prime la maitrise des savoirs », une « posture scolaire » (p. 138), selon le mot de

Bucheton (1999), où le rapport à l’œuvre se traduit « par l’application de notions et l’exécution de tâches

techniques au détriment de la lecture elle-même » (Deronne, 2011, p. 103).

Empruntant le registre épistémique (ce qui s’enseigne et comment) Babin, au Québec, s’est intéressée, dans

sa thèse doctorale, aux professeurs du collégial en exercice, en identifiant elle aussi leur formation en études

littéraires comme l’un des éléments majeurs influençant leur ancrage identitaire et pesant sur leurs pratiques

d’enseignement. Même si nous ne nous attachons pas ici aux pratiques effectives d’enseignement au collégial,

cesdites pratiques, telles qu’analysées par Babin pour la première fois dans les recherches en didactique au

Québec, fournissent de riches informations sur ce qui se joue en amont (au moment de la formation). L’auteure

fait valoir que les professeurs du collégial semblent traiter en classe de savoirs essentiellement issus d’une

formation spécialisée en études littéraires (savoirs historiques et esthétiques), une formation elle-même

dispensée par des chercheurs dont les recherches relèvent de la discipline littérature, sans tenir compte du

monde de l’enseignement puisque là n’est pas leur domaine d’expertise (2016, p. 403). Quant aux savoirs

didactiques, ils sont peu ou pas mobilisés, puisque la priorité est accordée aux savoirs historiques et esthétiques,

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14

au détriment d’une approche subjective (2016, p. 72). Les réponses des professeurs du collégial ayant complété

le questionnaire administré par Dezutter et ses collaborateurs, pour l’enquête plus vaste dans laquelle s’inscrit

la thèse de Babin, révèlent que seulement 4 % des professeurs répondants affirment adopter une approche

centrée sur le pôle lecteur (Maisonneuve et coll., 2010, dans Babin, 2016). Babin (2016) soutient qu’à en croire

le temps important consacré au rôle d’expert, « il semble que persistent encore au collégial des pratiques

d’enseignement de la lecture de la littérature laissant une large part à l’exposé professoral […] et donc, peu de

place aux étudiants comme sujets-lecteurs » (p. 375). Plusieurs enseignants se décrivent aussi comme des

experts démonstrateurs, et l’un de leurs rôles serait « d’amener les étudiants à comprendre les textes » (id.).

Pour l’auteure, ces modèles d’enseignement – centration sur le pôle texte, pratiques transmissives de savoirs

sur le monde, sur la langue et sur la littérature et priorité à des angles d’entrée historique, institutionnel ou

esthétique dans l’œuvre – sont représentatifs de la formation littéraire à l’université : « les études littéraires –

comme tout champ universitaire spécialisé – imposent une attention plus fine aux éléments théoriques comme

les caractéristiques formelles du texte, les contextes sociohistoriques ou les courants de pensée dans le travail

de compréhension et d’interprétation de l’œuvre » (2016, p. 34). Lecavalier et Richard (2009) vont dans le même

sens : la formation en littérature a pour corolaire la prédominance du discours d’expert sur celui des élèves, les

cours magistraux sur le genre, l’époque et le courant ainsi que les outils ou méthodes d’analyse tellement

techniques qu’ils évacuent l’interprétation et « dont la validité est mise en doute par le relativisme postmoderne »

(paragr. 3). Goulet (2015) soutient pour sa part que « dans l’enseignement de la littérature dispensé dans les

cégeps québécois depuis 1994, les professeurs, trop préoccupés par la vocation exégétique de la lecture […]

ont été amenés à négliger cet aspect de la lecture littéraire dont l’enjeu est la connaissance du sujet par lui-

même » (p. 273).

Or, le problème est le suivant : malgré le désir des professeurs du collégial « d’imposer en classe [une] lecture

lettrée (Canvat, 1999a), [il] dominerait plutôt chez les jeunes adultes du collégial une lecture ordinaire de la

littérature » (Babin, 2016, p. 44; Maisonneuve, 2002), lecture ordinaire qui s’inscrit évidemment « en rupture,

aux yeux des professeurs, avec les compétences requises pour accéder à une lecture savante » (Babin, 2016,

p. 44). De même, il persiste une inadéquation entre la posture d’expertise universitaire et les finalités de

l’enseignement de la littérature au collégial, telles qu’elles ont été décrites dans notre problématique sociale.

Considérant ce qui vient d’être présenté, est-il concevable que la formation didactique puisse agir sur la culture

disciplinaire d’appartenance, cette figure tutélaire des études littéraires, et sur les pratiques de transmission des

savoirs qui y dominent? Comment les futurs enseignants de littérature du collégial expérimentent-ils le passage

de leur formation littéraire à leur formation didactique, avec leurs savoirs et leurs pratiques contrastés? Peut-on

favoriser la réflexion des futurs enseignants quant à la transposition didactique des savoirs disciplinaires et

qu’est-ce qui, dans leur formation didactique, les engagerait dans une réelle transformation de leur rapport à la

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15

littérature? Réélaboration conceptuelle, réconciliation des représentations, transformation du statut d’étudiant

en lettres en posture de futur enseignant et travail de transposition des savoirs sont autant de défis lancés aux

futurs enseignants de littérature.

1.6 Les enjeux de la formation en didactique de la littérature

Le futur enseignant formé en didactique de la littérature disposera, entre autres, d’un capital lui permettant de

recourir dans sa pratique si bien aux savoirs disciplinaires qu’aux savoirs didactiques, et les « cultures » des

deux champs sont susceptibles de s’influencer – et de l’influencer. Babin (2016) fait ainsi valoir « la nécessité

de convoquer dans l’enseignement de la littérature les multiples champs contributifs à la discipline » (p. 59). La

formation en didactique de la littérature soulève, nous semble-t-il, au moins trois enjeux qui concernent la

conscientisation, la transposition et la restructuration des savoirs.

L’équilibre que réussissent à trouver les enseignants en formation entre les savoirs disciplinaires et les savoirs

didactiques est précaire, selon plusieurs didacticiens. De Beaudrap, Duquesne et Houssais (2004) rappellent

ainsi que la représentation des savoirs littéraires joue un rôle fondamental dans la constitution de l’identité

professionnelle des futurs enseignants, mais qu’elle est peu remise en cause. Dans sa thèse sur le rapport à la

lecture littéraire de sujets lecteurs13, Émery-Bruneau (2011) explique pourquoi les étudiants québécois en

formation à l’enseignement du français au secondaire ont un ensemble de pratiques et de conceptions multiples

et hétéroclites de la lecture littéraire et de son enseignement. L’une des conclusions auxquelles elle parvient

rejoint cette idée d’habitus que nous avons déployée : les futurs enseignants sont peu conscients « des modèles

d’enseignement qu’ils ont connus, vers lesquels ils se tournent et qu’ils souhaitent recréer. Le rôle de leur

formation en didactique du français devient alors essentiel pour les amener à comprendre cette tache aveugle »

(Émery-Bruneau, 2014, p. 179). Deronne (2011), en France, accède au même constat : pour elle, les

modélisations et représentations des futurs enseignants sont plus ou moins conscientisées, et le projet

didactique qui consiste à « se départir d’une conception lettrée (parfois cachée) » (Daunay, 2006, p. 8) et

d’interroger les représentations des enseignants et des élèves ainsi que leurs pratiques sociales réelles, s’il

n’est pas nouveau, est encore minoritaire. L’on s’accorde ainsi sur le bienfondé de la formation aux savoirs

didactiques. Cependant, la prise en considération de ces derniers ne se fait pas sans heurts, si l’on prend à

témoin, de nouveau, les recherches récentes en didactique.

Deronne (2011) met ainsi en perspective la pénible transition de la maitrise des discours d’expertise sur la

littérature à la pratique de la littérature auprès de publics d’élèves, un passage qui requiert un « travail de

transposition complexe et difficile (passant par une déconstruction de représentations antérieures) plus

13 Les syntagmes « lecture littéraire » et « sujets lecteurs » feront l’objet d’un examen approfondi dans notre cadre théorique.

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16

particulièrement mené dans les espaces de formation […] » (p. 105). Dufays (2015) est d’avis que si les savoirs

disciplinaires forment la base, il demeure toutefois indispensable « de les actualiser et de les réinterroger au

moment où les étudiants sont en situation de devoir les transposer et les réinvestir dans une perspective

didactique » (p. 80). Pour lui, cette « (re)structuration critique […] est un enjeu trop important pour être confiée

à la seule responsabilité des spécialistes de “littérature pure” : parce qu’elle relève fondamentalement de la

transposition didactique, elle incombe aussi, largement, au[x] didacticien[s] de la littérature » (id.).

La découverte de l’approche didactique oblige finalement à une « reconstruction conceptuelle de ces deux

domaines » (De Beaudrap, Duquesne et Houssais, 2004, p. 206), c’est-à-dire le domaine de la littérature et celui

de son enseignement, et un tel travail demande du temps. Dumortier et Lebrun (2006) ont ainsi souligné la

difficile réconciliation de conceptions dissemblables de la littérature, ici comme discipline scientifique et là

comme discipline scolaire. Pour Daunay, qui convoque Chervel (1988), un écart se creuse « entre les

conceptions théoriques issues des études littéraires universitaires et l’enseignement de la littérature. Qu’une

certaine conception traditionnelle de la littérature perdure – nous avons qualifié cette conception

précédemment – peut être attribuable au moins autant à la difficulté de cerner les savoirs nouveaux – construits

par les disciplines qui prennent la littérature pour objet ou par la didactique – que par le rôle structurant de la

tradition disciplinaire dans la constitution des objets d’enseignement, qu’il s’agisse des savoirs en jeux ou des

méthodes mises en œuvre » (2007, p. 157). Langlade (2000), encore, fait valoir que

les savoirs sur les textes que possède l’enseignant deviendront […] des instruments didactiques au service d’une lecture aménagée des œuvres. En donnant aux savoirs disciplinaires un statut didactique, l’élaboration de dispositifs joue un rôle de premier plan […] dans la transformation de l’étudiant en lettres, qui utilise des savoirs pour lire des textes, en professeur de lettres, qui utilise ces mêmes savoirs pour donner à lire des textes (p. 168).

Nous reprendrons ici une question formulée par Vanhulle (2005) dans une conjoncture différente : comment

aider les enseignants en formation à s’approprier les savoirs didactiques et à les mettre en synergie avec les

savoirs disciplinaires, effort que le cursus ne semble pas faciliter?

1.6.1 Les enjeux de la formation de sujets lecteurs enseignants

Au sein de la didactique de la littérature, nous nous situons dans le paradigme des approches subjectives, que

nous décrivons abondamment dans notre cadre théorique. Il nous semble toutefois utile de signaler maintenant

que les défis évoqués dans la problématique nous paraissent accentués du fait de l’écart entre l’approche

traditionnelle prévalente en études littéraires et l’approche subjective privilégiée en didactique de la littérature.

La lecture littéraire et le sujet lecteur, dont nous préciserons les enjeux théoriques, invitent à « réviser bon

nombre de représentations et de pratiques dans la classe » (Huynh et Lorant-Jolly, 1998, p. 4, dans Ahr, 2015,

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17

p. 126). Leur prise en compte « dans les pratiques enseignantes implique d’élargir le champ d’investigation à

celui de la formation » (Ahr, 2015, p. 138). Ainsi, Fourtanier (2015) rappelle que

le plus important changement de paradigme de formation, celui qui devrait aimanter et réorganiser le système, consiste en la réelle mise en œuvre dans la formation des futurs enseignants d’une théorie de la lecture littéraire s’intéressant à la reconfiguration des œuvres et des textes par des lecteurs réels. Cette approche de la littérature à travers le prisme du sujet lecteur parait apte à susciter des pratiques qui contribueraient à faire reconnaitre des expériences lectorales multiples, à les enrichir et à les faire partager. Dans une telle perspective, l’un des enjeux majeurs de la formation serait que les futurs professeurs […] soient en effet capables de faire émerger des « textes de lecteurs » chez leurs élèves mais pour cela, ils doivent en amont être capables d’en faire émerger chez eux-mêmes. […] Le sujet lecteur, le texte du lecteur, l’activité fictionnalisante du lecteur, constituent par conséquent un ensemble de concepts qui, parce qu’ils ont une valeur opératoire en didactique, ouvrent un espace possible et souhaitable de formation » (p. 200-201).

Nous favorisons pour notre part la formation de « sujets lecteurs enseignants », c’est-à-dire de « professionnels

réfléchis, outillés, sensibles, capables de faire vivre aux élèves des démarches inductives qui les pousseront à

trouver la source de leur sensibilité et de leur réflexivité en lecture littéraire pour se développer et mieux se

comprendre comme sujets-lecteurs » (Émery-Bruneau, 2010, p. 364). Se pose ici le problème de la mise en

œuvre d’un enseignement et d’une formation à cet enseignement qui « articule expérience personnelle de

lecture et distance critique » (Ahr, 2015, p. 140).

Dans cette perspective, de nombreuses questions nous habitent et dessinent la trame de ce mémoire. Comment

aider les enseignants en formation à s’approprier, à incorporer dans leur subjectivité de lecteurs les savoirs

didactiques? Comment apprendre aux futurs enseignants à transformer les savoirs disciplinaires littéraires en

outils à exploiter pour le travail d’interprétation des textes? Et comment leur apprendre, encore, à ne pas faire fi

de la relation singulière texte-lecteur? Quels moyens mettre en œuvre pour qu’ils passent « d’une posture qui

consiste à appliquer des catégories d’analyse à une posture de lecture “émancipatrice” (Citton, 2009) »

(Deronne, 2011, p. 111)? Comment faire en sorte qu’ils délaissent le discours standard et légitimé, la glose

surdéterminée des manuels, valorisés dans leur parcours disciplinaire, pour conquérir leur autonomie et

ultimement être en mesure d’encadrer les démarches interprétatives des étudiants? Ce virage nous semble

nécessaire pour que s’établisse un dialogue avec les lecteurs réels auxquels les futurs enseignants auront à

enseigner. Il est également indispensable pour qu’ils se gardent de disqualifier (Daunay [2004] parle d’une

disqualification « bathmologique ») ces lecteurs qui ne correspondent pas à l’image construite du lecteur

légitime. Qu’est-ce qui peut permettre aux futurs enseignants, finalement, de dépasser les différents conflits

épistémologiques et praxéologiques induits, dans une large mesure, par l’institution14, et de s’émanciper du

poids de la tradition scolaire? À notre sens, ces questions méritent d’être posées pour parvenir à une meilleure

14 Fourtanier va jusqu’à parler de la schizophrénie de l’enseignant-lecteur « partagé entre son expérience singulière de la littérature et un enseignement stéréotypé, formaté, de la littérature » (dans Langlade, 2004b, p. 8).

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18

compréhension de la manière de cheminer d’une conception normative et érudite de la littérature à un rapport

à la lecture littéraire complexe axé sur la formation de sujets lecteurs (Rouxel et Langlade, 2004). Elles

dépassent toutefois, et de loin, nos prérogatives. Nous avons tenté, plus modestement, de répondre à la

question générale suivante :

Comment l’appropriation de savoirs didactiques en formation éclaire-t-elle le passage de la

compréhension de soi comme sujet lecteur à la construction de soi comme sujet lecteur enseignant?

Pour comprendre l’appropriation de savoirs didactiques par de futurs enseignants de littérature du collégial, et

plus spécifiquement la lecture littéraire, nous avons considéré la double polarité intrinsèque à la définition de

l’appropriation proposée par Vanhulle (2009) comme « co-construction de soi et de savoirs » (p. 50). Suivant

l’esprit de Vanhulle, pour comprendre l’appropriation, il ne s’agit pas de s’intéresser qu’aux objets de savoirs :

l’appropriation relève d’une co-construction qui implique aussi bien la compréhension de soi comme sujet

lecteur, essentiellement rétrospective, que la construction de soi comme sujet lecteur enseignant,

principalement prospective. Nous voulons notamment observer si, en tant que savoir mobilisé en formation à

l’enseignement collégial (grâce à des activités et à des pratiques liées à l’approche subjective), la lecture

littéraire peut constituer une source de tension, une « médiation structurante et régulatrice » (Buysse et

Vanhulle, 2009; 2010) capable de déclencher des transformations chez le sujet lecteur enseignant en formation.

Nous nous sommes ainsi attachée à répondre aux quatre questions spécifiques suivantes.

1. Comment les futurs enseignants de littérature du collégial se comprennent-ils comme sujets lecteurs?

2. Les futurs enseignants de littérature du collégial mobilisent-ils les savoirs disciplinaires déclaratifs attendus

au regard de leur formation en études littéraires, et si oui, comment?

3. Les futurs enseignants de littérature du collégial s’approprient-ils les savoirs didactiques vus lors de leur

formation en didactique de la littérature, plus particulièrement la lecture littéraire, et si oui, comment?

4. Comment les futurs enseignants de littérature du collégial se construisent-ils comme sujets lecteurs

enseignants?

Afin de mener à bien notre recherche, nous nous sommes appuyée sur un cadre théorique composé de trois

éléments structurants : la notion d’appropriation, les concepts de lecture littéraire et de sujet lecteur et la notion

de rapport à la lecture littéraire.

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Chapitre 2 Cadre théorique

Notre cadre théorique est structuré en quatre parties. Une fois la question des savoirs clarifiée, nous exposons,

dans les trois premières parties, les concepts et les notions15 qui nous semblent fertiles pour éclairer notre

question de recherche : la notion d’appropriation, les concepts de lecture littéraire et de sujet lecteur et la notion

de rapport à la lecture littéraire. Ces parties exposent les concepts et les notions qui existent dans notre domaine

de recherche, en lien avec les questions que nous nous sommes posées avant la collecte de données. La

dernière partie est consacrée à notre cadre d’analyse. Pour mener à bien l’analyse des données que nous avons

recueillies, il nous a fallu préciser certaines dimensions du cadre théorique et expliciter les liens entre ses divers

éléments. Également, le cadre d’analyse nous permet de faire quelques remarques théoriques préliminaires à

l’égard de nos outils méthodologiques, qui ont été élaborés à l’origine à partir d’un cadre théorique légèrement

différent du nôtre (celui de notre directrice de mémoire), ce qui pourrait porter à confusion en l’absence d’une

justification rigoureuse. Nous concevons ainsi le cadre d’analyse comme une cheville entre la réflexion théorique

et l’analyse des données de notre recherche : sorte d’addenda à notre cadre théorique, qui permet d’en rattacher

les éléments pour former un appareillage adapté à notre recherche, il confère en outre à notre méthodologie

une meilleure intelligibilité.

2.1 Les savoirs disciplinaires et didactiques en formation à

l’enseignement de la littérature

Dans leur état de la recherche au Québec sur la formation à l’enseignement, basé sur un corpus de 120

documents, Vanhulle et Lenoir (2005) font remonter à 1988 le moment où le rapport des enseignants aux savoirs

et l’impact de ce rapport sont posés. Plusieurs typologies générales des savoirs ont vu le jour depuis, lesquelles

entendent rendre compte de la variété de ce « kaléidoscope de savoirs » (Daunay, 2007a, p. 162) qui intervient

en formation des enseignants. Une typologie fréquente consiste à distinguer les savoirs à enseigner des savoirs

pour enseigner16. Les premiers sont les savoirs académiques et scientifiques disciplinaires. Il s’agit des savoirs

savants, légitimes, relatifs aux contenus à transmettre. Les seconds, quant à eux, sont les savoirs scientifiques

didactiques. Cette classification binaire a été reprise en didactique du français notamment par Langlade (2002),

qui divise les savoirs en deux grands volets : ceux qui ont le statut d’objets d’enseignement proprement dits et

ceux qui font office d’instruments didactiques. Elle nous semble opératoire pour discerner les savoirs qui nous

intéressent dans ce mémoire : les savoirs disciplinaires (à enseigner) et les savoirs didactiques (pour enseigner).

15 À l’instar de Daunay, Reuter et Schneuwly (2011), nous distinguons la notion du concept : la notion, pour devenir concept, doit véhiculer l’idée d’univocité ou de finitude sémantique. Même idée chez Dufays (2005). 16 Il s’agit d’une classification très répandue (voir notamment le recueil de contributions sous la direction d’Hofstetter et Schneuwly, 2001), souvent attribuée à Altet (1996; 2001).

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2.1.1 Les savoirs disciplinaires à enseigner

Les savoirs à enseigner sont essentiellement disciplinaires (littéraires) et ils se caractérisent par leur prodigalité,

leur éclatement et leur hétérogénéité (Canvat, 2000). Plusieurs nomenclatures, qui finissent à peu près par

coïncider, ont décrit les savoirs à enseigner en littérature. Par exemple, Canvat et Legros (1997) décèlent trois

types de savoirs à enseigner : les savoirs historiques, les savoirs socio-institutionnels et les savoirs formels. Les

premiers concernent l’histoire de la littérature; les seconds consistent en des savoirs sur le champ littéraire; les

troisièmes permettent de décrire méthodiquement les textes. Les savoirs à enseigner sont structurés de façon

similaire par Veck (1990), qui analyse les savoirs mis en œuvre par la discipline et transposés pour être

appropriés par les apprenants : histoire littéraire, rhétorique et argumentation. Dufays (2006), quant à lui,

différencie les savoirs déclaratifs (les « savoir que », ou savoirs proprement dits), des savoirs procéduraux (les

« savoir comment », aussi appelés savoir-faire ou habiletés) et des savoirs conditionnels liés à certaines

situations ou genres discursifs. En ce qui concerne Langlade (2000, voir aussi Reuter, 1992), il distingue les

savoirs sur les textes des habiletés lectoriales.

Certains auteurs comme Richard (2006) identifient, parmi les savoirs à enseigner, d’autres catégories de savoirs

que le « lecteur lettré » doit s’approprier. Richard évoque ainsi, en plus des savoirs formels sur la littérature, des

savoirs sur la lecture, des savoirs sur l’histoire et l’institution littéraires, des savoirs sur l’écriture et des savoirs

sur le fonctionnement de la langue et des textes. Babin (2016), au regard des différentes typologies, suggère

pour sa part que quatre types de savoirs sont impliqués dans l’enseignement et l’apprentissage de la lecture de

textes littéraires : les savoirs sur la littérature, les savoirs sur le monde, les savoirs sur la langue et les savoirs

sur les processus cognitifs impliqués dans la lecture (voir à ce sujet Giasson, 1995; 2011).

On le voit, plusieurs auteurs effectuent une division transversale au sein des savoirs disciplinaires, qui

départagent les savoirs et les savoir-faire. Cette distinction, depuis longtemps travaillée en psychologie et en

philosophie (Reboul, 1980, dans Reuter, Cohen-Azria, Daunay, Delcambre et Lahanier-Reuter, 2013), renvoie

à l’opposition entre deux formes d’apprentissages, apprendre que et apprendre à. Dans ce mémoire, concernant

les savoirs disciplinaires, c’est la dimension d’apprendre que qui est observée (ou plutôt, avoir appris que). C’est

pourquoi la question relative aux savoirs disciplinaires réfère au terme « mobilisation ».

Apprendre à écrire des récits se distingue d’apprendre que le récit se compose d’ingrédients comme des types de personnages (héros, adjuvants, opposants), des lieux et des objets, des schémas d’actions, des organisations textuelles, des formes linguistiques (l’emploi privilégié de certains temps verbaux), des systèmes énonciatifs, des modes de représentation (la question des points de vue et des voix), etc. Les savoirs sont ainsi du côté de ce que les théoriciens de l’intelligence artificielle ont appelé les connaissances déclaratives, les savoir-faire du côté des connaissances procédurales. Ces deux types de connaissances ne se manifestent pas de la même manière (George, 1988) : les connaissances déclaratives (savoir que) sont verbalisables dans le langage naturel ou un langage symbolique et mobilisables en dehors de l’activité; les connaissances procédurales (savoir comment) s’actualisent dans une activité finalisée, elles sont intégrées dans une conduite particulière. Schématiquement, « apprendre que » revient à acquérir de

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nouvelles informations (« je sais que le verbe s’accorde avec le sujet »), « apprendre à » consiste à développer des capacités (« je sais faire l’accord ») (Reuter, Cohen-Azria, Daunay, Delcambre et Lahanier-Reuter, 2013, p. 43-44).

Dans le cadre de ce mémoire en didactique de la littérature, les savoirs disciplinaires qu’il nous est possible de

faire ressortir sont ceux qui sont mobilisés au moyen du langage, oral ou écrit, en dehors des activités mêmes

de la discipline, par exemple, écrire une dissertation ou réaliser un travail d’analyse. Par commodité, nous

nommons ainsi savoirs disciplinaires les savoirs déclaratifs qui s’inscrivent dans la discipline Études littéraires.

Simard, Dufays, Dolz et Garcia-Debanc (2010) distinguent les connaissances, c’est-à-dire les savoirs théoriques

que possède l’individu sur la littérature, des pratiques littéraires17. Nous ne retenons, dans le tableau qui suit et

pour ce mémoire, que les savoirs théoriques, qui incluent les données traditionnelles de la stylistique, de la

poésie et de l’histoire littéraire, ainsi que des éléments relevant de la sociologie de la littérature. Le Tableau 1

fournit des exemples de ce que nous entendons par savoirs à enseigner.

Tableau 1. Les savoirs littéraires à enseigner (selon Simard, Dufays, Dolz et Garcia-Debanc, 2010)

SAVOIRS LITTÉRAIRES (concepts propres au champ de la littérature)

d’ordre analytique d’ordre historique d’ordre sociologique

Étude des thèmes et des valeurs (mort, enfance, liberté…) Notions relatives aux genres : sonnet, essai, mode lyrique, mode réaliste, mode fantastique… Catégories narratives : personnage, narrateur, dialogue, intrigue, temporalité… Catégories poétiques : vers, rime, strophe, image, métaphore Catégories dramatiques : comédie, tragédie, acte, décor, action, mise en scène…

Données biographiques sur les auteurs Caractéristiques des mouvements et des périodes littéraires Rapports entre la littérature et l’histoire des idées Évolution des genres et des procédés littéraires au fil des siècles Rapports entre la littérature et les autres arts

Rôle et statut des agents du mode littéraire : écrivain, critique, éditeur… Fonctionnement de l’appareil d’accréditation des ouvrages littéraires : l’édition, la presse, les médias, les Prix, l’école, la position des « chefs-d’œuvre »… Système de production des biens littéraires : aspects matériels du livre, mise en marché, phénomène des bestsellers…

Bref, nous conservons ceci des différentes catégorisations qui viennent d’être exposées : 1) les savoirs à

enseigner s’inscrivent dans la discipline littéraire, et 2) bien que les savoirs à enseigner constitue un ensemble

qui inclut généralement les savoirs théoriques déclaratifs et les savoir-faire procéduraux (lectoraux, scripturaux,

oraux), nous ne rendrons compte, dans ce mémoire, que de la mobilisation des premiers.

2.1.2 Les savoirs didactiques pour enseigner

Si nous ne pouvons rendre compte que de la mobilisation des savoirs disciplinaires déclaratifs dans cette

recherche, il n’en va pas de même pour les savoirs didactiques : dans leur formation en didactique de la

littérature, les futurs enseignants apprennent que, ils acquièrent de nouvelles informations, de nouveaux savoirs

17 Nous reviendrons dans le cadre d’analyse sur le terme « pratique », fortement polysémique.

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pour enseigner, mais ceux-ci sont articulés à des activités et à des pratiques finalisées qu’il nous est possible

d’observer : écrire un carnet de lecteur ou raconter une pratique didactique expérimentée en stage, par exemple,

témoignent d’apprendre à de la didactique. Grâce à ces activités et pratiques, nous pouvons comprendre

l’appropriation de savoirs didactiques.

La multiplicité des types de savoirs pour enseigner fait l’objet d’un nombre important d’ouvrages, notamment

dans le champ de la professionnalisation des enseignants. Selon Hofstetter et Schneuwly (2009), qui retracent

la vaste littérature scientifique qui s’est développée à ce propos, la taxonomie la plus influente est celle de

Shulman (1986/2007) : elle inclut entre autres les savoirs pédagogiques, les savoirs curriculaires, les savoirs

concernant les apprenants et les contextes éducatifs ainsi que les savoirs qui sont le propre de la profession.

Dufays (2015) emprunte à Shulman certains éléments schématisés de sa taxonomie, en s’intéressant entre

autres aux savoirs pour enseigner spécifiques à la didactique de la littérature. C’est sur ces savoirs pour

enseigner que nous centrons notre attention.

Pour Dufays (2015), la formation didactique devrait être le lieu de l’acquisition de « “nouveaux” savoirs sur la

lecture » (p. 10) et de démarches et de notions qui sont aujourd’hui les plus mobilisées pour penser la littérature.

Il cite à titre d’exemple le « modèle de la lecture littéraire » (2015, p. 10), mais aussi les notions de sujet lecteur,

de textes du lecteur ou de bibliothèque intérieure (Rouxel et Langlade, 2004; Mazauric, Fourtanier et Langlade,

2011). Le chercheur identifie également, parmi les savoirs pour enseigner, de nouvelles connaissances sur la

didactique de la lecture littéraire; il affirme que les futurs enseignants « ont tout intérêt à être initiés à un certain

nombre de modalités de travail qui font sa spécificité aujourd’hui » (p. 11). Il relève ainsi les nouveaux « genres

d’activités scolaires » (Aeby Daghé, 2007) liés à la lecture littéraire : le débat interprétatif (Dias-Chiraruttini,

2010; Dupont, 2010), le cercle de lecture (Lafontaine, Terwagne et Vanhulle, 2001) ou le journal de lecture

(Lebrun, 1996; Hébert, 2010), par exemple. Il mentionne en outre l’analyse du rapport à la lecture et à la

littérature (Émery-Bruneau, 2010; 2014).

Au sein des savoirs pour enseigner auxquels devraient être formés les futurs enseignants dans le cadre de leur

parcours de formation à l’enseignement, nous retenons les savoirs didactiques sur la lecture, comme le modèle

de la lecture littéraire, ses genres d’activités et pratiques caractéristiques.

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23

Figure 1. Quelques savoirs impliqués en formation à l’enseignement de la littérature au collégial

2.2 La notion d’appropriation

Nous nous arrêtons un moment sur le lexème « appropriation », incontournable dans l’énoncé de nos questions

de recherche. Nous nous inspirons majoritairement des travaux de Vanhulle, qui portent sur les processus

singuliers à travers lesquels de futurs enseignants élaborent des savoirs et leur rapport à ceux-ci, en l’occurrence

à propos de l’enseignement de la lecture, grâce au rôle structurant de l’écriture réflexive.

Vanhulle (2009) définit l’appropriation comme la co-construction de soi et de savoirs; l’appropriation implique de

« “se” construire en tant que sujet […] en même temps que l’on élabore des savoirs sur (et pour) l’enseignement

et l’apprentissage » (p. 85). L’appropriation se réalise dans le passage entre la centration sur soi et la

décentration grâce à la manipulation créative de savoirs, et elle peut être inférée à partir de discours oraux et

écrits. Elle consiste, pour un sujet, à incorporer et à transformer des savoirs au fur et à mesure qu’il élabore un

discours personnel (Vanhulle, 2002). Plus concrètement, l’appropriation donne lieu à une modification des

conceptions antérieures du futur enseignant dans le sens d’une plus grande complexité (Vanhulle, 2005), et les

savoirs qu’il incorpore et qu’il transforme deviennent des pistes qui lui permettent de « penser de manière

autonome » (Vanhulle, 2005, p. 45) l’enseignement-apprentissage, dans notre situation, de la lecture littéraire

et de la littérature. L’appropriation opère de manière itérative, par à-coups et réajustements successifs, par

Savoirs impliqués en formation à

l'enseignement de la littérature au

collégial

Savoirs à enseigner

Savoirs disciplinaires

Savoir-faire

(savoirs procéduraux)

Savoirs

(savoirs déclaratifs)

Savoirs analytiques, historiques,

sociologiques (Simard et coll.,

2010)

Savoirs pour enseigner

Savoirs didactiques

La lecture littéraire

Écriture

Écriture métatextuelle

Écriture hypertextuelle

Langue

Savoirs pédagogiques; savoirs curriculaires;

savoirs sur les apprenants; savoirs sur les contextes éducatifs, etc. (Schulmann, 2007)

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désorganisation-réorganisation, qui mènent à un système relativement cohérent et provisoirement stabilisé. Elle

permet de tenir compte d’au moins trois plans identitaires, sorte de « triade du je » (Vanhulle, 2009, p.87) : la

personne avec son histoire et ses attentes propres, l’étudiant soumis aux exigences de la formation et le futur

enseignant, d’emblée engagé dans une dynamique pragmatique en raison de ses stages. L’une des prémisses

de Vanhulle (2009) est que l’écriture de textes réflexifs en formation des enseignants constitue un support à

l’appropriation18.

Selon Vanhulle (2005), les futurs enseignants s’approprient les savoirs en fonction de multiples caractéristiques

qui leur sont propres. Parmi ces caractéristiques influentes, elle évoque leur trajectoire de lecteurs, notamment

dans leur scolarité antérieure, leurs horizons d’attente par rapport à la formation, leur représentation d’eux-

mêmes comme futurs enseignants et leurs rapports aux savoirs19. En donnant forme aux contenus à partir de

leurs caractéristiques individuelles, les futurs enseignants parviennent à poser un regard à la fois personnel et

distancié (appropriation subjective et objectivation sont indissociables pour l’auteure) sur les savoirs et sur leurs

applications ou implications pratiques, en les soumettant à une délibération critique (Buysse et Vanhulle, 2009).

Ultimement, ils réussissent peu ou prou à franchir le fossé entre les différents savoirs qui leur sont proposés en

formation. Précisons qu’au-delà de l’apprentissage de savoirs (dans notre cas, la lecture littéraire) et de leurs

activités et pratiques de référence, l’appropriation varie qualitativement d’un sujet à l’autre. La notion, telle que

la définit Vanhulle (2004), nous apparait fonctionnelle pour jauger cette « progression des connaissances sur

soi-même en tant que lecteur […] de textes et [en tant] qu’enseignant en devenir dépositaire d’un capital de

savoirs […] qui va en s’accumulant et en se redéfinissant peu à peu » (p. 24), en relation avec l’environnement

de formation.

Comme Vanhulle (2009), nous jugeons que l’histoire des étudiants antérieure à la période de formation

didactique – et dont la formation disciplinaire est une pierre angulaire – a installé un certain nombre « de

croyances ou de conceptions […] sédimentées dans [leur] trajectoire sociale » (p. 5). Le recours à la notion

d’appropriation nous permet d’éclairer 1) la manière dont les futurs enseignants composent avec leurs schèmes

de pensée et d’action déjà présents, 2) les savoirs disciplinaires qu’ils mobilisent, qui inhibent ou qui appuient

leur transformation et 3) la façon dont ils incorporent les nouveaux savoirs didactiques, en tenant compte « des

normes, [d]es concepts et [d]es informations que la formation leur propose » (id.). Buysse et Vanhulle (2010)

rappellent que

18 Il peut ainsi être éclairant de penser l’appropriation en relation avec un autre concept développé par Vanhulle (2009), celui de réflexivité. La réflexivité est « une manière d’apprendre » (p. 4), de s’approprier des savoirs et de penser son rapport aux objets de savoir (Vanhulle, 2002). C’est un processus forcément subjectif, mais orienté vers une objectivation du concept ou de l’objet sur lequel on réfléchit (Vanhulle, 2009). Nous y revenons dans notre cadre d’analyse. 19 Vanhulle (2005) ajoute à la liste leurs capacités actuelles d’engagement dans les tâches interactives et dans les tâches de lecture-écriture et leurs images d’eux-mêmes par rapport à la lecture et à l’écriture.

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derrière tout savoir culturellement transmis existe ainsi une structuration interne, propre à son élaboration sociale, une épistémie inscrite dans une culture disciplinaire dans laquelle le savoir s’inscrit (Buysse, 2009) – pour les enseignants en particulier, cela implique un travail d’appropriation de ce qui fonde leur métier : enseigner des savoirs et les faire apprendre (Hofstetter & Schneuwly, 2009) (p. 90).

Vanhulle entrevoit ainsi la formation comme un processus d’implication et de transformation de soi, où les sujets

se pensent et agissent en termes de rapports à autrui, de rapport à des situations ou à des expériences et de

rapport à des objets de savoirs. Cette construction de soi, simultanée à l’élaboration de savoirs sur

l’enseignement et l’apprentissage, est, il va sans dire, génératrice de tensions. Ce sont justement ces tensions,

observe Vanhulle (2009), qui ont le potentiel de provoquer des changements dans les représentations des futurs

enseignants et de rendre possible le dépassement de « certaines conceptions plus ou moins ancrées dans

[leurs] schèmes de pensée en fonction d’habitus sociaux ou scolaires, pour en forger de nouvelles » (p. 65). La

thèse défendue par Vanhulle (2002; 2004; 2005; 2009) est que le dépassement des tensions par le futur

enseignant et la restructuration de ses représentations suscitée par l’environnement de formation peuvent lui

permettre de se projeter dans l’avenir et de se construire en se pensant lui-même de façon cohérente comme

(futur) enseignant.

Nous tenterons de croiser cette thèse avec le concept didactique de lecture littéraire. Nous voulons observer si,

en tant que savoir mobilisé en formation à l’enseignement collégial (grâce à des activités et à des pratiques liées

à l’approche subjective), la lecture littéraire peut constituer une source de tension, une « médiation structurante

et régulatrice » (Buysse et Vanhulle, 2009; 2010) capable de déclencher des transformations par lesquelles les

tensions sont transcendées, et de modifier le rapport aux objets d’enseignement et d’apprentissage que sont la

lecture et la littérature chez l’enseignant en devenir.

[Le travail] sur des concepts et sur des idées didactiques ne peuvent faire l’impasse sur la nécessaire implication de chacun, avec ses croyances, ses valeurs, ses attentes et ses conceptions déjà-là. Dès lors, ils entrainent d’inévitables sources de tensions. Celles-ci sont d’ordre affectif (touchant notamment aux images de soi, aux valeurs et croyances), épistémique (par la remise en cause des connaissances ou conceptions préalables), ou pragmatique (par la révision des manières d’agir habituelles) (Vanhulle, 2002, p. 52).

Cette appropriation de la lecture littéraire, nous pourrions tout aussi bien l’appeler trans-formation, puisqu’elle

implique, pour le futur enseignant, de se décentrer, par la médiation de savoirs, et de se (re)centrer, sur soi,

comme enseignant en devenir, dans un mouvement itératif. La lecture littéraire est ainsi considérée, d’abord,

comme un savoir à s’approprier. Dans le cadre de la formation en didactique de la littérature, elle est présentée

comme un savoir pour enseigner, c’est-à-dire comme un concept utilisé pour penser aujourd’hui l’enseignement-

apprentissage de la littérature, qui s’accompagne d’un appareillage d’activités et de pratiques : comités de

lecture, débat interprétatif, écrits de la réception, etc. Nous voulons analyser la manière dont les futurs

enseignants s’approprient la lecture littéraire, en tenant compte, notamment, de l’apport des activités et des

pratiques qui y sont associées en formation. Pour Vanhulle (2005), l’appropriation est justement vérifiable dans

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les « savoirs-en-acte » de même que dans la théorisation en « je » de savoirs, dans laquelle pourraient s’ancrer

des pratiques bien assurées. En définitive, comprendre comment les futurs enseignants s’approprient les savoirs

didactiques, et plus particulièrement la lecture littéraire, pourrait impliquer, réciproquement, que la lecture

littéraire et ses activités et pratiques caractéristiques soient les moteurs mêmes de cette appropriation.

2.3 Le concept de lecture littéraire et celui de sujet lecteur

C’est dans les années 1990 que prend véritablement son essor dans le champ didactique le concept20 de lecture

littéraire. À la fois adossé aux recherches littéraires21 les plus récentes et aux multiples travaux didactiques sur

l’apprentissage de la lecture et sur les modes d’appréhension de la littérature, ce concept ouvre un « espace

d’inventivité » (Daunay, 2007a) mitoyen et fédérateur. Nous avons postulé que le concept de lecture littéraire

peut permettre de jeter les amarres entre les savoirs disciplinaires et didactiques, de les concilier et de faciliter

l’accession, pour les futurs enseignants, à « une réflexion didactique abordant l’interprétation des textes – et

donc la construction du sens – non plus dans la référence à une glose attestée, mais dans l’exploitation, en

autonomie, des outils théoriques et méthodologiques issus des avancées de la recherche » (Chanfrault-Duchet,

2001, p. 74). Comme nous l’avons montré dans notre problématique, l’un des obstacles, à priori, à l’arrimage

entre les savoirs disciplinaires et didactiques réside dans le fait que les théories et les dispositifs de la didactique

se sont construits en opposition franche avec l’approche traditionnelle qui prévaut dans la discipline des études

littéraires. Pour les enseignants en formation, un enjeu important réside donc dans la transformation « d’une

posture qui consiste à appliquer des catégories d’analyse », ce à quoi devrait les avoir préparés leur formation

disciplinaire, vers « une posture de lecture “émancipatrice” (Citton, 2009) » (Deronne, 2011, p. 111), ce

qu’ambitionne de leur apprendre leur formation didactique. Cette transformation s’incarne, concrètement, dans

le passage « de la description analytique des fonctionnements textuels » à « l’étude de la relation singulière qui

se noue entre un texte et un lecteur » (Rouxel et Langlade, 2008, dans Ahr, 2015, p. 114). La lecture littéraire

met en lumière ces enjeux.

Nous ne reviendrons pas sur la manière dont le concept de lecture littéraire s’est développé : Daunay (2007a)

s’est déjà brillamment prêté à cet exercice de synthèse, de même que Louichon, en 2011. Petitjean, s’inscrivant

dans un registre un peu différent, s’est aussi astreint, en 2014, à une analyse des travaux sur la lecture littéraire

parus (dans le champ des études littéraires et de la didactique) au cours des quarante dernières années dans

la revue Pratiques. Nous n’avons pas non plus pour objectif, comme c’était le cas de Ahr (2015), de lever les

20 Nous préfèrerons le terme « concept » à celui de « notion », pour désigner la lecture littéraire. Pour Louichon, la lecture littéraire ne fait plus l’objet, à ce jour, de questionnements théoriques : « le concept a migré vers des discours à visée plus praxéologique et atteint une forme de stabilité et d’univocité sémantique » (2011, p. 208). C’est, pour Daunay, Reuter et Schneuwly (2011), ce qui distingue la notion du concept : la notion, pour devenir concept, doit véhiculer davantage l’idée d’univocité ou de finitude sémantique. Même idée chez Dufays (2005). 21 Parmi les travaux les plus récemment cités et considérés comme formant le socle, l’arrière-plan théorique des recherches en didactique de la lecture littéraire, différents chemins épistémologiques : ceux de la sémiotique (Eco), de la poétique (Charles), de l’École de Constance (Iser, Jauss), des théoriciens de la littérature (Picard, Jouve, Gervais) et des travaux américains du courant critique de la reader’s response (Rosenblatt).

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objections qui subsistent quant à la validité scientifique du concept. Consciente de l’impossibilité d’atteindre un

consensus théorique autour de la lecture littéraire, notamment parce que « la question de savoir ce qu’il convient

d’apprendre et d’enseigner en classe de littérature est récurrente, problématique, centrale et – conséquemment

– polémique » (Louichon, 2011, p. 201), nous prendrons appui sur la relative stabilité pratique du concept et sur

sa productivité praxéologique. En effectuant un retour sur les discours didactiques des deux dernières décennies

(1995-2017), nous voulons envisager la lecture littéraire en tant qu’elle constitue un savoir, articulé à des

activités et à des pratiques de formation, générateur de tensions potentiellement fécondes, et ce, surtout dans

la situation des futurs enseignants de littérature du collégial, qui sont en porte-à-faux de deux tendances

épistémologiques et praxéologiques. La première tendance est centrée sur une approche analytique et

normative de la littérature où le professeur, en tant qu’expert de contenus, valorise la transmission magistrale

de savoirs disciplinaires; l’autre est axée sur la formation de « sujets lecteurs » où le professeur privilégie des

situations d’enseignement et d’apprentissage qui engagent l’étudiant à construire des significations. Chanfrault-

Duchet (2001) signale d’ailleurs la pertinence scientifique d’interroger la fonction de la lecture littéraire et de son

enseignement en poussant plus loin la réflexion sur la coupure22 entre des contenus (« ici perçus davantage sur

le mode de l’acquisition d’une culture littéraire que sur celui des savoirs et des savoir-faire » [p. 80]) et une

pédagogie (« conçue comme système d’encadrement de ces contenus et de leur transmission » [id.]). L’enquête

de De Beaudrap et de ses collaborateurs, en 2004, sur les représentations de la littérature et de son

enseignement, parvient aux mêmes conclusions.

Nous avons retenu trois propositions de définitions dynamiques de la lecture littéraire et d’un objet de recherche

qui lui est consubstantiel, le sujet lecteur : celle de l’ouvrage fondateur de Dufays, Gemenne et Ledur (1995,

réédité en 2005 et 2015), abondamment glosée dans les travaux ultérieurs de Dufays (1996; 1999; 2002; 2006;

2007a; 2010; 2011); celle de Rouxel (1996; 2002a; 2002b; 2004; 2007; 2012) et celle de Langlade (2001; 2004a;

2004b; 2006; 2007). Références incontournables en matière de lecture littéraire, ces auteurs fournissent des

éléments nodaux autour desquels gravitent d’autres didacticiens qui s’en réclament ou s’en distancient. Aussi

leurs manières clivées d’appréhender la lecture littéraire permettent-elles de mettre en relief cet espace créatif

qu’autorise le concept et au sein duquel nous souhaitons positionner notre propre raisonnement. La première

définition, à la suite de Picard, « conçoit la lecture littéraire comme une activité dialectique et oscillatoire »

(Dufays, 2017, p. 11). La seconde, après Marghescou et Gervais, « l’assimile à un acte de distanciation

analytique » (id.). La troisième, à l’inverse, qui exalte « la lecture participative, référentielle, se retrouve chez un

auteur comme Poslaniec (1992; 2002) ou dans certaines définitions qui ont été données par la suite de la “lecture

22 Telle qu’elle se dévoile dans son enquête sur l’insécurité interprétative des enseignants. L’article de Chanfrault-Duchet porte sur les pratiques d’enseignement des professeurs de lycée, étudiées notamment à partir de leurs préparations de cours. L’auteure y rapporte que les enseignants de lycée se perçoivent prioritairement comme des professeurs de Lettres, ce à partir de quoi elle infère qu’ils devraient être à l’aise en matière de lecture littéraire. Or, son enquête révèle au contraire une situation qu’elle qualifie d’« alarmante » : un malaise récurrent voire un grand désarroi en ce qui concerne la lecture littéraire.

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subjective” (Rouxel et Langlade, 2004) » (id.)23. Nous arrimant à la logique de Daunay (2007a), nous croyons

que la lecture littéraire est le ferment d’un renouvèlement de la tradition scolaire grâce auquel « les grandes

questions qui concernent l’enseignement de la littérature depuis le début de la didactique peuvent être reprises

[…] sous un angle nouveau, de la définition des corpus à la connaissance de l’institution littéraire, des savoirs

formels aux savoirs historiques sur le texte littéraire » (p. 168). Nous souhaitons nous intéresser, au rappel, à la

lecture littéraire en tant que savoir – articulé à des activités et pratiques en formation – susceptible de faciliter

l’intégration des savoirs disciplinaires et didactiques. Partant, il est avisé de mettre à plat, dans un premier

temps, les différentes définitions théoriques auxquelles elle a donné lieu. Dans un deuxième temps, nous

verrons comment la lecture littéraire est productive pour (re)penser la formation à l’enseignement de la

littérature. Faisons valoir d’entrée de jeu que « même si les configurations discursives des définitions ne sont

pas univoques » (Louichon, 2011, p. 201) lorsqu’il s’agit de lecture littéraire, un projet commun anime les

didacticiens qui s’y intéressent : celui « d’interroger l’acte de lecture (scolaire notamment) et de concevoir un

enseignable qui ne soit pas seulement le texte (et ses divers contours), mais la relation texte-lecteur » (Daunay,

2007a, p. 168). Rouxel (2011) précise que ce projet prend racine dans un changement de paradigme :

le passage d’une conception de la lecture littéraire inscrite dans une théorie du texte, qui postule le lecteur implicite ou virtuel (autrement dit dans la perspective des théoriciens de la réception), à une conception de la lecture littéraire qui s’intéresse à la configuration du texte par le lecteur réel et présente des modes de réalisation pluriels. Il y a donc un déplacement de l’intérêt : du lecteur virtuel au lecteur réel et du « texte de l’œuvre » au « texte du lecteur » (p. 19).

Brigitte Louichon (2011) met de l’avant quelques-unes des lignes de partage implicites : la lecture littéraire porte

sur les textes littéraires, elle est un objet scolaire qui renvoie à des compétences spécifiques que l’école doit

construire et qui relève de la réalité de l’enseignement; elle suppose une centration sur le lecteur engagé dans

une activité d’interprétation et elle s’instaure dans une dynamique de classe conçue comme une communauté

interprétative.

2.3.1 La lecture littéraire pour Dufays, Gemenne et Ledur : déblayage et fondation

théorique du concept comme « va-et-vient dialectique »

Si l’usage didactique du concept de lecture littéraire remonte aux années 1990, il faut attendre 1995 pour qu’il

soit problématisé dans le champ de l’enseignement, à l’occasion du colloque chapeauté par Dufays, Gemenne

et Ledur. Les auteurs discernent alors quatre acceptions de la lecture littéraire qu’ils disent fondées sur

l’observation des pratiques enseignantes et sur les mouvements intrinsèques à toute lecture24 (Dufays, 2013).

23 Le fait que Dufays en appelle lui aussi à cette trinité dans son article rétrospectif de 2017, que nous avons lu après la rédaction de notre recension des écrits, a confirmé notre intuition quant à ce choix d’auteurs représentatifs de la lecture littéraire. 24 Cette clarification de Dufays est postérieure à la publication de l’ouvrage et à sa première réédition, en 2005. Elle vise à répondre à la critique de Dumortier selon laquelle la lecture littéraire, telle que théorisée par le trio de didacticiens, n’est qu’un « rassemblement de transpositions scolaires des lectures savantes » (2011, p. 103, dans Dufays, Gemenne et Ledur, 2015) autrement dit, une projection sur les lectures scolaires des pratiques de spécialistes.

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Ces « divergences conceptuelles » (Ahr, 2015, p. 128), qui témoignent des tensions et des difficultés qui agitent

l’enseignement de la littérature, sont synthétisées par les auteurs en quatre approches et mises côte à côte pour

fonder théoriquement la lecture littéraire : 1) lecture de textes littéraires; 2) lecture distanciée et dépourvue

d’investissement subjectif; 3) lecture de participation psychoaffective et 4) lecture comme va-et-vient dialectique

entre distanciation et participation. Les auteurs prennent parti pour la quatrième option : la lecture la plus riche,

celle qui mérite le qualificatif de « littéraire », est celle qui établit une incessante oscillation, un continuum entre

distanciation (identifiée aux droits du texte, à des règles d’interprétation communes, à une réflexion critique, au

lecteur exigeant, à l’esthète) et participation (relative à l’émotion, à l’identification et à l’anamnèse, à l’illusion

référentielle et à une reconfiguration subjective). Après avoir exposé des couples dichotomiques, les chercheurs

optent donc pour la voie du compromis. Ils plaident pour la recherche d’intégration entre enjeux technicistes et

option culturelle, entre aspects cognitifs et intellectuels de la lecture (enjeux rationnels) et expressions

fantasmatiques et psychologiques (enjeux passionnels). Pour Dufays, Gemenne et Ledur (2015), « le premier

souci de ceux qui ont pour tâche d’enseigner la lecture devrait donc être de veiller constamment à préserver cet

équilibre. Occulter l’un des deux termes reviendrait à réduire considérablement la richesse potentielle de la

lecture et serait pédagogiquement peu rentable » (p. 129).

Nous voulons ajouter, au sujet de cette première définition, que nous joignons notre voix à la mise en garde de

Daunay (2007b), qui invite à interroger « la dichotomie un peu trompeuse entre subjectivisme et formalisme »

(p. 47), et à se garder de l’effet pervers du balancier dont la discipline a parfois été victime entre « subjectivisme

flou » et revendication scientifique, au risque d’un « scientisme » (Halté, 1992, p. 75). « Même si la lecture

littéraire veut souvent penser sans hiérarchie préalable les différentes formes d’appréhension des textes

(compréhension/interprétation; identification/distanciation), elle induit souvent le surgissement de dualités qui

font faire subrepticement retour à une telle hiérarchisation [et à certains discours] qui donnent même lieu à la

disqualification de certaines catégories de lecteurs. » (Daunay, 2007a, p. 170)

2.3.2 La lecture littéraire pour Rouxel : tensions constitutives entre les « droits du

texte » et son appropriation par les sujets lecteurs

Dufays, Gemenne et Ledur (1996) l’ont bien montré : l’emploi du syntagme « lecture littéraire » n’est pas

monosémique au sein de la communauté scientifique et il fait apparaitre des dualismes certains, lesquels se

traduisent parfois par des inflexions à l’intérieur des travaux d’un même chercheur. En 2002, Rouxel définit la

lecture littéraire comme « le fait de lire littérairement un texte littéraire » (p. 4). Sous des apparences

pléonastiques, cette proposition rapatrie au moins deux des trois pôles – auteur, texte, lecteur – historiquement

constitutifs de la réflexion sur l’interprétation : le texte socialement légitimé et le mode de lecture, la posture, ou

autrement dit, le lien du texte et de sa réception par le lecteur. Pour Rouxel (1996), la pratique lectorale se

parachève dans un « art de la distance » (p. 79). Elle suppose une extériorité, même si elle n’exclut pas

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l’investissement psychoaffectif. Cette distanciation est le moyen tout désigné pour accéder à l’expérience

esthétique, à cette rencontre entre le lecteur et le texte. La lecture experte est alors pour Rouxel (2002) une

« possibilité et sans doute la forme la plus achevée » (p. 7) de la lecture littéraire. L’on retrouve, la même année,

une prise de position similaire chez Tauveron (2002), qui considère aussi que la lecture littéraire doit être une

« lecture distanciée », un « plaisir de gourmet » (p. 20-21). Les dissensions quant à l’importance à accorder aux

données objectives d’un texte et à son appropriation singulière par des sujets lecteurs – parfois associée à des

dérives interprétatives – sont au cœur du débat sur la réception. Elles sont réinterrogées en 2004 à la faveur du

colloque Le sujet lecteur, lecture subjective et enseignement de la littérature. La rencontre est l’occasion de

s’interroger sur la place, le statut et les formes que peuvent avoir les expériences subjectives des œuvres, de

la maternelle à l’université, à côté de la nécessaire transmission de connaissances sur la littérature, son histoire,

ses codes et ses rituels (Rouxel et Langlade, 2004). Elle permet encore d’évoquer le rôle de l’école eu égard à

cette dynamique territoriale entre droits du texte et droits du lecteur. La voie de l’accommodement amène à

considérer que les lectures sont toujours « le résultat d’un compromis entre les contraintes (du texte) et la liberté

(du lecteur) » (Louichon, 2007, p. 17), et qu’il revient à l’enseignement de la littérature de trouver le juste dosage

entre le souci de l’érudition et celui de l’expression (Chabanne et Dufays, 2011, p. 19). Alors que se profilent les

premières conceptualisations du « sujet lecteur », auxquelles Rouxel contribue à donner forme, sa définition de

la lecture littéraire tend à s’assouplir. Ainsi, en 2007, elle affirme que « l’essentiel [est] de faire quitter aux élèves

cette posture d’extériorité construite face à un objet scolaire pour les amener à comprendre que l’œuvre

s’adresse à eux » (p. 72). Elle n’est d’ailleurs pas la seule à exprimer l’urgence d’une lecture scolaire subjective

des œuvres littéraires. Plusieurs didacticiens font chorus pour dénoncer

la posture d’extériorité des élèves face aux œuvres littéraires, qu’elle soit générée par la culture ambiante ou par les pratiques scolaires. D’aucuns remettent en cause la dichotomie implication vs distanciation en montrant qu’elle est dépassée dans la mesure où il n’y a pas de hiérarchisation, mais au contraire une interaction féconde dans une didactique de la littérature qui donne sa vraie place au sujet lecteur (Dumortier et Lebrun, 2006, p. 10).

2.3.3 La lecture littéraire pour Langlade : le texte transformé en œuvre par

« l’activité fictionnalisante du lecteur »

C’est Langlade qui est considéré comme l’instigateur du concept de sujet lecteur. Ce concept prend d’assaut le

champ didactique dans le sillage des théories générales sur la lecture littéraire, laquelle est définie par Langlade

comme un « processus interactionnel entre les lecteurs et les œuvres » (Langlade et Fourtanier, 2007, p. 103).

Les théoriciens du sujet lecteur réfléchissent « aux modalités d’appropriation singulière des textes » (Louichon,

2009, p. 11). Ils cherchent à construire des modèles de la lecture littéraire qui permettent « d’accueillir la diversité

subjective et intersubjective des interprétations dans la classe » (Sauvaire, 2013, p. 70). La notion de sujet en

didactique soulève l’enjeu de l’ouverture à une interprétation singulière des textes, qui ne soit pas verrouillée,

mais « à la fois autonome et consciente de la tradition » (Bertucci, 2007, p. 16).

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L’« implication » du sujet lecteur (cf. Dumortier et Lebrun, 2006) est au cœur de l’interrogation de certains didacticiens, qui veulent redonner à la « participation » du lecteur sa place dans la lecture littéraire (particulièrement Langlade, 2004a et 2004b), même si la question de la coexistence de la liberté du lecteur avec les « droits du texte » censés poser les « limites de l’interprétation » (Tauveron, 1999a et 2002, en référence directe à Eco, 1990/1992) reste une constante interrogation didactique (Daunay, 2007a, p. 169).

Contrairement aux premières définitions de Rouxel, celles de Langlade veulent remettre la participation au cœur

de la lecture littéraire, lui accorder préséance sur la distanciation. Pour le chercheur, la lecture participative et

l’implication subjective du lecteur sont au fondement même de la lecture littéraire, ils en sont une nécessité

fonctionnelle (Langlade, 2004a). Ainsi, Langlade (2006) définit la lecture littéraire comme une « activité de

reconfiguration et de singularisation des lecteurs en réponse aux sollicitations des œuvres » (p. 18). Elle est,

pour le dire en empruntant des termes que Langlade aurait pu lui-même prononcer, « expérience vécue,

pratique jubilatoire […] dans laquelle l’imaginaire trouve une place où se déployer pleinement » (Gervais et

Bouvet, 2007, p. 6). Les assises anthropologiques et phénoménologiques de Langlade (2006) le portent à

concevoir la lecture littéraire comme une « relation dynamique entre un lecteur empirique et une œuvre »,

comme une « activité créatrice du lecteur – imageante et imaginante – par laquelle il réagit, répond et réplique

aux sollicitations d’une œuvre en puisant dans sa personnalité profonde, sa culture intime, son imaginaire. »

(p. 17). Pour Langlade, « l’objet privilégié de la lecture littéraire et de sa didactique est moins le texte de l’œuvre

lui-même que le texte transformé en œuvre par l’activité du lecteur » (id.). C’est ce qu’il nomme « l’activité

fictionnalisante du lecteur » (voir Langlade, 2006). Il prend ainsi le contrepied de discours institutionnels qui

prétendent négliger les retentissements subjectifs qui font cortège à la lecture littéraire, sous le couvert

historique des « grandes catégories génériques, rhétoriques ou esthétiques qui irriguent les constructions

interprétatives des lecteurs dits “experts” » (Langlade, 2004a, p. 81). Parmi les propositions didactiques

retenues ici, le positionnement de Langlade en faveur de la participation est le plus radical. Langlade (2004a)

va jusqu’à lancer que « […] tout texte singulier élaboré par un lecteur, quelles que soient ses lacunes et ses

insuffisances relatives, quelle que soit sa part de délire, constitue un état du texte digne d’être apprécié comme

une production de la lecture littéraire » (p. 88). Le « texte du lecteur » (voir Mazauric, Fourtanier et Langlade,

2011) fait ainsi référence à un texte perpétuellement mobile, actualisé, voire déterminé par celui qui se

l’approprie. Pour autant, la notion n’est pas construite contre celle du texte de l’auteur, dominante dans l’histoire

de l’interprétation littéraire, bien qu’elle vienne la nuancer, voire la précariser :

Toute œuvre littéraire porte en elle-même une mémoire culturelle active qui, si elle engage évidemment son auteur, engage aussi ses lecteurs dans un mouvement de déchiffrement et de reconnaissance. La lecture littéraire, ainsi définie comme un échange, contribue à l’élaboration active de la propre vie culturelle et émotionnelle du lecteur, tandis que celui-ci dépasse évidemment le respect de l’œuvre pour y inscrire sa lecture personnelle, souvent étrange et étrangère, parfois en phase avec les propositions de l’œuvre, en réalité, toujours libre et nomade (Mazauric, Fourtanier et Langlade, 2011, p. 23).

2.3.4 La lecture littéraire, le sujet lecteur et la formation à l’enseignement de la

littérature

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Ce panorama limité, mais non moins diversifié, de la littérature scientifique ayant contribué à constituer la lecture

littéraire au cours des dernières décennies illustre bien qu’en tant que concept théorique, la lecture littéraire

s’est avérée le catalyseur puissant d’une vaste étude sur « la façon dont les textes sont lus, c’est-à-dire

enseignés, montrés, reçus, et surtout transformés par des lecteurs particuliers, [cette étude faisant]

intrinsèquement partie de la réflexion théorique sur la littérature » (Verrier, 1991, cité par Dufays, 2007a,

p. 167)25 et sur son enseignement. À l’instar de Chanfrault-Duchet (2001), nous croyons que « l’élaboration

didactique ne peut en fait s’effectuer que lorsque l’enseignant lui-même est parvenu à s’approprier les notions

pour les convertir en outils » (p. 74). Cette position participe à confirmer que l’apprentissage et l’expérimentation

de la lecture littéraire, si bien en tant que concept théorique qu’en tant qu’activité et pratique de formation, sont

de nature à assurer une meilleure transition du disciplinaire vers le didactique, de même qu’à faciliter le passage

de la posture d’étudiant spécialiste à celle d’enseignant en devenir.

Cela dit, nous serions de mauvaise foi si nous faisions abstraction d’un obstacle intrinsèque à la lecture littéraire

telle que nous venons de la présenter : sa labilité. En effet, l’on peut se demander en quoi il est productif

d’employer en formation un concept mobile et qui recouvre une si grande variété de définitions. N’est-ce pas un

moyen d’inviter, une fois partagés les principaux traits sémantiques qui le constituent à minima, à une

appropriation détournée du concept? Dufays (2017) estime qu’il persiste, encore à ce jour, six objets de

dissensus autour de la lecture littéraire : 1) elle est tiraillée entre « deux usages contrastés selon qu’on se réfère

à l’acception normative du terme de modèle ou à son acception descriptive » (p. 11); 2) une tension apparait

entre ceux qui considèrent les modes de la lecture littéraire « en termes de dichotomie et de ruptures et ceux

qui les conçoivent plutôt comme des accentuations différentes dans le cadre d’un continuum » (2017, p. 12); 3)

l’on s’interroge encore à savoir sur quels éléments porte au juste le va-et-vient de la lecture littéraire; 4) des

malentendus subsistent quant à la nature littéraire de l’activité : s’agit-il d’une lecture « ordinaire » ou

« savante »?; 5) un autre désaccord concerne le caractère de la lecture littéraire : cette lecture est-elle réservée

strictement aux textes littéraires ou peut-on la percevoir en continuité avec d’autres genres textuels?; 6)

finalement, un débat assez vif oppose encore les tenants du sujet lecteur et ceux qui en dénoncent les

limites (Dufays, 2013) : quels sont les rapports du sujet lecteur et de la lecture littéraire? Autant de questions

qui appellent des réponses plurielles.

En 2017, le concept de lecture littéraire, fort des vingt ans de sa toute première théorisation et des notions

satellites qu’il a contribué à façonner26, est tout de même entendu par la communauté de chercheurs en

adéquation avec les visées qu’il prétend servir. D’ailleurs, dans ce même article où il pointe les dissensions

25 Elle a aussi permis, pour certains, de constituer la didactique du français comme champ à part entière, en jouant « un rôle rhétorique et stratégique dans l’autonomisation relative de ce domaine de recherche », la faisant émerger de manière spécifique (Louichon, 2011, p. 209). 26 Prenons pour exemple la notion de bibliothèque intérieure de Louichon (2011, pour la transposition didactique de la notion, dont l’origine est attribuée à Bayard.).

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subsistantes, Dufays (2017) défend aussi trois idées qui appuient notre position : 1) que la didactique du français

a reconfiguré la lecture littéraire sur la base de ses intérêts propres; 2) que si la lecture littéraire fait l’objet de

modélisations variées, on peut cependant dégager un noyau de « sèmes » commun et 3) que les différentes

sources de désaccords relatifs aux usages didactiques de la lecture littéraire en font un modèle particulièrement

mobile et polyvalent. Il conclut sur ce qui fait la force (pratique) et la faiblesse (scientifique) du concept :

On le voit, si, dans le discours de nombreux didacticiens, la notion de lecture littéraire fonctionne bien comme un modèle, dans le sens de « figuration qui sert les buts de la connaissance » (Galluzo-Dafflon, 2017), son importance est surtout stratégique dans la mesure où elle fonctionne comme une notion fédératrice ayant contribué à construire un champ de réflexion et d’action mobilisateur. En revanche, son efficacité tant scientifique que didactique reste faible si on s’en tient au sens minimal que lui attribue Louichon (2011) car les contradictions dont elle reste l’objet contribuent à diluer son usage et à en faire un modèle « mou » (Dufays, 2017, p. 14).

Autre indice révélateur d’une conceptualisation relativement partagée de la lecture littéraire : dans leurs travaux

récents, les didacticiens réfèrent désormais au concept sans systématiquement le définir, comme c’était de

rigueur à l’heure de ses balbutiements. Dufays (2017) incite néanmoins les chercheurs à la prudence : « Je crois

donc nécessaire de plaider pour que les didacticiens continuent à promouvoir une conception de la lecture

littéraire qui soit à la fois plus construite et plus précise, et poursuivent des recherches qui mettent ce modèle à

l’épreuve des pratiques réelle » (p. 15). Rouxel (2015) recommande aussi la circonspection en s’adressant aux

futurs enseignants et à leurs formateurs. Elle soutient que vis-à-vis des nouveaux paradigmes issus de la

recherche en didactique de la lecture littéraire, les futurs enseignants doivent disposer d’un bagage critique

substantiel : « Vigilance épistémologique et inventivité sont à ce prix. Il s’agit donc de développer une posture

de chercheur chez les enseignants en formation, par le questionnement qui restitue au savoir sa dimension

d’outil dialectique pour penser et créer dans les situations d’enseignement […] » (p. 25).

2.4 La notion de « rapport à » la lecture littéraire et à la littérature

Les approches qui envisagent la lecture en termes de « posture » (voir par exemple Bucheton, 2000 ou Lebrun,

2005) peuvent être articulées – et c’est relativement fréquent (Daunay, 2007a) – avec les recherches qui se

concentrent sur le rapport au savoir (voir Beillerot, Blanchard-Laville et Mosconi, 1989; Charlot, Bautier et

Rochex, 1992; Charlot, 1997). Sans présenter exhaustivement cette notion de rapport au savoir, abordée selon

différents angles – psychanalytique, sociologique, etc. –, mentionnons quelques traits sur lesquels s’entendent

généralement ses théoriciens : la notion veut examiner les phénomènes facilitant ou entravant la construction

des savoirs. Elle tient compte, pour cet examen, de la singularité des histoires personnelles et scolaires des

individus et elle attribue à l’institution une majorité des facteurs simplifiant ou complexifiant l’édification des

savoirs. En outre, elle s’intéresse au sens, à la signification et aux valeurs des relations d’un sujet à un objet ou

à une pratique, et ce, selon un triple rapport : rapport à soi, rapport aux autres et rapport au monde. Pour Charlot

(1997), dont la vision est de coloration sociologique,

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le rapport au savoir est l’ensemble des relations qu’un sujet entretient avec un objet, un « contenu de pensée », une activité, une relation interpersonnelle, un lieu, une personne, une situation, une occasion, une obligation, etc., liés en quelque façon à l’apprendre et au savoir – par là même, il est aussi rapport au langage, rapport au temps, rapport à l’activité dans le monde et sur le monde, rapport aux autres, et rapport à soi-même comme plus ou moins capable d’apprendre telle chose, dans telle situation (p. 94).

Pour les partisans du pan psychanalytique des théories du rapport au savoir, il convient de se pencher plutôt

sur la vie imaginaire, fantasmatique et inconsciente d’un sujet essentiellement psychique. La notion de rapport

au savoir, très féconde, a engendré de multiples ramifications : rapport au langage (Bautier, 2002), rapport à la

culture (Falardeau et Simard, 2007; 2011) ou rapport à l’écriture et à l’écrit (Barré-De Miniac, 2002; Chartrand

et Blaser, 2008), pour ne nommer que celles-là. Plutôt que de prendre en considération la question du savoir

au sens large, ces recherches abordent explicitement un objet spécifique : par exemple, Barré-De Miniac (2007)

explore la pratique de l’écriture, car elle assume que « la façon dont [l]es enseignants se perçoivent comme

scripteurs ou, selon l’expression de Lafont (1999), comme sujets-écrivants, peut avoir une répercussion sur la

manière d’enseigner ou d’accompagner l’écriture de leurs élèves » (p. 169).

C’est dans la continuité de ces travaux et pour donner un cadre similaire à la pratique lectorale qu’Émery-

Bruneau (2010; 2011; 2012; 2014) a développé la notion de rapport à la lecture littéraire. Cette notion vise à

comprendre « comment la lecture littéraire peut être vécue – ou non – comme une dialectique entre la

participation affective et la distanciation intellectualisée d’un lecteur (Dufays, 1996) » (2011, p. 160). Émery-

Bruneau appose ici les grands principes du rapport au savoir à la définition la plus répandue de la lecture

littéraire, celle de Dufays, Gemenne et Ledur, que nous avons explicitée plus tôt. En 2014, Émery-Bruneau

élargit son acception de la notion, qui devient alors la notion de rapport à la littérature. Nous présenterons les

deux définitions consécutivement, puisqu’elles nous apparaissent complémentaires dans le cadre de notre

projet.

Le rapport à la lecture littéraire est défini par Émery-Bruneau (2010) comme un « ensemble diversifié de relations

dynamiques qu’un sujet-lecteur situé entretient avec la lecture littéraire » (p. 57). Cet ensemble se décline sur

deux plans : le plan personnel, qui concerne le rapport à la lecture littéraire du sujet lecteur étudiant en formation

à l’enseignement, et le plan didactique, qui renvoie à la prise en compte du rapport à la lecture littéraire des

élèves sujets lecteurs et la façon dont l’enseignant entend les former. Une deuxième division est opérée, qui

segmente en quatre dimensions interactives les deux plans : la dimension subjective, la dimension sociale, la

dimension épistémique et la dimension praxéologique. La dimension subjective du rapport à la lecture littéraire

est composée des aspects psychoaffectifs et réflexifs du sujet lecteur (ses intérêts, ses désirs, ses réticences,

sa quête de sens, sa réflexivité, etc.). La dimension sociale concerne les relations sociales du sujet lecteur, dans

la mesure où ces relations influencent son rapport à la lecture littéraire. La dimension épistémique du rapport à

la lecture littéraire renvoie à la nature, au rôle et aux conceptions des savoirs et des savoir-faire qui structurent

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et conditionnent le rapport à la lecture littéraire. Finalement, la dimension praxéologique relève directement des

pratiques de lecture littéraire du sujet lecteur qui orientent ses conceptions, sa réflexion, son activité, ainsi que

des moyens didactiques mis en œuvre par l’enseignant ou l’étudiant en enseignement (Émery-Bruneau, 2010).

Cette arborescence vise à comprendre comment se construisent et s’entretiennent les relations dynamiques de

sens et de significations d’un sujet lecteur à la pratique de la lecture littéraire. Montrant du doigt la formation

linéaire des futurs enseignants de français au secondaire québécois, trait qui s’applique aussi à la formation à

l’enseignement collégial, la chercheuse s’interroge : « À quel moment, entre leur formation comme lecteurs et

leur formation comme enseignants [les futurs enseignants] sont-ils appelés à se penser comme sujets-lecteurs-

enseignants, avec leurs parcours personnels et scolaires […]? » (2011, p. 179).

En 2014, Émery-Bruneau élargit son cadre théorique initial afin de pouvoir analyser l’ensemble des pratiques

de la littérature : le rapport à la lecture littéraire devient le rapport à la littérature, lequel est redéfini comme

« l’ensemble diversifié des relations dynamiques d’un sujet avec les productions littéraires et les pratiques de la

littérature » (p. 74). L’analyse de ce rapport « se centre à la fois sur l’objet (textes littéraires, savoirs littéraires,

etc.) et sur le sujet (conceptions et pratiques de la littérature qui se construisent et se transforment dans chaque

activité de production ou de réception de textes littéraires) » (id.). Les plans personnels et didactiques

demeurent : le premier se transforme en la manière dont un sujet pratique ou donne sens à la littérature alors

que le second devient la façon dont l’enseignant interprète le rapport à la littérature des élèves et la façon dont

il entend le transformer en décomposant l’objet « littérature » en éléments enseignables.

Les concepts de rapport à la lecture littéraire et de rapport à la littérature sont opératoires, dans le cadre de

notre mémoire, pour nous aider à comprendre les relations dynamiques de sens des sujets lecteurs en formation

à l’enseignement, non seulement aux activités et aux pratiques, mais également au savoir didactique qu’est la

lecture littéraire. Ils nous invitent également à interroger la construction de soi de sujets lecteurs enseignants

(question spécifique 4) à la lumière de leurs parcours personnels comme sujets lecteurs (question spécifique 1)

et de leur parcours académique disciplinaire en lettres. Parce que l’appropriation de la lecture littéraire en

formation didactique implique des futurs enseignants qu’ils se pensent aussi bien comme lecteurs que comme

enseignants, nous empruntons finalement à Émery-Bruneau l’expression « sujet lecteur enseignant ». Pour

l’auteure, les sujets lecteurs enseignants sont « des professionnels réfléchis, outillés, sensibles, capables de

faire vivre aux élèves des démarches inductives qui les pousseront à trouver la source de leur sensibilité et de

leur réflexivité en lecture littéraire pour se développer et mieux se comprendre comme sujets-lecteurs » (2010,

p. 364).

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2.5 Le cadre d’analyse de la co-construction de soi et des savoirs

par les sujets lecteurs enseignants

Notre cadre d’analyse est formé de trois thèmes : le thème 1 est constitué des ressources subjectives de

l’activité du sujet lecteur. Il est étroitement lié au thème 2, qui touche à la réflexivité du sujet lecteur. Les

thèmes 1 et 2 nous permettent notamment de répondre à notre première question spécifique : comment de

futurs enseignants de littérature du collégial se comprennent-ils comme sujets lecteurs?

Le troisième thème, le plus important au regard de notre question de recherche, concerne la co-construction de

soi et de savoirs par les sujets lecteurs enseignants. Dans notre méthodologie, nous expliquons que le thème 3

de notre cadre d’analyse a été élaboré initialement en reprenant le même format que pour le thème 2, sur le

modèle de la réflexivité établi par Sauvaire (2013). Dans sa thèse, Sauvaire a délimité, à partir de Chabanne et

Bucheton (2002), quatre degrés de l’activité réflexive : l’identification/description, l’explicitation/justification,

l’évaluation/comparaison et la généralisation/conceptualisation. Appliqués à son objet, les sujets lecteurs

élèves, ces degrés lui ont permis d’évaluer qualitativement le développement de leur réflexivité. Vanhulle

suggère elle aussi quatre configurations de l’appropriation des savoirs qui rejoignent à maints égards les degrés

isolés par Sauvaire à partir des travaux de Chabanne et Bucheton : la non-appropriation, les savoirs objectivés,

les savoirs subjectivés et les savoirs créés27 (Vanhulle, 2005, dans Frier, 2016, p. 181). Par souci d’intelligibilité,

de cohérence et parce que ces sous-catégories nous apparaissent plus abouties et construites théoriquement,

nous préférons la terminologie de Sauvaire (2013).

Pour ce mémoire, nous avons ainsi voulu que les catégories du thème 3 soient cohérentes avec notre recours

à la notion d’appropriation. L’appropriation, pour rappel, est l’une des composantes de la réflexivité chez

Vanhulle. Nous avons également souhaité éprouver grâce à des données empiriques les quatre degrés dégagés

par Sauvaire – et cohérents avec ceux délimités par Vanhulle – afin de savoir s’ils pouvaient nous permettre

d’évaluer qualitativement l’appropriation, plus particulièrement du concept de lecture littéraire, chez les sujets

lecteurs enseignants. Le thème 3 est donc un produit collectif, mais il est spécifique à notre mémoire. Nous

refusant à des choix cornéliens entre deux modèles, celui de la réflexivité du sujet lecteur (Sauvaire) et celui de

l’appropriation des savoirs par les futurs enseignants (Vanhulle), et considérant que ces deux modèles

nourrissent notre réflexion et sont parfaitement complémentaires, nous proposons ce cadre d’analyse

« hybride », dont l’élément central est le thème 3 : la co-construction de soi et de savoirs par les sujets lecteurs

27 « La non-appropriation des savoirs : productions comportant des contenus approximatifs, voire erronés; savoirs objectivés : envisagés comme des objets, mis à distance, réifiés, non discutés; savoirs subjectivés : savoirs commentés, évalués, modalisés, reformulés, témoignant d’un intense processus d’appropriation; savoirs créés : savoirs prolongés par la mise en lien avec d’autres connaissances, apport de connaissances inédites à propos d’une problématique spécifique » (Vanhulle, 2005, dans Frier, 2016, p. 181).

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enseignants. Le Tableau 2 présente la source originale des trois thèmes, les altérations qu’ils ont subies et leur

utilité dans notre mémoire.

Tableau 2. Les trois thèmes du cadre d’analyse : leur source originale, les altérations subies et leur

utilité dans ce mémoire

Thèmes du cadre d’analyse Source originale Altérations Utilité dans ce mémoire

Thème 1. Les ressources de l’activité du sujet lecteur

Sauvaire (2013)

Aucune 1. Comment les futurs enseignants se comprennent-ils comme sujets lecteurs?

Thème 2. La réflexivité du sujet lecteur

Thème 3. La co-construction de soi et de savoirs par les sujets lecteurs enseignants

Pour une étude exploratoire : Thème 3. La réflexivité du sujet lecteur enseignant (Sauvaire et Gagné, 2018)

Pour ce mémoire : Thème 3. La co-construction de soi et de savoirs par les sujets lecteurs enseignants (Gagné, 2018)

2. Mobilisent-ils les savoirs disciplinaires, et si oui, comment? 3. S’approprient-ils les savoirs didactiques, et si oui, comment? 4. Comment les futurs enseignants se construisent-ils comme sujets lecteurs enseignants?

Bien que la réflexivité ne soit pas une notion de premier plan dans cette recherche, nous jugeons utile, après ce

qui vient d’être dit, de cerner sommairement les deux conceptions complémentaires de la réflexivité auxquelles

nous empruntons dans notre cadre d’analyse : la réflexivité du sujet lecteur, définie par Sauvaire (2013; 2015)

et la réflexivité en formation des enseignants, théorisée par Vanhulle (2004; 2005; 2006). Ces conceptions sont

sous-jacentes aux questions que nous nous posons sur les sujets lecteurs et sur l’appropriation de savoirs par

les sujets lecteurs enseignants.

2.5.1 Le détour utile par la notion de réflexivité : la proposition d’un cadre d’analyse

collectif

La réflexivité est une notion qui est encore à définir et à discuter (Chabanne et Bucheton, 2002). Sauvaire a

développé sa définition de la réflexivité dans le cadre spécifique de la formation à la lecture littéraire de sujets

lecteurs élèves. De tradition ricoeurienne, sa définition s’appuie sur la fonction herméneutique de la distanciation

(Ricœur, 1986), et elle suit un mouvement de mise à distance et de retour sur soi. La mise à distance porte

essentiellement sur les interprétations subjectives et sur les pratiques de lecture alors que le retour sur soi est

l’acte par lequel le sujet lecteur se comprend lui-même (Sauvaire, 2013). La réflexivité revêt quatre dimensions

principales : la mise à distance de ses interprétations, la mise à distance des pratiques langagières, le retour

sur soi comme sujet lecteur (incluant la représentation de soi) et la mise en relation des discours d’autrui pour

construire une interprétation.

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Vanhulle (2006), quant à elle, s’intéresse à la réflexivité dans le contexte particulier de la formation des

enseignants. Sa définition est tributaire d’une conception vygotskienne de la subjectivation des savoirs :

La réflexivité est une activité de la pensée – de la conscience, selon les termes de Vygotski. C’est une manière d’apprendre, de s’approprier les savoirs, de penser son rapport aux objets de savoir et à son propre agir social. C’est un processus forcément subjectif, mais orienté vers une objectivation de l’action, du concept ou de l’objet sur lequel on réfléchit. Dans la mesure où elle est conduite avec des pairs, on peut parler d’un processus intersubjectif d’objectivation (p.4).

Dans notre recherche, nous prenons appui sur la notion d’appropriation, définie dans le sein plus large de la

réflexivité chez Vanhulle (2009) comme un « processus de co-construction de soi et des savoirs » (p. 50).

Comme nous l’avons montré dans le cadre théorique, l’appropriation permet de rendre compte des paramètres

auxquels nous nous intéressons, c’est-à-dire 1) les études disciplinaires antérieures; 2) l’appropriation de

nouveaux savoirs en formation et 3) la construction de soi comme sujet lecteur et – c’est là notre apport –

enseignant.

Que l’on parle de réflexivité comme mise à distance et retour sur soi (Sauvaire, 2013) ou comme processus

intersubjectif d’objectivation (Vanhulle, 2009), les définitions se rencontrent dans ce sème de la réflexivité, qui

comprend « la prise de distance à l’égard de l’expérience » et une « re-saisie de son propre dire » (Chabanne

et Bucheton, 2002)28. La notion de réflexivité telle que la définit Sauvaire et celle que présente Vanhulle ne sont

pas incompatibles, bien au contraire. Toutefois, elles en appellent à des auteurs différents et elles ne permettent

pas de décrire les mêmes objets.

Cet effort de clarification nous a paru nécessaire pour permettre à nos lecteurs de bien saisir les trois thèmes

du cadre d’analyse que nous nous apprêtons à présenter, et dont les deux premiers ont été empruntés à une

recherche autre, celle de Sauvaire (2013). Le cadre théorique de la recherche de Sauvaire est ainsi sous-jacent

dans notre mémoire, mais il demeure secondaire. Le troisième thème, le plus fondamental dans notre recherche,

est calqué, du point de vue de sa structure, sur ces deux premiers thèmes, mais nous avons travaillé à l’aligner

avec nos objectifs et notre cadre théorique propres, et nous le proposons pour analyser l’objet qui est le nôtre.

Ensemble, ces trois thèmes permettent de répondre à nos questions de recherche et d’analyser si bien la

mobilisation/appropriation de savoirs que la compréhension de soi comme sujet lecteur et la construction de soi

comme sujet lecteur enseignant.

28 Soulignons finalement un autre élément qui contribue à faire le pont entre la réflexivité chez Sauvaire, la réflexivité chez Vanhulle et le présent travail : l’écriture réflexive. Plusieurs auteurs, dont Sauvaire et Vanhulle (Sauvaire et Gagné, à paraitre; Vanhulle, 2005, 2009; Bishop, 2010; Bucheton, 2014; Chabanne et Bucheton 2002) ont relevé les liens consubstantiels entre la réflexivité et l’écriture, contribuant à faire de l’écriture réflexive un puissant levier pour la formation du sujet, lecteur et enseignant. Par ailleurs, les nombreux travaux sur l’enseignement de la lecture littéraire menés depuis quinze ans ont permis une revalorisation des écrits réflexifs en classe de français (voir notamment Le Goff et Fourtanier, 2017). Parmi nos outils de collecte de données, le carnet de lecteur est un dispositif d’écriture réflexive qui nous permet d’observer le retour sur soi comme sujet lecteur et la co-construction de soi et de savoirs.

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39

Chapitre 3 Méthodologie

3.1 Quelques considérations épistémologiques des études

qualitatives

Les méthodes dites « qualitatives » s’imposent aujourd’hui pour répondre à l’impératif d’un paradigme

scientifique qui tienne compte de la complexité et de l’imprévisibilité des situations étudiées par les chercheurs

en sciences de l’éducation. Associées à la visée herméneutique, qui consiste à donner sens aux phénomènes

et à fournir des grilles d’interprétations (Paquay, 2006), les approches qualitatives postulent « que la réalité est

incertaine, diversifiée et subjective, ce qui demande une pluralité de lectures » (Anadón, 2006, p. 17). Elles

valorisent les approches centrées sur la subjectivité et sur la réflexivité – celles des sujets et celles des

chercheurs – déboulonnant du coup « le mythe de la neutralité analytique » (id.). Plus concrètement, selon Paillé

(2006), la méthodologie qualitative a différents traits constitutifs : des procédures qui incluent un contact

personnel avec un milieu et une sensibilité au point de vue des acteurs, la construction d’une problématique

ouverte et souple, une vision de la méthodologie évolutive et faite d’allers-retours entre la collecte et l’analyse

des données, un rôle central imparti au chercheur, une analyse des données qui vise davantage la

compréhension du fonctionnement d’une situation que la production de résultats et un travail qui s’appuie sur

une logique de découverte par le dialogue plutôt que sur des faits et des preuves. Quant aux finalités, la

flexibilité des méthodes qualitatives permet l’étude d’objets mutidimensionnels par la collecte de données via

diverses techniques (voir les méthodologies des thèses d’Émery-Bruneau, 2010 et de Sauvaire, 2013, toutes

deux en didactique de la lecture littéraire, desquelles nous nous inspirons librement).

Nous logeons ainsi résolument à l’enseigne interprétative/qualitative, parce que nous travaillons sur les

significations diversifiées « que les acteurs donnent à leurs propres vies et expériences ainsi que sur les

différentes lectures qu’ils font de leurs mondes et du monde » (Anadón et Savoie-Zajc, 2009, p. 1). Nous

manions en outre « des données complexes, flexibles, sensibles au contexte social et culturel dans lequel elles

sont produites » (Anadón et Savoie-Zajc, 2009, p. 1). Notre recherche est processuelle et se fonde sur l’itération.

Au fur et à mesure de l’échantillonnage, de la collecte et de l’analyse des données, le processus même de

recherche se transforme : « plutôt que d’être fermé, rigide et protocolaire, il est émergent et souple » (Savoie-

Zajc, 2011, p. 129).

En didactique du français plus précisément, Dufays (2010) affirme que les recherches qualitatives sont

envisagées par la majorité des chercheurs comme allant de soi parce qu’elles permettent une description en

profondeur de plusieurs aspects relevant de l’expérience vécue et qu’elles font écho à cette dimension

dialogique primordiale pour la didactique, qui tente de répondre à une exigence de rigueur vis-à-vis des

chercheurs et à une exigence de pertinence vis-à-vis des enseignants. À la visée herméneutique évoquée plus

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tôt s’ajoute ainsi une préoccupation praxéologique, par laquelle est briguée la transformation des pratiques et

des représentations ou l’élaboration de pistes d’action : « la recherche relevant de la démarche

qualitative/interprétative se situe au cœur même de la vie quotidienne et cherche à mieux la comprendre pour

ensuite agir sur elle. C’est une démarche heuristique qui poursuit souvent des buts pragmatiques et utilitaires

[…] » (Savoie-Zjac, 2011, p. 125). D’ailleurs, le critère validation, en didactique du français, est nommé plus

volontiers argumentation, car l’objectif des chercheurs « serait moins de prouver la prééminence de telle ou telle

pratique ou conception que de convaincre de sa plus grande crédibilité et/ou de sa plus grande légitimité

sociale » (Dufays, 2006, p. 151). Dans ce travail d’argumentation, ce sont les valeurs accordées aux

comportements et aux représentations des acteurs qui prennent le pas sur « les faits ».

Vanhulle (2006), parlant des recherches qualitatives, précise que « la recherche en didactique peut contribuer

à déterminer en quoi l’enseignement et l’apprentissage des savoirs scolaires relèvent de processus sociaux et

psychologiques » (p. 166). Elle avance aussi quelques idées qui coïncident bien avec notre souci de

transparence épistémologique. Nous nous permettons de les reprendre ici, pour montrer que nous nous

sommes préoccupée d’analyser comment s’est développé notre intérêt pour notre problématique. La

contribution de Vanhulle (2006) consiste à rappeler que c’est à partir « des paradigmes, ensembles de concepts,

axiomes de base, théories de référence, critères de validité, méthodes, exemples, métaphores et valeurs » (p.

166) que les chercheurs structurent leur manière de faire de la science et déterminent leurs « modèles

d’intelligibilité » et leurs façons de codifier, de lire et d’interpréter le réel (Crahay, 2006). Comme le signale Kuhn

(1972, cité par Vanhulle, 2006), le chercheur « fait ce qu’il a appris à faire. Il traite les phénomènes qui semblent

devoir relever de sa discipline, selon un “paradigme”, un modèle pratique et théorique à la fois, qui s’impose à

lui avec évidence, par rapport auquel il a le minimum de recul » (p. 166). Le parcours de recherche que nous

dessinons et la lecture que nous en faisons ne sauraient donc être étrangers à notre propre expérience, dont la

similitude avec celle de l’échantillon retenu pour ce mémoire n’est pas fortuite. C’est, de fait, à la suite d’un

baccalauréat en études littéraires et d’un diplôme d’études supérieures spécialisées en enseignement collégial

qu’ont surgi les questionnements qui irriguent nos travaux. Du fait de cette perspective à laquelle nous

souscrivons, du fait de notre démarche intellectuelle, de notre état d’esprit, de notre « arrière-fond

philosophique » (Aktouf, 1987, cité par Gagnon, 2012, p. 13), nous avons retenu l’étude de cas comme méthode

pertinente pour notre recherche. Les critères de qualité relatifs à nos choix méthodologiques sont discutés, en

partie, au fur et à mesure de leur présentation.

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3.2 Les balisages théoriques de l’étude de cas

Nous situons, dans le cadre de ce mémoire, l’étude de cas au sein des recherches qualitatives telles qu’elles

viennent d’être décrites29. Notre étude de cas se veut euristique, « c’est-à-dire qu’elle améliore la compréhension

du cas étudié » (Karsenti et Demers, 2011, p. 231). Notre devis est semi-inductif, « c’est-à-dire que l’étude de

cas dépend en grande partie du raisonnement que le chercheur élabore en se fondant sur l’observation » (id.).

Pour comprendre l’appropriation des savoirs par les futurs enseignants (question de recherche de type

inductive), il faut replacer en contexte leur expérience, considérer l’interaction entre plusieurs variables (Gagnon,

2012) et s’appuyer sur diverses sources d’information. À ce sujet, il est admis que « les études de cas qui

utilisent plusieurs sources de données sont de meilleure qualité (Yin, 2009; Yin et coll., 1993) » (Gagnon, 2012,

p. 60). Aux dires de Dufays (2006), l’étude de cas limités serait la seule manière de percevoir la relation des

professeurs et des élèves aux savoirs. Nos outils de collecte sont donc diversifiés, et nos cas, restreints.

3.3 La collecte de données

La population cible, les étudiants (futurs enseignants) d’un cours de deuxième cycle de didactique du français

au collégial, a été retenue en fonction des objectifs : dans les méthodologies qualitatives, les échantillons

tendent à être orientés par les objectifs plutôt que sélectionnés de manière aléatoire (représentativité théorique

et non statistique). Nous avons étudié quatre cas afin d’être en mesure de fournir une description contextuelle

riche et détaillée et de mettre au jour la structure de l’appropriation des deux types de savoirs. Ce type

d’échantillon, niché dans son contexte, a été étudié en profondeur (Miles et Huberman, 2003).

3.3.1 La délimitation du site

Notre choix de site est associé « au questionnement qui est à l’origine de la recherche [et à ses] diverses

contraintes » (Beaud, 1997, p. 185). La délimitation pour le recueil des données est non probabiliste (ou

intentionnelle) (Savoie-Zajc, 2011), c’est-à-dire que nous ne nous en sommes pas remise au hasard pour fixer

le choix des individus qui ont fait partie de notre recherche. Notre stratégie d’échantillonnage fonctionne par

critères (Kuzel, 1992; Patton, 1990, dans Miles et Huberman, 2003) : cette stratégie est cohérente avec la

recherche qualitative/interprétative, en ce sens où nous avons établi « un ensemble de critères provenant du

cadre théorique afin d’avoir accès, pour le temps de l’étude, à des personnes qui partagent certaines

caractéristiques » (Savoie-Zajc, 2011, p. 130). Le site a été choisi en tout début de recherche, avec en ligne de

29 Cette circonscription relève d’un choix : bien que généralement rapprochée de la recherche qualitative, nous sommes au fait que d’aucuns considèrent l’étude de cas « comme une technique d’enquête empirique (quantitative) » ou mixte (Karsenti et Demers, 2000). De même, nous assumons que toutes les études de cas ne sont pas de type interprétatif, c’est-à-dire impulsées par le désir de comprendre le sens qu’une personne donne à son expérience (Savoie-Zjac, 2004).

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mire deux objectifs : la représentativité théorique et la comparaison possible parmi les membres qui constituent

l’échantillon (Lecompte et Preissle, 1993, repris par Savoie-Zajc, 2011).

La recherche se concentre sur les candidats à l’enseignement de la littérature à l’ordre collégial qui ont un

parcours de formation « traditionnel », c’est-à-dire qu’ils ont suivi une formation disciplinaire au baccalauréat et,

pour certains, à la maitrise en études littéraires. Ils sont inscrits au moment de la collecte de donnée au cours

de Didactique du français au collégial I, obligatoire dans le cursus du Diplôme d’études supérieures spécialisées

en enseignement collégial de l’Université Laval. Ils ont réalisé ce cours dans sa totalité.

3.3.2 L’échantillonnage (échantillon effectif)

Notre échantillon initial est composé de huit étudiants (n=8). En raison du nombre restreint d’inscrits, par rapport

à ce que nous avions escompté (les cohortes habituelles comptent entre quinze et vingt étudiants), les trois

modes de collecte de données ont été présentés à tous les étudiants, simultanément. Chacun d’entre eux a

donné librement son accord pour participer à notre recherche, en sa phase préliminaire d’observation. Chacun

d’entre eux a également accepté de nous remettre, pour analyse, les cinq textes constitutifs de son « carnet de

lecteur », un document produit dans le cadre du cours. Parmi les carnets recueillis, six ont été rédigés dans leur

totalité et deux partiellement (dans les deux cas, trois parties remises sur les cinq constitutives du carnet).

Finalement, six étudiants ont accepté de nous rencontrer dans le cadre d’une entrevue semi-dirigée; de ces

étudiants, quatre seulement nous avaient fourni un carnet complet. Le carnet de lecteur à lui seul constituant

une source de données trop limitée, nous avons dû rejeter d’emblée les deux sujets qui n’ont pas consenti à

participer à l’entrevue. Nous avons donc soumis à une analyse de contenu (décrite à la section 3.4.4.1) les

données recueillies auprès de quatre participants.

En plus des critères relatifs à la formation établis d’entrée de jeu, nous avons fait le choix de retenir les quatre

sujets pour lesquels nous avons pu recueillir des données exhaustives : un carnet de lecteur complet et une

entrevue. Ce critère s’est imposé à nous devant les difficultés contextuelles rencontrées. D’abord, l’échantillon

initial s’est avéré beaucoup plus petit qu’escompté (huit étudiants inscrits au cours au lieu d’une quinzaine, dans

les cohortes régulières, dont deux ont abandonné le programme en cours de route). Puis, l’un des participants

ayant réalisé l’entrevue et nous ayant remis un carnet de lecteur partiel a décidé d’abandonner le cours aux trois

quarts de la session, ce qui l’a disqualifié au regard de nos critères initiaux. Finalement, parmi les cinq cas

possibles restants, nous avons choisi de retenir les quatre dont le discours pouvait servir à la production de

portraits exhaustifs et singuliers. En effet, la participante mise de côté n’ayant remis que trois carnets sur cinq,

nous avons remarqué, lors de l’analyse de contenu, un contraste saillant, une incomplétude de l’information par

rapport aux quatre autres cas, non pas du point de vue des propos tenus, mais de celui de l’ampleur des données

recueillies, lesquelles ne nous permettaient pas de brosser un portrait global et suffisamment étayé. Ainsi, bien

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que cette exclusion de contenu s’accompagne de certaines limites, elle est justifiée par plusieurs arguments et

contraintes contextuelles. Malgré l’impossibilité d’augmenter le nombre de cas, l’échantillon retenu pour les

portraits contient des cas contrastants, ce qui permet de minimiser ce que Miles et Huberman (2003) nomment

le « biais d’élite » (p. 472). Le Tableau 3 illustre la distribution des données amassées grâce aux deux méthodes

de collecte principales, les carnets de lecteurs et les entrevues semi-dirigées.

Tableau 3. La distribution des données recueillies grâce aux deux méthodes de collecte principales30

Date de remise :

C1

28 septembre

C2

5 octobre

C3

12 octobre

C4

19 octobre

C5

26 octobre

Entretiens

Andréa31 X X X X X X

2 novembre

Caroline X X X X

8 novembre

Valérie X X X X X X

10 novembre

Julien X X X X X

Gabrielle X X X X X X

9 novembre

Sarah X X X X X

Josiane X X X X X X

16 novembre

Xavier X X X X

15 novembre

3.3.3 Les outils de la collecte de données

Avant de présenter les outils de la collecte de données, il nous faut mentionner que nous avons assisté aux

quatorze cours de Didactique du français au collégial I à l’automne 2016 (2 h 50 chacun, pour un total d’environ

40 heures), milieu de notre collecte de données. Partant d’une définition de Lofland (1971), qui soutient que

l’observation participante consiste à « être là, pour fins d’analyse » (p. 93, traduit par Laperrière, 1997, p. 244),

nous nous sommes astreinte, pour notre part, à être là, aux fins de contextualisation. L’observation à laquelle

nous nous sommes prêtée, sciemment large, générale et libre, nous a permis de nous ancrer solidement dans

le contexte local et de faire écho aux caractéristiques récurrentes de la recherche qualitative, telle qu’elles sont

discutées par Miles et Huberman (2003) : un contact prolongé et/ou intense avec un terrain, une compréhension

holiste du contexte de l’étude et une captation « de l’intérieur » (p. 21). Les informations recueillies à l’occasion

30 Tous les étudiants ont consenti à être observés. 31 Il s’agit de noms fictifs.

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de l’observation en classe n’ont pas été formellement analysées, mais plutôt consignées au moyen d’un journal

de bord, instrument fréquemment cité dans la discussion sur les critères de rigueur (Savoie-Zajc, 2011). Nous

avons conçu l’observation comme une phase subsidiaire, susceptible d’orienter, d’informer ou de faciliter les

méthodes subséquentes de recueil et d’analyse de données, celles-là obéissant à une méthodologie d’analyse

rigoureuse.

3.3.3.1 Les carnets de lecteurs, des documents rédigés par les futurs enseignants

Selon Savoie-Zajc (2011), les productions écrites « fournissent des matériaux extrêmement riches et précieux

pour la recherche en éducation » (p. 136) pour qui prend le temps de les étudier et se donne les moyens de les

décoder. Ils peuvent prendre plusieurs formes et « permettent à l’enseignant d’allier activités de classe et

compréhension de l’évolution du processus d’apprentissage, de la résolution de problèmes ou de la

représentation d’élèves à propos d’une certaine problématique ou de l’acquisition de certaines valeurs » (id.).

Ces résultats escomptés s’harmonisent très bien avec nos visées.

Le carnet de lecteur est un dispositif basé sur le principe d’homologie (Vanhulle, 2005, p. 42), à savoir faire

produire, en formation, une diversité d’écrits de la réception susceptibles d’être enseignés en classe (De Croix

et Ledur, 2017; Ahr et Joole, 2013). Dans le cadre du cours de Didactique du français au collégial I, les futurs

enseignants ont colligé, dans un carnet de lecteur, cinq types d’écrits réflexifs réalisés autour de la nouvelle La

plage des songes de Stanley Péan (1988) : CARNET1) une autobiographie de lecteur; C2) une définition

personnelle du concept de lecture littéraire; C3) un récit de lecture; C4) un compte-rendu de la participation à

un comité de lecture; C5) une appréciation rétrospective des activités de formation. Les écrits réflexifs se

distinguent des écrits sur le texte en ce qu’ils portent sur la lecture. Ils fonctionnent comme les traces de

cheminements singuliers à travers lesquels les étudiants traduisent leurs références (Vanhulle, 2004). L’écriture

réflexive se présente sous de nombreux formats et permet, de façon plus large, d’observer la distanciation et le

retour sur soi des étudiants quant à leur cheminement personnel et à leurs pratiques (Bibauw, 2010).

Huit carnets de lecteurs réalisés en contexte formatif ont été collectés, avant la passation des entrevues. La

demande faite aux étudiants était de nous remettre une partie du carnet de lecteur à la fois pendant cinq

semaines consécutives. Au terme de cette démarche, nous avons pu recueillir six carnets exhaustifs et deux

carnets partiels (voir Tableau 3). Nous jugeons utile de signaler que ces textes de lecteurs n’ont pas été rédigés

à partir de questions formulées par la chercheuse, comme c’est habituellement le cas. Nous les avons recueillis

directement « à la source », en situation spontanée de formation, encore une fois sur une base consentie et

avec le concours de la professeure. L’Annexe I présente les consignes, données par l’enseignante, à partir

desquelles les étudiants ont rédigé les carnets. Pour des enjeux d’éthique et de fiabilité des données, ceux-ci

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n’ont pas été évalués de manière sommative par l’enseignante, comme c’est habituellement le cas dans le cadre

de ce cours.

Par ailleurs, précisons que l’année précédant la présente collecte de données, notre directrice et nous-même

avons mené une étude exploratoire auprès d’une dizaine de futurs enseignants de littérature du collégial, dans

un contexte similaire, quasi en tous points, à celui de notre mémoire. L’objectif de ladite étude a consisté à

explorer les apports possibles de l’écriture réflexive en formation, pour comprendre l’appropriation de savoirs et

de pratiques de lecture subjective et d’enseignement de la lecture littéraire. Dans le cadre de cette étude, seuls

les carnets de lecteurs ont été analysés, en aval du cours. Cette modeste étude a eu l’avantage de confirmer

toute la richesse des carnets de lecteurs et la pertinence de les exploiter dans le cadre d’une recherche d’une

plus grande envergure, comme celle que nous conduisons. Elle a également permis d’élaborer une première

grille d’analyse, décrite ci-après, qui a servi de point d’ancrage pour l’analyse de nos propres données.

3.3.3.2 Les entretiens semi-dirigés

L’entrevue est une technique de collecte centrale dans une perspective interprétative. Elle consiste en « une

interaction verbale entre des personnes qui s’engagent volontairement dans pareille relation afin de partager un

savoir d’expertise, et ce, pour mieux dégager conjointement une compréhension d’un phénomène d’intérêt pour

les personnes en présence » (Anadón et Savoie-Zajc, 2009, p. 339). L’entretien semi-dirigé est un dispositif qui

permet de rendre explicites, par la parole donnée à une personne et par les interactions entre le chercheur et le

participant, les représentations et les expériences singulières ayant trait à un objet, en d’autres termes,

« l’univers de l’autre » (Savoie-Zajc, 1997, p. 268). De fait, plus encore que l’observation ou l’analyse d’artéfacts,

l’entretien vise une saisie de l’expérience telle que verbalisée par l’interviewé. Pour Van der Maren (1995, cité

par Baribeau et Royer, 2012), l’entrevue « vise à colliger des données ayant trait au cadre personnel de

référence des individus (émotions, jugements, perceptions, entre autres) par rapport à des situations

déterminées; elle porte sur l’expérience humaine dont elle cherche à préserver la complexité » (p. 25).

Dans l’entretien semi-dirigé, le chercheur établit, à partir du cadre théorique de la recherche, un schéma plus

ou moins contraignant qui réunit une série de thèmes. Le canevas que nous avons utilisé a été élaboré avant le

début de la collecte de données et il n’a subi, entre le moment de sa constitution et celui de son déploiement,

aucune modification majeure. Il se compose de treize questions principales et de quinze sous-questions, qui

sont demeurées sensiblement les mêmes au fil des différentes entrevues. Les entretiens ont porté sur les

grandes thématiques suivantes : formation et savoirs disciplinaires, formation et savoirs didactiques, lecture

littéraire, intégration des savoirs et perception de soi et comme futur enseignant. Les entrevues, d’une durée

variant de 54 à 68 minutes, ont été enregistrées sur support audio. Le canevas a été testé positivement quelques

jours avant la première entrevue, avec une étudiante au doctorat en didactique du français ayant réalisé le

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D.E.S.S. quatre années auparavant. L’entrevue test s’est déroulée sans anicroche : le temps prévu a pu être

respecté et les réponses de la personne interrogée ont permis de confirmer la limpidité et la pertinence des

questions en fonction des objectifs.

Durant les rencontres semi-directives, nous avons pris la liberté de suggérer un ordre et une logique différents

des propos tenus ou des détails abordés, tout en nous assurant d’une certaine constance d’une entrevue à

l’autre, parce que la nature des questions n’a pas changé (Savoie-Zajc, 2011). Cette souplesse relative a aussi

été offerte aux sujets pour qu’ils puissent s’exprimer sur les thèmes proposés, ce qui peut donner lieu au

traitement d’aspects que nous n’avions pas envisagés ou anticipés, permettant d’atteindre un degré supérieur

de profondeur. Par exemple, comme nous avions effectué deux lectures préliminaires des carnets de lecteurs

avant les entrevues, nous avons eu l’occasion de faire référence et d’approfondir, avec certains étudiants, des

éléments clés développés dans cette autre source de données.

3.4 Le traitement et l’analyse des données

Bien que cette étape soit présentée après celle de la collecte des données, nous croyons qu’il est nécessaire

de réaliser le traitement et l’analyse selon une logique de va-et-vient, en utilisant le cadre théorique pour guide

pendant le processus d’induction, mais en se préservant une marge suffisante pour voir émerger de nouvelles

dimensions. Cette démarche est nommée « inductive délibératoire » (Savoie-Zajc, 2011, p. 138). À cette étape,

il s’agit de faire émerger les liens à travers les données accumulées32 et en négociant les différentes sources.

« Comme les phénomènes qu’elles reflètent, les données propres aux sciences sociales sont ordinairement

complexes, ambigües, parfois même totalement contradictoires. L’analyse qualitative implique de se plonger

aussi longtemps que possible dans cette complexité et cette ambigüité, de les accepter et finalement de les

transmettre au lecteur en les clarifiant et en les approfondissant » (Miles et Huberman, 2003, p. 459).

Les étapes et les termes pour parler de l’analyse de données qualitatives, s’ils varient légèrement d’un auteur à

l’autre, reprennent néanmoins des « recettes » assez similaires33. Le but ultime de toute analyse, rappelle

Landry (1997), « est d’arriver à produire des inférences valides et reproductibles à partir des textes34 analysés »

(p. 335). Au terme de l’analyse et de ses allées et venues, il convient de rédiger chaque étude de cas. Cette

32 Cette définition rejoint celle de Deslaurier (1991, dans Savoie-Zajc, 2000), qui parle de l’analyse comme du fait de « découvrir les liens à travers les faits accumulés » (p. 187). Nous préférons toutefois le syntagme « faire émerger » plutôt que le terme « découvrir » : la découverte implique une forme d’immédiateté et d’inconnu alors que l’émergence, c’est l’apparition peu à peu, le dégagement progressif. Nous préférons aussi le mot « données » au mot « faits » : les données sont le résultat d’une observation ou d’une expérience qui servent de base à un raisonnement, qui, parce qu’il est une faculté humaine, transite inévitablement par le filtre de la subjectivité. Les faits relèvent plutôt, selon l’usage orthodoxe, de la réalité, de l’évidence et de l’objectivité. 33 Par exemple, pour Miles et Huberman (1991, dans Savoie-Zajc, 2000, p. 188), la codification est l’opération qui mène à la réduction des données (assimilable à l’épuration). Ces deux auteurs procèdent selon un modèle basé sur trois mouvements : la condensation (ou réduction) des données, la présentation (ou organisation) des données et l’élaboration/vérification des données. Quant à Landry (1997), il distingue plutôt quatre moments : détermination des objectifs, préanalyse, analyse du matériel, évaluation de la fiabilité et de la validité des données, analyse et interprétation des résultats. 34 Les textes font ici référence aussi bien aux discours oraux qu’écrits. Dans notre cas, il s’agit des « carnets de lecteurs » et des transcriptions d’entretiens.

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opération rhétorique consiste à agencer en récit les données recueillies et à présenter les tendances dégagées

de leur analyse, en truffant le texte de citations.

3.4.1 Les outils du traitement et de l’analyse des données

3.4.1.1 L’analyse de contenu

Selon Landry (1997), dans le domaine des sciences humaines et sociales, la méthode de l’analyse de contenu

recourt à trois sources : l’utilisation de documents, l’observation par le chercheur et l’information fournie par les

sujets. Dans notre cas, ces trois sources ont été exploitées, mais seulement deux ont été soumises à une

analyse de contenu formelle. L’analyse de contenu concerne la mise au point et l’utilisation de modèles

systématiques de lecture qui reposent sur le maniement de règles explicites d’analyse et d’interprétation des

textes.

Pour Miles et Huberman (2003), dont les travaux ont guidé notre démarche, l’analyse des données qualitatives

se compose de trois « flux concourant d’activités » (p. 28) : la condensation des données, la présentation des

données et l’élaboration/vérification des conclusions. Chacune de ces étapes itératives s’opère continuellement,

dans toutes les phases de notre projet, et est concomitante à la collecte des données. La condensation des

données implique notamment l’élagage, le triage, la distinction, le rejet et l’organisation des données, pour

pouvoir en tirer des conclusions vérifiables. Par exemple, la sélection des « blocs » de données à coder et de

ceux à discriminer procède de choix qui s’inscrivent dans l’étape de la condensation. La présentation des

données, quant à elle, consiste à assembler les informations de manière organisée. Le défi de la présentation

réside dans le choix des meilleurs formats pour agencer, sous une forme compacte, immédiatement accessible

et pouvant être embrassée d’un coup d’œil, une grande quantité de données, ce format devant permettre

d’aboutir à une analyse valable et de tirer des conclusions justifiées. Finalement, l’élaboration/vérification des

conclusions se matérialise dans le mouvement de va-et-vient par lequel le chercheur décide du sens des

données, en notant des régularités, des « patterns », des explications ou configurations possibles, des flux de

causalité, etc. (Miles et Huberman, 2003). L’étape de vérification peut inclure, par exemple, des discussions

entre collègues visant à développer un « consensus intersubjectif » ou à parvenir à la « reproduction d’un

résultat dans un […] ensemble de données » (Miles et Huberman, 2003, p. 31). C’est ainsi que le chercheur

s’assure de la plausibilité, de la solidité, de la « confirmabilité », en un mot, de la validité des significations qu’il

a dégagées (id.).

La condensation, la présentation et l’élaboration/vérification renvoient à un ensemble de processus entrelacés,

qui forment un écosystème global. Bien que cela ne rende pas compte des multiples et nécessaires itérations,

nous présenterons les méthodes utilisées sous la forme d’une séquence chronologique. Le Tableau 4 expose

la progression analytique et les activités de l’analyse des données de façon synthétique.

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Tableau 4. La progression analytique dans le traitement des données (adapté de Miles et Huberman, 2003)

NIVEAU DE PROGRESSION ÉTAPES DE L’ANALYSE ILLUSTRATION DANS NOTRE RECHERCHE

A. Résumer et rassembler les données

1. Créer un texte base de travail (1) Fiches de synthèse des carnets de lecteur (2) Transcription des entrevues (3) Fiches de synthèse des entrevues

2A. Tester plusieurs catégories de codifications et élaborer de nouvelles catégories à la recherche d’une bonne série

(4.1) Test des catégories par le codage du cas de Josiane; prise de notes analytiques pour améliorer le cadre d’analyse

B. Créer un nouvel assemblage et agréger les données

2B. Mise à l’épreuve des catégories (4.2) Validation par une autre chercheuse, « consensus intersubjectif » (4.3) Test des catégories sur un nouvel ensemble, les cas de Gabrielle et d’Andréa

3. Identifier des thèmes et tendances dans les données, recherche de données clés

(4.4) Relecture des cas codés-triés pour faire ressortir des relations entre les données; prise de notes analytiques

C. Développer et tester des propositions pour construire un cadre explicatif

4. Tester des propositions et réduire le volume des données pour mener une analyse de tendances

(4.5) Codage du dernier cas, celui de Valérie (4.6) Relecture en parallèle des cas et analyse des principaux thèmes issus des données (4.7) Rédaction des portraits par cas (résumés analytiques)

5. Délimiter la structure approfondie : synthèse et intégration de la structure dans un modèle interprétatif

(4.8) Croiser les données réduites et traitées pour les interpréter

A. L’analyse de contenu : présentation des thèmes initiaux et de leurs catégories

Comme nous l’avons dit précédemment, en cours de maitrise, nous avons eu l’opportunité de travailler avec

notre directrice sur une étude exploratoire (Sauvaire et Gagné, 2018) à partir de données recueillies dans un

contexte semblable et au moyen d’un même outil de collecte (le carnet de lecteur). À cette occasion, nous avons

élaboré un cadre d’analyse dont nous nous sommes servies pour analyser des carnets de lecteurs produits par

des étudiants d’une année antérieure. Ce cadre d’analyse a été conçu à partir de celui développé par Sauvaire

(2013) pour étudier l’activité du sujet lecteur élève : il contenait initialement deux thèmes, le premier associé aux

ressources subjectives mobilisées par le sujet lecteur (codées A) et le second renvoyant à la réflexivité du sujet

lecteur (codée D). Ces deux thèmes ont été repris, mais ils ont été complétés, pour l’étude exploratoire, par un

troisième thème développé de façon déductive par notre directrice et nous-même en vue de répondre aux

objectifs de recherche relatifs à la formation de sujets lecteurs enseignants. Nous avons intitulé ce troisième

thème « Réflexivité du sujet lecteur enseignant (SLE) ». Il contenait à l’origine quatre catégories, codées E,

subdivisées en autant de sous-catégories :

E1. La mise à distance des savoirs didactiques35

E2. La mise à distance des activités didactiques

35 Pour l’analyse des carnets de lecteurs lors de l’étude exploratoire, le thème 3 est apparu dans 109 énoncés. Près de la moitié de ces occurrences (55/109) concernaient la mise à distance des savoirs (codes E1). Compte tenu des humbles dimensions de l’étude exploratoire, nous avons interprété principalement cette catégorie, en nous concentrant sur la lecture littéraire. Or, dans le cadre de notre mémoire, chacune des catégories a fait l’objet d’une analyse.

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E3. Le retour sur soi comme sujet lecteur enseignant

E4. L’intersubjectivité et l’interdiscursivité

Le cadre d’analyse et ses trois thèmes ont constitué notre « liste de départ », avant le travail sur le terrain (Miles

et Huberman, 2003, p. 114). Le troisième thème, utilisé dans le cadre de l’étude exploratoire, a été construit

avec notre concours dans des conjonctures similaires et avec en tête cette recherche de maitrise. À ce titre, il a

constitué une structure de base qui a permis « de mettre en cohérence les observations avec […] une série de

construits » (Miles et Huberman, 2003, p. 115). Le tableau de ce troisième thème développé à l’occasion de

l’étude exploratoire figure à l’Annexe 3.

B. L’analyse pendant la collecte de données

Les méthodes mises en œuvre tout au long du processus de la collecte de données nous ont permis d’organiser

les données, pour des analyses ultérieures plus approfondies (Miles et Huberman, 2003). Dans un premier

temps, chacune des parties des carnets de lecteurs a été soumise, dans les quarante-huit heures suivant sa

réception, à une (1)36 fiche de synthèse des documents. Cette fiche, librement adaptée des propositions de

Miles et Huberman (2003), nous a permis, pour chaque partie de chaque carnet, de faire ressortir les thèmes,

problèmes et questions émergeant d’une première lecture. Les points les plus saillants des documents ont été

relevés et associés aux segments des textes correspondants. La fiche de synthèse des documents est une

façon rapide d’opérer une première condensation des données. Elle nous a permis « de fixer des impressions

et réflexions, [de] rassembler les données dans “l’ordinateur humain” – le cerveau du chercheur de terrain – et

[de les rendre] disponibles pour une réflexion et une analyse ultérieures » (Miles et Huberman, 2003, p. 108).

Dans un deuxième temps, quelques heures avant chacune des entrevues, le carnet complet de la personne à

être rencontrée et les fiches de synthèse assorties à chacune des sections ont été relus. Ces relectures nous

ont permis de planifier la rencontre et de formuler des questions pour compléter le canevas d’entrevue (entre

zéro et trois questions, en fonction des personnes), en plus de nous permettre de « mieux cerner l’essence des

informations recueillies » (Miles et Huberman, 2003, p. 105, les auteurs soulignent) via le carnet, au moyen d’un

mode de collecte complémentaire, l’entrevue.

Lors des entrevues, enregistrées sur double support audio, des notes manuscrites très minimales ont été prises

dans l’unique but de nous souvenir, sur le vif, de questions surgissant alors que le répondant s’exprimait. Toutes

les entrevues semi-dirigées ont été réalisées dans un laps de temps très court (2 semaines); (2) elles ont fait

l’objet de transcriptions au fur et à mesure, en tenant compte de la plupart des indications paraverbales, par

exemple, en indiquant les « “euh”, “ben”, les pauses, les emphases mises sur les mots, les erreurs de

36 Les chiffres placés entre parenthèses permettent de retracer facilement les étapes, dans l’ordre, de l’analyse des données.

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prononciation et les phrases incomplètes d’un orateur » (Miles et Huberman, 2003, p. 104). En parallèle de

chaque transcription, (3) de très nombreuses notes manuscrites, reprenant la forme et le contenu des fiches de

synthèse des documents, ont été consignées dans le journal de bord (fiches de synthèse d’entretiens [Miles et

Huberman, 2003]). Ces fiches répondent à des questions telles que : quels étaient les thèmes principaux

abordés ou quelles nouvelles hypothèses, spéculations ou intuitions l’entrevue a-t-elle suggérées?

C. L’analyse après la collecte de données : de la première grille au cadre d’analyse final

L’ensemble des données a été recueilli rapidement, en sept semaines, très exactement. Le (4) codage des

données a donc débuté immédiatement après leur collecte; il n’a pu être opéré après chaque vague du recueil

des données. De plus, disposant déjà d’une grille d’analyse à trois thèmes avant le début de la présente analyse,

la création initiale de catégories et de sous-catégories formant une « liste de départ » en prise avec notre

recherche (Miles et Huberman, 2003, p. 114) nous a été épargnée. Les catégories et sous-catégories (dans leur

forme initiale, voir Tableau 2) avaient déjà pu être testées par des codeurs multiples (les mêmes que pour cette

recherche), ce qui nous assurait d’emblée de leur opérationnalité et d’un « bon contrôle de la fiabilité » (Miles et

Huberman, 2003, p. 126). Considérant le fait que des entrevues s’ajoutaient à ce projet, nous nous attendions

à ce que les catégories et les sous-catégories puissent changer, évoluer ou être modifiées d’un bout à l’autre

de l’expérience de codage, particulièrement les catégories du thème 3, adaptées pour ce mémoire à partir de

l’étude exploratoire (Sauvaire et Gagné, 2018). Nous avons veillé à garder, lors de la démarche, une attitude

d’ouverture à « ce que le site [pouvait] dire, [sans chercher] à forcer des codes préexistants sur les données »

(Miles et Huberman, 2003, p. 120); en ce sens, notre processus peut être dit semi-inductif.

Nous avons d’abord (4.1) choisi un premier cas qui nous semblait proliférant du point de vue des thématiques

abordées et contrastant par rapport à l’étude exploratoire, tant dans le carnet de lecteur que dans l’entrevue

semi-dirigée : le cas de Josiane. À partir du cas de Josiane, nous avons testé les catégories et les sous-

catégories de notre cadre d’analyse dans le but de dégager une première analyse du cas. Les thèmes 1 et 2

n’ont pas subi de modification significative, mais certaines catégories et sous-catégories du thème 3 ont été

modifiées ou se sont ajoutées (catégories émergentes). Le cas de Josiane codé a ensuite fait l’objet d’un (4.2)

accord interjuges par notre directrice de maitrise, à la suite duquel nous avons pu affiner encore davantage la

définition des catégories et des sous-catégories du thème 3. À partir de cette deuxième mouture du cadre

d’analyse, nous avons procédé (4.3) au codage des données d’un second cas, celui de Gabrielle, puis d’un

troisième cas, celui d’Andréa. Les thèmes 1, 2 et 3 n’ont pas subi de modification significative lors du codage

de ces cas. Les données des trois premiers cas codés ont ensuite été (4.4) triées par catégories et par sous-

catégories et les cas ont été relus successivement. Le cadre d’analyse ayant été éprouvé sur trois cas, nous

avons complété avec le (4.5) codage du quatrième cas, celui de Valérie. Finalement, nous avons effectué une

(4.6) relecture en parallèle de chacun des cas dont les données avaient été codées et triées pour nous assurer

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de la cohérence dans l’attribution des codes, d’un cas à l’autre. Cette étape est survenue après une immersion

de plusieurs semaines dans les données et une intense familiarisation avec celles-ci et avec le cadre d’analyse.

Elle s’est avérée concluante et nous avons pu observer la correspondance entre les définitions des catégories

et le codage des unités de sens : seules de fines modulations concernant les sous-catégories ont été opérées.

Au terme de ce processus, nous avons (4.7) rédigé les portraits par cas puis nous avons (4.8) croisé les données

ainsi traitées pour les interpréter. Tout au long de l’analyse, nous avons reporté, dans notre journal de bord, les

difficultés rencontrées, les questionnements, les problèmes d’analyse, « les catégories susceptibles d’être

précisées ou ajoutées, des commentaires sur le codage, des suggestions d’amélioration ou des limites

relevées » (Émery-Bruneau, 2010, p. 85). Tous ces éléments ont été régulièrement discutés avec notre

directrice de recherche. Le Tableau 4 présente la progression analytique dans le traitement de nos données.

D. L’analyse de contenu : présentation des thèmes stabilisés, des catégories et des

sous-catégories

Comme nous l’avons mentionné précédemment, les thèmes 1 et 2 du cadre d’analyse ont été empruntés à

Sauvaire (2013). Ces deux thèmes ont pu être appliqués à nos données sans qu’il ne soit nécessaire de leur

faire subir de changement substantiel. Le premier thème (codes A) concerne les ressources mobilisées

consciemment ou inconsciemment par le sujet lecteur et observables dans les discours qu’il tient sur ses

lectures. Ce thème est ressorti très faiblement de l’analyse de nos données, et on le retrouve exclusivement

dans les carnets. Or, lors du codage du premier cas, nous avons développé l’intuition que le croisement des

ressources subjectives (thème 1) avec deux des catégories du thème 2 (la mise à distance des interprétations

et le retour sur soi comme sujet lecteur) pouvait permettre une appréhension plus fine de ce second thème, une

intuition qui ne nous a pas trompée, comme nous le verrons. Nous avons donc préservé le thème 1 et utilisé

ses sous-catégories pour coder les énoncés associés aux catégories « mise à distance de ses interprétations »

et « retour sur soi comme sujet lecteur ». Le thème 1 est donc un complément au thème 2, qui nous permet de

caractériser les ressources de l’activité du sujet lecteur, pour mieux décrire comment il se comprend lui-même

comme sujet lecteur. Le Tableau 5 présente les définitions des sous-catégories du thème 1, relatif aux

ressources subjectives.

Tableau 5. Les définitions des sous-catégories du thème des ressources subjectives (Sauvaire, 2013)

Thème 1. Les RESSOURCES de l’activité du sujet lecteur

CATÉGORIES SOUS-CATÉGORIES CODES DÉFINITIONS

1. Cognitives 1. Structures cognitives : la langue

A_01_01 « Les structures cognitives réfèrent aux connaissances que possède le lecteur sur la langue et sur le monde » (Giasson, 1990, p.10). Les connaissances sur la langue comportent les connaissances phonologiques, syntaxiques, sémantiques et pragmatiques.

2. Microprocessus A_01_02 Les microprocessus concernent le niveau de la phrase (reconnaissance des mots; lecture par groupe de mots; microsélection) et les processus d’intégration entre les phrases (utilisation des référents, des connecteurs; inférences fondées sur les schémas) (Giasson, 1990).

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3. Macroprocessus

A_01_03 Les macroprocessus comprennent : l’identification des idées principales, le résumé, l’utilisation de la structure du texte.

4. Imagerie mentale

A_01_04 Les processus d’élaboration sont des inférences non prévues par le texte. Sous ce thème nous traiterons de l’imagerie mentale (le lecteur visualise la scène).

5. Stratégies de lecture employées

A_01_05 Le lecteur utilise des stratégies telles que la prédiction, le décodage des mots, le repérage, le classement, la schématisation, la synthétisation, sans nécessairement les nommer.

2. Épistémiques 1. Connaissances générales sur la littérature

A_02_01 Le lecteur fait explicitement référence à des notions disciplinaires générales comme l’histoire littéraire, les courants, le genre, l’intertextualité (au sens strict de Genette).

2. Connaissances sur l’analyse textuelle et la stylistique

A_02_02 Le lecteur fait explicitement référence à des notions d’analyse textuelle : connotation, récit-cadre/récit enchâssé, incipit, épilogue, point de vue narratif.

3. Connaissances sur le contexte de production

A_02_03 Le lecteur se réfère à des connaissances sur l’auteur (biographie, autres textes), le contexte de production (écrivain migrant, la francophonie des Amériques).

4. Connaissances procédurales

A_02_04 Le lecteur fait référence à des savoir-faire disciplinaires : faire un plan, analyser le titre, prendre des notes.

5. Bibliothèque intérieure A_02_05 Le lecteur fait explicitement référence à un autre texte.

6. Connaissances spécifiques sur la fiction

A_02_06 Le lecteur mentionne le fait que la conscience de lire une fiction est suspendue momentanément et que l’histoire lue semble « réelle ».

3. Psychoaffectives 1. Expériences personnelles

A_03_01 Le lecteur raconte une anecdote, un évènement de sa vie personnelle (sur lui-même ou sur un proche).

2. Émotions A_03_02 Le lecteur exprime une émotion : colère, dégout, plaisir...

3. Sensations A_03_03 Le lecteur exprime des sensations physiques.

4. Identification A_03_04 Le lecteur prête des motivations psychoaffectives au personnage. Le lecteur peut s’identifier affectivement à un personnage.

4. Axiologiques 1. Jugements A_04_01 Le lecteur juge l’attitude, le comportement ou le discours d’un personnage en termes de valeurs.

2. Systèmes de valeurs

A_04_02 Le lecteur souligne une continuité ou une opposition entre des valeurs présentées dans le texte et ses propres valeurs.

3. Recherche de comportement

A_04_03 À partir des situations narratives ou des actions des personnages, le lecteur s’interroge sur sa propre action, dans une situation similaire. La phrase typique est : « je me suis demandé ce que j’aurais fait à sa place ».

5. Socioculturelles 1. Appartenances A_05_01 Le lecteur mentionne une ou plusieurs de ses appartenances culturelles (groupes régionaux, nationaux, religieux) ou linguistiques.

2. Représentations de la diversité culturelle

A_05_02 Le lecteur définit ce qu’est la diversité culturelle pour lui.

3. Conflits communautaires

A_05_03 Le lecteur prend position par rapport aux conflits entre des individus ou des communautés, en particulier le racisme.

4. Stéréotypes A_05_04 Le lecteur exprime un stéréotype culturel ou une représentation collective.

5. Mise en relation de contextes divers

A_05_05 Le lecteur compare une situation narrative à une ou plusieurs situations narratives ou réelles dans un autre contexte.

6. Pratiques culturelles A_05_06 Le lecteur mentionne des pratiques culturelles au sens large (cinéma, théâtre, danse, musique, sport, télévision, jeux vidéos, etc.).

7. Communauté de lecteurs scolaires

A_05_07 Le lecteur mentionne l’influence d’un membre de la communauté scolaire sur sa lecture, hors du temps scolaire.

8. Communauté élargie

A_05_08 Le lecteur se réfère aux lecteurs potentiels du texte, à son « public ».

9. Passeur culturel A_05_09 Le lecteur mentionne l’influence d’une personne extérieure à la classe sur sa lecture (parents, amis, ancien professeur, etc.)

6. Matérielles et spatiotemporelles

1. Matériel et support A_06_01 Le lecteur fait référence aux supports concrets de ses activités de lecture et d’écriture (livre, cahier, ordinateur) et aux outils qu’il a utilisés (manuels, dictionnaires, etc.)

2. Situation spatiale et temporelle

A_06_02 Le lecteur mentionne le lieu de sa lecture (salle de classe, chambre) ou s’il a eu trop ou pas assez de temps pour lire.

Le second thème (codes D), quant à lui, permet de catégoriser la réflexivité du sujet lecteur. La réflexivité revêt

quatre dimensions principales qui suivent un mouvement de mise à distance et de retour sur soi : la mise à

distance de ses interprétations, la mise à distance des pratiques langagières, le retour sur soi comme sujet

lecteur et la mise en relation des discours d’autrui pour construire une interprétation. (Sauvaire, 2013). L’activité

réflexive se décline en quatre degrés qualitatifs, déterminés par Sauvaire (2013), qui correspondent à des

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opérations langagières et intellectuelles : identifier et décrire, expliquer et justifier, évaluer et comparer,

généraliser et conceptualiser.

Le thème de la réflexivité apparait abondamment dans les carnets de lecteur et très peu dans les entrevues. Il

peut s’agir, entre autres, d’un effet de la consigne (voir Annexe I). Nous l’utilisons en relation avec le thème 1,

et il nous permet d’apporter des éléments de réponse à notre question spécifique qui porte sur le sujet lecteur.

Le Tableau 6 présente les définitions des sous-catégories du thème 2, relatif à la réflexivité du sujet lecteur.

Tableau 6. Les définitions des sous-catégories du thème de la réflexivité (Sauvaire, 2013)

Thème 2. La RÉFLEXIVITÉ du sujet lecteur

CATÉGORIES SOUS-CATÉGORIES CODES DÉFINITIONS

1. Mise à distance de ses interprétations

1. Identification d’une hypothèse ou d’une interprétation subjective

D_01_01

Le SL identifie une hypothèse ou une interprétation qu’il a émise, à un moment donné comme lui étant propre. De ce fait, il met à distance sa propre interprétation, mais il n’est pas encore capable de l’évaluer, de la justifier, ou de l’analyser.

2. Explicitation d’une interprétation D_01_02 Le SL explicite une interprétation, il développe les liens entre plusieurs éléments textuels, plusieurs pistes qu’il a formulées ou empruntées au discours d’autrui.

3. Évaluation d’une interprétation D_01_03 Le SL évalue la pertinence de son interprétation : il la juge valide, erronée, à reformuler, à nuancer. Il propose une justification.

4. Généralisation sur la validation des interprétations

D_01_04 Le SL réfléchit sur les critères de validation des diverses interprétations.

2. Mise à distance des pratiques langagières individuelles et des connaissances liées à ces pratiques

1. Identification/fictionnalisation d’une pratique langagière (reprise compréhensive) ou d’une connaissance liée à cette pratique

D_02_01

Le SL identifie, reprend ou se réfère à une pratique individuelle de lecture, d’écriture ou d’oral, ou à une connaissance relative à cette pratique sous la forme descriptive ou narrative.

2. Explicitation/analyse d’une pratique langagière (visée compréhensive)

D_02_02

Le SL analyse une pratique. Par exemple, il indique les modalités ou les intentions de la relecture, les modalités et visées de la réécriture ou de la verbalisation (métalangagière).

3. Évaluation d’une pratique langagière (visée évaluative/prescriptive)

D_02_03

Le SL évalue la pertinence d’une pratique : il la juge valide, à reformuler, à nuancer. Il propose une justification, une argumentation ou rend compte d’une délibération. Ce faisant, il restructure ses pratiques dans le sens d’une plus grande complexité.

4. Élaboration conceptuelle à partir d’une pratique langagière (visée créative)

D_02_04 Le SL conceptualise les pratiques, par exemple, à partir d’une généralisation des activités expérimentées.

3. Le retour sur soi comme SL

1. « En évocation » D_03_01 Le SL est capable de se décrire lui-même en train de lire. Il est en évocation de la tâche.

2. Mise à distance des ressources D_03_02

Le SL prend conscience des ressources subjectives qu’il a mobilisées, il décrit ses ressources, ses stratégies. Il s’interroge sur les raisons de son identification ou de sa prise de distance par rapport à une scène, un personnage, etc.

3. Analyse de son propre parcours interprétatif à la lecture d’un texte

D_03_03

Le SL nomme une posture de prédilection (participative/distanciée, émotionnelle/analytique). Le SL élabore un raisonnement à partir de l’analyse des ressources subjectives qu’il a mobilisées. Il est capable d’analyser les transformations de son parcours interprétatif dans la durée. Il tente de généraliser, voire de conceptualiser.

4. Représentation de soi comme lecteur D_03_04

Le SL construit une représentation de soi comme lecteur. Il nomme ses centres d’intérêt en tant que lecteur (la forme, le genre, l’histoire), ses habiletés, ses pratiques de lecture (lire au lit, aller à la librairie, etc.), son histoire de lecteur.

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4. Mise en relation des discours d’autrui pour construire une interprétation

1. Identification de la source (qui?), d’un contenu emprunté ou transformé (quoi?), du contexte (quand? quelle activité?)

D_04_01

Le SL identifie la personne qui a influencé son interprétation : pairs, enseignante, chercheuse. Le SL identifie un élément emprunté au discours d’autrui, un élément transformé par autrui. Le SL identifie le moment, l’activité ou la situation d’interaction pendant lesquels son interprétation a été influencée par le discours d’autrui.

2. Explicitation des modes opératoires D_04_02

Le SL est capable de nommer avec ses propres mots un mode opératoire : sélection, ajout, suppression, reconfiguration d’éléments d’interprétation empruntés au discours d’autrui.

3. Évaluation d’une interprétation d’autrui

D_04_03

Le SL discute ou évalue la pertinence d’une interprétation d’autrui : il la juge valide ou erronée, importante ou secondaire, etc. Il établit une comparaison entre deux interprétations (au moins).

4. Questionnement sur la relation au discours d’autrui (généralisation)

D_04_04

Le SL émet une hypothèse sur le fonctionnement intersubjectif de l’interprétation, en généralisant à partir de sa propre expérience. Il s’interroge par exemple sur la complémentarité entre ses propres discours et les discours d’autrui dans la production des interprétations.

Finalement, le troisième thème (codes E) a été développé de façon déductive par notre directrice et nous-même

en vue de répondre aux objectifs d’une étude exploratoire portant spécifiquement sur la formation de sujets

lecteurs enseignants. Nous avons alors intitulé ce troisième thème « Réflexivité du sujet lecteur enseignant

(SLE) ». Or, ce troisième thème ne provenait pas, à proprement parler, « du cadre conceptuel, des questions

de recherche, hypothèses, zones problématiques et variables clés » (Miles et Huberman, 2003, p. 114) que

nous avons introduits dans notre mémoire. Pour cette recherche, il nous a semblé essentiel que les catégories

du thème 3 reflètent le recours à la notion d’appropriation, centrée sur les savoirs et sur la construction de soi

comme futur enseignant. Nous proposons donc une version du thème 3, inspirée du thème sur la réflexivité

du sujet lecteur de Sauvaire (2013), mais adaptée à la notion d’appropriation (Vanhulle, 2009) que nous avons

retenue pour notre mémoire. Les catégories du thème 3 ainsi modulées se sont révélées opératoires pour traiter

les données recueillies, mais elles ont été affinées et enrichies. Deux catégories ont émergé lors du découpage

des unités de sens selon la méthode de l’analyse de contenu. Voici énumérés les libellés que portent les six

catégories du thème 3, intitulé « Co-construction de soi et des savoirs par le sujet lecteur enseignant (SLE) ».

Rappelons que la co-construction de soi et des savoirs correspond à la définition de l’appropriation, chez

Vanhulle (2009).

E1. Les savoirs didactiques vus en formation

E2. Les activités et les pratiques37 didactiques expérimentées en formation

37 Nous entendons le terme « pratique » comme « une manière habituelle d’agir (propre à un individu ou à un groupe) » (Messier, 2014, p. 142). Par exemple, la phrase « l’exposé magistral est considéré comme une pratique courante en enseignement de la littérature » illustre l’emploi du sens du mot « pratique » en contexte. Le terme « pratique » peut ainsi recouvrir le terme « activité », mais il ne s’y limite pas. La notion de pratique permet de comprendre comment l’activité d’un sujet est tributaire de déterminations sociales, culturelles et personnelles (Reuter, Cohen-Azria, Daunay, Delcambre et Lahanier-Reuter, 2013). Quand nous faisons référence aux activités de la formation disciplinaire ou de la formation didactique, nous entendons les « genres d’activités scolaires » (Aeby Daghé, 2010) expérimentés dans un cadre ou dans l’autre, qui entretiennent un rapport avec les savoirs de références et qui se rapportent aux objets enseignés. Par exemple, un futur enseignant pourrait choisir de mettre en œuvre, en stage, une pratique qui

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E3. La construction de soi comme (futur) enseignant

E4. L’intersubjectivité et l’interdiscursivité relative à l’appropriation de savoirs, d’activités et de pratiques

E5. Les savoirs, les activités et les pratiques disciplinaires

E6. Les expériences ayant contribué à sa formation et expériences comme étudiant

Pour chacune des catégories qui concernent les savoirs, les activités et les pratiques (E1, E2, E4 et E5), nous

avons repris la division en quatre sous-catégories, afin de voir si elle serait productive pour mesurer

qualitativement le degré d’appropriation des savoirs : identification, explicitation, évaluation et élaboration. Le

Tableau 7 présente les définitions des sous-catégories du thème 3, relatif à la co-construction de soi et des

savoirs par le sujet lecteur enseignant.

Tableau 7. Les définitions des sous-catégories du thème de la co-construction de soi et des savoirs du

sujet lecteur enseignant

Thème 3. La co-construction de soi et des savoirs du sujet lecteur ENSEIGNANT (SLE)

CATÉGORIES CODES DÉFINITIONS

1. Les savoirs didactiques vus en formation

1. Identification d’un savoir didactique (reprise compréhensive)

E_01_01

Le SLE identifie un savoir didactique en le nommant, en y référant ou par le biais de la citation textuelle. De ce fait, il met à distance ce savoir, mais il n’est pas encore capable de l’évaluer, de le justifier, ou de l’analyser. Les « préconceptions » sur la lecture littéraire appartiennent aussi à cette catégorie.

2. Explicitation d’un savoir didactique (visée interprétative ou explicative)

E_01_02

Le SLE explicite sa compréhension d’un savoir didactique; il reformule, paraphrase ou reprend à son compte une définition. Au besoin, il développe les liens entre plusieurs éléments conceptuels.

3. Évaluation d’un savoir didactique (visée évaluative ou prescriptive)

E_01_03

Le SLE juge de la pertinence d’un savoir didactique. Il le juge valide, à reformuler, à nuancer en proposant une justification, une argumentation ou en rendant compte d’une délibération. Ce faisant, il restructure ses conceptions dans le sens d’une plus grande complexité.

4. Élaboration conceptuelle à partir de savoirs didactiques (visée créative ou conceptualisation)

E_01_04

Le SLE élabore, transforme ou crée à partir des savoirs didactiques. Il incorpore différents savoirs, identifie leurs applications ou implications. Il parvient à les articuler dans un modèle didactique38 qui lui est propre.

2. Les activités et les pratiques didactiques expérimentées en formation (incluant les

1. Identification d’une activité ou d’une pratique (reprise compréhensive)

E_02_01

Le SLE identifie ou se réfère à une activité ou à une pratique didactique, sous la forme descriptive ou narrative. De ce fait, il met à distance l’activité ou la pratique, mais il n’est pas encore capable de l’évaluer, de la justifier ou de l’analyser.

lui a été présentée lors de sa formation didactique. De même, les futurs enseignants peuvent relater certaines de leurs pratiques disciplinaires littéraires, comme commenter des œuvres ou assister régulièrement à des pièces de théâtre (Simard, Dufays, Dolz et Garcia-Debanc, 2010). 38 Le « modèle didactique » est une notion issue de la didactique du français et sujette à débats (Galluzzo-Dafflon, 2016). Il s’agit d’une représentation d’un savoir à enseigner ou d’un dispositif pour l’enseigner qui s’appuie sur un cadre théorique qui le justifie (Messier, 2014). Le modèle didactique revêt généralement deux fonctions : 1) il est une « construction théorique à visée descriptive et/ou praxéologique, qui sert à comprendre les principes de construction des objets didactiques et est liée à la définition d’un objet “enseignable” » (Galluzzo-Dafflon, 2016, p. 3, voir aussi Reuter, Cohen-Azria, Daunay, Delcambre et Lahanier-Reuter, 2013), et 2) il sert d’outil pour la construction d’une ingénierie didactique et devient une matrice qui permet de générer des séquences d’enseignement-apprentissage. Dans notre mémoire, quand nous affirmons que les futurs enseignants articulent les savoirs à un modèle didactique qui leur est propre, ou qu’ils construisent leur modèle didactique, nous voulons signifier qu’ils parviennent à conceptualiser les savoirs à enseigner ou pour enseigner, à penser leur matérialisation en contexte. Il peut ainsi servir à la planification de dispositifs didactiques, tout comme il peut proposer une formalisation des savoirs en lien avec un objet spécifique, formalisation qui permet d’analyser ce qui est enseigné (ou non), ce qui est enseignable (ou non) et les façons dont c’est enseigné (Reuter, 2010; Reuter, Cohen-Azria, Daunay, Delcambre et Lahanier-Reuter, 2013).

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activités et pratiques didactiques réinvesties en stage)

2. Explicitation d’une activité ou d’une pratique (visée interprétative ou explicative)

E_02_02 Le SLE analyse une activité ou une pratique didactique. Au besoin, il développe des liens entre plusieurs dimensions de l’activité ou de la pratique.

3. Évaluation d’une activité ou d’une pratique (visée évaluative ou prescriptive)

E_02_03

Le SLE juge de la pertinence d’une activité ou d’une pratique didactique. Il la juge valide, à remanier, à nuancer en proposant une justification, une argumentation ou en rendant compte d’une délibération. Ce faisant, il restructure ses conceptions dans le sens d’une plus grande complexité.

4. Élaboration conceptuelle à partir d’une activité ou d’une pratique (visée créative ou conceptualisation)

E_02_04

Le SLE élabore, transforme, crée des activités ou des pratiques didactiques. Il incorpore différentes activités ou pratiques, identifie leurs applications ou implications et parvient à les articuler dans un modèle didactique qui lui est propre.

3. La construction de soi comme (futur) enseignant

1. « En évocation » E_03_01 Le SLE se décrit, se raconte, s’évoque lui-même en tant qu’enseignant en formation (mise en récit d’expérience : fictionnalisation).

2. Ressources mobilisées E_03_02

Le SLE prend conscience des ressources et des stratégies qu’il mobilise pour enseigner : il les identifie, il les décrit.

3. Analyse de son propre parcours de formation à l’enseignement

E_03_03

Le SLE analyse les transformations de son parcours de formation à l’enseignement dans la durée. Il fait des liens entre son parcours personnel et de formation à l’enseignement. Il tente de généraliser, voire de conceptualiser sa (trans)formation. Le SLE s’autoévalue comme enseignant en formation.

4. Représentation de soi comme enseignant E_03_04

Le SLE construit une représentation de soi comme enseignant. Il construit son propre modèle didactique (projection dans le devenir enseignant). Il fait part de ses représentations ou de ses observations quant aux étudiants du collégial.

4. Intersubjectivité et interdiscursivité (relative à l’appropriation de savoirs, d’activités et de pratiques)

1. Identification de la source (qui?), d’un contenu emprunté ou transformé (quoi?), du contexte (quand?)

E_04_01

Le SLE identifie le pair (ou la professeure) qui a influencé son appropriation de savoirs, d’activités et de pratiques. Il identifie un élément emprunté au discours d’autrui, un élément transformé par autrui. Il identifie le moment, l’activité ou la situation d’interaction pendant lesquels son appropriation a été influencée par un pair ou par la professeure.

2. Explicitation/interprétation d’une signification proposée par un pair ou par la professeure (par rapport à un savoir, une activité ou une pratique)

E_04_02

Le SLE explicite ou interprète un élément emprunté ou un élément transformé par un pair ou par la professeure. Il explique en quoi le discours d’un pair ou de la professeure a influencé son appropriation.

3. Évaluation d’une signification proposée par un pair ou par la professeure

E_04_03

Le SLE discute ou évalue la pertinence d’une signification proposée par un pair ou par la professeure : il la juge valide ou erronée, importante ou secondaire, etc. Il établit une comparaison entre deux significations (au moins) accordées à un savoir, à une activité ou à une pratique.

4. Questionnement sur la relation au discours d’autrui (conceptualisation, généralisation)

E_04_04

Le SLE émet une hypothèse sur le fonctionnement intersubjectif de l’apprentissage (en généralisant à partir de sa propre expérience). Il s’interroge par exemple sur la complémentarité ou les tensions entre ses propres savoirs et pratiques et ceux exposés par ses pairs ou par la professeure.

5. Les savoirs, les activités et les pratiques disciplinaires

1. Identification d’un savoir, d’une activité ou d’une pratique disciplinaire (reprise compréhensive)

E_05_01 Le SLE identifie un savoir disciplinaire ou se réfère à une activité ou à une pratique disciplinaire.

2. Explicitation d’un savoir, d’une activité ou d’une pratique disciplinaire (visée interprétative ou explicative)

E_05_02

Le SLE analyse un savoir, une activité ou une pratique disciplinaire. Au besoin, il développe des liens entre plusieurs dimensions du savoir, de l’activité ou de la pratique.

3. Évaluation d’un savoir, d’une activité ou d’une pratique disciplinaire (visée évaluative ou prescriptive)

E_05_03 Le SLE juge de la pertinence d’un savoir, d’une activité ou d’une pratique disciplinaire en proposant une justification, une argumentation ou en rendant compte d’une délibération.

4. Élaboration conceptuelle à partir de savoirs, d’activités ou de pratiques disciplinaires (visée créative ou conceptualisation)

E_05_04

Le SLE élabore, transforme ou crée à partir des savoirs disciplinaires. Il incorpore différents savoirs, identifie leurs applications et implications.

6. Les expériences ayant contribué à sa formation et expérience d’étudiant

1. Expériences ayant contribué à sa formation professionnelle (au sens large)

E_06_01 Le SLE évoque, analyse ou évalue des expériences ayant contribué à sa formation professionnelle (récit d’expérience professionnelle ou de travail, tutorat, correction, bénévolat…).

2. Expériences d’étudiant en lettres et formation disciplinaire (cégep et université)

E_06_02 Le SLE évoque, analyse ou évalue son expérience d’étudiant en lettres, à l’université et/ou au collégial (si applicable). Il évoque, analyse ou évalue sa formation disciplinaire en lettres,

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57

mais sans mentionner de savoirs, d’activités ou de pratiques disciplinaires.

3. Expérience d’étudiant au D.E.S.S. et formation au D.E.S.S.

E_06_03

Le SLE évoque, analyse ou évalue son expérience d’étudiant au D.E.S.S. Il évoque, analyse ou évalue sa formation pédagogique et didactique, mais sans mentionner de savoirs, d’activités ou de pratiques didactiques.

4. Expérience d’étudiant (en général)

E_06_04

Le SLE revient son expérience d’étudiant en général, sans faire de lien explicite avec sa formation disciplinaire ou didactique et sans mentionner des savoirs, des activités ou des pratiques. Les références à une formation collégiale qui n’a pas été réalisée en lettres (à l’exception de l’évocation explicite des cours de français, langue et littérature) appartiennent à cette catégorie

3.5 Des choix méthodologiques rigoureux et pertinents

La méthodologie adoptée dans cette recherche nous semble appropriée pour l’étude que nous avons menée.

Elle répond en effet aux critères de scientificité définis notamment par Reuter (2006), en didactique du français.

Dans la méthodologie à laquelle a eu recours Émery-Bruneau (2010) pour sa recherche doctorale, et qui a

beaucoup influencé notre propre méthodologie, la didacticienne met à l’épreuve les critères de scientificité

relevés par Reuter. Nous lui empruntons sa schématisation en l’adaptant à notre recherche de maitrise.

Notre méthode est (1) pertinente, car elle est en adéquation avec notre question de recherche et notre cadre

théorique. Comme nous l’avons montré dans ce chapitre, notre cadre d’analyse hybride permet de comprendre

comment de futurs enseignants s’approprient les savoirs de leur formation didactique en tenant compte de deux

instances constitutives : le sujet lecteur et le sujet lecteur enseignant. Nos choix méthodologiques reflètent la

nuance entre compréhension de soi comme sujet lecteur (question spécifique 1) et construction de soi comme

sujet lecteur enseignant (question spécifique 4). Nos observations à l’égard des sujets lecteurs sont

essentiellement rétrospectives, d’où l’emploi du verbe comprendre : le dispositif du carnet de lecteur et le cadre

d’analyse, particulièrement le thème 2, qui inclut la catégorie « retour sur soi comme sujet lecteur », permettent

de saisir comment les sujets lecteurs se comprennent eux-mêmes comme tels. La construction de soi comme

sujet lecteur enseignant est, quant à elle, principalement prospective, ou à tout le moins, en train de se réaliser.

Les entrevues et le thème 3, plus spécialement, permettent de bien appréhender cette construction des sujets

lecteurs enseignants.

La méthodologie choisie possède également (2) une cohérence interne, car elle nous permet de faire des

relations entre ses composantes, et elle est (3) maniable, en cela qu’elle a été adaptée à partir d’autres

techniques et procédures qui ont fait leurs preuves. Elle est (4) productive, car elle nous permet d’obtenir des

documents de recherche de diverses natures desquels découlent, bien qu’ils soient peu nombreux, des résultats

sur le plan des connaissances. Finalement, elle est (6) conforme aux normes de notre champ : elle s’intéresse

aux savoirs appropriés par des enseignants de littérature en formation.

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Chapitre 4 Analyse des données : étude de cas

Dans ce chapitre, nous traçons le portrait de quatre sujets lectrices enseignantes39, étudiantes en formation à

l’enseignement de la littérature au collégial. Ces portraits sont détaillés, nuancés et contrastés du point de vue

de leur histoire de sujet lectrice, de leur formation et de leur projection dans le devenir enseignant. Pour deux

sujets sur quatre, la formation au D.E.S.S. en enseignement collégial constitue un retour aux études après une

longue période d’arrêt pour des raisons personnelles ou professionnelles. Trois sujets sont détentrices d’une

maitrise (deux dans des concentrations en création, une dans un profil en littérature québécoise) et l’autre sujet

a complété un baccalauréat en études littéraires. Trois sujets ont réalisé leurs études postcollégiales dans la

même université. Les portraits permettent d’illustrer des cas concrets de mobilisation des savoirs disciplinaires

et d’appropriation des savoirs didactiques, et ils établissent des indicateurs de la compréhension de soi comme

sujet lectrices et de la construction de soi comme sujets lectrices enseignantes de futures enseignantes de

littérature du collégial. Chacun des portraits contient les résultats obtenus à la suite du recueil des carnets de

lectrices et des entrevues réalisées : ils sont assortis d’extraits et de commentaires d’analyse ciblés, détaillés et

circonstanciés.

Pour chaque portrait, nous présentons en premier lieu les données sociodémographiques de la personne : son

âge, sa formation antérieure, les motifs de son inscription au D.E.S.S. en enseignement collégial et quelques

éléments de personnification inférés grâce à l’observation informelle en classe. Nous privilégions ensuite une

présentation par thématiques. D’abord, nous présentons la sujet lectrice et les ressources qu’elle convoque, qui

correspondent essentiellement aux thèmes 1 et 2. Dans ces thèmes, c’est principalement la catégorie « retour

sur soi comme sujet lecteur » et sa sous-catégorie « représentation de soi comme lecteur » qui émergent des

discours des sujets. Comme nous l’avons expliqué dans la méthodologie, le thème 1 a servi essentiellement de

complément au thème 2; il nous permet de caractériser les ressources de l’activité de la sujet lectrice, pour

décrire plus finement la mise à distance de ses interprétations et sa représentation d’elle-même comme lectrice.

39 Jusqu’ici, nous avons employé les notions de sujet lecteur et de sujet lecteur enseignant en nous conformant docilement au genre figé de ces notions en didactique de la littérature, le genre masculin. En français, le nom « sujet » s’utilise au féminin exclusivement pour désigner les ressortissants d’un état ou les personnes sur qui porte l’autorité d’un souverain : la morphologie linguistique nous autorise dès lors à choisir entre « sujet » et « sujette ». Ce n’est évidemment pas d’un sujet de cet ordre dont il est question lorsque nous parlons d’un sujet lecteur ou d’un sujet lecteur enseignant : Bertucci (2007) l’a bien montré en retraçant la genèse de la notion de sujet en didactique de la littérature « de la conception cartésienne du sujet comme conscience unifiée à celle du cogito brisé de P. Ricœur » (p. 11). Consciente de cet héritage, nous sommes toutefois sensible au fait que le système de pouvoir qu’est le genre relève de la culture et que le sexisme de la langue française, la plupart du temps, n’est pas inscrit dans « la langue elle-même, mais [dans les] interventions effectuées sur elle depuis le XVIIe siècle par des intellectuels et des institutions qui s’opposaient à l’égalité des sexes; et que, pour l’essentiel aussi, les solutions que nous cherchons à ces problèmes existent déjà. Les solutions linguistiques, s’entend. » (Viennot, 2014, p. 9-10). Les quatre sujets de notre étude sont des femmes et elles se définissent comme telles. Parler d’elles comme de sujets lecteurs ou comme de sujets lecteurs enseignants – parce qu’en plus ici, « sujet » porte à sa suite des vocables qui, orthographe grammaticale exige, devraient être du même genre, et donc, de genre masculin – nous est apparu comme un non-sens. Dans la littérature scientifique en didactique de la littérature, pas de trace de « sujet lectrice » ou de « sujet lectrice enseignante » : la stratégie communément adoptée semble être celle de l’évitement systématique, par toutes sortes de circonvolutions phrastiques. C’est donc en toute connaissance de cause et devant l’absence de précédent dans notre champ que nous choisissons d’assumer la féminisation de sujet dans le cadre de ce mémoire : pour dire Josiane, Valérie, Gabrielle et Andréa, mais aussi pour dire toutes ces femmes qui ne se reconnaissent pas comme sujets lecteurs, mais qui sont bel et bien des sujets lectrices.

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Puis, nous abordons la formation disciplinaire de la participante, avec ses activités et ses pratiques, et nous

traitons des savoirs disciplinaires qu’elle mobilise : ces informations sont relevées grâce aux catégories

« savoirs, activités et pratiques disciplinaires » et « expérience d’étudiant » qui appartiennent au thème 3.

Ensuite, nous en venons à la formation didactique : nous exposons ses activités, ses pratiques et ses savoirs,

tels que la personne semble se les approprier. Dans le thème 3, ces éléments s’inscrivent dans les catégories

« savoirs didactiques vus en formation » et « activités et pratiques didactiques expérimentées en formation ».

Finalement, nous présentons la construction de soi comme sujet lectrice enseignante (thème 3). Nous obtenons

des informations à ce propos essentiellement grâce à la catégorie « construction de soi comme (futur)

enseignant ». Dans cette catégorie, c’est presque exclusivement la sous-catégorie « représentation de soi

comme enseignant » qui ressort. La présentation par thème nous permet de rendre compte des aspects

(catégories et sous-catégories) qui sont apparus dans le discours de chacune des sujets, de les décrire, de les

analyser en profondeur et d’en évaluer l’importance par rapport à d’autres aspects (catégories et sous-

catégories) et par rapport aux autres sujets. Cette structure met également en évidence les liens entre nos

analyses et nos questions spécifiques de recherche. Les catégories absentes des résultats ont délibérément

été ignorées dans les portraits individuels.

L’ordre des portraits est établi suivant une logique de convergence et de divergence, entre les sujets et par

rapport à nos questions de recherche : nous présentons d’abord le portrait d’Andréa, qui est un cas jugé

« représentatif » de la problématique brossée dans ce mémoire à partir des recherches antérieures menées

dans des contextes similaires. Puis, nous exposons les portraits de Valérie et de Gabrielle, deux étudiantes dont

le parcours de formation, la mobilisation de savoirs disciplinaires et l’appropriation de savoirs didactiques sont

somme toute assez similaires : ces deux cas participent à nuancer nos assertions de départ. Finalement, nous

présentons le portrait de Josiane, qui fait émerger, relativement aux savoirs, une situation que nous n’avions

pas anticipée au moment du cadrage de notre travail. Comme nous le verrons, le cas de Josiane peut être

qualifié de contrexemple (Guba et Lincoln, 1989).

4.1 Le portrait d’Andréa

Andréa a 22 ans. Elle est détentrice d’un diplôme d’études collégiales en Arts et lettres, profil Littérature, et d’un

baccalauréat en Études littéraires, profil Création. Elle a réalisé son parcours d’études postsecondaires dans

les temps prescrits et sans interruption. Au moment de sa formation collégiale, elle a rencontré des enseignantes

qui l’ont inspirée et elle les a questionnées sur leur parcours universitaire. C’est ainsi qu’elle a appris l’existence

du D.E.S.S. en enseignement collégial et qu’elle a élaboré son projet de formation. Elle affirme qu’elle a

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également l’intention de faire une maitrise disciplinaire parce que « tous les enseignants [qu’elle]40 aimai[t] ont

fait la maitrise pis [elle a] beaucoup d’admiration pour eux, [elle s’est] dit “peut-être que moi aussi j’s’rais

capable” », mais elle ajoute que ça ne la « tente pas41 » (ENTREVUE, désormais ENT).

Andréa a une personnalité de type surexcité, nerveux. Elle s’efforce d’adopter, à l’oral, un registre de langue

soutenu, par exemple, en prononçant l’adverbe de négation « ne ». En grand groupe, elle participe modérément;

elle semble plus à l’aise de s’exprimer lors d’ateliers en petites équipes. Andréa fait preuve d’une parfaite tenue :

elle est ce que l’on pourrait appeler une « élève modèle », dans la mesure où elle est ponctuelle, attentive en

classe, qu’elle prend des notes abondantes, qu’elle remet des travaux à la présentation soignée, etc. C’est la

première personne que nous rencontrons en entrevue.

L’analyse synthétique des occurrences repérées dans le discours d’Andréa permet de constater une prévalence

élevée de la catégorie « mise à distance de ses interprétations » (l’on observe chez elle le double d’occurrences

par comparaison aux sujets dont le nombre d’occurrences pour cette catégorie suit immédiatement celui

d’Andréa), particulièrement dans son carnet de lectrice. Nous sommes également à même de remarquer

l’investissement important par Andréa de ressources épistémiques lors de sa lecture. Dans l’entrevue, c’est

également Andréa qui convoque le plus les savoirs didactiques vus en formation; en contrepartie, la fréquence

des occurrences pour la catégorie « construction soi comme (futur) enseignant » est parmi les plus faibles.

Nous présentons le portrait d’Andréa en quatre parties, lesquelles correspondent aux catégories thématiques

principales de notre cadre d’analyse : 1) la sujet lectrice; 2) les savoirs, activités et pratiques de sa formation

disciplinaire et son expérience d’étudiante en lettres; 3) les savoirs, activités et pratiques de sa formation

didactique et 4) la construction de soi comme sujet lectrice enseignante.

4.1.1 La sujet lectrice : les premiers pas dans la stylistique

Le carnet d’Andréa permet d’identifier facilement ses préférences de lectrice puisqu’elle commence son

autobiographie en mentionnant la lecture qui les a faites se manifester : le roman Notre-Dame de Paris de Victor

Hugo, qu’elle a lu entre sa troisième et sa quatrième secondaire. Les ressources investies alors par Andréa sont

métissées. La participante commence par une explication brève, mais enflammée des raisons qui l’ont fait aimer

ce roman et qui résident essentiellement dans la possibilité d’en discuter avec autrui : « Un de mes bonheurs a

été d’apprendre que mon amie lirait aussi cette œuvre littéraire. Nous en avons parlé longuement, et toutes nos

40 Dans les discours rapportés, les indications paraverbales que nous avons ajoutées lors des transcriptions (pause, silence, allongement vocalique, intonation descendante ou montante, etc.) apparaissent entre parenthèses. Les mots ajoutés ou modifiés – en veillant à préserver le sens original – pour restituer leur cohérence aux phrases tronquées sont indiqués entre crochets. 41 Pour une plus grande lisibilité dans le corps du mémoire, la plupart des tics de langage et des marques d’hésitation caractéristiques de l’oral (par exemple, la répétition de mots sans ajout de sens) ont été supprimés. Les extraits en provenance des carnets de lecteurs n’ont subi aucune modification ou correction linguistique de notre part.

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discussions sur le sujet n’ont fait qu’alimenter mon appréciation du roman. Nous parlions des personnages

comme s’ils appartenaient à notre cercle d’amis, nous réfléchissions sur leurs actes, en critiquions certains, et

riions de certaines répliques. Nous connaissions des extraits par cœur » (CARNET1, désormais C1). Elle

transite ensuite rapidement vers un éloge non moins fervent et beaucoup plus étoffé de la stylistique. Avec la

terminologie qui est celle qu’elle maitrise aujourd’hui et qui fait émerger aussi bien des savoirs disciplinaires

qu’un rapport à la lecture marqué par la dimension épistémique, Andréa décrit longuement ce qui lui plaisait

chez Hugo :

Par-dessus tout, j’admirais l’écriture enflammée de Hugo, ses énumérations délirantes, ses gradations, ses images éloquentes, ses personnifications. L’étude des procédés d’écriture m’allume encore aujourd’hui. Ce n’est pas pour rien que l’analyse littéraire au cégep a été la forme de dissertation que j’ai de loin préférée. Les figures de style apportent énormément au texte par les images qu’elles évoquent et les surprises qu’elles peuvent occasionner chez le lecteur. Au fil de mes expériences de lecture, j’en suis venue à la conclusion que l’analyse du texte donne un sens important à l’œuvre, et il s’agit probablement d’une des raisons qui expliquent mon adoration des dissertations, passion que la majorité de mes pairs ne partagent pas, je le reconnais. L’examen des procédés d’écriture apporte énormément à la compréhension d’une œuvre, selon moi. (C1)

C’est cette importance accordée au travail sur la langue, laquelle traverse de part en part le discours d’Andréa,

qui est propre à susciter chez la sujet lectrice des émotions : « Quand je lis aujourd’hui, j’adore repérer des

symboles, retracer l’émotion que provoque en moi telle ou telle phrase en me penchant sur le choix stylistique

de l’auteur, saisir, au fil de ma lecture, le sens du titre quand ce dernier s’avère légèrement obscur, par une

phrase ou un extrait explicite » (C1). En entrevue, nous la questionnons sur cette manière de donner sens à la

lecture et à son activité de lectrice qui, de prime abord, nous apparait peu commune voire potentiellement

porteuse de contradictions. Dans toutes les unités de sens qui concernent la « représentation de soi comme

sujet lecteur » (D_03), Andréa ne déroge pas : son « sentiment d’attachement » (ENT) à un texte se développe

« à force de travailler dessus, de l’analyser, de le décortiquer » (ENT). Or, pour Andréa, c’est précisément cette

appréhension intellectualisée qui lui permet de ressentir des émotions à la lecture d’une œuvre.

AG Ça, c’est vraiment ta manière à toi d’entrer dans les textes. Y’en a qui diraient par exemple « moi j’entre vraiment par l’émotion ou par comment je me sens »… ANDRÉA (enthousiaste) Mais j’embarque là dans un texte. J’suis dedans là, j’suis dedans! Pis je veux savoir pourquoi j’suis dedans, c’est quoi dans le texte qui me touche, si c’est la formulation de la phrase. Mais pas : (fort) « il faut que je comprenne! », mais je m’amuse à essayer de comprendre. (ENT)

Quand nous lui demandons si la lectrice qu’elle est a évolué aux différents moments de sa formation, Andréa

confirme de nouveau : « J’ai toujours beaucoup analysé. Moi j’aime (enthousiaste, plus fort) les figures de style,

moi j’aime l’orthographe, le choix du mot, la syntaxe, déjà, je savais que je réfléchissais à ça, mais j’avais pas

de nom… » (ENT).

ANDRÉA [Avant mes études disciplinaires] j’aimais ça, je trouvais ça beau, oh mon dieu, je lis un texte pis wow! Pis c’est après, avec le cégep, je me dis « ah, ça m’a marquée ce texte-là ça finit par une rime, ça finit par la structure, oh mon dieu il y avait un rappel, oh, il y avait un symbole, AH! C’est ça qui faisait que

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j’aime tant. Bon. Voilà. » Avec le bac aussi, on peaufine toutes ces connaissances-là, pis j’ai l’impression que la lectrice que je suis, pis je l’avais déjà dit dans le texte [son carnet]... AG C’est pas grave! ANDRÉA C’est… moi, décortiquer un texte, côté grammatical, côté syntaxique, les procédés stylistiques, moi c’est ça que j’aime! Y’en a qui vont dire « ah, mais des fois faut juste lire pour lire ». Oui, mais moi ça me rend aussi heureuse de décortiquer, j’aime ça savoir c’est quoi qui m’a plu exactement, si c’est, l’absence de ponctuation aussi, ça donne un rythme puis de dire « je sais que cet effet-là est causé par tel type de procédé ». (ENT)

Si sa formation disciplinaire (au cégep et à l’université) lui a permis d’acquérir le vocabulaire et les savoirs

académiques relatifs à la stylistique, à la linguistique et à la rhétorique, cela n’a fait, selon Andréa, que cimenter

une passion existante. Avant même que nous la rencontrions et que nous la confrontions quant à ses pratiques

de lecture, Andréa parait consciente de cette apparente incompatibilité entre « lecture analytique » et « lecture

d’évasion », comme le montre cet extrait tiré de la dernière partie de son carnet, le texte réflexif sur les activités

expérimentées :

De mon côté, les annotations de ma camarade de classe sur ma propre copie ont confirmé ce que je savais déjà : ma propension à aborder un texte par des notions théoriques, que ceux-ci s’attachent aux éléments diégétiques ou à la narration. Pour certains, cette pratique de lecture, si je peux nommer cette manière de faire ainsi, traduirait une lecture strictement académique, incompatible à celle d’évasion. Pourtant, je n’abonde pas dans ce sens puisque mon plaisir réside justement dans l’analyse du texte, dans la recherche de symboles, de sens caché, d’un double discours. Il s’agit d’une confrontation amicale du texte, d’une lutte contre l’auteur, même si l’œuvre littéraire n’en est pas une qui pose initialement un problème de lecture. Pour ce faire, je dois posséder un certain bagage intellectuel en la matière pour réussir à mettre des mots sur un phénomène, une impression. (C5)

Dans ce passage, Andréa fait référence à une activité réalisée en classe au cours de laquelle les étudiants

devaient annoter le récit de lecture d’un pair pour faire ressortir le type de ressources investies. Cette activité a

amenée Andréa à enrichir sa compréhension d’elle-même comme sujet lectrice en confirmant qu’elle établit un

rapport « analytique » aux textes littéraires, une remarque de sa camarade que le retour réflexif écrit lui donne

l’occasion de mitiger.

Pour Andréa plus que pour tout autre sujet, l’analyse du récit fait en effet apparaitre une mobilisation presque

exclusive de ressources épistémiques liées à ses savoirs disciplinaires, connaissances générales sur la

littérature ou connaissance sur l’analyse textuelle et la stylistique. Andréa évoque notamment des notions

grammaticales comme la « phrase nominale », des connaissances sur le registre fantastique ou sur le genre de

la nouvelle ainsi que des savoirs sur l’analyse textuelle comme l’incipit, les figures de style (« analepse »), le

« champ lexical », la « situation diégétique » (C3), etc. Andréa formule également plusieurs interprétations, mais

leur mise à distance se maintient aux niveaux 1 et 2 (« indentification d’une hypothèse ou d’une interprétation

subjective » et « explicitation d’une interprétation »). De fait, la plupart des interprétations sont présentées, dans

le carnet d’Andréa, sous forme de questions (hypothèses interprétatives) : peu de relations sont établies entre

les différents éléments textuels (segments de texte isolés, compréhension microtextuelle plutôt que

macrotextuelle) et les interprétations ne sont pas évaluées au regard de leur pertinence par la sujet lectrice.

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4.1.2 Les savoirs, activités et pratiques disciplinaires et l’expérience d’étudiante en

lettres : la confirmation d’une passion

Quand nous la questionnons, en entrevue, sur les savoirs de son baccalauréat en études littéraires qu’elle

considère maitriser et sur sa manière prévue ou effective (en stage) de les mobiliser, Andréa affirme qu’elle ne

se souvient pas des « notions » (ENT), mais elle fait référence à un cours qui l’a beaucoup « marquée » (ENT).

ANDRÉA [Ce cours] avec comment on pouvait aborder le sens d’une œuvre, est-ce que c’était du côté des auteurs, est-ce que c’était dans le texte, est-ce que c’était dans les études sur le lecteur… […] Ça, ça m’a marquée pis j’en parle encore pis je les réutilise pour mes stages […] Des fois, j’aime ça faire des petits clins d’œil. L’intertextualité, tout ça, j’aime beaucoup (avec vigueur) les courants! […] Les courants aussi, les périodes, je pense que j’ai commencé à bien maitriser… Bon, la littérature médiévale, je suis toujours une plaie, je ne suis pas bonne avec la littérature médiévale […] Mais en général, ce serait ça. Le genre narratif, j’ai eu un cours aussi pis ça j’pense que j’ai déterré mes notes pour mon stage, donc ce type de, de connaissances, je pense que je les maitrise pas pire… […] Il me suffit de relire mes notes pis ça me revient, donc je pense que j’ai une bonne mémoire, pis je crois que avec [ce cours], je ne connais pas encore par cœur les dates ou les noms de tout le monde, mais je suis capable de dire l’approche du lecteur, c’était quoi, je crois que je suis capable de dire en général en quoi ça consistait… […] Pis ça je suis fière. AG Vraiment, pis tu disais que ça t’arrive de les mobiliser aussi… ANDRÉA Ouais. AG Donc parmi ces savoirs-là, il y en a que tu réutilises pis que tu trouves pertinents à reprendre dans le cadre de cours au collégial? ANDRÉA Oui… oui! Oui. […] Pis j’essaie de pas y aller trop en profondeur… […] surtout dans les cours de formation générale, mais j’ai un groupe qui est dans le même programme que j’ai eu, en littérature, donc ils sont déjà un peu plus intéressés par la littérature, puis eux avec eux, j’en parle un peu plus… Le lecteur présupposé de Sartre, je vais parler de l’auteur implicite de Booth… […] mais juste, pour faire un petit lien, sans faire un gros topo là-dessus, ça va être un clin d’œil, mais je me dis que ça va peut-être les préparer à l’université s’ils s’intéressent aux études littéraires. […] AG Fec, c’est ça ma prochaine question tu l’as devancée, mais la manière dont tu t’y prends c’est vraiment sous forme de petits topos… ANDRÉA Ouais. […] rappeler la notion, la définition pis sont déjà souvent introduits à ça, l’intertextualité, ils savaient… […] Donc, ils aiment ça donner des exemples, des fois, moi j’aime beaucoup ça l’intertextualité (rires), donc j’aime ça, j’aime ça en parler. (ENT)

Bien qu’Andréa soutienne qu’elle ne se souvient plus des « notions » de son baccalauréat disciplinaire, elle

énumère dans ce long passage plusieurs d’entre elles. Les savoirs disciplinaires déclaratifs sont présentés ici

pêle-mêle et de manière décontextualisée. Néanmoins, il s’agit de la manifestation la plus précise, dans les

entrevues menées, de la capacité d’un sujet à mobiliser différentes théories des études littéraires, cette capacité

constituant l’un des objectifs déclarés d’un baccalauréat en lettres, l’un des prérequis du D.E.S.S. en

enseignement collégial et l’un des attendus de la part d’un enseignant de littérature du collégial. Cette situation

pourrait s’expliquer notamment par le fait qu’Andréa est l’étudiante qui a terminé son baccalauréat en études

littéraires depuis le moins longtemps. Les savoirs auxquels elle fait référence sont ceux qui, selon ses propres

dires, la rejoignent personnellement en tant que sujet lectrice : les savoirs relatifs à l’analyse textuelle. Sa

manière de les réinvestir, sous forme de « topos » ou de rappel de définitions qui évitent d’aller trop « en

profondeur », s’éloigne peu des pratiques magistrales traditionnelles. Dans cet extrait émerge finalement une

conception des étudiants du collégial comme étant peu intéressés par la littérature.

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Les études disciplinaires en lettres d’Andréa sont caractérisées par une relation amour-haine avec ses

professeurs. D’un côté, elle les met sur un « piédestal » (ENT), se sent intimidée par eux et déplore certaines

de leurs pratiques distantes, « prescripti[ves] » (ENT) et peu accessibles : « […] c’est pas tant par rapport à la

transmission des savoirs, je trouvais qu’ils étaient vraiment compétents, mais on voit que ce sont des têtes, ils

sont spécialisés dans leur domaine, pis moi ça m’intimidait un peu » (ENT). D’un autre côté, elle cherche à les

imiter, tantôt consciemment et tantôt sans paraitre s’en rendre compte. Nous croyons que la formation didactique

qu’Andréa est en train de suivre l’incite à remettre en question certains savoirs et pratiques conformistes de sa

formation disciplinaire, mais c’est comme si elle tentait de s’affranchir d’un discours institué tout en continuant

d’y adhérer. Cette ambivalence entre l’étudiante et la future enseignante ressort particulièrement lorsque nous

la questionnons à savoir si elle se souvient d’activités apparentées à la lecture littéraire qui auraient été

expérimentées dans son baccalauréat.

ANDRÉA Pour moi c’était plus de la compréhension, mais une dissertation, c’est ça pareil là, je veux dire, on interprète une intrigue, on interprète le fil des actions des personnages, mais… j’ai l’impression que c’est encore très formel. […] Alors que dans la lecture littéraire, j’ai l’impression que quand on peut en parler, qu’on peut traduire ça, le transcrire, ça pourrait prendre une forme moins méthodique, moins méthodologique! AG Fec c’est quand même, as-tu l’impression que c’est… ANDRÉA Répandu? AG … comment dire, ben ouais? ANDRÉA Non (en riant). AG Non, pas vraiment? ANDRÉA Non, ben je penserais pas. […] C’est pas présenté de cette façon-là, j’ai l’impression. Peut-être qu’on le fait inconsciemment, mais ils nous ont jamais mis les mots là-dessus, pis j’ai l’impression qu’on nous pousse encore à l’université à justement aller vers la fameuse dissertation, pis c’est norm… comme si c’était plus sérieux peut-être? (ENT)

Nous profitons de sa mention de la dissertation et du fait qu’elle la met en dialogue ici avec la lecture littéraire

pour la sous-questionner sur cette pratique prototypique des études littéraires.

AG […] dans les dissertations, c’est la même chose, ou? T’avais-tu l’impression de pouvoir te positionner comme lecteur dans les dissertations ou c’était plus ou moins accepté? ANDRÉA Moi je suis hyper conformiste […] Quand je m’attendais à ce que [le professeur] veuille qu’on parle de tel symbole, moi j’allais vers ça. Pis moi ça me rassure aussi, moi j’suis zéro avant-gardiste, non […] On va parler de symboles si c’est ça qu’il faut pis ça va me faire plaisir pis je vais aimer ça, mais je vais pas essayer de voir plus loin au cas où, justement j’aie tort. (ENT)

Et encore :

ANDRÉA Oui, j’aime ça [la théorie], mais on ne fait pas de retour en classe dans tous les cours, on lit Érec et Énide pis après on va faire une dissertation pis toute la matière qu’on a gardée ça va être ce que la prof a exposé du contexte sociohistorique, de sa définition à elle, de sa compréhension à elle, mais y’a pas de « êtes-vous d’accord, vous, comment vous avez vu ça, comment vous traduiriez la relation entre les deux personnages? », non! Pis, moi c’pas grave, je suis hyper docile fec je prends ce qui m’arrive pis je me pose pas de questions, mais, c’est ça, on voit que notre opinion de lecteur n’est pas tellement sollicitée, pas peu valorisée, mais c’est ça, elle n’est pas sollicitée, du moins. (ENT)

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Pourtant, un peu plus loin, elle affirme que même si elle aime la dissertation, elle considère que pour le collégial,

ce type d’activité « réduit encore une fois l’œuvre littéraire à un objet scolaire, pis que après [les étudiants du

collégial] font leur dissertation pis ils réfléchissent plus à ça » (ENT). Cette position va dans le même sens que

ce qu’elle soutient dans la dernière partie de son carnet de lectrice.

L’étudiant semble rarement considéré dans sa position de lecteur subjectif. La forme et les exigences des analyses et des dissertations évacuent l’évaluation personnelle de l’étudiant, appelé à rester un étudiant. La littérature est présentée comme un objet assimilé par l’institution scolaire. Il y a des auteurs à admirer et dont il faut reconnaître le travail, puis, de l’autre côté d’une frontière infranchissable, il y a les élèves et les étudiants. Pourtant, il n’est pas banal de connaître leur réception d’une œuvre. Qu’est-ce qui les a interpellés ? Quel comportement ont-ils approuvé du héros ? Quelle phrase du texte le résumerait le mieux, et pourquoi ? Plusieurs personnes affirment que les jeunes n’aiment pas lire alors que le modèle traditionnel d’enseignement forme des enseignants qui ne leur posent jamais sincèrement la question. Chez certains d’entre eux, il semble inconcevable qu’un étudiant avoue ne pas avoir apprécié telle œuvre, parce qu’il s’agit d’un classique ou d’un récipiendaire d’un prix particulier. (C5)

Cet aspect caméléon du discours d’Andréa a constitué une source de difficulté pour l’analyse. Devons-nous

conclure à une réprobation peu réflexive de pratiques instituées, celles des études littéraires (la faible réflexivité

est observable notamment dans les phrases où Andréa répète qu’elle ne se pose pas de questions) au profit

d’une assimilation, une adhérence homologique à d’autres pratiques instituées, celles de la didactique? Nous y

entrevoyons plutôt un conflit cognitif en jeu entre l’étudiante en lettres, adepte assumée de la théorie littéraire et

de ses formes scolaires caractéristiques, qui ont bien fonctionnées pour elle-même et qui la sécurisent, et la

future enseignante, qui cherche à se forger des croyances et à acquérir des idées utiles à la construction de

son modèle didactique. Ce discours aux multiples facettes pourrait également témoigner de la capacité d’Andréa

à distinguer ce qui relève de ses préférences, et plus largement, de sa subjectivité, de ce qui relève de celle des

autres, c’est-à-dire, ses futurs étudiants. Ces extraits permettent en outre de prendre la mesure du travail de

transformation qui s’effectue dans les espaces de formation, transformation qui en est, dans le cas d’Andréa, à

ses balbutiements, comme le montre l’extrait suivant, où se rencontrent des savoirs disciplinaires et des savoirs

didactiques.

ANDRÉA Tsé pourquoi il a utilisé une antithèse, c’est pas banal. Pis là les gens vont dire « ouais, mais là je sais que c’est une antithèse, je sais à peu près c’est quoi la définition, OK, paf ». (enthousiaste) « Ouais, mais est-ce que vous voyez à quel point l’antithèse appuie un thème, souligne un propos, est-ce que vous le voyez? ». Pis c’est ça le but de l’analyse littéraire, c’est de montrer en quoi les effets, les procédés d’écriture peuvent mettre la lumière sur le thème et aider à mieux comprendre le thème et peut-être à guider l’interprétation… Là, je dis ça grâce au D.E.S.S. (rires). Avec le cours de didactique et j’ai l’impression que ce pourrait être ça. […] Pour moi, c’est donc important de comprendre la structure d’une phrase pis de montrer « trouvez-vous que ça a de l’allure cette… si on l’avait écrit différemment est-ce que ça aurait donné un effet différent? ». Pis peut-être que les étudiants auraient fait (voix caverneuse) « oui, non, je ne sais pas! », mais comme ça, pour moi, ça valoriserait l’analyse littéraire. AG Pis quand tu dis « je dis ça à cause du D.E.S.S., ça peut guider une interprétation », ce type d’analyse là… ANDRÉA Ouais! Ben je n’avais, je n’aurais pas pensé à ça avant le D.E.S.S.

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Les savoirs disciplinaires littéraires, très persistants dans cet extrait, son surinvestis en lien avec l’individualité

de la sujet lectrice et les savoirs didactiques, quant à eux, transforment la portée des savoirs disciplinaires au

bénéfice de la valorisation de l’analyse littéraire.

4.1.3 Les savoirs, activités et pratiques didactiques : des savoirs didactiques

confrontant en cours d’appropriation

Andréa nous fait part d’entrée de jeu, lors de l’entrevue, des difficultés qu’elle rencontre dans son cours de

didactique et des insécurités qu’elle ressent. Elle affirme ainsi qu’elle trouve que les cours ne sont pas

« concrets » et que concernant « la didactique, [elle a] vraiment des croutes à manger » (Ent. l.). Parlant de la

professeure, elle ajoute qu’elle « comprend […] ce qu’elle veut donner, mais [qu’elle n’est] pas capable encore

de [s]’approprier ses savoirs […] de trouver que c’est tangible » (ENT). Dans la suite de l’entrevue, nous

comprenons que lorsqu’elle déplore le manque de « concret », Andréa entend qu’elle aurait souhaité qu’on lui

expose une méthode à appliquer pour transmettre les savoirs littéraires, qu’elle relie péniblement aux savoirs

pédagogiques et didactiques du D.E.S.S.

ANDRÉA […] durant trois ans, durant cinq ans, si je compte avec le cégep, moi c’était (accentué) LA littérature, tout ce qui concernait LA littérature, et là, on est en dehors de la littérature, des fois on a un discours sur la littérature, mais [au D.E.S.S.] c’est surtout la psychologie, là on est à côté, la pédagogie, des notions avec lesquelles je ne suis aucunement familière. […] donc j’ai l’impression de partir de très loin, puis là de me dire « ah mon dieu, tout mon bagage littérature finalement, je ne sais pas comment le réinvestir ». On peut le réinvestir en didactique, mais c’est pas encore, je sais pas ça va être quoi la deuxième partie de la session, mais nous dire vraiment comment on peut les transmettre, comment on peut vulgariser ça… AG Ouais. ANDRÉA … je sais pas si ça va être ça la deuxième partie [du cours]. Moi, j’ai hâte à ça, parce que pour l’instant, je suis pas familière avec ça, la didactique, juste la didactique. J’aurais voulu un cours qui nous dise c’est quoi ça va être. Oui, la transmission, bien sûr, mais comment? C’est quoi les opérations à faire, c’est quoi les méthodes?

Dans l’extrait qui précède, la pensée d’Andréa se développe de façon linéaire. Elle éprouve un malaise vis-à-

vis de l’intégration des savoirs disciplinaires et didactiques et elle aimerait « être plus capable de [se] dire “ah,

moi, j’aimerais vraiment agir comme ceci en tant qu’enseignant parce que je trouve que le savoir, ça se voit

d’une telle manière plutôt que d’une autre pis que l’étudiant a tel rôle à jouer dans une classe” » (ENT). Elle a

toutefois « encore espoir qu’à la fin, ça soit plus concret pis [qu’elle] soi[t] capable de mobiliser tout ça », mais

au moment de l’entrevue, elle prétend avoir l’impression de surnager et d’être plus « lente » (ENT) que ses

condisciples : « [la professeure] est rendue trois kilomètres plus loin pis moi je sais toujours pas c’est quoi la

différence entre un savoir pis une connaissance » (ENT). Quand nous la questionnons sur la complémentarité

ou le caractère contradictoire entre ses savoirs disciplinaires et didactiques, nous constatons qu’Andréa

entretient l’attente que le D.E.S.S., « éventuellement [lui dise] comment [elle] peut enseigner ce qu’[elle] a

appris », « réinvestir [sa] théorie » (ENT). Elle adopte ainsi la posture d’une exécutante qui espère qu’on lui dicte

des prescriptions, une posture qui s’est avérée fort efficace lors de ses études en lettres. D’ailleurs, cette valeur

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accordée à la norme et à la prescription devient évidente dans le passage qui suit, alors que nous l’interrogeons

sur la possibilité qu’elle réinvestisse des activités associées à la lecture littéraire.

AG Est-ce que c’est des pratiques ou des activités [associées à la lecture littéraire] que tu penses pouvoir réinvestir en contexte d’enseignement? Comment tu vois ça dans le concret? Dans la pratique? ANDRÉA Ben j’aimerais ça demander l’avis des étudiants, j’aimerais ça qu’ils disent « moi j’ai pas aimé ça ». J’aimerais qu’ils développent le pourquoi de leur appréciation esthétique ou, je sais plus trop là, les valeurs, je sais plus […] J’aimerais ça! Pour pas que les étudiants se sentent toujours comme du bétail, comme « eille je vous donne un texte puis recrachez-moi quelque chose là-dessus pis je m’en fous si vous avez pas aimé ça ». Tsé, on est des individus, on est des êtres humains pis la lecture, c’est une activité humaine, l’écriture aussi, est-ce qu’on peut savoir si on a apprécié. Ça j’aimerais ça. Mais de là à remplacer une dissertation finale par un texte d’invention là je… Moi je suis tellement traditionnelle… je trouve ça beau en théorie, mais il faudrait que ce soit permis officiellement […] De toute façon je pense qu’on pourrait pas. Je pense qu’on, qu’il faudrait que le gouvernement ou que le ministère de l’Éducation dise, comme en France « OK, il y a deux options ou il y en a trois peut-être », ça, je trouve ça bien… AG Pis à partir de ce moment-là, si c’était justement… ANDRÉA J’aimerais ça le faire au moins une fois. […] Une fois sur trois, c’est à peu près ça la moyenne […] J’aimerais le faire, peut-être pas à la fin, peut-être plus au début, mais en même temps, c’est pas que je veuille dévaloriser, c’est vraiment… peut-être au milieu, pour faire une petite pause, bien que ce soit quand même un travail intellectuel (rires), mais je sais pas, je ne sais pas où je le positionnerais pis je pense pas que je ne ferais que ça, parce que je pense aussi que la dissertation, ça peut aider à faire une tête, puis, c’est plate à dire, mais dans leur vie, peu importe leur carrière, ça va souvent être des textes, des produits administratifs, structurés, donc les aider à bien argumenter sous une forme plus classique. AG Hum, hum. ANDRÉA Mais le texte d’invention je trouve ça chouette, l’écriture d’invention, je trouve ça peu banal (rires), je trouve ça bien. (ENT)

Alors qu’elle se projette dans sa future pratique enseignante, nous remarquons que la lecture littéraire est réduite

au fait de demander l’avis des étudiants sur leur appréciation, et que l’écriture d’invention est assimilée à une

chimère théorique qui devrait être sanctionnée par les plus hautes instances pour qu’Andréa consente à la

mettre en œuvre d’une manière, finalement, plutôt marginale.

Ces propos tenus par Andréa lors de l’entrevue paraissent en contradiction par rapport à ce que cette dernière

soutient dans son carnet de lectrice, rédigé avant l’entrevue. En effet, la première définition42 de la lecture

littéraire d’Andréa atteint le niveau « élaboration conceptuelle » (E_01_04) (premier extrait), et elle revient sur

l’activité d’écriture d’invention en en vantant les bienfaits (second extrait).

En effet, je ne crois pas que la lecture littéraire se limite à un objet scolaire, car elle accorderait une trop grande importance à l’instance que représentent les institutions scolaires. La valeur de littérarité d’une œuvre tendrait à être déterminée à l’avance. Je penche plutôt vers un plus grand pouvoir d’interprétation accordé au lecteur, auprès de l’objet littéraire. Cette conception miserait davantage sur une capacité à lire de manière imaginative, déductive et personnelle. En multipliant les lecteurs et en

42 Au moment de rédiger leur première définition de la lecture littéraire (C2), les futurs enseignants viennent d’être initiés au concept de lecture littéraire : ils ont lu trois textes théoriques à ce sujet. La professeure consacre ensuite à la lecture littéraire et à l’approche subjective (sujet lecteur) deux séances de cours entières, dont l’une est dédiée à l’expérimentation de dispositifs didactiques. Le texte réflexif sur les activités expérimentées (C5) est remis après quoi, et il permet aux futurs enseignants de revenir sur leur première définition de la lecture littéraire. L’entrevue a lieu, quant à elle, quelques semaines plus tard.

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les invitant à interagir entre eux, nous retrouverions la « communauté interprétative », selon les termes de Lagoff. La construction de sens se ferait alors en groupe au moyen de discussions, de prises de position, de débats, où des forces de contestation et de conservation peuvent s’affronter. L’objet littéraire prendrait vie en direct : les analyses, les interprétations et les critiques seraient partagées à chaud. Une sorte de renversement des positions s’effectuerait chez les instances : le rôle du professeur ne se bornerait plus à rapporter ou à exposer des interprétations à ses étudiants, comme le laisserait supposer la définition de la lecture littéraire en la comparant à un objet scolaire, mais d’encourager les étudiants à fournir leurs propres visions du texte. La lecture littéraire deviendrait alors plurielle et polysémique, et, du coup, une pratique de l’apprivoisement. (C2)

Je crois que l’écriture d’invention donnerait aussi l’occasion aux étudiants de s’exprimer en dehors des balises codées imposées par la structure de l’éternelle dissertation. Les cours de littérature au Cégep demandent presque exclusivement aux étudiants de produire un métadiscours alors que la littérature ne se résume pas à des notions théoriques, à des grands courants et à des œuvres marquantes. Pourquoi ne pas proposer aux étudiants de réécrire un texte, peut-être une nouvelle ou le chapitre d’un roman, selon leur compréhension du livre à l’étude ? Ils pourraient ensuite justifier le choix de tel procédé, de telle description et de tel développement de l’intrigue, soit au cours d’une présentation orale ou d’une table ronde. L’enseignant pourrait juger de la consolidation des connaissances à ce moment, en entendant l’étudiant s’expliquer sur la rédaction et la sélection d’éléments significatifs dans son texte, mais en lisant aussi sa production. Ce projet aurait tendance, je pense, à investir complètement l’étudiant et à lui offrir la chance d’expérimenter une écriture plus personnelle. L’analyse de l’hypotexte n’est donc pas exclue de l’opération puisqu’il faut toujours bien retirer un sens de sa lecture pour proposer une version différente. Les erreurs liées à la langue seraient toujours pénalisées, bien sûr, puisque le texte de création ne doit pas présupposer une négligence dans l’écriture et un oubli des règles linguistiques. (C5)

Dans le premier extrait, l’utilisation du temps verbal conditionnel et du pronom personnel « il » pour parler de

l’enseignant (pas de théorisation en « je ») donnent au discours un ton désincarné. Toutefois, Andréa fait l’effort

de recourir à plusieurs éléments de définition de la lecture littéraire, attribuables à différents auteurs, et de les

intégrer dans une modélisation qui implique une critique du pouvoir institutionnel, le renversement des rôles de

l’enseignant et des étudiants et une conception du processus interprétatif comme étant intersubjectif. Difficile

de ne pas conclure ici qu’Andréa s’efforce d’adopter la posture de la « bonne élève », qui se matérialise dans

un rapport désimpliqué et dans l’effacement du « je ». En effet, elle reprend ici docilement la voie balisée par la

professeure et fait ce que le « conditionnement » scolaire lui a appris à faire : se conformer à la norme établie.

Dans le deuxième extrait, toujours rédigé au conditionnel et théorisé au « il », la prise de position en faveur des

activités d’écriture réflexive s’accompagne d’une critique de l’enseignement de la littérature centrée sur la

production quasi exclusive de métadiscours et sur l’apprentissage de notions théoriques. Andréa prévoit

également une progression où « l’enseignant » devrait tenter de trouver un équilibre qui permette aux étudiants

du collégial de s’approprier des savoirs sur la stylistique, de s’investir subjectivement et d’améliorer leur maitrise

de la langue. Comme il est possible de le constater, les deux passages rendent compte d’inégalités qualitatives

importantes et de plusieurs paradoxes qui se font jour d’une source de données à l’autre, entre ces extraits tirés

du carnet et les extraits précédents issus de l’entrevue.

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4.1.4 La construction de soi comme sujet lectrice enseignante : une transition

ardue de la sujet lectrice vers la sujet lectrice enseignante

Andréa construit avec beaucoup de parcimonie sa représentation d’elle-même comme future enseignante. Sa

projection dans le devenir enseignant relève, à notre sens, d’une forme d’applicationnisme, et ses réponses à

nos questions à cet égard n’impliquent pas de prise de risque. Quand nous lui demandons pourquoi elle a choisi

de se diriger vers l’enseignement collégial, elle nous répond que c’est pour la matière qui y est enseignée, et

ce, même si « [elle se] considère assez modeste dans la vie [et qu’elle] avai[t] l’impression de pas être littéraire »

(ENT), lors de ses études disciplinaires.

ANDRÉA Pour la matière qui est donnée. AG Hum, hum. ANDRÉA Mais j’aime beaucoup la grammaire aussi, j’aime beaucoup le français. Moi j’aime faire des analyses, les dissertations (rires), puis j’aime les textes formels, puis c’est vraiment la matière et surtout le public, les étudiants, qui ne sont pas des élèves justement…

À un autre moment de l’entrevue, Andréa revient sur son « besoin de partir de la théorie avant de faire la

pratique » (ENT), tout en mentionnant qu’elle est « peut-être trop théorique » (ENT). Derrière ce rattachement

perpétuel à la théorie nous semble se dissimuler une insécurité d’enseignante débutante et un réel besoin de

réassurance. Pour Andréa, une manière de se sentir en confiance semble consister à se retrancher derrière du

connu et du maitrisé. Le dialogue ne semble pas aller de soi entre l’étudiante en lettres et la sujet lectrice

enseignante, et cela est rendu manifeste alors que nous demandons à Andréa de nous raconter comment elle

s’imagine en tant qu’enseignante de littérature.

ANDRÉA J’aimerais être sympathique (rires) pis j’aimerais que les gens voient à quel point j’aime la littérature pis qu’on peut aimer la littérature. C’est toujours présenté de manière poussiéreuse la littérature, « que c’est donc vieux »! Mais la littérature, ça se fait aujourd’hui! Pis j’aimerais ça, bon, selon le cours que je donne, mais si je suis capable, de donner des œuvres récentes. Puis peut-être de m’éloigner des fameux classiques, de dire oui y’a eu le classicisme, bon, Molière c’est sûr qu’on l’aime Molière, mais est-ce qu’il y aurait d’autres œuvres un peu plus […] méconnues qui sont quand même classiques, juste pour… Pis j’en parlerais de Molière, je ferais un petit topo, « ah Molière, notre ami »! Mais d’autres œuvres aussi, peut-être pour les surprendre ou qu’ils rattachent pas toujours (monotone) les mêmes noms aux mêmes courants. C’est bien, ça donne des repères, j’ai besoin de repères, mais c’est ça, donc, j’aimerais ça… Je sais que je suis structurée dans la vie, moi j’aime les plans de cours, l’ordre du jour. Ça, je sais que j’ai besoin de le faire pour moi, pis je pense que ça pourrait aider certains étudiants, mais en même temps j’aimerais miser sur le plaisir. Mais en même temps, je ne veux pas être dans un camp de jour non plus, je veux que ce soit plaisant tout en étant sérieux. Pour pas justement donner un caractère trop ludique à la littérature, ça l’est, mais c’est aussi un travail réflexif, y’a beaucoup d’intellectuel là-dedans. […] Voilà! J’aimerais ça, mais on va voir comment je vais procéder. AG Pis tu dis, avec un peu d’exaspération, « c’est toujours les mêmes œuvres qui sont rattachées »... ANDRÉA Mais c’est contradictoire parce que j’aime ça.

En plus des contradictions inhérentes aux discours d’Andréa dont nous avons déjà fait état, ce qui frappe

davantage ici, c’est le début du décentrement par rapport à elle-même, sujet lectrice, qui est en train d’opérer.

Même si elle peine à rattacher à son discours des savoirs didactiques, Andréa est consciente que sa

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« jouissance » esthétique est de nature différente du « plaisir » de lire qu’elle voudrait que ses étudiants

partagent. Elle s’efforce ainsi d’intégrer l’approche subjective et de différencier ses propres préférences de celles

de ses étudiants, comme nous l’avons vu plus tôt. Cependant, quand nous lui demandons ce qui devrait, selon

elle, se produire de plus important dans un cours de littérature du collégial, nous assistons à un retour en force

de la « bonne vieille théorie ».

ANDRÉA Est-ce qu’ils ont compris l’œuvre, est-ce qu’ils peuvent me la résumer, qu’est-ce qui est ressorti, pourquoi parler de tel élément… les personnages aussi. Des fois, on finit la séance pis on a juste parlé en surface pis on plonge jamais dans l’œuvre. […] AG Comme si c’était un peu décontextualisé? ANDRÉA C’est ça! Mais est-ce qu’on peut juste savoir si on aime ça? Bon, pis faire des exercices, éventuellement, mais, j’aimerais ça qu’ils retiennent la bonne vieille théorie. (ENT)

Un peu plus loin dans l’entrevue, Andréa revient sur cette idée quand nous lui demandons ce qu’elle aimerait

que les étudiants soient en mesure de faire : « […] c’est plate, mais de savoir leurs œuvres proviennent de quels

courants, c’est quoi les caractéristiques majeures, en quoi on peut dire justement que ces caractéristiques

propres à l’œuvre reflètent bien celles du courant dont [elle est] issu[e] » (ENT). Un schéma très similaire s’était

déjà dessiné dans son carnet de lectrice.

Il faudrait leur demander, aux étudiants, ce qu’ils ont ressenti durant leur lecture, ce qu’ils en ont pensé, aussi, au lieu de toujours les rediriger vers une rédaction objective de l’œuvre. Comment pourraient-ils entrevoir l’accessibilité de la littérature si nous la leur présentons infatigablement comme un objet aux limites du sacré. […] J’aimerais, si je deviens enseignante, solliciter l’avis des étudiants avant la lecture d’un texte sans que cette activité dure nécessairement longtemps. Interroger leur horizon d’attente, nourri par des éléments du paratexte, donnerait l’occasion d’impliquer l’étudiant dès le début dans le processus de réflexion, de le reconduire à son rôle de lecteur, lequel semble parfois négligé. Étrangement, j’ai toujours bien aimé l’éternelle approche historique, ne serait-ce que parce qu’elle fournit des explications sur le contexte socio-historique de l’émergence d’un texte et que ces indices me réconfortaient dans la lecture à venir. Aujourd’hui, je pense que ces informations n’ont pas forcément à être exposées au début d’une séance, car elles ont pour effet d’amputer le pouvoir imaginatif du lecteur. (C5).

Les préférences d’Andréa en tant que sujet lectrice, héritées de son histoire personnelle et renforcées par sa

formation en études littéraires semblent constituer dans son cas un obstacle à l’appropriation de savoirs et de

pratiques didactiques, étant donné le rapport contestataire que ces savoirs et pratiques entretiennent avec les

modèles théoriques historicistes ou formalistes qui dominent la formation initiale en études littéraires. Certes,

elle soutient que sa formation didactique l’amène à reconsidérer des façons de faire qu’elle aurait adoptées

instinctivement et elle déploie ostensiblement des efforts en ce sens. Or, force est de constater que pratiques

didactiques émergentes semblent réfrénées par le poids des pratiques sédimentées et par ce que nous

identifions comme de l’insécurité. La remise en question de représentations fortement ancrées voire sclérosées

semble couteuse pour Andréa sur le plan affectif (insécurité), cognitif (la vérité, le connu), social (à l’encontre

des représentation dominantes) et institutionnel (rapport à la norme scolaire).

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4.1.5 Bilan du portrait d’Andréa

Nous retenons du cas d’Andréa une maitrise des savoirs disciplinaires et un gout, de toute évidence authentique,

pour la stylistique. Il pourrait s’agir là d’une force si Andréa parvenait à réinvestir ses habiletés d’analyse dans

un modèle didactique. Or, le fait est qu’elle semble penser que son plaisir de sujet lectrice est intransmissible,

et qu’un fossé infranchissable sépare ses pratiques de sujet lectrice de sa future profession. La professeure du

cours de didactique pourrait avoir contribué à renforcer cette idée par ses fréquentes mises en garde autour du

plaisir esthétique, qui n’est pas acquis d’avance et qui est éloigné des pratiques culturelles des étudiants du

collégial. Il faudrait qu’Andréa parvienne à assumer sa passion pour la stylistique et qu’elle la repense

« didactiquement », ce qui est difficile à cette étape de sa formation. Or, l’hypothèse que nous posons d’un

conflit cognitif semble éclairer les prémisses d’un décentrement, d’un doute, d’un frémissement sceptique.

4.2 Le portrait de Valérie

Valérie a 25 ans. Elle a complété un diplôme d’études collégiales en Arts et lettres, profil Lettres et

communication. Après une année sabbatique consacrée à un voyage humanitaire, elle a ensuite fait un

baccalauréat en Lettres et création littéraire et une maitrise en recherche-création. Elle a enchainé

immédiatement avec le D.E.S.S. en enseignement collégial, parce que, bien que se sentant outillée, après une

maitrise « par rapport aux contenus [qu’elle aura à] enseigner » (ENT), elle « trouvai[t] qu’il [lui] manquait des

outils pédagogiques, didactiques » (ENT).

Dans les cours, Valérie se révèle une étudiante placide et concentrée. Elle participe régulièrement aux

échanges, s’exprimant à un rythme régulier, sur un ton monocorde, mais la teneur de ses interventions reflète

un vif intérêt et une bonne compréhension des enjeux présentés par la professeure. Plusieurs passages des

discours de Valérie s’avèrent très riches, notamment parce qu’ils témoignent d’un grand sens de la nuance,

parce qu’ils convoquent, en les intégrant, plusieurs savoirs disciplinaires et didactiques en rendant compte de

leur complexité, et parce qu’ils soutiennent une élaboration conceptuelle comme processus créatif de la sujet

lectrice enseignante.

La présentation du parcours de Valérie est structurée en quatre mouvements qui correspondent aux catégories

thématiques principales de notre cadre d’analyse : 1) la sujet lectrice; 2) les savoirs, activités et pratiques de sa

formation disciplinaire et son expérience d’étudiante en lettres; 3) les savoirs, activités et pratiques didactiques

et 4) la construction de soi comme sujet lectrice enseignante.

4.2.1 La sujet lectrice : une expérience de lecture scolaire marquante

Le carnet de Valérie a ceci de particulier qu’elle a centré son autobiographie de lectrice sur une expérience de

lecture négative vécue lors de sa formation collégiale, la lecture obligatoire d’un essai de Suzanne Jacob. Ce

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souvenir que Valérie qualifie d’« indigeste » (C1) et d’horrifiant a refait surface dans un séminaire à l’université,

alors qu’un professeur a mis au programme un roman de la même auteure, lecture qui, dans ce contexte, une

fois vaincues les réticences de Valérie, a été perçue positivement : « un roman à part entière, beau, puissant,

évocateur » (C1). Alors que les carnets des autres sujets, qui ont plutôt opté pour une genèse de leur histoire

lectorale, sont surdéterminés par la catégorie « représentation de soi comme lecteur » (D_03_04), chez Valérie,

c’est la catégorie « analyse de son parcours interprétatif à la lecture d’un texte » (D_03_03) qui domine. C’est

ainsi en analysant son propre parcours interprétatif dans la durée et, de manière collatérale, les ressources dont

elle disposait aux différents moments de sa scolarité, que Valérie effectue un retour sur elle-même comme sujet

lectrice : « L’obéissance [le roman de Jacob lu à l’université] m’a finalement permis de comprendre que

l’apparent hermétisme de l’œuvre de Jacob était en fait une force, que la complexité de ses œuvres ne les

rendait que plus évocatrices » (C1). Et encore :

Je n’ai pas encore relu La bulle d’encre. Je me suis promis de le faire, un jour, quand j’aurai le temps de me laisser porter par les mots. Je retiens toutefois de cette expérience d’amour-haine avec Jacob plusieurs leçons. Un auteur peut nous marquer à vie, et ce, malgré une expérience de lecture désagréable qui nous a perturbés dans le passé. On ne peut donc pas prétendre connaître le style ou les thèmes de prédilection d’un auteur lorsqu’on n’a lu que l’un de ses livres. (C1)

Cet évènement de lecture offre également l’occasion à Valérie de réfléchir à la grande responsabilité qui

incombe à l’enseignant lorsqu’il fait le choix d’un corpus. Ainsi, non seulement l’exercice d’écriture réflexive

autobiographique lui permet-il de réfléchir sur elle-même comme sujet lectrice, mais il fait intervenir des

questionnements qui sont assurément ceux de l’enseignante en devenir. Cela contribue à faire ressortir le lien

entre le retour sur soi comme sujet lectrice (D_03) et la construction de soi comme (future) enseignante (E_03).

Une question émerge devant cette constatation : devrait-on, en tant qu’enseignant de littérature, faire lire plusieurs œuvres d’un même auteur aux étudiants, ou plutôt favoriser la découverte de plusieurs auteurs différents, comme c’est le cas, la plupart du temps, dans les pratiques enseignantes actuelles ? Et qu’en est-il du choix de ses œuvres ? Y a-t-il des œuvres plus pertinentes que d’autres à mettre au programme au collégial ? De par mon expérience, je réponds oui sans hésiter. Je n’étais pas prête à lire La bulle d’encre au cégep. Je n’avais pas les outils nécessaires, je n’avais pas le bagage culturel et littéraire nécessaire à cette lecture. Par chance : j’adorais lire. Une expérience décourageante ne m’a pas empêché de continuer à lire, de continuer à vouloir découvrir de nouveaux auteurs. Or, un mauvais choix de la part d’un enseignant quant à l’œuvre qu’il met à l’étude peut s’avérer déterminant dans le parcours de lecture d’un étudiant et peut suffire à le décourager de la lecture pour de bon. La lecture devrait donc, à mon avis, être perçue comme un processus évolutif : chaque être humain devient, de jour en jour, un meilleur lecteur, pour peu qu’il veuille bien continuer de lire. (C1)

En entrevue, nous questionnons Valérie sur son histoire de lectrice avant sa formation disciplinaire, afin de

pallier cette omission dans son carnet de lectrice. Elle affirme avoir toujours été une « grande lectrice » (ENT)

Toutefois, elle précise :

VALÉRIE […] la lecture a toujours été là (insiste), mais la lecture, comment je pourrais dire ça? C’est la paralittérature qui m’a animée longtemps. Moi, j’étais une grande fan de fantasy pis des Harry Potter,

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Les Royaumes du Nord, toutes ces séries-là, Les Chevaliers d’Émeraude, que je relis aujourd’hui pis j’suis comme « ark! ». (ENT)

C’est en dernière année de secondaire et à son entrée au cégep qu’elle a commencé à lire des « classiques »

(ENT), une situation qui a provoqué chez elle l’impression d’avoir du rattrapage à faire, de n’avoir pas lu ce qui

doit être lu.

VALÉRIE Je renie pas mon héritage, c’est quand même ça qui m’a amenée vers la lecture les Harry Potter pis tout ça, mais c’est vraiment en secondaire cinq, transition cégep que j’ai appris que la littérature était ben plus que ça. Fec j’ai toujours senti comme un retard… AG OK, comme si t’avais du rattrapage à faire? VALÉRIE Ouais, constamment. Pis encore aujourd’hui j’ai ce sentiment-là, mais c’est parce qu’y’a tellement de choses qui se font, y’a plein de grands classiques que j’ai pas lus encore pis que je sens qu’il faut que je lise.

Le sentiment d’ignorance lié à la découverte de la littérature au collégial rapporté par Valérie ne nous semble

pas indifférent à la manière dont on promeut le modèle de l’érudit dans la formation littéraire, au collégial et à

l’université. Au travers de cette impression d’être une lectrice peu compétente, ce sont plutôt les processus de

domination symbolique exercés dans les études supérieures qui se font jour, et qui font sentir Valérie comme

une apprenante toujours sous le signe du manque.

Aujourd’hui, Valérie se passionne pour la littérature québécoise contemporaine, une littérature qu’elle considère

accessible et qui lui permet de « retrouve[r] le plaisir de lecture [qu’elle ressentait] quand [elle] lisai[t] Harry

Potter », parce que cette littérature lui permet de s’extraire de sa « vision de, d’analyse là, très, très scolaire »

(ENT).

4.2.2 Les savoirs, activités et pratiques disciplinaires et l’expérience d’étudiante en

lettres : une mobilisation des savoirs disciplinaires sur plusieurs fronts

Ce regard analytique que Valérie dit poser sur les textes depuis sa formation disciplinaire est confirmé par

l’analyse des ressources mobilisées dans son carnet de lectrice. En effet, Valérie convoque essentiellement des

ressources cognitives et épistémiques. Dans son récit de lecture, lorsqu’elle met à distance ses interprétations

(D_01), Valérie recourt au relevé de citations, à la sélection de passages significatifs (microprocessus) et à

l’utilisation de la structure narrative (macroprocessus), toutes des méthodes caractéristiques de l’analyse

littéraire. Elle engage également des ressources épistémiques liées à la maitrise de notions disciplinaires

(connaissances générales sur la littérature et connaissances sur l’analyse textuelle), comme le montre l’extrait

suivant :

C’est à ce moment que la nouvelle prend définitivement un virage fantastique (caractérisé, entre autres, par l’usage de la forme interrogative). Le doute s’installe chez moi, comme chez Évelyne. Christian était-il vraiment chez elle ? Les a-t-elle imaginés, lui et son dessin, « reproduisant, avec une technique et une exactitude incroyables pour un enfant de cet âge » (p. 261), cette plage qu’elle fréquentait, enfant ? Ce passage me semble particulièrement important : il soulève une piste d’interprétation du titre de la nouvelle.

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La plage des songes pourrait être cette plage tirée d’un souvenir de la narratrice [note de bas de page : Cette interprétation semble d’ailleurs se confirmer dans l’excipit : « S’il est une chose que j’ai apprise au fil des ans, c’est que les plages de la réalité sont rarement aussi merveilleuses que celles de nos songes. » (p. 265)]. Aux interrogations s’ajoutent la dimension du rêve, alors qu’Évelyne imagine être (ou l’est-elle réellement ?) à Montrouis, sur une plage, se « jet[ant] dans l’écume des songes » (p. 263), alors qu’elle est à Montréal, chez sa tante. Pour une deuxième fois dans le texte, des associations symboliques relient la réalité au monde du rêve (l’histoire de la poupée de chiffon et le dessin de Christian représentant cette poupée ; l’histoire de Kompè Makak et Christian, comparé à un macaque dans le rêve d’Évelyne). (C3)

Les savoirs disciplinaires mobilisés par Valérie fournissent différents apports à la formation de la sujet lectrice.

Dans l’extrait qui précède, ils servent à appuyer les hypothèses interprétatives formulées consciemment, qui

sont nombreuses, mais ils ne les supplantent pas; ils leur confèrent plutôt leur légitimité. Il s’agit là d’un premier

apport. Valérie donne accès ici à sa pensée « à l’œuvre », que l’on voit se déployer grâce aux questionnements

entre parenthèses. Valérie ne semble pas éprouver de difficulté à formuler des interprétations personnelles,

lesquelles peuvent être perçues grâce aux multiples marques de modalité, au métalangage propre à la réflexivité

et aux répétitions fréquentes du terme « interprétation ». Pourtant, l’activité interprétative subjective telle que

Valérie se l’approprie avec aisance ne constitue pas, à ses dires, une pratique encouragée dans ses études en

lettres, comme le prouve l’extrait qui suit, tiré de l’entrevue.

AG Tu parles de l’analyse, tu dis que dans tes séminaires à la maitrise « [en faisant] une analyse, la seule personne de laquelle t’as à te soucier c’est de toi-même ». C’est une analyse évidemment du texte, est-ce que tu sens qu’il y a une place pour les étudiants? […] VALÉRIE Non, c’est ça, c’était plus… Fallait, ben c’est normal en même temps, fallait que je m’appuie sur des sources pis fallait que chacune de mes interprétations trouve écho ailleurs, c’est-à-dire que d’arriver avec une interprétation complètement nouvelle qui venait de moi, c’était pas très, très bien vu. […] Non, effectivement, y’avait pas grand-place à l’appréciation critique ou, c’est ça, l’interprétation devait toujours trouver une source scientifique. (ENT)

Ce passage montre bien l’importance, dans les études littéraires, de s’inscrire dans l’histoire de la réception et

le domaine de la critique universitaire. Valérie mentionne ses cours de création comme faisant exception, et

affirme que dans ceux-ci, elle pouvait mettre à profit ses « qualités » (ENT) personnelles de lectrice.

Quand nous la questionnons sur les modèles d’enseignement qu’elle a connus au cours de ses études littéraires,

Valérie parle de transmission traditionnelle des savoirs disciplinaires, de situation d’enseignement où c’était « le

prof [qui] parlait en avant pis [les étudiants] prenai[ent] des notes, y’avait pas beaucoup d’innovation de ce côté-

là » (ENT). Dans son carnet de lectrice, elle soutient que « les rares professeurs [lui] ayant déjà demandé [s]on

avis sur une œuvre ou sur [s]on expérience de lecture se sont contentés de le faire à l’oral et n’accordaient que

très peu de temps à cette activité » (C5). Ces façons de faire ne l’ont toutefois « jamais beaucoup dérangée »

(ENT), même si elle aspire, en tant que future enseignante à « sortir de ce moule-là, mais c’est pas évident

quand [on a] été étudiante toute [sa] vie pis [qu’on a] vécu le magistral » (ENT). Nous lui demandons alors ce

qui fait que c’est difficile, ce à quoi elle répond que le fait de « mettre en application des nouvelles pratiques

sans jamais les avoir testées c’est un petit peu stressant » (ENT). Elle ajoute qu’elle a « envie de sortir de ça »

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parce qu’elle réalise « [qu’elle ne] garde vraiment pas beaucoup de souvenirs de ce [qu’elle a] appris » et que

« c’est vraiment terrible! » (ENT).

VALÉRIE […] par exemple là faut que j’enseigne au cégep un cours sur le 19e siècle pis sur le réalisme pis (fort, imitant un demi-rire) HA! (rires) Je me souvenais (insistante et plus fort) d’absolument rien. AG (rires) Tu te tires les cheveux! VALÉRIE Ouais c’est ça. Je me souvenais quand même de certains concepts là. Je sais c’est quoi le réalisme en gros, mais j’me souvenais plus qu’il y avait sept régimes politiques différents au 19e siècle. […] Fec non, pas grand souvenir. Par chance, pour prendre des notes j’étais assez douée fec j’ai encore toute ça dans mon ordi pis je bénis le ciel d’avoir cet outil-là. (ENT)

Comme c’était le cas chez Andréa, même si Valérie affirme avoir oublié plusieurs savoirs de sa formation

disciplinaire, le nombre d’occurrences dans lesquelles elle atteint les niveaux « explicitation » « évaluation » ou

« conceptualisation » des savoirs, activités ou pratiques disciplinaires (respectivement E_05_02, E_05_03 et

E_05_04) tend à suggérer le contraire. Elle soutient aussi avec conviction, quand nous lui demandons si ses

savoirs disciplinaires seront mobilisés dans le cadre de son enseignement, que « chacun de [s]es cours va [lui]

être utile » (ENT), tout en fournissant des exemples : « J’ai un cours sur le 17e siècle, le 18e siècle, sur le roman,

sur le théâtre. Ça, c’est savoirs-là, je peux les réinvestir, mais va falloir que je trouve un autre moyen que le

magistral pour les faire passer » (ENT).

Un autre élément remarquable du passage en retrait réside dans cette activité de prise de notes et de retour à

celles-ci pour préparer ses prises en charge. Plutôt que de recommencer « de zéro », au moyen de recherches

web ou à la bibliothèque, Valérie crée à partir de ses savoirs disciplinaires en les réactivant grâce aux traces

écrites qu’elle a conservées de son parcours disciplinaire. C’est ainsi l’outil qui est mobilisé et qui est mis au

service de la remémoration des savoirs disciplinaires avec l’objectif de pouvoir les transposer dans un contexte

d’enseignement collégial. Les notes que Valérie a consignées lui permettent d’utiliser ses savoirs disciplinaires

pour planifier ses prises en charge. Ce réinvestissement, cette fois-ci par la sujet lectrice enseignante, constitue

un second apport des savoirs disciplinaires.

VALÉRIE Non, moi je pars de mes notes pis après ça je complète avec d’autres sources. Peu importe, des anthologies ou des articles pis tout ça. AG Hum. Fec même si la mémoire est moins présente au moins, t’es capable d’aller rechercher, de réinvestir… VALÉRIE Ouais. AG … ce travail-là que t’as fait pendant ton bac, maitrise. VALÉRIE Pendant mon bac, ouais!

Valérie éprouve finalement un fort sentiment de compétence vis-à-vis des savoirs et savoir-faire de sa formation

disciplinaire. Elle y enracine sa définition de la lecture littéraire.

Mes études en littérature ne sont pas étrangères à cette affinité que je partage avec la définition de la lecture littéraire de Dufays. Si ma formation universitaire m’a apporté de solides bases théoriques ‒ des connaissances en histoire littéraire, en culture littéraire et en approches théoriques ‒, elle m’a

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aussi permis de développer des compétences en écriture. La création littéraire à l’UQAR prenait la forme d’ateliers d’écriture pendant lesquels j’étais amenée, bien souvent, à écrire en écho à certains auteurs que je devais d’abord lire. Ainsi, « […] l’analyse et l’écriture [me] permett[ai]ent de montrer [m]a compréhension et [m]on interprétation du texte lu, mais aussi [m]a compétence à écrire des textes littéraires » (Beaudry, 2016, p. 106). La pratique de l’écriture d’invention a donc teinté ma conception de la lecture littéraire. (C1)

Dans cet extrait, Valérie revient sur des acquis, savoirs théoriques et compétences pratiques, de sa formation

disciplinaire pour fonder sa définition de la lecture littéraire. Elle incorpore les savoirs didactiques en cours

d’appropriation en les articulant à des activités expérimentées dans sa formation en lettres. Les savoir-faire

disciplinaires en écriture ont un statut particulier ici : ils soutiennent l’élaboration d’un modèle didactique. Nous

observons ainsi que le parcours en création littéraire de Valérie débouche sur l’appropriation d’une

connaissance expérientielle des liens entre lire et écrire, entre lecture littéraire et écriture d’invention.

4.2.3 Les savoirs, activités et pratiques didactiques : le rôle des activités et des

pratiques pour s’approprier des savoirs didactiques

La première définition que donne Valérie de la lecture littéraire dans son carnet de lectrice signale un degré

d’appropriation qui se situe au niveau de l’explicitation (E_01_02).

Si la lecture est, à mes yeux, une activité foncièrement plaisante qui permet à tout lecteur d’échapper, à tout moment, à sa réalité, la lecture littéraire me semble être une activité pratiquée d’abord à l’école (puis par tout lecteur aguerri) consistant en un heureux mélange entre la compréhension d’un texte et son interprétation. Cette perspective rejoint celle adoptée par Jean-Louis Dufays, didacticien de la lecture littéraire, qui considère la lecture littéraire comme un « va-et-vient dialectique » (Louichon, 2011, p. 200) entre distanciation et participation. Distanciation, d’une part, puisque le lecteur se doit de prendre un certain recul critique envers le texte afin de l’analyser et l’interpréter, et participation, d’autre part, car le texte littéraire appelle « l’implication psychoaffective du lecteur » (Dufays, Gemenne et Ledur, 2005, p. 92) et suscite sa créativité. La lecture littéraire se penserait donc comme une « relation entre lecture “ordinaire” et “» lecture littéraire” » sur le mode du continuum plutôt que de la rupture » (Dufays, Gemenne et Ledur, 2005, p. 97). (C2)

Dans cet extrait, Valérie recourt à la reformulation paraphrastique (E_01_02), un mécanisme de compréhension

supérieur au relevé de citations, en reprenant quasi intégralement les sources scientifiques des textes lus dans

le cadre du cours. La conception qui semble susciter l’adhésion de Valérie est celle du va-et-vient dialectique

avancée par Dufays, relativement peu engageante épistémologiquement. Nous associons la sélection de cette

définition de la lecture littéraire non seulement à un effet de corpus, mais également au fait qu’il s’agit d’une

posture mitoyenne, qui se veut nuancée et qui donne l’impression de « réconcilier » un peu tout et tout le

monde : les didacticiens entre eux, le disciplinaire et le didactique, les conceptions antérieures et les nouveaux

savoirs, etc.

Entre cette première définition et celle que Valérie fournit à la toute fin de son carnet ont lieu différentes activités

de lecture littéraire, comité de lecture et débat interprétatif, par exemple. Chez Valérie, nous observons le rôle

des activités et des pratiques dans l’élaboration conceptuelle de la lecture littéraire, que ces activités et pratiques

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soient expérimentées comme sujet lectrice pendant sa formation ou réinvesties comme sujet lectrice

enseignante à l’occasion de ses stages.

La réaction et l’appréciation des étudiants face à une œuvre littéraire me semblent, maintenant, faire partie intégrante de la lecture littéraire. Je devrais donc, dans cette perspective, reformuler ma définition, qui n’incluait que compréhension et réflexion (participation et distanciation). Cette absence de réaction et d’appréciation dans ma première définition [de la lecture littéraire] s’explique, selon moi, par ma formation scolaire, qui ne m’a presque jamais permis de formuler une réaction ou une appréciation. Les activités expérimentées autour de La plage des songes m’ont permis de visiter plusieurs facettes de la lecture littéraire. Le récit de lecture m’a permis à la fois de mettre de l’avant ma réaction (personnelle, liée au plaisir de lecture) et mon appréciation (liées à certaines valeurs communes) de l’œuvre. J’ai ainsi pu dire que je trouvais les dialogues faux, trop écrits, malgré que l’intrigue me touchait profondément (le lien qui se crée entre Évelyne et Christian). J’ai également, sans le vouloir, pu expérimenter à la fois ma compréhension et mon interprétation grâce à ce récit de lecture. J’ai formulé, inconsciemment, des problèmes de lecture : Est-il [Christian] physiquement mort, ou est-il plutôt mort de façon symbolique (peut-être qu’il est mort aux yeux de certaines personnes pour avoir commis un geste grave ou pour avoir décidé de quitter sa terre natale) ? La mort serait-elle associée à un manque de jugement de la narratrice, censée s’occuper de lui ? (C5)

Dans l’entrevue, Valérie souligne que pour elle, « la lecture était toujours littéraire, parce que ça faisait cinq ans

[qu’elle] baignai[t] là-dedans » (ENT). Elle croyait ainsi à une simple expression pléonastique. Or, dans l’extrait

qui précède, Valérie parvient à se distancier de sa formation et à percevoir l’étroitesse de sa première définition

en établissant un parallèle avec sa formation littéraire. Il en est de même dans cet extrait : « aujourd’hui je vois

que c’est beaucoup plus large que c’qu’on croit pis ça me donne plein d’idées aussi pour guider les étudiants

au cégep » (ENT). Revenir sur la pratique du récit de lecture lui permet en outre de mettre à l’épreuve sa

définition de la lecture littéraire proposée antérieurement et de l’enrichir significativement. Voici un autre exemple

d’appropriation de savoirs didactiques (jugement de gout et jugement de valeur) médiés par une activité,

toujours celle du récit de lecture, cette fois-ci, avec une justification de la pertinence de l’activité en milieu

collégial : « Le récit de lecture me semble également être une activité pertinente à réutiliser en milieu collégial.

Les enseignants ont très peu l’habitude de questionner les étudiants quant à leur jugement de goût. Les cours

se construisent beaucoup plus dans une optique d’analyse littéraire » (C5).

Valérie parait consciente des objectifs de la formation en didactique qu’elle est en train de suivre, dans laquelle

l’expérimentation de dispositifs par les sujets lecteurs enseignants prend une place importante. Même si ces

pratiques d’acquisition de savoirs étaient pour elle « très déstabilisant[es lors] des premiers cours de

didactique » (ENT), elle en constate la pertinence : « Tsé ça se construit ce savoir-là pis j’ai l’impression que je

l’ai ben plus intégré parce que justement les profs nous ont pas donné toutes les clés d’avance. […] Pis, c’est

ça, y’ont trouvé toute leur résonnance pis leur utilité dans le concret, avec le travail » (ENT). Elle ajoute qu’elle

a beaucoup aimé les activités vécues et que « c’est pas des choses [qu’elle] croyait [qui] existaient » (ENT). Les

activités expérimentées offrent à Valérie des alternatives à la dissertation, « l’unique modèle d’écriture réinvesti

pendant toute la session » (ENT) au collégial. Elles viennent renforcer un modèle didactique déjà porté en creux

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par Valérie, qui critique certaines activités disciplinaires dominantes, comme la dissertation et l’analyse

littéraires, mais qui en approuve d’autres, comme l’écriture d’invention expérimentée en création littéraire.

AG Tu penses à quoi comme autres façons [de préparer les étudiants, autres que la dissertation]? VALÉRIE (soupire) Ben on en a nommé tantôt, mais les activités de débat interprétatif par exemple ou hum… Le fait de les amener à écrire. Moi je crois beaucoup à la création littéraire, je pense que… AG C’est ça j’allais dire, la création c’est ton dada là (rires). VALÉRIE (rires) J’pense c’t’assez évident. Fec j’suis convaincue qu’en les faisant écrire des textes d’invention, ça développe des compétences qu’ils peuvent réinvestir amplement dans d’autres types de textes comme dissertation ou analyse ou peu importe. (ENT)

Le retour sur ses prises en charge conduit également Valérie à justifier des activités en regard de visées

socioconstructivistes.

VALÉRIE J’essaye vraiment dans mon prochain cours de ne pas présenter d’emblée la matière aux étudiants pour ensuite qu’ils fassent une activité – c’est ça que j’avais priorisé dans ma dernière prise en charge –, mais plutôt de les faire travailler d’abord, pour ensuite, à partir de leurs mots à eux, formuler la théorie. Exemple, je vais leur présenter un vidéo qui en quatre minutes résume le 19e siècle, je le trouve vraiment très concret ce vidéo-là, pis ensuite on va construire ensemble une ligne du temps par rapport à ce dont ils se souviennent pis ensuite je vais rajouter des petits points. Même chose pour le réalisme, on va partir de trois toiles réalistes pis je vais leur demander ce qu’ils remarquent par rapport à l’espace, par rapport aux personnages. Pis tranquillement pas vite, on va arriver aux caractéristiques du réalisme en littérature. […] Fec, j’pense c’est ça pour moi un bon prof, fec je m’inscris clairement dans le constructivisme. (ENT)

Quand je la questionne sur l’enseignante qu’elle voudrait devenir, la réponse de Valérie est canalisée sur les

étudiants plutôt que sur elle-même. L’influence du stage pour l’intégration des savoirs et les allers-retours qu’il

rend possible entre théorie et pratique est par ailleurs considérable : « Si j’avais pas eu mon stage, j’aurais ben

beau pu y réfléchir, mais tant que t’as pas à le faire concrètement, ça entre pas non plus de la même façon, tu

l’intègres pas de la même façon. Fec c’est le lien entre théorie-pratique en même temps qui est permis par le

stage pis par les cours… » (ENT).

La référence au constructivisme et au socioconstructivisme – qui ne sont d’ailleurs pas distingués dans les

discours – ressort systématiquement dans nos entrevues. L’approche constructiviste d’enseignement-

apprentissage, mise en valeur dans les autres cours du D.E.S.S., semble rompre avec les modèles connus des

étudiantes. Chez Valérie comme chez les autres participantes, il semble que la référence au constructivisme

relève d’une forme de slogan ou de doxa qu’elles aspirent à imiter dans leurs pratiques. Elle ne reflète pas

nécessairement une appropriation par Valérie de l’approche subjective : d’abord sa conception du

constructivisme est présentée dans l’extrait précédent de manière assez schématique et très cognitiviste et

ensuite, la centration sur le sujet n’équivaut pas forcément à la reconnaissance d’un sujet lecteur avec ses

ressources culturelles, axiologiques, sa réflexivité, etc. Le sujet du modèle constructiviste décrit par les

participantes, qu’elles veulent rejoindre grâce au concret ou placer au centre de l’enseignement, coïncide

davantage avec un sujet cognitif abstrait qu’avec un sujet lecteur incarné.

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Valérie relate finalement l’appropriation de compétences pratiques en lien avec sa formation didactique, comme

la planification de séquences d’enseignement et d’apprentissage cohérentes associées à des visées et à des

objectifs clairement définis.

4.2.4 La construction de soi comme sujet lectrice enseignante : le passage de la

sujet lectrice à la sujet lectrice enseignante

Dans les discours de Valérie, les savoirs et les pratiques, qu’ils soient disciplinaires ou didactiques, occupent

une place non négligeable. Lorsque Valérie se représente elle-même comme enseignante en devenir (E_03),

ces savoirs et pratiques demeurent sous-jacents, comme cet extrait le met en lumière :

AG […] la lectrice que tu es a-t-elle changé aux différents moments de ta formation? VALÉRIE Oui, clairement. Pis elle change encore c’est-à-dire que, au bac, tu m’aurais demandé, « qu’est-ce que faut que tu fasses lire aux étudiants au cégep? », pis là j’aurais dit (change de voix) « ben y’a plein de classiques inévitables, faut absolument qu’y lisent telle œuvre de Molière ou telle œuvre de Balzac pis tout ça ». Pis là, j’me rends compte, oui y’a des classiques, mais c’est pas… Le but premier c’est d’aller rejoindre l’étudiant, je pense, pis y’a des œuvres qui s’y prêtent mieux. J’dis pas de pus mettre de… Au contraire là, je vais mettre plein de classiques à l’étude, mais c’est de les choisir correctement. Pas mettre La bulle d’encre (rires). AG (rires) Fec tu le vois plutôt maintenant comme un répertoire où aller piger plutôt qu’un passage obligé? VALÉRIE C’est ça, exactement! C’est-à-dire que j’ai un choix encore plus grand à faire que ce que j’aurais cru. […] y’a un choix à faire entre, entre les différents classiques, pis peut-être que le choix évident, par exemple, Le père Goriot de Balzac, c’est peut-être pas la meilleure œuvre à mettre au programme. Y’en a peut-être d’autres de Balzac qui sont tout aussi importantes pis qu’on est en train d’oublier, dans les pratiques. J’sais pas si j’suis claire? AG Oui, tout à fait, pis à ce moment-là ce choix-là serait motivé par quoi? Par le fait de rejoindre l’étudiant? VALÉRIE (en même temps) Par mon objectif. Par mon objectif de cours aussi, ouais, rejoindre l’étudiant, mais aussi… J’me rends compte de l’importance de la ligne directrice, vraiment, que je réalisais. J’ai jamais réalisé, mais dans le fond tous les profs en ont une, tu choisis pas trois œuvres complètement… Forcément elles vont être différentes, mais faut que t’aies une ligne qui les rejoint. (ENT)

Dans ce passage, la transition en cours de la sujet lectrice vers la sujet lectrice enseignante est manifeste et

elle est impulsée par la formation didactique. En effet, Valérie utilise une question que nous lui posons, focalisée

sur la sujet lectrice, comme tremplin à une réflexion dans laquelle ses représentations sont reconfigurées sur

trois plans : 1) elle remet en cause certains canons des études littéraires et les critères de sélection qui président

à leur enseignement (développement d’une culture littéraire esthéticoculturelle, reconduction de pratiques

cristallisées); 2) elle se refigure ses études en littérature comme le lieu de l’appropriation d’un répertoire de

savoirs littéraires et culturels qu’il convient désormais de transposer pour leur enseignement, et elle prend ce

faisant la mesure de l’autonomie qui vient de pair avec son rôle d’enseignante; 3) elle incorpore des savoir-faire

utiles pour l’enseignement (formuler des objectifs, par exemple).

Ces trois éléments semblent converger vers une dimension de l’activité enseignante qui est récurrente dans le

discours de Valérie et qui concerne la sélection, du corpus ou des entrées dans l’œuvre. Cela conduit à une

nouvelle opposition entre la formation en études littéraires et celle en didactique de la littérature : en lettres, l’on

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aspirerait à une analyse exhaustive de toute la polysémie de l’œuvre alors qu’en didactique, l’on serait confronté

à la nécessité de choisir des entrées thématiques ou des problèmes de lecture spécifiques. Il s’agit d’une

contrainte qui a été abordée dans le cours de didactique, en plus de s’inscrire dans l’histoire personnelle de

lectrice de Valérie, et qui pourrait faire signe vers la construction en cours d’un modèle didactique. Pour Valérie,

le choix le plus évident ou partagé par la communauté n’est pas automatiquement le plus pertinent, il correspond

plutôt à une reconduction de la tradition : « Ça c’est mon impression, j’ai l’impression que les profs y répètent

c’qu’y ont vu […] c’est petit à petit j’pense qu’on peut arriver à innover pis à faire comprendre aussi aux gens

qui nous entourent qu’y a pas juste une façon de faire pertinente » (ENT).

Nous pensons que cette construction de soi comme enseignante chez Valérie est favorisée entre autres par

une représentation des étudiants qui ne procède pas par identification : « Fec ça te fait réaliser que c’pas parce

que moi ma transition s’est bien passée que ça se passe bien pour tout le monde pis y’a plein de facteurs

différents, la famille, le travail, name it » (Ent., l). Le modèle didactique en cours de construction de Valérie est

avant tout tourné vers les étudiants; elle parait considérer qu’elle fait partie de l’« élite » intellectuelle et l’une de

ses préoccupations principales consiste ainsi à actualiser la littérature pour « intéresser [les étudiants] à la

lecture » et « développer leur pensée critique » (ENT).

Valérie fait également preuve d’une bonne compréhension des deux moments peu syncrétiques de son parcours

de formation à l’enseignement, et des transformations que le passage de la pratique de la discipline littéraire à

la pratique de la didactique de la littérature exige (« […] y’a rien de contradictoire entre marier le contenu que

j’ai appris, les savoirs théoriques que j’ai appris à l’université au bac, à la maitrise, pis les savoirs didactiques

ou pédagogiques que j’t’en train d’apprendre en ce moment. J’pense que ça se réconcilie assez bien » [ENT]).

VALÉRIE […] La différence, c’est qu’en littérature t’essaies d’analyser le texte en profondeur pis tu te soucies pas de, la seule personne dont tu te soucies c’est toi-même, comment tu le comprends le texte. Pis bon, faut que tu le formules après en analyse, mais la différence en didactique c’est que là, ok, faut que tu comprennes les contenus, que tu les intègres, mais après ça faut que tu les transposes pour que (insiste) les autres les comprennent pis que tu les vulgarises à l’oral. Fec c’est ça la grosse différence, comment est-ce que tu vas monter un cours pour éclairer un certain aspect d’une œuvre… AG Ouais. VALÉRIE Pis en littérature, souvent tu vas essayer de couvrir tous les aspects, quand tu fais une analyse t’essaies de pas rien laisser échapper, t’essaies de voir tous les détails, mais au cégep, tu peux pas parler de tout, en fait. Ça aussi c’était déstabilisant au début j’me disais « bon ben comment tu choisis ce dont tu vas parler. » (ENT)

Ce dernier passage montre bien la transition de l’étudiante en études littéraires, qui utilise des savoirs pour lire

des textes, à celui d’enseignante de littérature, qui s’approprie des savoirs pour donner à lire des textes. Valérie

y explique le décentrement indispensable de l’étudiante en lettres, seule pour analyser un texte dans un travail

universitaire destiné à des professeurs experts de la littérature, à la sujet lectrice enseignante, qui s’adresse à

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des lecteurs débutants et qui doit s’assurer d’être comprise par eux. Dans cet extrait, la contrainte de sélection

est finalement réinvoquée par Valérie.

4.2.5 Bilan du portrait de Valérie

Dans le cas de Valérie, nous observons que plutôt que de freiner l’appropriation des savoirs didactiques, la

mobilisation des savoirs disciplinaires semble au contraire soutenir le processus interprétatif et la formulation

consciente d’hypothèses interprétatives par la sujet lectrice. Or, cette appropriation des pratiques de la lecture

subjective par la sujet lectrice, grâce à la médiation de ses savoirs disciplinaires, apparait de bon augure pour

l’appropriation des savoirs didactiques par la sujet lectrice enseignante. Également, soulignons, chez Valérie,

le statut particulier de l’écriture d’invention, qui semble soutenir, lui aussi, l’appropriation de savoirs didactiques,

en ce sens où ses connaissances expérientielles lui permettent de tisser des liens entre lire et écrire, entre

écriture d’invention, écriture réflexive et lecture littéraire. Finalement, nous retenons la dimension de la sélection

(du corpus, des entrées dans l’œuvre) qui est récurrente dans le discours de Valérie : cela semble témoigner,

notamment, des frontières qu’elle est capable, déjà, de tracer entre les différentes instances qui la constituent :

l’étudiante et la professeure, la sujet lectrice et la sujet lectrice enseignante.

4.3 Le portrait de Gabrielle

Gabrielle est âgée de 36 ans. Elle a réalisé la première année d’un diplôme d’études collégiales dans le

programme d’Arts plastiques, diplôme qu’elle a complété après une année sabbatique passée à voyager. Elle

a ensuite entrepris un certificat en Création littéraire suivi d’un baccalauréat en Études littéraires dans le profil

international. Son baccalauréat complété, elle a commencé une maitrise dont le déroulement a été un peu

houleux en raison de divergences d’opinions entre les deux professeurs qui la codirigeaient, et parce qu’elle a

choisi à ce moment-là de fonder une famille. Ayant réorienté sa maitrise vers un projet de création, elle a changé

de direction et elle a été en mesure de déposer son mémoire.

Au terme de ses études disciplinaires, Gabrielle a envoyé des curriculums vitae dans les cégeps pour enseigner

la littérature. Comme elle n’a reçu aucun retour malgré ses expériences de tutorat et de correction, elle s’est

tournée vers un emploi de chargée de projet, qu’elle a occupé pendant trois ans, mais dans lequel elle ne se

« sentai[t] pas à [s]a place » (ENT). Gabrielle nous explique qu’il lui a fallu du temps pour cheminer dans son

« rapport un peu trouble avec l’enseignement » (ENT), parce que sa mère, avec laquelle elle a longtemps

entretenu une relation conflictuelle, était elle-même enseignante. Ayant finalement « réalis[é] [qu’elle] pouvai[t]

avoir envie d’être enseignante, que ça pouvait être quelque chose qui pouvait [lui] convenir » (ENT), Gabrielle

s’est inscrite au D.E.S.S. avec le désir de ne plus « laisser […] ça au hasard » (ENT).

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Gabrielle est une étudiante calme et posée qui se démarque par l’acuité et la maturité de ses interventions en

classe. Les occurrences relevées dans ses discours sont distribuées relativement uniformément entre savoirs,

pratiques, activités et représentation de soi. Gabrielle est également l’étudiante qui mobilise, dans son carnet

de lectrice, la plus grande variété de ressources.

Nous exposons le portrait de Gabrielle en quatre parties qui correspondent aux catégories thématiques

principales de notre cadre d’analyse : 1) la sujet lectrice; 2) les savoirs, activités et pratiques de sa formation

disciplinaire et l’expérience d’étudiante en lettres; 3) les savoirs, activités et pratiques didactiques et 4) la

construction de soi comme sujet lectrice enseignante.

4.3.1 La sujet lectrice… et la sujet scriptrice

La mère de Gabrielle est enseignante; elle est une passeuse culturelle de premier plan dans l’histoire de la

sujet, d’abord lectrice, puis enseignante. À quatre ans, Gabrielle apprend à lire et dès ce moment, elle ne

cessera jamais de fréquenter les textes. Gabrielle dira ainsi que pour elle « la lecture et la vie sont intimement

liées » et que ses « premiers souvenirs […] sont liés au plaisir des mots, à [s]on aisance avec ceux-ci, à [s]on

désir d’apprendre » (C1). La lecture représente pour Gabrielle un vecteur d’apprentissage. Elle est également

une expérience sensuelle, comme le montrent les termes que Gabrielle emploie pour en parler dans son carnet

de lectrice, et qui s’inscrivent dans le champ lexical du désir, de l’appétence : « […] dévorer tout ce qui me

tombait sous la main » (C1), « J’étais une lectrice insatiable […] Mon esprit se gavait » (C1).

Dans son récit de lecture, Gabrielle est l’étudiante qui convoque la plus grande diversité de ressources. Or, il

est malaisé de dire à quelles catégories ces ressources appartiennent : dans trois occurrences sur six, Gabrielle

fait appel, au sein d’une même phrase, à des ressources de nature cognitive (A_01) ou épistémique (A_02),

mais ces ressources sont si inextricablement combinées à des ressources d’ordre psychoaffectif (A_03) qu’il

n’est pas possible de déterminer quelle catégorie l’emporte sur l’autre, comme c’est le cas dans cet extrait : « Il

y a d’abord l’épigraphe de Césaire, qui vous plonge dans cet espace d’onirisme et de mélancolie qui ne vous

quittera pas de la première à la dernière ligne » (C3). Dans la phrase qui précède, le terme « épigraphe » fait

état de savoirs généraux sur la littérature alors que la mélancolie qui envahit Gabrielle correspond à une

émotion. Dans un autre passage, la microsélection (ressource cognitive) s’allie à l’expression métaphorique

« être happée », dont il est difficile de dire si elle rend compte plutôt d’une émotion ou d’une sensation physique :

« Puis cette phrase, “j’ai revu le petit Christian Marcellin pour la première fois depuis sa mort, il y a bientôt quinze

ans”, qui pique la curiosité et qui fait dire, “Voilà, je suis happée, je lirai jusqu’à la fin, quoi qu’il arrive” » (C3).

Comme la plupart des sujets interrogées, Gabrielle est entrée dans la lecture par la littérature grand public. Elle

raconte ainsi, dans l’entrevue, l’évolution, dans la durée, de son rapport à la lecture.

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GABRIELLE […] ma manière de lire a changé constamment. Moi, je suis une lectrice de fond (rires). […] Depuis que je suis vraiment toute petite, j’ai jamais arrêté de lire. […] Ça a connu toutes sortes de hauts, de bas, de détours, de serpentage… Ça a vraiment beaucoup changé. J’étais une lectrice très axée sur le divertissement quand j’étais plus jeune. Enfant, adolescente, je lisais plus des suspenses, de l’horreur, des livres historiques pis bon, arrivée au cégep, ça m’a fait connaitre d’autres styles, d’autres genres. Pis à l’université ça a été encore plus marqué. Surtout avec l’apprentissage d’une autre forme de lecture qui était vraiment plus analytique pis le fait de commencer à écrire moi-même plus sérieusement en création, ben là, ça a complètement changé aussi. La maitrise, c’est ça, après ça j’écrivais, je me suis vraiment tannée de la lecture, après ça j’ai recommencé par les bandes dessinées, tranquillement. Graduellement (rires). Pis, je dirais que là, c’est rendu ben éclectique ma façon de lire. (ENT)

Les textes lus par Gabrielle et la manière de les aborder ont en effet beaucoup fluctué, et ils ont été, dans une

mesure certaine, conditionnés par les contextes et exigences de sa formation. L’expérience de sujet lectrice de

Gabrielle entretient en effet une évidente filiation avec sa formation en lettres : de la découverte de la « vraie »

littérature au cégep au dégout des études littéraires à la maitrise, pour finalement parvenir à reconstruire

progressivement un rapport positif à la lecture et à la littérature grâce à la création littéraire, la formation

disciplinaire de Gabrielle l’a fait passer d’un extrême à l’autre. Dans son autobiographie de lectrice, Gabrielle se

confie.

C’est au cégep que j’ai toutefois vraiment appris à lire. Entrant en contact avec un nouveau corpus, j’ai commencé à entrevoir que le livre pouvait être appréhendé autrement que par sa trame narrative. On me parlait de poésie et de style, d’histoire, de philosophie – bref, on me faisait comprendre que ce que j’avais jusque-là apprécié de façon plutôt superficielle recélait tout un monde d’idées, un vaste répertoire de réalités humaines. Je ne comprenais pas pourquoi on ne m’en avait jamais parlé et j’en voulais à mes enseignants du secondaire de m’avoir laissé patauger dans ce que je ressentais comme de l’ignorance. J’étais alors inscrite au programme d’arts plastiques ; tout ce monde littéraire venait donc s’imbriquer dans la découverte des courants artistiques et de leur intégration à l’histoire de l’humanité. Par la lecture d’auteurs comme Sartre, Miron, Rabelais et Rimbaud, je réalisais que l’art et la littérature n’avaient pas pour seules fonctions l’esthétisme et le divertissement du lecteur, mais qu’ils établissaient aussi un dialogue critique avec leur époque, qu’ils étaient susceptibles de créer la polémique, de déranger, de renouveler le monde. (C1)

Cette acculturation ressentie au moment de sa transition du secondaire vers le collégial, qui se traduit par un

sentiment d’ignorance, est vécue par Gabrielle sur le mode de la colère, laquelle est dirigée vers ses enseignants

du secondaire. C’est à cette période charnière que semble se déplier la conception de la littérature de Gabrielle,

alors qu’elle entrevoit ses mondes de possibilités. Plus loin dans son carnet de lectrice, Gabrielle raconte avoir

fait l’expérience, lors de sa première tentative de compléter une maitrise, du « dégoût, [du] trop-plein de lecture »

(C1), de la « saturation » causée par des lectures « qui n’avaient pas de sens vraiment pour [elle] à ce moment-

là » (ENT). Après plusieurs années de « jachère intellectuelle » (C1), c’est par la création que Gabrielle a

redécouvert son amour pour la lecture : « J’ai scellé mon lien avec la poésie et les formes brèves : j’avais trouvé

un nouveau chez moi et cela m’allait comme un gant. Je goûtais à une satisfaction qui semblait prendre racine

au cœur de mon être » (C1).

Un autre élément qui semble ainsi avoir influencé fortement la représentation d’elle-même de Gabrielle comme

sujet lectrice est le fait de s’être mise à écrire. Dès son plus jeune âge, Gabrielle adopte des pratiques d’écriture

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qui vont aller en augmentant, marquant considérablement son développement de sujet lectrice. Enfant, Gabrielle

« écrivai[t] de petites histoires, [… tenai[t] un journal, […] consignai[t] aussi dans un cahier de petites recherches

sur les primates ou les oiseaux » (C1, l). Lors de son certificat en Création littéraire, Gabrielle prend conscience

que « c’est [désormais] du point de vue de l’écrivaine [qu’elle est] invitée à envisager les livres » (C1) « J’écrivais

beaucoup, tout le temps. », dit-elle. « Évidemment, cela a modifié mon rapport aux œuvres. J’étais une

apprentie, mais l’idée de me retrouver de l’autre côté de la couverture devenait envisageable », d’ajouter

Gabrielle (C1). Elle écrit de la poésie et participe à la vie littéraire et culturelle de Québec. Elle est consciente

que son engagement à titre de poète informe ses centres d’intérêts en tant que sujet lectrice et ses pratiques

de lecture, un peu comme le fait, à plus petite échelle, sa formation en arts plastiques. Elle compare d’ailleurs

la poésie à l’art conceptuel.

GABRIELLE Ouais ben, c’est parce qu’il y a des textes aussi qu’on dirait qu’ils parlent plus à l’esprit pis à l’intellect. […] C’est comme l’art conceptuel, mettons, les arts visuels pis la poésie je trouve que ça se rejoint beaucoup, à plusieurs niveaux… AG C’est vrai. GABRIELLE C’est sûr qu’il y a de l’art conceptuel où est-ce que là faut que tu te creuses la noix pis que tu te dises « qu’est-ce qu’il voulait dire vraiment là? », parce que sinon, t’as moins de fun, si tu sais pas… […] Mais y’a des, des trucs comme mettons, t’arrives devant une toile de Riopelle pis là c’est comme une orgie de couleurs pis de taches pis t’as pas besoin de savoir ce que ça veut dire, tu te laisses, tu ressens quelque chose.

Un élément intéressant de cet extrait et que nous verrons réapparaitre dans le discours de Gabrielle consiste à

inscrire dans les textes les manières possibles de les interpréter. Elle donne l’impression d’avoir fait la paix avec

les multiples possibilités offertes pour pénétrer dans une œuvre, que l’on se place davantage du côté de

l’intellect ou de celui de l’émotion. D’ailleurs, Gabrielle exprime une pleine confiance lorsqu’elle formule, dans

son récit de lecture, des interprétations personnelles de la nouvelle de Péan.

Je souligne également les références au passé de ces deux protagonistes, la perte de l’enfant d’Évelyne “pour de mauvaises raisons” et celle de la mère de Christian, morte sans le connaître, sauf pour ce trop bref voyage dans la photo. Ces blessures créent une béance en eux qui offre un terreau fertile à la rencontre, un besoin d’être guéri, rassuré, aimé, comblé, en dépit de l’opinion des autres et au prix de terribles sacrifices. (C3)

Cette envolée interprétative est représentative du lyrisme qui anime la poète et des interprétations personnelles

qu’elle parvient à formuler, parfois contradictoires avec d’autres possibles interprétatifs.

À ce sujet, Gabrielle a été confrontée à une remise en question sur sa relation au discours d’autrui, alors qu’une

interprétation incompatible avec la sienne a été avancée par une autre étudiante lors d’un comité de lecture en

classe : « Alors que la plupart voyait assez clairement un avortement ou une fausse couche, une collègue a

avancé l’idée qu’il s’agissait peut-être de l’enfant de quelqu’un d’autre ou d’un enfant plus grand. J’ai pointé les

quelques endroits dans le texte où le fait qu’il s’agissait de l’enfant d’Évelyne m’apparaissait évident. » (C4). Elle

revient sur cette situation dans son texte réflexif sur les activités expérimentées : « Cet épisode m’a poussée

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par la suite à réfléchir à mon rapport au groupe (pas celui-ci particulièrement, mais en général) et aux

interprétations divergentes (lorsque je sens que l’autre n’a pas raison), ce qui était fort intéressant du point de

vue personnel et, éventuellement, professionnel » (C5, Gabrielle souligne).

4.3.2 Les savoirs, activités et pratiques disciplinaires et l’expérience d’étudiante en

lettres : une mobilisation des savoirs disciplinaires intriquée à la pratique

Gabrielle ne tarit pas d’éloges vis-à-vis de son certificat en Création littéraire. Elle mentionne, dans l’entrevue,

une « année de bonheur complet » et des moments « d’euphorie » générés « autant [par] le rapport avec les

enseignants que [par] le contenu des cours [et] les lectures [réalisées] » (ENT). C’est cependant avec

circonspection et habitée d’un apriori négatif par rapport à ce qu’elle nomme la théorie littéraire qu’elle entame

son baccalauréat en lettres.

J’ai été mise en garde par mes professeurs, tous écrivains, contre les dérives de la théorie littéraire. C’est donc avec réserve que j’ai entamé le baccalauréat en études littéraires. J’ai résisté longtemps aux possibilités de dialogue qu’offre l’analyse littéraire. C’est finalement Hubert Aquin et ses constructions anamorphiques qui m’ont initiée aux plaisirs vertigineux de l’étude des textes – évidemment le professeur qui l’enseignait avait fortement contribué à ébranler mes perceptions de l’analyse. C’est d’ailleurs cette curiosité pour les rouages du texte et la découverte du surréalisme, avec Breton, Lautréamont et Artaud, qui m’ont poussée vers la poésie, vers sa liberté et son exigence. (C1)

C’est un autre enseignant et la curiosité de Gabrielle qui auront finalement raison de ce départ trouble et qui lui

permettront d’apprivoiser l’analyse littéraire. Dans l’entrevue, elle affirme que malgré une « […] idée péjorative

de la théorie littéraire [elle a] eu des enseignants quand même qui ont réussi à [lui] faire aimer, apprécier de

jouer avec, de jouer dans les textes, vraiment » (ENT).

Lorsque nous la questionnons sur les pratiques d’acquisition des savoirs privilégiées lors de ses études

disciplinaires, Gabrielle prend soin de distinguer ses cours de création de ses cours de littérature. Il s’agit là

d’une division établie de manière récurrente par les sujets dans nos entrevues. Relativement aux seconds,

Gabrielle mentionne différentes approches, mais beaucoup « de lecture intensive d’œuvres et de textes

théoriques, puis des travaux longs d’analyse d’œuvres » (ENT). Elle ajoute qu’elle n’a pas « souvenir qu’on [lui]

ait demandé [s]on avis » (ENT). Un cours d’auteur qu’elle a suivi semble toutefois faire exception. Gabrielle

affirme que, dans ce cours, les étudiants étaient encouragés à « tomber dans l’interprétation solide [et elle]

sentait [qu’elle] pouvai[t] faire la funambule au-dessus du texte » (ENT). De nouveau, Gabrielle semble avancer

que la possibilité d’interpréter subjectivement un texte est inhérente à celui-ci : « [Cet auteur] justement y’a une

œuvre qui demande beaucoup de travail d’interprétation […] » (ENT). Parce qu’elle le nomme dans l’entrevue,

nous relevons que le professeur responsable de ce cours est aussi celui qui est responsable d’un autre cours

qui a été évoqué par Andréa, et auquel Josiane fait également référence positivement. Ce professeur a ainsi

émergé dans toutes les entrevues des étudiantes qui ont été formées dans la même université; il s’intéresse,

dans ses recherches et son enseignement, aux théories de la lecture. Eu égard à ses cours de création,

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Gabrielle parle de « projets aussi plus volumineux », de « tutorat avec l’enseignant », de « pratiques de journal

d’écriture aussi, journal de bord qui [les] faisait réfléchir à [leur] pratique, à [leur] processus d’écriture, aux liens

entre l’écriture pis la vie » (ENT). Les personnes interrogées attestent ainsi de contrastes notables entre les

activités et les pratiques d’acquisition des savoirs mises de l’avant dans leurs cours de littérature et celles

privilégiées dans leurs cours de création.

En ce qui a trait aux savoirs que Gabrielle considère s’être appropriés lors de ses études disciplinaires, ils

concernent ses deux domaines de prédilection, la création et la poésie, domaines auxquels elle a d’ailleurs

consacré sa maitrise. Comme c’était le cas pour Valérie, le fait d’avoir réalisé une maitrise a permis à Gabrielle

de se spécialiser et de s’approprier des savoirs très pointus.

AG Est-ce qu’il y a des savoirs plus marquants ou dont tu te souviens que tu considères t’être appropriés pendant cette formation disciplinaire? Puis que t’es capable de convoquer comme ça à brule-pourpoint. Je suis consciente que l’exercice est pas nécessairement facile. GABRIELLE Euh… Mon dieu euh, oui, surement. Quand… Ben je m’en rends compte quand je prépare les cours par exemple, ou euh, mais, mais, mais… AG Hum, hum. Ces cours-ci ou bien tes cours pour le cégep? GABRIELLE Ben mes cours pour le cégep. Ben des choses sur certains, sur des courants littéraires beaucoup, euh, sur des concepts théoriques, ça, c’est plus dans la compréhension, mais associer des noms de théoriciens avec la théorie qui va avec, faire la ligne entre les deux, ça des fois, c’est trop loin pis j’ai moins mis d’énergie là-dessus. […] Ben des savoirs sur l’écriture, ça, énormément. Ça, c’est quelque chose qui m’accompagne régulièrement dans ma pratique… AG Parce que tu écris aussi? GABRIELLE Ben j’écris, ouais, c’est ça, j’écris aussi fec c’est quelque chose qui vit avec moi, pis qui a pris un autre sens aussi avec le temps. (ENT)

La question du sens parait ici fondamentale : alors que les savoirs déclaratifs semblent rapidement oubliés, les

savoirs disciplinaires que Gabrielle considère s’être appropriés sont ceux qui ont du sens pour elle, qu’elle a

acquis grâce à la pratique, qui ont exigé d’elle un investissement subjectif et qu’elle continue de faire vivre au

quotidien. Il serait indu toutefois de conclure qu’il s’agit simplement d’une cristallisation de prédispositions

naturelles. En effet, Gabrielle rappelle que c’est le baccalauréat qui lui a permis de faire son entrée dans la

poésie, tant comme lectrice que comme scriptrice.

GABRIELLE […] c’est [dans mon baccalauréat] que j’ai appris beaucoup de choses sur la poésie. Je connaissais pas beaucoup la poésie avant d’arriver à l’université pis finalement ben c’est comme, mon mode d’expression privilégié. Ça l’est devenu avec le temps fec apprendre à analyser de la poésie, à lire de la poésie, ça j’ai eu des cours qui ont été très utiles. Pas juste en création, mais en littérature aussi, je pense à un cours sur Saint-Denys Garneau, par exemple, où est-ce que là, [le professeur] nous faisait analyser des poèmes de Saint-Denys Garneau pis là, pauvre prof, y’avait personne qui réagissait dans le cours. (ENT)

Dans l’entrevue, Gabrielle identifie, par exemple, des savoirs généraux sur la littérature, plus précisément sur

la postmodernité, qu’elle nous raconte avoir réinvestis lors d’une prise en charge.

GABRIELLE Ben dans mes stages j’ai pas tant parlé de poésie… Ben j’ai parlé de fragmentation, par exemple, parce que je parlais de postmodernité. Pis moi la fragmentation, ben ma maitrise était là-dessus, sur le fragment fec ça, je me sentais à l’aise de parler de l’éclatement de l’identité, pis c’est ça, du

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fait d’avoir plusieurs éléments disparates qui finissent par former un tout, donner une impression, tout ça. Ça je m’en servais. (ENT)

Toutefois, la manifestation la plus convaincante fournie par Gabrielle de sa mobilisation de ressources

empruntées à sa formation disciplinaire a lieu alors qu’elle verbalise sa pratique personnelle de la poésie.

GABRIELLE Mais pour ce qui est de la poésie, ça c’est plus dans mon quotidien [qu’elle reconvoque ses savoirs disciplinaires], quand j’interagis avec des gens qui ne connaissent pas beaucoup la poésie, qui se sentent pas à l’aise avec ça, qui trouvent ça compliqué ou qui disent « ah, tsé! », qui sont comme un peu gêné parce que moi je suis poète pis eux autres ils connaissent pas la poésie… AG Ils osent pas. GABRIELLE Ils osent pas. « Ah, tu sais, moi », comme s’ils arrivaient un peu avec un sentiment de pas savoir. AG D’infériorité. GABRIELLE D’infériorité aussi, des fois ça arrive. Fec ça m’aide, je trouve, à expliquer aux gens, à leur donner des portes d’entrée un peu, pis démystifier ça un peu, pis descendre la poésie de son piédestal… AG De montrer que c’est pas trop hermétique non plus, que c’est pas obligé d’être hermétique. GABRIELLE (approbative) Non! Tsé, ça peut l’être, mais qu’il y a des portes d’entrée où est-ce que tout le monde peut entrer pis que c’est une rencontre aussi, fec ça se peut que tu t’entendes pas bien avec le poète que t’as devant toi, avec son œuvre. […] Tsé vu que c’est comme une rencontre qui est un peu intime […] C’est normal de pas bien s’entendre avec n’importe qui de façon intime. Fec c’est normal aussi qu’il y ait quelque chose qui te dise rien. AG Y’a des affinités. GABRIELLE Ouais, c’est ça. AG … de lecteur et d’écrivain j’imagine là. GABRIELLE C’est ça pis que c’est correct, mais aussi de pas nécessairement juste penser avec la tête, de descendre dans les impressions, de te laisser juste imprégner par quelque chose même si tu comprends pas. C’est ça, de donner des pistes aux gens pour qu’ils puissent voir peut-être la poésie autrement. (ENT)

Cet extrait illustre la mobilisation de ressources socioculturelles autour de la poésie, dont Gabrielle identifie les

implications dans sa pratique quotidienne du genre. À partir d’outils dont elle s’est dotée grâce à ses études en

lettres, elle élabore sa conception de la poésie comme une rencontre intime entre un lecteur et un poème

(poète), comme un genre qui requiert d’être approché en se laissant guider par ses émotions. Elle tire également

parti de l’aisance qu’elle a acquise pour mettre à mal le sentiment de méconnaissance et l’impression

d’hermétisme que ressentent souvent les gens vis-à-vis de la poésie, par la construction de portes d’entrée dans

ce genre souvent conçu comme étant réservé à l’élite. Gabrielle fait remarquer qu’à l’intérieur même des études

littéraires, les étudiants ont tendance à s’autocensurer lorsqu’il est question de poésie. Quand nous lui

demandons d’où vient, selon elle, cette difficulté à l’égard de la poésie, elle répond qu’il s’agit d’une combinaison

de facteurs, mais que l’obstacle principal réside dans le fait que la poésie exige une prise de risque vis-à-vis

d’un texte qui appelle la prolifération des interprétations, un investissement de soi en tant que lecteur.

GABRIELLE Ouais, ben je pense que vu que c’est de la poésie pis que pour la plupart des gens, c’était peut-être dans les premiers cours de poésie qu’on avait, fallait être capable de se lancer pis de pas avoir peur d’avoir l’air con avec une interprétation à côté de la coche. C’est ça, c’est beaucoup de l’interprétation, fec faut que tu te mettes, toi, faut que tu mettes ton regard un peu au centre, pis… Peut-être qu’il y en avait qui avaient peur de pas comprendre ou qui comprenaient pas… (ENT)

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La formation en création de Gabrielle ainsi que sa parenté avec la poésie semblent être des facteurs qui la

prédisposent à accueillir favorablement et à s’approprier relativement aisément l’approche subjective en

didactique de la littérature.

4.3.3 Les savoirs activités et pratiques didactiques : une appropriation des savoirs

didactiques médiée par les activités expérimentées

Dans l’entrevue, nous interrogeons Gabrielle afin de savoir si elle connaissait la lecture littéraire avant son

arrivée dans le cours de didactique du français. Gabrielle suggère alors que « c’est quelque chose sur, sur quoi

[elle] avai[t] pas mis vraiment de mots [mais qu’il s’agit de] concepts auxquels [elle] aurai[t] pensé […] un peu

intuitivement […] mais pas de façon aussi délibérée » (ENT). Sa formation didactique lui permet donc « de

pouvoir nommer » (ENT) ce qu’elle se figurait assez spontanément.

Pour Gabrielle, ce sont les exercices réalisés en classe autour de la lecture littéraire qui rendent possible une

meilleure compréhension des enjeux que soulève ce savoir didactique, tant du point de vue de la sujet lectrice

que de celui de la sujet lectrice enseignante. Nous remarquons ainsi un bond qualitatif significatif entre sa

première définition de la lecture littéraire (voir l’extrait qui suit immédiatement), formulée avant l’expérimentation

des activités, et sa seconde définition, rédigée après avoir fait l’expérience du dispositif didactique.

Jusqu’à la lecture des textes du recueil du présent cours, j’aurais pu définir la lecture littéraire comme une activité menée avec l’intention de déceler dans le texte les éléments qui contribuent à sa littérarité, dans le double objectif de mener à bien un travail d’analyse et d’élargir ses critères d’appréciation d’une œuvre.

Toutefois, après avoir parcouru les définitions présentées dans les textes de Louichon et de Dufays, j’ai envie d’adhérer à la définition de Dufays de la lecture littéraire en tant que va-et-vient dialectique entre participation et distanciation. Cette dialectique vient en effet combler les lacunes respectives de ces deux conceptions […] en un tout dynamique, cohérent et surtout, couvrant le plus vaste spectre de l’expérience du lecteur. En effet, « cette conception […] intègre la « lecture savante » et la « lecture ordinaire » dans une même activité sans pour autant ignorer les tensions qui s’y jouent entre deux polarités ». À cette définition de Dufays, j’accolerais la dimension nécessairement didactique de la lecture littéraire, puisque cette dernière est généralement acquise en milieu scolaire […] J’ajouterai également que l’outil ainsi acquis finit par persister au-delà du cadre scolaire comme une sorte de lunette d’approche pour le lecteur, que l’on pourra désormais qualifier d’averti. (C2)

Cette définition initiale a été soumise par Gabrielle après la lecture des textes théoriques sur la lecture littéraire,

textes desquels elle s’éloigne d’ailleurs assez peu. Dans cette première mouture, Gabrielle s’en tient aux degrés

« identification d’un savoir didactique » (E_01_01) et « explicitation d’un savoir didactique » (E_01_02). Or, dans

son texte réflexif sur les activités expérimentées, Gabrielle atteint le stade d’« élaboration conceptuelle ». Chez

Gabrielle, l’appropriation est médiée par les activités didactiques qui lui permettent ultimement de revenir aux

savoirs didactiques et de les inscrire dans un modèle didactique personnel. L’argumentaire développé par

Gabrielle s’appuie sur chacune des activités, comme le montrent les extraits qui suivent.

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Les différentes expérimentations faites en classe et à la maison autour de la lecture de La plage des songes m’ont permis d’aborder de nouvelles avenues dans l’apprentissage de la lecture littéraire. D’entrée de jeu, l’exercice du récit de lecture m’a beaucoup plu. J’ai trouvé que cette entrée en matière donnait beaucoup de liberté dans l’acte même de lire, ce qui est à mon avis salutaire lorsqu’on a, comme littéraire, des réflexes analytiques très prononcés. Toutefois, je ne suis pas certaine que je demanderais à des étudiants du collégial de faire un récit de lecture, à moins d’être responsable d’une classe de concentration en lettres par exemple. En effet, j’ai l’impression, peut-être à tort, que pour arriver à s’investir et à tirer le meilleur d’une telle activité, il faut déjà être un lecteur qui peut éprouver du plaisir à lire et quelqu’un qui a déjà des prédispositions ou un goût pour l’écriture d’un récit. Je me vois mal imposer cette activité à des étudiants un peu blasés. Peut-être est-ce au contraire un moyen de sensibiliser au plaisir ou à tout le moins aux émotions qu’occasionne la lecture ? (C5)

Grâce au récit de lecture, Gabrielle parvient à objectiver ses propres pratiques de lecture. Elle conçoit la

pertinence d’une telle démarche rétrospective pour des lecteurs aguerris, mais elle nuance cette appréciation

dès lors qu’elle se met dans la peau de la future enseignante : Gabrielle se distancie alors d’elle-même et juge

que ce n’est pas parce que l’activité est appropriée dans son cas qu’elle gagne à être reproduite intégralement

dans une situation autre. Toutefois, plutôt que de clore le débat, elle conserve une attitude d’ouverture. La

poursuite de sa réflexion à cet égard est perceptible notamment grâce à la dernière phrase écrite à la forme

interrogative.

Le comité de lecture et la formulation de problèmes de lecture sont une expérience que j’aimerais tenter en classe. J’aime l’idée que les étudiants aient à discuter de leurs interprétations et de leur compréhension d’un texte, surtout si celui-ci possède certaines difficultés de lectures. Il s’agit selon moi d’une excellente manière de jeter un regard nouveau sur une œuvre et d’enrichir son lien à celle-ci. Le fait de se retrouver confronté à des visions différentes ne se donne pas forcément d’emblée comme une partie de plaisir, mais ce qui en ressort est d’une grande richesse. Évidemment, tous n’ont pas lu l’œuvre de la même manière. Les différences sont parfois même notables. Mettre côte à côte ces perceptions, chercher à les justifier en se référant au texte, permet de voir des éléments qui nous ont échappé et d’autres qui, appartenant à l’implicite, sont mis au jour, rattachés à de nouveaux réseaux de sens. À partir de là, la formulation de problèmes de lecture apparaît comme une suite logique : circonscrire, de la manière la plus simple possible, des éléments du texte susceptibles de créer le débat. Le choix des mots, le degré d’ouverture de la question, la possibilité de se retrouver devant un casse-tête interprétatif ou polysémique, tous ces critères deviennent des contraintes agréables qui nous amènent plus loin. (C5)

Gabrielle est en faveur de la réalisation de comités de lecture en classe au collégial. De nouveau dans cet

extrait, elle se transpose rapidement dans son rôle de future enseignante et elle étaie ses propos en identifiant

les avantages et les difficultés potentielles de l’activité, à partir de sa propre expérience et en l’élargissant à un

contexte qui diffère du sien : les avantages résident dans la possibilité, pour le lecteur, d’enrichir son lien à

l’œuvre au contact d’interprétations qui divergent de la sienne. Les difficultés trouvent plutôt leur source dans

les conflits intersubjectifs qui peuvent survenir entre les individus, une situation que Gabrielle a elle-même

vécue, mais qu’elle revisite dans l’entrevue en la caractérisant de passage « nécessaire » (ENT).

Mon activité favorite a définitivement été le débat interprétatif. À partir des questions soigneusement rédigées par les deux équipes, il me semble que nous avons réussi à aller « déterrer » un grand nombre d’éléments interprétatifs et de compréhension […] incitant les participants à faire des choix interprétatifs, c’est-à-dire à trancher ou à rester volontairement dans les zones d’ombre. Non seulement je suis curieuse de voir comment des étudiants du collégial s’approprieraient un tel débat, mais je suis très

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enthousiaste à l’idée d’agir comme modératrice. En effet, il me semble que de reprendre les idées lancées, de compléter, de relancer les discussions doit être une expérience très formatrice tant pour développer mes compétences d’animatrice que pour apprendre à synthétiser et transformer des propos de façon vivante et instantanée. (C5)

Parmi les activités proposées en formation, le débat interprétatif est le plus mentionné dans les écrits réflexifs

finaux. Gabrielle y voit une occasion de parfaire ses compétences dans les situations d’interactions instantanées

qui singularisent le métier d’enseignant. Au terme de son carnet de lectrice, Gabrielle formule une nouvelle

définition de la lecture littéraire, beaucoup plus personnelle, qui insiste notamment sur son potentiel subjectif et

interdiscursif.

En définitive, ces outils expérimentés entre collègues m’ont amenée à réfléchir différemment sur l’apprentissage de la lecture littéraire. Faire entrer en scène non seulement sa subjectivité, mais faire se côtoyer et se confronter des subjectivités, m’apparaît comme une façon à la fois originale et efficace de favoriser le développement de compétences en lecture. L’approfondissement des éléments problématiques inhérents à une œuvre, lorsqu’elle passe ainsi par une mise en commun des points de vue, permet d’acquérir une vision plus détaillée, mais aussi plus panoramique du texte. Durant une même période de temps, il est fort à parier qu’une seule personne n’arrivera pas à tirer autant d’éléments pertinents que pourront l’avoir fait un groupe de collègues attelés à la même tâche. (C5)

4.3.4 La construction de soi comme sujet lectrice enseignante : la rencontre de la

sujet lectrice, de l’étudiante en lettres et de la future enseignante

Gabrielle ne semble pas éprouver de difficultés à s’approprier les savoirs et les activités de sa formation

didactique. Dans son carnet de lectrice et dans l’entrevue, nous relevons un minimum d’occurrences

appartenant à la catégorie « construction de soi comme (futur) enseignant ». La projection de Gabrielle dans le

devenir enseignant est cohérente avec les propos qu’elle tient relativement aux savoirs disciplinaires mobilisés

et aux savoirs didactiques appropriés.

GABRIELLE Quel genre d’enseignante je vais être? AG Oui! GABRIELLE Ça c’est une bonne question parce que c’est encore en train de se définir. Je pense que je veux être une enseignante qui interagit beaucoup avec ses étudiants, ses étudiantes, qui pose beaucoup de questions. […] pis qui fait, qui suscite des questions, aussi! Je pense que j’aimerais ça aussi avoir un bon volet création dans mes cours autant que faire se peut. Pis j’pense que j’veux être une enseignante assez exigeante aussi. […] Dans le sens que je veux pas les prendre pour des enfants, je veux les pousser. […] Je veux les pousser, je veux les amener à quelque part pis pour ça, je pense que ça demande une certaine discipline aussi. AG Rigueur. GABRIELLE Ouais, c’est ça. Fec j’aimerais ça avoir le bon équilibre entre une discipline pis une rigueur pis avoir du plaisir vraiment beaucoup, aussi.

Lorsqu’elle s’imagine ce qu’elle aimerait devenir, Gabrielle accorde une valeur fondamentale à l’interaction avec

les étudiants, qu’elle envisage comme des adultes en train de se définir. Tant pour sa propre personne que pour

les étudiants dont elle aura la charge, elle croit dans la nécessité de se poser des questions et dans l’espace

de compréhension qu’ouvre la création. Cette vision d’elle-même et des étudiants est cohérente avec sa

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manière de justifier l’enseignement de la littérature au collégial. En tant que future enseignante, ce qui est

essentiel pour elle, c’est de

GABRIELLE […] présenter [aux étudiants] une nouvelle façon d’envisager ce qu’est lire, pis écrire. […] De faire basculer un peu leur vision de la lecture, premièrement, puis deuxièmement [de leur] montrer en quoi c’est important la littérature dans la vie aussi, même [s’ils ne] deviendr[ont] jamais [des] littéraires […] Où est-ce que ça peut [leur] être utile d’acquérir ces compétences-là, d’avoir acquis ces compétences-là dans, dans la vie de tous les jours […] Comment ça peut changer [leur] esprit, [leur] perception des choses d’avoir fait un, des cours de littérature. (ENT)

Gabrielle parle de l’écriture, de la lecture, de la réflexion et de l’enseignement comme de son « chemin » (C1).

Elle confère également aux enseignants une forte crédibilité et elle prône une complémentarité entre la place

de l’étudiant et celle du maitre, entre la transmission de savoirs magistraux et la participation des étudiants grâce

à des dispositifs qui les engagent à construire du sens.

GABRIELLE […] je me rends compte, dans les expérimentations que j’ai faites en classe [en stage], j’ai aidé aussi la prof à animer des ateliers, je me suis promenée beaucoup avec les élèves, pis cette manière-là d’interagir avec les étudiants, c’est vraiment une partie du travail que j’adore! J’aime ça discuter avec eux, j’aime ça les (claque des doigts) challenger, les faire réfléchir, leur poser des questions […] Moi j’ai apprécié d’avoir un peu d’enseignement magistral dans ma scolarité aussi, parce que je trouve que les enseignants ont quand même un bagage qui est important, qui est imposant, à quelque part, pis je trouve que l’enseignement magistral c’est une façon d’avoir un espèce de panorama sur ce savoir-là, pis de voir quelqu’un qui s’est rendu là, je trouve que c’est comme un espèce de… C’est une forme de générosité aussi… AG De reconnaissance. GABRIELLE C’est ça, y’a quelque chose de… Pis prendre des notes, écouter, être attentif à ce qui se passe, se faire raconter quelque chose, se faire raconter une histoire, ça, c’est quelque chose que j’aime bien aussi fec je pense pas que j’écarterais ça complètement de mon enseignement.

Dans ce passage, Gabrielle semble réussir à concilier, par syncrétisme, la sujet lectrice, l’étudiante en formation

littéraire et l’enseignante en devenir, en octroyant à chacune des instances qui se côtoient en elle l’espace qui

lui parait juste.

4.3.5. Bilan du portrait de Gabrielle

Le profil de Gabrielle se distingue de celui des trois autres participantes à notre étude : Gabrielle est plus âgée

que les autres, elle s’est engagée un certain temps en politique, elle est une poète active du paysage artistique

de Québec… Elle fait également preuve, vis-à-vis d’elle-même, d’une grande réflexivité, qui se reflète dans sa

manière de parler de ses relations interpersonnelles (avec sa mère, avec ses étudiants, avec une collègue du

cours de didactique). Ses propos révèlent une compréhension et une construction d’elle-même tributaires de sa

capacité à se distancier par la médiation d’autrui, et de revenir vers elle-même. C’est cette réflexivité qui nous

semble aussi à l’œuvre chez la sujet lectrice et chez la sujet lectrice enseignante, et qui lui permet de résoudre

les contradictions éventuelles entre les savoirs et de se penser comme sujet lectrice enseignante de façon

cohérente.

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4.4 Le portrait de Josiane

Josiane est âgée de 28 ans. Elle a réalisé l’ensemble de ses études postsecondaires dans la région de Québec :

après un diplôme d’études collégiales en Littérature et arts, elle a complété un baccalauréat en Études littéraires,

dans le profil Littérature moderne (française et québécoise). Elle a ensuite mené à terme une maitrise en

Littérature québécoise qui a été entrecoupée par deux grossesses. Josiane a fait une maitrise sur la

recommandation de l’une de ses professeures du baccalauréat. Elle souhaitait enseigner et elle pensait « que

ça allait vraiment [lui] être utile [pour s’apercevoir] que plus ou moins, finalement » (ENT). À la suite d’un

entretien d’embauche pour un poste d’enseignante qu’elle qualifie elle-même d’« échec » (ENT), elle s’est

« rendu compte qu’il [lui] manquait beaucoup de choses pour vouloir vraiment enseigner, au niveau

pédagogique » (ENT), et c’est ce qui a motivé son inscription au D.E.S.S.

En classe, Josiane est très prolixe et ses interventions visent la plupart du temps à comprendre comment les

savoirs présentés par la professeure peuvent s’appliquer dans le contexte d’enseignement-apprentissage du

collégial, se matérialiser effectivement. Josiane semble très préoccupée par le « concret », par la valeur

pragmatique de ses apprentissages. Elle affirme ainsi qu’elle « essaie de voir [s]a formation […] au D.E.S.S. de

façon vraiment concrète plutôt qu’abstraite » (ENT).

Un regard synthétique sur les thèmes qui se dégagent du discours de Josiane permet de remarquer une

représentation de soi très marquée, tant comme lectrice que comme enseignante en formation. Dans le même

ordre d’idées, Josiane revient régulièrement sur sa représentation de soi comme étudiante en lettres (deux fois

plus d’occurrences dans l’entrevue que la personne dont le nombre d’occurrences pour cette catégorie suit

immédiatement le nombre d’occurrences de Josiane), et son propos prend alors un caractère anecdotique et se

truffe de nombreuses digressions, lesquelles concernent notamment sa situation familiale et son rôle de mère.

La présentation du parcours de Josiane est structurée en quatre parties qui correspondent aux thématiques

principales de notre cadre d’analyse : 1) la sujet lectrice; 2) les savoirs, activités et pratiques de sa formation

disciplinaire et l’expérience d’étudiante en lettres; 3) les savoirs, activités et des pratiques de sa formation

didactique et 4) la construction de soi comme sujet lectrice enseignante.

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4.4.1 La sujet lectrice : la conquête du livre

Josiane est issue d’un milieu modeste au sein duquel la lecture n’est pas particulièrement valorisée, sans être

tout à fait absente : son père lit des polars, sa mère, des romans Harlequin. Au primaire, elle entre dans la

lecture par les « contes, [les] romans jeunesse et [les] séries de bandes-dessinées également, comme

Astérix » (C1). Le parcours de lectrice de Josiane est ensuite jalonné de plusieurs évènements de lecture : le

phénomène Harry Potter, La petite maison dans la prairie, Anne… la maison au pignons verts, Les filles de

Caleb, les séries de Dominique Demers et autres « fictions amoureuses » (C1), énumère-t-elle. Parce que ses

parents ne considèrent pas l’achat de livres comme une chose utile, Josiane est amenée à fréquenter les

bibliothèques municipales pour se procurer des livres, une circonstance qui trouve chez elle d’insistants échos.

D’une part, l’objet livre – emprunté, acheté, détenu –, dans sa corporéité, occupe une place importante dans

l’autobiographie de lectrice de Josiane; elle relate que ce n’est qu’à son arrivée au cégep qu’elle aura les moyens

de commencer à posséder ses propres livres. D’autre part, Josiane entretient, encore aujourd’hui, les liens qui

l’unissent aux bibliothèques en s’impliquant bénévolement dans celle de son village.

Pour décrire son « rapport au livre » (C1) dans son autobiographie, Josiane utilise des termes et des expressions

de l’ordre de l’absorption, de l’immersion dans les textes voire de l’incorporation de ceux-ci : elle se définit

comme une « boulimique » (C1) et parle de la lecture comme d’un « refuge » (C1), d’un lieu de

« divertissement » (C1) au cœur duquel elle se sent « complètement absorbée » (C1). Grâce aux livres,

soutient-elle, « je me transposais, je vivais par procuration » (C1) et « cela assouvissait mes premières pulsions

amoureuses » (C1). Le discours de Josiane est très connoté par l’affect et la codification en mode mineur au

moyen du thème 1 (ressources subjectives)43 des nombreuses unités de sens où la lectrice effectue un retour

sur elle-même comme lectrice (D_03; le tiers des occurrences de son carnet recouvrent cette catégorie) permet

d’entériner ce constat préliminaire. En effet, alors que Josiane nomme ses centres d’intérêt, ses pratiques ou

qu’elle narre son histoire de lectrice, ses propos reflètent un travail d’introspection et une représentation d’elle-

même qui s’ancre de manière déterminante dans des expériences de lecture de nature psychoaffective :

évènements de sa vie personnelle, émotions, sensations et identification.

43 Au rappel, les sous-catégories du thème 1 ont été utilisées pour coder, en mode mineur, les énoncés associés aux catégories « mise à distance de ses interprétations » et « retour sur soi comme sujet lecteur », afin de pouvoir caractériser la réflexivité dont il est question. Pour plus de détails, voir dans le mémoire la partie 3.4.1.1. L’analyse de contenu, section D.

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4.4.2 Les savoirs, activités et pratiques disciplinaires et l’expérience d’étudiante en

lettres : que reste-t-il des savoirs disciplinaires?

Pour Josiane, la conquête évoquée dans le titre de la partie qui précède n’est pas seulement celle du livre, c’est

aussi celle des études universitaires. Josiane est habitée par un sentiment de transfuge qu’elle décrit dans

l’entrevue et qui rappelle ce passage de l’univers des dominés à celui des dominants dont parle Bourdieu.

JOSIANE Ouais. Mais moi j’suis une étudiante qui est carrément dans le… J’suis, comment j’pourrais, j’vais

essayer de trouver les mots. (prend son temps) Je suis dans une étude de Pierre Bourdieu, OK. […] Dans ma vie, ma vie c’t’une étude de Pierre Bourdieu (rires). Je suis, je suis dans un monde de l’élite ici à l’université, pis ma vraie vie est à l’opposé complètement de ça, et c’est difficile parfois de me placer là-dedans. AG OK. Tu veux dire, les gens qui t’entourent, c’est pas nécessairement… JOSIANE C’est pas des gens qui sont allés à l’université… AG … des intellectuels? JOSIANE C’est pas des intellectuels. […] Mon chum est sur la construction. Fec les discussions que j’ai en dehors, dans ma vie normale, sont rarement sur des sujets aussi poussés qu’ici, si on veut. AG Littéraires, ouais, j’comprends. JOSIANE Oui. Oui. (ENT)

Alors que l’histoire personnelle de Josiane est rythmée par la lecture de productions que l’on pourrait dire

appartenir au domaine de la littérature populaire, son arrivée au cégep constitue un point tournant et un moment,

à ses dires, de grandes découvertes : « Par contre quand j’suis arrivée au cégep, je me suis aperçue que c’que

je lisais, c’était pas de la littérature. Ben, parce que j’étais dans la culture de masse, clairement! » (ENT). Cette

citation tirée de l’entrevue rejoint la déclaration par laquelle elle termine son carnet de lectrice :

Je conclurais en remarquant une chose importante, depuis ma formation en littérature, je n’ai jamais pu « redescendre » vers une littérature plus populaire. J’en suis pratiquement incapable : c’est plus fort que moi, j’ai toujours mon œil critique et je fais la chasse aux clichés. La façon dont l’œuvre est écrite m’importe parfois plus que l’intrigue. Il n’y a peut-être simplement pas de retour en arrière possible lorsque l’on entre dans le domaine littéraire. (C1)

Nous profitons de l’entretien pour l’amener à approfondir sa réflexion eu égard à cet impossible retour en arrière,

à ce changement qu’elle perçoit dans son appréhension de la lecture et de la littérature à partir de sa formation

disciplinaire en lettres. Elle élabore alors une longue réponse qui nous aiguille dans deux directions. D’abord,

Josiane fait preuve d’une grande lucidité par rapport à elle-même comme étudiante en lettres (codes E_06), elle

est consciente du fait que sa formation littéraire a infléchi sensiblement sa représentation d’elle-même comme

lectrice et elle est capable de nommer ce qui, en elle, a changé : elle soutient ainsi que le contenant est devenu

« aussi important que le contenu » (ENT) et que l’émotion est désormais créée « par les mots, par la façon dont

quelque chose est amené » (ENT). Elle dit rechercher un travail d’écriture et ne plus pouvoir se contenter de

« lire juste l’histoire » (ENT). Elle répète que son « regard critique ne [la] quitte plus » (ENT) et qu’elle abhorre

les clichés, avec pour corolaire que des auteurs qu’elle affectionnait beaucoup, comme Bernard Werber, ne

suscitent plus chez elle le même enthousiasme. Elle assure toutefois qu’elle n’a pas perdu sa sensibilité, laquelle

vient de pair avec sa conception personnelle des littéraires : « J’ai pas perdu l’émotion ni la sensibilité, parce

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que pour être littéraire, il faut être sensible à mon avis. Les gens littéraires sont des hypersensibles. […] Fec

oui, oui, la sensibilité est encore là, c’est juste qu’elle est différente. Je dirais ça comme ça. » (ENT). Elle conçoit

ce nouveau rapport à la lecture et à la littérature, d’un ordre plus épistémique, comme un gain, comme une

« capacité d’aller voir plus loin […] développé[e] avec le temps avec plusieurs années d’études » (ENT), et que

tout le monde ne possède pas. Josiane a ainsi intériorisé des savoirs et des normes implicitement valorisées

dans sa formation disciplinaire, par exemple, la promotion du modèle de l’expert critique ou de l’érudit lettré pour

qui la rhétorique revêt une grande importance, mais elle les identifie, les explicite ou les questionne peu. Voici

un extrait de l’entrevue qui illustre bien l’adoption, par Josiane, d’une posture parfaitement arrimée aux attendus

de la lecture académique, et de stratégies de lecture scolaires qui, dans son cas, inhibent la dimension

subjective de son rapport à la lecture littéraire :

JOSIANE Alors que pourtant quand j’l’ai lue [la nouvelle La plage des songes], j’avais l’impression qu’il allait y avoir un piège. J’me sentais piégée parce qu’on me demandait ça peut-être aussi. AG Par l’exercice? JOSIANE Par l’exercice, mais aussi, non, la nouvelle je sentais qu’il y avait un piège. Parce que j’me disais « y’a quelque chose, c’pas pour rien ». Tsé là on me fait lire un p’tit texte plaisant alors qu’on lit seulement des textes théoriques depuis le début. Je pensais que j’allais être piégée, je pensais que j’allais avoir une mauvaise… […] JOSIANE C’est drôle, han? J’tais comme en, en contexte de faut que j’paraisse bien dans ma lecture, alors que finalement, la nouvelle, je l’ai adorée vraiment! […] AG Tu disais [dans son carnet] « ma lecture a comme été… Je m’attendais à devoir avoir tel comportement… ». JOSIANE Ah, mes attentes! J’avais un horizon d’attente qui était déjà vraiment formaté. Fec ça a coloré carrément le résultat.

Dans ce segment, Josiane met dans la balance les deux pôles de la lecture littéraire, souvent posés comme

étant incompatibles, et son expérience des lectures scolaires la fait se surprendre qu’ils puissent coexister en

elle. Les lectures théoriques affrontent ici les lectures faites pour le plaisir, et, plus révélateur encore, une lecture

de type performative (qui impliquerait des ressources cognitives ou épistémiques) semble devoir primer voire

annuler l’engagement de ressources psychoaffectives ou axiologiques (bien paraitre dans sa lecture versus

apprécier la nouvelle).

Quand nous la questionnons sur les pratiques et les activités prévalentes dans sa formation, Josiane est des

plus critiques : elle parle d’un très grand conservatisme des pratiques, de professeurs « supérieurs » (ENT), qui

« tien[nent] le savoir et qui [le lui] donne[nt], [mais] pas dans un but de construction, ça c’est certain! » (ENT).

Elle dit se souvenir de cours essentiellement magistraux et d’activités comme la dissertation ou autres exercices

individuels du genre, dans lesquels il n’y a « pas tellement de confrontation avec l’autre » (ENT). Elle explique

d’ailleurs son désir d’enseigner au niveau collégial en comparant les pratiques de ce milieu à celles qu’elle a

vécues à l’université, à l’avantage des premières : elle parle d’une appréhension moins « spécialisée » (ENT)

de la littérature, de pratiques plus innovantes comme le débat, de son envie de retrouver le contact professeur-

étudiant et d’échapper à l’anonymat caractéristique des classes universitaires. Paradoxalement, Josiane affirme

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se sentir tiraillée, aujourd’hui, entre les façons de faire qu’elle a connues et celles qui lui sont proposées au

D.E.S.S. : « J’aime beaucoup l’idée que le savoir est construit. Mais en même temps y’a quelque chose en moi

qui est un peu attaché à l’idée d’un cours magistral » (ENT). Voici un autre exemple éloquent de cette posture

clivée, de l’hésitation entre conservatisme et créativité :

Et jusqu’à quel point je vais être conservatrice ou non, c’est (plus fort) c’est vraiment délicat. Tsé, y’a une part de moi qui reste conservatrice pis y’a une part de moi qui est créative donc, j’suis partagée entre les deux, pis tant mieux si j’me laisse inspirer par les deux, dans l’fond, peut-être. AG Oui. Quand tu dis « qui reste conservatrice », c’est en regard de… JOSIANE Ben de certains modèles d’apprentissage qu’on découvre finalement avec le D.E.S.S., d’anciennes façons de faire… (ENT)

Comme c’était le cas lorsque nous avons parlé de la sujet lectrice, la participante montre une capacité réflexive

considérable lorsqu’elle revient de manière plus générale sur son expérience d’étudiante en lettres. Or, Josiane

éprouve de la difficulté à mobiliser les savoirs disciplinaires supposés acquis lors de sa formation disciplinaire,

premièrement, dans le cadre de sa formation en didactique, et deuxièmement, lors de ses stages en milieu

collégial.

Dans un premier temps, Josiane déplore à plusieurs reprises la faible persistance des savoirs disciplinaires,

situation qui se confirme au regard des réponses qu’elle fournit dans la partie de l’entrevue qui porte sur les

savoirs de sa formation en études littéraires. C’est la passation d’un entretien d’embauche pour enseigner au

collégial qui a fait réaliser à Josiane le peu de savoirs disciplinaires retenus, un constat réitéré dans son cours

de didactique de la littérature.

JOSIANE (catégorique) Oui! Clairement, c’est l’entrevue qui m’a… Pis dans l’entrevue bon, moi quand j’ai fait mon entrevue, j’étais en congé de maternité encore, mon deuxième congé de maternité. Et là, plus le temps passait, plus mon bac était loin dans ma mémoire, han, normalement! […] Et là j’me suis rendu compte que j’étais pas du tout à jour, pas du tout. Donc en revenant ici, je repasse aussi toute la matière, j’suis en train de rafraichir mes notions qui sont loin dans ma tête, quand même. […] Et là, ça pose la question du « qu’est-ce qui reste, han? ». Ça me pose vraiment cette question-là « qu’est-ce que je me rappelle? ». C’est sûr que quand [la professeure de didactique], par exemple, va arriver pis elle me sort une phrase de Roland Barthes, moi c’est loin, c’est loin dans ma tête. Mais c’est correct parce que c’est comme un travail de réappropriation que j’suis en train de faire. Vraiment! C’est comme ça que je le sens. (ENT)

Ce passage met en évidence les oublis relatifs aux savoirs disciplinaires que Josiane tente de compenser grâce

à sa formation didactique. Josiane profite en effet de cette dernière pour revisiter des savoirs littéraires

insuffisamment maitrisés à la suite de son baccalauréat et de sa maitrise en lettres. Selon Josiane, les savoirs

disciplinaires appris au baccalauréat – et passés en revue dans le cadre de sa formation didactique –, bien qu’ils

soient importants, ne correspondent pas aux savoirs enseignés en milieu collégial. Il nous semble, comme

l’exemplifie le passage qui suit, qu’elle tente de faire référence à la notion de transposition des savoirs.

JOSIANE Ça c’est certain. Pis c’est sûr que là on est en didactique, [la professeure] va rafraichir des notions qui ont rapport peut-être avec des théoriciens. Pis c’est certain que ces notions-là sont

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importantes, c’est des savoirs savants, mais par contre, au cégep, c’est moins, c’est pas ça qu’on apprend, c’est pas ça qu’on apprend vraiment aux étudiants. Fec y’a comme une marge entre tout ça, fec j’suis en train de me placer un peu là-dedans. (ENT)

Dans un deuxième temps, quand nous demandons à Josiane de nous parler de la manière dont ses savoirs

disciplinaires sont mobilisés dans le cadre de son stage, elle fait état de pratiques très traditionnelles, qu’elle

prend soin de justifier en précisant qu’elle a dû se soumettre aux façons de faire de son enseignant associé.

Elle admet d’ailleurs avoir appris « par cœur » (ENT) ses présentations pour ses prises en charge.

JOSIANE Mes prises en charge, j’ai été un peu… Comment je te dirais? L’enseignant avec lequel je suis a certaines pratiques et j’ai pas pu être très créative dans mes prises en charge pour le moment. J’ai eu des prises en charge à faire qui portaient sur l’histoire, un peu, quand même. Qui étaient des contextualisations, si on veut. Par exemple, l’œuvre étudiée au cégep c’était Candide et, voyons, c’est quoi l’autre? En tout cas, j’me souviens plus de l’autre. C’était Candide, donc j’devais introduire le 18e siècle. Les notions historiques dans ce texte-là étaient quand même importantes pour aider un peu à comprendre. Fallait que les jeunes comprennent la philosophie des Lumières, fec y’avait quelque chose de politique ou d’historique à expliquer quand même là-dedans. Les prises en charge que j’ai eues avaient beaucoup de contenu, beaucoup de dates. (ENT)

Et si elle avait plus de liberté, lui demandons-nous? Question rapidement éludée par la participante, qui se

retranche derrière une réponse qui tient davantage de l’introspection que de la mobilisation de savoirs

disciplinaires et qui se replie sur des pratiques mimétiques.

AG Si t’avais justement plus de liberté pour laisser aller ta créativité, est-ce qu’il y a déjà des activités ou des trucs auxquels tu penses? JOSIANE (certaine) Oui! Oui, mais encore là, j’me heurte un peu à c’que mon prof pense de certaines pratiques… AG Ouin. Mais éventuellement, quand tu vas être prof et que tu vas être libre de faire toi-même ton plan de cours? JOSIANE (enthousiaste, en même temps) Oui! Oui, oui. Ben j’pense que y’a un dosage à faire, j’aime beaucoup la façon de faire de [la professeure]. Ça m’intéresse vraiment comment elle enseigne, mais je sais pas encore dans quelle mesure j’vais être capable d’appliquer tout c’que j’apprends, parce que là, on remplit notre coffre à outils, on a plein d’idées, on a toutes sortes de pratiques qui sont vraiment intéressantes. Encore là, je sais pas comment ça va se déployer, je peux pas le dire tant que j’y suis pas, j’ai pas encore fait de planification d’un cours au complet.

Au fil de l’entrevue, Josiane parvient à répondre à la question qu’elle a elle-même formulée, concernant ce qu’il

reste des savoirs disciplinaires. Elle réalise ainsi qu’il demeure une culture, « la capacité aussi à associer telle

chose à peut-être tel courant […] » (ENT), « il reste une connaissance du corpus, peut-être, je dirais. C’est sûr

que y’a toujours un texte que j’ai lu à quelque part quand qu’on nomme des œuvres, j’me dis, “ouais la

connaissance est là” » (ENT). Elle nomme également, et c’est ce qu’elle semble valoriser le plus, « des habiletés

de compréhension, de rédaction que d’autres ont pas » (ENT), une « facilité à vulgariser peut-être, à

synthétiser » (ENT), bref, quelques savoirs déclaratifs peu contextualisés de même que des savoirs

procéduraux, des habiletés pratiques ou des compétences langagières en compréhension et en rédaction.

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4.4.3 Les savoirs, activités et pratiques de la formation didactique : une

appropriation des savoirs inégale

L’appropriation des savoirs didactiques, plus particulièrement du concept de lecture littéraire, s’observe

essentiellement dans les carnets de lecteur. Elle est codée au moyen des catégories « savoirs didactiques vus

en formation » (E_01), « activités et pratiques didactiques expérimentées en formation » (E_02) et

« intersubjectivité » (E_04). Dans le carnet de Josiane, la majorité des unités de sens codées « savoirs

didactiques vus en formation » appartient à la sous-catégorie « élaboration conceptuelle à partir de savoirs

didactiques » (E_01_04). Nous définissons ainsi cette sous-catégorie : le sujet élabore, transforme ou crée à

partir des savoirs didactiques. Il incorpore différents savoirs, identifie leurs applications ou implications et

parvient à les articuler dans un modèle didactique qui lui est propre. Voici la définition que propose Josiane de

la lecture littéraire dans son carnet :

[La lecture littéraire] ne peut et ne doit pas avoir de contours rigides puisqu’elle s’appuie sur une définition de la littérature qui se révèle elle-même en mouvance et conditionnée par le contexte sociohistorique dont elle émerge. Je souhaite donc adopter une perception plurielle de la lecture littéraire au sein de ma future pratique enseignante au sens où je souhaite qu’elle ne soit pas figée. Le premier élément qui me rejoint et que je considère essentiel de clarifier est la position du lecteur au regard de cette pratique. Je pense qu’on se doit en tant qu’enseignant de laisser d’abord l’étudiant lire une œuvre de la façon la plus ordinaire qui soit, avec son propre bagage psychoaffectif et sa subjectivité. Si je repense à mes propres expériences de lectrice, cette façon de lire s’inaugure comme une porte d’entrée sur les œuvres qui n’empêche aucunement l’adoption d’une distance critique par la suite. On ne peut occulter ni le lecteur, ni la distanciation, qui permet quant à elle de dépasser nos premières impressions de lecture et d’analyser plus en profondeur l’objet littéraire. Ainsi, l’idée de la lecture littéraire comme « va-et-vient dialectique », tel que défini dans le texte 7, est la définition qui me rejoint le mieux, car elle permet de la penser comme un processus d’apprentissage. Les étapes d’ancrage, de désancrage et de réancrage me semblent bien réussir à mettre en commun les différentes conceptions tout en offrant des pistes de réflexion enrichissantes et concrètes pour les enseignants. (C2)

Josiane conceptualise au « je » la lecture littéraire en se projetant presque instantanément dans sa future

pratique enseignante. Cette projection nécessite de penser la transposition des savoirs de façon prospective

dans un contexte d’enseignement particulier, c’est pourquoi elle vient de pair avec une conception de la

littérature (mouvante), du lecteur étudiant (subjectif, psychoaffectif) et de l’enseignante que Josiane souhaite

devenir (réflexive, mobile). Toutefois, Josiane fonde sa généralisation sur un raisonnement peu conscientisé

rencontré à maintes reprises au cours de notre recherche et qui pourrait se résumer par cet aphorisme : « ce

qui s’applique à moi s’applique également aux étudiants du collégial ». Le cours de didactique fonctionne

notamment selon un principe d’homologie : il permet aux sujets lecteurs de faire l’expérience d’une diversité

d’activités susceptibles d’être transposées en classe de littérature. Or, cette didactisation est cruciale. Dans le

passage qui précède, extrait du premier texte du carnet de Josiane, celle-ci s’appuie sur son expérience de sujet

lectrice experte, qui évolue dans une communauté de lecteurs experts, sans penser la mise en place d’un

dispositif d’accompagnement didactique. Sa surreprésentation d’elle-même comme lectrice jumelée à la

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croyance en la naturalité de l’acte de lecture (laisser lire l’étudiant de la « façon la plus ordinaire qui soit ») la

conduisent à minorer l’importance des savoirs et des pratiques à enseigner pour former des sujets lecteurs au

collégial (la lecture subjective n’empêche « aucunement l’adoption d’une distance critique par la suite »).

Josiane n’opère pas la transition de la sujet lectrice vers la sujet lectrice enseignante, qui aura à enseigner à

des lecteurs peu expérimentés. Dans le prochain passage, tiré cette fois du dernier texte de son carnet, c’est

de nouveau à l’aune de son expérience de sujet lectrice que Josiane juge de la pertinence des activités

didactiques, et l’on voit se dessiner les prémisses d’une réflexion didactique.

Parmi les activités qui nous ont été proposées au sujet de la nouvelle La plage des songes, j’ai particulièrement apprécié ma participation à un comité de lecture et la formulation de questions qui ont menées à un débat interprétatif. D’abord, le fait de confronter ma lecture à celle des autres étudiants du comité m’a permis d’élargir mes perceptions, de m’attarder sur des détails ou des hypothèses que je n’avais pas perçus. Cette activité m’a permis de diversifier mes points de vue, mais surtout, d’en déconstruire certains en devant retourner lire des passages de l’œuvre. J’ai dû chercher des prises sur le texte pour démontrer mes perceptions qui étaient parfois plus intuitives que fondées au final. […] J’aimerais particulièrement reconduire ces deux dernières activités [le comité de lecture et le débat interprétatif] dans ma pratique étant donné que j’ai aimé l’activité en soi, mais surtout, parce que j’ai réellement senti que ma lecture s’y est approfondie. Elles me semblent aisées à mettre en œuvre de façon concrète. Je trouve que la progression des deux activités est cohérente et le fait de l’élaborer sur deux cours différents permet d’avoir plus de temps de réflexion. (C5)

La réflexivité de Josiane comme sujet lectrice constitue encore ici le critère de son appréciation positive, mais

elle s’accompagne, dans cette partie du carnet rédigée après l’expérimentation du dispositif didactique, de

préoccupations quant à l’applicabilité des activités en contexte collégial (dimension praxéologique). En d’autres

termes, Josiane continue de donner forme à ses apprentissages en s’appuyant massivement sur ses

caractéristiques personnelles, mais elle commence à articuler lesdits apprentissages dans un modèle didactique

qui tient compte de la réalité du collégial telle qu’elle la comprend. Les expériences significatives vécues en tant

que sujet lectrice en formation à l’enseignement constituerait ainsi, pour Josiane, une condition de la naissance

d’une pensée didactique.

Au terme des activités, Josiane revient sur sa définition initiale de la lecture littéraire, et cette nouvelle définition

témoigne de l’intégration entre les activités dont elle a fait l’expérience et l’appropriation de savoirs didactiques.

La relecture de ma définition de la lecture littéraire m’incite à mieux observer comment les dernières activités permettent justement un « va-et-vient dialectique » tel que défini par Picard. Dans un premier temps, rédiger un récit de lecture me paraît être un geste qui encourage l’ancrage du lecteur dans le texte. Puis, le fait de confronter nos points de vue au sein d’un comité de lecture apparaîtrait comme une activité de désancrage en élargissant les perceptions possibles. Le débat interprétatif viendrait clore le processus en tant que production finale où il faudrait effectuer un réancrage, c’est-à-dire, énumérer et justifier la pluralité d’interprétations possibles pour obtenir un regard global sur l’œuvre en question. (C5)

Cette définition permet d’entrevoir une recherche de cohérence entre les activités de lecture littéraire et les

savoirs vus en formation, ainsi qu’une appropriation en cours de savoirs didactiques.

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Dans l’entrevue, la représentation de soi comme enseignante (E_03_04) prend le pas sur l’appropriation des

savoirs didactiques, laquelle ne dépasse pas les deux premiers degrés (identification et explicitation).

Concrètement, nos questions à Josiane portent sur sa compréhension personnelle des savoirs vus dans le cours

de didactique, sur leur complémentarité ou leur contradiction avec ses savoirs disciplinaires et sur la manière

dont elle les réinvestit dans son stage ou anticipe le faire dans le cadre de son enseignement. Nous lui

demandons ainsi concrètement de nous proposer une définition, à l’oral, du concept de lecture littéraire.

AG Tu l’as fait dans ton carnet de lecteur, à l’écrit, mais à l’oral c’est toujours un peu différent. Est-ce que tu peux m’expliquer comment tu comprends le concept de lecture littéraire? Ta définition personnelle, mais c’pas obligé d’être formalisé, ça peut être juste des points ou des concepts. Ta compréhension de la chose. JOSIANE (hésite) Ouin. Mais là, c’est sûr que tu comprends que j’vais être colorée par ce que j’ai appris (rires). AG C’est parfait. J’adore ça! JOSIANE (rires) Mais je revois dans ma tête mes notes avec madame [la professeure]. Et je revois jugement de valeur, jugement de gout. Clairement. Donc, la lecture littéraire pour moi c’est de mettre les deux ensemble. De faire des liens. De partir de notre sensation qu’on a eue, notre sentiment, notre émotion et d’aller plus loin. D’aller plus loin, d’aller dans la critique appuyée. D’aller dans les arguments, d’aller chercher. D’aller chercher, c’est bien dit (petit rire).

La première phrase en caractère gras montre que Josiane est consciente du fait que sa formation influe sur ses

représentations. À l’instar des définitions élaborées dans son carnet, les propos de Josiane semblent témoigner

d’une hiérarchisation plutôt qu’une complémentarité, ce qui ne nous parait pas étranger à son parcours de sujet

lectrice : dans un premier temps, la mobilisation de ressources psychoaffectives pour appréhender le texte

littéraire, dans un deuxième temps, l’effacement de ces ressources pour accéder à une critique appuyée,

argumentée, fouillée. Ce qui ressort également de cet extrait, c’est la réduction de la lecture littéraire à

l’appréciation. Il nous semble que ce rétrécissement peut être attribué, entre autres, à un effet du corpus : parmi

les textes lus par les futures enseignantes au sujet de la lecture littéraire, l’article de Dumortier (2006) sur la

conduite et le jugement esthétiques est l’un de ceux qui a fait l’objet d’une présentation très réussie par une

étudiante du cours.

Quand nous la questionnons sur la manière dont elle pense incorporer les savoirs didactiques lorsqu’elle sera

enseignante, nous décelons deux tendances dans les réponses de Josiane : 1) un contournement des questions

qui portent sur les savoirs didactiques au profit de considérations psychopédagogiques générales, qui

s’intéressent avant tout à la relation entre l’étudiant et l’enseignant, peu importe la matière à l’étude; 2) une

évocation des contraintes du milieu collégial et des difficultés potentielles à la mise en pratique d’activités de

lecture littéraire. En voici un exemple :

AG Est-ce qu’il y a déjà, justement, dans le cadre de ta formation didactique des savoirs ou des façons de faire qui t’ont plus marquée, que tu considères déjà t’être appropriés ou qui sont en voie d’appropriation pour toi? Est-ce qu’il y a des choses qui t’ont plus parlé? JOSIANE Les choses qui m’ont plus parlé… Redonner… Avec [la professeure de didactique], mais y’en a avec différents profs, mais avec [la professeure de didactique], le fait de redonner la place au jugement

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de l’étudiant, ça je trouve ça important pis j’le vois dans mon stage, c’est pas quelque chose qui est beaucoup fait. Aussi j’aime l’idée de l’écriture de l’invention qu’on a vue. Je l’aime, mais en même temps c’est ça, en même temps j’me dis, faut quand même qu’il reste d’la place, laisser d’la place par exemple à l’étudiant pour pratiquer quand même ce qu’il devra faire en fin de session parce que pour lui la note c’est important pis j’le comprends, j’ai passé par là. […] AG Donc ce sont des pratiques [associées à la lecture littéraire] que tu prévoirais peut-être utiliser dans le cadre de ton enseignement ou, on le disait un peu tout à l’heure, ça va dépendre de la confiance, de la marge de manœuvre que t’as aussi? JOSIANE Oui. Ça dépend du cours qu’on donne aussi parce que je regarde ça pis le 101, y’a pas beaucoup de place pour ça, dans le 101. (ENT)

Le clivage entre conservatisme et créativité évoqué plus tôt revient dans cet extrait : il s’exprime entre la volonté

de redonner la place au jugement de l’étudiant, notamment en instaurant l’écriture d’invention, et la conscience

de contraintes scolaires (place faite par les programmes, évaluation, etc.) sur l’introduction de pratiques

didactiques innovantes qui sont proposées en formation. Josiane fait ainsi preuve d’une certaine acuité

concernant cette tension, laquelle pose la question du transfert des recherches en didactique de la littérature

vers les milieux de pratique au collégial

4.4.4 La construction de soi comme sujet lectrice enseignante : la (trans)formation

des représentations

Les réponses de Josiane les plus abouties s’inscrivent dans la catégorie « construction de soi comme (futur)

enseignant » (16 occurrences par comparaison avec 5 occurrences pour les « savoirs didactiques vus en

formation » et à 6 occurrences pour les « activités et pratiques didactiques expérimentées en formation »). Cette

grande disparité entre le nombre d’occurrences relevées dans ces trois catégories (savoirs, activités et

pratiques, construction de soi) ne se rencontre que dans le cas de Josiane. Le fait que Josiane se représente

elle-même comme enseignante de façon prégnante (E_03_04) pourrait trouver sa source dans le fait qu’elle se

définit d’abord comme une enseignante, et ensuite comme une littéraire. Ainsi, elle nous apprend dans

l’entrevue que « c’est toujours ça [qu’elle a voulu] faire depuis [qu’elle est] petite. En maternelle [elle a] écrit

[qu’elle voulait] être professeure. […] Là, j’avais pas l’idée d’être professeure de littérature à cette époque-là, on

s’entend! Mais quand même, tu vois l’enseignement, le lien avec les gens ». Dans son histoire personnelle,

l’enseignement est donc venu en premier.

Quand nous l’interrogeons pour comprendre pourquoi elle a choisi l’enseignement de la littérature, elle nous

parle du caractère fondamental pour elle de la lecture, « parce que, le but c’est de faire aimer la lecture, pour

moi, parce que j’aime ça lire, clairement » (ENT). Un peu plus loin dans l’entrevue, elle ajoute :

JOSIANE Ouais, pis j’veux dire de quoi que j’pense vraiment. Là j’reviens à l’importance pour moi de la lecture. C’est sûr que j’veux que l’étudiant soit capable de mieux lire, peut-être, parce que je pense que ça leur a pas, peut-être pas été si bien appris que ça avant. J’voudrais qu’il soit capable de mieux lire, qu’il soit capable d’apprécier ce qu’il lit parce que moi j’trouve ça extrêmement enrichissant le regard que j’ai aussi, c’est pas juste une entrave là. C’est très enrichissant, ça me permet de faire des liens avec plusieurs autres choses. […] Et j’aimerais ça qu’ils soient capables de vivre ça aussi peut-être, d’avoir

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un regard plus critique. Qu’ils aient un jugement aussi parce que les jugements faciles aujourd’hui j’vois ça souvent. Tu vois, j’suis même pas dans les savoirs, j’veux pas qu’ils retiennent telle, telle chose, mais, ouais. C’est plus une compétence que j’veux qu’ils développent. Quelque chose qui a un lien certain avec la lecture littéraire. (ENT)

Dans cet extrait, Josiane prend parti pour le développement, chez ses futurs étudiants, de compétences

lectorales et de savoir-être comme le jugement et l’esprit critique, et elle relègue au second plan l’acquisition de

savoirs littéraires déclaratifs. Josiane fait d’ailleurs le lien, dans l’entrevue, entre sa conception de

l’enseignement-apprentissage de la littérature et ses pratiques sociales de la lecture, en revenant sur les ateliers

de l’heure du conte qu’elle anime à la bibliothèque de son village. Cette insistance sur le plaisir et sur l’acquisition

de compétences et d’habiletés transversales nous semble pouvoir être mise en relation avec la propre histoire

de sujet lectrice de Josiane et avec sa prise de conscience des enjeux sociaux d’acculturation de son parcours

de lectrice et de littéraire. Elle est également le corolaire d’une mobilisation et d’une appropriation faibles de

savoirs disciplinaires et didactiques par Josiane. Finalement, elle nous parait être un effet de la doxa

pédagogique de l’approche par compétences qui s’impose depuis une vingtaine d’années au Québec : Josiane

a principalement retenu de son parcours disciplinaire collégial et universitaire des aptitudes langagières

transférables assez générales.

D’ailleurs, Josiane s’identifie aux étudiants du collégial, comme le montre cet extrait :

JOSIANE J’aime vraiment ça me recentrer sur l’élève, sur sa psychologie, sur c’qu’y vit. Ça me rappelle mes souvenirs, mais ça résonne aussi par rapport aux jeunes que je côtoie parce que moi je travaille en restauration pis je côtoie beaucoup de jeunes qui débutent leur cégep. […] Fec j’aime ça aussi essayer de me mettre à leur place, de revoir un peu comment j’ai vécu cette période-là et comment eux la vivent et de prendre ça en considération là, vraiment. Parce que, comme j’te l’ai dit, moi, pour moi le lien avec la personne c’t’important, fec le lien avec l’étudiant aussi c’t’important. Évidemment que j’aurai pas des liens avec tous les étudiants, j’en suis consciente. Fec faut baisser aussi un peu nos attentes par rapport à qu’est-ce qu’on veut faire en tant qu’enseignant. (ENT)

Dans le même sens, elle établit des liens « entre [s]es cours et [s]on rôle de mère, et la façon dont [elle est]

avec [s]es enfants, c’est aussi un peu la façon dont [elle va] être comme prof parce que ça fait partie [d’elle]!

Fec l’enseignement et l’éducation des enfants c’est très, très lié » (ENT). Josiane assume ici un « style »

professionnel que l’on pourrait qualifier de « maternel », une manière dominante d’entrer en relation qui

contraste avec l’ordre d’enseignement auquel elle se destine, qui forme de jeunes adultes.

Dans la catégorie « construction de soi comme (futur) enseignant », nous observons finalement l’évolution de

la conception de ce qu’est un bon enseignant pour Josiane :

JOSIANE Ma perception a complètement changé par rapport à ça pis étant donné que j’ai c’t’exemple fort-là, j’m’en suis servi dans mes travaux, mais j’avais répondu [en entrevue au cégep] qu’un bon prof c’était quelqu’un qui transmettait sa passion [pour la littérature]. J’avais dit ça. Fec l’idée de transmission du savoir, maintenant que j’vois qu’elle a un lien avec la cognition, euh, pas la cognition, le modèle cognitiviste, là, c’est drôle, ça a comme changé ma façon de voir. J’avais l’impression qu’on transmettait un savoir, que

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le savoir était un tout. C’était vraiment ça, j’ai baigné là-dedans carrément, c’est pour ça que ça m’est venu, maintenant je le sais. AG T’as baigné là-dedans au bac pis dans tes études antérieures? JOSIANE Ah, oui, oui, oui! Dans toutes mes études, mais, on le dit d’ailleurs que ce modèle-là est arrivé dans les années 90 et j’suis née en 89. J’ai baigné dedans toute ma vie! (ENT)

Cette représentation idyllique de la transmission de sa passion pour la littérature est récurrente dans l’entrevue,

mais elle tend à évoluer pendant la formation au D.E.S.S., qui concourt à nuancer certains préjugés et à

dissoudre ce fantasme de l’enseignant modèle. Ainsi, Josiane dit qu’elle « étai[t] dans un idéal » (ENT) et qu’elle

souhaite désormais se considérer comme une enseignante accessible « à qui on n’est pas gêné de poser une

question, pis qu’on va pas se sentir moins intelligent ou dénigré » (ENT). Elle affirme aussi qu’elle doit faire avec

qui elle est, composer avec son côté perfectionniste et son grand besoin d’« organisation-planification » (ENT).

Elle dit avoir appris, grâce à ses stages, qu’elle n’a pas à être honteuse « de ne pas en savoir assez pour être

prof » (ENT), ce qui a contribué à atténuer le sentiment d’« imposteur » (ENT) qui l’envahissait au début.

4.4.5 Bilan du portrait de Josiane

Le portrait de Josiane est traversé d’une grande tension constitutive et de nombreux clivages : sa représentation

de soi (comme sujet lectrice, comme étudiante en lettres et comme sujet lectrice enseignante) est omniprésente,

et la réflexivité dont fait preuve Josiane à l’égard de son parcours de sujet lectrice, de sa formation et de son

devenir enseignant peut laisser croire à un processus d’appropriation, mais pas au sens où nous l’entendions

initialement, à partir de Vanhulle (2009), comme construction de soi simultanée à l’élaboration de savoirs. En

effet, dans le cas de Josiane, nous sommes en présence d’une appropriation qui n’est pas médiée par les

savoirs, qu’ils soient disciplinaires ou didactiques, lesquelles sont peu voire pas convoqués. Peut-on alors

véritablement parler d’appropriation? Nous nous heurtons, avec Josiane, à la complexité inhérente à la nature

de sa réflexivité, qui parait autocentrée. Or, l’appropriation, bien qu’elle implique le retour sur soi, exige aussi un

décentrement qui se produit généralement lors de la confrontation avec un ou des savoirs institutionnalisés. En

l’absence de savoirs qui rendent possible cette médiation, le processus de co-construction semble oblitéré.

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104

Chapitre 5 Interprétation et discussion

Dans le chapitre qui précède, nous avons tenté de mieux cerner l’appropriation de savoirs didactiques par de

futures enseignantes de littérature du collégial. Pour ce faire, nous avons pris en compte la double polarité

intrinsèque à la définition de l’appropriation proposée par Vanhulle (2009) comme co-construction de soi et de

savoirs : cela nous a amenée à décrire comment ces futures enseignantes se comprennent elles-mêmes comme

sujets lectrices et comment elles se construisent comme sujets lectrices enseignantes. Nous avons également

considéré leur mobilisation de savoirs disciplinaires, supposés acquis au moment de leur formation en

didactique de la littérature. Après avoir fait apparaitre ce qui marque leurs discours, nous sommes à même de

renouer le dialogue avec les recherches dans notre champ et d’explorer quelques pistes interprétatives.

Dans ce cinquième chapitre, nous proposons une interprétation des données recueillies grâce aux carnets de

lectrices et aux entretiens semi-dirigés. Nous reprenons pour ce faire les thématiques qui ont structuré nos

questions spécifiques : mobilisation de savoirs disciplinaires et appropriation de savoirs didactiques, sujet

lecteur et sujet lecteur enseignant. Nous concluons ce chapitre par la présentation des défis et des limites de la

recherche. Formulons d’entrée de jeu une mise en garde : le nombre restreint de participantes à notre recherche

et la disparité notable entre les cas nous permettent difficilement de proposer des regroupements, et encore

moins des généralisations dans l’interprétation des données. Nous présentons donc tour à tour ce qui, pour

chacun des cas, nous semble justifier les éléments soumis à la discussion, en mettant en parallèle nos

observations avec celles de recherches menées dans des contextes analogues.

5.1 La mobilisation de savoirs disciplinaires et l’appropriation de

savoirs didactiques

5.1.1 Des hypothèses relatives au hiatus entre savoirs disciplinaires et savoirs

didactiques à nuancer

Au moment de cerner la problématique de ce mémoire, nous avons fait le constat de l’absence frappante de

travaux portant sur la formation à l’enseignement de la littérature au collégial, formation dont les contours sont

vaguement définis dans les cursus et dont les exigences demeurent peu explicitées dans les milieux collégiaux.

Nous avons voulu comprendre comment les futurs enseignants s’approprient des savoirs de leur formation

didactique, en tenant compte de trois plans identitaires mouvants que nous avons adaptés à partir de Vanhulle

(2009) : la personne avec son histoire de sujet lecteur, l’étudiant en formation, d’abord disciplinaire, puis

didactique et le sujet lecteur enseignant en devenir. Deux éléments coïncidant nous ont conduite à postuler une

discontinuité entre les savoirs issus des formations disciplinaire et didactique. D’abord, nous avons considéré

les nombreuses recherches menées dans notre champ pour documenter, dans des contextes plus ou moins

similaires à celui de la formation à l’enseignement collégial, le conflit entre l’appropriation de modèles

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didactiques articulés à la lecture subjective et les conceptions antérieures des futurs enseignants sur la lecture,

surdéterminées par des savoirs disciplinaires et des pratiques universitaires reproduisant de manière peu

réflexive une configuration traditionnelle de l’enseignement des lettres (Baribeau et Lebrun, 2005; Deronne,

2011). Puis, nous nous sommes appuyée sur une étude exploratoire (Sauvaire et Gagné, 2018) réalisée dans

un cours de didactique de la littérature, le même que celui qui a accueilli notre recherche, mais deux ans plus

tôt, auprès d’une dizaine de futurs enseignants de littérature du collégial. L’analyse des carnets de lecteurs pour

cette étude nous avait permis alors d’observer une mobilisation importante et assez généralisée de savoirs

disciplinaires, laquelle semblait faire obstacle à l’appropriation de savoirs didactiques par les futurs enseignants

(Sauvaire et Gagné, 2018). La plupart des textes collectés auprès de notre échantillon d’étudiants pour l’étude

exploratoire manifestait une primauté de la dimension épistémique44 (Émery-Bruneau, 2010; 2014). Assez

facilement, nous avions établi une correspondance entre ces résultats et les recherches en didactique de la

littérature faisant état du passage délicat de la maitrise des discours d’expertise sur la littérature à l’appropriation

de savoirs et de pratiques pour son enseignement (Langlade, 2000; Deronne, 2011).

Or, exception faite du cas d’Andréa, les résultats obtenus dans le cadre de la présente recherche de maitrise

invitent à nuancer les conclusions de l’étude exploratoire, et inversement. En effet, trois des quatre cas analysés

ici, bien que pour le moins contrastés, ne font pas ressortir cette tension vive entre la transmission de savoirs

sur la littérature et la planification d’activités de lecture littéraire pour les élèves (Baribeau et Lebrun, 2005), pas

plus qu’ils n’illustrent un effacement de la subjectivité des lectrices enseignantes ou une résistance vis-à-vis de

la prise en compte de la subjectivité des lecteurs élèves. Pour des raisons distinctes d’une participante à l’autre,

la difficulté à intégrer ses conceptions disciplinaires avec les savoirs didactiques nouvellement présentés ne

ressort pas, non plus qu’une minimisation de l’importance des savoirs et des pratiques nécessaires pour former

des sujets lecteurs étudiants (Sauvaire et Gagné, 2018).

Le portrait d’Andréa est le seul qui soit « caractéristique » des recherches recensées dans notre problématique

et des résultats de notre étude exploratoire. En effet, il n’y a que chez Andréa que l’on observe une certaine

asymétrie : chez Andréa c’est la maitrise des savoirs qui prime et c’est la posture45 scolaire, selon l’expression

de Bucheton et Soulé (1999), qui est embrassée, alors que le rapport à l’œuvre à enseigner se traduit par

l’application de notions et l’exécution de tâches techniques (Deronne, 2011). Dans le portrait de cette future

enseignante, nous remarquons la minoration voire la marginalisation des savoirs didactiques au profit des

savoirs de sa formation disciplinaire : en ce qui la concerne, l’adhésion à la culture disciplinaire traditionnelle

44 Les travaux d’Émery-Bruneau ont montré que le rapport à la lecture des futurs enseignants du secondaire est davantage déterminé par l’affectivité et l’axiologie que par les savoirs acquis en formation (2010). À cette conclusion échappe l’un de ses sujets, formé en études littéraires et ayant déjà enseigné au collégial, lequel valorise un « modèle transmissif d’enseignant expert de littérature » (Émery-Bruneau, 2010, p. 321). 45 « Une posture est un schème préconstruit du “penser-dire-faire”, que le sujet convoque en réponse à une situation ou à une tâche scolaire donnée. La posture est relative à la tâche mais construite dans l’histoire sociale, personnelle et scolaire du sujet » (Bucheton et Soulé, 2009, p. 38).

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semble constituer un frein à son appropriation de savoirs didactiques. Les cas de Valérie et de Gabrielle sont

beaucoup plus mitigés. En effet, les deux sujets ne semblent pas éprouver le choc entre le champ des études

littéraires et celui de la didactique de la littérature, malgré le fossé épistémologique et praxéologique qui les

sépare (Reuter, 2011). Nous relevons également peu de difficultés inhérentes à la restructuration de leurs

représentations antérieures, à la reconfiguration de leur identité (Saussez, 2009) ou à la transposition de leurs

savoirs littéraires (Vanhulle, 2005) : « y’a rien de contradictoire », dit Valérie « entre marier […] les savoirs

théoriques que j’ai appris à l’université au bac, à la maitrise pis les savoirs didactiques ou pédagogiques que

j’t’en train d’apprendre en ce moment » (ENT). Aptes à mobiliser des savoirs disciplinaires, ces deux futures

enseignantes ne paraissent pas désirer calquer la culture lettrée, et leur appartenance à cette culture ne semble

pas complexifier outre mesure leur appropriation de savoirs didactiques s’inscrivant dans le paradigme de la

lecture subjective. Finalement, dans le cas de Josiane, il est difficile de dire ce qu’il en est de la conciliation entre

savoirs disciplinaires et savoirs didactiques, puisque, comme l’analyse l’a montré, la mobilisation des savoirs

par Josiane est ténue, si on la compare, par exemple, à celle des professeurs du collégial en exercice de la

recherche de Babin qui a en effet montré que les enseignants du collégial de son échantillon traitent en classe

de savoirs hautement spécialisés, notamment historiques et esthétiques.

Ainsi, par rapport au fossé supposé entre les savoirs de leur formation disciplinaire et ceux de leur formation

didactique, les sujets de notre étude réagissent diversement. Ces résultats font écho à ceux dévoilés par De

Beaudrap, Duquesne et Houssais (2004), dans le cadre de leur vaste enquête visant à dresser un panorama

précis des représentations et des pratiques de la littérature et de son enseignement.

L’ensemble de ces analyses montre en effet clairement que, avant même le contact avec la classe, l’étudiant possède un certain nombre de références, en termes d’attitudes, de comportements, de savoirs, représentations que l’on peut supposer déterminées par le passé scolaire de la personne interrogée, sa fréquentation personnelle de la littérature. Ce système initial de représentations se trouve donc souvent mis à une série de bouleversements successifs provoqués par « des éléments perturbateurs » : l’université, qui contraint à substituer à une jouissance individuelle une analyse ressentie comme technique des textes, l’IUFM qui, pour reprendre les termes d’un étudiant, « fait de la littérature une matière à enseigner » et impose donc un nouveau changement de perspective, et la pratique professionnelle enfin, dans la mesure où elle engage, révèle des contradictions de la pensée, oblige à des choix. Face à ces mutations brutales, les réactions semblent diverses, allant de l’intégration de l’élément modificateur au système de représentations […] au rejet pur et simple […]. En tout état de cause, il paraitrait souhaitable de prendre davantage en compte dans la formation cette fragilité de systèmes de représentations qui jouent pourtant un rôle crucial dans l’entrée en fonction (p. 256).

La facilité de Valérie et de Gabrielle à se mouvoir d’un rapport à la littérature à dominante épistémique à un

rapport subjectif autant que la difficulté d’Andréa à se distancier du canon lettré peuvent être mises en relation,

entre autres, avec les finalités de l’enseignement de la littérature identifiées par les sujets et le rôle qu’elles

veulent endosser comme professeures de littérature. Andréa accorde une valeur prépondérante à

l’accroissement de la culture des étudiants et au fait qu’ils découvrent les œuvres majeures du patrimoine

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littéraire. Elle se positionne ainsi dans la continuité de la majorité des professeurs du collégial interrogés par

Dezutter et ses collaborateurs : « Conformément aux orientations des cours de français au collégial et aux

critères de sélection balisés par le ministère, ce sont les dimensions littéraires et patrimoniales qui constituent

les critères les plus souvent utilisés par les enseignants de ce niveau : la valeur de l’œuvre reconnue par

l’institution littéraire (95,9 % des enseignants) et son appartenance – du point de vue de l’enseignant – à une

culture littéraire de base (92,9 %) » (Dezutter, Babin, Goulet et Maisonneuve, 2012, p. 115). En revanche,

Valérie et Gabrielle appartiendraient plutôt, selon ce même classement, à la catégorie des professeures qui font

prévaloir le développement du plaisir de lire (finalité psychoaffective; seulement 1/3 des enseignants du collégial

sondés par Dezutter et coll.). Andréa, Valérie, Gabrielle et Josiane ont toutes évoqué l’importance d’enrichir, par

la littérature, les compétences langagières sous trois angles, déjà relevés par Émery-Bruneau (2014) chez huit

des dix sujets d’une étude qu’elle a menée avec l’équipe de RELIT : développer les compétences en lecture

(Valérie et Gabrielle), améliorer sa compréhension de la langue (Andréa) et former l’esprit critique (au moins

une mention par chacun des sujets de notre recherche). Selon Émery-Bruneau (2014), en plus de la formation

initiale, deux facteurs influencent de telles conceptions du rôle de la littérature : le contexte d’enseignement (au

secondaire supérieur ou en milieu favorisé) et les pratiques personnelles de lecture et d’écriture littéraires. Nous

reviendrons sur ce second volet un peu plus loin dans l’interprétation des résultats.

Bien que très contextualisés et non généralisables, les résultats de notre recherche nous autorisent tout de

même à formuler quelques observations ciblées sur la mobilisation de savoirs disciplinaires et sur l’appropriation

de savoirs didactiques par les sujets lectrices enseignantes. Nous tenterons dans les parties qui suivent

d’apporter des éléments de réponse à deux de nos questions spécifiques, en essayant de mettre au jour les

apports et les limites de la formation à l’enseignement de la littérature au collégial dans le cadre d’un curriculum

comme le Diplôme d’études supérieures spécialisées en enseignement collégial.

5.1.2 La mobilisation de savoirs disciplinaires : apports et limites de la formation

disciplinaire

5.1.2.1 Une faible rétention des savoirs disciplinaires

Les quatre participantes à notre recherche se montrent toutes, à un degré variable, critiques à l’égard des

savoirs qu’elles parviennent à mobiliser au terme de leur formation disciplinaire en études littéraires, de même

que vis-à-vis des pratiques d’enseignement et d’apprentissage mises de l’avant dans cette formation.

Eu égard à leur formation, les résultats rencontrent les recherches citées plus avant dans ce mémoire :

l’apprentissage et, en l’occurrence, la formation universitaire en études littéraires, rend difficile toute « “libre

imprégnation”, toute réception singulière d’un texte littéraire » (Ahr, 2017, p. 100). Comme 65 % des futurs

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enseignants sondés par Ahr (2017)46 qui affirment qu’il leur « a été rarement demandé de donner [leurs]

impressions sur un texte » (p. 99), nos sujets n’ont pas non plus « souvenir qu’on [leur] ait demandé [leur] avis »

(ENT de Gabrielle). Reste tout de même 35 % des stagiaires de l’échantillon de Ahr qui estiment avoir eu

l’occasion d’exprimer par écrit leur réception singulière des textes littéraires dans le cadre, notamment de

dissertations. À ce sujet, la didacticienne émet des doutes : « on ignore cependant ce que ces futurs enseignants

entendent par “lecture subjective” », question à laquelle « seuls des entretiens semi-directifs permettraient

d’apporter des éléments de réponse » (Ahr, 2017, p. 99). Dans l’entretien que nous avons mené avec Andréa,

nous lui avons justement demandé de préciser ce qui relève, pour elle, de la lecture littéraire dans les activités

de sa formation disciplinaire. Voici sa réponse : « [Dans les cours, on faisait] plus de la compréhension, mais

une dissertation, c’est ça pareil là [de la lecture littéraire] je veux dire, on interprète une intrigue, on interprète le

fil des actions des personnages, mais… j’ai l’impression que c’est encore très formel. […] Alors que dans la

lecture littéraire j’ai l’impression que quand on peut en parler, qu’on peut traduire ça, le transcrire, ça pourrait

prendre une forme moins méthodique, moins méthodologique » (ENT). Ainsi, la lecture littéraire serait-elle

subordonnée à des formes qui l’endiguent peu ou prou.

Concernant la mobilisation des savoirs disciplinaires, deux points notables ressortent de nos analyses : la faible

rétention déclarée ou observable des savoirs disciplinaires déclaratifs et le réinvestissement positif de savoirs

en lien avec la création littéraire dans l’approche subjective. Trois des quatre participantes à notre recherche

sont détentrices d’une maitrise en études littéraires : Josiane, Valérie et Gabrielle. Comme nous l’avons

mentionné dans la problématique, il n’existe pas de recherches qui fassent état des savoirs effectifs dont

disposent les diplômés à l’issue des programmes de formation québécois en lettres; nous devons donc nous

rabattre sur les programmes, sur l’unique recherche menée en aval auprès des professeurs du collégial en

exercice (Babin, 2016) ou sur les recherches réalisées dans des contextes ressemblants (Ahr, 2017). À

l’Université Laval, où les futures enseignantes de notre étude complètent leur D.E.S.S. en enseignement

collégial, la maitrise en études littéraires propose de dispenser une « formation théorique et pratique dans

différents domaines des études littéraires, permettant une spécialisation accrue en littérature […] » (Université

Laval, 2017). Le programme s’adresse aux candidats qui veulent acquérir « une bonne maîtrise de l’expression

orale et écrite, une grande capacité d’analyse et de synthèse ainsi qu’une vaste culture » (Université Laval,

2017). Ces visées paraissent complémentaires : la première suggère, au regard des termes « formation

théorique » et « spécialisation », l’apprentissage et l’approfondissement de savoirs disciplinaires; la seconde

46 Dans sa recherche Ahr (2017) s’intéresse comme nous à l’articulation entre la formation disciplinaire et la formation professionnelle dans une enquête par questionnaires soumis à plus de 82 enseignants formés d’abord en lettres, puis dans un cursus professionnalisant. Nous réfèrerons souvent, dans ce chapitre, aux travaux de cette didacticienne, qui présentent de multiples similitudes avec les nôtres : alors qu’elle se penche sur les modalités selon lesquelles les enseignants en formation intègrent les écritures de la réception dans leurs propres pratiques d’enseignement de la littérature, nous faisons à peu près le même cheminement, mais en questionnant comment ils s’approprient la lecture littéraire.

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met de l’avant la possibilité d’acquérir des compétences linguistiques, analytiques et culturelles transversales

qui permettent de discourir de la littérature – mais pas seulement! – dans des formes recevables en milieu

universitaire (Dumortier et Lebrun, 2006). Cela étant, malgré leur formation littéraire de 2e cycle, les participantes

à notre étude regrettent unanimement la faible rétention des savoirs disciplinaires déclaratifs, un manque auquel

elles disent suppléer grâce aux compétences linguistiques, analytiques et culturelles, sans que soit définie dans

leurs propos la culture à laquelle elles réfèrent.

Si l’impression de ne pas se souvenir des savoirs étudiés semble avérée dans les discours de Josiane et

discutable dans ceux des autres sujets, elle nous parait tout de même préoccupante. Dans l’entrevue, Valérie

critique les pratiques d’enseignement traditionnelles de son baccalauréat disciplinaire et déplore le fait qu’elle

se rappelle peu les savoirs de sa formation littéraire. Son propos s’inscrit ainsi dans la droite ligne des

recherches qui ont dénoncé les dérives de l’enseignement magistral en littérature pour la formation de sujets

lecteurs (Langlade, 2001; Legros, 2005), mais elle soulève également un étonnant paradoxe. En effet, ce que

les tenants des approches subjectives de la littérature déplorent, c’est l’altération de l’expérience de lecture à

laquelle les pratiques d’enseignement traditionnelles conduisent, alors qu’elles inféodent les textes à des objets

d’étude dont la maitrise par les élèves constitue la finalité affichée de l’enseignement de la littérature (Langlade,

2001). Or, si l’apanage du modèle universitaire de l’enseignement de la littérature est de faire apprendre des

savoirs déclaratifs qui ont pour vocation de servir les expériences de lecture (Langlade, 2001), il semble que ce

modèle faillisse sur le plan de la subjectivité, mais également sur le plan de l’épistémé : l’expérience de lecture

s’en trouve meurtrie au bénéfice hypothétique de la transmission de savoirs disciplinaires déclaratifs. C’est ce

constat de la maitrise ressentie comme précaire des savoirs disciplinaires déclaratifs, laquelle motive pourtant,

nous semble-t-il, la justification des pratiques canoniques technicistes, qui nous engage à réaffirmer la nécessité

d’ausculter les enjeux et les modalités de l’enseignement et de l’apprentissage de la littérature. Ainsi, nous

rejoignons Ahr (2017) lorsqu’elle affirme qu’il est urgent de s’interroger sur « la connaissance que les étudiants

ont des savoirs de référence sur lesquels les enseignements universitaire et scolaire se fondent aujourd’hui »

et qu’il revient à la didactique de la littérature de s’emparer de ce chantier (p. 100).

5.1.2.2 Le réinvestissement des cours de création dans l’approche subjective : « lire, c’est

créer, peut-être à deux » (Balzac)

Dans l’étude précitée, Ahr (2017) montre également que les formes écrites de discours produites par les futurs

enseignants à l’occasion de leur parcours disciplinaire sont de nature essentiellement métatextuelle : dans ses

82 questionnaires, les écritures de création ne sont citées que trois fois par rapport, par exemple, aux

dissertations, mentionnées 60 fois ou aux commentaires, évoqués à 57 reprises. Ce constat est interprété par

Bautier et ses collaborateurs (2000), qui font état d’une généralisation de la « méfiance vis-à-vis de la narration

considérée comme antinomique du discours scientifique » (p. 158). La polémique suscitée en France par la

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mise en place de l’épreuve d’écriture d’invention au baccalauréat de français et le rejet qu’elle a suscité au

départ illustre bien ces réticences (Petitjean, 2005), autant que son potentiel retrait dans la réforme du bac

prévue pour 2021 et annoncée par le ministre Blanquer au début de l’année 2018. Dufays (2006b) a quant à lui

souligné la tendance universitaire marquée « à aborder la littérature surtout par le biais de la lecture et des

savoirs [qui] conduit souvent à négliger les axes, à la fécondité maintes fois soulignée, de l’écriture (cf. Penloup,

2000) » (p. 92). Plus récemment, Frier (2016) écrivait que l’on commence tout juste à remettre en question la

dichotomie entre formation scientifique et écriture d’invention, et le « déni de “sérieux” à l’égard du genre narratif

qui n’aurait rien en commun avec celui du savoir et de la raison » (p. 182). Les résultats obtenus dans notre

recherche appuient cette nouvelle orientation. En effet, trois de nos participantes ont choisi, lors de leurs études

disciplinaires, un profil en création littéraire. Or, nos analyses suggèrent que l’écriture créative serait à même

de favoriser aussi bien la rétention de savoirs disciplinaires que leur réinvestissement dans l’approche

subjective.

Dans l’entrevue comme dans les carnets, il semble que les savoirs disciplinaires déclaratifs les plus aisément

mentionnés par les participantes soient ceux qui ont été vus et expérimentés dans les cours de création littéraire,

même en ce qui concerne l’étudiante qui n’a pas choisi cette concentration, mais qui a tout de même fait des

cours de création en option (Josiane). Ce sont également les cours de création qui semblent avoir été vécus

avec le plus d’enthousiasme par les participantes, et ce sont ceux dans lesquels elles se sont le plus investies,

à leurs dires. Ainsi, Gabrielle affirme de son certificat en création qu’il a représenté « une année de bonheur

complet » (ENT), Josiane soutient qu’elle doit beaucoup de son esprit artistique à ses cours de création et

Valérie insiste sur le fait que les savoirs disciplinaires qu’elle a acquis et qu’elle a retenus sont ceux qui ont été

vus dans ses cours de création littéraire. Ces conclusions rejoignent celles de Lafont-Terranova (2009) sur les

apports motivationnel et euristique des ateliers de création, posées à partir d’expériences menées dans les

cours de deux filières de l’enseignement supérieur en Belgique. Elles avalisent en outre les propos de Petitjean

(2017), qui engage à penser l’écriture créative non plus seulement comme germe de la production d’œuvres,

mais comme germe théorique et didactique, comme une « heuristique narrative » au cœur de la connaissance

scientifique (Bautier, Manesse, Peterfalvi et Verin, 2000, p. 159, dans Frier, 2016, p. 182).

On voit d’autre part apparaître un courant de la didactique de l’écrit qui s’intéresse plus spécifiquement au rôle joué par le récit/narration dans la construction de la connaissance en général et du savoir scientifique en particulier, autrement dit à la fonction didactique du récit dans les différentes disciplines (Reuter, 2007). L’idée est que, contre toute attente, le récit pourrait susciter/accompagner les apprentissages théoriques (Daunay et Denisot, 2004). On assiste donc à l’émergence d’un courant de la didactique qui remet aujourd’hui en question cette vision positiviste un peu restrictive du savoir scientifique et de sa construction en défendant une « heuristique narrative » de la connaissance (Bautier et coll, 2000, p. 159) et en redonnant une place au récit dans l’enseignement scientifique (Frier, 2016, p. 182).

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Considérant nos analyses, loin d’empêcher le développement de connaissances et l’appropriation de savoirs,

l’écriture créative semble au contraire les susciter et les accompagner en les mettant en mouvement (Bruner,

2005).

Par ailleurs, comme nous l’avons déjà mentionné, les deux sujets de notre étude qui ont reçu une formation à

la maitrise en création littéraire, Valérie et Gabrielle, sont celles qui semblent atteindre le plus haut degré

d’appropriation des savoirs didactiques en lien avec le concept de lecture littéraire. Dans son carnet, Valérie

affirme que « la pratique de l’écriture d’invention a […] teinté [s]a conception de la lecture littéraire » (C2). Nous

croyons que ce n’est pas seulement leur solide formation disciplinaire et leur capacité à mobiliser les savoirs à

enseigner qui servent de tremplin à l’appropriation de savoirs didactiques chez Valérie et Gabrielle – ceux qui

apprennent bien le font souvent dans des disciplines connexes –, mais qu’une explication peut aussi être à

chercher du côté de leur profil de sujets scriptrices. D’autres avant nous ont établi un lien entre le rapport à

l’écriture des enseignants et leurs pratiques – potentielles – d’enseignement de la lecture (Blaser, 2007;

Chartrand et Blaser, 2006; 2008). Plusieurs études ont en effet montré combien la dimension scripturale

constitue un paradigme clé dans les apprentissages de la lecture littéraire (voir Le Goff, 2017), et que l’écriture

d’invention est un espace d’expérimentation et de construction de savoirs et de savoir-faire, où le sujet scripteur

découvre le sujet lecteur singulier qu’il est également (Le Goff, 2004). En didactique, l’importance accordée à

l’activité du lecteur et les pratiques d’écriture se sont développées en étroite relation, traçant de nouvelles voies

et confirmant réciproquement leur valeur euristique. Le Goff (2017) dit ainsi que les écritures créatives sont de

plus en plus mobilisées dans les expériences de lecture et qu’elles ont un rôle à jouer dans la formation du sujet

lecteur, étant entendu que soit instaurés « des partenariats avec la lecture, la connaissance des genres

littéraires, la maîtrise de la langue ou encore l’apprentissage du commentaire » (Le Goff, 2004, p. 303). Dans le

cas de Valérie et de Gabrielle, peut-être sont-ce leurs pratiques d’écriture qui les disposent à s’approprier, d’une

certaine manière, la lecture littéraire. Leurs portraits donnent à penser que l’écriture d’invention pourrait simplifier

l'accès au sujet lecteur de littérature, qu’elle pourrait « provoque[r] un rapport spécifique au texte […] de nature

à en faciliter l’accès et le commerce, à neutraliser l’admiration et l’analyse critique qui éloignent, à privilégier

l’implication du sujet lecteur » (Huyn, 2004, p. 305). Il s’agit, pour cela, de sortir de l’idée « selon laquelle la

lecture est réception et l’écriture production » (Joole, 2013, p. 147).

Il est à cet égard révélateur, nous semble-t-il, de relever qu’à la question de l’entrevue « As-tu des exemples

d’activités de lecture littéraire réalisées dans ton baccalauréat/maitrise? », les participantes évoquent

unanimement, voire exclusivement, leurs cours de création littéraire. L’écriture d’invention apparait ainsi comme

« une chance pour penser autrement l’articulation de l’écriture et de la lecture des textes relevant du champ de

la littérature, pour développer des stratégies originales, concurrencer des pratiques modélisantes et

applicationistes et se tourner vers des modèles heuristiques » (Le Goff, 2004, p. 294). Chez nos sujets du moins,

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elle semble « offrir la possibilité de renouveler la lecture en éclairant l’activité du sujet lecteur, partagée et

singulière, identificatoire et distanciée, complexe » (Huyn, 2004, p. 316). Les relations que nous avons mises

au jour entre écriture créative et appropriation facilitée de savoirs didactiques ancrés dans l’approche subjective

sont une avenue qu’il nous parait intéressant d’investiguer, particulièrement considérant que seulement 4 % des

professeurs de littérature du collégial en exercice affirment adopter une approche centrée sur le pôle lecteur

(Maisonneuve et coll., 2010, dans Babin, 2016).

5.1.3 L’appropriation de savoirs didactiques : apports et limites de la formation

didactique

Notre recherche prend place dans le premier cours de didactique de la littérature suivi par les futures

enseignantes47. Leur formation à l’enseignement étant engagée depuis peu, il est seulement possible d’analyser

une appropriation des savoirs didactiques en voie de développement et, à bien des égards, balbutiante. Il va

sans dire que l’envergure du processus d’appropriation comme co-construction de soi et des savoirs dépasse,

par sa complexité et sa durée, les possibilités d’une analyse réalisée à partir d’un petit corpus d’écrits réflexifs

et d’entrevues semi-dirigées. Or, malgré la résistance au dispositif de formation manifestée par quelques

étudiants de la cohorte de 2015-2016 (Sauvaire et Gagné, 2018), les résultats recueillis dans le cadre de l’étude

exploratoire suggéraient que certains savoirs didactiques font bel et bien l’objet d’une appropriation par les futurs

enseignants au fil des quinze semaines, et que cette appropriation peut s’observer dans leurs écrits réflexifs.

De fait, les carnets de lectrices, complétés dans cette recherche par les entretiens semi-dirigés, ont permis de

prendre acte de l’appropriation de savoirs didactiques par les sujets lectrices enseignantes. Après avoir décrit

cette appropriation, très variable d’une participante à l’autre, nous nous intéresserons à ce qui, pour les sujets

de notre étude, la soutient ou lui fait obstacle.

5.1.3.1 Une appropriation des savoirs didactiques inégale d’un sujet à l’autre

Comme le mentionne Vanhulle (2004), l’appropriation de savoirs varie significativement d’un sujet en formation

à l’autre : elle est influencée particulièrement par la trajectoire propre à chaque sujet, par son horizon d’attente

vis-à-vis de la formation et par sa représentation de lui-même comme futur enseignant. Les participantes à notre

étude, elles aussi, s’approprient les savoirs de manière diverse et inégale. Toutefois, comme pour les futurs

enseignants qui ont pris part à la recherche doctorale de Vanhulle (2002; 2004; 2009) échelonnée sur trois ans,

Andréa, Valérie, Gabrielle et Josiane parviennent à construire des significations et à transformer leurs

connaissances de départ. Le caractère modeste de notre recherche ne nous autorise pas, évidemment, à

47 Le D.E.S.S. en enseignement collégial prévoit généralement deux cours de 45 h en didactique de la littérature, un à la session d’automne et l’autre à la session d’hiver. Or, en raison du nombre anormalement bas d’inscrits dans la concentration littérature en 2017-2018, les participants à cette étude n’ont pas pu bénéficier de leur second cours de didactique : ils ont été mêlés à des étudiants d’autres disciplines dans un practicum non disciplinaire en planification de l’enseignement collégial.

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déterminer avec précision à quel point ces contenus sont appropriés et stabilisés, mais les quatre degrés à partir

desquels nous avons codé les données nous permettent néanmoins de proposer une appréciation qualitative

de cette appropriation.

L’appropriation, rappelle Vanhulle (2002), ne peut faire l’impasse sur la nécessaire implication de chacun; elle

requiert l’engagement authentique du sujet dans le dispositif formatif, la prise de risque énonciative. Pour

atteindre le degré de l’élaboration conceptuelle, il faut que les nouveaux savoirs soient incorporés aux schèmes

de pensée et d’action du sujet. Chez Andréa, comme nous l’avons montré, l’appropriation des savoirs

didactiques semble en partie inhibée par la posture scolaire adoptée. Cette posture a bien servi l’étudiante dans

sa formation disciplinaire, mais elle semble insuffisante pour que l’enseignante en devenir développe « son

propre système conceptuel et praxéologique » (Vanhulle, 2002, p. 53). La posture scolaire caractérise de fait

non pas l’enseignant, mais l’étudiant qui « essaie avant tout de rentrer dans les normes scolaires attendues,

tente de se caler dans les attentes du maître » (Bucheton et Soulé, 2009, p. 39). Pourtant, Andréa est la future

enseignante chez qui la formation didactique provoque le plus de tensions, qualifiées par Vanhulle de

« fécondes » : ces tensions sont d’ordre affectif (touchant notamment aux images de soi, aux valeurs et

croyances), épistémique (par la remise en cause de ses connaissances préalables), ou pragmatique (par la

remise en question de ses manières d’agir habituelles) (Vanhulle, 2002, p. 52). Chez Valérie et Gabrielle,

l’appropriation procède par la médiation des activités et des pratiques didactiques; nous développons cet aspect

au point suivant. Quant à Josiane l’appropriation de savoirs didactiques se déploie diversement selon le mode

de collecte de données : dans son carnet, on relève plusieurs occurrences du degré « élaboration conceptuelle

à partir de savoirs didactiques », ce qui laisse croire à la construction d’un modèle didactique par la sujet lectrice

enseignante. Pourtant, dans l’entrevue, l’appropriation des savoirs didactiques est limitée aux deux premiers

degrés (identification et explicitation) et la nomination des savoirs semble ardue. Nous reviendrons sur ceci au

point 5.3.2. Mentionnons en outre que pour Gabrielle et Josiane, la formation au D.E.S.S. constitue un retour

aux études après une longue période d’absence, motivée par des raisons personnelles ou professionnelles. En

fait, quatre des huit étudiants inscrits au cours de didactique de la littérature en début de session effectuaient

un retour aux études. Cette circonstance doit être prise en compte puisqu’elle peut avoir un effet sur la capacité

des participantes à s’approprier des savoirs didactiques et à les tisser finement aux savoirs disciplinaires.

5.1.3.2 L’écriture réflexive et les activités de lecture subjective comme moteurs de

l’appropriation des savoirs didactiques

Si la question de l’articulation entre lecture littéraire et écriture réflexive semble encore émergente, tout

spécialement en formation des enseignants, sa situation à la confluence des approches dites « subjectives » de

l’enseignement de la littérature et des conceptions « réflexive » ou « critique » de la littératie (Molinié, 2009;

Hébert, 2007) signale sa portée euristique (Sauvaire et Gagné, 2018). Certains auteurs ont en effet étudié la

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contribution significative des écrits réflexifs à la formation de sujets lecteurs scripteurs (Dubois-Marcoin, 2009;

Kervyn, 2009; Rouxel et Langlade, 2004; Tauveron, 2007). À l’issue de notre problématique et dans la partie de

notre cadre théorique consacrée à la notion d’appropriation, l’on peut lire ceci : nous voulons observer si, en

tant que savoir mobilisé en formation à l’enseignement collégial (grâce à des activités et à des pratiques liées à

l’approche subjective comme le carnet de lecteur), la lecture littéraire peut constituer une source de tension, une

« médiation structurante et régulatrice » (Buysse et Vanhulle, 2009; 2010) capable de déclencher des

transformations et de modifier le rapport aux objets d’enseignement et d’apprentissage que sont la lecture et la

littérature chez l’enseignant en devenir. Au regard de nos résultats, concordants à cet égard avec ceux de l’étude

exploratoire, nous sommes en mesure de corroborer, provisoirement du moins, cette hypothèse : à l’instar

d’Émery-Bruneau (2010), nous avons constaté que les activités de lecture littéraire – et leur analyse au moyen

de l’écriture réflexive en formation – apparaissent comme des moyens prometteurs pour aider les futurs

enseignants à s’approprier des modèles didactiques d’enseignement de la lecture subjective.

Dans notre recherche, c’est véritablement la conjonction entre activités de la lecture littéraire et retour sur celles-

ci grâce à l’écriture réflexive qui permet d’observer le plus haut degré d’appropriation. De manière générale,

nous remarquons, particulièrement dans les carnets, une relation entre les énoncés relatifs à l’élaboration

conceptuelle à partir des savoirs didactiques (E_01_04) et la conceptualisation à partir d’un retour sur les

activités et pratiques expérimentées (E_02_04). Un exemple très tangible de ce changement de degré dans

l’appropriation des savoirs se fait jour lorsqu’on compare la première définition de la lecture littéraire des futures

enseignantes, soumise au tout début du dispositif, et leur remaniement de cette définition en fin de parcours :

entre les deux moments, des activités de lecture littéraire ont été expérimentées (un comité de lecture, un débat

interprétatif) et des écrits réflexifs sur ces activités ont été produits dans le carnet. Dans leurs premières

définitions, l’on remarque que les sujets lectrices enseignantes présentent essentiellement une sélection

consciente d’éléments de définition des savoirs enseignés en formation sous la forme de citations juxtaposées

à partir des textes théoriques lus (degré identification/description). Elles peuvent aussi reformuler les propos

des auteurs, souvent ceux de Dufays, en les paraphrasant ou en les exemplifiant (degré

explicitation/justification). Pour reprendre un terme issu de la typologie de Vanhulle (2005), il s’agit d’une

appropriation dite d’adhérence, c’est-à-dire que les formées s’affilient aux fondements du concept de lecture

littéraire selon un principe d’homologie, en adhérant peu réflexivement à ce qui leur est proposé. Pour toutes

nos participantes, le retour réflexif sur les activités de lecture littéraire vécues permet une meilleure appropriation

des enjeux du savoir didactique. Cette appropriation est affirmée explicitement dans les entrevues et elle

transparait dans les définitions finales de la lecture littéraire, et ce, que les futures enseignantes s’énoncent

comme sujets lectrices (codes D) ou comme sujets lectrices enseignantes (codes E). Dans leur texte final, les

sujets lectrices enseignantes parviennent mieux à identifier les implications et applications de la lecture littéraire

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en articulant le concept à un modèle didactique en construction (degré élaboration conceptuelle). On parlera

alors davantage d’adhésion (Vanhulle, 2005), c’est-à-dire que les activités autour de la lecture littéraire sont

désormais passées au crible du questionnement des participantes. La plupart du temps, les activités qui ont

fonctionné pour les sujets lectrices sont jugées dignes d’être transposées dans leur future pratique ou

reproduites dans leur enseignement (Andréa, Josiane), ou alors elles sont nuancées pour s’adapter davantage

au public du collégial (Valérie, Gabrielle). L’expérience des sujets lectrices dans les activités de lecture littéraire

est ainsi généralisée pour être repensée, avec un niveau d’approfondissement variable, en tant que sujets

lectrices enseignantes.

Parmi les activités proposées en formation, la pratique du débat interprétatif est la plus mentionnée dans les

écrits réflexifs finaux. Ces résultats convergent avec ceux de l’étude exploratoire (Sauvaire et Gagné, 2018)

ainsi qu’avec ceux que Vanhulle (2006) a obtenus dans le contexte de la formation à la lecture des enseignants

du primaire. L’usage pragmatique des savoirs vus semble ainsi servir la transformation de ces savoirs dans une

énonciation singulière (Vanhulle, 2009). En d’autres termes, pour les participantes à notre recherche, faire

l’expérience des activités de lecture subjective en les combinant à l’écriture réflexive semble jouer un rôle positif

dans l’appropriation conceptuelle de la lecture littéraire.

5.1.3.3 Les résistances du milieu collégial perçues vis-à-vis de l’approche subjective

Si les activités de lecture subjective sont en cours d’appropriation par les participantes à notre étude, il nous

faut préciser que l’un des écueils redoutés par celles-ci – et peut-être une limite de l’appropriation – réside dans

la transposition de l’approche subjective au sein du milieu collégial. Cette difficulté émerge tant lorsqu’elles

parlent de leurs stages en cours que lorsqu’elles se projettent dans leur pratique future de l’enseignement.

Certaines des contraintes signalées relèvent de perceptions intériorisées par les sujets ou de dispositions

personnelles (par exemple, Andréa qui se décrit comme étant très conservatrice et respectueuse des règles et

qui dit vouloir que la dissertation continue de prévaloir dans ses cours). D’autres limites ont été scientifiquement

documentées par les chercheurs évoqués ci-après. Nous distinguons quatre types d’objections : celles qui sont

liées au contexte d’enseignement, celles qui émanent de différentes instances (ministère, départements), celles

qui proviennent des enseignants eux-mêmes et celles qui sont associées aux étudiants du collégial. Les futures

enseignantes évoquent 1) la taille des groupes qui empêche la réalisation d’activités comme le débat interprétatif

(Valérie et Josiane); 2) les programmes très chargés qui laissent peu de place à la créativité des enseignants

(Josiane); 3) la tendance quasi exclusive à la production de discours métatextuels et la réticence par rapport

aux autres formes écrites, comme l’écriture d’invention ou l’écriture de la réception (Andréa); 4) la prégnance

de l’évaluation et ses contraintes incompatibles avec, par exemple, la formulation d’interprétations subjectives

par les étudiants (Valérie); 5) la résistance des autres enseignants vis-à-vis de pratiques ou d’activités novatrices

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(Andréa et Josiane); 6) l’attitude blasée des étudiants (Gabrielle), leur « esprit artistique » (ENT) peu développé

(Josiane) et leur motivation mitigée (Andréa et Valérie). Plusieurs de ces considérations sont si intriquées qu’il

est impossible de déterminer s’il s’agit de contraintes ou de conséquences de celles-ci. Or, au moins cinq de

ces six pierres d’achoppement identifiées par les enseignantes en formation peuvent être associées, de près

ou de loin, à l’une des orientations qui se dégage des instructions officielles au Québec : l’exercice de la

dissertation critique, qui, dans la foulée du Renouveau de 1993, constitue une épreuve obligatoire au terme des

études collégiales (Roy, 2001). En 2013, un collectif composé d’une dizaine de professeurs du collégial de

partout à travers le Québec signait un texte d’opinion, dont voici un extrait :

En gestation de 1993 à 1996, l’Épreuve uniforme de français (EUF), une dissertation critique portant sur un ou des textes littéraires, est devenue dès 1998 essentielle à l’obtention d’un DEC. Aux premiers temps de la réforme, la « Bête », puisque c’est ainsi que nous l’avons baptisée, se contentait de la matière du cours de littérature québécoise (le 103). Très vite, on y enrôla tous les étudiants en service dissertatif obligatoire. Peu à peu, la préparation des étudiants à l’EUF devint le mantra obligé non seulement du 103, mais aussi du 102 (Littérature et imaginaire), puis du 101 (Écriture et littérature), soit 180 heures marquées par sa morsure. Notre mission se bornerait désormais à une seule phrase-couleuvre : « Préparer nos étudiants à l’EUF », sous peine d’être dévorés par la Bête. La contrainte se répandit comme une traînée de poudre : de nombreux départements de français imposèrent jusqu’à trois dissertations par cours de français en amont de l’EUF. Vous avez bien lu : jusqu’à neuf dissertations pour… dompter la Bête (Vallée et coll., 2013, paragr. 2).

Source non scientifique, certes, il n’en demeure que ces propos d’enseignants sont corroborés, entre autres,

par Roy (2001), dans une enquête appuyée sur les témoignages d’un important échantillon de professeurs du

collégial et sur le contenu d’une centaine de plans de cours. L’auteur conclut que

si les textes officiels restent vagues, s’ils prêtent encore à interprétation et s’ils autorisent les initiatives, le programme de formation générale prévoit, dans tout le réseau collégial, un enseignement de la littérature quasi uniforme [dans lequel] l’apprentissage progressif de l’analyse à la critique doit se faire en trois cours de 60 heures chacun, répartis en trois sessions de 15 semaines chacune. On réserve au moins la moitié du temps des cours à des leçons d’histoire littéraire, à des études de textes et à la présentation de notions théoriques issues notamment de la linguistique, de la rhétorique et de la narratologie. Le reste du temps sert habituellement à enseigner et à appliquer les principes des genres scolaires (p. 4).

Les objections soulevées par les futures enseignantes de notre recherche quant à la possibilité d’intégrer la

lecture subjective à leur enseignement paraissent donc légitimes. Les impératifs ministériels, implicites ou

explicites, participeraient de ce que Goulet (2000) nomme une technicisation de l’enseignement de la littérature,

lui qui dénonce le fait que savoir lire, selon le discours officiel, c’est d’abord savoir analyser. Les programmes

prescrits par le ministère sont formulés en termes de buts, de finalités et de compétences (Lapierre, 2014). Or

l’approche par compétence s’applique mal aux cours de la formation générale en littérature, dont les finalités ne

sont pas facilement traduisibles en terme d’« activités mesurables et observables » (MEES, 2000). Comme l’a

souligné Dufays (2001), « être compétent en littérature ne se limite pas à pouvoir mobiliser des savoirs […] cela

consiste aussi à développer un certain état d’esprit […] des attitudes “gratuites” qui ne sont pas évaluables dans

le cadre d’un travail scolaire » (p. 249). Dans le même ordre d’idées, De Singly (1993, dans Ahr et Butlen, 2012)

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a montré qu’il n’y a pas de lien automatique entre la compétence en lecture et la lecture elle-même. D’après ses

travaux, d’une part, une personne peut savoir lire et ne pas lire et, d’autre part, la lecture apparait en partie

indépendante de la compétence en français.

Ainsi, faisant écho aux propos de Josiane sur le poids des programmes et l’étiolement de la place dévolue à la

créativité des enseignants, Roberge (2006) affirme que l’exercice de dissertation a pris une telle ampleur qu’il

fait ombrage à tout ce qu’il devrait intégrer ou contrôler. Dans la même veine, Dezutter et ses collaborateurs

(2012) soutiennent que c’est notamment l’influence du programme de formation qui fait que les enseignants

visent surtout la finalité esthético-culturelle et qu’ils étudient essentiellement en classe les procédés stylistiques :

« la lecture est presque toujours prétexte à la rédaction d’un texte scolaire – analyse, commentaire composé ou

dissertation – imposée par le programme (Gouvernement du Québec, 2009a) et obligatoirement précédé d’un

plan » (Babin et Dezutter, 2018, p. 275). Comme le mentionne Andréa, les discours qu’il est demandé aux

collégiens de produire sont ainsi majoritairement métatextuels : cela met à mal les « expériences pédagogiques

et [la] création écrite ou théâtrale. La nouvelle culture de l’évaluation est retournée aux valeurs passéistes de

l’enseignement traditionnel, soit l’analyse et la dissertation » (Lecavalier et Richard, 2009, p. 1), et son « cadre

étroitement individualiste […] constitue un […] obstacle énorme au développement de nos intelligences »

(Canvat, 2015, p. 16). Cette mainmise de l’évaluation remarquée par Valérie n’est donc pas sans conséquence :

« pour uniformiser les pratiques et évaluer aisément ce que l’élève en retire, nous avons tenté de standardiser

une matière, la littérature, et nous l’avons, ce faisant, perdue » (p. 2), de déplorer Roberge (2006). Dans ces

circonstances, l’on ne s’étonnera pas de la motivation à tout le moins chancelante des étudiants dont parlent

nos quatre participantes, motivation qui est identifiée comme le second défi en ordre d’importance, après la

maitrise du français, par 166 enseignants de la formation générale au collégial sondés par Karsenti, en 2015.

Les deux principales pistes d’amélioration proposées par ces mêmes enseignants sont la valorisation de la

formation générale auprès des étudiants et la valorisation des exigences en français (Karsenti, 2015)48. Or,

aujourd’hui, « les élèves abordent le français et la littérature avec respect, quand ce n’est pas avec une certaine

crainte » (Roberge, 2006, p. 1) et leur motivation est plus extrinsèque qu’intrinsèque, dans la mesure où elle

liée à leur volonté de réussir l’épreuve uniforme de français plutôt qu’à un réel intérêt pour les cours de littérature

ou pour la lecture. S’ils lisent, ils ne se départissent pas de leur « obsession de décortiquer, pour ensuite

disserter. Le cours devient une chasse aux figures de style ou le moment de pressantes interrogations sur les

marqueurs de relation, que l’on voudrait parsemer à l’avance dans un texte encore vide de toute idée »

(Roberge, 2006, p. 1).

48 L’on retrouve aussi, parmi les solutions évoquées, la diminution de la taille des groupes.

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Au regard de ces constats partagés par nos participantes et par la communauté scientifique, le rôle de la

formation en didactique de la littérature n’est-il pas d’outiller les futurs enseignants pour qu’ils puissent se

prémunir de l’orthodoxie, pour qu’ils refusent la soumission « à la lettre aux devis ministériels [et qu’ils prennent]

l’initiative de proposer à leurs étudiants des activités ne relevant pas d’une stricte lecture objective et savante

des œuvres littéraires, mais en appelant plutôt à l’exercice […] de leur subjectivité et de leur créativité » (Goulet,

2000, p. 82)? Mais pour résister, contester, renouveler et enrichir la formation du lecteur littéraire, les sujets

lecteurs enseignants ne doivent-ils pas revenir d’abord à eux-mêmes comme sujets lecteurs?

5.2 Des liens à cultiver en formation entre sujet lecteur et sujet

lecteur enseignant

Les résultats de notre recherche mettent en évidence les traits communs entre les sujets lectrices et les sujets

lectrices enseignantes. Après Émery-Bruneau (2010), nous traçons un parallèle entre ce que la didacticienne a

nommé les plans personnel et didactique, le premier relevant des conceptions et pratiques individuelles de la

littérature des sujets lectrices et le second renvoyant à la façon dont elles entendent former des étudiants à la

littérature. Nos analyses font en effet ressortir un rapport étroit entre les pratiques personnelles de la littérature

de nos participantes (codes D : sujets lectrices) et les pratiques qu’elles disent vouloir privilégier pour enseigner,

leurs intentions didactiques (codes E : sujets lectrices enseignantes). Nous avons ainsi relevé une perméabilité

entre les deux instances du discours. Néanmoins, cela nous a amenée à déceler chez toutes les participantes

à notre étude une fracture entre la sujet lectrice et la sujet lectrice enseignante, fracture qui prend des formes

variées.

5.2.1 Un rapport à la littérature avant tout subjectif

Rappelons d’abord, à la lumière de nos données, cette évidence que l’on a tendance à oublier : les enseignants

de littérature du collégial sont, premièrement, des lecteurs. Lorsqu’elles se décrivent comme lectrices, les

participantes à notre recherche racontent un ou des évènements de lecture, une notion théorisée par Langlade

(voir Cambron et Langlade, 2015) pour rendre compte spécifiquement de l’expérience subjective de la littérature,

des retentissements personnels, souvent intimes qui peuvent caractériser la rencontre d’un lecteur avec une

œuvre. Les expériences de lecture fondatrices évoquées par les participantes dans leurs autobiographies de

lectrices ou dans les entrevues sont de nature psychoaffective : les lectrices s’y investissent corps et âme. Même

pour Andréa, chez qui le recours aux savoirs disciplinaires est omniprésent, il est question d’émotion sincère

suscitée par le travail sur le langage. Valérie, Gabrielle et Josiane affirment quant à elles qu’elles ont été

longtemps animées, dans leurs lectures personnelles, par la littérature de divertissement. Une opposition

s’établit déjà, dans les discours de nos sujets, entre lectures privées et lectures « obligées, programmées,

besogneuses, évaluées », autrement dit, lectures scolaires (Chartier, 2002, p. 179). Ces lectures diffèrent du

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point de vue de leurs objets et des modes d’appropriation qu’elles supposent. En tenant compte du regard

subjectif posé sur les souvenirs de lecture d’enfance ou d’adolescence, il se fait jour une séparation nette des

deux ensembles, qui n’empêche pas des intersections, soutiennent les contributeurs à l’ouvrage de Demougin

et Massol (1999). Comme sept des dix sujets de l’enquête de 2014 d’Émery-Bruneau, toutes nos participantes

opèrent également une séparation dichotomique de la littérature en deux grands types : la « grande littérature »

et la « petite littérature », un classement qui n’est pas sans rappeler le modèle sociologique de la littérature

(Bourdieu, 1992) où le champ littéraire est composé des sphères de production restreinte et large. Ainsi, il y a

ce qui est lu « en classe et ce qu’on peut lire à la maison, ce qu’il faut connaître pour participer d’une culture

légitime et ce qu’on veut reconnaître comme objet d’une découverte personnelle, même si la réalité des

pratiques scolaires et privées est loin d’être aussi tranchée » (Demougin, 1999, p. 61).

5.2.2 Une formation disciplinaire au collégial et à l’université en rupture avec les

pratiques ordinaires des sujets lectrices

C’est ainsi bel et bien d’une rupture dont témoignent nos participantes lorsqu’elles décrivent leurs pratiques

personnelles de la littérature et celles induites par leur formation disciplinaire, les lectures qu’elles choisissent

sur le mode privé et celles qui leur ont été imposées. Les sujets lisent généralement à des fins affectives ou

pour se bâtir un capital culturel; quand elles lisent en contexte scolaire, c’est essentiellement en poursuivant des

visées d’apprentissage (Émery-Bruneau, 2010). Valérie parle ainsi d’une « formation scolaire qui ne [lui] a

presque jamais permis de formuler une réaction ou une appréciation » (C5) sur sa lecture; Gabrielle affirme que

c’est au cégep qu’elle a « vraiment appris à lire » (C1, la participante souligne); Andréa se dit consciente, mais

en désaccord, avec les critiques sur sa manière de lire « strictement académique, incompatible à celle

d’évasion » (C5); Josiane, finalement, relate que depuis sa « formation en littérature [elle] n’[a] jamais pu

“redescendre” vers une littérature plus populaire » (C1). Le clivage entre appréhension privée et appréhension

scolaire de la littérature conduirait ainsi, selon Rouxel (2004), « de la contrainte à l’ennui ou de la contrainte au

plaisir » (p. 59). Pour nos participantes, de la contrainte nait tantôt l’embarras de ne pouvoir qu’à demi revenir à

ce « rapport émotionnel au texte […] vécu dans la sphère privée » (Rouxel, 2004, p. 62), que leurs études

disciplinaires leur ont demandé d’oblitérer et que leur formation didactique les incite à réactiver dans le sillage

de ce que Demougin (1999) nomme une « scolarisation de la lecture privée » (p. 68), tantôt la satisfaction de

« bien saisir les subtilités [et] d’accorder de la valeur aux détails » (C1 d’Andréa) d’une œuvre, de « posséder

un certain bagage intellectuel en la matière pour réussir à mettre des mots sur un phénomène » littéraire (C5

d’Andréa). D’ailleurs, la bibliothèque intérieure d’Andréa comporte un roman d’Hugo, et il nous semble révélateur

que ce soit la lecture de cette œuvre consacrée qu’elle ait choisi de raconter dans son autobiographie.

Bien que le conflit praxéologique entre lecture privée et lecture scolaire dans les études littéraires et lecture

littéraire ne semble pas insoluble chez nos participantes, elles ont tout de même, bon gré mal gré, intériorisé

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des normes, des valeurs et des pratiques langagières plus ou moins institutionnalisées et ancrées dans des

traditions disciplinaires (Sauvaire, 2017b), lesquelles filtrent aujourd’hui leur rapport à la littérature et la lecture

littéraire. Leur faire vivre, en formation didactique, des dispositifs didactiques de lecture subjective et d’analyse

réflexive sur cette pratique dans lesquels elles sont personnellement impliquées comme sujets lectrices pourrait

être bénéfique pour leur permettre ultérieurement, comme sujets lectrices enseignantes, de former elles-mêmes

des sujets lecteurs : « dans la mesure où la rencontre avec l’œuvre littéraire est d’abord une expérience

personnelle que chaque lecteur peut explorer et mettre en mots » (Deronne, 2011, p. 104), il semble opportun

que tout futur enseignant soit conduit à s’interroger sur les enjeux, individuels et didactiques, de cette

exploration, et qu’il conscientise, d’abord chez lui, ce conflit « entre le jeu du désir et le cadre de la culture

légitime », « entre les livres qu’on dévore et ceux qu’on assimile » (Dumougin, 1999, p. 179). Le déplacement

de la norme attendue, de la reproduction de la glose attestée vers la réhabilitation de la subjectivité, pourra peut-

être aussi contribuer à atténuer, à rebours, ce sentiment d’inconnaissance, pour ne pas dire d’incompétence

qu’ont ressenti plus particulièrement Valérie et Josiane à leur entrée au cégep.

5.2.3 La construction de soi comme sujets lectrices enseignantes

Nous voulons maintenant montrer les correspondances entre les instances des sujets lectrices et des sujets

lectrices enseignantes dans le discours de nos participantes. Nous souhaitons illustrer à l’aide d’un exemple

spécifique pour chacune des participantes comment les expériences qu’elles ont vécues en tant que sujets

lectrices paraissent déterminantes pour leur construction d’elles-mêmes comme sujets lectrices enseignantes.

Chez Andréa, l’on remarque des préférences en tant que sujet lectrice héritées de son histoire personnelle et

renforcées par sa formation en études littéraires, qui semblent se répercuter dans sa construction d’elle-même

comme sujets lectrice enseignante. Cependant, assumer sa passion pour la stylistique et l’articuler à un modèle

didactique qui lui serait propre ne va pas de soi pour cette étudiante, à cette étape de sa formation, dans la

mesure où elle semble croire que ses gouts de sujet lectrice sont inconciliables avec ce qui est attendu d’une

enseignante. Dans le discours de Valérie, la dimension de la sélection du corpus, laquelle fait partie intégrante

du travail de l’enseignant, est récurrente : il s’agit d’une contrainte qui a été problématisée dans le cours de

didactique, certes, mais la réflexion de la participante à cet égard prend surtout naissance dans son histoire de

lectrice. En effet, Valérie a vécu une expérience de lecture éprouvante après qu’un enseignant ait fait le choix

d’un texte qu’elle a jugé douteux, dans l’un de ses cours au cégep. Le retour sur soi comme sujet lectrice et la

médiation de la formation didactique poussent Valérie à se positionner en tant que sujet lectrice enseignante et

à défendre l’idée selon laquelle le choix le plus évident ou partagé par la communauté n’est pas nécessairement

le plus pertinent. Gabrielle, quant à elle, parle de l’écriture, de la lecture, de la réflexion et de l’enseignement

comme de son « chemin » (C1). Chez Gabrielle, les instances de la sujet lectrice, de la sujet scriptrice et de la

sujet lectrice enseignante s’enrichissent mutuellement et nourrissent sa construction d’elle-même comme future

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enseignante de façon cohérente. Finalement, dans le portrait de Josiane, c’est l’insistance sur le plaisir, sur

l’acquisition de compétences et d’habiletés transversales et sur la dimension praxéologique qui nous semble

pouvoir être mise en relation avec l’histoire de la sujet lectrice et avec sa prise de conscience des enjeux sociaux

d’acculturation de son parcours de lectrice et de littéraire. Encore aujourd’hui, Josiane anime des ateliers de

lecture de contes auprès des enfants pour partager son gout pour la lecture et elle s’identifie beaucoup, dans

son discours, aux étudiants du collégial.

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Conclusion

1. Défis et limites de la recherche

Rétrospectivement, nous sommes à même d’identifier quelques apports et limites conceptuels et

méthodologiques de notre recherche. Certaines de ces limites sont extrinsèques, dans la mesure où, au cœur

du cheminement scientifique, il est des circonstances qui échappent à notre contrôle et à notre vigilance;

d’autres sont intrinsèques, en ce sens où nous avons commis quelques bévues de chercheuse débutante,

lesquelles ont contribué, avec du recul, à notre formation. Cette partie de notre mémoire a pour objectif de les

exposer dans la plus totale transparence, et de proposer des pistes de solution rétrospectives ou prospectives.

1.1 La notion d’appropriation : mise à l’épreuve de données empiriques pour un

objet spécifique, la lecture littéraire

La notion d’appropriation nous a occasionné moult casse-têtes théoriques et méthodologiques. Notre recherche

a permis d’éprouver humblement la notion à l’aune de nouvelles données empiriques, pour un objet de savoir

spécifique : la lecture littéraire. Elle a également rendu possible le croisement de deux cadres d’analyse que

nous avons jugés complémentaires dans le cadre de cette étude : celui de Sauvaire (2013; 2015) et celui de

Vanhulle (2004; 2005). Au terme de notre parcours, nous pouvons affirmer que si nous sommes toujours

convaincue de la fécondité de la notion d’appropriation pour étudier la formation des enseignants, ce qui s’y

joue et ce qui y perdure, nous n’avons pu aller au bout, tant s’en faut, de ses potentialités. De quoi convient-il

de tenir compte, en aval et en amont, pour pouvoir comprendre l’appropriation de savoirs par les sujets d’une

étude, lesquels sont inévitablement circonscrits temporellement et individuellement par celle-ci? Jusqu’où faut-

il remonter et jusqu’où faut-il anticiper pour saisir – c’est là une tâche d’envergure –, comment se « co-

construisent » le soi et les savoirs? Quels sont les observables de l’appropriation et au moyen de quels

dispositifs peut-on les voir émerger? Employée comme allant de soi et pour décrire divers objets (appropriation

des œuvres, appropriation des savoirs…), en didactique du français comme dans le giron plus large des

sciences de l’éducation, la notion d’appropriation est rarement dépliée et examinée véritablement, en remontant

à ses origines philosophiques, sociologiques, littéraires, ce qui ne pourrait se faire qu’au prix d’un cheminement

intellectuel rigoureux qui dépasse les attendus d’un travail de maitrise. Nous croyons avoir le mérite de nous y

être frottée. Or, plutôt que d’offrir des réponses à nos interrogations, les textes de Vanhulle, que nous avons

principalement convoqués pour la proximité de son objet avec le nôtre, n’ont fait qu’ouvrir des espaces plus

vastes et plus touffus d’investigation. Ainsi, nous entrevoyons les difficultés rencontrées avec la notion

d’appropriation, tant en ce qui concerne sa théorisation dans notre cadre conceptuel que sa transposition pour

l’analyse de nos données, comme des bougies d’allumage pour notre recherche doctorale qui s’inscrira, de ce

point de vue, dans la continuité de celle-ci.

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1.2 Quels modes de collecte pour quels discours sur les savoirs?

Notre recherche présente aussi des limites méthodologiques inhérentes aux instruments de collecte : les carnets

de lecteur et les entrevues semi-dirigées. Un premier questionnement concerne le rôle de chaque mode de

collecte sur la possibilité, pour les participantes, de faire montre de leur mobilisation de savoirs disciplinaires et

de leur appropriation de savoirs didactiques. En effet, nous nous sommes questionnée à savoir s’il n’aurait pas

mieux valu recueillir plutôt des travaux universitaires, comme des planifications de séquences didactiques, dans

lesquels on aurait exigé des futures enseignantes qu’elles recourent explicitement aux différents types de

savoirs. Un inconvénient découle toutefois de cette alternative : l’habileté des sujets à faire ce que la forme

scolaire leur a entre autres appris, c’est-à-dire à recourir aux manuels, dans le cadre de consignes académiques

ossifiées desquelles elles ont largement l’habitude, ne nous intéressait pas. En toile de fond des questions

spécifiques de cette recherche, nous souhaitions comprendre la mobilisation/appropriation de savoirs in situ.

Dans le contexte dynamique de leur classe, les interactions directes laisseront rarement aux sujets lectrices

enseignantes le loisir de se replier sur le manuel pour enseigner la littérature et la lecture littéraire à leurs

étudiants. Le mode de collecte, et nous irions même jusqu’à dire les genres d’écrits qui constituent le carnet,

chacun engageant à développer des dimensions spécifiques, ont ainsi inévitablement influencé les données

que nous avons collectées. D’une source à l’autre, nous avons constaté un écart qualitatif non négligeable

relativement à la mobilisation de savoirs disciplinaires et à l’appropriation de savoirs didactiques. D’une part, les

catégories observées ne sont pas les mêmes : l’entrevue et les questions que nous y avons posées ont fait

ressortir davantage les dimensions de la compréhension de soi comme sujets lectrices et de la construction de

soi comme sujets lectrices enseignantes de nos participantes, et c’est principalement dans les carnets qu’ont

émergé les catégories de la mobilisation et de l’appropriation de savoirs. D’autre part, le degré de mobilisation

et d’appropriation que parviennent à atteindre les participantes est nettement moindre dans les entrevues.

Dans le même ordre d’idées, nous nous sommes concentrées sur la capacité des participantes à mobiliser des

savoirs disciplinaires déclaratifs et non des savoir-faire littéraires, comme analyser une œuvre ou écrire une

dissertation. L’appropriation que nous avons observée est également limitée au savoir didactique de la lecture

littéraire et aux genres d’activités expérimentés en formation. Il va sans dire qu’il s’agit là de savoirs

excessivement circonscrits, surtout si l’on considère le « kaléidoscope de savoirs » (Daunay, 2007, p. 162) que

doivent s’approprier les enseignants en formation. En diversifiant les modes de collecte pour permettre une

appréhension plus globale, nous aurions pu faire ressortir la mobilisation et l’appropriation d’une plus grande

variété de savoirs et de savoir-faire, ce qui aurait permis d’enrichir notre compréhension de l’appropriation des

savoirs didactiques par les futurs enseignants de littérature, parce que nous aurions pu tenir compte de

l’écosystème complexe dans lequel cette appropriation s’inscrit.

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1.3 Autres limites

Nous avons également fait face à des contraintes liées au terrain, au moment de la collecte et à la nature des

données recueillies. Comme nous l’avons mentionné, le cours de didactique de la littérature dans lequel nous

avons effectué notre recherche accueille en moyenne entre quinze et vingt étudiants. Or, exceptionnellement,

la cohorte de 2017-2018 n’a réuni que huit enseignants en formation, six femmes et deux hommes. Parmi ceux-

ci, deux ont abandonné le cours, l’une a refusé de nous rencontrer pour une entrevue semi-dirigée et une autre

ne nous a pas remis son carnet de lectrice complet. Cela a porté le nombre de sujets remplissant les critères

d’échantillonnage à quatre. Évidemment, nos résultats ne sont pas généralisables, là n’est pas la visée des

recherches menées dans le paradigme qualitatif et encore moins des études de cas. Toutefois, le nombre limité

de participantes a résulté dans la quasi-impossibilité d’opérer des recoupements entre les cas. Cela s’est imposé

à nous d’autant plus manifestement que dans l’étude exploratoire préparatoire à cette recherche, nous avions

fait ressortir une grande convergence d’un sujet à l’autre et une adéquation entre nos constats et ceux posés

par d’autres chercheurs dans des contextes approchants. L’extrême variabilité des données recueillies auprès

des sujets de notre recherche a ainsi complexifié considérablement notre travail d’interprétation. Le retour à la

problématique scientifique ne s’est pas non plus fait sans heurts, considérant qu’aucune recherche dans notre

champ n’a, avant nous, documenté la formation à l’enseignement de la littérature au collégial. Nous croyons

ainsi qu’il est impératif que la recherche dans ce domaine continue de se développer, afin que de nouveaux

résultats viennent étoffer les conclusions que nous avons dégagées. Le collégial, et encore plus la formation à

l’enseignement collégial, est un champ à défricher. Beaucoup de travail reste à faire qui pourrait être mis en

parallèle et contribuer à enrichir cette recherche.

Il nous faut réitérer également le fait que les données ont été recueillies au tout début de la formation didactique

des futures enseignantes, au demeurant très courte, et que pour deux sujets sur quatre, la formation disciplinaire

remonte à plus de deux ans. Ce second élément peut avoir un impact sur la capacité des participantes, par

rapport à d’autres participantes, à mobiliser des savoirs. En ce qui concerne l’appropriation de savoirs

didactiques, nous supposons que des différences auraient pu être observées si nous avions collecté nos

données à la fin du parcours de formation des futures enseignantes au D.E.S.S. en enseignement collégial.

Également, la recherche ne nous permet pas de déterminer si, une fois passées les premières années de

précarité dans le métier, les savoirs disciplinaires ou didactiques réémergent, comme s’ils avaient été cryptés

ou enfouis à l’intérieur des sujets lectrices enseignantes. Ces aspects mériteraient d’être explorés dans le cadre

d’autres études. Dans le même ordre d’idées, la collecte de données a été réalisée en un si petit intervalle de

temps que nous n’avons pu procéder à une analyse simultanée au recueil d’informations, comme le

recommandent Miles et Huberman (2003). Si nous l’avions fait, peut-être aurions-nous pu bonifier le canevas

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d’entrevue pour insister davantage sur les questions relatives à la mobilisation de savoirs disciplinaires et à

l’appropriation de savoirs didactiques, deux éléments qui sont ressortis moins que prévu dans les entrevues.

2. Synthèse et conclusion générale

Au moment de conclure ce mémoire de maitrise, nous souhaitons proposer une synthèse de la recherche et

revenir sur quelques idées qu’il nous semble indispensable de continuer à cultiver.

Nous avons d’abord exposé la problématique qui nous a amenée à préciser les questions de notre recherche.

Ces questions ont été impulsées, d’abord, par nos constats intimes d’étudiante en formation à l’enseignement

collégial. Ils ont ensuite été renforcés par de nombreuses lectures visant à défricher notre champ, celui de la

didactique de la littérature, et à y inscrire nos préoccupations. L’élucidation de certains enjeux spécifiques aux

formations disciplinaire et didactique et à leurs savoirs de référence a contribué à appuyer notre postulat initial :

la culture disciplinaire traditionnelle des études littéraires constitue un potentiel obstacle à l’appropriation de

savoirs didactiques, dans la mesure où les concepts construits en didactique de la littérature entretiennent un

rapport contestataire avec les modèles épistémologiques et praxéologiques qui dominent la formation initiale en

Lettres des futurs enseignants du collégial. Une embuche stimulante s’est dressée d’entrée de jeu sur notre

chemin : la formation à l’enseignement collégial est peu documentée dans les recherches en didactique de la

littérature. Cet état de fait persiste à l’heure de déposer ce mémoire, même s’il nous semble, grâce à ce travail,

avoir contribué à amorcer quelques réflexions et à ébaucher quelques réponses relatives à l’appropriation de

savoirs didactiques en formation.

À partir des questions que nous nous sommes posées, le cadre théorique s’est structuré autour de trois notions

et concepts principaux : la notion d’appropriation, le concept de lecture littéraire et la notion de rapport à la

lecture littéraire et à la littérature. L’étude de cas réalisée grâce aux carnets de lectrices recueillis et aux

entrevues semi-dirigées menées auprès de quatre enseignantes en formation à l’enseignement collégial a

concouru à illustrer comment l’appropriation de savoirs didactiques en formation, plus particulièrement la lecture

littéraire, éclaire le passage de la compréhension de soi comme sujet lectrice à la construction de soi comme

sujet lectrice enseignante.

Au regard de cette recherche, il semble que la lecture littéraire constitue une médiation par laquelle le rapport à

la littérature de l’enseignant en formation est susceptible d’être transformé. Elle a permis à nos participantes,

dans une certaine mesure, de se décentrer et de mettre à distance leur formation et leurs savoirs, puis de revenir

vers elles-mêmes, comme sujets lectrices et comme sujets lectrices enseignantes en construction. En effet,

dans le cadre de cette étude, il semble que la découverte de la lecture littéraire, plutôt que de générer d’intenses

résistances, conduise plutôt les sujets lectrices à une réhabilitation de leur subjectivité, « légitimée » par le

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dispositif de formation. La notion d’appropriation, que nous croyons productive pour étudier la formation des

enseignants, demeure cependant à préciser sur les plans théorique et pratique.

L’analyse et l’interprétation des résultats ont mis en exergue certains éléments que nous avions anticipés et

elles ont également permis de faire émerger de toutes nouvelles observations – parfois très étonnantes! Eu

égard à la mobilisation de savoirs disciplinaires (seconde question spécifique), nous avons observé une

rétention modeste des savoirs issus de la formation en études littéraires. Nous avons également conclu à un

réinvestissement positif des savoirs, activités et pratiques issus des cours de création littéraire au sein de

l’approche subjective. Dans le même sens, en ce qui concerne l’appropriation de savoirs didactiques (troisième

question spécifique), nos résultats donnent à penser qu’elle serait favorisée par les activités de lecture littéraire

expérimentées en formation et par l’écriture réflexive qui accompagne ces activités. En revanche, les

nombreuses résistances du milieu collégial perçues et identifiées par les sujets lectrices enseignantes de notre

recherche vis-à-vis de l’approche subjective semblent réfréner légèrement leur appropriation de celle-ci.

Finalement, nos résultats quant à la compréhension de soi comme sujets lectrices (premier objectif spécifique)

et à la construction de soi comme sujets lectrices enseignantes (quatrième objectif spécifique) nous paraissent

encourageants : notre recherche fait en effet ressortir l’étroite relation entre les pratiques personnelles de la

littérature de nos participantes et les pratiques qu’elles disent vouloir privilégier pour enseigner, leurs intentions

didactiques. La compréhension de soi comme sujets lectrices de nos participantes et l’accueil de leur subjectivité

individuelle apparaissent ainsi comme des conditions favorables pour leur prise en compte progressive de la

subjectivité des lecteurs élèves, et pour leur appropriation de compétences didactiques contribuant à la susciter.

L’hétérogénéité des résultats obtenus auprès de notre échantillon limité, si elle s’est avérée d’une richesse

insoupçonnée pour nos analyses, engage toutefois à poursuivre, en didactique de la littérature, les recherches

sur la formation à l’enseignement de la littérature au collégial. En guise de clôture de ce mémoire, nous ne

pouvons finalement nous empêcher de prendre position en faveur de l’ouverture d’un dialogue authentique entre

le champ des études littéraires et celui de la didactique de la littérature dans les milieux universitaires, au

bénéfice des sujets lecteurs et des sujets lectrices des ordres d’enseignement supérieur, en particulier de ceux

et celles qui se destinent à l’enseignement.

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140

Annexes

Annexe I – Le carnet de lecteur enseignant

DID-6002 – LE CARNET DE LECTEUR ENSEIGNANT

Automne 2016

Le carnet comprend plusieurs textes courts rédigés au fur et à mesure des apprentissages réalisés :

1. une autobiographie de lecteur;

2. une définition personnelle de la lecture littéraire appuyée sur les lectures obligatoires;

3. un récit de la première lecture d’une nouvelle littéraire;

4. une analyse réflexive sur la participation à un comité de lecture;

5. une synthèse critique sur les apprentissages réalisés.

Les consignes de chaque écrit seront précisées au fur et à mesure. Le carnet comprendra au maximum 10 pages.

1. Une autobiographie de lecteur (2 pages)

L’autobiographie de lecteur se présente comme le récit d’une ou de plusieurs expériences de lecture marquantes, qu’elles soient perçues positivement ou négativement, et qui peuvent être ancrées dans des pratiques scolaires ou privées. Il s’agit d’évoquer, dans une démarche rétrospective, des souvenirs et expériences personnels de lecture relatifs à la petite enfance, l’enfance, l’adolescence dans un texte court (environ 2 pages). Le but poursuivi est de réfléchir sur soi-même comme lecteur, sur son rapport à la littérature et à la lecture en particulier. Les critères de réalisation sont les suivants :

— Le texte évoque une expérience de lecture subjective (contrat d’authenticité); — Les informations sont suffisantes et clairement organisées; — Le texte est principalement narratif et écrit à la première personne; — Le texte est écrit dans une langue correcte.

2. Une définition personnelle de la lecture littéraire (1 page)

En vous appuyant sur les textes scientifiques étudiés dans le cadre du cours, rédigez votre propre définition de la lecture littéraire. Si vous choisissez d’adopter la définition d’un chercheur, justifiez votre choix. Vous pouvez présenter divers états de votre définition (brouillons, réécritures).

Les critères de réalisation sont les suivants

— Le concept est défini de manière rigoureuse et mis en relation au besoin avec d’autres notions et concepts; — La définition ne comporte pas d’affirmations en contradiction avec les théories de références; — Les termes employés sont précis et les reformulations sont rigoureuses; — Le texte progresse bien et la langue est correcte.

3. Un récit de la première lecture d’une nouvelle littéraire (1 à 2 pages)

Lire La Plage des songes de Stanley Péan (texte 22 du document d’accompagnement). Rédigez un récit de votre première lecture. Relire le texte et sélectionner des passages qui soulèvent des questions, vous paraissent intéressants ou importants. Justifiez succinctement le choix de ces passages.

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Les critères de réalisation sont les suivants : — Le texte évoque une expérience de lecture subjective, qu’elle soit positive ou négative; — Les informations sont suffisantes et clairement organisées; — Le texte est principalement narratif et écrit à la première personne; — Le texte est écrit dans une langue correcte.

4. Analyse de la participation à un comité de lecture (1 page)

Dans ce cours texte, vous rendrez compte de votre expérimentation d’un comité de lecture. Vous traiterez des hypothèses et des interprétations formulées, comparées et évaluées avec vos pairs.

Quelles sont les questions formulées par votre comité?

Comment êtes-vous parvenus à formuler ces questions? (Par ex. comment avez-vous procédé ? Sur quels éléments du texte avez-vous discuté?)

La participation au comité de lecture a-t-elle modifié vos interprétations de la nouvelle? (à justifier)

5. Texte réflexif sur les activités expérimentées autour de la lecture de La plage des songes (3 pages) À partir de la nouvelle de S. Péan, nous avons expérimenté plusieurs activités de lecture, d’écriture et d’oral : l’écriture d’un récit de lecture subjectif, la définition d’un concept didactique, la participation à un comité de lecture et la formulation de problèmes de lecture, un débat interprétatif. Le but de ce texte est de vous permettre de réfléchir rétrospectivement sur l’apport éventuel de ces activités à l’approfondissement de vos interprétations de la nouvelle (vous, en tant que sujet lecteur) et, prospectivement, sur vos pratiques futures d’enseignement (vous, en tant qu’enseignant). Pour vous guider, voici quelques questions. Il n’est pas nécessaire de répondre systématiquement à chaque question. Il est possible de rédiger un texte suivi.

1. Parmi les activités expérimentées, laquelle vous a le plus encouragé à approfondir ou à diversifier vos interprétations de la nouvelle? 2. Parmi les activités expérimentées, laquelle souhaiteriez-vous reconduire dans vos pratiques d’enseignement de la lecture littéraire et pourquoi? 3. Parmi les activités expérimentées, laquelle ne pensez-vous pas reconduire dans vos pratiques d’enseignement de la lecture littéraire et pourquoi? 4. À la lumière des activités expérimentée, pensez-vous devoir reformuler votre définition de la lecture littéraire? Si oui, quelles améliorations y apportez-vous? Selon vous, qu’est-ce qui influence le plus votre conception de la lecture littéraire? 5. Quels liens faites-vous entre le concept de lecture littéraire et les activités expérimentées ? Illustrer votre propos à l’aide d’exemple précis.

L’évaluation des textes 4 et 5 reposera sur les critères suivants :

— pertinence du propos : l’activité ou le concept n’est pas seulement décrit ou défini, mais analysé; — présence marquée de l’auteur dans son texte (par ex. marques énonciatives, modalisation); — présence de justifications explicites;

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— usage pertinent d’exemples précis tirés de la pratique; — progression textuelle claire; — concision et respect de la consigne; — respect des normes de la langue.

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Annexe II – Canevas d’entrevue

Nom du participant : _______________________________________________ Date de naissance : _______________________________________________ Lieu de naissance : _______________________________________________ Introduction Bonjour, Comme tu le sais, je suis étudiante à la maitrise en didactique du français sous la direction de Marion Sauvaire. Notre entretien a pour but de me permettre de mieux comprendre l’appropriation des savoirs disciplinaires et didactiques par les futurs enseignants de littérature du collégial. L’entrevue sera enregistrée sur support audio et les informations dont tu vas me faire part demeureront confidentielles, conformément au formulaire de consentement que tu as signé. As-tu des questions concernant le déroulement de l’entretien? Es-tu d’accord pour poursuivre? Description du participant ou de la participante 1. Peux-tu me raconter, en commençant par ta formation préuniversitaire, ton parcours de formation? 2. Pourquoi avoir choisi de te diriger vers l’enseignement collégial?

2.1. Pourquoi avoir choisi de passer par la voie du D.E.S.S. en enseignement collégial?

Questions principales Formation et savoirs disciplinaires

3. Quelle(s) impression(s) conserves-tu de ton baccalauréat/maitrise en études littéraires?

3.1. Quelles pratiques d’acquisition des savoirs y étaient valorisées? Tu peux me parler ici du style d’enseignement des professeurs, des exercices et des travaux demandés et de leur correction, des façons de lire et d’interpréter préconisées, de la place accordée aux étudiants dans les cours, etc.

4. Quels savoirs considères-tu t’être appropriés durant ton baccalauréat/maitrise?

4.1. Parmi ces savoirs, lesquels, selon toi, devraient être enseignés dans le cadre de l’un ou l’autre des cours de Français, langue et littérature au collégial (ou lesquels te serviront de manière plus indirecte)?

4.2. Prévois-tu les enseigner, et si oui, as-tu une idée de la manière dont tu t’y prendras?

4.3. Mise en contexte : Une typologie fréquente consiste à diviser les savoirs de l’enseignant en savoirs à enseigner (qui concernent les contenus qui font l’objet d’un enseignement, les savoirs académiques, scientifiques, disciplinaires) et savoirs pour enseigner (qui sont les outils de l’enseignement, des savoirs didactiques ou pédagogiques élaborés pour être utiles à l’enseignement-apprentissage). Question : Au cours de ton baccalauréat/maitrise, quels savoirs pour enseigner (s’il y en a) t’ont été montrés et considères-tu te les être appropriés?

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Formation et savoirs didactiques

5. Observes-tu des différences entre les pratiques d’enseignement de la littérature valorisées dans ton baccalauréat/maitrise (évoquées à la question 3.1.) et celles que l’on t’enseigne au D.E.S.S. (cours de didactique et autres cours)?

6. Quels savoirs considères-tu t’être appropriés depuis le début de ton D.E.S.S., plus particulièrement dans ton cours de didactique? 6.1. Parmi ces savoirs, lesquels, selon toi, te seront utiles ou prévois-tu réutiliser dans le cadre de ton

enseignement?

6.2. Pour enseigner quels savoirs/concepts littéraires à tes futurs étudiants? Lecture littéraire

7. À quel moment as-tu entendu parler pour la première fois de lecture littéraire? Précise (contexte,

informations retenues, etc.).

7.1. Peux-tu proposer une définition personnelle du concept de lecture littéraire?

7.2. As-tu des exemples d’activités de lecture littéraire réalisées dans ton baccalauréat/maitrise?

7.3. Comment évaluerais-tu la place accordée à ce type de lecture par rapport à d’autres pratiques d’acquisition de savoirs sur la littérature?

7.4. Comment as-tu trouvé les exercices de lecture littéraire proposés dans le cadre de ton cours de didactique (au rappel, si nécessaire : récit de la première lecture, comité de lecture, débat interprétatif, analyse des ressources subjectives…)?

7.5. Prévois-tu utiliser cette pratique en contexte d’enseignement collégial dans le cadre de ta future pratique professionnelle?

7.6. Si non, quels facteurs motivent ta décision? Si oui, comment? Intégration des savoirs

8. Considères-tu que les savoirs appris aux baccalauréat/maitrise et les savoirs appris depuis le début de ton

D.E.S.S. sont plutôt complémentaires ou plutôt contradictoires?

8.1. Éprouves-tu de la facilité ou des difficultés à les concilier, à les intégrer?

8.2. Peux-tu me donner des exemples de la façon dont les savoirs pour enseigner appris (au baccalauréat/maitrise et/ou au D.E.S.S.) seront mobilisés dans le cadre de ton enseignement de la littérature auprès des étudiants du collégial, et notamment, pour leur permettre d’apprendre les savoirs à enseigner?

Perception de soi et comme futur enseignant 9. Le lecteur ou la lectrice que tu es a-t-il changé aux différents moments de ta formation (avant la formation

au bac, après, et maintenant, au fil de la formation didactique)?

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10. Selon toi, quel enseignant ou enseignante seras-tu et pourquoi? 11. Parmi les savoirs que tu t’es appropriés en formation (disciplinaire et didactique), lesquels te seront, selon

toi, les plus pertinents pour enseigner la littérature au collégial et pourquoi?

12. Quelle est, à tes yeux, la chose la plus importante qui doit se produire dans les cours de littérature au cégep? Autrement dit, au sortir de ton cours, que souhaiterais-tu que tes étudiants et étudiantes aient appris ou soient en mesure de faire?

Clôture et remerciements 13. Y a-t-il d’autres éléments que tu aimerais ajouter concernant les sujets que nous venons d’aborder ou plus

largement en ce qui a trait à l’appropriation et à l’intégration des savoirs au cours de ta formation?

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Annexe III – Cadre d’analyse pour le thème 3 utilisé à l’occasion

de l’étude exploratoire

Thème 3. La RÉFLEXIVITÉ du sujet lecteur ENSEIGNANT

CATÉGORIES SOUS-CATÉGORIES CODES DÉFINITIONS

1. Mise à distance des savoirs disciplinaires et didactiques

1. Identification d’une notion ou d’un concept (reprise compréhensive)

E_01_01

Le SLE identifie un concept ou une notion disciplinaire ou didactique en le nommant, en y référant ou par le biais de la citation textuelle. De ce fait, il met à distance la notion ou le concept, mais il n’est pas encore capable de l’évaluer, de le justifier, ou de l’analyser.

2. Explicitation d’une notion ou d’un concept (visée interprétative ou explicative)

E_01_02

Le SLE explicite sa compréhension d’une notion ou d’un concept disciplinaire ou didactique; il reformule, paraphrase ou reprend à son compte sa définition. Au besoin, il développe les liens entre plusieurs éléments notionnels ou conceptuels.

3. Évaluation d’une notion (visée évaluative ou prescriptive)

E_01_03 Le SLE juge de la pertinence d’une notion ou d’un concept en proposant une justification, une argumentation ou une délibération.

4. Élaboration conceptuelle (visée créative ou conceptualisation)

E_01_04 Le sujet élabore, transforme, crée des savoirs. Il incorpore des notions et concepts, identifie leurs applications ou implications et parvient à les articuler dans un modèle didactique qui lui est propre.

2. Mise à distance des activités didactiques expérimentées en formation

1. Identification/ fictionnalisation d’une pratique ou d’une activité (reprise compréhensive)

E_02_01 Le sujet identifie, reprend ou se réfère à une activité, sous la forme descriptive ou narrative. De ce fait, il met à distance l’activité, mais il n’est pas encore capable de l’évaluer, de la justifier ou de l’analyser.

2. Explicitation/analyse d’une activité (visée interprétative ou explicative)

E_02_02 Le sujet analyse une activité. Au besoin, il développe des liens entre plusieurs dimensions de l’activité.

3. Évaluation d’une activité (visée évaluative ou prescriptive)

E_02_03

Le sujet évalue la pertinence d’une activité : il la juge valide, à reformuler, à nuancer. Il propose une justification, une argumentation ou rend compte d’une délibération. Ce faisant, il restructure ses conceptions dans le sens d’une plus grande complexité.

4. Élaboration conceptuelle à partir d’une activité (visée créative ou conceptualisation)

E_02_04 Le sujet élabore, transforme, crée des activités. Il conceptualise les pratiques, par exemple, à partir d’une généralisation des activités expérimentées.

3. Le retour sur soi comme (futur) enseignant

1. « En évocation » E_03_01 Le sujet se décrit, se raconte, s’évoque lui-même en tant qu’enseignant en formation (mise en récit d’expérience : fictionnalisation).

2. Mise à distance des ressources E_03_02 Il s’interroge sur les ressources qu’il mobilise pour enseigner : il les identifie, il les décrit. Il reprend à son compte les savoirs et pratiques proposés qu’il juge avoir été pertinents pour lui-même.

3. Analyse de son propre parcours de formation

E_03_03

Il est capable d’analyser les transformations de son parcours de formation dans la durée. Il fait des liens entre son parcours personnel et de formation. Il tente de généraliser, voire de conceptualiser sa (trans)formation. Le SLE s’autoévalue comme enseignant en formation.

4. Représentation de soi comme enseignant

E_03_04

Le sujet construit une représentation de soi comme enseignant cohérente avec les savoirs et pratiques qu’il s’est appropriés (subjectivation). Il les incorpore à un « modèle didactique » qui lui est propre (projection dans le devenir enseignant).

4. Intersubjectivité et interdiscursivité (par rapport à l’appropriation réflexive de savoirs et de pratiques)

1. Identification de la source (qui?), d’un contenu emprunté ou transformé (quoi?), du contexte (quand? quelle activité?)

E_04_01

Le sujet identifie la personne qui a influencé son appropriation de savoirs et de pratiques : pairs, enseignant, chercheur. Le sujet identifie un élément emprunté au discours d’autrui, un élément transformé par autrui. Il identifie le moment, l’activité ou la situation d’interaction pendant lesquels son appropriation a été influencée par le discours d’autrui.

2. Explicitation/interprétation d’une signification proposée par autrui (par rapport à une notion ou une pratique)

E_04_02 Le sujet explicite ou interprète un élément emprunté au discours d’autrui, un élément transformé par autrui. Il explique en quoi le discours d’autrui a influencé son appropriation.

3. Évaluation d’une signification proposée par autrui

E_04_03

Le sujet discute ou évalue la pertinence d’une signification proposée par autrui : il la juge valide ou erronée, importante ou secondaire, etc. Il établit une comparaison entre deux significations (au moins) accordées à un savoir ou à une pratique.

4. Questionnement sur la relation au discours d’autrui (généralisation)

E_04_04

Le sujet émet une hypothèse sur le fonctionnement intersubjectif de l’apprentissage (en généralisant à partir de sa propre expérience). Il s’interroge par exemple sur la complémentarité ou les tensions entre ses propres savoirs et pratiques et ceux exposés par d’autres.

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Annexe IV – Exemples d’extraits d’un entretien transcrit

littéralement

Exemple de l’entretien de Valérie transcrit littéralement et non épuré

Verbatim VALÉRIE_2017_11_10

Heure de début : 15 h 40, Durée : 58 minutes

Transcription : 17, 18 et 19 novembre 2017

[VALÉRIE est placide et ricaneuse. Elle a un rythme régulier et une voix monocorde en classe, même dans ses

présentations, mais ici, je la surprends à être plus expressive. Je la rencontre à sa sortie de son Séminaire de

stage. Elle a appris récemment que son enseignante associée quitte le cégep pour cause de maladie, et qu’elle

sera reprise en charge par trois enseignants différents pour la suite de son stage. Elle vient de rencontrer sa

superviseure à ce sujet.]

AG Parfait. Alors, merci d’avoir accepté de me rencontrer. Comme tu le sais, je suis étudiante à la maitrise 1

en didactique avec Marion. L’entrevue, ça a vraiment pour but de mieux comprendre euh, ta manière de t’être 2

approprié les savoirs à la fois dans ta formation disciplinaire au bac et, euh, dans ton cas à la maitrise aussi. Pis 3

comment ces savoirs-là se concilient, s’intègrent avec les nouveaux savoirs que tu découvres là dans le cadre 4

de ton D.E.S.S. Ça va être enregistré sur support audio conformément au formulaire de, de consentement que 5

t’as signé. Hum, est-ce que t’as des questions avant qu’on commence? 6

VAL. Non. 7

AG Ça va? Est-ce que t’es d’accord pour poursuivre? 8

VAL. [rires] Oui, bien sûr. 9

AG Tu changes pas d’idée? 10

VAL. Non. 11

AG [rires] En ce vendredi… 12

VAL. [rires] Après-midi. 13

AG Euh, est-ce que tu peux commencer par me raconter… Attends, je vais juste te demander ta date de 14

naissance avant. 15

VAL. Ouais. 10 juillet 1992. 16

AG Parfait. Puis t’es née à quel endroit? 17

VAL. Rimouski. 18

AG Rimouski, parfait. Donc on y va. Je disais donc : est-ce que tu peux me raconter en commençant par 19

ta formation préuniversitaire, donc collégiale, le parcours de formation que t’as suivi? 20

VAL. Euh, donc juste au cégep ou? 21

AG Cégep, université. 22

VAL. OK. Dans le fond j’suis entrée en Arts et lettres profil Lettres et communication au Cégep de Rimouski, 23

pendant deux ans. 24

AG Hum, hum. 25

VAL. Pis ensuite, j’ai rentré au bac euh, en Lettres et création littéraire à l’UQAR, donc à l’Université du 26

Québec à Rimouski pis j’ai poursuivi à la maitrise dans cette même université donc euh, toute dans la même 27

euh… 28

AG Sans interruption? 29

VAL. Euh, non, euh, oui, tu fais bien de me le rappeler. J’ai pris une année sabbatique entre mon cégep pis 30

le bac. 31

[Mon téléphone sonne, je ne suis pas en mesure de le mettre en mode silencieux à cause de l’enregistreur.] 32

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AG Donc, t’as arrêté entre le cégep et… 33

VAL. Oui, c’est ça, j’ai pris une année sabbatique, c’était prévu depuis le secondaire avec une de mes amies, 34

on voulait faire un voyage humanitaire. 35

AG OK. 36

VAL. Donc j’ai travaillé pendant six mois, des petites jobs étudiantes vraiment euh, pas très gratifiantes pour 37

pouvoir me ramasser de l’argent pis partir de janvier à juillet en Amérique du Sud. On a fait cinq pays en six 38

mois. La meilleure décision de ma vie. 39

AG Ah ouais, tu regrettes pas, ça a été enrichissant? 40

VAL. Vraiment! Non, ça m’a permis de continuer en fait sans cette interruption-là je pense pas que j’aurais 41

continué à la maitrise sans trop m’écœurer. Pis même là en ce moment au D.E.S.S. j’sens que j’aurais peut-42

être dû attendre pis pas enchainer maitrise, D.E.S.S., mais bon. 43

AG Pourquoi t’as cette impression-là? 44

VAL. [en soupirant] Ah, parce que j’suis tannée, c’est de la motiv… 45

AG Les études ou? 46

VAL. Ouais, les études là j’suis euh… Par chance le D.E.S.S. c’est quand même assez concret… 47

AG Ouais. 48

VAL. Mais malgré tout tsé les, l’accumulation de travaux, de, de… [soupire] J’pense que j’ai prouvé là que, 49

que j’tais capable. 50

AG [en même temps] Que t’étais capable. 51

VAL. [rires] C’est ça. 52

AG Euh, pis le bac, ton bac que t’as fait c’est un peu particulier, j’pense, ça se distingue, il se distingue 53

d’autres bacs, euh, en études littéraires, tu peux-tu m’en parler un peu? 54

VAL. Ouais. Ouais, parce qu’il y a une, c’est très axé sur la création littéraire en fait. 55

AG OK. 56

VAL. Euh, de plus en plus les bacs s’orientent vers la création littéraire tranquillement, mais à Rimouski, 57

j’pense qu’ils ont été l’une des premières universités à vraiment donner le nom au programme là, c’est pas 58

seulement Littérature, c’est Lettres et création littéraire fec y’a trois volets. Euh, plus culture littéraire, approche 59

théorique et création littéraire donc à chaque session j’étais assurée d’avoir au moins un cours de création. 60

AG OK. 61

VAL. Pis c’est ça qui m’a menée vers la maitrise en création littéraire. Si j’avais pas eu l’option de faire une 62

maitrise en recherche-création donc combiner les deux volets, j’aurais pas fait de maitrise. J’aurais pas fait de 63

maitrise seulement en recherche, ça, c’est sûr et certain. 64

AG OK. 65

VAL. Ouais. 66

AG Donc, c’est le volet création qui t’a vraiment poussée à poursuivre? 67

VAL. Poursuivre mes études, tout à fait. 68

AG OK. Puis est-ce que tu savais déjà que tu voulais enseigner? Qu’est-ce qui t’a amenée à te diriger vers 69

l’enseignement collégial? 70

VAL. Euh, ça fait vraiment longtemps que j’y pense [petit rire]. 71

AG OK. 72

VAL. J’ai, je l’ai expliqué un peu dans mon récit de parcours en Apprentissage [un cours du D.E.S.S.] là, 73

mais dans le fond euh, je, je me suis jamais vue ailleurs qu’à l’école. Là c’est drôle à dire parce que j’t’un peu 74

écœurée de l’école, mais c’est autre chose là. Mais euh, ouais! Depuis la fin de mon secondaire que je me dis 75

que je veux enseigner. Je savais pas trop quoi au début, je savais que j’étais passionnée de littérature, pis c’est 76

quand j’t’arrivée au cégep que je me, que ça m’a confirmé que je voulais enseigner dans cet établissement-là. 77

J’ai eu des profs euh, vraiment extraordinaires qui m’ont appris plein de choses euh… Pis là j’ai eu envie. Pis 78

c’est pendant mon bac à Rimouski j’ai eu la chance de faire un stage en milieu collégial, pis là ça m’a confirmé 79

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que… j’pas mal certaine que c’est ma place là. Fec cette expérience-là sur le milieu du travail m’a permis de 80

comprendre que, que je voulais faire ça dans le fond. Pis le D.E.S.S. continue de le, de le confirmer. 81

AG Ouais c’est ça donc, à la fois le milieu, mais aussi la matière te, te convenaient puis que c’était ce que 82

tu voulais. 83

VAL. Ouais, ouais. 84

AG Puis, pourquoi avoir fait, pourquoi avoir choisi de passer par la voie du D.E.S.S. parce que t’as quand 85

même déjà la maitrise? C’est une question qui se pose. 86

VAL. Oui, c’est une bonne question [rires]. J’y ai pensé longtemps. Hum, je trouvais qu’il me manquait des 87

outils. Je trouvais qu’il me manquait des outils pédagogiques, didactiques. On, tsé, oui, j’ai une maitrise, mais 88

la maitrise c’est en recherche fec j’pense que j’ai poussé un sujet de recherche très, très loin, même en création 89

tsé j’ai beaucoup… Je pense que j’suis outillée par rapport aux contenus que je vais enseigner, mais pas par 90

rapport au comment je vais enseigner. Pis c’est ça qui m’a convaincue, j’ai plein d’amis qui ont fait le DESS 91

aussi pis ils m’en ont parlé pis, c’est ça, ça m’a convaincue de le faire. Pis pour les débouchées aussi là, de plus 92

en plus j’entends dire que tsé… 93

AG C’est valorisé. 94

VAL. … faut que tu te démarques là, c’est ça, pis c’est valorisé par les cégeps donc euh, ces deux, ces deux 95

axes-là m’ont convaincue. 96

AG Parfait. 97

VAL. Ouin. 98

AG Hum, puis donc ton, t’as pas l’impression bon, à l’exception des savoirs que tu vas avoir à enseigner 99

ou des connaissances que, que tu y as acquises que ton bac pis ta maitrise t’avaient outillée justement pour le, 100

le… prendre en charge une classe par exemple ou euh, te retrouver, monter un plan de cours… 101

VAL. Ouais. 102

AG Tout ce qui précède, mais également ce qui suit aussi, évaluation y’a quand même toute euh, un 103

univers là. 104

VAL. Exactement, ouais, y’avait un univers que j’connaissais pas du tout fec euh, c’est ça, la préparation, le 105

comment, comment je le vulgarise, tsé c’est ben beau connaitre des, c’est ben beau avoir ces savoirs-là, on 106

peut, on sait pas comment les transmettre après, pis là transmettre c’est même pas le bon mot, parce que bon 107

[voix un peu sarcastique], je veux guider les enseignants, les étudiants et non pas euh… 108

AG Ouais, ça colle le socioconstructivisme [rires]. 109

VAL. [rires] Ouais, c’est ça! 110

AG C’est bon. Hum, on va en parler un peu de ton bac et maitrise en études littéraires. 111

VAL. Ouais. 112

AG Quelles impressions générales, on va raffiner après, mais tu conserves de cette formation-là? 113

VAL. Euh, de très bonnes impressions. Surtout au bac, je dirais. L’UQAR c’est une très petite université donc 114

les enseignants connaissent chacun des étudiants euh, par leur nom, ils connaissent quasiment toute leur 115

historique là. Fec y’a un rapport très proche à l’enseignant qui a facilité beaucoup les choses. Un exemple 116

concret, j’vais y aller vite parce ça a peut-être plus ou moins rapport là, mais j’ai eu une opération à la fin de 117

mon bac, deux décollements de rétines, un mois avant de finir mon bac pis les profs ont… c’était même pas une 118

question là, ils m’ont permis de finir deux mois après la fin de l’année parce que j’avais fait mes preuves, parce 119

que j’étais une bonne étudiante. Pense pas que j’aurais pu avoir ce genre de traitement là dans une très grande 120

université, pis on comprend pourquoi, quand même, fec… 121

AG C’est moins personnalisé, c’est clair. 122

VAL. Exactement. Fec très bonnes impressions par rapport à mon bac. La maitrise en général des bonnes 123

impressions. J’ai été un p’tit peu désillusionnée par rapport à la direction de ma maitrise. J’ai l’impression d’avoir 124

beaucoup travaillé seule. 125

AG OK. 126

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150

VAL. Je pensais que ma directrice m’amènerait plus loin, me ferait euh, ferait en sorte que je me dépasserais, 127

mais ça pas été trop le cas, fec euh, ça j’en retire, j’en retiens une certaine déception, mais à part ça c’était, 128

ouin, des bonnes impressions! 129

AG Y’a un beau rapport d’ailleurs, je fais une petite parenthèse, mais qui est paru aujourd’hui sur 130

l’encadrement aux cycles supérieurs, ici à l’Université Laval… 131

VAL. Ah ouais? OK! 132

AG Puis euh, en tout cas c’est pas très glorieux là… 133

VAL. Non, han? 134

AG … les réponses comme, je sais pas y’a une statistique effarante d’étudiants qui se sont déjà sentis 135

vulnérables ou même intimidés, pas seulement intimidés le sentiment, mais intimidés verbalement… 136

VAL. [en même temps] Verbalement par leur prof. 137

AG … par leur direction de maitrise. En tout cas, c’est dans Le Devoir si jamais t’as envie de jeter un coup 138

d’œil c’est vraiment intéressant. 139

VAL. Ah oui, je vais aller voir ça. 140

AG Pis ils se proposent de l’élargir aux autres universités parce que bon, ils l’ont fait à Laval, mais sont à 141

peu près certains que ça serait la même chose ailleurs, là, c’est, c’est pas juste ici… 142

VAL. C’est pas juste ici, non, j’en suis… 143

AG … que c’est problématique là. 144

VAL. Ouais, ouais, ouais. 145

AG Y’a, ça arrive ailleurs aussi. Fin de la parenthèse [rires]. 146

VAL. Oui. 147

AG Euh, est-ce que tu te souviens un peu des pratiques d’acquisition des savoirs qui étaient valorisées, 148

euh, plutôt dans ton bac parce qu’à la maitrise c’est plus un cheminement personnel? 149

VAL. [en même temps] Personnel. 150

AG Mais tu peux vraiment me parler du style d’enseignement, des profs, euh, des travaux qui étaient 151

demandés, de la manière de les corriger. De la place aussi qui était accordée aux étudiants dans les cours. 152

VAL. Ouais. 153

AG C’est sûr que c’est plus petit. 154

VAL. Euh, ouf, c’est une bonne question! C’est loin. Je… C’était surtout magistral, je te dirais pour, pas les 155

cours en création bien évidemment, les cours en création c’était tout le temps sous formule euh, souvent sous 156

formule séminaire là, chacun apportait… En fait, fallait qu’on lise les textes des autres pis on commentait les 157

textes des autres fec c’était, c’était mes cours préférés là. 158

AG Ouais. 159

VAL. Hum, mais les cours de théorie… [réfléchit] C’était le prof parlait en avant pis tu prenais des notes, 160

y’avait pas beaucoup d’innovation de ce côté-là. Ça m’a jamais beaucoup dérangée parce que j’ai évolué dans 161

c’te milieu-là pis c’était très confortable, je dirais. Là aujourd’hui, je, j’ai vraiment envie de sortir de ce moule-là, 162

mais c’est pas évident quand t’as été étudiante toute ta vie pis que t’as vécu le magistral. Est-ce qu’il y avait 163

d’autres pratiques? 164

AG Qu’est-ce qui fait que c’est difficile? Tu dis « c’est pas évident quand t’as vécu le magistral de, de 165

t’extraire ». J’imagine que ce qui t’en donne l’envie, c’est ce que tu vis présentement, ce que tu découvres ou… 166

VAL. Oui. Ben en fait, c’est pas facile parce que c’est que ça que j’ai connu. 167

AG OK. 168

VAL. Fec de mettre en application des nouvelles pratiques sans jamais les avoir testées c’est un petit peu 169

stressant [rires]. 170

AG Ouais. Ou les avoir vécues toi-même pis voir quel effet ça a sur euh, sur l’étudiant là. 171

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VAL. Ouais. Ouais, c’est ça. Mais je me rends compte, j’ai envie de sortir de ça parce que je me rends 172

compte que je garde vraiment pas beaucoup de souvenirs de mes, de ce que j’ai appris [petit rire faussement 173

mal à l’aise]. 174

AG [rires] C’était ma prochaine question. 175

VAL. [en riant] C’est vraiment terrible! 176

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Annexe V – Exemple du traitement des énoncés d’un carnet de

lectrice

Exemple du traitement des énoncés du carnet de lectrice de Josiane après la validation intercodeurs et la

relecture de tous les cas en parallèle (énoncés codés et triés)

A_01_02 La première phrase, mystérieuse, annonçait que la protagoniste rencontrait Christian Marcellin pour

la première fois : « depuis sa mort » (p. 258) et la fin de la première partie se concluait sur l’évocation de la mort

du petit magicien « à la tombée du rideau ». (p.258) [C3Josiane]

A_01_05 Je me suis donc dit que l’intrigue tournerait autour de la figure de Christian. La partie suivante résumait

la première rencontre d’Évelyne et Christian, un jeune noir de sept ans qui avait la particularité étonnante d’avoir

les yeux bleus. Puis, plus loin, j’ai surligné les éléments qui mentionnaient la douleur d’Évelyne quand elle

apprend que sa belle-sœur est enceinte et l’épisode où son frère lui raconte une anecdote de son enfance

concernant une poupée de chiffon perdue en mer. [C3Josiane]

A_02_01 D’entrée de jeu, l’exergue convoquait un texte que j’avais déjà lu d’Aimé Césaire. Combiné au titre

complet du recueil, « La plage des songes et autres récits d’exil », j’ai compris que les thèmes toucheraient la

question identitaire, le déracinement et l’écartèlement culturel, ce qui s’est avéré assez exact. [C3Josiane]

D_01_01 Quels sont les rôles d’Alceste dans la nouvelle ? Quelles sont les sources de la culpabilité d’Évelyne

? Qui ou quoi est mort ? [C4Josiane]

D_01_02 La scène qui m’est apparue la plus importante est celle de la page 263-264, où lors d’une plongée

dans les souvenirs d’Évelyne, Christian fait référence à sa mère. Devant l’impossibilité pour chacun des deux

personnages d’être la mère ou l’enfant perdu, une rupture s’effectue et c’est la fin du jeu d’illusion. [C3Josiane]

D_01_02 Puis, quand les gens autour d’Évelyne lui reprochent de trop accaparer l’enfant, j’ai fait l’hypothèse

que les scènes de souvenirs allaient être les toiles de l’exposition de Christian qui étaient mentionnées dans

l’incipit. Je croyais vraiment que le dénouement allait s’articuler autour de cette idée. [C3Josiane]

D_01_03 [retour au texte pour confirmer ou invalider une interprétation] De mon côté, à ma première lecture

j’avais imaginé que peut-être, ils étaient dans les toiles de l’exposition de Christian ou que c’était

symboliquement la culture d’Évelyne qui était morte, mais le texte n’avait rien confirmé. [C4Josiane]

D_01_04 Le moment de la mort du petit magicien en Christian me laissa perplexe, j’ai posé l’hypothèse que

cette mort symbolisait la perte culturelle liée à l’émigration d’Évelyne, mais je savais que cette interprétation

n’en était qu’une parmi d’autres. [C3Josiane]

D_02_02 [fonction d’une pratique langagière] Quand j’étais petite, le langage était ma force. J’ai appris à parler

facilement et cela m’a permis non seulement de pouvoir communiquer mes émotions, mais surtout de pouvoir

assouvir ma curiosité qui avait très peu de limite. J’étais une enfant-pourquoi. [C1Josiane]

D_03_01 À ce moment, je voyais que la fin du texte arrivait et je me demandais si une explication serait offerte

ou si la nouvelle resterait ouverte. [C3Josiane]

D_03_02 Je cherchais d’autres pistes, mais au final, en arrivant à la fin, je me suis mise à douter de tout ce que

j’avais lu. Il fallait que je relise. [C3Josiane]

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153

D_03_03 La lecture de cette nouvelle a été pour le moins déstabilisante. Dès la première phrase, j’ai senti que

je devais adopter la position d’une enquêtrice, que je devrais rassembler des morceaux et des indices pour

construire du sens. Cet horizon d’attente a été conditionné par la lecture que je venais de réaliser du texte de

Gérard Langlade concernant le « sujet lecteur ». Je m’attendais à ce que le choix de cette nouvelle ne soit pas

anodin, à ce que ce texte propose un dialogue particulièrement riche entre la fiction et mes « investissements

subjectifs » si je peux le dire ainsi. J’attendais des pièges et je tentais de lire le plus consciencieusement possible

en surlignant certains éléments pour qu’aucun détail ne m’échappe. [C3Josiane]

D_03_03 Le premier bris de compréhension que j’ai vécu a confirmé l’importance de ces informations dans la

scène où Évelyne revient chez elle et trouve Christian sur le pas de sa porte en train de dessiner l’un de ses

souvenirs à elle, une plage de son enfance et la poupée de chiffon dans l’eau. Elle entend les parents du garçon

qui l’appelle, mais ils ne sont pas là. Le garçon et le dessin finissent par s’évaporer. À ce moment, je me suis

arrêté. J’ai cru que quelque chose m’avait échappé et j’ai relu le passage. J’en suis venue à la conclusion que

le texte faisait partie d’un répertoire fantastique. J’ai avancé dans la nouvelle jusqu’à la partie qui chevauche la

page 262 et 263. Ce passage où Christian plonge franchement dans les souvenirs de la protagoniste

m’apparaissait important, j’ai souligné quelques phrases et j’ai eu besoin de le relire par deux fois. C’était peut-

être aussi parce que je le trouvais beau et touchant. [C3Josiane]

D_03_04 (A_02_05) (A_05_08) [mise en relation de ses pratiques de lectrice avec celles d’autrui, généralisation

à partir de sa propre expérience] Puis, il y a eu la découverte du phénomène Harry Potter, un de mes premiers

souvenirs frappants de lecture. Je ne serais pas surprise que vous retrouviez souvent cette référence dans les

autobiographies que vous allez récolter étant donné la popularité sans précédent de cette série. [C1Josiane]

D_03_04 (A_03_01) Ensuite, au début de mon secondaire, j’avais dû déménager dans une petite ville,

Fossambault-sur-le-lac, très animée l’été et presque vide l’hiver. C’était un milieu à l’opposé de tout ce que

j’avais connu (je restais à Charlesbourg avant) et l’intégration n’y a pas été facile. La lecture s’est alors

rapidement transformée en refuge. [C1Josiane]

D_03_04 (A_03_02) (A_02_05) Vers l’âge de dix ou douze ans, j’ai découvert la grosse boîte de romans

Harlequin de ma mère et je les ai presque tous lus. J’empruntais également quelques Danielle Steel, je crois

que cela assouvissait mes premières pulsions amoureuses car j’avais un fort besoin de fictions romantiques.

[C1Josiane]

D_03_04 (A_03_02) (A_06_02) Il fallait donc pour lire Harry Potter, que je place mon nom sur la liste d’attente.

C’était si cruel et en même temps, je savourais le moment où je réussissais à me le procurer. Il se lisait en à

peine quelques jours. Ma mère me surprenait à lire très tard le soir quand elle faisait son lavage puisque ma

chambre était au sous-sol. Harry Potter, c’était un monde fabuleux à découvrir, une intrigue qui parvenait

souvent à me berner. J’adorais ça ! [C1Josiane]

D_03_04 (A_03_02) Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé lire, en fait, j’ai toujours aimé les

histoires. Tout ce qui raconte m’interpelle. [C1Josiane]

D_03_04 (A_03_03) [mise en relation de ses pratiques avec celles d’autrui] Il est difficile de dire quelle lecture

a été la plus marquante parce que je me souviens surtout de mon rapport aux livres, les autres élèves étaient

surpris par ma façon d’être complètement absorbée dans mes lectures, que je puisse rire ou pleurer simplement

en lisant. Je me transposais. Je vivais par procuration. [C1Josiane]

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154

D_03_04 (A_05_09) [passeurs culturels et influence sur Josiane comme lectrice] À cet âge, je n’avais pas

encore les moyens d’acheter des livres, d’ailleurs, mes parents n’ont pratiquement jamais acheté de livres tout

court, à part les romans harlequins de ma mère qui étaient vendus à faible coût. Comme le livre n’est bien

souvent lu qu’une seule fois, ce n’est pas utiles à leurs yeux et mon père fréquente encore aujourd’hui les

bibliothèques municipales pour se procurer ses polars. [C1Josiane]

D_03_04 (A_06_01) C’est bien plus tard, au cégep, que j’ai commencé à posséder des livres et que j’y ai pris

goût. [C1Josiane]

D_03_04 (A_06_02) (A_02_05) J’étais une assidue de la bibliothèque, j’avais souvent plus de 4 livres dans mon

sac et je les lisais simultanément. Je me souviens de certaines séries en particulier : La petite maison dans la

prairie, Anne et la maison au pignons verts, Les filles de Caleb et les séries de Dominique Demers, avec le

personnage de Marie-Lune et de Maïna. [C1Josiane]

D_03_04 (A_06_02) Au primaire, j’ai lu plusieurs contes, romans jeunesse et séries de bandes-dessinées

également, comme Astérix. Mes souvenirs de lecture de cette époque sont vagues, je faisais des lectures de

divertissement et je fréquentais parfois les bibliothèques sans que ce soit systématique. [C1Josiane]

D_04_01 J’avais fini par conclure que le petit garçon arrivait à entrer dans les souvenirs de la femme, mais mon

contact avec d’autres perceptions m’a convaincu, au final, que je ne pouvais être sûre de rien. [C4Josiane]

D_04_03 Un autre exemple intéressant a été la réponse de ma collègue. Je ne me souviens plus de la formule

exacte, mais elle a affirmé que la mort de Christian équivalait finalement à la perte de son pouvoir d’entrer dans

une photographie. Elle tenait pour acquis que nous avions toutes fait cette lecture. Ça m’a profondément heurté,

en premier lieu, parce que je n’avais pas du tout envisagé cette idée, mais aussi, parce que j’avais d’autres

hypothèses. [C4Josiane]

D_04_04 […] je constate que la confrontation directe avec les conceptions des autres me permet en quelque

sorte de revisiter le texte avec d’autres lunettes. [C4Josiane]

D_04_04 Ma participation à un comité de lecture m’a permis de mieux comprendre comment il peut être

enrichissant de confronter nos expériences de lecture avec les autres, surtout dans notre cas, où la nouvelle

étudiée permettait une multiplicité d’interprétations. Lors de la rencontre, nous devions identifier les éléments

problématiques de l’œuvre. Si nous avions repéré sensiblement les mêmes passages, le fait d’avoir à les

répertorier nous forçait à tenter de comprendre ce qui posait problème. Par exemple, nous avons soulevé la

culpabilité d’Évelyne qui semblait être liée à la perte d’un enfant. Comme le texte ne donne pas de réponse

précise sur l’évènement traumatique qui a affecté le personnage, pour certaines d’entre nous, il était évident

que l’allusion concernait une fausse couche tandis que ce n’était pas si clair pour d’autres. En discuter nous

forçait à chercher ce qui nous avait confortées dans cette perception, à retourner au texte pour mieux le saisir.

[C4Josiane]

E_01_01 [préconception de la LL] Je commencerais en dévoilant le fait que la lecture des textes portant sur le

terme de « lecture littéraire » m’a tout de même étonnée, c’est-à-dire que je n’aurais pas pensé aux premiers

abords que la définition de ce terme était aussi problématique. [C2Josiane]

E_01_03 Les différentes façons de la concevoir ne me semblent pas aussi perméables que les théoriciens le

prétendent, en fait, j’ai plutôt l’impression que celles-ci participent à la richesse de la notion. [C2Josiane]

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155

E_01_04 (D_03_04) [incorporation d’un savoir à partir de sa propre expérience et dans une projection comme

FE/certaines incohérences dans l’incorporation des savoirs à un modèle] Si je repense à mes propres

expériences de lectrice, cette façon de lire s’inaugure comme une porte d’entrée sur les œuvres qui n’empêche

aucunement l’adoption d’une distance critique par la suite. On ne peut occulter ni le lecteur, ni la distanciation,

qui permet quant à elle de dépasser nos premières impressions de lecture et d’analyser plus en profondeur

l’objet littéraire. Ainsi, l’idée de la lecture littéraire comme « va-et-vient dialectique », tel que défini dans le texte

7, est la définition qui me rejoint le mieux, car elle permet de la penser comme un processus d’apprentissage.

Les étapes d’ancrage, de désancrage et de réancrage me semblent bien réussir à mettre en commun les

différentes conceptions tout en offrant des pistes de réflexion enrichissantes et concrètes pour les enseignants.

E_01_04 (E_02_04) [modèle didactique qui lui est propre] La relecture de ma définition de la lecture littéraire

m’incite à mieux observer comment les dernières activités permettent justement un « va-et-vient dialectique »

tel que défini par Picard. Dans un premier temps, rédiger un récit de lecture me paraît être un geste qui

encourage l’ancrage du lecteur dans le texte. Puis, le fait de confronter nos points de vue au sein d’un comité

de lecture apparaîtrait comme une activité de désancrage en élargissant les perceptions possibles. Le débat

interprétatif viendrait clore le processus en tant que production finale où il faudrait effectuer un réancrage, c’est-

à-dire, énumérer et justifier la pluralité d’interprétations possibles pour obtenir un regard global sur l’œuvre en

question.

E_01_04 Elle ne peut et ne doit pas avoir de contours rigides puisqu’elle s’appuie sur une définition de la

littérature qui se révèle elle-même en mouvance et conditionnée par le contexte sociohistorique dont elle

émerge. Je souhaite donc adopter une perception plurielle de la lecture littéraire au sein de ma future pratique

enseignante au sens où je souhaite qu’elle ne soit pas figée. [C2Josiane]

E_01_04 Le premier élément qui me rejoint et que je considère essentiel de clarifier est la position du lecteur

au regard de cette pratique. Je pense qu’on se doit en tant qu’enseignant de laisser d’abord l’étudiant lire une

œuvre de la façon la plus ordinaire qui soit, avec son propre bagage psychoaffectif et sa subjectivité. [C2Josiane]

E_02_02 Nous devions également élaborer des questions qui pousseraient l’autre partie de la classe à devoir

répondre par une interprétation, c’est-à-dire, ne pas être trop spécifique dans la réponse attendue. Partant de

nos passages problématiques et après avoir reformulé plusieurs parties, nous en sommes venues à un

consensus. [C4Josiane]

E_02_03 En ce qui concerne la définition du concept didactique et la rédaction d’un récit de lecture subjectif, j’ai

moins senti qu’elles m’avaient aidé à progresser en général. Cependant, je ne ferme pas la porte à l’idée de les

employer dans certains cadres.

E_02_03 Parmi les activités qui nous ont été proposées au sujet de la nouvelle La plage des songes, j’ai

particulièrement apprécié ma participation à un comité de lecture et la formulation de questions qui ont menées

à un débat interprétatif. D’abord, le fait de confronter ma lecture à celle des autres étudiants du comité m’a

permis d’élargir mes perceptions, de m’attarder sur des détails ou des hypothèses que je n’avais pas perçus.

Cette activité m’a permis de diversifier mes points de vue, mais surtout, d’en déconstruire certains en devant

retourner lire des passages de l’œuvre. J’ai dû chercher des prises sur le texte pour démontrer mes perceptions

qui étaient parfois plus intuitives que fondées au final. [C5Josiane]

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156

E_02_04 J’aimerais particulièrement reconduire ces deux dernières activités dans ma pratique étant donné que

j’ai aimé l’activité en soi, mais surtout, parce que j’ai réellement senti que ma lecture s’y est approfondie. Elles

me semblent aisées à mettre en œuvre de façon concrète. Je trouve que la progression des deux activités est

cohérente et le fait de l’élaborer sur deux cours différents permet d’avoir plus de temps de réflexion. [C5Josiane]

E_02_04 Notre comité a ensuite formulé des questions pour le débat interprétatif. C’est la première fois que

j’expérimentais un genre de formule où nous avions à débattre de thèmes que le groupe avait lui-même choisis.

Il fallait réussir à mettre le doigt sur les problèmes interprétatifs, ce que nous avons fait le plus souvent en

interrogeant les passages problématiques. Je remarque que cela exige de l’enseignant d’avoir non seulement

analysé l’œuvre en profondeur, mais également d’avoir préalablement fait une liste de thèmes possibles pour

être en mesure de bien diriger les étudiants. Son rôle consiste à chercher les points de consensus tout en

éliminant les interprétations qui ne tiennent pas la route. Malgré le fait qu’on accepte la diversité interprétative

chez les membres du débat, il faut tout de même s’assurer que les points de vue proposés ne s’éloignent pas

trop du texte en soi. [C5Josiane]

E_04_01 Cette dernière question nous a quelque peu été soufflée par l’enseignante puisqu’au départ, nous

voulions plutôt demander en quoi consiste la perte de Christian. Comme quoi, souvent les questions les plus

simples se révèlent les plus efficaces. Dans un examen, un problème comme celui-là m’aurait facilement

décontenancé. [C4Josiane]

E_05_01 [une non-pratique disciplinaire] Quoique j’ai une longue scolarité dans le domaine littéraire, cette

pratique des comités de lecture était très loin d’être courante et mes dernières expériences de ce genre d’activité

m’apparaissent assez éloignées dans le temps. Les retours en groupe étaient beaucoup plus fréquents […]

[C4Josiane]

E_05_03 [passeurs culturels scolaires/rapport d’identification et d’imitation] Inscrite dans le programme «

Littérature et autres arts » du cégep Sainte-Foy, je dirais que les enseignants m’ont ouvert des portes sur le

monde des mots. J’avais déjà un penchant pour les œuvres québécoises et la poésie, cette dernière sans

vraiment la connaître. Ainsi, ma rencontre avec l’univers de Gaston Miron a été un gros coup de cœur. Je me

suis beaucoup reconnue dans son style, je me souviens même de l’avoir en quelque sorte imité. D’autres grands

noms se sont ensuite ajoutés au fil de mon cursus, je ne peux passer outre celui de Réjean Ducharme et d’Anne

Hébert qui sont des influences très importantes dans mon parcours. [C1Josiane]

E_06_02 (D_03_04) Je conclurais en remarquant une chose importante, depuis ma formation en littérature, je

n’ai jamais pu « redescendre » vers une littérature plus populaire. J’en suis pratiquement incapable : c’est plus

fort que moi, j’ai toujours mon œil critique et je fais la chasse aux clichés. La façon dont l’œuvre est écrite

m’importe parfois plus que l’intrigue. Il n’y a peut-être simplement pas de retour en arrière possible lorsque l’on

entre dans le domaine littéraire. [C1Josiane]