Le Château Des Effrois

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Pour échapper aux assiduités de lord Crowley, un aristocrate hargneux déterminé à l'épouser bon gré mal gré, Tatika trouve refuge dans un château situé aux confins de l'Ecosse, et elle devient la dame de compagnie d'une duchesse douairière. Tatika comprend vite qu'un terrible secret hante les habitants de la demeure. Une sombre atmosphère semble envelopper le château, où la femme du jeune duc a mystérieusement disparu quelques années plus tôt. Tatika, étrangement troublée par le duc, est prête à tout pour élucider l'affaire et le disculper.

Citation preview

11886

Coiffes de diadmes qui tincelaient de mille feux, les dames de la cour sinclinrent en une profonde rvrence. Le cortge royal venait dentrer dans la salle de bal au son dun concert de trompettes. Dans leurs amples robes tournure, qui se terminaient en une longue trane, elles faisaient penser de dlicates fleurs qui frmissent sous une brise lgre. Llgance et le raffinement de la cour merveillaient Tatika.Le prince et la princesse de Galles sapprochrent du dais royal. Il y eut un roulement de tambours et lorchestre se mit jouer le God save the Queen.Un bal Buckingham Palace tait un vnement unique qui exerait sur Tatika une fascination plus grande que les autres bals o elle tait invite, soir aprs soir, depuis le dbut de la saison.La gent fminine pare de pierreries et de belles toffes colores semblait sortie dun conte de fes, et les hommes dans leurs habits bien coups se pavanaient, splendides et hautains. Il nexistait rien de plus sduisant quun uniforme couvert de mdailles, que lhabit brod dun ambassadeur ou que les culottes de satin portes avec lordre de la Jarretire.Comme toujours la princesse de Galles tait dune beaut resplendissante. Vtue dune robe de brocart blanc rehauss de fils argents et recouvert dun voile de tulle retenu par des bouquets de plumes blanches dautruche, elle clipsait toutes les autres femmes.Les Franais ont raison de dire que lAngleterre est un pays o les femmes sont belles, pensa Tatika.Prcd par le chambellan, lord Kenmare, le cortge se dispersa. Le prince et la princesse de Galles venaient douvrir le bal. Hommes et dames appartenant la maison royale, minentes personnalits les imitrent et se mirent voluer avec grce au rythme cadenc dun quadrille.Tatika se tenait debout ct de sa belle-mre qui tait assise sur une banquette recouverte de velours rouge. On ne lavait pas encore invite danser mais elle savait que les premires formalits du bal termines, elle ne manquerait pas de cavaliers.Le marquis de Lorne est trs bel homme, commenta lambassadrice qui se trouvait ct de sa belle-mre.Et trs distingu, renchrit lady Lynch. Jai toujours admir le comte de Fyfe. Les cossais surpassent tout le monde dans des occasions comme celle-ci.Lambassadrice se mit rire.En effet, les Anglais ont fort faire pour ne pas se laisser clipser, mais la concurrence nest pas si terrible maintenant que le duc de Strathcraig ne nous honore plus de sa prsence.Quel dommage quil dserte nos soires, dit lady Lynch. Un si beau garon!Nous sommes toutes daccord sur ce point, dit en souriant lambassadrice. Il est vraiment dommage quil ait dcid de senfermer dans son chteau des Highlands.Depuis cette terrible tragdie, il fuit donc la socit?Il parat quil refuserait mme une invitation Balmoral. A vrai direLambassadrice baissa la voix et la suite de la conversation chappa Tatika. Peu lui importait, dailleurs. Elle ne prtait quune oreille distraite ces commrages. Cependant, ladmiration sans retenue quelle avait perue dans les propos de sa belle-mre avait veill sa curiosit.Connue pour ses jugements acerbes, lady Lynch avait toujours en rserve un commentaire dsobligeant sur ses semblables. Lentendre faire lloge du duc de Strathcraig, voil qui tait bien surprenant!Un jeune homme resplendissant dans son uniforme de Guardsman vint sincliner devant Tatika pour la danse suivante. Il la courtisait depuis quelque temps et Tatika aurait prfr viter sa compagnie ce soir. Mais personne ne layant invite, elle ne pouvait refuser.Il faut que je vous voie, dit-il avec motion ds quils se furent loigns de lady Lynch.Nous nous sommes dj vus hier soir et avant-hier soir, rpondit-elle.Je veux dire seule.Vous savez bien que cest impossible.Pourquoi? Les endroits ne manquent pas. Vous pourriez dire votre belle-mre que vous allez la bibliothque ou au British Museum. Rien de plus facile que de trouver un prtexte pour ne pas veiller ses soupons.Et pourquoi agirais-je de faon dissimule? rpliqua Tatika dun ton glacial.Le jeune homme lui jeta un coup dil inquiet.Pourquoi? Vous le savez! Je vous ai dit que je vous aimais.Et moi, je vous ai dit que je ne voulais plus entendre ces balivernes. Dailleurs, je ne vous couterai pas.Je pourrais parler votre pre?Je suis sre quil vous conduira. Permettez-moi dtre claire une bonne fois pour toutes. Je ne souhaite pas vous pouser, ni vous ni un autre.Que me reprochez-vous? Pourquoi ne maimeriez-vous pas? Je ne suis pas rpugnant ce point.Je suis dsole, capitaine Witheringham, dit-elle avec fermet, mais il est inutile de continuer cette discussion.Que dois-je faire? demanda-t-il, dsespr.Vraiment, je nen ai aucune ide.La danse se termina. Elle regagna sa place auprs de sa belle-mre, le capitaine Witheringham sur ses talons. Il resta, mal laise, ct des deux femmes, faisant poliment la conversation jusqu ce que lorchestre entamt une nouvelle valse.Tatika parcourut la salle des yeux. Les somptueux bouquets de fleurs, les colonnes blanches et dores, le dais royal, les banquettes tendues de velours rouge, tout cela formait un dcor enchanteur. Lorchestre jouait dans lantichambre et une cordelette rouge dlimitait une partie de la salle o se tenaient les invits moins distingus.Un dcor idyllique, songea Tatika, non sans un brin dironie: si ce spectacle offrait ses yeux quelque intrt, il tait cependant dun faste trop clinquant pour lmouvoir.On linvita de nouveau danser. Son cavalier, quelle connaissait beaucoup moins bien que le capitaine Witheringham, lui fit cependant les invitables compliments quelle accueillit avec la froideur et lindiffrence quelle avait rserves au jeune officier.Quand elle regagna sa place, lady Lynch lui annona:Votre pre et moi sommes convis au souper offert par Leurs Majests. En notre absence, lady Carthew ma promis de vous chaperonner, vous et dautres jeunes filles. Noubliez pas de retourner auprs delle quand vous aurez fini de danser.Oui, belle-maman, rpondit Tatika.Dj lady Lynch lavait oublie. Elle cherchait des yeux son mari qui, fort lgant dans son habit de diplomate, se frayait un chemin travers la foule pour la retrouver. Le souper venait dtre annonc et, embotant le pas au prince et la princesse de Galles, les invits de marque se dirigeaient vers la salle manger.Profitant de la confusion gnrale, Tatika quitta la salle de bal. Si elle ne sclipsait pas, le capitaine Witheringham ne lui laisserait aucun rpit, cela ne faisait aucun doute, et prter une fois de plus une oreille complaisante aux galanteries de lofficier tait au-dessus de ses forces.Aprs avoir travers une vaste salle de rception, elle se retrouva dans une antichambre o, au dbut de la soire, en compagnie de lady Lynch et du cavalier qui lavait invite danser, elle tait venue admirer un rcent portrait de la reine et de ses petits-enfants. Le tableau ne lavait gure intresse mais elle avait remarqu une porte-fentre qui ouvrait sur le parc.Elle eut envie de respirer lair tide de cette nuit de juillet. Le parc tait ferique. Grce aux petits lampions lumineux accrochs dans les arbres et la lune brillante qui montait dans le ciel, on distinguait les vastes pelouses, les terrasses et au loin une fontaine.Tatika poussa un profond soupir. Comme chaque fois que la foule loppressait et que les hommes se montraient trop entreprenants son gard, la beaut de la nature lui procura un sentiment de bonheur et dapaisement.Laprs-midi entier stait pass rendre visite aux amies de sa belle-mre, bavarder et rpondre des questions anodines. Ce ntait que maintenant, seule dans le silence de la nuit, quelle se sentait libre.Il nexiste rien de plus beau au monde quun jardin au clair de lune, pensa-t-elle.Le parc de Buckingham tait en effet une merveille de la nature. Toute la contemplation de tant de splendeur, elle se laissa absorber par le cours de ses penses.A quoi rvez-vous, jolie demoiselle solitaire? senquit une voix qui la fit sursauter.Rappele soudain la ralit, elle se retourna vivement. Son interlocuteur tait un individu corpulent quelle avait aperu un peu plus tt au cours de la soire. Tandis quelle valsait, le regard pntrant de cet homme lavait suivie avec une dsagrable insistance. Lavait-elle dj rencontr? Non, elle ne le connaissait pas. Et maintenant, le voil qui fumait un cigare, entorse impardonnable ltiquette! La voluptueuse odeur de tabac se fondait avec le doux parfum des fleurs du parc.Tatika laissa la question de linconnu sans rponse, ne sachant comment sadresser un homme auquel on ne lavait pas prsente.Vous tes Tatika Lynch, reprit-il. Je connais votre pre. Je connaissais galement votre mre.Vous connaissiez ma mre? releva-t-elle avec intrt.Oui. Je me prsente: Crowley, lord Crowley.Votre nom ne mest pas inconnu. Pre parle souvent des victoires spectaculaires que votre curie remporte sur les champs de courses.En effet, je possde quelques bons chevaux, remarqua-t-il avec indiffrence. Je dsirais vous rencontrer depuis longtemps, Tatika.Surprise de sentendre appeler par son prnom, ce qui tait dune familiarit inconcevable, elle se crispa.Pourquoi? demanda-t-elle, sur la dfensive. Parce que vous connaissiez ma mre?Ctait une femme dune grande beaut et vous lui ressemblez beaucoup.Je vous remercie. Jai gard delle le souvenir dune personne ravissante. Elle est morte quand javais dix ans.Dans ses grands yeux bruns se lut une soudaine tristesse. Elle tait adorable et trs diffrente des autres jeunes filles de son ge. Lovale parfait de son visage, la profondeur de son regard quon ne parvenait oublier, sa chevelure sombre qui voquait lvanescence dun paysage sous la brume lui confraient un attrait mystrieux et particulier.Lord Crowley sapprocha et sappuya la balustrade de pierre.Jai aussi connu votre grand-pre, dit-il. Jtais en Russie il y a huit ans.Tatika garda le silence, nosant formuler la question qui lui brlait les lvres.Je lui ai parl de votre mre, continua le lord sous le regard intense de Tatika. Je me disais que peut-tre la mort de sa fille aurait ramen le vieux tyran de meilleurs sentiments. Mais tout ce que le prince Kaupenski a trouv me rpondre cest: Ma fille? Je nen ai jamais eu!Tatika sentit son cur se serrer.Depuis toute petite, je nourris lespoir de rencontrer un jour ma famille russe.Le prince est mort dsormais et il y a un certain nombre de tantes, doncles et de cousins divers degrs qui vous accueilleraient avec joie.Jen doute. De toute faon, je ne leur pardonnerai jamais lindiffrence quils ont tmoigne ma mre.Voyons, elle sest enfuie avec votre pre!Est-ce un crime? rpliqua vivement Tatika. Mes parents saimaient. Les Russes ne sont pas dpourvus dmotion au point de ne pas comprendre ce quest lamour!Et vous, le comprenez-vous?Lord Crowley eut une intonation singulire. Tatika le regarda avec curiosit.La quarantaine passe, il avait pu tre passablement beau dans sa jeunesse, mais il avait de lembonpoint, le teint rouge et un regard dplaisant qui la mettait mal laise. Un individu dont il fallait se mfier, son exprience du monde le lui disait. Elle dtourna la tte.Parlez-moi encore de ma mre.Je prfrerais parler de vous. Quel ge avez-vous, Tatika?Dix-huit ans passs. Jaurais d faire mon entre dans le monde lanne dernire, mais ma grand-mre paternelle est morte en avril. Nous tions en deuil.Vous tes donc une dbutante en retard en quelque sorte? Et la plus ravissante de toutes!Merci, dit Tatika poliment mais avec la plus grande froideur. Maintenant je dois regagner le bal. Je naurais pas d quitter la salle mais la chaleur y tait touffante.Rien ne presse. Votre pre et votre belle-mre sont avec le prince et la princesse de Galles. Je les ai vus se rendre au souper.Ne devriez-vous pas y tre?Je voulais bavarder avec vous.Vous mavez donc suivie?Oui. Je vous ai vue vous chapper du bal. Invoquant une soudaine indisposition, jai abandonn la cavalire que jtais cens escorter. Pour vous je nai pas hsit la laisser seule et inconsolable!Voil qui tait inutile et gure courtois. Ne va-t-elle pas avoir faim?Je suis sr quun cuyer zl et vigilant a d sempresser de prendre ma place. Mais vu que jai renonc souper pour vous, je vous serais oblig de me faire le plaisir de me tenir compagnie.Tatika garda le silence. Elle naimait pas cet homme autoritaire et dominateur. Il leffrayait.Ses impressions ne la trompaient jamais. En gnral, ds quelle rencontrait quelquun, elle devinait quel genre de personne il tait, si on pouvait avoir confiance en lui ou sil tait plus avis de lviter. Cet instinct lui venait, son avis, dune longue pratique acquise au fil des voyages en Europe quelle avait faits petite sur les traces de son pre quon envoyait dune ambassade lautre, dun pays lautre. Son ducation stait peut-tre ressentie de ses dplacements, cependant elle avait appris connatre les gens et les hommes en particulier.Vous tes belle, dit lord Crowley avec lair du connaisseur qui jauge les qualits dun pur-sang. tes-vous amoureuse?La question tait si inattendue quelle en fut choque.Certainement pas, rpliqua-t-elle dun ton sec.Pourtant vous parlez comme si vous compreniez ce quest cette motion insaisissable qui nous fait battre le cur et que nous cherchons tous.Je nai jamais t amoureuse.Mais vous rvez de ltre. Qui ne souhaite pas connatre livresse de lamour, rencontrer le prince charmant et bien sr vivre un bonheur fait de dlices?Une pointe de sarcasme sous-tendait ces propos.tes-vous mari, milord? senquit-elle.Je lai t, corrigea-t-il. Je suis veuf depuis bientt cinq ans.Je suis dsole.Inutile de ltre. Ma femme ne me manque pas. Nous avions peu de choses en commun.Tatika le regarda, tonne.Alors, pourquoi lavoir pouse?Elle se mordit aussitt les lvres. Sa question tait impertinente et trop indiscrte.Veuillez mexcuser! sexclama-t-elle. Je naurais pas d parler ainsi. Et maintenant, milord, il est temps que je regagne le bal.Elle se dirigea vers la porte-fentre. Il la rattrapa et lui prit la main.Restez un instant encore. Je veux que nous bavardions ensemble et plus que tout je veux vous embrasser.Elle tenta de retirer sa main. En vain, il ne la lchait pas. Comme il essayait de lenlacer, elle recula vivement et parvint se dgager.Veuillez me laisser partir, dclara-t-elle dun ton sec, un ton qui aurait remis sa place tout jeune homme ayant simplement os la toucher.La raction de lord Crowley la glaa dhorreur: il se contenta de rire.Voil la voix imprieuse de vos anctres russes qui sexprime. Je vois, petite Tatika, que vous nhsiteriez pas fouetter vos serfs pour les faire ramper vos pieds, ou vos chevaux pour que votre traneau file toute vitesse sur les steppes enneiges.Il continua dune voix trangement grave:Ce sont des menteurs ceux qui vous disent timore et froide. Cest bien pour cela que je veux vous embrasser et connatre lardeur de votre baiser.Comment osez-vous? scria-t-elle, furieuse. Vous navez pas le droit de me parler ainsi, vous le savez.Et comment men empcheriez-vous?Il lui tenait tte avec insolence. Un frisson dangoisse la parcourut.Vous minsultez. Mon pre ne le tolrerait pas, rpliqua-t-elle avec fiert. En particulier de la part de quelquun qui se prtend son ami.Et vous pensez vraiment que votre pre croirait que je vous ai insulte? dit lord Crowley, sarcastique, un sourire aux lvres.Oh, comme elle le dtestait!Je dsire regagner le bal. Je vous prie de me laisser passer.Elle dgagea sa main dun mouvement brusque et le toisa dun air de dfi. Lespace dun instant, il sembla sur le point de lui rsister, puis se ravisa.Fort bien, dit-il. Je vous ramne au bal et nous danserons ensemble. Je veux vous tenir dans mes bras.Je ne danserai pas avec vous.Elle entra dans le palais, irrite de cette prsence menaante et imperturbable ses cts. Lassurance insolente quaffichait lord Crowley ne signifiait que trop sa dtermination agir sa guise. Lorchestre jouait une valse. Lenlaant prestement, lord Crowley lentrana au milieu de la piste avant quelle pt ragir. Elle se tint raide et distante, esprant par son attitude exprimer son partenaire son dplaisir. Mais tandis quils virevoltaient, elle remarqua une lueur amuse dans son regard et comprit que le silence ne limportunait en aucune faon. Il dansait bien, ce qui la surprit. Le contact de la main de lord Crowley dans son dos lui rpugnait, mais voluant naturellement avec beaucoup de grce elle avait du mal rester droite comme un I et ne pas suivre le rythme entranant de la musique.Quand puis-je vous revoir? Demain?Je suis occupe, rpliqua-t-elle dun ton bref.Je vous emmnerai en promenade Hyde Park.Il mest absolument impossible dhonorer votre invitation, fit-elle, sarcastique.Il rit, amus.Avez-vous vraiment lintention de me rsister?Il lobligeait rompre le mutisme derrire lequel elle avait cherch se protger.Je vais tre claire, milord. Je vous remercie de votre invitation mais en effet je nai pas lintention de laccepter, ni pour demain ni pour aucun autre jour.Savez-vous que vos yeux brillent dun clat merveilleux quand vous tes en colre? Je nai jamais connu de femme qui la colre sied autant. Dordinaire les femmes deviennent laides dans ces moments-l. Mais vous, vous vous parez dun charme plus irrsistible encore que lorsque vous tes calme.Vos flatteries ridicules mimportunent. Je ne souhaite pas en entendre davantage.Il ne sagit pas de flatteries. Je dis la vrit.La musique cessa.Maccorderez-vous la danse suivante?Je crois que vous connaissez dj ma rponse.Il clata de rire comme si elle venait de faire preuve dun trait desprit particulirement heureux.Vous tes trs jeune, mais comment rsister? Jai tellement envie de vous embrasser.Elle le foudroya du regard et rejoignit lady Carthew.Plus tard, dans la calche qui les ramenait chez eux, lady Lynch commenta la soire.Quelle chaleur intenable! dit-elle en rprimant un billement. Enfin! Cest lun des plus beaux bals auxquels jai assist Buckingham Palace. Quen penses-tu, Dominic?Oui, ctait trs russi.Tatika tait assise en face deux, sur le petit sige qui tournait le dos au cocher.Et toi, tes-tu bien amuse, Tatika? demanda-t-il en lui touchant lpaule. On ma fait beaucoup de compliments sur ta beaut.Jai pass une excellente soire.Tu as beaucoup dans. Qui tait ton chevalier servant au souper?Je nai pas soup car je navais pas faim. Plusieurs cavaliers mont propos de mescorter mais jai prfr danser.Quand jtais jeune fille, je trouvais quil tait plus facile de flirter avec du vin et des plats dlicieux porte de main.Sir Dominic clata de rire.Que racontes-tu, Elaine! Je me souviens de notre premire rencontre Vienne. Nous sommes rests assis dans le jardin au lieu de danser et nous avons littralement dfray la chronique.Cest vrai, dit lady Lynch, mais tu tais irrsistible, Dominic.Cest toi qui ltais.Tatika ne doutait pas de la vracit de ces propos. Ds que sa belle-mre avait pos les yeux sur son pre, elle avait dcid de lpouser. Il avait dj rsist aux minauderies de tant de coquettes quau dbut Tatika ne stait pas alarme. Puis, elle stait rendu compte quune dtermination de fer se cachait derrire ce joli minois dpourvu de personnalit, une dtermination qui empchait lhomme sur lequel elle avait jet son dvolu de schapper. Sir Dominic stait laiss prendre au pige et seize ans, aprs avoir eu pendant des annes son pre pour elle seule, Tatika avait d affronter une rivale.Je marrte chez Whites, dit Dominic tandis quils remontaient St. Jamess Street.Ne rentre pas tard, fit lady Lynch dun ton cassant.Non, bien sr, jai promis de faire un saut. Freddy organise une partie de cartes. Les enjeux vont tre levs cette fois-ci.Dans ce cas, ne joue pas, dit lady Lynch. Tu sais quon nen a pas les moyens.Je le sais mieux que quiconque, rpliqua-t-il dun ton amer.La voiture simmobilisa. Sir Dominic dposa un baiser sur la joue de Tatika.Bonne nuit, ma chrie.Elle le regarda traverser la chausse jusqu son club. Il approchait de la soixantaine, certes, mais il avait toujours belle allure et beaucoup de charme.Le valet de pied referma la portire et grimpa sur son sige.Votre pre a dnormes soucis dargent, dit lady Lynch tandis que la voiture repartait.Je sais, rpliqua Tatika dun ton lger.Puisque vous tes consciente de ses difficults, je ne comprends pas pourquoi vous ne faites rien pour y remdier.Comme Tatika gardait le silence, sa belle-mre reprit:Votre pre sest montr plus que gnreux envers vous. Il a dpens une vritable fortune pour que vous frquentiez la meilleure socit. Des dpenses inconsidres, en vrit, et quil ne peut gure se permettre. Or, nous sommes le 19 juillet et apparemment, cest en pure perte quil sest donn tout ce mal.Parce que je ne suis pas fiance?Exactement. Parmi le nombre de soupirants qui se pressent autour de vous, vous pourriez en trouver un qui satisfasse vos exigences denfant dlicate et capricieuse.Lady Lynch laissait transparatre son mpris. Le visage de Tatika sempourpra.Je suis navre, belle-maman, mais je ne suis tombe amoureuse de personne au cours de ces deux derniers mois.Amoureuse! rpta lady Lynch de son ton cassant. Qui vous parle dtre amoureuse? Ce que nous voulons, Tatika, cest que vous pousiez un homme riche qui vous offre une situation dcente. Et mon sens, les prtendants qui rpondent cette condition ne manquent pas autour de vous.Tatika ne rpondit pas.Je me rends bien compte que votre stratgie consiste les dcourager de parler votre pre. Je ne suis pas sotte, Tatika! Si vous dupez votre pre, moi, je vois clair dans votre jeu. Vous tes froide, insensible, et votre faon de repousser les avances dun homme avant mme quil ait pu vous demander en mariage commence faire jaser.Que voulez-vous dire?Lady Hron sest plainte de votre attitude ce soir. Il parat que vous avez congdi son fils avant mme quil ait pu ouvrir la bouche. Vous lavez beaucoup pein.Vous ne pouvez tout de mme pas me demander dpouser lord Hron! sexclama Tatika. Il est sujet des crises de nervosit et na pas toute sa raison.En tout cas, il possde un immense domaine dans le Wiltshire et les Hron appartiennent une vieille famille fort respectable.Tatika ouvrit de grands yeux.Etes-vous srieuse? Vous estimez que je devrais accepter la demande en mariage de lord Hron?Je suis srieuse. Lord Hron est un excellent parti pour une fille sans dot qui est un vritable fardeau pour son pre.Je suis sre que papa ne souhaite pas ce mariage.Votre pre se rangera mon avis, et si je lui explique que vous devez pouser lord Hron, il mcoutera. Si vous vous imaginez que a mamuse de mafficher avec une dbutante alors que je nai moi-mme que trente-quatre ans, vous vous trompez!Toutes deux savaient fort bien quelle en avait plus de trente-huit, mais ce ntait ni lheure ni lendroit dergoter sur un dtail de ce genre.Ce nest pas moi qui ai voulu frquenter la haute socit, dit Tatika aprs un silence. Je me serais contente de rester en dehors des mondanits et de poursuivre mes tudes.Et quel avenir auriez-vous eu? Devenir lpouse de lemploy de la bibliothque de prt? Ne soyez pas ridicule, Tatika! Votre pre jouit dun immense respect dans les milieux diplomatiques. Il est naturel quil dsire que sa fille fasse un beau mariage. Et croyez-moi, le plus tt sera le mieux.Vous me lavez dj signifi plusieurs reprises.Oui, mais apparemment jai parl en vain car vous ne suivez pas mes conseils, dit lady Lynch avec colre. Jaimerais que vous compreniez une bonne fois pour toutes, Tatika, que vous ne pouvez pas continuer repousser vos soupirants, les empcher de vous courtiser et de demander votre main votre pre.A quoi bon les laisser parler mon pre si je nai pas lintention de me marier?Lady Lynch eut une exclamation dexaspration.Je vous aurai prvenue. Il reste deux semaines dici la fin de la saison. Si vous ne vous trouvez pas un mari dici l, je considrerai que vous tes une fille ingrate, goste, dpourvue daffection pour son pre!Elle ajouta dun ton sec:Il na pas les moyens de vous habiller, nous avons tout juste de quoi vivre.Tatika soupira. Elle tait lasse de ces scnes de jalousie qui ne cessaient de se rpter depuis plusieurs mois. Pousse par la cupidit, sa belle-mre ne supportait pas que son mari dpenst un centime pour sa fille. Il tait vrai quils avaient peu dargent. Un diplomate gagnait mdiocrement sa vie et sir Dominic avait toujours vcu au-dessus de ses moyens. Aprs la mort de sa mre, Tatika avait men une vie simple mais confortable dans les diffrentes capitales dEurope. Mais la nouvelle lady Lynch exigeait tant pour sa personne! Elle dpensait des sommes astronomiques en vtements et cherchait toujours se faire offrir des bijoux. Voitures et quipages devaient tre plus lgants que ceux de nimporte quelle autre pouse de diplomate et elle adorait donner de grandes rceptions. Avant de se remarier, sir Dominic tait toujours beaucoup sorti. Rien de plus facile quand on est veuf que de se faire inviter. Dsormais, ctait lui de recevoir et de rgler les factures.Vous avez entendu, oui ou non? dit lady Lynch, ulcre par le silence obstin que lui opposait sa belle-fille. Vous avez deux semaines, Tatika. Si dici quinze jours vous navez pas trouv de mari, que cela vous plaise ou non, je dirai lady Hron que vous avez chang davis et que vous voulez bien pouser son fils mme sil na pas toute sa raison.Je npouserai pas lord Hron.Fort bien, libre vous de vous choisir un autre poux, rpliqua lady Lynch avec indiffrence. Mais je vous assure que vous serez marie avant Nol.Tatika neut pas le temps de rpondre cette nouvelle menace car la voiture venait de sarrter devant leur maison de Charles Street que sir Dominic avait loue temporairement.Sa mission Vienne venait de se terminer et il comptait sur le dpart la retraite de lambassadeur britannique Paris pour reprendre son poste. En attendant, il navait pas demploi et, vu ses difficults financires, il aurait t plus avis de vivre dans le manoir lisabthain du Hertfordshire que la famille Lynch possdait depuis plus de trois sicles. Mais il souhaitait que sa fille ft introduite dans la haute socit, et lady Lynch ne rpugnant pas aux divertissements quoffrait la capitale, ils taient venus sinstaller Londres pour la saison des bals. Toutefois, cette dcision entranait des dpenses considrables.Tatika suivit sa belle-mre dans le hall dentre, le cur serr en pensant son pre cribl de dettes. En effet, le seul moyen de le tirer de ce mauvais pas tait de se marier.A cause de moi, il sest endett jusquau cou, songea-t-elle. Pourtant, puis-je, mme pour aider papa, me rsigner pouser un homme que je naime pas?Le visage niais de lord Hron simposa elle, suivi du regard lascif de lord Crowley, un regard qui, il tait ais de le deviner, tait le prlude des situations pnibles, des protestations et des rcriminations.Un frisson deffroi la parcourut.

Ce lord Crowley me dplat profondment et me fait peur, se dit-elle.2

Tatika resta longtemps veille dans son lit. Se remmorant les propos que lui avait tenus sa belle-mre, elle passa en revue les jeunes gens quelle savait prts la demander en mariage au moindre signe dencouragement de sa part. Malheureusement pas un seul de ces ventuels prtendants ne lui convenait. Trouverait-elle jamais celui qui elle donnerait son cur?Un profond dcouragement lenvahit. A la mort de sa mre, elle avait suivi son pre dans ses voyages en Europe et vcu dans un univers essentiellement masculin. Des hommes dge mr avaient cherch lembrasser, dautres, plus jeunes, lavaient courtise et, ds quelle avait t une jeune fille accomplie, avaient manifest le dsir de lpouser.Sa nature franche la poussait refuser la seule ide dtre embrasse par quelquun pour qui elle nprouverait pas de vritable affection. Il tait difficile parfois de refrner les ardeurs de ses soupirants subjugus par sa beaut, car mme sa froideur leur tait alors un dfi. Mais Tatika avait fini par apprendre, comme lavait dit sa belle-mre, dcourager toute tentative de sduction de leur part avant mme quils fussent rellement conscients de leur but.Elle se disait parfois quelle avait un don de double vue car ds les premiers regards elle devinait sils chercheraient la sduire ou non. Ce ntait pas seulement la lueur de convoitise qui brillait dans leurs yeux, ni les flatteries qui sous-tendaient leur conversation. Non, il sagissait dune sorte dinstinct qui la mettait en garde contre leurs intentions. Elle reculait alors comme lon recule devant un serpent.Son plus grand regret tait de ne pouvoir fuir cette socit de plaisirs vains, de ne pouvoir vivre loin des mondanits telle une vierge de glace qui refroidit tous ceux qui tentent de lapprocher avait dit un prtendant dpit.Serai-je jamais amoureuse? stait-elle trs souvent demand, dsespre.Cependant elle tait certaine quun jour elle rencontrerait celui quelle aimerait et qui lattirerait irrsistiblement. Parfois, le sang russe qui coulait dans ses veines veillait en elle dtranges aspirations et des dsirs profonds quelle tait incapable de formuler car elle tait trop innocente.Mais ces dsirs taient l, cachs au fond de son cur. Ils peuplaient ses rves et nourrissaient son espoir dtre un jour aime et daimer son tour. Quattendait-elle de son amoureux imaginaire? Elle lignorait. Elle savait seulement quelle le rencontrerait et trouverait auprs de lui le bonheur auquel elle aspirait.Que dois-je faire? se demanda-t-elle en sveillant.Elle avait dormi dun sommeil agit et travers de rves dplaisants et voil que la menace de sa belle-mre lui revenait lesprit. Elle devait trouver un poux dici Nol!La vie de Tatika avait entirement chang partir du moment o son pre stait remari. Le sduisant sir Dominic navait pu se rsigner la solitude du veuvage et peu de temps aprs la mort de son pouse, il stait consol de son chagrin auprs des femmes qui lui apportaient douceur et tendresse. Tatika ne lui en avait pas voulu. Elle savait quil tait contraire la nature de son pre de vivre seul et comprenait que le dsespoir davoir perdu jamais celle quil aimait de tout son cur nen tait pas moins vif.Ses parents avaient connu une vritable passion dont elle avait t le tmoin ds son plus jeune ge. Le souvenir des dix premires annes de sa vie baignait dans une douce lumire dore. Sa mre dgageait un tel sentiment de bonheur quelle semblait voluer dans un univers o le soleil brillait linfini.Ils staient rencontrs lpoque o Dominic Lynch, qui navait pas encore t fait chevalier, occupait le poste de premier secrtaire lambassade britannique de Saint-Ptersbourg. Ctait un clibataire de trente-huit ans, plein dentrain, dont lamiti tait recherche et qui tait fort sensible la beaut des femmes de la cour du Tsar.Cest alors que le hasard (car les jeunes filles assistaient rarement aux rceptions o il tait convi) le mit en prsence de la fille de Son Altesse Srnissime le prince Kaupenski. A peine ge de dix-sept ans, Katrina avait une maturit que possdaient peu de jeunes filles anglaises. Ce fut le coup de foudre.Nous sommes tombs follement amoureux lun de lautre, avait expliqu Katrina sa fille quand celle-ci fut en ge de comprendre.Ces simples mots faisaient rver Tatika et elle imaginait le sentiment dextase et dmerveillement quavaient d prouver ces deux tres que tant dannes sparaient.Ils staient aims passionnment, et quand le prince avait oppos un refus catgorique au mariage de sa fille avec un diplomate insignifiant, ils staient enfuis. Une dcision qui aurait pu ruiner la carrire de Dominic Lynch si le prince avait dpos une plainte au ministre des Affaires trangres. Mais ce dernier stait content de renier sa fille et dexiger que sa famille rompe toute relation avec la rengate. Katrina tait dsormais orpheline et sans argent. Mais peu importait Dominic Lynch. Lamour lui suffisait.A la rflexion, Tatika se disait que sa mre avait d souffrir de son exil et de sa solitude. Ctait une Russe dans lme et elle avait si peu en commun avec les gens des autres pays dEurope! Certes, les soires quelle donnait taient toujours une russite, sa beaut et son charme slaves sduisaient. Pourtant, au fond de son cur, elle demeurait une exile. Ctait dailleurs peut-tre ce qui expliquait chez sa fille le sentiment de sa diffrence et ce qui lui faisait apprcier la solitude.La mort de sa mre apporta un changement brutal dans la vie de Tatika, comme si elle avait grandi en une seule nuit. Elle tait toujours une enfant mais pensait dsormais en adulte. Elle comprenait le chagrin de son pre et sa faon de le surmonter en voyant dautres femmes. Soucieuse de ne pas le dranger inutilement et de lui viter les tracasseries mnagres, elle avait pris soin de la maison, sacquittant de sa tche la perfection. Elle engageait ses professeurs, dcidait des sujets dtude qui lintressaient, choisissait ses vtements et demandait sa gouvernante de lui servir de chaperon quand elle dsirait sortir. A seize ans, elle avait lassurance et la maturit dune femme de trente ans.Cest alors quun second vnement bouleversa sa vie. Sir Dominic succomba aux flatteries et la dtermination dune jeune veuve qui le poursuivait de ses assiduits depuis plus de deux ans.Je vais me remarier, Tatika, annona-t-il un jour.Tatika le regarda de ses grands yeux.Avec MrsWinslow, papa? dit-elle aprs un silence.Oui.Est-ce sage?Ctait une trange question de la part dune fille son pre. Sir Dominic avait fait quelques pas vers la fentre qui donnait sur le jardin de lambassade britannique Vienne.Depuis longtemps on me fait remarquer quun ambassadeur doit avoir une pouse, dit-il sans la regarder. Tu le sais fort bien, Elaine remplira merveille ses devoirs de matresse de maison.Comme Tatika se taisait, il se retourna.Ctait invitable. Elle mest trs attache.Manifestement il cherchait sexcuser.Si cela peut vous rendre heureux, papa.Heureux! Quest-ce que le bonheur? interrogea-t-il. Jai cess dtre heureux la mort de ta mre. Mais la vie continue, on na pas le choix et je ne peux ngliger ma carrire.Bien sr, papa, dit-elle gentiment. Jespre que ce mariage vous comblera.Sur ces paroles qui dissimulaient mal sa peine, Tatika avait quitt la pice. Une page de sa vie venait dtre tourne et voil quelle avait peur de ce que lavenir lui rservait.Ds quelle fut marie sir Dominic, lady Lynch ne cacha pas son antipathie pour sa belle-fille qui, son sens, tait une bouche inutile. Sachant sa prsence indsirable, Tatika consacrait le plus clair de son temps ltude des langues trangres, de lart et de la musique, occupations qui lentranaient souvent hors de lambassade. Toutefois, malgr ces efforts de discrtion, quand les factures arrivaient, lady Lynch laissait clater sa colre et se lanait dans des diatribes interminables contre sa belle-fille. A son sens, il tait vain dentreprendre des tudes car un homme navait que faire dune femme instruite! Depuis longtemps Tatika avait cess de se justifier et supportait en silence ces reproches injustes.Mais nest-il pas plus odieux de contraindre une femme intelligente pouser un mari idiot? sinterrogea-t-elle en regardant le soleil filtrer par les rideaux.La pense de lord Hron la faisait frmir. Comment supporter, jour aprs jour, ce visage insipide en face de soi? Comment prter une oreille patiente ses propos fades et dune rare ineptie? Mme le capitaine Witheringham, dont la conversation se bornait aux histoires de rgiment, tait prfrable. Mais ne possdant pas de fortune personnelle, il nentrait pas en comptition.Quesprait-elle trouver chez un mari?Il tait encore tt et la femme de chambre ntait pas encore venue la rveiller. Incapable de rester au lit, elle se leva et alla tirer les rideaux. Le soleil radieux de cette journe dt laveugla un instant et sur les faades des maisons, de lautre ct de la rue, elle crut voir en surimpression les visages de ses prtendants. Des visages bien levs ou cupides, sots ou svres Des visages qui navaient rien lui offrir, qui pour elle navait pas le moindre intrt. Que marrive-t-il? se demanda-t-elle.Elle alla prendre son petit djeuner. Son pre descendrait dici une demi-heure. Sa belle-mre se faisait servir au lit. Au moment o elle atteignait les dernires marches de lescalier, on frappa la porte dentre. Elle vit le valet enfiler rapidement sa livre boutons dargent et traverser la hte le vestibule dall de marbre pour aller ouvrir la porte. Il prit un paquet volumineux des mains dun commis.Cest pour vous, mademoiselle. Il y a un billet. Le garon doit attendre votre rponse.Tatika jeta un coup dil indiffrent la corbeille de fleurs quon lui prsentait. Il tait frquent que ses admirateurs lui envoient des fleurs. Toutefois, celles-ci semblaient plus coteuses que celles quelle recevait dordinaire. Une profusion dorchides blanches taient disposes avec got dans une corbeille. Il tait tonnant quon les lui livrt une heure aussi matinale car les fleuristes ntaient pas encore ouverts.Machinalement elle ouvrit le billet dont le contenu ne lintressait pas. Len-tte du papier arborait une couronne.

Ma belle petite Tatika,Que dites-vous dune promenade Hyde Park? Je passerai vous prendre midi. Ces fleurs arrivent de la campagne. Elles mont fait penser vous.Crowley.

Tatika replia la feuille de papier.Faites dire que miss Lynch nest pas libre, dit-elle au laquais.Elle gagna le salon du matin et dchira le billet de lord Crowley en petits morceaux quelle jeta dans la corbeille en esprant que sa belle-mre ne saurait rien de cette invitation.Il tait vident que lord Crowley ntait pas amoureux delle. Il la trouvait simplement jolie, son got, et comme beaucoup dhommes dge mr, courtiser une jeune fille de dix-huit ans lamusait.Tatika avait rencontr un grand nombre de ces Don Juans vieillissants. Les personnalits minentes du corps diplomatique reues lambassade, pour la plupart des hommes maris, ntaient plus dans leur premire jeunesse. Toutefois, ils navaient aucun scrupule poursuivre de leurs assiduits la fille de leur hte. Pour les tenir distance, tact et froideur simposaient. Tatika en avait fait lexprience.Lord Crowley est un de ces Casanovas sur le retour, songea-t-elle avec mpris.Cet individu lui dplaisait profondment. Sa faon de surgir inopinment, ses regards souponneux lui rpugnaient.Tatika savait que son excs de franchise pouvait tre un dfaut car laversion quelle prouvait lgard de certaines personnes lempchait parfois de rester polie. Bah! A quoi bon se tracasser? Il serait facile de refuser ses invitations. En outre elle ne le rencontrerait sans doute pas aux derniers bals de la saison et son pre lui avait assur quil navait pas lintention de se rendre Goodwood cette anne. Mieux valait donc ne plus y penser.Mais pourquoi le regard lascif de cet homme qui lavait suivie dans le parc de Buckingham la hantait-il avec autant dinsistance?Elle avait oubli la corbeille dorchides quand, plus tard dans la matine, lady Lynch la rejoignit au salon o elle stait installe pour crire des lettres de remerciement aux htesses qui lavaient invite diffrentes rceptions.Qui a envoy les orchides qui sont dans lentre? interrogea lady Lynch.Tatika se leva.Bonjour, belle-maman.Une journe qui commence plutt mal pour moi, rpliqua lady Lynch, acaritre. Jai une migraine atroce et Dieu sait dans quel tat je serai aprs le bal de ce soir! Enfin, il faut que vous y alliez et moi, je dois sacrifier ma sant pour vous servir de chaperon.Tatika ne rpondit pas. Elle savait quen ralit sa belle-mre tait ravie de se rendre au bal et quelle saisissait le moindre prtexte pour maugrer.Je vous ai demand qui a envoy ces fleurs, reprit-elle.Quelquun avec qui jai dans hier soir, dit Tatika avec dtachement. Cest la premire fois que je le voyais et pour tre honnte, tant dextravagance me dpasse.Qui est-ce? Un clibataire?Je crois quil est mari.Ctait en partie la vrit.Lady Lynch haussa les paules.Les hommes maris ne vous mneront rien, lana-t-elle. Noubliez pas ce que je vous ai dit hier soir.Sur cette remarque, elle quitta la pice. Avec un soupir de soulagement, Tatika se rassit son bureau. Son courrier termin, elle monta sa chambre o lattendait Ellen qui tait entre au service de sa mre quand celle-ci tait enfant. A la cour du tsar, il tait de bon ton dengager une femme de chambre anglaise ou franaise. Ellen tait donc alle vivre Saint-Ptersbourg et lorsque sa matresse stait enfuie avec sir Dominic, elle lavait suivie.Prparons-nous, ma chre Ellen, et sortons, dit Tatika. Jai besoin de prendre lair.Bien sr, rpondit Ellen.Ctait une femme ge et trs douce. En dehors de son pre, ctait la seule personne qui comptait pour Tatika.Quest-ce qui vous tracasse? senquit Ellen en voyant la mine proccupe de la jeune fille. Elle a encore t dplaisante?Il tait inutile de prciser de qui il sagissait.Ma belle-mre a dcrt quil fallait que je sois marie dici Nol.Ne prtez pas attention ces discours, dit Ellen dun air fch. Elle cherche se dbarrasser de vous depuis quelle a pous sir Dominic. Ce nest pas bien. Si elle continue se montrer dsagrable, il faudra en parler votre pre.A quoi bon? Il sincline devant ses exigences car il a horreur des disputes. (Un profond soupir lui chappa.) Oh, Ellen, si seulement nous pouvions aller vivre toutes les deux la campagne! La chaumire la plus modeste me conviendrait. Je pourrais gagner un peu dargent en crivant ou en traduisant des livres. Je naurais plus supporter ces reproches incessants.Mademoiselle Tatika, il ne faut pas renoncer au monde auquel vous appartenez, dclara Ellen avec fermet. Il faut rencontrer des jeunes gens de votre milieu et vous faire des amis.Tatika sourit.En gnral, quand je me lie damiti, papa est nomm dans un autre pays et nous devons nous en aller. Tu te souviens de cette charmante famille Rome? Jadorais tre avec eux. Je ne les ai jamais revus.Vous tes plus ge maintenant et peut-tre allez-vous rencontrer quelquun de bien qui vous aimera et mritera votre amour.Toujours en train de parler de mariage! Tu es pire que ma belle-mre, dit Tatika avec un rire sans gaiet.Et quelle autre vie est cense mener une jeune fille de votre milieu? Votre mre aurait voulu que vous vous mariiez.Telle est bien mon intention, le jour o je serai amoureuse.Il ny a donc personne qui vous plaise?Ctait une question quEllen avait dj souvent pose.Personne, Ellen, tu le sais. (Tatika fit quelques pas.) Je me demandais ce matin en me rveillant pourquoi je ne mprends pas de lun de mes soupirants. Mais, Ellen, ils sont tellement communs, assommants ou rpugnants!Cest une question de temps. Votre mre est tombe amoureuse dix-sept ans, mais ctait diffrent. Je noublierai jamais le jour o elle ma dit: Je laime, Ellen! Je laime la folie! Et si papa soppose notre mariage, nous nous enfuirons.Ctait une histoire que Tatika avait entendue maintes reprises mais qui la bouleversait toujours. Il y avait quelque chose de poignant dans ces mots que rptait Ellen car ils vibraient dune motion particulire qui rappelait trop bien Tatika sa mre au caractre si passionn.Quand je serai amoureuse, je me marierai, dit-elle, mais en attendant je ne me laisserai pas intimider par les discours de ma belle-mre.Vous avez raison, ma chrie. Il ne faut pas vous laisser influencer. Mais elle cherchera vous faire plier, vous le savez.Oui, je le sais, acquiesa Tatika avec gravit. Allons, Ellen, sortons. Jaimerais aller la bibliothque, ajouta-t-elle.Le reste de la journe, Tatika fit en sorte dviter sa belle-mre. Par chance, lady Lynch djeuna lextrieur et, se sentant lasse, nalla pas rendre les nombreuses visites de politesse auxquelles elle employait en gnral ses aprs-midi et o elle entranait toujours sa belle-fille.Tatika put donc profiter de sa libert. Elle se pelotonna sur un divan avec un livre et, fatigue des longues soires o elle stait couche tard, elle finit par sassoupir. Elle sveilla avec un sentiment de bonheur intense. Son rve svanouissait mais elle y avait rencontr celui quelle aimerait et qui laimerait avec passion.Je suis heureuse, murmura-t-elle en ouvrant les yeux.Elle tait toujours allonge sur le canap, un livre sur les genoux. Si seulement je pouvais me sentir aussi bien dans la vie relle, pensa-t-elle.Encore habite par son rve, elle monta se changer pour le dner en fredonnant un petit air.Le dner auquel elle tait convie ressemblait en tout point aux prcdents. Les immenses tables taient dcores de lis blancs et de chandeliers en argent. Lhtesse disparaissait littralement sous les diamants et les perles, colliers, broches, bracelets, bagues, diadmes. On servit des mets exotiques et raffins auxquels Tatika toucha peine. Ses voisins de table ressemblaient dsesprment ceux de la veille et de lavant-veille. Un Guardsman lui dcrivit en dtail les manuvres militaires dans la plaine de Salisbury. Lui faisait face un jeune pair sans menton qui navait dautre intrt, pour autant quelle pt le dcouvrir, que de conduire sa voiture le plus vite et le plus dangereusement possible. Ni lun ni lautre navait jamais ouvert un seul livre et leur savoir politique se bornait aux ragots que lon racontait sur les libraux, lieux communs que Tatika avait entendus maintes reprises. Ctait se demander si au fond chacun ntait pas saisi dun ennui mortel dans ce genre de soire.Dpourvue de charme, gauche et timore, la fille de lhtesse tait fagote dans une robe de tulle blanc qui ne la flattait pas, chausse de ballerines de satin blanc trop serres et les mains dans des gants blancs trop petits. De toute vidence, elle navait rien dire et sa timidit lempchait de rpondre aux quelques questions de ses voisins de table qui cherchaient la faire participer la conversation. Lorsque viendrait lheure du bal, elle passerait sans doute la plus grande partie de la soire aux cts de sa mre ou irait piteusement se rfugier dans le vestiaire.Les toutes jeunes filles ne jouaient quun rle minime dans ces soires. Une matresse de maison recevait dabord ses amis. Tatika reconnut la mme noblesse pare de pierreries qui hantait toutes les rceptions dans le seul but de se montrer, de peur quon ne la crt en disgrce.Linterminable dner sacheva enfin et on monta ltage se prparer pour le bal. Tatika surprenait les mmes bavardages anims et les rires touffs des jeunes filles qui comptaient le nombre de soires auxquelles elles avaient assist et celles qui leur restaient encore avant la fin de la saison, les mmes ragots que colportaient mi-voix leurs mres avec le mme mpris quand elles se moquaient ou mdisaient dune amie.Dcidment, les soires lambassade taient cent fois plus intressantes, songea-t-elle.La conversation des hommes dtat, des politiciens, des diplomates de tous pays que son pre avait reus, si elle comportait beaucoup de clichs, demeurait cependant passionnante.Par comparaison, ici, cest presque trop ennuyeux pour tre supportable, se dit-elle.En sloignant dun groupe de jeunes filles, elle vit sa belle-mre sentretenir avec lady Hron. A leurs hochements de tte et leurs chuchotements, il tait ais de comprendre quon parlait delle.Je npouserai pas lord Hron, se jura-t-elle, les lvres serres.Enfin, un signal donn par lhtesse, il fut temps de gagner la salle de bal. Tout le monde senveloppa dans des toles de velours et de taffetas, de duvet de cygne et de fourrure, et descendit dans un frou-frou de soie, de tulle, de satin et de gaze.Le bal avait lieu dans lune des plus belles maisons de Park Lane. Dans le grand salon au parquet lustr, la chaleur tait suffocante. Tatika accepta avec plaisir la suggestion de son cavalier, un jeune secrtaire de lambassade dAutriche, qui lui proposa de faire quelques pas dans le vaste jardin clair comme il se doit par des lanternes chinoises de couleurs vives et des guirlandes lumineuses disposes dans les arbres.Comme ils marchaient vers la pelouse, elle aperut soudain un homme corpulent qui savanait leur rencontre. Lord Crowley! Son sang se glaa. Il ntait plus temps de rebrousser chemin. Il fallait laffronter.Bonsoir, Tatika, dit-il avec cette dplaisante familiarit qui le rendait parfaitement ignoble.Elle esquissa une rvrence mais ne desserra pas les lvres.Je nai pas lhonneur de vous connatre, dit-il au secrtaire dambassade.Je me prsente: Windischgretz. Je nai pu que me fliciter de miser sur votre cheval lors de la Coupe dOr Ascot.Jen suis heureux, dit Crowley. Misez sur celui que je fais courir Goodwood States. Je crois quil a sa chance.Je vous remercie du renseignement, milord.Vous ne voyez pas dinconvnient si je vous enlve votre cavalire, nest-ce pas? Jai quelque chose dimportant dire miss Lynch. Je pense quelle aura loccasion de vous accorder une autre danse au cours de la soire.Naturellement, je vous en prie, milord, dit le jeune homme courtois.Il sinclina profondment devant Tatika, puis devant le lord et sloigna.Quelle impudence et quelle grossiret de votre part! scria-t-elle.Je nai pas le choix si je veux vous voir. Pourquoi avoir refus de venir Hyde Park aujourdhui?Javais un autre engagement.Il ne devait pas tre trs important. De mon ct, pour vous voir ce soir cette ennuyeuse rception, jai d remettre plusieurs rendez-vous et cela na pas t facile. Jespre que vous me rcompenserez de mes louables efforts.Je ne vous ai pas demand de venir ici.Jespre bien. Cest le type de soire que jexcre et que jessaie dviter en gnral.Alors pourquoi tre venu? Vous savez pourtant que je ne souhaite pas vous voir.Vous ne manquez pas de franchise, ce qui nest pas pour me dplaire. Si on sasseyait?Il est temps que je regagne le bal.Il eut un rire bref.Je nai pas lintention de vous laisser mchapper, et si vous insistez, ce sera la guerre entre nous, une guerre peu conventionnelle. Jai gagn cette premire manche, Tatika, alors cdez de bonne grce, rendez-vous lvidence. Venez vous asseoir, nous bavarderons plus notre aise.Prfrant ne pas le pousser dans ses retranchements, Tatika, la tte haute, fit quelques pas vers la pelouse. Il y avait et l des chaises installes sous les arbres et des banquettes sous des tonnelles entoures de massifs en fleurs. Elle se serait contente du premier sige venu mais lord Crowley se dirigea dlibrment vers une tonnelle o brillait lclat jaune vif dune grosse lanterne chinoise. Dsireuse de ne pas provoquer daltercation, Tatika suivit lord Crowley et sassit aussi loin que possible de lui.Je ne peux pas rester longtemps, dclara-t-elle avec froideur en regardant droit devant elle. Je vous coute.Puis-je vous dire que vous tes la plus belle jeune fille que jaie jamais vue?Ce serait faux et je ne dsire pas entendre ce genre dineptie.Cest pourtant la stricte vrit. Hier soir, quand vous mtes apparue, jai cru retourner des annes en arrire et revoir votre mre danser aux bals que donnait lambassade britannique Rome. Vous avez sa grce, son lgance, son charme, son maintien.Tatika se taisait. Elle aimait tant quon lui parle de sa mre. Elle avait tellement envie den apprendre davantage son sujet. Mais une petite voix lui dit que son interlocuteur jouait un jeu dangereux et quil ne fallait pas lencourager dans ces confidences.Jadmirais votre mre et comme de nombreux hommes jaurais volontiers dpos mon cur ses pieds si elle avait daign me remarquer. Mais, vous le savez, elle navait dyeux que pour votre pre.Cest vrai, murmura Tatika avec motion, ils saimaient.Dun amour que peu ont le privilge de connatre. Vous mavez dit navoir encore donn votre cur personne, petite Tatika. Pourquoi ne pas me loffrir?Cette question inattendue dconcerta Tatika. Le souvenir de sa mre lavait bouleverse. Voil que le ton mielleux de lord Crowley la rappelait brusquement la ralit. Il fallait se mfier de cet individu. Si elle le regardait, elle retrouverait dans ses yeux cette expression lascive qui lui rpugnait tant.Que dois-je comprendre?Elle parlait dun ton cassant, esprant que franchise et scheresse le drouteraient, lembarrasseraient.Je vous demande de mpouser, Tatika.Lespace dun instant, elle crut avoir mal entendu, puis elle se dit quil plaisantait. Elle se tourna vers lui. Il la convoitait du regard mais paraissait sincre.Si vous tes srieux, dit-elle, tchant de garder son calme, je vous remercie de lhonneur que vous me faites, milord. Mais ma rponse est non.Pourquoi?Tatika regarda au loin.Est-il ncessaire que je rponde cette question?Absolument. Je tiens savoir pourquoi vous refusez de mpouser. Jai beaucoup vous offrir.Ce nest pas ce que je dsire.Que dsirez-vous?Etre amoureuse, je suppose.Je vous apprendrai maimer.Elle secoua la tte.Vous savez que cest impossible. Mon pre na rien eu apprendre ma mre. Cest quelque chose qui sest pass entre eux.Que deux personnes sprennent lune de lautre ds le premier jour, cela se produit une fois sur mille! Moi, jai une grande exprience de lamour, Tatika. Je peux vous apprendre les plaisirs de lamour beaucoup mieux que le premier jouvenceau venu. Avec le temps vous apprendrez maimer et en attendant, jaurai plaisir veiller cette passion que je devine en vous, une passion sans doute due vos origines slaves.Je suis dsole, milord, cest impossible.Rien nest impossible. Je vous veux, Tatika. Je vous ai voulue ds le premier moment o je vous ai vue.Vous tes parfaitement conscient quil ne sagit que dun caprice de votre part.Cest l que vous vous trompez. Vous verrez alors combien vous me mconnaissez. Vous ignorez ce quest lamour.Il lui prit la main. Elle voulut la retirer. En vain. Heureusement elle portait des gants. Sa peau ntait donc pas en contact direct avec celle de lord Crowley. Laversion que cet homme lui inspirait lamenait frmir au moindre attouchement. Il voulut lenlacer. Elle se leva.Tout est dit, milord.Pas du tout, jai encore beaucoup dire, mais peut-tre lendroit ne convient-il pas. Quand pourrons-nous nous revoir?Je vous ai expliqu hier soir, et je le rpte maintenant, que je ne veux pas vous revoir, milord. Nous navons rien en commun, ni sujet dentente ni de dispute.Il se leva son tour sans lui lcher la main.Je vois, Tatika, que vous tes une adversaire bien farouche. Mais je finis toujours par arriver mes fins. Je vous veux et jai la ferme intention de vous avoir.Vous commettez une grossire erreur, milord. Je ne suis pas une marchandise quon achte. On ne peut mavoir ni par la contrainte ni par lintimidation. Votre demande en mariage mhonore mais ma rponse est non et mon refus dfinitif.Lord Crowley eut un rire sardonique qui semblait lui tre coutumier.Jadore tre dfi par une femme aussi menue, adorable et dsirable que vous. Permettez-moi de vous assurer que je suis un tigre indomptable.Tatika parvint dgager sa main de la sienne.Je nai pas lintention de mopposer vous, dclara-t-elle de son ton le plus froid. Je nai pas lintention de vous revoir, et je vous en prie, il est inutile de perdre votre temps menvoyer des fleurs ou des invitations qui sont inacceptables.Agressive, hein? Mais ce que je vous ai dit hier soir, cest vrai: je veux vous embrasser.Je prfrerais ne pas veiller de soupons en retournant seule au bal. Auriez-vous lamabilit de me raccompagner?Volontiers. Mon obissance parlera peut-tre en ma faveur.Ils regagnrent en silence la maison. Plusieurs couples sy dirigeaient galement pas lents pour le dbut dune nouvelle danse. Devant lescalier qui menait au salon, Tatika sarrta.Bonsoir, milord, et adieu.Au contraire, Tatika, au revoir. Je vous promets que nous nous reverrons, et sous peu.Elle fit une rvrence et sloigna. Sa belle-mre, assise en compagnie dautres chaperons, lattendait.O aviez-vous disparu, Tatika interrogea-t-elle, visiblement fche. Et votre cavalier, o est-il?Il est parti. Je ne le reverrai plus.Tatika esprait bien que ctait la vrit. Pourtant, une angoisse sourde la gagnait. Elle se sentait menace. Lord Crowley tait si dominateur. Sa confiance en soi, son orgueil dmesur, son insolence inbranlable la terrorisaient.Je lui ai clairement dit quil me dplaisait. Il ne peut donc pas continuer me poursuivre de ses assiduits.

Cependant son anxit persistait car elle savait quil ne renoncerait pas si facilement, et quelle devrait se battre

3

Mon Dieu, nous allons tre en retard! sexclama Tatika.Mais non, nous avons le temps, rpondit Ellen dun ton apaisant.Ctait toujours la mme chose. Lorsque Tatika se mettait lire, elle oubliait tout: lheure et les obligations qui lattendaient. Elle avait pass laprs-midi la bibliothque du British Museum o chaque seconde lavait emplie de bonheur. De son ct, contente de pouvoir rester tranquillement assise, et, comme elle disait, de reposer ses jambes, Ellen avait sommeill. Personne ne sen tait offusqu: en fait, la salle de lecture tait pratiquement vide. Maintenant, elles rentraient toutes deux en fiacre la maison de Charles Street.A quoi vous intressez-vous en ce moment? demanda Ellen tandis que le fiacre se dirigeait, travers les places dsertes, vers le quartier de Mayfair.Je me lance dans lhistoire de lAngleterre, dit en riant Tatika. Te rends-tu compte, Ellen, que je connais trs mal mon pays natal aprs toutes ces annes passes ltranger?Cela na rien dtonnant.Javais honte de ne rien savoir sur lAutriche notre arrive Vienne et je me suis fait un devoir de remdier cette lacune. Quand nous sommes repartis, je connaissais lhistoire de ce pays sur le bout du doigt. Et quand papa tait en poste Rome, jai appris litalien. Jtais jeune et jessayais de retenir les noms des papes qui se sont succd. Une liste interminable! Maintenant cest lAngleterre quil me faut dcouvrir. Je commence tout au dbut pratiquement. Aujourdhui jai lu un livre sur les Vikings et les pillages auxquels ils se sont livrs au cours de leur conqute de lAngleterre. Ctait un peuple farouche.Ellen acquiesa, participant ainsi lenthousiasme de la jeune fille. Toutes deux savaient quelle ntait que quelquun qui parler et ntait pas habilite donner son avis sur les passe-temps de Tatika.Ils taient forts, courageux, pleins dimagination, poursuivit Tatika. Ils ont travers la mer du Nord dans de petits bateaux pour conqurir le Nor-thumbria et lEast Anglia, et combattre au cours de longues batailles mmorables les comtes dOrkney. Ils sont alls aussi loin que les Hbrides et lIrlande.Elle eut un soupir.Comme jaurais aim voir ces guerriers coiffs de casques de guerre, arms de boucliers, de haches au long manche et dpes la garde incruste dor et dargent! Ils devaient tre beaux et prodigieusement sduisants.Ils devaient surtout laisser derrire eux une misre noire, remarqua Ellen. Les guerres ne sont bnfiques pour personne.Cest vrai, mais cette poque me passionne. Si demain ma belle-mre peut se passer de moi, nous reviendrons la bibliothque. Il y a tellement de choses que je dsire apprendre.Vous aurez de la chance si elle na pas en tte de vous emmener prendre le th chez une amie ou de vous entraner dans ses interminables visites de politesse, rpondit, Ellen qui tait incapable de parler de lady Lynch sans acrimonie.Elle avait ador la mre de Tatika et tait entirement dvoue sir Dominic. Cependant une relle antipathie lopposait lady Lynch quelle avait surnomme la nouvelle ds que celle-ci avait pous sir Dominic. Lady Lynch se serait volontiers dbarrasse de la vieille domestique qui, se plaignait-elle frquemment, ne valait pas la peine quon la gardt, mais elle savait que Tatika et son pre sinsurgeraient contre son renvoi. Lattachement de sir Dominic au souvenir de sa premire pouse demeurait vivace, et malgr sa jalousie et son temprament tyrannique, lady Lynch possdait suffisamment de bon sens pour comprendre quil fallait agir avec prudence quand il sagissait de critiquer ce que la premire lady Lynch avait tout particulirement apprci.Aucune seconde pouse naime vivre avec le fantme de la premire, et si lady Lynch prouvait une vive aversion lgard de Tatika, cest parce quelle avait la conviction quil suffisait que sir Dominic post les yeux sur sa fille pour que le souvenir de sa femme ft raviv.Tandis que le fiacre se frayait un passage travers la circulation, Ellen observait la jeune fille, songeant une fois de plus que Tatika ressemblait beaucoup sa mre. Le nez petit, droit, aristocratique, la bouche bien dessine, lovale parfait du visage, les grands yeux noirs: des traits qui voquaient irrsistiblement ses origines slaves. Il ny avait rien en elle de la beaut typiquement britannique de son pre: la grce fragile et la silhouette dlicate de la jeune fille semblaient nier cette filiation.Le fiacre sarrta devant le numro 26 de Charles Street. Tatika descendit avant que le cocher ne mt pied terre et sortit sa bourse pour payer la course. Il souleva son chapeau tout en prenant largent. Elle lui adressa un gentil sourire de remerciement et se dirigea vers le perron suivie dEllen.Je monte droit ma chambre, chuchota-t-elle.Mais au moment o elle sapprtait prendre lescalier, le matre dhtel surgit.Sir Dominic et lady Lynch sont au salon, miss. Ils vous demandent de les y rejoindre immdiatement.Ils veulent me voir maintenant?Oui, miss.Tatika jeta un rapide coup dil la vieille horloge. Elle serait donc en retard pour le dner, ce que sa belle-mre ne tolrait pas. Pourtant, que faire si ce nest obir?Elle grimpa rapidement au premier tage et entra dans le salon, sattendant trouver son pre et sa belle-mre dj prts pour le dner. Mais non, elle se trompait. Ils taient encore en habit de ville et bavardaient avec animation debout devant la chemine.En la voyant, lady Lynch poussa un cri.Tatika, nous vous attendions. O donc tiez-vous passe?Vous mattendiez?Oui, ma chrie, pour vous faire part de notre joie. Nous sommes ravis. Vraiment vous avez t intelligente. Pourquoi ne mavoir rien dit hier soir?Interdite, Tatika ne quittait pas des yeux sa belle-mre qui ne stait jamais montre dune humeur aussi excellente. Elle se tourna vers son pre. Sir Dominic souriait galement. Il la prit par la main.Ma chrie, dit-il en lattirant contre lui, tu ne peux savoir combien cette nouvelle me fait plaisir.Veuillez mexcuser, papa, mais jignore de quelle nouvelle il sagit.Vraiment, Tatika, vous plaisantez! Vous nallez pas nous faire croire a, dit lady Lynch avant que son mari et pu parler. Lord Crowley vient de nous quitter linstant et grce lui nous sommes des parents combls.A ces mots, Tatika blmit.Lord Crowley? releva-t-elle dune voix sans timbre.Ctait comme si une main glace lui broyait le cur.Son pre qui la tenait par lpaule la serra contre lui.Crowley est venu me demander ta main, ma chrie, dit-il. Il parat quil ten a parl hier soir.Avec un profond soupir, Tatika se dgagea de ltreinte de son pre.Il est vrai que lord Crowley ma demand hier soir en mariage mais jai refus, dclara-t-elle.Comment? scria lady Lynch, stupfaite.Je lui ai clairement dit que je ne lpouserais pas et que je ne voulais plus le revoir.Avez-vous perdu la raison? bredouilla lady Lynch, cdant une panique soudaine.Que racontes-tu, Tatika? intervint sir Dominic. A en croire Crowley, vous tiez daccord. Avez-vous parl tous les deux de ce mariage?Il ma demand de devenir sa femme mais cette ide me parat tout fait inconcevable.Quest-ce que cest que ces balivernes? explosa lady Lynch, furieuse. Vous rendez-vous compte que lord Crowley est lun des hommes les plus riches dAngleterre? Il a tout! Maisons, terres, biens de toutes sortes, une immense fortune, une position la cour! Quand vous serez lady Crowley, Tatika, vous frquenterez le cercle de Marlborough House.Ce flot de paroles se dversa dun trait, mais Tatika ny prta aucune attention.Cest impossible, je ne peux pas pouser cet homme, dit-elle son pre avec fermet.coute, Tatika, dit sir Dominic, mal laise et fuyant le regard de sa fille, je sais bien que Crowley est plus g que toi mais il possde dnormes atouts. Il toffrira tout ce que tu veux. En outre, il semble fort pris.Mais oui, il vous aime, scria lady Lynch. Il vous aime si fort quil dsire vous pouser. Nest-ce pas merveilleux? Que souhaiter de plus? Envisagez-vous vraiment de refuser un parti qui ferait plir denvie toutes les jeunes filles dAngleterre?Tatika garda le silence. Elle ne quittait pas son pre des yeux.Cest vrai, Tatika, dit ce dernier. Je reconnais que Crowley est beaucoup plus vieux que toi, mais serais-tu heureuse avec un garon plus jeune? Tu es intelligente, beaucoup plus que les jeunes filles de ton ge.Il se tut avant de reprendre:Tu as men une vie quelque peu inhabituelle. Il me semble quun homme plus mr apprcierait davantage tes qualits et serait plus mme de te rendre heureuse.Votre discours est digne du brillant diplomate que vous tes, papa, et vous en tes conscient, rpliqua sa fille. Il se peut que lord Crowley soit en mesure de moffrir un nombre incalculable de biens matriels dont je suis prive en ce moment, mais je ne laime pas et je npouserai jamais un homme dont je ne suis pas prise.Ne lcoute pas, Dominic! scria lady Lynch. Quest-ce quune enfant de dix-huit ans sait de lamour ou du mariage? Jamais Tatika ne recevra une demande aussi avantageuse. Ce ne serait pas lui rendre service que de cder ses enfantillages et de refuser ce prtendant.Sir Dominic regarda la pendule sur le manteau de la chemine.Tu me mets dans une position fort dlicate, Tatika, dit-il. Il se trouve que jai donn mon consentement ce mariage et que jai accept une invitation dner ce soir Crowley House.Je crains, papa, que vous ne deviez vous y rendre sans moi, dit-elle. Je ne veux pas pouser lord Crowley et par consquent je refuse de dner ce soir chez lui. Il sagit dune dplorable mprise. Je vous prie de lui transmettre mes excuses.Sur ces paroles, elle tourna les talons et quitta la pice avec un calme qui tait loin de reflter ses vritables sentiments. Ce nest que lorsquelle eut referm la porte du salon quelle cda son agitation. Elle monta en courant lescalier jusqu sa chambre, referma la porte et sy adossa, les mains croises sur sa poitrine comme pour rprimer lmoi qui bouillonnait en elle.Lord Crowley stait montr habile, vraiment trs habile. Une fois de plus il lavait manipule, prvenant ainsi toute rsistance de sa part. Il avait devin que lady Lynch accueillerait sa demande avec joie et il ntait pas difficile de voir que la richesse et le faste quon lui faisait miroiter tentaient galement son pre.Avec un soupir de dcouragement, Tatika sassit sa coiffeuse et se cacha le visage dans les mains.Quel coup de thtre! Elle allait devoir se battre de toutes ses forces pour rsister aux pressions quon exercerait sur elle afin de la marier un homme quelle mprisait et dtestait.Je le hais, songea-t-elle. Quelque chose en lui meffraie.Ctait un adversaire dangereux. Elle le savait et devinait galement que tous les moyens lui seraient bons pour arriver ses fins. Il fallait le reconnatre, la stratgie dont il avait fait preuve avait port ses fruits.La porte souvrit. Sans doute tait-ce Ellen qui venait laider se prparer pour le dner. Cest alors quelle aperut dans le miroir le visage de sa belle-mre. Lady Lynch entra et referma la porte.Jai vous parler, Tatika.Tatika se leva pour lui faire face.Toute discussion est inutile. Je suis dsole de vous dcevoir, papa et vous, mais je ne peux pas et je ne veux pas pouser lord Crowley.Lady Lynch savana.Est-il possible que vous soyez aussi goste? Si peu reconnaissante, si indiffrente lgard dun pre que vous prtendez aimer?Mon pre ne se serait pas mis en tte de me marier si vous naviez pas pass votre temps le harceler ce sujet. Il maime et il est heureux de mavoir auprs de lui, mme si vous affirmez le contraire.Il se peut quil aime vous avoir auprs de lui, mais il ne peut se le permettre, rpliqua lady Lynch dun ton acide. Quand donc le comprendrez-vous? Il ne peut pas se permettre dentretenir une jeune fille.Il le faisait jusqu son remariage.Ctait diffrent, alors. Vous savez aussi bien que moi que ses revenus sont mdiocres et quen ce moment il a des dettes, beaucoup de dettes.Tatika tait sur le point de rtorquer que la situation financire de son pre ne devait sa prcarit quaux dpenses extravagantes auxquelles se livrait lady Lynch. Mais elle se ravisa: il tait inutile de prolonger cette conversation.Je me marierai lorsque je serai amoureuse. En attendant, il faudra supporter ma prsence. Je crains quil ny ait pas dautre solution.Vous refusez donc dpouser lord Crowley?: Je vous lai dj dit.Ne comprenez-vous pas ce quun mariage de cette envergure reprsente galement pour nous? Lord Crowley est un ami intime du prince de Galles. Grce vous, nous frquenterons les plus grandes maisons dAngleterre, des maisons qui pour linstant sont fermes votre pre. Vous sjournerez Welbeck avec le duc et la duchesse de Portland, Chatworth avec les Devonshire, Badminton avec les Beaufort. Vous rencontrerez les personnalits les plus fascinantes et les plus intressantes de notre poque qui entourent le prince de Galles. Tout cela ne reprsente donc rien pour vous?Trs peu, je lavoue. Je pense que les minentes personnalits que vous citez ne diffrent gure de celles que jai rencontres avec papa ou au cours de ces interminables soires et rceptions auxquelles jassiste depuis deux mois. Aprs tout, on ne se marie pas pour rencontrer des gens.Cest faux. Le souhait normal de tout un chacun est de frquenter llite de la socit, dvoluer dans le milieu royal, dtre quelquun dimportance et cest ce qui vous arrivera en pousant lun des hommes les plus riches dAngleterre!Un homme qui a au moins vingt-cinq ans de plus que moi.Et alors, petite imbcile? rpliqua lady Lynch, furieuse.Je suis dsole, belle-maman, dit Tatika avec lassitude, mais on ne me contraindra pas pouser cet individu. Il me rpugne, vous comprenez? Il me rpugne et je refuse de devenir sa femme.Elle faisait face lady Lynch avec un air de dfi. Perdant patience, celle-ci la gifla vigoureusement. Tatika, plus petite et plus menue, vacilla sous le coup. Elle porta la main sa joue sans quitter des yeux sa belle-mre dont le visage tait dform par la colre.Vous lpouserez, dit lady Lynch entre ses dents. Vous lpouserez parce que si la position que vous occuperez vous indiffre, moi, elle mimporte. Moi, je veux tre persona grata la cour, avec ces gens que vous mprisez ouvertement. Ce mariage reprsente galement beaucoup pour votre pre et je ne vous permettrai pas de nous priver dune chance pareille. Cest une occasion unique que personne ne bouderait. (Lady Lynch tait dans une colre folle.) Vous croyez pouvoir me dfier, mais vous vous trompez. Vous dnerez ce soir chez lord Crowley et vous accepterez de lpouser, sinon je saurai vous faire changer dide: quelques coups de fouet auront raison de votre enttement.Vous me menacez de me battre?Parfaitement. Je vous battrai jusqu ce que vous cdiez et je nhsiterai pas me faire aider des domestiques pour vous corriger.Il y avait une telle haine dans ces propos que Tatika recula instinctivement, la main toujours sur sa joue en feu. Remarquant ce mouvement de peur, lady Lynch eut un sourire mauvais.Vous verrez que je ne mens pas. Vous avez t trop gte jusqu prsent parce que votre pre est faible. Il la toujours t avec les femmes, mais moi, je suis forte, Tatika. Vous vous en apercevrez. Vos cris ne mattendriront pas et lorsque vous serez au bord de lvanouissement, vous mobirez. Sinon, je continuerai de vous battre tous les jours jusqu ce que vous ne puissiez plus parler.Il tait impossible de ne pas croire lady Lynch. Il y avait quelque chose dhorrible dans le ton de sa voix, dans son regard qui se rapetissait, dans les rides mchantes qui barraient son visage dform par la violence de ses sentiments.Les deux femmes sobservaient. Croyant lespace dun instant que sa belle-mre allait la frapper de nouveau, Tatika se prpara encaisser le coup. Tremblante de colre, lady Lynch alla jusqu la chemine et tendit la main, prte sonner.Que choisissez-vous? Dnez-vous ce soir chez lord Crowley ou dois-je appeler deux domestiques qui vous tiendront pendant que je vous donnerai le fouet?Vous me battriez vraiment?Tatika avait du mal prendre au srieux les menaces de lady Lynch. Et pourtant, il tait ais de comprendre que celle-ci ne plaisantait pas.Les domestiques mobiront parce que sils refusent, je les renverrai immdiatement sans rfrences. Vous croyez quun domestique prendrait ce risque? Allons, je vous coute, Tatika, dois-je sonner ou acceptez-vous linvitation dner de lord Crowley?Le regard de lady Lynch laissait comprendre que cette perspective ntait pas pour lui dplaire. Tatika avait toujours su que lady Lynch la dtestait mais la violence de ce sentiment lui avait chapp. De mme quelle ne stait pas rendu compte que sous le masque de gentillesse mielleuse quelle offrait au monde se cachait autant de brutalit.Que choisissez-vous? rpta-t-elle, refermant les doigts sur la cordelire de la sonnette.Tatika se dcida rpondre.Je dnerai Crowley House.Lady Lynch laissa retomber le bras.Je pensais bien que vous vous rendriez lvidence. Et noubliez pas, Tatika, dtre aimable avec notre hte. Sil se plaint de votre froideur, vous recevrez une correction dont vous vous souviendrez. Et je ne parle pas la lgre.Elle alla la porte.Vous avez vingt-cinq minutes pour vous changer. Tchez de ne pas tre en retard. Je sais dsormais comment vous dompter, ma fille, une leon que je noublierai pas lavenir.Elle quitta la pice en claquant la porte. Reste seule, Tatika se laissa tomber sur un sige, le visage enfoui dans les mains.Ce ntait pas vrai, ce ntait pas elle que tout cela arrivait. Comment sa belle-mre pouvait-elle lui tmoigner autant dhostilit! Comment avait-elle pu se laisser prendre ce pige do il nexistait aucune chappatoire?Ellen entra et Tatika courut se jeter dans ses bras. Ellen, que vais-je faire?Jai tout entendu. Quelle vipre! Comment cette mchante femme ose-t-elle vous menacer? Votre pre ne le tolrerait pas sil savait.A quoi bon lui parler? Lui aussi dsire que jpouse lord Crowley.Il vous dplat tant que a, ce lord?Je le hais. Et dire que tout est de sa faute! Je ne lui pardonnerai jamais.Ellen regarda lheure la pendule.Vous avez promis dassister au dner, miss, il est inutile de provoquer de nouveau la colre de votre belle-mre. Elle est dj assez furieuse.Tatika navait pas le temps de prendre un bain.Elle fit donc une toilette rapide et enfila une jolie robe choisie au dbut de la saison en compagnie de lady Lynch qui, si elle ne brillait pas par ses qualits de cur, avait du moins un got certain.Tatika qui, depuis la mort de sa mre, avait toujours achet ses vtements seule, savait dnicher des toilettes ravissantes qui mettaient en valeur sa beaut slave: des robes blanches, la couleur des dbutantes, et dautres de couleurs claires qui lui seyaient davantage et soulignaient son teint de pche, sa chevelure sombre et la grce de ses mouvements.Plonge dans ses lugubres penses, indiffrente tout, elle se laissa habiller comme un automate. Ellen lui posa enfin sur les paules une tole de velours dun vert meraude. Tatika se regarda.Vtue dune robe de soie verte enrichie de ruchs de tulle, elle faisait penser un elfe chapp des bois ou une ondine jaillissant des eaux profondes de la mer. Elle ne portait pas de bijoux, sa beaut tait sa seule parure. Son cou gracile, ses paules rondes taient dune blancheur clatante que rehaussait le tulle transparent qui garnissait le dcollet de son corsage. A partir de la taille, les ruchs se rassemblaient en une tournure.Dans un frou-frou soyeux elle descendit lescalier pour rejoindre son pre et sa belle-mre au salon. Sir Dominic regarda lheure pour lui signifier quelle tait en retard; lady Lynch se contenta de toiser Tatika dun regard perant et cruel.Elle savoure la victoire quelle vient de remporter sur moi, pensa Tatika.La tte haute, elle suivit sa belle-mre et son pre jusqu la voiture qui attendait devant le perron. Ils ne sadressrent pas la parole. Tatika devinait que son pre aurait voulu lui dire quelques paroles rconfortantes mais quil se taisait par peur de sa femme. Quant lady Lynch, elle se rengorgeait davoir eu raison de sa belle-fille. Tatika savait que sa belle-mre navait pas parl la lgre et que dsormais la menace du fouet serait ritre la moindre tentative de rbellion de sa part, brandie telle une pe de Damocls, jour aprs jour, jusqu ce que, au comble du dsespoir, elle net quune envie: partir, ce qui ne serait possible quen acceptant de se soumettre un homme qui lui inspirait une vritable haine.Il doit bien y avoir une autre solution, se dit-elle, fbrile. Mais pour linstant, elle tait encore trop bouleverse pour penser clairement. Il fallait tcher de gagner du temps. Il tait inutile dpuiser son nergie livrer une bataille quelle ne pouvait pas remporter aisment. Mieux valait garder ses forces pour tendre vers son principal objectif: ne pas pouser lord Crowley.La voiture simmobilisa. Sir Dominic descendit le premier.Noubliez pas ce que je vous ai dit, Tatika, siffla entre ses dents lady Lynch, incapable de refrner sa rancur. Si par votre conduite, vous amenez lord Crowley changer dide, vous vous en repentirez.Tatika ne daigna pas rpondre.Dans un bruissement de soie, pare de multiples diamants tincelants, lady Lynch gravit le perron de Crowley House.Leur hte les reut dans un salon qui dpassait en magnificence tous ceux que Tatika avait frquents jusque-l. Sa connaissance de la peinture lui permit de remarquer dauthentiques Van Dyck, des chefs-duvre de Turner, de Gainsborough et de Reynolds. Quant au mobilier, seul celui de Buckingham Palace lgalait.Dans ce luxueux dcor, la prestance de lord Crowley se trouvait dcuple. Il paraissait plus corpulent, plus effrayant et plus arrogant que jamais dans son environnement familier.Il salua dabord lady Lynch, puis Tatika qui, les yeux baisss, fit une rvrence.Je suis heureux de vous accueillir dans ma demeure, Tatika, dclara-t-il avec emphase.Elle hassait le ton de triomphe qui perait sous ses paroles car il savait fort bien quelle ntait venue que contrainte et force.Il serra la main de sir Dominic. Pendant quil dgustait avec ses parents un verre de sherry, Tatika parcourut le vaste salon des yeux.Toutes ces richesses pourraient tre moi, songea-t-elle. Pourtant, cette perspective ne lexaltait pas car cela impliquait un renoncement sa libert et une soumission totale au matre des lieux. Des orchides blanches, semblables celles que lord Crowley lui avait envoyes le jour prcdent, dcoraient la table dresse pour le dner. Ces fleurs ntaient pas l comme simple ornement mais taient censes lui rappeler le compliment de lord Crowley qui avait dclar que leur beaut lui rappelait Tatika.Tatika se montra dlibrment maussade et sotte. Elle rpondit aux questions quon lui posait par monosyllabes et fit semblant de ne se proccuper que de lexcellent dner quon lui servait. Elle esprait ainsi que lord Crowley comprendrait quil ne faisait pas une bonne affaire en pousant une jeune fille aussi borne et inintressante. Mais en croisant son regard, elle comprit quil ntait pas dupe de son mange et en fait samusait mme de sa petite comdie.Le dner parut interminable bien quen vrit il nexcdt pas une heure, dure juge idale par le prince de Galles, quel que ft le nombre de plats servis. Puis pendant que les hommes savouraient leur porto, lady Lynch et Tatika montrent au deuxime tage pour se rafrachir. Les chambres taient splendides: des lits normes orns des armoiries des Crowley et recouverts de dentelle ancienne de grande valeur. Aux murs taient accrochs de magnifiques tableaux de prix.Deux femmes de chambre les aidrent disposer les plis de leurs robes et leur apportrent le ncessaire pour se recoiffer. Lady Lynch neut loccasion de parler Tatika que lorsquelles regagnrent le salon: sir Dominic et lord Crowley sattardaient la salle manger.Avez-vous jamais vu un tel luxe? dit-elle avec un air de convoitise. Cest fabuleux. Si toutes ces richesses ne vous ouvrent pas les yeux, vous ny comprendrez jamais rien.Tatika garda le silence. Le moment ne lui semblait pas appropri pour entrer dans une discussion avec sa belle-mre dont elle sortirait une fois de plus perdante.Vous avez de la chance, plus de chance que vous nen mritez, continua lady Lynch, envieuse. Jespre que lorsque vous serez la matresse de cette maison, vous noublierez pas votre pre qui a fait tant pour vous depuis dix-huit ans et que de possder une aussi grande fortune ne vous montera pas la tte.Tatika alla vers une table o tait dispose une collection de botes priser de grande valeur. La plupart taient en or, avec des incrustations dmaux, serties de diamants et fort anciennes. Elle en prit une pour lexaminer avec plus dattention.Mon Dieu! Si seulement javais eu votre chance! sexclama lady Lynch, laissant clater son amertume. Je naurais pas gch ma vie.Tatika reposa la bote. A lintrieur, une ddicace: Charles James Box, de la part de son ami dvou, George, prince de Galles. Elle sefforait doublier ses soucis en pensant lpoque gaie du prince George, des dandies et des lgants qui utilisaient ces botes priser. La porte souvrit sur sir Dominic et lord Crowley.A la vue du lord et au son de sa voix, un frisson la parcourut soudain, un frisson de peur. Elle tait prise au pige, captive. Bientt elle serait prisonnire vie et naurait aucun moyen de senfuir. Parvenant garder son sang-froid, elle se dirigea, calme et placide, vers son pre. Comme sil devinait ses sentiments, il lui prit la main. Elle tait glace et tremblait.Nous bavardions chevaux, dit-il, anodin.Tatika savait quil cherchait dissiper ses craintes et lui assurer quil ny avait rien dinhabituel dans cette soire.Jaimerais vous montrer quelque chose dans le salon voisin, lady Lynch, dit lord Crowley.Dautres trsors? minauda cette dernire, redoublant de coquetterie. Il y en a tant!Cest un vritable plaisir pour moi que de vous les faire dcouvrir, rpondit-il. Jai galement de superbes tableaux Crowley Park. Le prince et la princesse de Galles sjourneront avec moi Goodwood. Jespre que vous serez galement mes invits.Si Tatika navait pas t au comble du dsespoir, lexpression ravie de sa belle-mre laurait amuse. Lady Lynch quitta la pice, se pavanant au bras de lord Crowley.Tatika se tourna vers son pre.Que dois-je faire, papa? chuchota-t-elle.Il nesquiva pas la question.Je suis sr que ta belle-mre a raison, dit-il, mal laise.Je ne peux my rsigner.Il le faudra. Il ny a pas dautre solution.Il tait fidle lattitude quil avait toujours adopte par rapport sa femme: il la soutenait quelle que ft sa dcision. Tatika savait quil ne fallait pas sattendre un grand secours de sa part. Sir Dominic avait horreur des disputes et aimait que les femmes soient douces, complaisantes, accommodantes, fminines.Jamais il nosera sopposer elle. Lady Lynch est dtermine atteindre son but et il ne cherchera pas len dissuader.Elle eut un soupir. Dcidment il ne fallait compter que sur soi.Lord Crowley revint seul.Votre pouse vous demande, dit-il sir Dominic.Un stratagme pour rester seul avec moi, songea Tatika. Elle aurait voulu protester. Mais comment?Obissant, sir Dominic quitta le salon. Elle se tourna vers lord Crowley et lui fit face avec fiert.Avouez que jai t malin, petite Tatika, dit-il, dsarmant.En effet.Que vous est-il arriv?Elle porta la main son visage, l o sa belle-mre lavait gifle, et comprit la sensation cuisante qui persistait quelle avait toujours la joue empourpre, ce qui devait faire un contraste violent avec la blancheur laiteuse de sa peau.Est-il ncessaire de le demander?Votre belle-mre vous a gifle?Oui, elle ma gifle et ma menace du fouet si je ne venais pas dner ce soir chez vous et si je refusais de vous pouser.Elle pronona ces paroles dun ton amer et cassant, cherchant lui faire honte, lembarrasser ou du moins le surprendre. Elle saperut trop tard que cette stratgie tait une erreur. Une lueur mauvaise brilla au fond des yeux de lord Crowley.Jaurais plaisir vous tenir pendant quon vous fouette, dit-il, un sourire cruel aux lvres.Je pensais que vous auriez le courage de maffronter seul, rpliqua-t-elle.Je ne vous ai jamais cach mon intention votre gard. Tout est permis en amour comme la guerre. Les rgles de Queensberry, je nen ai que faire, Tatika.Je men suis rendu compte, lana-t-elle avec mpris.Par consquent pour chapper aux brutalits de votre belle-mre, vous tes prte mpouser plus tt que je ne lesprais?Vous ne renoncez pas au projet dans ces circonstances? Quel plaisir auriez-vous avoir une pouse que lon mnerait demi consciente lautel, que lon aurait battue jusqu ce quelle cde, contrainte par pur puisement physique accder vos dsirs?Lord Crowley clata de rire.Vous menchantez! sexclama-t-il. Non seulement vous tes belle, intelligente, mais aussi courageuse et vous vous battez. Jaime me battre, Tatika, en particulier quand je sais que la victoire mappartient.A ces mots, Tatika dtourna la tte pour lui cacher son effroi.Mais je ne veux pas que vous soyez malheureuse ce soir, continua-t-il. Permettez-moi de vous offrir ce prsent.Il sortit de sa poche un crin et, se saisissant de la main gauche de Tatika, lui glissa une bague au doigt. A ce contact, un frisson de rpulsion la parcourut.Ctait une grosse meraude, si grosse que la finesse et la grce de sa main sen trouvrent accrues. Serti de diamants, le joyau tincelait, semblant receler des profondeurs tranges.Cest un bijou de famille, expliqua lord Crowley. Il y a un diadme, un collier, des bracelets et dautres pices assorties. Lmeraude, entre toutes les pierres, vous sied merveille, Tatika.Elle ne rpondit pas. Lmeraude, en dpit de sa beaut, symbolisait la chane qui la liait un homme dont la promiscuit la glaait dhorreur.Allez-vous me remercier?Absorbe par ses penses, elle ne comprit son intention quau moment o il lenlaa. Elle tenta de se dgager mais il tait trop tard. Il lattira brutalement contre lui, la serrant fort pour lempcher de fuir. Quand il la prit par le menton pour lobliger relever la tte, elle retrouva dans ses yeux cette expression quelle redoutait tant et que la concupiscence rendait plus dmoniaque que jamais. Cet adversaire-l ntait pas le type dhomme dont elle avait su se prserver jusqu prsent. Ctait un tre corrompu, pervers. Face lui, elle se sentait prise au pige, sans aucun recours.Pas dchappatoire, Tatika, dit-il comme sil devinait ses penses.Alors, bien quelle continut se dbattre en vain, il lembrassa. Ctait le premier baiser que recevait Tatika, mais travers la brutalit, la violence qui en manaient, elle percevait toute la bestialit du comportement de lord Crowley. Ce ntait pas lamour qui lanimait, mais la luxure. Elle en ressentait toute la cruaut sans parvenir lexpliquer. En dpit de son innocence, elle devinait que le dsir qui le poussait ntait pas celui quun galant homme prouve face la jeune fille dont il est pris.Dans un violent effort, elle serra les lvres et se raidit, sans plus chercher se librer de sa puissante treinte. Trop obsd par son dsir, il ne saperut pas tout de suite du changement dattitude de Tatika. Il releva la tte.

Vous me dtestez ce point! sexclama-t-il. Mais je vous briserai, je finirai par vous dompter et jen prouverai un plaisir immense, un plaisir dune intensit jamais atteinte.4

Cette nuit-l, Tatika dormit peu. Lorsquelle sassoupit enfin, ce fut pour tre la proie dun horrible cauchemar: on la poursuivait et elle ne courait pas assez vite pour schapper.A huit heures, Ellen entra, comme dhabitude, portant un plateau o se trouvaient une tasse de th, un pot de lait et une fine tartine de pain beurr.Ellen, je suis dsespre, dit-elle en se calant contre les oreillers. Je sais que maman naurait pas voulu que jpouse lord Crowley. Comment viter ce mariage?Ellen posa le tout prs du lit et alla ouvrir les rideaux.Jy ai pens toute la nuit, miss Tatika, dit-elle, soucieuse, et je ne vois pas ce que vous pourriez faire.Je ne veux pas pouser cet homme. Cest impossible!Que lui reprochez-vous tant?Je lignore, mais il y a quelque chose en lui qui est mauvais et mchant, quelque chose qui meffraie terriblement. Tu sais que mon intuition ne me trompe jamais.Cest vrai, miss Tatika, dit Ellen, et votre mre aussi avait beaucoup dintuition. Parfois, elle me disait: Ellen, cet homme nest pas bon, et cela se vrifiait toujours.Eh bien, voil, moi je sais que lord Crowley est mchant, donc je ne veux pas lpouser. Cest impossible. Plutt mourir!Ne parlez pas ainsi!Je ne plaisante pas. Je prfrerais me tuer plutt que dtre marie cet homme.Dire une telle chose, cest un pch contre Dieu, remarqua Ellen dun air fch.Alors, aide-moi, aide-moi trouver un moyen dviter ce mariage.Ellen eut un geste dimpuissance. Son visage plein de bont tait troubl. Elle regardait Tatika assise dans son lit, ses longs cheveux bruns retombant sur ses paules. Ses yeux exprimaient un profond dsarroi et un dcouragement intense. Cest dans ces moments de dsespoir quelle ressemblait le plus sa mre et que son ct slave ressortait de faon saisissante.Il ne faut pas vous rendre malheureuse, ma chrie! sexclama Ellen. Jai fait le serment de veiller sur vous quand votre mre vous a mise dans mes bras votre naissance, et depuis sa mort, je vous ai aime comme ma propre fille.Que puis-je faire?Votre belle-mre tient ce que vous pousiez cet homme. Comment sopposer elle?Je pourrais menfuir.Et comment feriez-vous pour vivre?Je pourrais trouver un travail.Quel genre de travail existe-t-il pour une jeune fille de votre rang? Mme une fille de pasteur ne peut prtendre qu un emploi de gouvernante ou de dame de compagnie.A ces mots Tatika releva la tte, un clair de malice au fond des yeux.Dame de compagnie! scria-t-elle. Il me serait ais de remplir ce genre demploi. Te souviens-tu de miss Greaves qui soccupait de grand-mre? Ctait une vieille fille timide, plutt effarouche, mais nous ladorions. A Pques, elle ma crit dAustralie o elle vit dsormais. Elle y est heureuse avec son frre et sa belle-sur.Miss Greaves avait plus de quarante ans.Oui, mais une personne ge serait contente davoir quelquun de jeune pour compagnie. Miss Greaves navait rien de difficile faire. Aprs tout, les personnes ges ne sont pas si exigeantes.Tatika se mit compter sur ses doigts.Miss Greaves faisait la lecture grand-mre, empruntait des livres et les rapportait la bibliothque, soccupait des fleurs, plaait les invits lors des rceptions et faisait le courrier de grand-mre quand celle-ci tait malade ou trop fatigue pour crire. Tout a, cest dans mes cordes! scria-t-elle. En outre, cela me laisserait du temps pour lire et traduire si je trouvais un diteur qui veuille bien me faire confiance.Cest impossible, dclara Ellen. Vous tes une demoiselle bien ne, miss Tatika. tre au service dune vieille dame, mme si elle est de noble naissance, nest pas une situation pour vous.Plutt frotter le sol et travailler aux cuisines! lana Tatika avec feu. Je suis prte tout pour ne pas pouser lord Crowley. (Ell