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1 LE JUGE CONGOLAIS ET LE PRINCIPE D’EGALITE : SORT DES DROITS DE LA FEMME DANS LA JURISPRUDENCE DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BUKAVU Par C.T. Nyaluma Mulagano Arnold Avocat au Barreau de Bukavu, Spécialiste en Droits de l’homme (M.C.)

LE JUGE CONGOLAIS ET LE PRINCIPE D’EGALITE : SORT DES ... · Telle est la leçon qui découle de l’arrêt Pla et Puncernau contre Andorre10 dans 8 Sébastien Van Drooghenbroeck,

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    LE JUGE CONGOLAIS ET LE

    PRINCIPE D’EGALITE : SORT DES

    DROITS DE LA FEMME DANS LA

    JURISPRUDENCE DU TRIBUNAL DE

    GRANDE INSTANCE DE BUKAVU

    Par

    C.T. Nyaluma Mulagano Arnold

    Avocat au Barreau de Bukavu,

    Spécialiste en Droits de l’homme (M.C.)

  • 2

    INTRODUCTION

    Il y a 360 ans 1les femmes de Londres adressèrent, en 1649, leur « humble requête » au

    parlement anglais, qui avait édicté, vingt ans auparavant, la Petition of Rights de 1628.Elles

    posèrent la question suivante : « serait-ce que les libertés et les garanties des Petition of Rights et

    autres bonnes lois du Royaume ne sont pas faites pour nous comme pour les hommes ? »

    Aujourd’hui les femmes de Bukavu sont en droit de poser la même question à la justice

    congolaise. En effet, adoptée par référendum le 18 et 19 décembre 2005 et promulguée le 18

    février 2006, la Constitution qui régit actuellement la République Démocratique du Congo a sur

    le plan des droits humains réalisé un progrès que beaucoup des vielles démocraties n’ont pas

    atteint à ces jours.

    Quel usage le juge congolais a fait de ce progrès depuis trois ans ?

    C’est ce que nous allons vérifier au cours de cette réflexion su la mise en œuvre du principe

    d’égalité par le tribunal de Grande Instance de Bukavu, spécialement en ce qui concerne le sort

    réservé aux droits de la femme dans la jurisprudence de cette juridiction.

    Après avoir proclamé, dans son premier article, que la République Démocratique du Congo est

    un Etat de droit, dont l’égalité est une composante clef, voire une condition d’existence, la

    Constitution2 a consacré plusieurs articles à ce principe devenu aujourd’hui la pierre angulaire

    non seulement du droit public, mais de l’ensemble des branches du droit. C’est ainsi que sous

    d’autres cieux, il a été jugé3 que la progression vers l’égalité des sexes constitue aujourd’hui un

    objectif important des Etats membres du Conseil de l’Europe.

    Parmi celle-ci , citons l’article 11 qui pose le principe général d’égalité en ces termes : « Tous les

    êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits.4 L’article 12 garantit les deux

    aspects du principe d’égalité : tous les Congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale

    protection des lois ; égalité devant la loi et égalité dans la loi.

    1 Abderrahman Youssoufi, « Le rôle des organisations non gouvernementales dans la lutte contre les

    violations des droits de l’homme » in UNESCO, Violations des droits de l’homme, quels recours,

    quelles résistances ? Paris, Imprimerie des Presses Universitaires de France, 1983, p.1092 Constitution de la République Démocratique du Congo, numéro spécial, Journal Officiel, 47ème

    année, Kinshasa, 18 février 2006 numéro spécial.3 Cour Européenne des Droits de l’Homme, Arrêt Abdul Aziz et Balkandali contre Royaume Unie du

    28.05.1985,4 Constitution de la République Démocratique du Congo, numéro spécial, Journal Officiel, 47ème année

    Kinshasa 18 février 2006 numéro spécial

  • 3

    L’article 13 ajoute « Aucun congolais ne peut, en matière d’éducation et d’accès aux fonctions

    publiques ni en aucune autre matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte

    de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa

    condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son

    appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu, à une minorité culturelle ou linguistique. »

    L’article 14 consacre une protection spéciale de la femme : Les pouvoirs publics veillent à

    l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard de la femme et assurent la protection et

    la promotion de ses droits. Ils prennent, dans tous les domaines, notamment dans les domaines

    civil, politique, économique, social et culturel, toutes les mesures appropriées pour assurer le

    total épanouissement et la pleine participation de la femme au développement de la nation… »

    Ces dispositions confèrent-elles des droits justiciables ?

    Cette interrogation peut se dissoudre dans une problématique plus large, celle de la justiciabilité

    des droits consacrés par la constitution et les instruments juridiques internationaux.

    En examinant le droit positif Congolais, il se dégage que certains textes législatifs notamment le

    code de la famille, le code de procédure civile et le code de procédure pénale… consacrent

    encore des dispositions discriminatoires sur lesquelles les juges du Tribunal de Grande Instance

    de Bukavu fondent leurs décisions pour dénier certains droits à la femme, la plaçant en infériorité

    juridique par rapport à son mari et même à ses enfants majeurs. Parfois c’est la pratique qui

    consacre des règles hostiles aux droits de la femme, pratiques contra legem bien suivies du reste

    par les juges de Bukavu. Et pourtant ce tribunal a déjà admis la justiciabilité des droits subjectifs

    constitutionnels. Il a été jugé sous R.C.72065 que « par sa mission ordinaire de l’Etat de garantir

    à tout citoyen les droits fondamentaux résultant tant des instruments juridiques régulièrement

    ratifiés que de la Constitution, en particulier le droit d’accès aux services publics… ».

    Le juge confirme ainsi les dispositions de l’article 153 de la Constitution selon lequel « les Cours

    et Tribunaux, civils et militaires, appliquent les traités internationaux dûment ratifiés, les lois, les

    actes réglementaires pour autant qu’ils soient conformes aux lois ainsi que la coutume pour

    autant que celle-ci ne soit pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. ».

    Il sied cependant de s’interroger sur le choix qui sera fait par le juge lorsque l’esprit et/ou la lettre

    de la loi est en contradiction avec la Constitution ou un instrument international. La réponse

    parait évidente : la hiérarchie normative qui découle de l’article 215 de la Constitution et d’autres

    5Tribunal de Grande Instance de Bukavu. R.C.7206 : Aff. Jean de Dieu Mulikuza contre la SNEL et l’Etat

    Congolais.

  • 4

    textes pertinents commande de donner priorité aux droits subjectifs constitutionnels ou

    conventionnels.

    Nous posons néanmoins l’hypothèse selon laquelle, la pratique du Tribunal de Grande instance

    de Bukavu s’inscrirait en marge de cette évidence, consacrant une jurisprudence liberticide.

    Deux types des décisions de justice nous permettront de vérifier cette hypothèse, le sort des

    droits de la femme à l’occasion de la dissolution du mariage par le divorce ou par le décès de son

    mari d’une part, et d’autre part, la recevabilité des actions en justice mues par les femmes. Ce qui

    ne nous empêchera pas d’analyser d’autres décisions pertinentes pour autant qu’elles permettent

    d’élucider notre problématique.

    Pour ce faire, notre réflexion partira de l’étude de la justiciabilité du principe d’égalité en Droit

    positif Congolais avant de vérifier la manière dont il est mise en œuvre par les juges du Tribunal

    de Grande Instance de Bukavu. Nous terminerons par les outils que le juge devrait mobiliser pour

    la mise en œuvre effective du principe d’égalité et, de manière générale, des droits de l’homme.

  • 5

    I. De la justiciabilité du principe d’égalité en Droit positif Congolais

    Deux questions vont nous préoccuper ici : le droit à l’égalité et à la non discrimination garanti

    par la Constitution et les instruments juridiques internationaux est-il susceptible d’une garantie et

    d’un contrôle par le juge. Et dans l’affirmative, quels sont les outils à sa disposition. Pour ce

    faire, nous examinerons d’abord les bases légales du principe d’égalité et non discrimination

    avant De cerner le contenu qui découle de ces sources et, partant, les prérogatives justiciables.

    I.1. Base légale et contenu du droit à l’égalité et à la non discrimination

    I.1.1. Base légale

    Nous venons d’indiquer ci-haut les dispositions constitutionnelles relatives à l’égalité et à la non

    discrimination. Ces garanties constitutionnelles se concrétisent notamment à travers des garanties

    internationales.

    Parmi les instruments juridiques internationaux applicables en R.D.Congo nous citerons :

    - Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, articles 2,3 et 26.Ce pacte a force

    obligatoire en R.D.C. depuis le 1er novembre 19766 Il a un effet direct et devrait donc être

    appliqué par le juge conformément à l’article 153 de la Constitution ; elle aura une primauté sur

    les lois comme l’indique l’article 215.

    - La convention sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes.

    - La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, articles 2 et 3 entre autres ; l’article 2

    du projet de protocole additionnel relatif aux droits de la femme en Afrique. La R.D.Congo a

    ratifié cette charte en date du 20 juillet 1987 7 ainsi que ses protocoles.

    Après avoir indiqué les principales sources du droit à l’égalité et à la non discrimination, il sied

    de préciser le contenu, les droits subjectifs qui en découlent.

    I.1.2. Contenu du principe d’égalité et non discrimination

    Nous ne reprendrons pas ici toute la théorie en la matière, il s’agit à titre indicatif de mentionner

    les prérogatives reconnues à la femme que le juge devrait protéger.

    6 http :www3. unhchr.ch / fr.7http : www3.aidh.org

  • 6

    A. En quoi consiste la discrimination

    L’article 1 de la Convention sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des

    femmes définit la discrimination à l’égard de la femme comme « toute distinction, exclusion ou

    restriction fondée sur le sexe , qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la

    reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial,

    sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme , des droits de l’homme et des libertés

    fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout

    autre domaine. »

    La doctrine8 pose la comparabilité des situations comme mesure du principe d’égalité. La règle

    d’égalité prohibe qu’il soit fait, sans justification admissible, des différences de traitement entre

    catégories de personnes se trouvant dans des situations comparables. C’est ce qu’on appelle

    discrimination active. Il y a discrimination active lorsqu’une norme ou une autorité publique,

    sans justification admissible, traite de manière distincte deux catégories de personnes se trouvant

    dans une situation comparable.

    La règle d’égalité prohibe aussi que l’on traite, de manière identique, sans justification

    admissible, des catégories de personnes se trouvant dans des situations non comparables. C’est ce

    qu’on appelle discrimination passive. Il y a discrimination passive lorsqu’une norme ou une

    autorité publique traite de manière identique, sans justification admissible, des catégories de

    personnes se trouvant dans des situations non comparables.

    B. Les débiteurs de la garantie d’égalité et de non discrimination9

    Par évidence, la garantie d’égalité et de non discrimination s’impose aux pouvoirs publics, à qui

    il est fait défense de discriminer. Toutefois, l’on s’est rendu compte que l’effectivité du droit

    consacré ne pouvait se satisfaire de la seule passivité étatique. En conséquence, s’est imposé

    l’idée que la garantie d’égalité et de non discrimination pouvait mettre une obligation positive de

    protection à charge des autorités.

    Au-delà des pouvoirs publics, l’obligation de ne pas discriminer s’impose aussi aux rapports

    entre particuliers. Telle est la leçon qui découle de l’arrêt Pla et Puncernau contre Andorre10 dans

    8 Sébastien Van Drooghenbroeck, Cours de Dimensions collectives des droits de l’homme, Master

    Complémentaire en Droits de l’homme, Académie Louvain, 2007-2008, inédit9 Idem10Cour Européenne des droits de l’homme, Arrêt Pla et Puncernau contre Andorre

  • 7

    lequel la Cour a censuré une disposition testamentaire discriminatoire qui confiait la succession

    uniquement à un enfant issu du mariage canonique.

    La jurisprudence a aussi tirée une obligation procédurale dans le prolongement des obligations

    positives. Dans l’affaire11 Natchova contre Bulgarie, la Cour Européenne des droits de l’homme

    a sanctionné le fait de n’avoir pas enquêté sur les motivations discriminatoires du meurtre.

    Le juge du Tribunal de Grande Instance de Bukavu devra donc veiller à ce qu’une loi ou une

    décision de l’exécutif n’instaure un traitement différencié pour des personnes se trouvant dans

    une situation analogue ou un traitement identique pour des personnes se trouvant dans des

    situations incomparables.

    Lorsque le pouvoir n’a pu empêcher la discrimination, le juge devra à la limite vérifier si les

    obligations procédurales ont été respectées.

    Il va censurer non seulement les manquements du pouvoir mais aussi ceux des particuliers.

    Voyons à présent ce qu’il en est dans la réalité.

    11 Cour Européenne des droits de l’homme, Natchova contre Bulgarie,

  • 8

    II. Le Tribunal de Grande Instance de Bukavu et les droits de la femme

    Pour saisir la mise en œuvre du principe d’égalité par le Tribunal de Grande Instance, nous nous

    sommes proposé deux axes : l’impact du ménage sur les droits de la femme et la recevabilité des

    actions mues par les femmes. Nous ferons aussi état d’autres cas qui illustrent la violation ou la

    protection du droit de la femme à l’égalité.

    II.1. L’incapacité de la femme mariée serait-elle compatible avec le principe d’égalité ?

    Sous le R. P. 11.133 « 12 le tribunal relève, outre le fait que les dispositions du code de la famille

    précitées n’ont jamais connu de modification, le fait qu’il n’existe aucunement de caractère

    contradictoire entre ces dispositions et les dispositions de la constitution ou les instruments

    juridiques internationaux relatifs aux droits de l’homme. » Dans cette affaire, madame Cibalonza

    M’Rwabika attrait en justice madame Sikuzani M’Bahole pour imputations dommageables,

    dénonciation calomnieuse, destruction méchante et injures publiques.

    La prévenue soulève l’exception du défaut de capacité. Cette exception trouve son fondement

    dans les articles 215 et 448 du code de la famille et l’article 23 du code civil congolais, livre 3.

    En application de ces dispositions, le juge a reçu l’exception du défaut de capacité et l’a dit

    fondée et, partant, a débouté la partie civile. Si ces articles peuvent bien paraître pertinents, ils

    sont contradiction avec l’article 14 de la Constitution dans la mesure où les pouvoirs publics

    n’auront pas veillé à l’élimination de cette forme de discrimination à l’égard de la femme mais se

    sont constitués en principaux acteurs de discrimination. La contradiction est encore plus flagrante

    avec l’article 13 qui garantit l’égalité de tous les êtres humains en droits et en dignité. Les juges

    pourraient toujours se dédouaner en soutenant que cette discrimination trouve sa base dans la loi

    et qu’il appartenait plutôt au législateur de modifier la loi pour l’adapter aux nouvelles évolutions

    consacrées par la constitution ; ce qu’ils ont fait en soutenant que les dispositions légales

    incriminées n’ont jamais été modifiées. Pour eux, le constituant n’a pas crée des droits subjectifs,

    il aurait simplement indiqué les objectifs que le législateur devrait atteindre. Contre cette

    position, chacun des arguments suivants (et sur lesquels nous reviendrons systématiquement dans

    le point trois) est suffisant pour démontrer sa fragilité, voire son caractère liberticide.

    Déjà dans l’affaire Jean de Dieu Mulikuza, le juge a admis le principe de la justiciabilité des

    droits subjectifs contenus dans la constitution. La Constitution a, en outre, posé le principe

    12 Tribunal de Grande Instance de Bukavu R.P. 11.133, inédit

  • 9

    d’application directe des traités internationaux dûment ratifiés par la R.D.C. Nous pouvons aussi

    envisager la responsabilité de l’Etat du fait du législateur que le juge doit s’efforcer de prévenir.

    Les mêmes observations peuvent être faites de la contradiction entre ces dispositions législatives

    et l’article 2 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard

    de la femme selon lequel « Les Etats s’engagent à instaurer une protection juridictionnelle des

    droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes et garantir, par le truchement des

    tribunaux nationaux compétents et d’autres institutions publiques, la protection effective des

    femmes contre tout acte discriminatoire.

    Le comité des droits de l’homme des Nations Unies13 range parmi les obligations immédiatement

    exigibles et, partant, justiciables la non discrimination. S’il est vrai que l’article 14 ne prohibe la

    discrimination que pour les droits garantis par la Convention, Frédéric Sudre14 constate que le

    protocole 12 fait entrer tout droit accordé à l’individu par le droit national dans le champ du

    contrôle exercé par la Cour. Une disposition analogue existant dans la CADHP et la Constitution

    congolaise, il va de soi qu’un contrôle juridictionnel devra être exercé. Telle est exactement la

    lettre de l’article 13 de la Constitution et dont le juge aurait pouvoir sanctionner la violation.

    Aucune justification objective ne saurait fonder cette infériorité juridique de la femme, ne pas

    permettre à la femme mariée d’agir en justice c’est lui dénier en réalité tous les droits dès lors

    qu’on lui en retirer les garanties.

    Heureusement que la nuit n’aura pas duré longtemps, le même tribunal présidé par le même juge

    n’attendra pas deux ans pour affirmer sous R. P. 11.707 15« que la femme congolaise ne mérite

    pas d’être traitée d’incapable car la constitution proclame en son article 11 l’égalité des êtres

    humains sans égard au sexe ». Dans cette affaire, madame Ciroyi Nabintu Bernadette attrait en

    justice sieurs et dame Kalibanya Zaluke, Watongoka Nginga, Civava Namwezi et Makelele pour

    imputation dommageable. Ici aussi les prévenus soulèvent le défaut d’autorisation maritale dans

    le chef de la partie civile. A l’appui de cette exception, ils invoquent l’article 492 du code de la

    famille. La partie civile, défenderesse sur exception oppose à cette exception les termes de la

    13 Comité des DESC, observations no 11(1999). Plans d’action pour l’enseignement primaire.20è session,

    Genève, 26 avril-14 mai 1999, www.aidh.org/ONU-GE/Comité-Drteco/hp-desc.htm14 Frédéric Sudre, Exercice de “jurisprudence – fiction” : la protection des droits sociaux par la Cour

    européenne des droits de l’homme ; Florence Benoît –Rohmer et Constance Grewe (dir.), op.cit ;

    p.15715 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, R.P. 11.707 Aff. Nabintu Bernadette contre Kalibanya Zaluke

    consorts du 02 juillet 2008

  • 10

    constitution qui garantissent l’égalité entre l’homme et la femme. Dans son jugement intervenu le

    02 juillet 2008, le tribunal a décidé ce qui suit « hormis le fait qu’il ressort des termes de l’article

    492 du code de la famille que cette exception ne peut être soulevée que par la femme, le mari ou

    leurs héritiers, il y a lieu de considérer que la femme congolaise ne mérite pas d’être traitée

    d’incapable car la constitution proclame en son article en son article 11 l’égalité des êtres

    humains sans égard de sexe, fait obstacle à cette capacité diminuée ».

    Comment expliquer que le même juge, après avoir consacré l’incapacité de la femme mariée n’a

    pas attendu deux ans pour la juger inacceptable ?

    Peut-on considérer qu’il s’agit d’un revirement surtout que le président de chambre dans les deux

    causes est le même ? Nous répondrons par l’affirmative jusqu’au jour où un revirement va se

    reproduire encore.

    II.2. Lorsque le ménage annihile les droits de la femme

    Sous le R.P. 11.133, une autre exception tirée du défaut de qualité avait été soulevée. La

    prévenue (demanderesse sur exception) réalise que les titres de la concession litigieuse sont

    inscrits au nom du mari qui n’est pas partie au procès et dénie donc la qualité à sa femme d’agir

    en justice. Le tribunal relève que la partie civile, défenderesse sur exception oppose à cette

    exception deux arguments : d’une part, toutes les infractions n’ont pas de lien avec la concession

    immobilière litigieuse, à savoir les infractions d’imputations dommageables, de dénonciation

    calomnieuse, des injures publiques. Si la question de qualité devrait se poser, elle ne concernerait

    en rien ces infractions dont la partie civile est la seule victime, justifiée à solliciter une réparation

    pour les préjudices subis. Le deuxième moyen porte sur le fait que la partie civile agissait en ce

    qui concerne l’infraction destruction méchante, en vue de protéger le patrimoine du ménage. En

    effet, l’article 442 du code de la famille dispose que le mariage crée le ménage. Une des

    conséquences du ménage est la confusion des patrimoines de deux époux (en cas de régime de

    communauté) ce qui est le cas sous examen (question que le juge n’a pas examiné) avec comme

    corollaire que si le ménage n’est pas traité comme une personne morale, il est néanmoins un

    groupement non personnalisé dont le juge ne peut ignorer l’existence. La preuve en est que la

    dissolution du ménage entraîne toujours une liquidation du patrimoine commun. Il y a donc lieu

    de s’interroger si l’inscription des titres au nom d’un membre du ménage, en l’occurrence le mari

    lui confère seul des droits, ce qui reviendrait à dire que dans le ménage la femme n’a aucun droit

    patrimonial ; or nous savons que le patrimoine est inhérent à la personnalité juridique. Ainsi on

  • 11

    en viendrait à nier à la femme mariée sa qualité de personne humaine, sujet des droits, la

    réduisant à un simple objet des droits comme un esclave ou un animal.

    Ce qui est plus désastreux pour les droits de la femme dans le cas sous examen est que, lorsque il

    fallait tenir compte de l’existence du ménage pour dénier la qualité à la femme d’agir en justice,

    le juge a bien constaté l’existence du ménage. Mais lorsque l’existence du ménage devrait servir

    à protéger les droits de la femme notamment en lui permettant de défendre le patrimoine du

    ménage sur lequel elle a une quotte part, le juge se ravise et supprime, ignore « la solidarité

    légale » entre mari et femme en dépit de l’existence du ménage. Ce qui nous permet de conclure

    que devant le Tribunal de Grande Instance de Bukavu, le ménage n’existe qu’au détriment des

    droits de la femme.

    Le tableau n’est cependant pas totalement sombre car dans le R.C. 683816, le juge a confirmé les

    droits d’une veuve en conflit avec ceux des enfants, héritiers de la première catégorie. Dans cette

    cause, la requérante expose qu’elle était mariée à Kashemwa, père du premier défendeur et

    décédé depuis le 14 octobre 1995. Du vivant du de cujus, ils ont acquis une maison que le

    premier défendeur a vendu au second. Elle sollicite et obtient l’annulation de cette vente, le

    tribunal l’accorde en confirmant l’usufruit de la veuve sur ladite maison. Application pure et

    simple du code de la famille dirait-on ? Si la certitude relève des textes, il y a lieu de noter que le

    ministère public avait donné un avis défavorable à la requête et que c’est une des rares fois où les

    droits patrimoniaux de la femme sont confirmés par le tribunal. La décision serait plus

    intéressante encore si des questions d’héritage et de liquidation du régime avaient été posées.

    II.3. Le comportement de la fille mineure peut-il justifier le violeur ?

    Il a été jugé sous R. P. 11.26117 « que le fait pour une fille mineure de soutenir devant le tribunal

    qu’elle était disposée à poursuivre les relations sexuelles avec le prévenu une fois remis en liberté

    constitue des attitudes manifestement provocatrices de la victime de nature à justifier une

    répression mitigée de l’infraction ».

    Dans le cas sous examen, « monsieur B. B. est poursuivi pour avoir en date du 05 mars 2007, eu

    des rapports sexuels avec mademoiselle F. M. fille âgée de moins de 15ans au moment des faits.

    Aux termes de l’article 170 alinéa 7 du code pénal livre deuxième tel que modifié et complété par

    la loi n°06/018 du 20juillet 2006, est réputé viol à l’aide des violences, le seul fait du

    16 Tribunal de Grande de Bukavu, affaire R.C. 6838 affaires Veuve Cibalonza M’ Marume contre

    Kashemwa Kavali et Mademwa Kajangu du 25 juin 2007, inédit17 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, R.P. 11.261

  • 12

    rapprochement charnel des sexes commis sur les personnes désignées à l’article 167alinéa 2 .Les

    personnes désignées à l’article précité sont celles âgées de moins de dix huit ans. La victime qui

    avait auparavant dénoncé les violences dont elle avait été l’objet de la part du prévenu et des ses

    amis s’est rebiffée devant le Tribunal en exposant qu’il s’est agi des relations sexuelles avec son

    consentement. Pour sa part, le prévenu a affirmé avoir eu des relations sexuelles à plusieurs

    reprises, y compris celles du 05 mars 2007, toujours avec le consentement de la victime qui est sa

    copine. » Le Tribunal a certes condamné le prévenu (à 5 ans de prison) mais en retenant comme

    circonstance atténuante les attitudes manifestement provocatrices de la victime. Cette

    provocation est déduite du fait que durant l’instruction la victime a soutenu qu’elle était disposée

    à poursuivre les relations sexuelles avec le prévenu une fois remis en liberté. Il observe aussi que

    la victime s’est faite passée pour majeure en utilisant la carte d’électeur de sa grande sœur et

    ordonne une expertise qui confirme la minorité de la victime. De ce qui précède, le Tribunal

    établit une sorte de «responsabilité pénale partagée » entre l’auteur et la victime du viol.

    Remarquons en passant que le Tribunal note le revirement de la victime sans y accorder une

    moindre attention, et pourtant l’article 14 (bis) de la Loi n° 06/019 du 20 juillet 2006 modifiant et

    complétant le Décret du 06 août 1959 portant Code de Procédure Pénale Congolais aurait pu être

    mobilisé à cet effet. En effet, la loi n’exige pas que la victime se constitue partie civile pour

    bénéficier de l’assistance psychologique, médicale et judiciaire. Sous RP 12 10318, le juge s’est

    fondé sur les mœurs légères d’une mineure pour fixer les dommages-intérêts, les réduisant à un

    montant symbolique de 300$ en soutenant que les mœurs légères de la victime auraient influencé

    le prévenu à commettre son acte. Il me semble que si le législateur a décrété que le consentement

    d’une personne de moins de dix huit est inopérant, c’est en considération du fait qu’avant cet âge,

    la victime ne dispose pas des facultés lucides pour être tenue responsable de ses décisions. C’est

    pour cette raison qu’elle est protégée comme particulièrement vulnérable et qu’elle mérite une

    protection spéciale. Ce qui parait insolite c’est le fait que le juge ait donné des conséquences à ce

    qu’il convient de considérer comme consentement de la victime mineure (comme circonstance

    atténuante) là où effectivement le législateur a refusé d’en donner. Non seulement que le

    consentement de la victime mineure est inopérant, mais l’article 14 énumère des hypothèses où

    même le consentement de la victime majeure ne sera pas pris en considération par le juge. Certes

    les circonstances atténuantes sont prétoriennes mais elles sont admises en marge d’une

    disposition aussi claire et précise. Il est à craindre que cette lecture ne cache plutôt une relecture

    de la loi, en instaurant une sorte de « responsabilité pénale partagée avec la victime mineure »

    18, Tribunal de Grande Instance de Bukavu, RP 12 103

  • 13

    mais aussi en privant celle-ci de la protection spéciale que le législateur voulait accorder aux

    victimes mineures.

    II.4. La liquidation du régime matrimonial

    L’homme et la femme ont les mêmes droits dans le mariage et à l’occasion de la dissolution de

    celui-ci (article 16 de la déclaration universelle des droits de l’homme). A l’occasion de la

    dissolution liée au divorce, le régime matrimonial doit être liquidé. Le code de la famille prévoit,

    en son article 572, que le juge peut prononcer le divorce et réserver pour une décision ultérieure

    les autres questions que soulève le divorce. Cette disposition devrait à notre sens permettre au

    juge notamment de recenser les biens du ménage après avoir identifier le régime matrimonial.

    Tel n’est cependant pas le cas dans la pratique du tribunal de grande instance de Bukavu.

    A titre illustratif, citons entre autres affaires, les affaires qui ont opposé madame J.N. à monsieur

    M.N. Dans le RD 07919 ce dernier sollicite et obtient le divorce avec celle-là. Au cours de la

    procédure, le juge prend une ordonnance décrétant des mesures provisoires ; la garde des enfants

    est accordée au mari qui doit en même temps trouver une maison d’habitation pour son épouse et

    lui verser une pension alimentaire de 100$ par mois jusqu’ au règlement définitif du divorce.

    Dans son jugement, il prononce le divorce et s’abstient de régler les autres questions, à savoir la

    garde des enfants et la liquidation du régime matrimonial. Il réserve cette question à une décision

    ultérieure sans aucune motivation, au seul motif que c’est une faculté reconnue au juge par

    l’article 572, du code de la famille. Plusieurs mois après le délai de six mois où le juge devrait

    régler les autres questions, dame J.N. saisit le tribunal sous R.C.20 pour solliciter la liquidation du

    régime matrimonial et la garde des enfants.

    Le défendeur invoque la forclusion au motif que l’action n’a pas été introduite dans les six mois,

    ce à quoi va adhérer le tribunal qui, en date du 26 avril 2007, dira l’action irrecevable pour

    forclusion. Le Tribunal de grande instance de Bukavu n’est pas le seul à avoir cette

    interprétation « liberticide » des droits de la femme et des enfants. Le tribunal de grande instance

    de Lubumbashi a pris une décision analogue et l’auteur de la décision ne s’est pas empêché de

    soutenir que l’article dont question pose un problème d’interprétation. Contrairement à ce que

    semblent soutenir les juridictions congolaises, il ne se pose aucun problème d’interprétation, sauf

    à le créer.

    19 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, R.D. 079 M.N. contre J.N.20 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, R.C. J.N. contre M.N. du 26 avril 2007, inédit

  • 14

    Premièrement, il n’existe aucune obligation pour le juge de se borner à prononcer le divorce et

    réserver les autres questions que soulève le divorce à une décision ultérieure. Le législateur a

    donné une faculté et non un impératif, et comme la motivation des jugements est une garantie

    constitutionnelle, le juge devrait motiver sa décision, justifiant les raisons qui l’empêchent de

    vider le litige dont il est saisi. Et c’est là la seconde question, l’étendue de l’office du juge.

    Les règles élémentaires du procès équitable exigent que le juge saisi du litige doit vider sa saisine

    en rencontrant toutes les questions qui lui sont soumises ; dans le cas sous examen, peut-il se

    considérer comme dessaisi après la première décision ? Notre réponse est négative ; comme dit

    supra, le législateur semble avoir mesuré l’intérêt des questions en jeu qu’il a voulu permettre

    une instruction supplémentaire après cette décision pour, par exemple, inventorier les biens du

    ménage, les charges y relatives (et donc les droits des tiers), les modalités pratiques pour la garde

    et les autres droits des enfants. Il en serait donc comme de toute autre mesure provisoire ou

    partielle comme la production des pièces détenues par une partie, la descente sur terrain …pour

    nous donc l’office du juge n’est pas vidé par une telle décision et se dessaisir n’est rien d’autre

    qu’un déni de justice avec les conséquences qui y sont attachées. Troisièmement, il y pas lieu de

    considérer que le délais de six mois est un délais de prescription pour la simple raison que tous

    les délais, en droit, n’emportent pas forclusion. Que dire de la huitaine dans laquelle le jugement

    doit être prononcé ; peut-on considérer qu’il y aura prescription si dans ce délai le juge n’a pas

    rendu son jugement ? Dieu seul sait combien de jugements sont rendus dans ce délai, de sorte

    que le juge évite désormais d’annoncer la date pour parler du délai légal. On dira la même chose

    des délais requis pour un avis ou un réquisitoire du ministère public et les conséquences qui y

    sont attachées. Que dire aussi des délais prévus en matière des violences sexuelles et les

    conséquences y afférentes en termes de prescription. Fondamentalement, la prescription est une

    mesure de sécurité juridique et de paix sociale, il s’agit de ne pas remettre au débat public (à

    travers le procès) des questions qui n’intéressent plus l’ordre public. Peut-on considérer qu’en six

    mois le sort des enfants et des biens du ménage n’intéressent plus la société. Est-il concevable

    que les droits extrapatrimoniaux entre parents et enfants soient prescriptibles ? Sans rappeler les

    dispositions constitutionnelles et conventionnelles qui placent l’intérêt supérieur de l’enfant au

    centre de notre système juridique, il serait inconcevable que le juge pense s’acquitter de son

    obligation de dire le droit en sacrifiant les droits élémentaires des enfants déjà traumatisés par le

    divorce à l’hôtel d’une formalité rendue substantielle par une interprétation malheureuse d’une

    loi conçu en faveur de la famille et de l’enfant.

  • 15

    En quatrième lieu, le juge dans le cas sous examen, semble créer une nouvelle institution qui

    n’est prévue par aucun texte et qui menace la famille. En effet, n’ayant pas donné une décision

    définitive, le juge a maintenu en état ses mesures provisoires, ce qui revient à dire que durant

    toute sa vie, monsieur M.N. devra verser une pension alimentaire à celle qui fut son épouse, mais

    sur quelle base ? Ainsi le mariage est dissout mais ses effets sont maintenus. De même s’agissant

    du sort des biens, peut-on considérer que ceux-ci sont acquis par le mari pour le simple fait qu’il

    en avait la maîtrise( de bonne ou de mauvaise) au moment où a surgi le conflit ? Dans

    l’affirmative la notion de régime matrimonial perd toute valeur d’une part, d’autre part la gestion

    des biens du ménage relève désormais de la perfidie et le plus malin s’en accaparera à la

    première occasion, ce qui ne rencontre pas la finalité de stabilité des ménages poursuivie par le

    code de la famille tel qu’il ressort de l’exposé des motifs. Dans la négative, et dans l’hypothèse

    où le détenteur des biens du ménage se remarie (ce qui est probablement le cas dans l’espèce

    commentée) , on en viendrait à créer des ménages à trois, en tout cas sur le plan financier ce qui

    ne va pas sans risque pour la nouvelle épouse et les tiers qui devraient compter sur ce patrimoine

    « tripartite » comme garantie de leur créance.

    Considérons en cinquième position que l’hypothèse la plus plausible est celle que nous appelons

    « expropriation sans cause » : les biens seront acquis par celui qui en avait la maîtrise et

    deviendront sa propriété. Ce mode d’acquisition ne correspond à aucune hypothèse de la loi du

    20 juillet 1973, sinon que le juge accorde par sa décision tous les biens du ménage au conjoint

    malin et gratifie ainsi sa mauvaise foi. Que devient le caractère sacré du droit de propriété

    proclamée par la constitution ?

    Enfin, réalisons que dans notre pays les biens du ménage sont souvent sous l’emprise du mari, les

    biens immeubles qui constituent l’essentiel du patrimoine sont enregistrés la plupart de fois au

    nom du mari, il en est de même des biens meubles soumis à immatriculation mais aussi des

    comptes bancaires. Appliquée à la lettre, cette jurisprudence « liberticide » revient à renier à la

    femme tout droit patrimonial dans le ménage. Cette conception n’est pas innocente, elle véhicule

    une vielle tradition selon laquelle «21 non seulement la femme n’a pas des droits patrimoniaux

    mais elle est assimilée aux biens qui feront l’objet de succession au décès de son mari. Ainsi

    lorsque le de cujus laisse plusieurs femmes, les héritiers peuvent se les partager, à condition de

    ne pas prendre sa propre mère ».Nous sommes donc là dans une pire forme d’esclavage que nos

    juridictions sont entrain de réhabiliter au moment où le législateur a non seulement posé le

    21 Mirindi Carhangabo, Les droits successoraux du conjoint survivant en droit congolais, U.C.B. 2000-

    2001, mémoire de Licence, inédit

  • 16

    principe d’égalité et non discrimination, mais aussi enjoint aux pouvoirs publics, notamment aux

    cours et tribunaux de veiller à l’élimination de toute forme de discrimination à l’endroit de la

    femme. Nous envisagerons dans le troisième point de cette réflexion les outils à la disposition du

    juge s’il ne veut pas porter le brassard de mouroir des droits que la constitution a accordé à la

    femme au même titre qu’à tout être humain.

    Pour l’instant, examinons d’autres espèces où les droits de la femme n’ont pas connu un sort

    malheureux.

    Sous R. D. 10422, le juge a simplement décidé de ne pas liquider au motif que « la demanderesse

    ne formule aucune revendication quant au patrimoine du ménage qui, du reste, en somme, n’était

    constitué que de l’immeuble que le défendeur a vendu. Ainsi le tribunal considère qu’il est sans

    objet de statuer sur les biens du ménage.» Le juge a, dans ce cas, considéré la question du régime

    matrimonial comme une question de droit privé qui relève du pouvoir des parties. Ce que nous ne

    lui disputons pas. Mais ce raisonnement simpliste est dangereux dans la mesure où la liquidation

    du régime matrimonial ne concerne pas que les parties, il se peut que des tiers notamment des

    créanciers aient des prétentions à faire valoir.

    En outre, la question de la vente de l’immeuble commun ayant été posée, le juge aurait pu se

    rappeler que la vente de la chose d’autrui est nulle et qu’en l’espèce, la maison n’appartenait pas

    au mari mais au couple. Enfin, le principe étant que toute personne a un patrimoine et étant

    donné que le mariage entraîne confusion des patrimoines des époux, le juge ne peut poser un

    principe contraire selon lequel les parties n’ont aucun patrimoine.

    Sous le R.D.09723, le juge « prononce le divorce, condamne l’époux au payement de 2.500$ à

    titre des dommages et intérêts, et se réserve pour une décision complémentaire pour les autres

    questions que soulève le divorce.»

    Ici la requérante madame K.M.B. reproche à son époux K. M. de lui faire subir de supplices et

    déboires sans commune mesure. De l’avoir abandonné juste après la naissance du second enfant

    en 1998 et que cette séparation s’est prolongée jusqu’en février 2002.Elle sollicite, de ce fait la

    dissolution du mariage aux torts de l’assigné, la garde des enfants et les dommages-intérêts de

    10.000$.» Dans son jugement du 22 décembre 2007 le tribunal dit la requête partiellement

    fondée, adjuge les demandes de la requérante sauf en ce qui concerne les dommages-intérêts

    qu’il divise par quatre.

    22 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, R.D. 104097madame R. B. K. contre D. M. L. inédit23 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, R.D. 097madame K.M.B. contre K.M., du 22 décembre 2007,

    inédit

  • 17

    Sous le R. D. 09324 le juge s’est limité à prononcer le divorce. La demanderesse, madame L.B.A.

    sollicite du tribunal la dissolution de leur mariage avec monsieur L.S.A. A l’appui de sa

    demande, elle soutient « pour des raisons que nous nous sommes, de commun accord décidés de

    ne pas révéler aux tierces personnes, mon époux et moi avons opté pour le divorce d’une manière

    conventionnelle. »

    Sous R. D. 099 25, le juge «constate que la continuation de la vie conjugale est devenue

    impossible. Dit pour droit que la défenderesse est désignée judiciairement comme conjoint

    coupable, et recouvre à chacun la liberté avec faculté de se remarier. Dit que le demandeur est

    désigné pour assurer la garde de tous les enfants issus de deux parties. Accorde à la défenderesse

    un droit de visite des enfants d’une journée par semaine. Met les frais d’instance à charge de la

    défenderesse. »

    Dans cette cause, le mari reproche à son épouse l’insoumission, le vol et les injures envers ses

    parents et d’autres membres de sa famille. Il sollicite, de ce fait, le divorce. Durant l’instruction

    le tribunal constate que les faits reprochés à l’épouse ne sont pas prouvés, mais tire des

    accusations mutuelles la destruction irrémédiable des liens conjugaux. Le Tribunal se refuse de

    statuer sur le sort des biens des époux, étant donné que ceux-ci n’ont pas déclaré détenir des

    biens faisant partie de leur patrimoine commun, et susceptible d’être partagés. Outre les

    observations faites précédemment sur le sort des droits de la femme à l’occasion de la dissolution

    du mariage et qui demeurent valables ici, nous réalisons que tout en estimant que les allégations

    contre l’épouse n’étaient pas prouvées, le divorce a été prononcé à son seul tort. Ici comme dans

    beaucoup de cas, le tribunal ne motive pas le choix qu’il fait pour la garde des enfants ni pour le

    droit de visite. Et comme dans les cas précédents, les droits patrimoniaux de la femme sont tout

    simplement envoyés à la morgue.

    Sous le R. D. 11526, le tribunal « prononce le divorce, confie la garde des enfants et se réserve de

    se prononcer sur les dommages-intérêts Dans cette cause, la demanderesse madame B. S.

    sollicite la dissolution du mariage intervenu entre elle et monsieur M.L.D. au motif que ce

    dernier l’a abandonné depuis 7ans.

    24 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, R.D. 093 madame L.B.A. contre monsieur L.S.A ; inédit25 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, R.D. 099 monsieur T.M. contre madame L. L., du 24. 09.

    2008, inédit26 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, R.D. 115, madame B. S. contre monsieur M. L. D. du 29. 12.

    2008

  • 18

    Il n’indique rien sur la participation du père aux obligations alimentaires, sur le sort des biens du

    ménage ...

    II.5. Le divorce prononcé aux torts de la femme en toute hypothèse27

    Sous RED 030, la requérante soutient que son mari l’a abandonné en 2006 après dix ans de

    mariage. Après plusieurs tentatives de rapprochement sans succès, la requérante sollicite du

    tribunal le divorce aux torts de son mari, l’allocation des dommages-intérêts de 10.000 $ et la

    condamnation du défendeur aux frais. Dans son jugement du 19.05.2008 « le tribunal reçoit

    l’action de la demanderesse et la dit fondée, prononce la dissolution du mariage aux torts de la

    demanderesse, la condamne aux frais.» Dans la motivation aucun reproche n’est fait à la

    demanderesse dans la dissolution des liens conjugaux, à moins que le Tribunal considère le fait

    de n’avoir pas produit l’acte de mariage comme une faute devant justifier le prononcé du divorce

    aux torts de l’épouse. S’agissant de la liquidation du régime matrimonial, « le juge dit qu’il n’y a

    rien de commun comme patrimoine. »

    Faut-il rappeler que toute personne a un patrimoine, élément de sa personne.

    Lors même que le patrimoine serait déficitaire, le juge n’a rien dit sur les dommages-intérêts ni

    sur la garde des enfants qui sont entre les mains de leur mère sans indication des obligations

    alimentaires incombant à leur père.

    II.6. Lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant tombe devant des formalités de pure forme

    Il a été jugé sous R.C.698028 ce qui suit « Attendu que l’assignation n’indique pas la profession

    des requérants. Que de ce fait l’action sera dite irrecevable pour ce motif qui est d’ordre public ».

    Dans cette cause, madame Nabintu Musanganya soutient avoir vécu en union libre avec

    monsieur Léon Cidugundu. De cette union est né un enfant du nom de Akonkwa Katabi. La

    dame et son enfant représenté par elle-même agissent en justice pour recherche de paternité,

    recouvrement des aliments et allocation des dommages-intérêts. En dépit de la justiciabilité de la

    27Tribunal de Grande Instance d’Uvira/Siège secondaire de Kavumu RED 030 madame J.B.B. contre

    monsieur M.K. du 19. 05. 2008. Cette décision a été rendue par le Tribunal de Grande Instance

    d’Uvira, Siège Secondaire de Kavumu qui n’est pas couvert par notre étude mais son caractère

    insolite nous a conduit à la mentionner. C’est peut être un indice que le sort des droits de la femme

    n’est pas le meilleur dans les autres juridictions Congolaises.28 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, affaire Akonkwa Katabi (enfant mineur) et madame Nabintu

    Musanganya contre Léon Cidugundu du 22 décembre 2007

  • 19

    Convention relative aux droits de l’enfant qui consacre le principe supra légal de « l’intérêt

    supérieur de l’enfant » et des garanties constitutionnelles expresses des articles 41 suivants de la

    Constitution ; le juge s’est borné sur un moyen de pure forme qui du reste n’était pas pertinent en

    l’espèce.

    On devrait d’abord s’interroger quelle devrait être la profession de l’enfant mineur.

    On réalisera par la suite que plusieurs décisions du même tribunal affirment qu’il n’y a pas de

    nullité sans griefs et donc dans le cas sous examen le défaut de mentionner la profession

    n’entame en rien les droits de la femme.

    Il est de doctrine dominante29 qu’il n’y aurait pas de nullité si l’omission ou l’irrégularité des

    formes ne portait pas préjudice à la partie adverse. Le prononcé de la nullité est ainsi subordonné

    à l’existence d’un grief dans le chef de la partie adverse. Si le juge constate que l’irrégularité ne

    nuit pas aux intérêts de la personne à qui l’acte ou à qui on l’oppose, il ne pourra prononcer la

    nullité même si celle-ci est prévue par un texte. L’article 28 du code de procédure civile stipule

    qu’aucune irrégularité d’exploit ou d’acte de procédure n’entraîne leur nullité que si elle nuit aux

    intérêts de la partie adverse. L’exposé des motifs précise que cette disposition a la portée que la

    jurisprudence a toujours attribuée de la façon la plus large au principe « pas de nullité sans

    grief » qui est un des fondements de notre procédure civile.

    Il été jugé par notre plus haute juridiction que «30 n’est pas fondé le moyen de cassation pris de

    ce que serait nul un acte d’appel ne comportant ni le nom du greffier, ni sa signature, ni le sceau

    du tribunal devant lequel l’appel est interjeté, dès lors que sur base dudit acte, l’intimé a pu

    comparaître et se défendre. » Lorsque la signification d’un jugement contient une erreur de date,

    elle ne sera pas déclarée nulle si celui qui allègue la nullité ne prouve pas avoir subi un

    grief31.Face à une doctrine si stable et une jurisprudence si précise, il y a lieu de s’interroger sur

    le grief que pouvait subir le défendeur du fait de la non indication de la profession des

    demandeurs.

    29 Mukadi Bonyi et Katwala Kaba Kashala, Procédure civile, éd. Batena Ntmbua, Kinshasa, 1999, pp.36-

    3730 C.S.J,R.C. 27 du 10 janvier 1973, Bull. Arrêts,1974, p ;3 cité par Alexis Takizala Masoso, Recueil de

    jurisprudence des cours et tribunaux du Congo,Presse Universitaire de Lubumbashi,1999,p.14431 C.S.J.,R.C. 66 du 10 août 1974, Bull. Arrêts,1975,p.145 cité par Alexis Takizala Masoso,idem

  • 20

    II.7. Nemo auditur : comme si l’immoralité était féminine

    C’est par cet adage que le juge a rejeté les demandes d’aliments et d’indemnisation d’une femme

    mère de cinq enfants mais qui n’a pas réussi à prouver l’existence de son mariage coutumier sous

    R.C.7078.32 Pour le tribunal, « la demande de partage des biens moins encore celle relative au

    payement d’une indemnité pour services rendus et l’achat d’une maison pour élever et éduquer

    les enfants n’ont aucun fondement juridique et ne pourront retenir l’attention du tribunal. En

    effet, le seul fait pour le défendeur d’avoir des enfants avec la requérante ne peut suffire à

    l’obliger juridiquement à s’exécuter à son égard. Une telle demande est regardée comme

    immorale et donc illicite en vertu de l’adage nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. » Si

    nous ne sommes pas d’accord avec la notion de services rendus comme celle de rachat d’enfant

    qu’on va retrouver dans nombreuses requêtes, nous réaliserons dans la suite que devant le même

    tribunal, d’autres juges ont trouvé de fondement juridique à des telles demandes.

    Le tribunal se montrera pourtant plus ouvert aux droits de la femme et des enfants dans plusieurs

    décisions.

    Dans le R.C.682733 mademoiselle K. K. T. assigne en justice monsieur K. B. L. pour s’entendre

    condamner au payement de tous les frais médicaux déboursés ainsi qu’aux dommages-intérêts

    équivalents à 10.000$. A l’appui de sa requête, elle expose qu’elle était élève à l’Institut

    Mapinduzi lorsque en date du 15 janvier 2006, elle fut rendue grosse par le défendeur. Que suite

    à cette grossesse, elle a été chassée de l’école. Qu’en date du 15 octobre 2006, elle a accouché

    par césarienne d’un bébé de sexe féminin qui malheureusement est décédé trois jours après.

    Qu’elle n’a reçu aucune assistance du défendeur ; tous les frais ont été supportés par elle-même

    et sa famille. » En réponse à cette requête, le tribunal répond « qu’en interrompant ses études à la

    suite de la grossesse dont le défendeur est l’auteur, cela constitue un préjudice qui mérite

    réparation. Qu’en tant qu’auteur de la grossesse, le défendeur a l’obligation d’assurer à la

    demanderesse une assistance adéquate notamment en lui garantissant les soins médicaux. Que ne

    l’ayant pas fait, il a manqué à ses obligations. »

    Le tribunal a alloué les dommages-intérêts conséquents à la requérante.

    32 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, affaire Mihigo Ndamuso contre Buhendwa Mwenge Augustin

    du 14 août 2007, inédit33 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, affaire K. K. T. contre monsieur K. B. L. du 29 décembre

    2006, inédit

  • 21

    Sous le R.C. 751334 le juge retient le régime de la responsabilité délictuelle lorsque l’homme

    rend grosse une jeune fille et l’abandonne avec son enfant.

    Les faits de la cause renseignent que pendant qu’elle était élève en deuxième année de cycle

    d’orientation, mademoiselle Zula Malalyanga fut engrossée par Mohamed Fariala. Chassée de

    l’école et du toit paternel, elle cohabitera avec le défendeur jusqu’à la naissance de leur enfant. A

    la suite des sévices et menaces, elle se verra contrainte de quitter le défendeur pour aller vivre

    dans l’errance et la misère avec son enfant. Sur la base de l’article 258, elle demande au tribunal

    réparation pour les préjudices subis des faits qui précèdent.

    En réponse à cette requête le juge réalise qu’il s’impose au tribunal qu’en application de l’article

    258 du code civil congolais, qu’il soit fait droit à cette demande étant donné qu’elle a subi des

    préjudices certains de l’abandon dont elle a été l’objet ainsi que son enfant, l’arrêt des études et

    de la perte de la chance d’un éventuel mariage. »

    Dans le 664935 madame Chahiabwa M’Banywesize sollicite du tribunal la condamnation de sieur

    Alfred Musombwa à supporter les frais des soins médicaux et de scolarité des enfants issus de

    son union libre avec lui et au payement des dommages-intérêts de 20.000$ pour les préjudices

    subis. Pour asseoir sa demande, la requérante déclare qu’elle a été répudiée du « toit conjugal » et

    qu’elle vit avec ses enfants chez ses parents où ils mènent une vie misérable. Dans son jugement

    le tribunal a accordé les aliments sollicités.

    Dans le R.C. 758436, madame Awa Suzane sollicite du tribunal la condamnation de monsieur

    Muzuri Kiriza au payement des aliments et à l’allocation des dommages – intérêts. A l’appui de

    sa requête, elle soutient qu’elle a vécu en union libre le défendeur depuis 2001.De cette union

    sont nés trois enfants dont un est décédé. Le défendeur l’a trouvée à Wamaza quand elle n’avait

    que 15ans. A la fin, il l’a abandonné à Bukavu avec ses deux enfants où elle n’a ni frère ni sœur.

    En réponse à cette requête, le tribunal constate que la loi n°87-010 du 1er Août 1987 portant code

    de la famille dispose, en son article 648 que les père et mère ont l’obligation de nourrir, entretenir

    et élever leurs enfants. Sur cette base, il reçoit l’action, la dit fondée et adjuge les aliments

    postulés, soit 200$ par mois. Quant aux dommages-intérêts postulés, le tribunal est d’avis que la

    34 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, affaire Zula Malyanga contre Mohamed Fariala du 09

    septembre 2008, inédit35 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, affaire Chahiabwa M’Banywesize contre Alfred Musombwa du

    11 janvier 2007, inédit36 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, affaire Suzane Awa contre Muzuri Kiriza du 22 novembre

    2008, inédit

  • 22

    demanderesse a subi un préjudice par le fait du défendeur, en ce que ce dernier lui a laissé seule

    la charge de l’éducation et de l’entretien des enfants sans lui doter des ressources nécessaires

    pour ce faire.

    A travers cette série des jugements, il se dégage que le juge est mu d’un souci de protection des

    droits de la femme et de l’enfant. Certes, le code de la famille semble faire un progrès en faveur

    des enfants nés hors mariage sans pour autant avaliser les unions libres mais l’allocation des

    dommages-intérêts à la compagne « abandonnée » et en formulant clairement le souci de réduire

    la charge de la femme (non mariée) dans l’entretien des enfants, nous pensons que le juge

    s’acquitte ainsi de l’obligation constitutionnelle d’égalité (des droits et des charges) entre

    l’homme et la femme.

    II.8. Une fille ne peut-elle pas être légataire ?

    Sous R.C.672137 , il a été jugé que « n’a pas de qualité pour hériter, une fille demanderesse qui

    brandit un testament sans apporter la preuve qu’elle est de la famille biologique du de cujus. »

    In specie, la demanderesse est la nièce du de cujus qui dans son testament lui a légué une maison.

    Celle-ci sera vendue par le fils du de cujus qui pourtant avait reçu la part importante de la

    succession et donc le testataire n’avait pas disposé de plus du quart de la succession. Elle assigne

    le vendeur et l’acheteur et postule l’annulation de cette vente de la chose d’autrui. Dans son

    jugement du 20 septembre 2007 , le tribunal « relève qu’aux termes de l’article 601 du code de la

    famille, la filiation paternelle s’établit par la présomption légale en cas de mariage ou par une

    déclaration ou par une action en recherche de paternité. Le tribunal relève aussi qu’aucune pièce

    n’établit sa filiation à monsieur Umande. En conséquence, dit irrecevable la présente action pour

    défaut de qualité.»

    Pour le juge, seuls les enfants du de cujus devraient hériter, « abrogeant » ainsi les dispositions

    du code de la famille relatives aux autres catégories d’héritiers mais aussi les légataires.

    II.9. Une femme qui abandonne le toit conjugal à la suite des sévices du mari n’a–t-elle

    pas droit à la modification du régime matrimonial

    Sous R.C.661838, « le tribunal a jugé non fondé la demande de conversion du régime de la

    communauté réduite aux acquêts en séparation des biens au motif que la demanderesse a refusé

    37 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, R.C. 6721 Sophie Umande contre Adrien Bisimwa du 20

    septembre 2007, inédit

  • 23

    de rejoindre le toit conjugal.» Celle-ci soutient que son époux est devenu ivrogne, qu’il se livre à

    la débauche et est arrivé même à la contaminer d’une maladie vénérienne, la tabasse et la blesse

    fréquemment jusqu’à l’expulser du toit conjugal. Qu’aujourd’hui elle élève son enfant dans la

    nature. Sur pied de l’article 531 du code de la famille, elle sollicite la conversion du régime de

    communauté universelle des biens en celui de séparation des biens. Dans son jugement du 15

    juin 2006 le juge reçoit l’action et la dit non fondée, ne répond pas à la demande de changement

    du régime matrimonial. Il se limite à constater que l’immeuble sollicité par l’épouse n’est pas un

    bien propre mais un bien de la communauté. Que donc l’article 531 ne trouve pas à s’appliquer,

    en d’autres termes le changement du régime matrimonial ne peut s’effectuer. Il poursuit qu’on ne

    peut invoquer le problème de pension alimentaire pour la simple raison que le mari a tout fait

    pour qu’elle réintègre le toit conjugal mais en vain. Nous pouvons seulement nous interroger sur

    les fondements légaux de cette sanction, s’il vrai que le juge doit veiller à l’union et la stabilité

    des ménages, nous ne pensons pas que le législateur pouvait admettre que l’on aille jusqu’à

    affamer la mère et son enfant pour la contraindre de regagner le toit conjugal d’où elle a été

    chassée à la suite des sévices graves.

    II.10. Une femme étrangère peut-elle hériter des biens situés en RDC ?

    Il ressort du jugement rendu sous R.C. 769339 « qu’une femme étrangère, unique héritière

    conformément à sa loi nationale ne peut entrer en possession des ses biens. » Dans cette affaire

    madame Themula Christodoulidou née à Chypre et vivant à Bruxelles est selon sa loi nationale

    l’unique héritière des biens laissés par son frère. Ce dernier Theofanis Christakis Xenophontos,

    né à Chypres et habitait à Bruxelles jusqu’à son décès le 24 octobre 2006.

    De son vivant il avait acquis deux maisons à Bukavu. Porteuse d’un acte de notoriété délivré par

    le notaire Laurent Snyers, elle sollicite du tribunal d’être investi des droits qu’elle possède sur les

    deux immeubles. Dans son jugement du 22 janvier 2009 le tribunal a dit « qu’il n’existe à ce jour

    aucun jugement qui a conféré à la requérante la qualité de liquidatrice. Que faute de cette qualité

    la requérante ne peut initier pareille requête. Qu’au regard de ce qui précède, il y a lieu de

    déclarer l’action non fondée. »

    De passage on peut s’interroger comment le juge est arrivé à dire non fondée une action mue par

    une personne qui n’avait pas la qualité de la mouvoir.

    38 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, affaire madame Baduha Kashisi Henriette contre Vital

    Kagarabi Cibalonza du 15 juin 200639 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, affaire Themula Christodoulidou (requête) du 22 janvier 2009

  • 24

    Ce qui est préoccupant est que d’une part le juge ne semble pas donner les conséquences légales

    à l’extranéité que comporte l’affaire en voulant appliquer la loi du for la où il devrait appliquer la

    loi nationale. Lors même qu’il appliquerait la loi congolaise, il s’aviserait que la succession ne

    comporte qu’un seul héritier, la requérante.

    II.11. A qui profite l’absence de preuve d’un mariage coutumier

    Le jugement sous R.C.705840 annonce une volonté timide d’équilibre des charges et des droits

    entre l’homme et la femme dans les rapports extraconjugaux tout en réservant le bénéfice de

    l’absence de preuve du mariage coutumier à celui qui aurait sous sa maîtrise les biens issus de

    l’effort commun. Dans la présente cause dame Mihigo Ndamuso sollicite du tribunal la

    condamnation de monsieur Buhendwa Mweze Augustin au partage des biens et aux aliments

    pour elle et pour ses enfants. Elle soutient avoir contracté un mariage monogamique coutumier

    avec le défendeur d’où il est né six enfants dont elle assume seule la charge. Le défendeur

    soutient avoir vécu en union libre et se déclare indigent pour assurer les aliments des enfants il ne

    nie pas la paternité. De son côté le juge estime que « pour un tel mariage, les parents des deux

    familles qui auraient assisté à la remise de dot auraient dû être présentés devant le tribunal par la

    requérante pour en confirmer la célébration. » Il rejette en conséquence la demande en partage

    des biens et aux aliments de la requérante. Sans revenir sur la facilité avec laquelle le juge

    conclut en l’inexistence du mariage et à la seule preuve qu’il semble instituer, réalisons que dans

    l’hypothèse où les biens entre les mains du défendeur, ce qui est souvent le cas, la femme sera

    dépouillée par ce fait des fruits de son travail des plusieurs années. Certes en concluant à

    l’absence du mariage, il est clair qu’aucun régime à liquider ne peut être envisagé. Néanmoins on

    peut constater par là la consécration d’un enrichissement sans cause et d’une expropriation

    insidieuse.

    Notons néanmoins que le tribunal a quand même condamné le défendeur aux aliments au profit

    des enfants sous la garde de leur mère.

    Ce relevé n’est certes pas exhaustif et notre choix peut être jugé arbitraire mais il indique

    néanmoins que le sort des droits de la femme ne sont à leur meilleur jour devant le Tribunal de

    grande instance de Bukavu. Les innovations législatives intervenues n’ont pas totalement percé

    les mœurs judiciaires, d’où la nécessité d’identifier les outils que le juge peut mobiliser pour

    changer cette situation qui ne fait ni l’honneur ni le bonheur de notre société et de notre justice.

    40 Tribunal de Grande Instance de Bukavu, affaire madame Mihigo Ndamuso contre Buhendwa Augustin

    du 14 Août 2007, inédit

  • 25

  • 26

    III. Des outils à la disposition du juge : quelques directives d’interprétation

    Face à ce tableau sombre du sort des droits de la femme devant le Tribunal de grande instance de

    Bukavu et le refus quasi systématique du juge de matérialiser les progrès constitutionnels en

    matière d’égalité et non discrimination, deux attitudes sont possibles. La première consisterait à

    fustiger cette attitude liberticide en formulant un véritable réquisitoire contre ce qu’il

    conviendrait de qualifier en ce cas de violation délibérée des droits de la femme en dépit de la

    volonté du législateur de mettre fin à la marginalisation dont elle a longtemps souffert.

    On s’avisera néanmoins que cette situation n’est pas le propre de notre pays, la justiciabilité des

    droits de l’homme dans l’ordre interne a souvent fait l’objet des fortes résistances des Cours et

    tribunaux. Il suffit à cet effet de voir la résistance du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation

    Belges ou Français face aux décisions de la Cour Européenne des droits de l’homme.

    Il fallut parfois que la dite cour censure plusieurs fois le même comportement avant l’une ou

    l’autre juridiction ne s’aligne. Un procureur Italien41 est allé jusqu’à proposer la suppression du

    droit d’appel en vue de limiter le pouvoir de contrôle de la Cour Européenne sur le respect des

    garanties du procès équitable. Voilà pourquoi nous avons opté pour la seconde attitude qui

    consiste à accorder un bénéfice de doute au juge en considérant que les innovations intervenues

    demandent un temps d’intériorisation. Habitué à appliquer la loi et la coutume, il devra

    comprendre qu’il appliquera désormais en priorité les traités internationaux régulièrement ratifiés

    et ce conformément à l’article 153 de la Constitution et surcroît les droits subjectifs contenus

    dans la constitution. La primauté de ces instruments exige non seulement d’appliquer la lettre de

    leur disposition mais de se laisser guider par les buts qu’ils poursuivent et donc de tenir

    largement compte de leur esprit. Voilà pourquoi nous proposons quelques directives

    d’interprétation qui devrait aider un juge soucieux de remplir ses missions constitutionnelles en

    matière de lutte contre la non discrimination de la femme.

    La doctrine enseigne 42 « les juridictions internes peuvent invoquer la Charte africaine à deux

    titres soit comme fondement légal applicable, ouvrant ainsi un recours soit servir de guide en

    41 Jean François Van Drooghenbroeck, Cours des Garanties du procès équitable, Master Complémentaire

    en Droits de l’homme, Académie Louvain, 2007-2008, inédit42 Franz Viljoen, L’application de la charte africaine des droits de l’homme et de peuples par les

    autorités nationales en Afrique australe et orientale, Jean -François FLAUSS et Elisabeth Lambert-

    Abdelgawad (dir.) op. cit.p76

  • 27

    matière d’interprétation. » Ceci est vrai pour les autres instruments internationaux ainsi que pour

    les droits subjectifs qui découlent de la constitution.

    III.1. Donner effet à la primauté de la constitution

    La question ne concerne pas ici le contrôle de constitutionalité qui ne relève pas de la

    compétence du juge dont nous commentons les décisions mais de la justiciabilité des droits

    affirmés par le préambule et le corps de la constitution.

    Et si l’on reposait la question des femmes de Londres ; nos droits consacrés dans la constitution

    sont-ils des droits subjectifs dont nous pouvons nous prévaloir devant la justice. A lire la lettre de

    notre Constitution la réponse affirmative semble la seule possible. Force est cependant de

    constater que de tous les jugements commentés seul deux évoquent la Constitution dans la

    motivation ou dans le dispositif. Nous savons que les dispositifs des jugements des juridictions

    militaires référent quasi systématiquement à la constitution mais sur les dispositions relatives à

    leurs compétences.

    Il demeure que rares sont les visas ou des attendus qui rapportent à un article de la constitution,

    un moment où le juge dit si tel ou tel droit subjectif constitutionnel a été respecté ou violé. Ceci

    donne que pour le juge la constitution n’est pas une source des droits qu’il doit assurer la

    protection, un outil de travail comme les autres lois ; supérieur à ces autres lois. Nous ne

    trouvons aucune explication à cette réticence comme l’attestent d’ailleurs de nombreuses

    juridictions étrangères ainsi que la doctrine dominante.

    Aux dires de Maurice Kamto 43 « en raison de la constitutionnalisation des droits, leur garantie

    juridictionnelle […] se fait, d’une part, par le biais du contrôle de la constitutionnalité des lois et

    d’autre part, par le biais du contentieux des droits et libertés. » Si la partie de l’alternative est du

    ressort du juge constitutionnel, la seconde est bien de l’apanage du juge judiciaire gardien des

    libertés fondamentales. A ce titre il est seul à pouvoir donner effet utile aux droits et libertés

    garanties dans la mesure où le contentieux constitutionnel comme le gros du contentieux

    administratif sont des contentieux objectifs, contentieux de légalité.

    On peut s’étonner de ce que ni le juge, ni l’organe de la loi (et même les avocats) se soulèvent

    pas l’inconstitutionnalité de certaines dispositions discriminatoires en vue d’être fixé par la

    43 Maurice Kamto, Charte africaine, instruments internationaux de protection des droits de

    l’homme,constitutions nationales :articulations respectives ;Jean-François Flauss et Elisabeth

    Lambert-Abdelgawad (dir.),L’application nationale de la charte africaine des droits de l’homme et

    des peuples,Bruylant, Bruxelles, 2004 pp 37-38

  • 28

    juridiction compétente. C’est par ce procédé d’autres acteurs judiciaires ont stabilisé le statut des

    droits inscrits dans leurs constitutions. En Egypte44la haute cour constitutionnelle a eu ainsi

    l’occasion de censurer la discrimination dans l’enseignement.

    La décision n° 40/16(53) mettait en cause l’article 3 de la loi n°99 de 1992 relative à la protection

    sociale des étudiants, et qui imposait un montant annuel de cotisation plus important pour les

    établissements privés. Un père de trois enfants scolarisés en écoles privées saisit le Tribunal de

    première instance de Tanta pour demander le remboursement de ses cotisations et invoque

    l’inconstitutionnalité de l’article ; le tribunal saisit ainsi la Haute Cour Constitutionnelle d’une

    exception d’inconstitutionnalité. La cour examine la compatibilité de son avec les articles 40,18

    et 7 de la constitution et insiste plus spécialement sur le droit à l’éducation, qui impose des

    actions positives à l’Etat qui doit garantir le droit à la scolarisation dans les établissements non

    publics sans discrimination. La cour énonce ensuite que ces principes ont été reconnus dans la

    déclaration universelle des droits de l’homme (art 26), dans le pacte international des droits

    économiques sociaux et culturels (art13), et par l’article 17 de la charte africaine des droits de

    l’homme et des peuples. La cour conclut en conséquence à l’inconstitutionnalité de l’article.

    Au Bénin 45M .Moise Bossou a soumis à la censure du juge constitutionnel l’arrêté

    n°260/MISAT/DC/DAI/SAAP du 22 novembre1993 portant conditions et modalités

    d’enregistrement des associations […]. La cour a estimé que le ministre de l’intérieur a empiété

    sur le domaine réservé à la loi par les articles 25 et 98 de la constitution ainsi que l’article 10 de

    la charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

    La Cour Suprême du Canada46 « statuait le 15 mars 1990, dans l’affaire Mahé c. Alberta que la

    province de l’Alberta avait l’obligation de mettre en place les structures d’enseignement public

    que la Charte constitutionnelle des droits garantit à la minorité francophone».

    III.2. Effet direct : appliquer l’article 153 de la Constitution

    Comme beaucoup d’auteurs et plaideurs congolais, il nous parait difficile d’expliquer la réticence

    de nos juridictions à appliquer les traités internationaux, à Bukavu, à Lubumbashi comme à

    Kinshasa il est rare de trouver un jugement qui reprend dans sa motivation ou dans son dispositif

    44 Elisabeth Lambert-Abdelgawad, L’application de la charte africaine des droits de l’homme et des

    peuples en afrique du nord, Jean-François Flaus et Lambert –Abdelawad, op. cit. p11645 Grégoire Alaye, Le juge administratif béninois et la liberté, Etienne Picard, op.cit ; p18746 Ghislain Otis, Le pouvoir d’injonction du juge comme condition de l’efficacité des droits

    fondamentaux ; AUPELF-UREF, op.cit ; p.574

  • 29

    les dispositions d’un instrument international ayant force légale en R.D.C. C’est pour briser cette

    résistance que le constituant a inscrit expressément la justiciabilité des traités dans la

    constitution. L’article 153 de la constitution confère aux juridictions de l’ordre judiciaire la

    compétence d’appliquer les traités internationaux dûment ratifiés qui plus est sont placés au

    sommet de la hiérarchie normative. Dans cette optique, au Nigeria47 une cour d’appel a décidé,

    en s’appuyant explicitement sur la CADHP, que les droits contenus dans cette Charte été

    incorporés dans le droit Nigérian ; tout Nigérian pouvait s’appuyer sur l’article 24 de la charte

    consacrant le droit à l’environnement pour exiger le respect dudit droit à son profit plutôt que de

    se fonder sur l’article 20 de la constitution qui n’était pas pertinent en l’espèce. Il n’y a donc

    aucun obstacle juridique ou matériel qui empêche le juge congolais à appliquer une disposition

    claire et précise d’un traité, en l’occurrence celles qui portent sur le principe d’égalité et de non

    discrimination de la femme.

    III.3. La priorité des traités internationaux

    Comme noté supra le législateur congolais a tranché en faveur non seulement de l’applicabilité

    des traités par les juridictions internes mais aussi de leur priorité sur les lois internes.

    Il en découle que ces dispositions sont d’ordre public et donc le juge devra les soulever d’office.

    Le caractère d’ordre public des règles découlant des traités internationaux est affirmé par

    plusieurs juridictions. Telle est la leçon qui se dégage de la jurisprudence Belge.48Le caractère

    d’ordre public fut d’abord reconnu par la cour de cassation suivie par des nombreuses

    juridictions de l’ordre judiciaire. De cette reconnaissance se déduit tout d’abord l’obligation,

    pour le juge de fond ou pour la cour de cassation de soulever d’office la question de l’éventuelle

    violation de l’une des dispositions de la Convention. Il en découle ensuite qu’un moyen pris de la

    violation de la Convention Européenne des droits de l’homme peut être soulevé pour la première

    fois devant la cour de cassation. Le caractère d’ordre public fut également reconnu par le conseil

    d’Etat. Il s’en déduit que cette juridiction est tenue de soulever d’office les moyens tirés de la

    méconnaissance de cet instrument. Il en découle également que des tels moyens peuvent être

    soulevés pour la première fois dans un mémoire en réplique ou dans un dernier mémoire, voire à

    l’audience même, nonobstant le fait que la partie qui en excipe en aurait eu connaissance avant.

    47Sciotti-Lam op.cit ; p.4048 Olivier De Schutter et Sébastien Van Drooghenbroeck, Droit international des droits de l’homme

    devant le juge national, Bruxelles, Larcier, 1999, p.22-24

  • 30

    A la lumière de cette leçon, le juge congolais en l’occurrence celui du tribunal de grande instance

    Bukavu devrait non seulement fonder ses décisions sur lesdits instruments, en les reprenant dans

    les dispositifs de ses jugements mais aussi il est tenu de les soulever d’office lors même

    qu’aucune des parties ne l’aurait invoqué et même si on est en appel ou en cassation. L’article

    153 lui donne ce pouvoir que son collègue belge a dû forger à la suite d’une interprétation

    courageuse. Quand à l’autorité de telles décisions, des arrêts de la Cour Européenne ou d’autres

    juridictions internationales sur le juge congolais ; le dialogue inter juridictionnel est aujourd’hui

    une réalité49, il n’est donc pas interdit au juge de s’inspirer de l’interprétation faite sous d’autres

    cieux, telle est d’ailleurs la traduction réelle de l’universalité des droits de l’homme.

    III.4. Ecarter les lois contraires à la constitution ou aux traités

    Il est vrai, le juge judiciaire et particulièrement celui du tribunal de grande instance de Bukavu

    n’est pas un juge constitutionnel, moins encore un juge « conventionnel ».C’est alors que dans

    plusieurs décisions et débats judiciaires on répète l’idée selon laquelle il n’appartient pas au juge

    d’abroger les textes que le législateur n’a pas abrogé en dépit de leur contrariété avec la

    Constitution ou les traités internationaux dûment ratifiés par la R.D.C. Les règles élémentaires

    des conflits des lois dans le temps et le principe de la hiérarchie des normes devraient incliner à

    une lecture contraire .C’est dans cet esprit que les juridictions étrangères sans se prononcer sur la

    constitutionnalité des règles liberticides, écartent systématiquement lesdites règles. Dans l’arrêt

    De Witte contre Lievens50 la Cour de cassation Belge a dit pour droit « en cas de conflit entre la

    règle d’un traité qui a des effets directs dans l’ordre juridique belge et une règle du droit interne

    moins favorable , le traité prévaut. »

    III.5. Interprétation conforme

    Pour Sébastien Van Drooghenbroeck51 les règles à visée de promotion comme celles de la

    convention sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes ou de

    l’article 14 de la Constitution- doivent en effet leur adoption à la volonté de leurs pères

    fondateurs de remédier, par ce biais, une inégalité de fait dûment constatée et ressentie comme

    problématique. Pour leur interprétation, une référence à ce but est donc inévitable, ce qui pourra,

    49 Olivier De Schutter,op.cit.50 Olivier De Schutter et Sébastien Van Drooghenbroeck, op.cit., 8951 Sébastien Van Drooghenbroeck, op.cit.

  • 31

    le cas échéant, justifier une interprétation plus constructive et audacieuse .Dans cette

    interprétation, une plus grande propension à déduire de ces règles de véritables obligations

    positives à charge des pouvoirs publics.

    III.6. Même lorsque le législateur n’est pas encore intervenu

    La règle de non discrimination est d’application directe même si le législateur n’est pas encore

    intervenu.52 Lorsque ce qui est en cause est une différence de traitement non objectivement

    justifiable ou non proportionnée à l’objectif qu’elle veut réaliser, une voie semble s’imposer

    comme naturelle. Elle consiste à appliquer, à la catégorie que la discrimination défavorise le

    régime de faveur dont bénéficie l’autre catégorie. Pour le juge, il suffit de réaliser cet alignement,

    c’est-à-dire d’anticiper sur les intentions du législateur en s’inscrivant en harmonie avec ce qu’il

    a déjà tranché .Afin d’appliquer une règle de non discrimination le juge peut se borner à mettre

    de côté la règle interne qui écarte telle catégorie de destinataires du bénéfice du régime qui

    s’applique à la catégorie la mieux lotie. Telle est méthode d’interprétation de la cour de cassation

    Belge qui dans son arrêt du 5 décembre 1994 a jugé « jusqu’au moment où l’Etat membre a

    adopté les mesures d’exécution nécessaires, les femmes ont le droit de se voir appliquer le même

    régime que les hommes se trouvant dans la même situation, régime qui reste à défaut

    d’application de la directive, le seul système de référence valable. » De ces considérations il se

    dégage que lorsque le législateur annonce les mesures de lutte contre la discrimination, il invalide

    par ce fait toutes dispositions discriminatoires. Si entre temps les mesures annoncées ne sont pas

    prises, la Cour de cassation Belge considère que ce n’est plus dans la législation invalidée que le

    juge devra puiser les règles, il anticipera sur les objectifs du législateur en appliquant au moins le

    régime reconnu à la catégorie favorisée.

    Ainsi en attendant que le législateur abroge ou que le juge constitutionnel invalide les

    dispositions qui limitent la capacité de la femme mariée, le juge congolais se devra de lui

    appliquer les règles appliquées à l’homme et à la femme majeure célibataire, donc la pleine et

    entière capacité.

    III.7. La mise en jeu de la responsabilité de l’Etat

    La responsabilité internationale de l’Etat est souvent envisagée dans ses rapports avec les autres

    sujets de droit international. Il convient de noter s’agissant des traités relatifs aux droits de

    52 Olivier De Schutter et Sébastien Van Drooghenbroeck, op.cit.,p71-72

  • 32

    l’homme l’Etat contracte des obligations vis-à-vis des ses nationaux ou plus généralement des

    personnes sous sa juridiction. Il en découle que le manquement à ces obligations engagera sa

    responsabilité que les concernés peuvent mettre en jeu devant les juridictions internes et au

    besoin internationales (là où elles existent).

    C’est cette responsabilité qui sera envisagée chaque fois l’Etat à travers ses cours et tribunaux

    notamment refuse d’accorder à ses gouvernés les droits qu’ils tiennent de la constitution ou des

    traités internationaux.

    Nous n’envisageons pas ici la question de la responsabilité de l’Etat du fait des jugements, mais

    uniquement le défaut d’application des garanties accordées à l’individu. Brise ainsi l’égalité de

    tous devant la loi toute décision du juge qui refuse d’appliquer au bénéfice des justiciables

    congolais les droits qu’ils tirent des traités internationaux ou de la constitution.

    Cette position a été confirmée par la Cour Européenne des droits de l’homme dans la suite de

    l’arrêt Markx53.Cet arrêt constatait que le droit belge de la filiation, tel qu’il avait été appliqué à

    la situation des requérantes, créait une différence de traitement non justifiée entre la filiation

    légitime et la filiation naturelle, tant en ce qui concerne la reconnaissance de la filiation qu’en ce

    qui concerne la vocation successorale des descendants. En dépit de cet arrêt, la Belgique ne

    modifia pas sa législation. Dans l’arrêt Vermeire du 29 novembre 1991 la Cour Européenne a

    condamné la Belgique pour n’avoir pas fait application des principes dégagés de l’arrêt Markx.

    L’Etat Belge invoquait comme argument que la mise en conformité du droit Belge avec les

    principes dégagés dans l’arrêt Markx revenait au législateur et non au juge, et pouvait ainsi

    requérir un certain délai lié au respect des procédures législatives. Prenant appui sur la

    jurisprudence récente de la Cour d’arbitrage, la Cour Européenne répond à cet argument qu’elle

    ne discerne ce qui pouvait empêcher la cour d’appel de Bruxelles, puis la cour de cassation de se

    conformer aux conclusions de l’arrêt Markx à l’instar du tribunal de première instance : n’était ni

    imprécise ni incomplète la règle qui interdisait d’opérer au détriment de la requérante une

    discrimination fondée sur le caractère naturel du lien de parenté l’unissant au de cujus. Selon la

    cour européenne des droits dès lors, un remaniement global ,destiné à modifier en profondeur et

    de manière cohérente l’ensemble du droit de filiation et des successions ,ne s’imposait nullement

    comme préalable indispensable au respect de la convention […] les juridictions belges devant

    lesquelles avait été portée la cause Veimeire auraient dû elles-mêmes éviter de reproduire la

    discrimination déjà condamnée et l’Etat Belge ,défendeur devant le juge international , ne peut

    53 Olivier De Schutter et Sébastien Van Drooghenbroeck, op.cit., p71 et s.

  • 33

    tirer argument du défaut de compétence dans leur chef à cet égard pour échapper à ses

    obligations internationales.

    La leçon de cette jurisprudence est claire, le juge commet une faute qui engage la responsabilité

    de l’Etat lorsqu’il applique une loi discriminatoire, lors même que le législateur n’aurait pas

    encore introduit les réformes voulues et quand même ce retard serait dû à la procédure

    parlementaire ordinaire. Il en découle qu’en pratique les innovations intervenues en matière des

    droits de l’homme seront effectives par l’action du juge saisi du litige bien avant les réformes

    législatives éventuellement requises. Et là ce n’est pas une faculté mais un impératif sous peine

    d’engager la respons