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Trivium Revue franco-allemande de sciences humaines et sociales - Deutsch-französische Zeitschrift für Geistes- und Sozialwissenschaften 23 | 2016 Perspectives sociologiques sur des constellations historiques : M. Rainer Lepsius Le modèle de la domination charismatique et son application possible au « Führerstaat » d’Adolf Hitler M. Rainer Lepsius Traducteur : Isabelle Kalinowski Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/trivium/5346 ISSN : 1963-1820 Éditeur Les éditions de la Maison des sciences de l’Homme Référence électronique M. Rainer Lepsius, « Le modèle de la domination charismatique et son application possible au « Führerstaat » d’Adolf Hitler », Trivium [En ligne], 23 | 2016, mis en ligne le 06 octobre 2016, consulté le 08 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/trivium/5346 Ce document a été généré automatiquement le 8 septembre 2020. Les contenus des la revue Trivium sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modication 4.0 International.

Le modèle de la domination charismatique et son

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TriviumRevue franco-allemande de sciences humaines etsociales - Deutsch-französische Zeitschrift für Geistes-und Sozialwissenschaften 23 | 2016Perspectives sociologiques sur des constellationshistoriques : M. Rainer Lepsius

Le modèle de la domination charismatique et sonapplication possible au « Führerstaat » d’AdolfHitlerM. Rainer LepsiusTraducteur : Isabelle Kalinowski

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/trivium/5346ISSN : 1963-1820

ÉditeurLes éditions de la Maison des sciences de l’Homme

Référence électroniqueM. Rainer Lepsius, « Le modèle de la domination charismatique et son application possible au « Führerstaat » d’Adolf Hitler », Trivium [En ligne], 23 | 2016, mis en ligne le 06 octobre 2016, consulté le08 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/trivium/5346

Ce document a été généré automatiquement le 8 septembre 2020.

Les contenus des la revue Trivium sont mis à disposition selon les termes de la Licence CreativeCommons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

Le modèle de la dominationcharismatique et son applicationpossible au « Führerstaat » d’AdolfHitlerM. Rainer Lepsius

Traduction : Isabelle Kalinowski

NOTE DE L’ÉDITEUR

Nous remercions Monsieur Oliver Lepsius pour l’aimable autorisation de publier une

traduction française de ce texte.

Wir danken Herrn Oliver Lepsius für die freundliche Genehmigung, diesen Artikel in

französischer Übersetzung zu publizieren.

1 Le national-socialisme a-t-il été une monocratie, dans laquelle les décisions étaient

déterminées conformément à la volonté d’Adolf Hitler, sur le modèle d’une dictature de

chef totalitaire, ou bien la fragmentation croissante de la structure de domination a-t-

elle conduit à une polycratie, dans laquelle des secteurs se sont autonomisés et ont

exercé leur pouvoir sans l’accord d’Hitler, et peut-être même contre sa volonté ? La

question a fait débat. Les deux positions ne remettent certes pas en cause le rôle central

d’Hitler, mais reviennent à proposer des interprétations alternatives du régime

national-socialiste : monocratie ou polycratie1. Il me semble possible de conjuguer ces

deux thèses si antithétiques en tentant d’appliquer le modèle de la domination

charismatique tel qu’il a été proposé par Max Weber. Le modèle wébérien offre

l’avantage de thématiser explicitement la vieille problématique du rapport entre

personne et structure et d’en proposer une approche analytique et non polarisée. Cette

dimension, précisément, est importante pour analyser le système de domination

national-socialiste qui, du fait de la position occupée par Hitler dans « l’État du chef » [

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« Führerstaat »], a été marqué à la fois par une personnalisation spécifique et par une

structuration particulière.

Le modèle de Max Weber

2 Le charisme au sens de Max Weber désigne « une qualité considérée comme

extraquotidienne […] au nom de laquelle une personnalité […] est regardée comme un “

chef”2 ». Le charisme est donc fondé sur une relation sociale entre un porteur de

charisme et un fidèle qui croit au charisme. La qualité qui est considérée comme

charismatique est attribuée à une personne par ses adeptes ; de son côté, le porteur de

charisme revendique la reconnaissance du charisme auquel il prétend. Une relation

sociale se constitue dans laquelle la position du dirigeant, la domination exercée et la

forme d’obéissance possèdent un caractère spécifique. La perspective de Weber n’est

pas orientée vers une analyse de la personnalité du chef charismatique, mais de la

structure de la relation sociale charismatique. Selon lui, elle possède une série de traits

spécifiques.

3 La première est la « libre reconnaissance » du charisme « par les dominés, […] née de

l’abandon à une révélation, de la vénération d’un héros, de la confiance envers le chef3

». Dans le cas du charisme « authentique », c’est-à-dire d’une relation personnelle

immédiate, elle se manifeste par un « abandon tout personnel » et un « devoir ». Le

dirigeant revendique l’autorité suprême, le disciple accepte l’obéissance comme un

devoir. Le charismatique doit avoir la volonté de revendiquer l’autorité suprême, et

celui qui le suit doit avoir la volonté de se soumettre entièrement au dirigeant. Il ne

s’agit pas seulement d’une question de volonté subjective, mais aussi de la possibilité

structurelle d’un comportement charismatique. Tous deux, le chef et ses disciples,

doivent être dans des positions ou créer des positions qui rendent la relation

charismatique possible. Non seulement le charisme est considéré comme une propriété

extra-quotidienne, mais la relation charismatique possède aussi un caractère extra-

quotidien et se détache du réseau des rôles et des normes du quotidien.

4 Il en résulte la deuxième propriété d’une relation charismatique, la dissolution des

standards normatifs, procédures et formes d’organisation jusque-là en vigueur. Plus un

charismatique revendique l’autorité suprême, moins il peut autoriser d’autres règles

normatives et d’autres procédures de contrôle. Celles-ci limiteraient son arbitraire,

soumettraient l’obéissance à des conditions. Selon la formule de Weber : « il n’existe

pas de règlements, de principes juridiques abstraits, de pratique rationnelle du droit

orientée en fonction de ces derniers. […] Ne font au contraire autorité, d’un point de

vue formel, que des créations juridiques actuelles au cas par cas4 ». Du point de vue du

contenu, le charismatique impose « de nouveaux commandements ». Il se crée lui-

même une position de dirigeant qui, d’un point de vue qualitatif, est différente d’autres

positions de direction, et il en va de même de la position sociale de ceux qui obéissent

et forment la suite du chef. Weber se réfère à Jésus, qui disait à ses disciples : « c’est

écrit…, mais moi je vous dis que… » et leur demandait d’abandonner famille et métier

s’ils souhaitaient le suivre. En s’affranchissant des obligations du quotidien, les

disciples étaient libres de suivre le chef et d’obéir à son message. Par leur structure, les

relations charismatiques sont affectives et personnalisées. En ce sens, elles ne sont pas

structurées rationnellement, elles ne se conforment pas à des critères de rationalité

institutionnalisés et sont par suite, comme le souligne Weber, « spécifiquement

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étrangères à l’économie ». Elles se soustraient au contrôle d’une direction économique

rationnelle, elles se créent une base économique en prélevant des butins, par

l’extorsion violente ou pacifique, les cadeaux, la corruption ou la mendicité5.

5 La troisième propriété est la conséquence de la précédente. La formation sociale qui se

constitue à partir de relations charismatiques est une « communautarisation

émotionnelle », dont la cohésion est liée à un attachement personnel vis-à-vis du chef

et qui, lorsque la taille du groupe l’exige, est organisée par les disciples et les personnes

de confiance convoquées par le chef. Les groupements de domination, qu’il s’agisse

d’un mouvement, d’un parti ou d’un État, ont toujours besoin pour exercer celle-ci

d’une direction administrativea (Verwaltungsstab) dont les membres sont choisis par le

chef lui-même, en fonction de leur « qualification charismatique ». Ils

« ne font l’objet ni d’une “procédure d’embauche” ni d’un “licenciement”, ils neconnaissent ni “carrière” ni “avancement”. Ils sont seulement nommés selon le bonvouloir du chef sur la base de leur qualification charismatique. Il n’existe pas de“hiérarchie” ; le dirigeant intervient seulement – le cas échéant à la demande d’untiers – lorsqu’une insuffisance charismatique de la direction administrative estavérée de façon globale ou dans un cas précis et que celle-ci ne peut s’acquitterd’une tâche. Il n’existe pas de “district de fonction” ni de “compétences”, et lespouvoirs associés à une charge ne peuvent pas non plus faire l’objet d’uneappropriation par “privilège”. Charisme et “mission” peuvent seulement connaître(le cas échéant) des limites spatiales ou objectives6. »

La structure d’un groupe charismatique ou d’un groupement charismatique se

caractérise spécifiquement par la coexistence de relations strictes de commandement

et d’obéissance et d’une organisation fluide et peu rigoureuse de la direction

administrative. Il n’existe pas de processus de décision collectifs, ni de hiérarchie

fiable, ni de procédures permanentes, ni de possibilités institutionnelles d’expression et

de résolution des conflits. Des interventions ad  hoc  et des autorisations données de

manière non coordonnée à des sous-chefs par le porteur de charisme, l’autonomisation

et l’autolégitimation de membres de la suite charismatique régissent la structure

interne du groupement. Un groupement charismatique est par suite à la fois rigide et

peu structuré, autoritaire et anarchique, unifié et fragmenté, centralisé et non

coordonné. Il est personnalisé et indifférent à toute forme de rationalisation

institutionnalisée. Notamment lorsque le champ dans lequel elle s’exerce est étendu et

englobe plusieurs domaines, la domination charismatique peut inclure des sous-

secteurs où sont remplies des tâches de routine conformes à des règles fixes et régies

par un fonctionnement bureaucratique ; il peut également arriver que des sous-

secteurs s’autonomisent fortement par rapport à des relations sociales de type

directement charismatique. Le fait déterminant est que la structure corresponde, de

façon générale, aux caractéristiques d’un groupement charismatique, et qu’elle soit

donc fondée sur des formes de loyauté personnelle et tire le fondement de sa légitimité

de la croyance dans le caractère extra-quotidien du dirigeant et des obligations que les

membres du groupement doivent remplir vis-à-vis de ce dernier ; mais aussi que, dans

les champs d’action où il veut faire la preuve de ses capacités extraquotidiennes, le

dirigeant ne voie pas son action entravée sur le fond par ses adeptes et par la structure

du groupement de domination.

6 La quatrième propriété d’une relation charismatique réside dans la nécessité d’une

confirmation.

« Si la confirmation fait défaut à long terme, si celui qui a reçu la grâcecharismatique est abandonné par son Dieu ou par sa force magique ou héroïque, si

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le succès lui est durablement refusé, et surtout, si   sa  direction  n’apporte  pas  deprospérité aux dominés, son autorité charismatique a des chances d’être perdue7. »

La croyance dans le charisme, son attribution à une personne demeurent tributaires de

la perception d’une confirmation. Les espoirs chiliastiques associés à la croyance dans

le charisme ne sont pas entièrement détachés de la perception de la réalité et des

intérêts de ceux qui croient en lui. Si le charisme disparaît, la relation charismatique se

dissout complètement, et le charisme est, comme le dit Weber, « quotidianisé » : il fait

place de nouveau à des structures de comportement institutionnalisées. La contrainte

de confirmation est la première limitation de l’action du charismatique. Celui-ci doit

réussir à garantir durablement la perception de sa confirmation auprès de ses adeptes

et, à cette fin, la contrôler, l’interpréter et la manipuler. On peut continuer de croire

malgré tout en des prophéties qui ne se vérifient pas, et l’absence de confirmation du

charisme peut être réinterprétée ex  post : les dissonances cognitives, de façon plus

générale, peuvent être surmontées sans que les perceptions contradictoires qui les

fondent ne soient en tant que telles dépassées8. La confirmation peut être obtenue

d’autant plus aisément que la propension à la croyance des adeptes est renforcée,

comme le dit Weber, par « l’enthousiasme, ou bien la détresse et l’espoir », autrement

dit que l’orientation de l’action s’opère sur un mode émotionnel et que, pourrait-on

ajouter, dans une situation précaire, les interprétations et les options d’action

alternatives font défaut. Une fois qu’une position de chef charismatique s’est

constituée, celui qui la détient a de fortes chances de déterminer lui-même la

perception de la réalité chez ses disciples et d’exclure les options d’action alternatives

en désinstitutionnalisant les processus d’élaboration d’une volonté et de décision. Un

charismatique a en ce sens des chances de revendiquer avec succès la validité de son

charisme et de maintenir la domination à laquelle il prétend, même s’il n’est pas en

mesure, durant une période assez longue, de faire la preuve de ce dernier.

7 Comme tout idéaltype, le modèle wébérien de la domination charismatique ne

correspond pas complètement à la réalité. Par suite, il n’est guère pertinent de se

demander si une relation sociale est charismatique ou non ; la question du degré et de

l’orientation de cette charismatisation est une interrogation plus fructueuse. Le degré

de charismatisation d’une relation sociale et l’orientation de cette tendance sont

variables. Plus les normes institutionnalisées sont abolies, plus le degré de

charismatisation des relations sociales est élevé ; le rapport aux valeurs auquel se

conforme la communautarisation charismatique dépend du type de normes ainsi

modifié. Par analogie avec le modèle que Weber développe au sujet de la

rationalisation, on peut se demander, en ce qui concerne les relations charismatiques :

quels sont les domaines de la vie que recouvre la relation charismatique ? À quel degré

de charismatisation se situe-t-elle ? Quels rapports les domaines de la vie et les

relations sociales charismatisés et non charismatisés entretiennent-ils entre eux9 ?

8 À la différence de la signification qui prévaut dans l’usage actuel du terme, le charisme

ne se confond pas avec le prestige, la considération, la popularité ou le talent

personnel. Le charisme fonde une relation sociale qui modifie fondamentalement la

structure des comportements. Comme l’observe Weber, le charisme est une « puissance

révolutionnaire » qui peut « impliquer un changement dans les grandes orientations

des dispositions d’esprit et des actes et une réorientation de l’attitude adoptée à l’égard

de chaque forme de vie et du “monde” en général10 ». Une situation charismatique

instaure une rupture avec les structures de comportement habituelles et

institutionnalisées. Un chef charismatique n’est pas seulement une personne qui

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inspire la confiance, qui suscite de grandes attentes ou à laquelle on attribue des

compétences particulières. Un chef charismatique fonde une nouvelle position de

direction, une nouvelle structure de relations sociales et une nouvelle définition

cognitive de la situation d’action. Aussi vénéré et reconnu soit-il, un chef qui ne modifie

pas la structure du système social dans lequel il évolue, qui remplit les attentes usuelles

associées au rôle qui correspond à sa position de chef, qui autorise des procédures

limitant l’arbitraire de son action, qui admet que celle-ci soit contrôlée par des

institutions indépendantes et par l’opinion publique n’est pas un chef charismatique,

quels que soient son prestige ou ses talents, et même si ses adeptes l’idolâtrent.

9 Il est parfois difficile de distinguer l’idolâtrie et la charismatisation d’une personnalité,

les frontières sont fluctuantes. Cependant, une relation sociale charismatique se

distingue clairement d’une relation sociale non charismatique par les propriétés qui

ont été énumérées. Certes, elle requiert une personnalité charismatique, mais ce n’est

qu’un élément parmi d’autres. John F. Kennedy a été désigné comme un président

charismatique, mais il n’a pas fondé une domination charismatique ; Martin Luther

King a expressément déçu les attentes de ceux qui voulaient faire de lui un chef

charismatique ; Otto von Bismarck a été charismatisé après ses succès politiques, mais

il est resté dans la position du chancelier de l’Empire, même s’il exerçait

personnellement une plus grande influence sur la structure politique de l’Empire que la

position de chancelier impérial à elle seule ne l’impliquait. Toutes ces personnalités

« charismatiques » ou, mieux, charismatisées, restèrent bloquées dans des positions

établies institutionnellement, elles ne modifièrent pas l’ordre de domination, même si

elles élargirent, par leur action personnelle, les rôles assignés à leur position et se

ménagèrent de plus grandes opportunités d’action que celles qui sont habituellement

induites par celle-ci. D’un autre côté, la domination charismatique n’est pas

simplement une tyrannie ni une dictature. C’est une domination légitime, dans la

mesure où les adeptes croient aux vertus du dirigeant et aux valeurs qu’il promet de

mettre en pratique. Napoléon était en ce sens un chef charismatique ; il en va de même

d’Hitler. Par leur action personnelle, ils ont créé une nouvelle forme de domination

reconnue comme légitime.

La situation charismatique latente

10   La condition préalable pour la mise en place d’une domination charismatique est

l’existence d’une situation charismatique latente, d’une propension à croire à un

charisme et à se soumettre à une domination personnelle directe. Cette situation

charismatique latente possède deux dimensions, l’une culturelle, l’autre sociale.

11 Edward Shils a donné une formulation marquante de la dimension culturelle : « La

propension à imputer du charisme est une potentialité de l’orientation morale,

cognitive et expressive des êtres humains11. » Cette propension à la croyance

charismatique est culturellement déterminée par l’idée que des puissances

transcendantales influencent directement la destinée de l’homme et s’incarnent dans

les qualités d’un homme. Celui-ci agit en quelque sorte au nom d’un Dieu ou, comme

Hitler avait coutume de le dire, au nom de la « Providence ». Dans la culture allemande,

on rencontre une propension relativement forte à croire à des forces charismatiques.

Le succès improbable de Frédéric II de Prusse à la fin de la Guerre de Sept Ans fut

attribué à son « génie », et il fut élevé au rang d’idole. Il en alla de même pour

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Bismarck, charismatisé après la fondation du Reich. La formule « les hommes font

l’histoire » ne suggère pas seulement une personnalisation des événements historiques,

mais aussi une dévalorisation implicite de l’importance des ordres institutionnels. Dans

la culture politique allemande, on rencontre de fortes composantes anti-

institutionnelles et une grande confiance dans l’efficacité des décisions politiques d’une

« élite ouverte mais autoritaire12 ». Cette prédisposition latente à la direction

charismatique s’est manifestée dans une grande partie de la population allemande

après la défaite de la Première Guerre mondiale, à travers la méfiance envers la

nouvelle constitution, le parlementarisme, la domination des partis et l’influence des

groupes d’intérêt. Pour le camp autoritaire de la culture politique allemande, ceux-ci

passaient pour étrangers à la germanité, pour inefficaces et pour inaptes à remplir les

tâches auxquelles était confrontée la République de Weimar. Les espoirs se tournaient

vers un chef encore inconnu qui rendrait à l’Allemagne sa force, se libérerait des

entraves que la république parlementaire imposait à son action, guidé, non par les

majorités parlementaires, mais par son « génie ». L’expérience de la guerre renforça la

propension à se plier à un modèle héroïque et à fonder des espoirs, dans des situations

apparemment sans issue, sur le « génie » d’un général. La charismatisation de

Hindenburg et de Ludendorff fut l’expression d’une situation charismatique latente de

ce type, apparue pendant la guerre. De plus, un culte du génie s’était répandu, y

compris chez les intellectuels, depuis le tournant du siècle13.

12 Le présupposé social d’une situation charismatique latente est la perception d’une

crise. L’incapacité à surmonter celle-ci délégitime les institutions politiques, qui en

sont rendues responsables ; l’espoir grandit de voir apparaître un « homme fort » qui

mettra un terme à la situation de détresse. Le sentiment d’insécurité qui s’était emparé

de larges parts de la population allemande avec la fin de la Première Guerre mondiale

et le traité de paix de Versailles, l’instabilité des majorités politiques et des

gouvernements de l’Empire, l’inflation de 1923 et la grave crise économique de 1929

renforcèrent la propension à se soumettre à une direction forte et à mettre les ordres

institutionnels au service de cette dernière. Un sentiment d’impuissance et de désarroi

s’était également emparé de ceux qui, à la tête des partis réunis, quelques années

auparavant encore, dans la « coalition de Weimar », avaient créé les institutions de la

République14. Le vote de la loi des pleins pouvoirs en 1933 marqua l’aboutissement de ce

processus de délitement de la croyance dans l’ordre institutionnel ancien15. Le camp

autoritaire mit à profit la crise pour abolir la constitution de Weimar, sous couvert de

mettre en place un gouvernement d’état d’urgence, et pour imposer un ordre politique

autoritaire, soit par le biais d’un gouvernement militaire, soit avec Hitler. Pour les

communistes, enfin, la crise était seulement la preuve que le capitalisme touchait à sa

fin et qu’une révolution prolétarienne allait commencer16. La délégitimation de la

République de Weimar fut menée à la fois par le camp communiste et par le camp

autoritaire. La crise économique déboucha ainsi sur une crise politique, dont la

résolution ne pouvait passer, aux yeux de la majorité de la population, que par une

rupture avec les institutions existantes.

13 Cependant, la perception d’une crise politique et économique n’induit pas en soi

nécessairement la propension à placer ses espoirs dans une domination charismatique.

Il faut pour cela une culture politique qui offre une telle option. En Allemagne, après

1930, les deux conditions d’une situation charismatique latente, la condition sociale et

la condition culturelle, étaient réunies.

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La situation charismatique manifeste

14   Une situation charismatique latente ne devient manifeste que lorsqu’une

revendication charismatique est formulée, lorsqu’une personne fait son apparition en

promettant de surmonter la crise et que ce message est jugé recevable. En Allemagne, il

se trouva une personne qui formula cette revendication et parvint à l’imposer avec

succès. Ce fut la réussite personnelle d’Adolf Hitler. Sans lui, le passage à une

domination charismatique en 1933 n’aurait pas été possible. Hitler proposa une

définition de la situation et montra une voie permettant de surmonter la crise. Celle-ci

était l’œuvre de forces du mal qui voulaient réduire l’Allemagne en esclavage et la

détruire. Le système dominant était un outil corrompu et n’était donc pas capable de

surmonter la crise. Le salut résidait dans la destruction des forces du mal, qui devaient

faire place à des forces du bien. L’Allemagne pourrait alors renaître. La généralité

mythique de cette définition de la situation et la simplification manichéenne des fronts

promettaient une option claire : Hitler n’avait pas besoin d’entrer dans les détails ni de

discuter d’un programme applicable. Les chefs charismatiques se réclament de valeurs

ultimes, la survie, le salut face à la décadence, l’honneur, la justice, et non de la mise en

œuvre de mesures spécifiques. Une mission charismatique ne peut se fonder que sur le

projet de réalisation de valeurs ultimes et non sur la résolution instrumentale de

problèmes « quotidiens ». Hitler ne convainquit pas par un programme précis destiné à

affronter la crise, il persuada les Allemands de la nécessité de créer quelque chose

d’entièrement nouveau17. Le slogan « Allemagne, réveille-toi ! » associe un vide de

contenu au caractère impératif d’un ordre. Pour faire le lien entre l’invocation de

valeurs abstraites et l’attente d’une résolution concrète de la crise, la culture politique

doit avoir forgé préalablement des hypothèses de causalité qui donnent quelque crédit

aux espoirs placés dans l’action d’une personnalité extraquotidienne.

15 La tactique d’Hitler visait à dramatiser le sentiment de crise dans un sens conforme à

son offre interprétative. Il provoqua des désordres publics avec ses propres milices,

évoqua le danger d’une guerre civile provoquée par les communistes et réduisit le

champ de vision à une seule alternative : être du côté de l’ami ou de l’ennemi, du bien

ou du mal, de la vie ou de la mort. La vision du monde dualiste et manichéenne dont il

se réclamait était mise en scène au quotidien par des défilés et des combats de rue, par

de grandes manifestations et des rixes en salle avec des adversaires, par des cérémonies

magiques et des rituels de mort. Les campagnes électorales et l’intervention d’unités

mobiles de SA couvrirent tout le territoire. Avec les théories du complot, Hitler

personnalisa la perception de la crise ; il se présenta lui-même et présenta le national-

socialisme comme la seule alternative au chaos.

16 Plus des alternatives en apparence inévitables infléchissent la perception de la réalité,

plus la propension à choisir des valeurs ultimes comme critères d’orientation tend à se

développer. Plus ces valeurs sont abstraites, moins elles sont affectées par des intérêts

spécifiques et des objectifs particuliers. L’orientation en fonction de valeurs ultimes

abstraites, la croyance dans des fantasmes renforcent la propension à se soumettre aux

exigences d’une autorité suprême, qui n’a de comptes à rendre à personne. Une logique

de circularité se met en place : la crise telle que le charismatique la définit ne peut être

résolue que par le charismatique lui-même.

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17 Cependant, la revendication d’un pouvoir charismatique doit se fonder sur la

confirmation du pouvoir de direction du charismatique. Avant la prise de pouvoir par

Hitler, la confirmation fut donnée par les victoires électorales obtenues par les

nationaux-socialistes, c’est-à-dire en premier lieu par Hitler lui-même. Elles furent de

fait tout à fait éclatantes et transformèrent en l’espace de trois ans seulement le

système des partis allemands tel qu’il s’était développé avec une relative stabilité

depuis l’Empire.

Résultats obtenus par les nationaux-socialistes aux élections de 1928-1933

1928 20 mai Élections au Reichstag 2,6 %

1929 27 octobre Élections au Landtag de Bade 7 %

8 décembre Élections au Landtag de Thuringe 11,3 %

1930 22 juillet Élections au Landtag de Saxe 14,4 %

14 septembre Élections au Reichstag 18,3 %

1931 17 mai Élections au Landtag d’Oldenburg 37,2 %

15 novembre Élections au Landtag de Hesse 37,1 %

1932 13 mars Vote présidentiel, 1er tour 30,1 %

4 avril Vote présidentiel, 2e tour 36,8 %

24 avril

Élections au Landtag de Prusse

Élections au Landtag de Bavière

Élections au Landtag du Wurtemberg

37,1 %

32,9 %

30,5 %

29 mai Élections au Landtag d’Oldenburg 46,3 %

19 juin Élections au Landtag de Hesse 43,1 %

31 juillet Élections au Reichstag 37,3 %

6 novembre Élections au Reichstag 33 %

1933 15 janvier Élections au Landtag de Lippe 39,5 %

5 mars Élections au Reichstag 43,9 %

18 La progression continue de l’électorat fut considérée comme une preuve et une

confirmation, d’autant que le talent de propagande d’Hitler et son engagement

personnel dans les élections focalisèrent l’attention. Les scrutins sans cesse reconduits

au plus fort de la crise économique offraient à un parti démagogique et protestataire

des opportunités tout à fait inhabituelles de visibilité et d’agitation. Avec les deux tours

de l’élection présidentielle, deux élections au Reichstag et les élections aux Landtag de

Prusse, Bavière et Wurtemberg, l’année 1932 offrit cinq occasions nationales de mettre

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à l’épreuve les revendications de pouvoir d’Hitler. Et même si l’accroissement de 7 % de

voix entre le 13 mars 1932 et le 31 juillet de la même année fut moins spectaculaire, il

put être interprété comme le signe d’une ascension irrésistible. Lorsque, lors des

élections au Reichstag du 6 novembre 1932, le pourcentage de voix chuta de seulement

4 %, ce fut la première grande faille de la croyance dans Hitler. Après de nouvelles

pertes de voix aux élections de décembre 1932 en Thuringe, Gregor Strasser, qui était

l’homme clé de l’entourage d’Hitler, par ses fonctions de chef de l’organisation à

l’échelle du Reich, se retourna ouvertement contre lui. Mais il ne fut pas suivi ; il se

retira alors et lui laissa la direction du mouvement18. Lors de l’élection suivante, dans le

petit État de Lippe, le 15 janvier 1933, Hitler dut confirmer son charisme. Il se soumit à

cette obligation de confirmation et prit la parole, en l’espace de quelques jours, lors de

18 manifestations, dans des petites villes. Le parti obtint 39,5 %, ce qui était un chiffre

inférieur aux résultats obtenus à Lippe le 31 juillet 1932, mais supérieur aux 33 %

obtenus à l’échelle du Reich le 6 novembre. Le résultat du scrutin fut interprété par le

parti et par l’opinion publique comme la confirmation attendue. La crise Strasser n’eut

pas de suite. Les membres et les partisans du NSDAP doutaient d’Hitler, mais ils

n’avaient pas de représentant susceptible de sortir de l’ombre de ce dernier ou d’en

avoir seulement le désir – comme cela avait été le cas pour Strasser. L’attachement

charismatique à Hitler assurait la cohésion de la direction du parti. Celui-ci ne

connaissait pas de procédure de décision collective ; une revendication charismatique

ne peut être soumise au vote. Après Lippe, l’autorité d’Hitler fut à nouveau incontestée.

19 Au cours de l’année 1932, on était passé d’une situation charismatique latente à une

situation charismatique manifeste. Hitler avait revendiqué avec succès la direction du

mouvement et gagné presque 40 % des voix dans des élections libres. Le camp

« républicain » n’avait personne qui soit susceptible de tirer profit de la situation

charismatique latente, il n’avait atteint la majorité aux élections présidentielles que

grâce au renom de Hindenburg. Dans cette élection, Hitler s’était présenté contre

Hindenburg et avait ainsi affirmé ses ambitions face à une figure symbolique largement

reconnue. Le mythe du maréchal était brisé. Il fut élu avec les voix de ceux qui étaient

éloignés de lui, les partisans de la coalition de Weimar, et se retrouva isolé de ceux qui

étaient proches de lui, les adeptes d’un ordre d’État conservateur. Le chef militaire

charismatisé de la Première Guerre mondiale n’avait jamais eu de revendication

charismatique personnelle, la charge de président était pour lui un fardeau qu’il ne

pouvait plus assumer avec l’âge. Il ne put recueillir les espérances charismatiques, qui

se reportèrent sur un nouveau chef en la personne d’Hitler. La décadence rapide des

institutions alla de pair avec la personnalisation de la vie politique. L’ordre

constitutionnel fut brisé par le recours excessif et permanent à l’article 48, qui n’était

plus couvert par le droit constitutionnel. À partir de 1930, les cabinets présidentiels se

substituèrent aux gouvernements de majorité parlementaire. La législation ordinaire

fut remplacée par des décrets d’urgence ; le Reichstag lui-même, privé de son pouvoir

par des décrets de dissolution adoptés immédiatement après les nouvelles élections, se

réunit de moins en moins. L’érosion du système de gouvernement parlementaire est

visible dans le tableau suivant :

1930 1931 1932

Lois votées par le Reichstag 98 34 5

Le modèle de la domination charismatique et son application possible au « Füh...

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9

Décrets du président du Reich 5 44 66

Sessions du Reichstag 94 41 13

20 Les nominations et les renvois des chanceliers du Reich Brüning, von Papen et von

Schleicher furent décidés par le président et un cercle de personnes sans responsabilité

politique qui avaient personnellement accès à ce dernier. Le système des partis ne

remplissait plus sa fonction d’intermédiaire. Les victoires électorales du NSDAP

l’avaient transformé de fond en comble. Les partis qui tenaient à préserver la

constitution de la République de Weimar perdirent en 1932 la majorité des voix et des

sièges au Reichstag. Un retour à un gouvernement soutenu par une majorité au

Reichstag n’était possible qu’en incluant le NSDAP, et c’est ce facteur qui incita

Hindenburg à nommer en fin de compte Hitler chancelier du Reich, alors même que ce

dernier ne put obtenir la majorité qu’après une dissolution immédiate du parlement et

l’organisation de nouvelles élections en mars 1933, où il reçut l’appui du Parti populaire

national allemand (Deutschnationale Volkspartei). À cela s’ajoutèrent l’effondrement

rapide de l’économie et des cadres sociaux lié à la crise économique mondiale,

l’augmentation du chômage qui toucha 6 millions de personnes et le recul du revenu

national à 61 % de celui de 192919. Le désarroi grandit, les institutions se délitèrent, les

désordres publics se multiplièrent et la peur d’une guerre civile se répandit ; les bases

de l’émergence d’espérances charismatiques étaient réunies, un chef se présenta. Il

cristallisa davantage d’espoirs que le parti qu’il dirigeait ; beaucoup votèrent pour

Hitler et non pour le NSDAP, c’est lui qui promettait le salut et non le national-

socialisme, qui rebutait dans bien des cas par sa forme et son contenu.

La mise en place d’une direction charismatique

21  Une situation charismatique manifeste donne naissance à une direction charismatique

quand un charismatique exerce de fait le pouvoir et que son entourage croit à sa

mission de direction. La charismatisation d’une position dirigeante entraîne des

conséquences pour la structure des relations sociales : leur modification transforme un

chef élevé au rang d’idole en chef charismatique. La personne et la structure sociale

s’influencent mutuellement.

22 Hitler réussit trois fois à se ménager une position de chef charismatique. En 1921, il

contraignit le petit groupe que constituait son parti, analogue à une secte, à lui

reconnaître des pouvoirs de chef illimités et à l’affranchir des procédures de

l’association. Ses compétences de démagogue venaient tout juste de faire entrer le parti

dans l’espace public et d’attirer l’attention sur lui, alors qu’il s’était jusque-là cantonné

à des arrière-salles de bistrots. Il menaça de quitter le parti si une décision était prise

contre sa volonté. Confronté à l’alternative d’un retour à son anonymat antérieur ou

d’une acceptation de l’autorité suprême illimitée d’Hitler, le groupe se plia à ses

exigences de direction. Pour la première fois, il réussit ainsi à instaurer une direction

légitimée sur un mode charismatique. Après son arrestation et sa condamnation dans le

cadre de la tentative de putsch à Munich, le 9 novembre 1923, il maintint

intentionnellement le parti dans un état de désorganisation et empêcha la mise en

place d’une nouvelle direction. Après sa remise en liberté, il put refonder le parti, le

Le modèle de la domination charismatique et son application possible au « Füh...

Trivium, 23 | 2016

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27 février 1925, déclarer invalides tous les modes d’organisation qui avaient été mis en

place entre-temps dans le cadre du mouvement völkisch et exiger d’être rétabli dans son

ancienne position de direction. Pour Hitler, il n’existait pas d’objectifs politiques

généraux auxquels il était susceptible ou contraint de se plier. Pour lui, soit le NSDAP

était son parti, soit il n’avait plus d’importance. La possibilité d’accéder à nouveau à

une direction charismatique, associée dès lors au prestige et au mythe du meneur de

putsch et du prisonnier politique, lui fournit l’occasion de redonner vie au parti. Le

14 février 1926, lorsqu’il ordonna à tous les dirigeants du parti de se réunir sans délai à

Bamberg, il atteignit cet objectif. Après un discours de cinq heures, il conduisit les chefs

de parti rivaux et opposés du nord et de l’ouest de l’Allemagne à faire allégeance à sa

personne, sans qu’une discussion sur les conflits en cours et les divergences d’objectifs

politiques n’ait été menée. Gregor Strasser et Joseph Goebbels, tous deux représentants

des ailes du parti opposées, renoncèrent à débattre et firent au contraire état de leur

loyauté personnelle envers Hitler. Pour Goebbels, ce fut là une sorte d’expérience de

conversion, dont les effets existentiels marquèrent toute sa vie. Par là, la direction

charismatique d’Hitler au sein du parti reposa à nouveau sur des fondements solides. Il

avait découragé toutes les tentatives de formalisation des processus de décision et

toute discussion sur les objectifs idéologiques et politiques. Les conflits ultérieurs avec

Otto Strasser et le chef de la SA Stennes en 1930, avec Gregor Strasser en 1932 et avec

Ernst Röhm en 1934 furent résolus par des décisions personnelles d’Hitler, sans

qu’intervienne une prise de décision collective et en partie par le recours à des

méthodes criminelles (ce fut le cas en 1934 contre Röhm et la direction de la SA20).

L’autorité d’Hitler n’en fut pas ébranlée. Au contraire, ceux qui ne voulaient pas se plier

à son autorité perdirent tout soutien au sein du parti, en même temps que la

qualification charismatique qu’ils avaient pu éventuellement acquérir. Seul Hitler

s’imposa comme chef charismatique, même si Stennes ou Röhm avaient avec eux des

hommes dévoués et si les frères Strasser jouissaient chacun de son côté d’une

considération spécifique. L’autorité des membres de la suite, même s’ils remplissaient

des fonctions importantes au sein de la direction administrative, demeura tributaire de

l’autorité charismatique d’Hitler jusqu’à la mort de ce dernier. Chaque fois qu’Hitler

réussissait à imposer ses revendications de direction charismatique, il apportait en

même temps la confirmation de son charisme, une preuve de ses capacités

extraordinaires. Dans la confrontation directe, personne ne pouvait lui tenir tête, le

contredire ni encore moins le faire reculer, comme cela a souvent été rapporté. Même

les dernières conversations d’Albert Speer avec Hitler, à la fin du mois de mars 1945,

sont encore marquées par la force de suggestion communicative d’Hitler, alors que

Speer s’était déjà de fait opposé à sa volonté21. Le talent personnel d’Hitler était sa

capacité à subjuguer jusqu’à ses adversaires lorsqu’il était en contact direct avec eux et

à imposer finalement ses décisions. Les tentatives de défier son autorité s’achevaient en

général par un renouvellement des manifestations de loyauté personnelle et une

reconnaissance du « génie du Führer », avec le sentiment d’un devoir d’obéissance. La

force charismatique d’Hitler se confirmait précisément dans l’interaction immédiate.

La troisième « prise de pouvoir » du chef charismatique intervint après sa nomination

comme chancelier du Reich en 1933 et 1934. Son succès se manifesta au demeurant

dans un système social beaucoup plus complexe que ne l’avait été le petit groupe local

du parti-secte de 1921 ou encore le parti de 1926, devenu un mouvement.

23 Les caractéristiques structurelles de la direction charismatique se révèlent dans

chacun de ces trois systèmes sociaux extrêmement différents : dans le contexte d’un

Le modèle de la domination charismatique et son application possible au « Füh...

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petit groupe de membres en interaction directe les uns avec les autres ; dans le

contexte d’une grande organisation associant différents intérêts individuels et

collectifs ; enfin, dans le contexte d’un État institutionnellement différencié, englobant

des groupes d’intérêts fortement organisés et différentes orientations culturelles et

politiques. On peut distinguer ici une série de traits communs de la direction

charismatique. La première caractéristique est l’abolition des règles formelles et des

différenciations institutionnelles. L’absence de procédures pour la prise de décision,

pour la nomination des responsables administratifs et pour la collaboration entre les

sections du parti était déjà à l’œuvre dans l’organisation de ce dernier. Le noyau de

l’organisation se composait des instances de gestion, réunissant le fichier central des

membres et la caisse du parti, et de l’organe central de ce dernier, le Völkischer

Beobachter ; tous deux étaient directement contrôlés par des hommes de la suite d’Hitler

personnellement dévoués à ce dernier. C’est le pouvoir de disposer des finances qui

assurait une cohésion entre les subdivisions du parti, dont les chefs étaient dans une

large mesure autonomes. Autour de ce noyau se groupèrent au fil du temps des

« appareils » toujours plus nombreux destinés à remplir des tâches crées ad   hoc(politique agricole, politique de la jeunesse, presse et propagande, médecins et

politique de santé, enseignants et politique d’éducation, juges et politique juridique,

etc.), un service de sécurité propre au parti et les Gauleiter à compétence régionale, qui

étaient les « maîtres » de l’exécutif. En parallèle, on trouvait la SA, qui disposait de sa

propre répartition territoriale indépendante du parti et de sa propre structure de

commandement, qui n’était liée à l’organisation du parti que de manière lâche par

l’obligation d’obéissance à Hitler. Il n’existait pas de direction ou de coordination de la

SA au niveau du Reich ni d’organe collectif de planification et de décision. Hitler

s’entourait d’équipes personnelles dont les compétences faisaient double emploi, qui le

déchargeaient du travail de routine sans pour autant limiter sa marge de décision.

« Le mouvement se fondait en premier lieu sur un réseau de relations personnelles :à tous les niveaux de l’organisation du parti, on trouvait les mêmes formes declientèle et les mêmes cliques qu’à la tête du parti. Les relations de personnes (ycompris les relations de patronage, les rivalités et les querelles) revêtaient uneimportance beaucoup plus grande qu’au sein d’un appareil bureaucratique ordonnésur un mode hiérarchique et soumis à des règles. Comme les règles de procédureétaient secondaires, dans le parti (comme, par la suite, dans la structure dedomination de l’État hitlérien), les choix de personnes et les configurations depersonnes placées aux positions de pouvoir les plus importantes étaient lesvéritables faits constitutionnels et le facteur décisif22. »

Plus l’institutionnalisation est faible, plus la personnalisation de la direction est forte et

plus celle-ci est structurée par des liens de loyauté personnelle immédiate envers le

chef, plus la charismatisation de la direction est forte.

24 Alors qu’Hitler put d’emblée influencer lui-même l’organisation du parti, il fut

contraint en tant que chancelier du Reich de modifier le cadre de droit constitutionnel

et de droit public existant. Il s’y employa avec une extrême rapidité. Quatre semaines

exactement après sa nomination, le 28 février 1933, les droits civiques constitutionnels

furent abolis par le décret d’urgence « Pour la protection du peuple et de l’État ».

Justifié par le péril d’une prétendue révolte communiste après l’incendie du Reichstag,

ce décret ne fut jamais aboli par la suite, il resta un fondement du régime. Trois

semaines plus tard, lors de la première session du Reichstag nouvellement élu, le

23 mars 1933, fut proclamée la loi sur les pleins pouvoirs, qui transféra le pouvoir

législatif aux mains du gouvernement. Le principe du partage des pouvoirs fut ainsi

Le modèle de la domination charismatique et son application possible au « Füh...

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révoqué. Les partis perdirent leur fonction, quand ils ne furent pas interdits, et leur

dissolution fut effective en juillet. Le NSDAP devint parti d’État. Après la mort de

Hindenburg, le 2 août 1934, la fonction de président du Reich fut elle aussi abolie et,

avec elle, les droits et devoirs d’un autre organe constitutionnel. La fusion des fonctions

de chancelier du Reich et de président du Reich dans la nouvelle position de « Führer »

fit qu’Hitler avait définitivement les mains libres d’un point de vue institutionnel. La

position de leader charismatique était à présent consolidée d’un point de vue formel :

Hitler était le chef du seul parti autorisé, il était chancelier du Reich, président du Reich

et Commandant suprême de la Wehrmacht.

25 La constitution du Reich était ainsi suspendue autant que nécessaire pour imposer les

revendications de direction charismatique d’Hitler et l’application des moyens de

coercition nécessaires à cette fin, mais elle n’était pas supprimée. Le Reichstag subsista,

de nouvelles élections furent organisées dans le cadre de l’État à parti unique en

novembre 1933, mars 1936 et avril 1938 ; il servit d’organe d’acclamation pour les

déclarations gouvernementales occasionnelles d’Hitler et conserva une compétence

législative nominale. Il devait en particulier renouveler régulièrement la loi sur les

pleins pouvoirs, limitée à quatre ans : Hitler ne pouvait pas décréter lui-même, sur le

plan formel, le fondement de ses pleins-pouvoirs législatifs23. Il n’y eut pas de nouvelle

constitution nationale-socialiste. Les propositions du ministre de l’Intérieur Frick en

vue d’une réforme du Reich, d’un règlement des rapports entre parti et État et de la

mise en place d’une organisation étatique centralisée de l’administration ne furent pas

mises en pratique24. Hitler n’y avait pas intérêt, pas davantage qu’à une nouvelle

codification nationale-socialiste du droit pénal, qui lui fut proposée en 1936. Toute

constitution, tout règlement juridique, quelle que soit leur orientation idéologique, ne

pouvaient qu’induire des procédures contraignantes, et tout règlement de procédure

ne pouvait que limiter la liberté d’action d’Hitler. La direction charismatique est

affranchie de toute procédure, elle gouverne en émettant des ordres personnels, elle

intervient quand et où bon lui semble, elle évite les décisions susceptibles d’engager

celui qui dirige. La position de « Führer » qu’Hitler créa pour lui-même était unique, et il

ne l’avait créée qu’à son propre usage. Dans son « testament politique » du 29 avril

1945, la veille de son suicide, il restaura les anciennes fonctions et nomma différentes

personnes aux postes de président du Reich, de chancelier du Reich et de chef du parti.

26 La deuxième caractéristique est la suppression de toute forme de prise de décision

collective. Dans le parti, il n’existait pas de conseil du parti, même si une salle de

réunion avait été aménagée. Même les Gauleiter, des membres fidèles de la suite d’Hitler

qui avaient été personnellement choisis comme détenteurs du pouvoir exécutif au

niveau régional, ne possédaient pas de comité commun ; ils n’avaient pas le droit de se

réunir à plus de trois sans autorisation expresse d’Hitler. Au niveau du gouvernement,

les séances du conseil des ministres se firent toujours plus rares et cessèrent

entièrement après 1937. La coordination entre les instances ministérielles était assurée

par la chancellerie du Reich et par des directives et des décrets du Führer. Le principe

de direction monocratique s’appliquait à tous les appareils du parti et de l’État. Au sein

de leur domaine de compétence, qu’ils devaient eux-mêmes délimiter, étendre et

défendre, les différents dirigeants exerçaient à leur tour une autorité transférée sur

leur personne par le porteur de charisme. Il n’existait pas de représentant d’Hitler ni de

procédure prévue pour sa succession. Annoncée par Hitler au moment où la guerre

éclata, la convocation d’un sénat destiné à élire son successeur au cas où il mourrait ne

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fut pas suivie d’effet. Le principe était le choix personnel et l’octroi d’une mission par le

Führer selon les critères de la qualification charismatique. Par comparaison, la position

de Mussolini était bien davantage soumise à des contraintes d’ordre institutionnel25.

Au-dessus de lui, il y avait toujours le roi, et même le parti possédait une instance de

décision collective : le Grand Conseil du Fascisme. La destitution de Mussolini fut

décidée d’un commun accord par le roi et le conseil du parti. Hitler ne pouvait être

destitué : il devait se retirer ou mourir. Compte tenu de l’absence d’alternatives

institutionnelles, les tentatives d’attentat étaient la seule possibilité pour écarter le

Führer  de son poste contre sa volonté. Du fait de leur échec, son pouvoir perdura

jusqu’à l’heure de son suicide. Même si l’effondrement du Reich était depuis longtemps

perceptible, il ne se trouva ni des fonctionnaires militaires ni des fonctionnaires

politiques pour prendre l’initiative de contrer ce processus (à l’exception des

conspirateurs du 20 juillet). Ce n’est qu’une fois que le commandant en chef de la

marine de guerre, le grand-amiral Dönitz, fut informé par radio qu’Hitler l’avait

désigné comme président du Reich, et que la mort d’Hitler lui fut confirmée, qu’il

entreprit rapidement et de façon planifiée de provoquer la capitulation26. Une fois le

pouvoir de décision suprême transféré à Hitler, ce n’est que sur ordre de ce dernier

qu’il put être abrogé.

27 La troisième caractéristique d’une direction charismatique est l’aspiration à

l’autonomie et le refus de principe des coalitions. Hitler se conforma à ce principe. En

1925-1926, au moment de la reconstruction du parti, il refusa toute coopération avec

d’autres groupes völkisch ; en 1931, il refusa toute intégration dans le Front de

Harzburg ; en 1932, il refusa d’entrer dans un gouvernement dont il ne serait pas le

chef. L’entrée dans des coalitions était susceptible de remettre en cause la validité de la

prétention à une direction charismatique et de placer le chef sous la dépendance de

tiers. Ceux qui se perçoivent comme les envoyés d’une Providence en vertu d’une grâce

extraquotidienne ne peuvent accepter des compromis contraignants ; il leur faut porter

seuls le risque de l’échec. Hitler eut souvent à mener des négociations, à nouer des

compromis et à conclure des pactes, mais ils ne présentaient pour lui aucun caractère

contraignant. Ils obéissaient à une intention purement tactique et pouvaient être

révoqués. Ce fut le cas en matière de politique étrangère, avec, par exemple, les pactes

surprenants conclus avec le Vatican en 1933, avec la Pologne en 1934, avec l’Union

soviétique en 1939, mais aussi, à l’inverse, en politique intérieure, avec beaucoup de

non-décisions. L’idée parfois énoncée selon laquelle Hitler aurait été rétif aux

résolutions arrêtées, aurait évité de prendre des décisions, est juste dans les faits mais

les interprète à tort comme une difficulté d’Hitler à se décider. Son indécision était

fondée sur une décision, celle de garantir les marges d’action qu’il avait lui-même

définies et d’éviter de s’engager.

28 La quatrième caractéristique de la direction charismatique est la définition d’une

« mission », l’orientation en fonction de la définition de valeurs suprêmes que le

dirigeant charismatique promet d’atteindre. Cependant, ces valeurs ne doivent pas

correspondre à des contraintes normatives pesant sur l’action. L’idéologie du

mouvement charismatique doit assurer à son dirigeant à la fois une légitimation et une

marge de manœuvre illimitée. Le flou et le vide de contenu de la vision du monde

nationale-socialiste, souvent relevés par les commentateurs, répondaient à ces

exigences. L’organisation de la domination s’affranchit des institutions tout comme

l’idéologie de la domination s’affranchit de toute perspective opérationnelle. Les

syndromes notionnels peuple / race et Führer / communauté circonscrivaient un

Le modèle de la domination charismatique et son application possible au « Füh...

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rapport aux valeurs qui pouvait être rempli de manière extrêmement variable en

fonction des différents groupes : sur un mode conservateur-nationaliste, chrétien-

messianique, militaire-favorable à la discipline, révolutionnaire-égalitariste, raciste-

militant de la race pure, terroriste-nihiliste… Pour le dirigeant charismatique, il est

important de conserver le monopole de l’interprétation y compris de l’idéologie, et

d’éviter que ses actes puissent être critiqués de l’extérieur au nom d’interprétations

légitimes et normatives de l’idéologie. Voilà pourquoi Hitler a toujours combattu avec

insistance toute codification du national-socialisme et prohibé toute discussion sur son

programme, arrêté le programme du parti de 1920 sous la forme extrêmement

contingente de sa première version, méprisé les idéologues du parti comme Alfred

Rosenberg et identifié le national-socialisme avec sa personne. « Notre programme

s’appelle Hitler » : le slogan en disait long. La radicalisation de plus en plus raciste du

national-socialisme fut l’interprétation personnelle d’Hitler, la variante qu’il avait

choisie mais qui ne semble pas avoir été d’emblée absolument centrale et dont les

conséquences furent dissimulées. Par la construction identitaire d’une « communauté

de destin » des adeptes avec la volonté du Führer  qui déterminait le « destin » du

collectif, une fusion idéologique s’opéra entre la croyance dans la légitimité du

dirigeant et le choix de lui laisser les mains libres : ses chances de confirmer son

charisme furent ainsi renforcées, tandis que les critiques se voyaient privées de toute

légitimation idéologique. Le degré de personnalisation de l’idéologie sous le national-

socialisme correspondait à celui d’une secte chiliastique. L’idéologie nationale-

socialiste était tout à fait adaptée pour une direction charismatique : une promesse de

salut collective sans concrétisation susceptible de la rendre opérationnelle. Dans l’idéal,

le dirigeant définit la « misère » dont il veut libérer et choisit les moyens d’obtenir le

tournant qu’il promet pour s’en libérer. Le monopole d’interprétation des objectifs et la

liberté d’action et de choix des moyens maximisent les chances de direction

charismatique.

29 L’identification du dirigeant avec sa suite et la proclamation d’une identité entre la

seconde et le premier sont requises à cette fin. Dans son discours devant le Reichstag au

début de la guerre, le 1er septembre 1939, Hitler déclara : « Si je réclame des sacrifices

au peuple allemand et, si nécessaire, tous les sacrifices, c’est que j’en ai le droit. En

effet, je suis moi-même prêt à apporter tous les sacrifices personnels, exactement

comme je l’ai été par le passé. » Après la campagne de Pologne, Hitler déclara au

commandement suprême de la Wehrmacht, le 23 novembre 1939 :

« La Providence a eu le dernier mot et m’a apporté le succès. De plus, j’ai eu uneconnaissance claire du déroulement prévisible des événements historiques et laferme volonté de prendre des décisions brutales. […] Seul celui qui lutte avec ledestin peut avoir les faveurs de la Providence. Au cours des dernières années, j’aiconnu beaucoup d’exemples d’action de la Providence. […] Dans ce combat, je metiendrai debout ou je tomberai. Je ne survivrai pas à la défaite de mon peuple. Pasde capitulation à l’extérieur, pas de révolution à l’intérieur27. »

Cette déclaration d’Hitler, parmi tant d’autres, montre comment la revendication

charismatique se justifie elle-même tout en exigeant une identification entre la suite du

dirigeant et ce dernier. Lui-même doit être convaincu de sa mission et de sa capacité à

l’accomplir, même s’il connaît des échecs et voit se profiler sa chute. La lutte pour la

domination mondiale des Allemands / Germains / Aryens au terme d’une politique de

purification raciale était sa mission. Elle était le produit d’une vision du monde

manichéenne et était accréditée par la « Providence ». Hitler considérait qu’il était le

seul à être à même d’accomplir cette mission. Juste avant son suicide et la défaite totale

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et manifeste de son pays, il l’évoquait encore dans son testament politique du 29 avril

1945 : « Mais surtout, j’engage la direction de la nation et ceux qui la suivent à

respecter scrupuleusement les lois raciales et à résister impitoyablement contre

l’empoisonneur universel de tous les peuples, la juiverie internationale28. » La vision du

monde d’Hitler était plus radicale que le programme du national-socialisme ou même

du fascisme à la même époque, mais elle était mise au service de la création d’une

légitimité plus large et plus diffuse qu’on aurait pu l’attendre étant donnés les critères

définissant sa propre mission et les conséquences et les coûts qui en découlaient29.

30 Les conditions structurelles de la direction charismatique ne sont forgées et imposées,

sur le plan concret, que par une personne qui croit elle-même pouvoir revendiquer

cette direction charismatique et parvient à l’imposer contre d’autres. Ceci implique

toujours un recours à la violence pour étayer les conditions structurelles : la poursuite

des opposants, des dissidents, des non-convertis, la répression de l’opinion publique et

de la critique, la lutte contre les définitions alternatives de la situation et contre les

critères de rationalité que le charismatique ne peut pas manipuler lui-même.

La structure de la domination charismatique

31 Après sa prise de pouvoir, Hitler mit en place un système de domination autocratique

dans un État territorial complexe et différencié. Il en résulta des conditions d’exercice

de la direction charismatique qui n’étaient pas les mêmes que celles d’une secte ou d’un

mouvement politique. La force contraignante de la croyance dans le charisme ne

s’adressait plus à une suite susceptible d’être recrutée librement ; elle devait s’imposer

aussi à ceux qui ne partageaient pas cette foi. L’équipe administrative du chef

charismatique ne pouvait plus se limiter aux seuls besoins immédiats de la direction

charismatique : elle devait remplir les tâches quotidiennes d’une société. Par suite, les

effectifs des équipes administratives augmentèrent ; leurs membres ne purent plus être

recrutés parmi les seuls « disciples ». Il fallut autoriser des critères différenciés

d’élaboration des décisions. L’économie, l’organisation militaire, les rapports juridiques

entre les personnes et les organisations avaient leur rationalité qui n’était pas attachée

à un charisme et leur fonctionnement devait faire appel à des procédures. Le charisme

« authentique » était en mesure de structurer des relations d’interaction immédiate

mais ne suffisait plus dans ce cas. Sur le fond, il est peu vraisemblable qu’un État

industriel moderne doté de dispositifs de fonctionnement complexes et de pôles

d’intérêts spécialisés puisse être au fondement d’un système politique de domination

charismatique.

32 Ernst Fraenkel a observé très tôt la fragmentation spécifique du système juridique et

administratif du Troisième Reich30. Il a diagnostiqué un « État dual », caractérisé par la

juxtaposition et les recoupements entre l’administration routinière d’un « État

normatif », astreinte à des procédures juridiques, et l’administration interventionniste

d’un « État de décrets », non soumise au droit. Les tâches qui étaient cruciales pour

imposer la volonté du Führer entrèrent de plus en plus dans la compétence du second. La thèse de Fraenkel peut être généralisée. La domination charismatique au sein d’un

État territorial complexe a besoin d’une séparation spécifique entre les formes

d’organisation et les critères de rationalité. Seule une partie se conforme aux besoins

de l’exercice de la domination charismatique. Ni l’organisation des entreprises, ni les

formes économiques ne connurent de changement ; l’armée ne fut pas remplacée par

Le modèle de la domination charismatique et son application possible au « Füh...

Trivium, 23 | 2016

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une milice nationale-socialiste ; les structures des Églises restèrent en place, tout

comme les entités territoriales de l’État et leurs compétences administratives. En

parallèle, cependant, un nombre toujours plus important d’administrations spéciales,

dont les tâches étaient fixées directement par Hitler, virent le jour. Des postes de

commissaire du Reich, des fonctions au sein du parti et des charges étatiques furent

gérés en union personnelle. Il en résulta des conflits de compétences, un manque de

coordination et des incertitudes quant aux responsabilités des différentes instances31.

33 Une seconde caractéristique de ce système de domination se donne ainsi à voir : la

dissolution de la coordination entre des domaines de compétence fragmentés. Ce trait

correspond tout à fait à la description wébérienne de l’équipe administrative dans une

domination charismatique. Même des domaines de compétence organisés en interne

sur un mode bureaucratique et astreint à des procédures sont déhiérarchisés,

demeurent privés de coordination du point de vue de leurs procédures et ne disposent

pas de critères de rationalité formelle qui leur permettent d’affirmer leur préséance.

Même si les fonctionnaires qui étaient à la tête de ces secteurs n’étaient pas liés à Hitler

par un attachement charismatique, ils étaient limités dans leur marge d’action : il ne

leur restait plus qu’à s’adapter et à se replier sur le cœur de leur champ de compétence.

Ils n’avaient plus leur mot à dire sur la mise en place des cadres et des conditions, ni

sur la transmission de leurs intérêts dans le processus politique. La structure de

direction de la domination charismatique peut tolérer beaucoup de structures d’action

partiellement autonomes de ce type, dans la mesure où elles n’influencent pas les

décisions centrales du Führer et ne peuvent pas les entraver.

34 Avec la dissolution des procédures formelles de coordination et en l’absence de

solutions institutionnalisées pour les conflits, un rôle central incombait au Führer comme arbitre des conflits et instance de coordination. La monocratie qu’il

revendiquait était structurellement renforcée par cette polycratie anarchique. Plus les

structures partielles dépendaient, chacune de leur côté, des décisions personnelles

d’Hitler, plus l’importance fonctionnelle du Führer   grandissait. Cependant, la

soumission fonctionnelle au Führer  s’imposait même sans croyance charismatique. Il

suffisait que ceux qui étaient à la tête des autorités, des organisations, des équipes de

direction et des comités de coordination soient personnellement liés au Führer  parce

qu’ils croyaient à son charisme, parce qu’ils lui devaient leur place, parce que, sans lui,

ils ne pouvaient exercer leur marge de compétence. Plus le système de décisions était

personnalisé, plus l’importance de l’accès personnel à Hitler était grande. Son pouvoir

charismatique immédiat dans l’interaction directe faisait partie de ses talents, et il s’en

servit pour charismatiser sans cesse de nouveaux sceptiques.

35 La fragmentation et l’isolement mutuel des autorités, des groupements d’intérêts, des

entreprises, des Églises, des universités, des juristes et des militaires et d’autres furent

essentiellement conditionnés par la dissolution des structures intermédiaires de la

société, en particulier de celles qui pouvaient imposer des contraintes politiques. La

mise en œuvre de la domination d’Hitler en 1933-1934 ne passa pas seulement par

l’interdiction des organisations d’opposition, mais surtout aussi par la dissolution

complète de ces structures intermédiaires. La suppression de la législation

parlementaire fut le premier pas, la dissolution des partis comme organes

d’articulation des intérêts et organes de transmission, le second. Il en alla de même de

la destruction des syndicats et de leur fusion avec les organisations patronales dans le

Front du Travail allemand. La réduction des droits d’autogestion, la « mise au pas » et la

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centralisation des associations, l’émiettement des compétences spécifiques des Länder allèrent dans le même sens. Plus des éléments des structures intermédiaires étaient

détruits, plus les capacités d’articulation et les possibilités de constitution de coalitions

entre les instances qui restaient se réduisaient. L’inquiétude personnelle pour le

maintien de son poste conduit à se focaliser de plus en plus sur ce qui se passe en

interne et à se montrer indifférent à l’égard des évolutions politiques extérieures, ce

qui constitue en retour une menace pour sa propre position. L’indifférence à l’égard des

lois sur les juifs est un exemple de ce processus de perte d’autonomie et de perte

d’influence, y compris chez les non-juifs. Les privations de droits civiques dont les juifs

furent victimes n’affectèrent dans un premier temps qu’une minorité, mais il en résulta

aussi pour la majorité des Allemands « aryens » la perte du droit fondamental à un

statut juridique assuré. Si l’Église évangélique put « externaliser » l’exclusion des juifs

du service public dans la mesure où ils ne faisaient pas partie de l’Église, elle fut bientôt

contrainte de sacrifier aussi des membres de sa propre communauté et de limiter les

exigences d’autonomie de l’Église. L’interdiction des syndicats fit peut-être le bonheur

de nombre de patrons, mais ils ne tardèrent pas à s’apercevoir que, sans les syndicats,

eux aussi perdaient de leur influence. La position dans un premier temps incontestée

de l’armée et son renforcement semblaient favorables au corps des officiers jusqu’à ce

que l’affaire Fritsch remette en cause l’idée qu’il se faisait de son honneur (ce fut déjà le

cas, au fond, avec l’assassinat du général von Schleicher en 1934, qui ne fut pas

sanctionné). La lutte pour le maintien d’une autonomie interne contraignit à un retrait

de l’arène politique extérieure, où il n’y avait d’ailleurs plus de relais d’influence par

l’intermédiaire de coalitions. Tout en continuant d’assurer leurs tâches de routine sur

un mode relativement autonome, les associations, les organisations, les domaines de

compétence institutionnalisés furent ainsi dépossédés de leur pouvoir, neutralisés

politiquement, tout à fait indépendamment de la surveillance policière et de l’entrisme

national-socialiste. De nombreuses élites de la fonction publique qui non seulement ne

croyaient pas au charisme d’Hitler, mais lui étaient même hostiles devinrent ainsi des

rouages du système de domination national-socialiste.

36 Ce système de domination n’était charismatique que par certains aspects, mais ces

aspects étaient prépondérants. L’un d’entre eux consista à mettre en place des

directions administratives dépendant directement du Führer, notamment sous la forme

de chancelleries qui ne travaillaient que pour ce dernier – chancellerie du Reich,

chancellerie du parti et chancellerie de la Wehrmacht (le commandement suprême).

Ces chancelleries étaient les équipes de l’exécutif d’Hitler : elles permettaient à ce

dernier d’imposer directement sa volonté dans les administrations quotidiennes des

ministères, du parti, de la Wehrmacht. À cela s’ajoutaient des équipes spéciales, comme

celle des commissaires en charge du plan quadriennal, celle du ministre du Reich pour

l’armement et les munitions, celle du ministère de la propagande, celle du bureau de

politique étrangère du parti. Des équipes de direction charismatiques étaient

particulièrement présentes dans les domaines qui étaient d’une importance cruciale

pour les objectifs politiques majeurs d’Hitler : contrôle de l’opinion publique

(Goebbels), instrumentalisation du parti (Heß, puis Bormann), politique étrangère

(Ribbentrop), direction de la Wehrmacht (Blomberg, puis Keitel), armement (Todt, puis

Speer), surveillance policière (Himmler), politique juive et plus tard assassinat des juifs

(Himmler, Heydrich, Kaltenbrunner). À côté de la formation de « l’État dual » au sens

d’Ernst Fraenkel, on trouve des cas où l’on taillait une équipe administrative

charismatique dans l’administration régulière si les dirigeants de celle-ci étaient

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qualifiés d’un point de vue charismatique, c’est-à-dire liés personnellement à Hitler et

considérant l’obéissance comme un devoir, même lorsqu’ils éprouvaient certaines

réserves. Les équipes charismatiques empêchaient la routinisation de la domination

charismatique en prenant des mesures directes en dehors des structures « normales »

de domination32. Étant donné que les procédures de prise de décision collective

n’étaient pas autorisées et qu’Hitler se contentait en principe de s’entretenir avec les

représentants individuels, les dirigeants des équipes charismatiques ne pouvaient

former de coalitions ni formuler de conceptions d’ensemble alternatives. Ils restaient

des receveurs d’ordre, recevaient des missions qu’ils devaient imposer de manière

autonome et étaient en concurrence les uns avec les autres pour la faveur du porteur

de charisme.

37 En ce sens, le diagnostic qui envisage le système de domination national-socialiste

comme une polyarchie dotée de domaines de compétence autonomes est une

description tout à fait juste, mais cette polyarchie ne put acquérir une base de pouvoir

et de décision autonome face à Hitler. Cette polycratie n’était par suite que le produit

de la monocratie charismatique, et non son contraire. Dans la mesure où toute légalité

est dérivée de la légitimité du porteur de charisme et ne peut trouver de fondement

autonome, dans la mesure où les compétences d’action sont couvertes par un « ordre

du Führer » et où ce fondement doit être sans cesse renouvelé, on n’a pas affaire à une

polycratie dotée d’une base d’action propre, même si les instruments de pouvoir

peuvent dans certains cas être importants. Dès lors que le lien avec le dirigeant

charismatique est maintenu, que le fait de se conformer à ses ordres passe pour un

« devoir », il ne peut y avoir d’appropriation durable de compétences et de ressources.

La capacité d’Hitler à s’imposer et la rapidité avec laquelle il créait des situations

d’exception toujours nouvelles empêchaient la « routinisation » du charisme, qui est le

présupposé de l’appropriation de compétences et de ressources par les instances

partielles d’une polycratie.

38 L’opposition contre le national-socialisme devait être dirigée contre la personne

d’Hitler et était bridée par l’attachement charismatique à sa personne. Pour qu’une

résistance puisse se manifester, il fallait soit attendre que son charisme s’effondre, soit

écarter physiquement le porteur de charisme. La première option fut retenue pendant

des années par l’opposition au sein de l’armée ; la seconde ne fut prise en considération

que par une petite minorité qui regardait le tyrannicide comme justifié. Le général von

Treskow faisait partie de cette minorité ; ce fut ensuite le cas du colonel von

Stauffenberg. Ils comprirent qu’il fallait un attentat pour détruire la source de

légitimité du régime et pouvoir envisager un changement de ce dernier. Ils ne purent

préparer ce renversement que parce qu’ils étaient couverts par une organisation

militaire non charismatique. Ils espéraient pouvoir le mener à bien en ayant recours

aux moyens administratifs d’une bureaucratie partielle. Après la destruction de la

source de légitimité, le bouleversement devait s’opérer en faisant appel à des

bureaucraties non charismatisées. D’un point de vue stratégique, les deux hommes

avaient bien compris les conditions d’une résistance dans un système de domination

charismatique. Toutes les autres stratégies étaient fondées sur les chances individuelles

d’un auteur d’attentat dépourvu de capacité d’action ultérieure ou sur l’attente d’un

délitement final du charisme.

39 Mais celui-ci n’intervint pas avant le suicide d’Hitler et l’occupation presque intégrale

du territoire allemand par des troupes ennemies. Le maintien de la légitimité de la

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politique d’Hitler, en dépit d’un nombre croissant de revers et de la détresse toujours

plus grande de la population, mit à nu le noyau de la domination charismatique, la

croyance irrationnelle au miracle. Le charisme prétendu put se confirmer dans les

premières années, avec le recul du chômage entraîné par la politique d’armement et la

dissimulation de la dette publique. Vinrent ensuite les grands succès inattendus

d’Hitler dans le domaine de la politique étrangère : le retour de la Sarre, l’annexion de

l’Autriche, le rattachement des Sudètes. La Seconde Guerre mondiale, déclenchée sans

enthousiasme, fut en mesure de renforcer encore la croyance dans le charisme d’Hitler

et de confirmer ses dons de grâce extraquotidiens, avec les Blitzkriege. Lorsque, après

l’hiver 1941-42, les espoirs de victoire s’effondrèrent et que, après Stalingrad, le retrait

et la chute s’amorcèrent, que le charisme ne se confirma plus, que les Allemands

connurent des difficultés et une détresse croissantes au quotidien, la légitimité d’Hitler

parvint malgré tout à se maintenir. La croyance ne se manifeste que lorsque la réalité la

contredit. S’il n’y avait pas eu le 20 juillet 1944, le peuple allemand se serait plié à la

volonté du Führer charismatique jusqu’à sa chute sans manifester de résistance.

40 Le noyau charismatique du système de domination d’Hitler consista à conforter la

croyance dans une légitimité personnalisée. Après la prise de pouvoir, il ne disposait

pas encore véritablement d’un fondement charismatique ; celui-ci était en quelque

sorte mêlé, sur un mode syncrétique, à des composantes de légalité formelle

(nomination par le président du Reich, puis majorité d’un gouvernement de coalition),

auxquelles venaient s’ajouter des éléments de légitimité traditionnelle (revendication

de valeurs nationales conservatrices). La croyance dans les capacités extraquotidiennes

de la personne d’Hitler ne se rencontrait alors que dans une minorité de partisans

convaincus. La légitimité charismatique ne devint dominante qu’avec la mise en place

de la monocratie et les premiers succès survenus vers 1937, interprétés sur un mode

charismatique. La transformation institutionnelle du système de domination, une

propagande permanente mettant en valeur le charisme d’Hitler et l’emploi croissant de

la violence pour réprimer l’opposition paralysèrent les capacités d’action et

empêchèrent une interprétation cognitive alternative de la situation : les conditions

d’un passage à la croyance dans l’extra-quotidienneté charismatique étaient réunies.

Avec le début de la guerre, les bases de légitimité traditionnelle connurent un nouveau

renforcement : la loyauté envers le commandement suprême s’imposa. Le charisme se

perpétue même en cas d’échec, lorsque les causes de ce dernier sont regardées comme

ne relevant pas de la responsabilité du porteur de charisme. Si les résultats négatifs du

système de domination peuvent être dissociés de sa personne, celui-ci peut préserver

son charisme malgré les revers. À un niveau trivial, ce phénomène trouva son

expression dans la formule connue : « Si le Führer  savait ça ! ». Pendant la guerre, de

surcroît, les échecs furent imputés aux ennemis, dont la puissance n’apparaissait pas

comme une preuve de leur supériorité morale sur le national-socialisme. La légitimité

d’Hitler et son noyau charismatique étaient le produit du système de domination et de

sa capacité à manipuler les critères au regard desquels le charisme devait se confirmer.

Étant donné que les chances structurelles d’exercer le pouvoir de direction se situaient

du côté de la communauté émotionnelle des « disciples » et que l’action des institutions

était paralysée pour la population, la domination charismatique se fondait aussi sur

ceux qui ne partageaient pas la croyance dans le charisme d’Hitler.

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trad. fr. : Sociologie, trad. par I. Kalinowski avec la collaboration d’Y. Sintomer, Paris, 2017, à

paraître.

NOTES

1. Parmi la masse des publications, nous renverrons seulement aux articles de H. Mommsen : « La

place de Hitler dans le système de pouvoir national-socialiste » (in : Mommsen [1997], p. 67-100)

et de K. Hildebrand : « Monokratie oder Polykratie? Hitlers Herrschaft und das Dritte Reich »

(in : Hirschfeld / Kettenacker [1981], p. 73-97), et à la bibliographie complémentaire qui figure

dans ce dernier volume. Voir aussi Kershaw (1980).

2. Weber (2013) (dorénavant abrégé en MWG I/23), p. 490

[trad. fr. : Sociologie, trad. par I. Kalinowski avec la collaboration d’Y. Sintomer, à paraître. C’est

cette nouvelle traduction qui sera citée ici, mais nous indiquerons également les références de la

traduction existante : Weber, M. : Économie et société I. Les catégories de la sociologie, trad. sous la dir.

de É. de Dampierre, Paris, 1995 (abrégé en ES I), p. 320 ; N.d.T.]

[Cf. également Weber, M. : Concepts fondamentaux de sociologie,textes choisis, traduits de l’allemand

et introduits par Jean-Pierre Grossein, Paris : Gallimard, 2016 ; N.d.l.R.]

3. MWG I/23, p. 491 ; ES I, p. 321.

4. MWG I/23, p. 492 ; ES I, p. 323.

5. MWG I/23, p. 492 ; ES I, p. 324.

a. [Le terme « Verwaltungsstab » est utilisé très fréquemment par Max Weber dans sa sociologie

politique et en particulier dans la sociologie de la domination. Il désigne la partie de

l’organisation qui implémente les décisions du chef ou de la direction, qui dirige l’administration

et représente vers l’extérieur l’entreprise de domination. Dans le cas d’un État parlementaire

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moderne, dirigé par un chef de parti, le Verwaltungsstab comprend, dit Weber, les ministres, les

secrétaires d’État et éventuellement les sous-secrétaires d’État (MWG I/23, p. 580 sq. ; ES I,

p. 383). Dans le cas d’une domination charismatique “pure”, les membres du Verwaltungsstab ne

sont pas, bien entendu, des fonctionnaires. Le terme est souvent traduit par État major

administratif. En fonction du contexte, nous employons ici également les termes de direction

administrative, équipe administrative ou équipe de direction ; N.d.l.R.]

6. MWG I/23, p. 492 ; ES I, p. 322.

7. MWG I/23, p. 490 ; ES I, p. 321-322.

8. Sur ce point, voir l’étude remarquable de Festinger / Riecken / Schachter (1956) : elle porte sur

une secte qui avait prédit qu’elle quitterait la terre et ne connut pas de dissolution malgré la non-

réalisation de cette prédiction ; au contraire, elle entreprit de convertir de plus belle de nouvelles

personnes en donnant a posteriori   l’interprétation selon laquelle Dieu n’avait pas sauvé les

membres de la secte parce qu’ils étaient encore trop peu nombreux. Sur la théorie de la

dissonance cognitive, voir Festinger (1957), et Irle (1975), p. 310-346.

9. Sur ce point, voir Weber (1975), ainsi que Lepsius (1990), p. 44 sq.

10. MWG I/23, p. 492 ; ES I, p. 325.

11. Shils (1975), p. 127.

12. Cf. Struve (1973).

13. Cf. Schmidt (1988).

14. Sur ce point, voir Matthias / Morsey (1960), en particulier les contributions de E. Matthias sur

le parti social-démocrate et de R. Morsey sur le Zentrum.

15. Sur ce point, voir en particulier R. Morsey (1992).

16. Cf. S. Bahne, « Die Kommunistische Partei Deutschlands », in : Matthias / Morsey (1960),

p. 655-739.

17. Sur ce point, voir notamment Jäckel (1981).

18. La crise qui fit suite aux élections au Reichstag du 6 novembre 1932 a été décrite de façon très

vivante par Fest (1973), p. 489 sq.

19. Sur la crise économique, voir Keese (1967) ; Borchardt (1982) ; Kruedener (1992).

20. J. Nyomarkay (1967) analyse de manière remarquable la structure de stratégie de résolution

des conflits d’Hitler.

21. Cf. Speer (1969), p. 457 sq.

22. Cf. Broszat (1969), p. 68. Je me réfère à plusieurs reprises à ce livre dans cette présentation.

23. Sur ce point, voir Hubert (1992).

24. Sur ce point, voir Neliba (1992).

25. Sur ce point, voir Bach (1990), chapitre IV.

26. Voir les extraits du journal personnel de Dönitz reproduits dans Schramm (1962) ; voir aussi

Lüdde-Neurath (1950).

27. Citations extraites de Michalka (1985), p. 11, 22, 25.

28. Citation tirée de Schramm (1962), p. 417.

29. Cf. Jäckel (1981), (1986).

30. Fraenkel (1941), (1974).

31. Sur cette structure de pouvoir, voir Broszat (1969) et Rebentisch (1989).

32. Sur le rôle différent que jouèrent les équipes de direction dans l’Allemagne national-socialiste

et dans l’Italie fasciste, voir Bach (1990).

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INDEX

Mots-clés : domination charismatique, Hitler, chef, polycratie

Schlüsselwörter : charismatische Herrschaft, Hitler, Führer, Polykratie

AUTEURS

M. RAINER LEPSIUS

M. Rainer Lepsius (1928-2014), sociologue allemand, a grandement influencé le développement de

la sociologie allemande d’après-guerre. Pour plus d’informations, voir la notice suivante.

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