If you can't read please download the document
Upload
saberforte
View
343
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
Afrique CFA : 2 400 F CFA, Algrie : 200 DA, Allemagne : 5,50 , Antilles-Guyane : 5,50 , Autriche : 5,50 , Belgique : 5,40 , Canada : 7,50 $C,
Espagne : 5,50 , Etats-Unis : 7,50 $US, Grande-Bretagne : 4,50 , Grce : 5,50 , Hongrie : 1835 HUF, Irlande : 5,50 , Italie : 5,50 , Luxem-
bourg : 5,40 , Maroc : 30 DH, Pays-Bas : 5,50 , Portugal (cont.) : 5,50 , Runion : 5,50 , Suisse : 7,80 CHF, TOM: 780 CFP, Tunisie : 5,90 DT.
les services secrets de quatre pays (lItalie, la France, les Etats-
Unis et la Libye). Une partie extnuante, lenjeu inavouable :
occulter la vrit sur lexplosion en plein vol dun avion de ligne
et la mort de ses quatre-vingt-un passagers. Cest l le secret
de ce quon appelle en Italie le massacre dUstica.
En 2013, deux jugements en responsabilit civile de la
Cour de cassation italienne ont attribu lexplosion unmissile
air-air, sans identier la nationalit de lavion de chasse qui
laurait lanc. LEtat italien a t condamn verser 100millions
deuros dindemnits aux familles des victimes pour ne pas
avoir correctement dfendu son espace arien. Selon les
magistrats, le missile tait trs probablement destin au
dirigeant libyen Mouammar Kadha, et ses empreintes
conduisent maintenant un seul suspect : la France.
Des traces, des indices, desmensonges et des tmoins de
poids pointent dans cette direction. Ainsi, le 25 juin 2007, trois
ans avant samort, lancien prsident de la Rpublique italienne
Francesco Cossiga fait une dclaration retentissante la radio
publique et la chane de tlvision Sky : Les Franais
savaient que lavion de Kadha devait passer [sur cette route].
(Lire la suite page 12 et notre dossier pages 9 12.)
(Lire la suite page 14.)
LA rcente monte en puissance dune force djihadiste sunnite dans
le nord-ouest de lIrak est spectaculaire, au sens propre du terme. Elle
relve du mauvais vaudeville : il y a dans le pays, pour ainsi dire, un
terroriste dans le placard. Lorsquil fait irruption sur la scne, le premier
ministre chiite Nouri Al-Maliki joue la surprise, crie lassassin et
appelle ses amis la rescousse pour le chasser de la maison. Pourtant,
ce djihadiste, cest lui-mme qui lui a ouvert la porte et qui la nourri.
Ses amis, notamment iraniens, le savent, mais trouvent un intrt se
prter au jeu. Car le terroriste est lexcuse toute trouve pour clipser
les errements de celui qui, aprs tout, reste leur homme.
En juin 2014, donc, des djihadistes sunnites oprant sous le nom
dEtat islamique en Irak et au Levant (EIIL, galement connu sous son
acronyme arabe, Daash) semparent presque sans combattre deMossoul,
deuxime ou troisime ville du pays selon les chiffres auxquels on se
rfre. Dautres localits, dans cette zone dominante arabe sunnite,
tombent rapidement, mesure que lappareil de scurit se dsintgre.
LEtat irakien abandonne ses quipements militaires, dont des vhicules
fournis par les Etats-Unis, laisse derrire lui ses nombreux prisonniers
gnralement dtenus de faon arbitraire et livre ladversaire des
prises de choix : prs dun demi-milliard de dollars entreposs dans une
succursale de la banque centrale, notamment. Des groupes arms moins
radicaux se joignent au mouvement, sattribuant une part vraisembla-
blement exagre de ces victoires. Parmi les habitants qui ne fuient pas,
certains clbrent ce quils appellent une libration, un soulvement,
ou mme une rvolution.
TERNEL AL IB I DE L EXCEPT ION CULTURELLE pages 20 et 21
LE THTRE,
LE PUBLIC
ET LE POUVOIR
PAR BRUNO BOUSSAGOL
Page 27.
dpense sitt quil leur faut dtruire lennemi du jour en
invoquant contre lui les grands principes humanitaires. Ceux-
l mmes quelles nappliquent jamais leurs protgs
rgionaux : ni Isral, ni au Qatar, ni lArabie saoudite (2).
Le 13 juin, le prsident Obama a imput au pays dvast
par les Etats-Unis la responsabilit de la tragdie quil vit :
Au cours de la dcennie coule, les troupes amricaines
ont consenti de grands sacrifices pour donner aux Irakiens
une chance de construire leur propre avenir. En travestissant
ainsi lhistoire, il a encourag les noconservateurs, pour qui
chaque dsengagement de Washington prcipite le dclin
amricain et le chaos universel.
La guerre dIrak tait gagne avant que lactuel prsident
nentre la Maison Blanche, rpte dsormais le snateur
rpublicain John McCain. Selon lui, toute crise internationale
se rsout par lenvoi de marines. Le 15 mars dernier, il a donc
rclam des troupes amricaines pour lUkraine. Et, le 13 mai,
une intervention militaire au Nigeria. En 2002, M. Obama ne
voulait pas attiser les flammes au Proche-Orient. Saura-t-il
se montrer aussi perspicace dans les mois qui viennent?
(1) Dick et Liz Cheney, The collapsing Obama doctrine, The Wall Street
Journal, NewYork, 18 juin 2014.
(2) Lire Impunit saoudienne, Le Monde diplomatique, mars 2012. Au
Qatar, des dizaines de milliers douvriers trangers travaillent dans des conditions
proches de lesclavage sur les chantiers de la Coupe du monde de football
de 2022.
S O MM A I R E C OM P L E T E N PA G E 2 8
Le nouveau prsident du conseil italien,
M. Matteo Renzi, a dcid douvrir les
archives des annes 1970 et 1980, deux
dcennies riches en violences et en intrigues.
Les familles des quatre-vingt-une victimes
du crash dUstica, tues sans mobile apparent,
attendaient depuis longtemps laccs aux
documents condentiels.Au premier rang des
suspects, la France se dcide aussi colla-
borer avec la justice italienne pour dnouer
un mystre aux dimensions gopolitiques.
TRAGDIE ARIENNE OU BAVURE MILITAIRE ?
Les mystres
du crash dUstica
UNE ENQUTE
D ANDREA PURGATORI *
* Ancien grand reporter au Corriere della Sera, actuellement collaborateur du
Huffington Post. Il a suivi ds la premire heure le crash du DC-9.Auteur deUstica.
Storia di unindagine, Plus, Pise, 2006.* Conseiller spcial de lInternational Crisis Group pour le Proche-Orient.
La faute Obama ?
PAR SERGE HALIMI
E
TAIT-IL imprvoyant, cet lu de lIllinois qui estimait ds
octobre 2002 quune invasion de lIrak ne ferait quattiser
les ammes au Proche-Orient, encourager dans le monde
arabe les pires impulsions et renforcer le bras recruteur dAl-
Qaida? Fut-il plus visionnaire que lui, le vice-prsident des
Etats-Unis qui promit alors que les armes amricaines seraient
accueillies en libratrices ? Cest pourtant le second,
M. Richard (Dick) Cheney, qui accuse aujourdhui le premier,
M. Barack Obama, davoir agi en Irak comme un tratre doubl
dun bent. Et qui conclut avec un culot singulier : Rarement
un prsident des Etats-Unis se sera autant tromp propos
dautant de choses au dtriment dautant de gens (1).
M. Obama exclut pour le moment lenvoi de bataillons amri-
cains contre les forces djihadistes qui contrlent une partie
de lIrak (lire notre dossier page 9). Mais il a accept de dpcher
trois cents conseillers militaires auprs du rgime de Bagdad,
tout en faisant savoir que le premier ministre Nouri Al-Maliki
devait tre remplac. Il y a prs de soixante ans, les Etats-
Unis avaient dj fourni des conseillers militaires un rgime
autocratique et corrompu : celui, vietnamien, de Ngo Dinh
Diem. Un jour, excds par lingratitude de leur protg, ils le
laissrent (ou le firent) tuer. La suite explique peut-tre la
rticence du peuple amricain emboter cette fois le pas aux
va-t-en-guerre : lescalade militaire, lembrasement de toute
lIndochine, plusieurs millions de morts.
Le bilan de lintervention des puissances occidentales est
galement catastrophique pour les peuples du monde arabe.
Pingres quand elles pourraient contribuer au dveloppement
conomique et social de la Tunisie ou de lEgypte en renonant
par exemple leurs crances, elles ne regardent plus la
IL EST 20h08, le 27 juin 1980, lorsque le DC-9 de la compagnie
Itavia (1) quitte Bologne avec cent treize minutes de retard. A
son bord, les quatre membres dquipage et soixante-dix-sept
passagers, dont treize enfants. Une fois dpasse la chane des
Apennins, il emprunte le couloir arien Ambra 13, qui, en survolant
la mer Tyrrhnienne, mne Palerme, sa destination nale.
Visibilit parfaite et communications de routine. Mais, 20h59,
sur lenregistrement vocal, on entend le commandant sadresser
subitement son second. Ce nest en fait quun demi-mot :
Gua... Peut-tre : Guarda! (Regarde! ) . Personne ne le
saura. La voix sinterrompt brusquement; le signal radar disparat
au-dessus de la petite le dUstica, situe soixante kilomtres
de la Sicile. Le DC-9 se brise en trois morceaux et senfonce
dans la mer, trois mille sept cents mtres de profondeur.
Sengage alors une partie de poker dont les cartes sont
manipules par les gouvernements, les autorits militaires et
Loffensive de lEtat islamique en Irak et au Levant (EIIL)
na surpris que ceux qui se dsintressaient de lvolution
du pays depuis le retrait des troupes amricaines. Lincom-
ptence du pouvoir central et sa politique favorable aux
chiites ont cr les conditions dune insurrection sunnite.
PAR PETER HARLING *
ETATS FANTMES AU PROCHE-ORIENT
Ce quannonce
lclatement
irakien
CHRISTIAN BOLTANSKI. A propos dUstica, installation, 2007
(1) Compagnie arienne prive qui fit faillite en 1981, aprs le crash.
MUSEPOURLAMMOIREDUSTICA,BOLOGNE.PHOTOSANDROCAPATI
5,40 - Mensuel - 28 pages N 724 - 61
e
anne. Juillet 2014
JUILLET 2014 LE MONDE diplomatique
2
Universalisme
La lecture de larticle de Vivek Chibber
Luniversalisme, une arme pour la gauche
(Le Monde diplomatique, mai 2014)
inspire M. Christian Darceaux la raction
suivante :
Je pensais quon tait en droit, sans tre
mis lindex, dprouver de la mfiance
lencontre des tenants de l universalisme
des Lumires , celui qui sest trs bien
accommod de lesclavage, puis du colo-
nialisme, au nom des valeurs civilisatrices,
et qui aujourdhui sert de prtexte des
guerres impriales qualifies de guerres
humanitaires, pour la dfense des droits.
Cet universalisme est aussi celui qui
voit lhistoire comme une marche vers le
progrs, croyance qui a malheureusement
rendu myope vis--vis du productivisme et
du consumrisme qui dvastent la plante.
Paradoxalement, on peut constater que
tous les systmes historiques connus ont
prtendu tre fonds sur des valeurs uni-
verselles, et quil ny a rien de plus ethno-
centrique, daussi particulariste que la
revendication de luniversalisme. Prendre
conscience de cela nest pas se transformer
en adversaire du marxisme, ni rfuter
lexistence des classes sociales.
Sant
Larticle de Bruno Falissard Soigner
le malade ou la maladie ? (juin 2014) a
suscit plusieurs ractions. M. Marc
Girard, conseil en pharmacovigilance et
pharmaco-pidmiologie, nous crit :
Dans la rhtorique promotionnelle de la
mdicalisation triomphante, la dramatisa-
tion de lessai contre placebo est une figure
classique : elle introduit limage du thra-
peute tout-puissant qui peut sarroger le
droit exorbitant de priver certains indi-
vidus malades dun produit qui pourrait
les gurir . Bmol : lorsquon envisage un
essai contre placebo, cest avec des mdi-
caments nouveaux dont on ne connat pas
les bnfices (et dont on ne saurait donc
soutenir srieusement quils pourraient
gurir ) ou avec des mdicaments anciens
dont on souponne que les bnfices ont
t exagrs (devinez par qui et au profit
de qui...).
Pour sa part, le D
r
Jean-Sbastien
Borde, vice-prsident du Formindep, asso-
ciation pour une formation et une infor-
mation mdicales indpendantes de tout
autre intrt que celui de la sant des per-
sonnes , estime :
Larticle me semble particulirement
loign de la problmatique de la mdecine
aujourdhui. La majorit des traitements
se retrouvant sur les ordonnances ne trai-
tent ni le malade ni une maladie mais des
facteurs de risque. Les traitements de lhy-
pertension artrielle, de lhypercholestro-
lmie, les antiagrgants plaquettaires ne
servent qu rduire le risque statistique
dvnements cardio-vasculaires lchelle
dune population, mais avec des gagnants
ceux qui repoussent un vnement
cardio-vasculaire et des perdants, ceux
qui souffrent des effets indsirables, parfois
graves, des traitements.
La place du patient, et mme celle des
mdecins, est marginale, tant la promotion
pharmaceutique a ancr des slogans
angoissants et largement faux, comme
lhypercholestrolmie tue , ce qui
MARCHEARRIRE
Lapparition de bactries rsistantes
un nombre de plus en plus important
dantibiotiques constituerait lune
des principales menaces sanitaires
pour lhumanit (The Economist, 3 mai).
Lorsquil accepta son prix Nobel,
[Alexander] Fleming [qui dcouvrit
la pnicilline en 1928] avertit que
les bactries pourraient muter et nir
par rsister aux antibiotiques. (...)
Ses craintes semblent tre devenues ralit.
(...) La rsistance des bactries aux
traitements pourrait faire reculer
la mdecine dun sicle, la ramenant
une poque o les infections conduisaient
frquemment des amputations. (...)
Des procdures telles que la chirurgie
cardiaque, les transplantations dorganes
ou le traitement de certains cancers
pourraient savrer beaucoup plus risques
sans antibiotiques efficaces. (...) Aucune
nouvelle catgorie de molcules na t
dcouverte depuis 1987, ce qui sexplique
en partie par labsence de perce majeure
dans le domaine de la recherche, mais
galement par le fait que rien ne pousse
les socits pharmaceutiques trouver
de nouveaux traitements tant que
les anciens fonctionnent.
GRAND HUIT
Rsistance lEmpire, luge et barbe
papa: voil, en substance, le cocktail
avec lequel le chef suprme nord-
coren Kim Jong-un espre asseoir son
pouvoir, dans un contexte conomique
difficile (Asahi Shimbun, 6 juin).
La Core du Nord se prsente comme
le paradis des travailleurs et cest
effectivement limage que souhaite
promouvoir son jeune dirigeant, M. Kim
Jong-un. Il a ordonn la construction-clair
de plusieurs complexes de sport
et de divertissement. Ces infrastructures
apportent une touche de couleur au
camaeu gristre du pays. (...) Lan dernier,
une station de ski a ouvert dans la banlieue
deWonsan, une ville ctire bordant la mer
du Japon. Un forfait de quatre heures (...)
revient 62000 wons pour les Nord-
Corens [le salaire moyen est denviron
3000 wons par mois]. (...) Le parc pour la
jeunesse Kaeson, Pyongyang, est rput
pour ses attractions impressionnantes.
Certaines entreprises distribuent des tickets
dentre aux salaris ayant atteint leurs
quotas. Le prix du hamburger servi
dans le parc est de 500 wons.
IMAGE
Pour dnoncer lesclavagisme
pratiqu bord dun navire russe, les
dockers ont refus de le dcharger, ce qui
a conduit des menaces de la compagnie
envers un dlgu syndical. En raction,
trois mille membres du Syndicat des
travailleurs des transports (AKT) ont pris
part une grve lgale dune journe
dans tous les ports de Finlande. Le
mouvement a t dnonc par M
me
Tiina
Haapasalo, conseillre politique en chef
de la Confdration des industries
nlandaises (Helsinki Times, 11 juin).
Tiina Haapasalo souligne que la grve
peut avoir un impact long terme sur les
relations avec la clientle des entreprises.
Si on nous considre comme un pays
sujet aux grves ce que nous sommes ,
les entreprises trangres ne verront pas
les entreprises nlandaises comme
des partenaires ables, car il y a une
possibilit que la cargaison ne soit jamais
dlivre, explique-t-elle.
PIPHANIE
Alors queWashington et Bruxelles
poursuivent leurs ngociations autour
du grand march transatlantique (GMT),
le gouverneur de la banque centrale
britannique sinterroge sur les vertus du
tout march (The Guardian, 28 mai).
Le capitalisme court le risque de
sautodtruire si les banquiers ne prennent
pas conscience de la ncessit de travailler
ldication dune socit plus juste,
a averti le gouverneur de la Banque
dAngleterre. Mark Carney a expliqu
quils avaient mis au point un systme du
type pile, je gagne ; face, tu perds. (...)
Les idologies tendent naturellement vers
les extrmes. Le capitalisme perd le sens
de la modration lorsque le crdit dont
jouit le march se transforme en croyance
religieuse.
Vous souhaitez ragir
lun de nos articles :
Courrier des lecteurs,
1, av. Stephen-Pichon 75013 Paris
Q
UICONQUE rsumerait la ligne ditoriale de lhebdomadaire Le Point par un
slogan lapidaire du type Mon patron est un gnie, les grvistes sont des
bandits se perdrait dans loutrance, car les choses sont toujours plus complexes.
Enn, presque toujours.
Interrog par Le Figaro (2 juin 2014) sur le propritaire de son magazine, le jeune
directeur de la rdaction Etienne Gernelle entonne lhymne la joie : La politique
de la famille Pinault est de garantir et de respecter lindpendance du journal. Il
ny a pas de meilleur actionnaire possible sur la place de Paris. Je souhaite tous
les journaux et tous les mdias davoir un actionnaire comme le ntre. Nous
sommes heureux et nous souhaitons que cela continue. Hier exceptionnelle, car
un peu embarrassante, cette expression de dfrence pourrait se banaliser
mesure que le trombinoscope des matres de la presse parisienne dcalque de
plus en plus troitement le classement des milliardaires franais : Les Echos de
M. Bernard Arnault (1
re
fortune franaise selon Forbes), Le Point de M. Franois
Pinault (3
e
), Le Figaro de M. Serge Dassault (4
e
), Libration de M. Patrick Drahi (6
e
),
Le Monde et Le Nouvel Observateur de M. Xavier Niel (7
e
), Direct Matin de M.
Vincent Bollor (10
e
)...
Deux semaines aprs lode gernellienne, Le Point (19 juin) consacre un dossier
aux naufrageurs : Corporatistes intouchables, tueurs de rformes, lepno-
cgtistes. Lditorialiste Nicolas Baverez, porte-plume des notables atterrs,
explique : Les grves des cheminots, des taxis et des intermittents du spectacle,
sur fond de contestation endmique dans les universits et de jacquerie scale,
sont la face sociale du populisme dont le Front national est lexpression politique.
Sensuivent dix pages cumantes contre la France conte de btise et de navet
qui dla en dcembre 1995, les derniers intouchables de la CGT, le chantage
permanent des intermittents et les syndicats qui saccagent lducation, conclues
par lirrfutable preuve de l idologie lepno-cgtiste : le dirigeant de la Conf-
dration gnrale du travail (CGT) et la patronne du Front national (FN) ont tous
deux critiqu dans les mmes termes le pacte de responsabilit. Si un point
daccord suft dnir une ligne commune, la succession des couvertures Burqa,
ce quon ne dit pas (21 janvier 2011), Le spectre islamiste (3 fvrier 2011),
Cet islam sans gne (31 octobre 2012), Nos anctres les Gaulois
(21 fvrier 2013) fait incontestablement du Point un journal lepniste.
Une pudeur subitement retrouve a incit les dirigeants de lhebdomadaire ne
pas se compter au nombre des corporatistes qui plombent les nances publiques.
Selon les chiffres publis par le ministre de la culture en avril dernier, Le Point
gurait en 2013 en 14
e
position des publications les plus aides par lEtat (Le
Monde diplomatique, en 178
e
position lanne prcdente, a tout bonnement
disparu de la liste) : 4 658 889 euros ont donc t offerts par le contribuable aux
thurifraires de M. Pinault, essentiellement sous forme daide au transport postal,
pour convoyer dans les botes aux lettres une fulmination hebdomadaire contre la
pleutrerie bonasse de lEtat dpensier.
PIERRE RIMBERT.
La joie de servir
Edit par la SA Le Monde diplomatique.
Actionnaires : Socit ditrice du Monde,
Association Gunter Holzmann,
Les Amis du Monde diplomatique
1, avenue Stephen-Pichon, 75013 Paris
Tl. : 01-53-94-96-01. Tlcopieur : 01-53-94-96-26
Courriel : [email protected]
Site Internet : www.monde-diplomatique.fr
Directoire: Serge HALIMI,
prsident, directeur de la publication
Autres membres : Vincent CARON, Bruno LOMBARD,
Pierre RIMBERT, Anne-Ccile ROBERT
Directrice des relations et des ditions internationales :
Anne-Ccile ROBERT
Secrtaire gnrale :
Anne CALLAIT-CHAVANEL
Directeur de la rdaction : Serge HALIMI
Rdacteur en chef : Pierre RIMBERT
Rdacteurs en chef adjoints :
Benot BRVILLE, Martine BULARD, Renaud LAMBERT
Chef ddition : Mona CHOLLET
Rdaction : Philippe DESCAMPS, Alain GRESH,
Evelyne PIEILLER,
Philippe REKACEWICZ (cartographie),
Anne-Ccile ROBERT
Site Internet : Guillaume BAROU
Conception artistique : Alice BARZILAY,
Maria IERARDI (avec la collaboration
de Delphine LACROIX pour liconographie)
Rdacteur documentaliste : Olivier PIRONET
Mise en pages et photogravure :
Jrme GRILLIRE, Didier ROY
Correction : Pascal BEDOS, Xavier MONTHARD
Directeur de la gestion : Bruno LOMBARD
Directeur commercial,
charg de la diffusion numrique : Vincent CARON
Contrle de gestion : Zaa SAHALI
Secrtariat : Yuliya DAROUKA (9621),
Sophie DURAND-NG, attache communication
et dveloppement (9674), Eleonora FALETTI (9601)
Courriel : [email protected]
Fondateur : Hubert BEUVE-MRY. Anciens directeurs :
Franois HONTI, Claude JULIEN, Ignacio RAMONET
Publicit : Anne BORROME (01-57-28-39-57)
Diffusion, mercatique : Brigitte BILLIARD, Jrme PONS,
Sophie GERBAUD, Marie-Dominique RENAUD
Relations marchands de journaux (numros verts) :
Diffuseurs Paris : 0805 050 147
Dpositaires banlieue /province : 0805 050 146
Service relations abonns
Depuis la France : 03 21 13 04 32 (non surtax)
www.monde-diplomatique.fr
Depuis ltranger : (33) 3 21 13 04 32
Reproduction interdite de tous articles,
sauf accord avec ladministration
ADAGP, Paris, 2014,
pour les uvres de ses adhrents.
Prix de labonnement annuel ldition imprime :
France mtropolitaine : 54
Autres destinations : www.monde-diplomatique.fr/abo
Informez-vous, abonnez-vous !
2 ans pour 99 au lieu de 129,60
*
, soit 23 % de rduction
1 an pour 54 au lieu de 64,80
*
, soit 16 % de rduction
M. M
me
Nom ......................................................................
Prnom ......................................................................
Adresse .................................................................
...............................................................................
Code postal
Ville ..................................................................
Courriel .................................................................
Rglement : Chque bancaire
lordre du Monde diplomatique SA
Carte bancaire
Numro de carte bancaire
Offre rserve la France mtropolitaine, valable jusquau 31/12/2014, pour l'tranger merci de nous consulter. En application de la loi informatique et liberts du 6 janvier 1978, vous bnfi-
ciez dun droit daccs et de rectification des informations vous concernant (sadresser au service des abonnements). Ces informations peuvent tre exploites par des socits partenaires du
Monde diplomatique. Si vous ne souhaitez pas recevoir de propositions de ces socits, merci de cocher la case ci-contre Le Monde diplomatique SA RCS Paris B400 064 291
Coordonnes : RMDMN1402PBA007
Signature
obligatoire
Expire fin
Notez les trois derniers chiffres du numro
inscrit au dos de votre carte
*Prixdeventeaunumro.
A renvoyer, accompagn
de votre rglement, ladresse suivante :
Le Monde diplomatique, service abonnements,
A 2300 - 62066 Arras Cedex 9
Tl. : 03-21-13-04-32 (numro non surtax)
Plus simple et plus rapide :
retrouvez cette offre sur
www.monde-diplomatique.fr/abojournal
O
f
f
e
r
t
:
l
a
c
c
s
l
a
v
e
r
s
i
o
n
n
u
m
r
i
q
u
e
(
W
e
b
,
t
a
b
l
e
t
t
e
s
,
l
i
s
e
u
s
e
s
)
RECTIFICATIFS
Les premires lignes de larticle de Guillaume
Beaulande En Espagne, la droite double sur sa
droite (juin 2014) voquaient incorrectement
le chef de lEtat espagnol Mariano Rajoy.
M. Rajoy est premier ministre ou chef du gou-
vernement, le chef de lEtat tant, au moment de
la publication, le roi Juan Carlos I
er
.
Contrairement ce quindiquait larticle dAlain
Gresh Pourquoi les ngociations au Proche-
Orient chouent toujours (juin), la dcision de
la chancelire allemande Angela Merkel de ne
pas subventionner lachat par Isral de matriel
militaire allemand portait non pas sur des sous-
marins nuclaires, mais sur des frgates lance-
missiles de classe Meko. Si Isral dispose actuel-
lement de sous-marins allemands (classe
Dolphin), il sagit de submersibles dattaque
conventionnels. LAllemagne nemploie ni ne
construit de sous-marins nuclaires, type de bti-
ment trs particulier qui ne sexporte pas.
Le crdit de luvre de Zhang Xiaogang illustrant
larticle A lassaut du sommeil (juin, page 3)
revient Bridgeman Images. Celui de luvre
de KimTschangYeul illustrant le texte de Hwang
Sok-yong Un kimchijeon pleurer (juin,
page 19), la galerie Baudoin Lebon.
COURRICOURRIER DES LER DES LECTECTEURSEURS
amne considrer comme presque cri-
minelle labsence de prescription de sta-
tines en cas dhypercholestrolmie, bien
que, dans la majorit des cas, le bnfice
soit au mieux minime. Lindustrie phar-
maceutique est omnipotente : elle impose
le contrle de plus en plus strict de ces
facteurs de risque, contrle la recherche,
cre de nouvelles maladies , comme
lostoporose ou la carence en vitamine D,
inonde le march de mdicaments sans
intrt grce un marketing aussi agressif
quefficace dont le cot est valu 5 mil-
liards deuros par linspection gnrale des
affaires sociales, soit peu prs le dficit
de lassurance-maladie. Le cot financier,
celui du marketing, se retrouve dans le
prix des mdicaments, et le cot humain
faut-il rappeler les scandales sanitaires
qui se succdent ? va croissant, avec la
complaisance coupable des agences dites
rgulatrices. Non, dcidment, lenjeu
nest pas lintrt gnral face lintrt
particulier, mais lintrt de lindustrie
pharmaceutique face lintrt gnral et
lintrt particulier.
3LE MONDE diplomatique JUILLET 2014
UNE MME TIQUETTE POUR TOUS LES OPPOSANTS AUX POLITIQUES DE BRUXELLES
Populisme , itinraire dun mot voyageur
PAR GRARD MAUGER *
Les lections europennes de mai dernier ont vu la monte en
puissance de partis hostiles aux politiques menes au sein de
lUnion. Au-del de cette opposition, rien ne rapproche ces forma-
tions : les unes actualisent lidologie nationaliste et conservatrice
de lextrme droite, tandis que les autres se revendiquent de la
gauche radicale. Une distinction que les commentateurs ngli-
gent. Comment une telle confusion a-t-elle pu simposer ?
la fois peu et beaucoup: sil est vrai que le
premier parti des couches populaires reste
celui de labstention (11), une partie dentre
elles votent lextrme droite, convaincues
que lon ne fait rien pour elles et que les
eux den haut et les eux den bas
prosprent leurs dpens (12). Dans ce
cas, le succs de loffre du FN illustre la
capacit de ce parti entretenir la confusion
entre peuple-ethnos et peuple-dmos. Et
former entre des fractions de classes
moyennes et de classes populaires une
alliance dirige la fois contre les trs
pauvres et les trs riches une stratgie
galement dploye en Russie par
M. Poutine.
la loyaut, labsence de calcul, la
gnrosit, la haine des privilges. Cest
partir de ces dispositions quils
dveloppent leur vision de la socit future,
ce qui explique que lide dgalit soit au
cur du socialisme des proltaires (10).
On ne saurait pourtant prtendre que les
discours scuritaires et xnophobes du FN
sont sans cho auprs des classes populaires.
Lors des dernires lections europennes, si
65% des ouvriers se sont abstenus (comme
68% des employs et 69% des chmeurs),
plus de 40% de ceux qui ont vot auraient
choisi ce parti, soit environ15%decegroupe
dans son entier (selon linstitut Ipsos). Cest
* Sociologue.
Deux visions du peuple
(1) Philippe Roger, Le roman du populisme, dans
Populismes, Critique, n
o
776-777, Paris, janvier-
fvrier 2012.
(2) Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, Le
Savant et le Populaire, Gallimard-Seuil, Paris, 1989.
(3) LudwigWittgenstein, Le Cahier bleu et le Cahier
brun, Gallimard, Paris, 2004 (1
re
d. : 1965).
(4) Pierre-Andr Taguieff, LIllusion populiste.
De larchaque au mdiatique, Berg International,
Paris, 2002.
(5) Lire Serge Halimi, Le populisme, voil
lennemi !, Le Monde diplomatique, avril 1996.
(6) Nonna Mayer, Le populisme est-il fatal ? ,
Populismes, Critique, op. cit.
(7) Cest ce que propose Jacques Rancire avec
Lintrouvable populisme, dansQuest-ce quunpeuple?,
LaFabrique, Paris, 2013.Quant aux Vingt-quatre notes
sur les usages dumot peuple proposes dans lemme
ouvrage parAlainBadiou, on peut sans trop de difficults
les rduire trois: national, ouvrier, racial.
(8) Cf. Robert Castel, Pourquoi la classe ouvrire
a perdu la partie , dans La Monte des incertitudes.
Travail, protections, statut des individus, Seuil, 2009.
(9) Sur cette distinction entre established et outsiders,
cf. Norbert Elias et John L. Scotson, Logiques de
lexclusion. Enqute sociologique au cur des
problmes dune communaut, Fayard, Paris, 1997
(1
re
d. : 1965).
(10) The New EnglishWeekly, Londres, 16 juin 1938.
Cit par Jean-ClaudeMicha,Orwell, anarchiste tory,
Climats, Castelnau-le-Lez, 2000.
(11) Lire Cline Braconnier et Jean-Yves Dormagen,
Ce que sabstenir veut dire, LeMonde diplomatique,
mai 2014.
(12) Robert Castel, Pourquoi la classe ouvrire a
perdu la partie, op. cit.
(13) Le beauf est un personnage de bande dessine
invent par Cabu dans les annes 1970. Il incarne un
idal-type raciste, sexiste et homophobe. A la mme
poque, la bande dessine de Binet Les Bidochonmet
en scne des personnages du mme genre.
latent entre tablis et marginaux (9) en
jouant sur la peur du dclassement.
Laffiliation revendique des milieux
populaires aux classes moyennes, losten-
tation de lhonntet et la stigmatisation
morale des dlinquants et des tire-au-
flanc permettent de se dmarquer de la
reprsentation dominante qui assimile
classes laborieuses et classes dangereuses.
Cest pourquoi la droite propose des
mesures comme la limitation de limmi-
gration dite de travail , ou affiche sa
volont de plafonner les revenus des bnfi-
ciaires de minima sociaux et de les
astreindre des travaux dintrt gnral.
Elle prserve ainsi la spcificit de celui
qui travaille dur et favorise lalliance
entre une fraction dclinante des classes
dominantes (le petit patronat) et la fraction
tablie des classes populaires.
Dans la version de gauche, au contraire,
le peuple dsigne le peuple ouvrier, le petit
peuple clbr par JulesMichelet, le peuple-
plbe, ceux den bas ; et, sur un plan
politique, le peuple mobilis, oppos
ceux den haut , la bourgeoisie, aux
classes dominantes, lestablishment, aux
privilgis, aux dtenteurs des pouvoirs
conomique, politique, mdiatique, etc.
Quant aux contours de ce peuple
populaire , si la classe ouvrire en a
longtemps t le centre, lavant-garde (le
populisme devenant alors ouvririsme), ils
incluent galement les employs des
femmes, dans leur crasante majorit et,
au-del, une fraction plus oumoins tendue
de la paysannerie et de la petite bourgeoisie
(enseignants, personnels de sant, techni-
ciens, ingnieurs, etc.). Soit, dans le cas
franais, plus des trois quarts des actifs,
dont les seuls ouvriers et employs
reprsentent la moiti. Nous sommes le
parti du peuple, disait le dirigeant commu-
nisteMauriceThorez le 15 mai 1936 (avant
que ce parti ne devienne, plusieurs
dcennies plus tard, celui des gens, selon
M.Robert Hue). Dinspiration plus ou
moins marxiste, ce genre de populisme,
dfenseur des classes populaires en tant
quexploites, opprimes, en lutte contre
les classes dominantes, se prsente souvent
comme socialiste.
Les reprsentations qui sous-tendent les
appels au peuple-ethnos (populisme
national) et celles qui invoquent au contraire
le peuple-plbe (populisme socialiste)
sopposent comme la droite soppose la
gauche. Mais les avocats dun populisme
populaire cultivent volontiers tant par
conviction que par ncessit une vision
enchante, parfois esthtisante, dun peuple
idalis. Ils prtent lhomme ordinaire,
travailleur exploit et domin, une reven-
dication spontane dgalit. Ils postulent
un ensemble de vertus indissociables de
lethos populaire traditionnel : solidarit,
authenticit, naturel, simplicit, honntet,
bon sens, lucidit, sinon sagesse. Ces
qualits sont cristallises dans la notion de
dcence commune (common decency)
chre lcrivain britannique George
Orwell : Les travailleurs manuels, dans
une civilisation industrielle, possdent un
certain nombre de traits qui leur sont
imposs par leurs conditions dexistence:
EN circulant ainsi dun champ lautre,
dun sicle lautre, dun continent
lautre, le label semble avoir perdu toute
consistance. De sorte que ceux qui sem-
ploient en expliquer le sens commettent,
selon le mot du philosophe Ludwig Witt-
genstein, une erreur classique : essayer,
derrire le substantif, de trouver la subs-
tance (3). Car prtendre dfinir le popu-
lisme, comme le propose le politiste Pierre-
Andr Taguieff (4), par lappel direct au
peuple nexclut videmment personne au
sein des socits occidentales : une telle
dmarche est inhrente la dmocratie,
gouvernement du peuple, par le peuple et
pour le peuple. Et, mme si lon rserve
le label populiste un style dappel privi-
lgiant la proximit et cultivant le charisme
du chef grand renfort de propagande tl-
vise, on voit mal quel dirigeant actuel
pourrait y chapper (5). De mme, dfinir
le populisme comme un encouragement
la rvolte contre les lites (conomiques,
politiques, mdiatiques) conduirait inclure
au nombre des suspects M. Franois
Hollande, lorsque, la tribune du Bourget,
le 22 janvier 2012, il dnonait son vri-
table adversaire: le monde de la finance,
qui na pas de nom, pas de visage, ou
M. Nicolas Sarkozy annonant Toulon
la fin dun capitalisme financier qui
avait impos sa logique toute lcono-
mie et avait contribu la pervertir
(25 septembre 2008).
La politologue NonnaMayer estime que
la caractristique la mieux partage des
mouvements europens qualifis de
populistes dans les analystes postlectorales
serait la xnophobie (6): dans la mosaque
europhobe compose par Le Monde
(28 mai 2014), quatorze des seize partis
mentionns sont anti-immigrs. Mais des
ditorialistes, assimilant la contestation
des institutions europennes une forme
dhostilit aux trangers, accolent
galement ltiquette populiste la gauche
radicale grecque, espagnole ou franaise
(Syriza, Podemos, Front de gauche),
pourtant peu suspecte de racisme. Il faut
alors sinterroger sur leurs reprsentations
du peuple et questionner la substitution
dun label par lautre.
Schmatiquement, on peut distinguer
trois figures du peuple (7). Populisme
drive du latin populus, et dmocratie
se forme sur la racine grecque dmos, les
deux mots signifiant peuple. Le peuple
auquel fait rfrence la dmocratie est le
corps civique dans son ensemble, le peuple-
nation. Do une drive toujours possible
vers le nationalisme dont une forme
contemporaine, moins fustige que lautre,
exalte la comptitivit de la France dans
un monde globalis . Quant au peuple
auquel sadressent les populistes, il
correspond deux dfinitions distinctes.
Dans la version de droite, il est ethnos
plutt que dmos : peuple envahi ou
menac denvahissement, il soppose
ltranger et limmigr. Plus ou moins
ouvertement xnophobe et, dans la France
contemporaine, antiarabe ou islamophobe,
il dfend lidentit du peuple-ethnos,
suppos culturellement intact et homogne,
contre des populations issues de limmi-
gration et supposes inassimilables. Il se
prsente comme national. A cet gard,
bien quopposes sur lEurope et la
mondialisation, les stratgies lectorales
de lUnion pour un mouvement populaire
(UMP) et du FN sont identiques. Pour
nouer une alliance a priori improbable,
mais lectoralement ncessaire, avec les
classes populaires, il sagit, dans cette
version de droite, de substituer leur vision
du monde, eux (ceux den haut) /nous
(ceux den bas), une approche opposant
un nous (ceux den bas) ceux
qui ne travaillent pas et ne veulent
pas travailler (chmeurs, immigrs,
bnficiaires de laide sociale) ; bref de
mobiliser contre un eux au-dessous du
nous (8). On ractive ainsi le conflit
GRARD FROMANGER. La Vie et la Mort du peuple , de la srie Hommage Franois Topino-Lebrun , 1975-1977
BRIDGEMANIMAGES
Une plbe mal votante livre ses pulsions
CE genre de projet politique profite du
racisme de classe que manifestent sans
mme sen apercevoir ceux qui font
profession de le commenter. Sous leurs
plumes, ce peuple mal votant, implicite-
ment rduit ltat de populace, ptirait
dune propension inne la fermeture, au
repli sur soi, dun ressentiment acquis de
mauvais lve vis--vis des lites (quat-
testerait son bas niveau de diplme) et
dune inculture politique : ses pulsions,
sa crdulit, son irrationalit supposes
le porteraient vers les propositions
simplistes et en feraient une proie facile
pour les dmagogues. A contrario, ce
discours rserve auxdites lites les vertus
douverture, dintelligence, de subtilit et
de supriorit morale. La dnonciation du
peuple populaire incarn par la figure du
beauf (13), machiste, homophobe,
raciste, islamophobe, etc., renoue ainsi
avec la philosophie conservatrice de la fin
du XIX
e
sicle et sa mfiance envers les
foules et la dmocratie celle dHippolyte
Taine et de Gustave Le Bon. Elle dduit
ces turpitudes par simple inversion des
vertus dont elle crdite les lites ,
lesquelles, par construction, sont suppo-
ses rigoureusement impermables ce
type de dvoiements.
De sorte que, aujourdhui comme hier,
deux reprsentations diamtralement
opposes du populaire saffrontent : le
racisme de classe des uns sert dnoncer
le populisme des autres.
candidat du Front de gauche llection
prsidentielle de 2012, le bras lev, arborant
lune et lautre un brassard rouge et lisant
le mme discours : Tous pourris !
Dans le champ littraire, le mot
populisme fait son apparition en
franais en 1929 : parti pris dcriture
insurg contre le roman bourgeois mais
apolitique, oppos aux crivains commu-
nistes et leurs images dEpinal prolta-
riennes, ce mouvement littraire se propose
de dcrire simplement la vie despetites
gens (1).
Dans lunivers des sciences sociales,
port par une intention politique de
rhabilitation du populaire, il applique
le relativisme culturel ltude des
cultures domines (Volkskunde ou
Proletkult). Ignorant ou minorant les
rapports objectifs de domination, il crdite
les cultures populaires dune forme
dautonomie et clbre leur rsistance,
jusqu inverser la hirarchie des valeurs
et proclamer l excellence du
vulgaire . Mais il prend aussi le contre-
pied dune forme courante de mpris qui
renvoie les classes domines linculture,
la nature, sinon la barbarie. Caract-
ristique de la bourgeoisie et de la petite
bourgeoisie cultive, ce racisme social
se fonde sur la certitude propre une
classe de monopoliser la dfinition cultu-
relle de ltre humain, et donc des
hommes qui mritent pleinement dtre
reconnus comme tels (2) .
A LAVANT-VEILLE du scrutin euro-
pen du 25 mai dernier, lors de son
dernier meeting de campagne, Villeur-
banne, le premier ministre Manuel Valls
lanait solennellement un appel
l insurrection dmocratique contre les
populismes . Populisme : qui na pas
entendu cent fois dans la bouche des
sondeurs, des journalistes ou des socio-
logues ce mot o lon enferme ple-mle
les opposants de droite ou de gauche,
votants ou abstentionnistes aux
politiques mises en uvre par les insti-
tutions europennes ?
Linconsistance du substantif tient pour
partie la diversit de ses usages. Dans le
monde politique, lhistoire du label rvle
ltendue du spectre quil recouvre : de la
vision enchante des paysans que charrie
le populisme russe (narodniki) la rvolte
des fermiers du Peoples Party aux Etats-
Unis la fin duXIX
e
sicle, des populismes
latino-amricains (GetlioVargas au Brsil,
Juan Pern enArgentine) aumaccarthysme,
du poujadisme au lepnisme au XX
e
sicle,
de M.Vladimir Poutine Hugo Chvez
lre de la mondialisation, du United
Kingdom Independence Party (UKIP)
Aube dore dans lEurope du XXI
e
sicle,
ou de M
me
Marine Le Pen M. Jean-Luc
Mlenchon dans lHexagone daujourdhui.
Cette dernire confusion, banalise, a t
illustre (au sens propre) par le dessinateur
Plantu dans lhebdomadaire LExpress
(19 janvier 2011), lorsquil reprsenta la
dirigeante du Front national (FN) et le
Extrmes
droites :
le dcryptage
DE LA HAINE RACIALE
LA RECHERCHE DE LA RESPECTABILIT
www.monde-diplomatique.fr/mav/134
En vente sur notre boutique en ligne
4AIDE RUSSE OU PLAN DU FMI, KIEV ACCUL PAR SES BIENFAITEURS
Aux racines conomiques du conflit ukrainien
nomie ukrainienne sur le long terme. Celle-
ci est enferme de longue date dans des
productions faible valeur ajoute.Dabord
ses matires premires et ses produits
semi-finis que le pays exporte vers
lEurope et lAsie, mais galement ses
produits transforms destination de la
Russie. A la fin des annes 2000, deux
projets dintgration rgionale prennent
forme et conduisent le pays un dilemme:
association avec lUnion europenne ou
Union douanire avec la Russie? Les termes
de ce choix contraint ignorent la cohsion
conomique et sociale de lUkraine, tiers
exclu de cette logique binaire.
Depuis mai 2009, lUnion europenne
propose un partenariat lUkraine, la Bilo-
russie, laMoldavie, lArmnie, la Gorgie
et lAzerbadjan. Loffre ne stend pas la
Russie, avec laquelle les ngociations de
partenariat stratgique sont enlises depuis
la guerre du gaz de 2006. Pour lUkraine,
le rapprochement passe par la signature
dun accord de libre-change complet et
approfondi (Aleca).
M. Poutine ragit en ressuscitant un projet
dintgration des pays de la Communaut
des Etats indpendants (CEI) qui regroupe
danciennes rpubliques sovitiques , avec
en point de mire une Union conomique
eurasiatique (3). Son plan progresse vite :
ds 2010, la Russie, le Kazakhstan et la
Bilorussie proclament lentre en vigueur
duneUnion douanire. Du fait de limpor-
tance de la Russie dans ses changes
extrieurs (prs de 30%), lUkraine ne peut
faire la sourde oreille. En octobre 2011,
M. Ianoukovitch signe le trait de libre-
change intra-CEI. Il propose ensuite une
configuration 3+1 aux pays de lUnion
douanire, mais continue de donner la
priorit lAleca. Cette valse-hsitation
irrite les dirigeants russes, qui rejettent sa
contre-proposition (4).
En 2013, la pressionmonte de toute part.
La Russie dveloppe une rhtorique anti-
Aleca. SelonM. Sergue Glaziev, conseiller
du prsident Poutine, la signature de laccord
avec lUnion europenne serait un acte
suicidaire qui reviendrait tuer la
balance commerciale ukrainienne (5).
Une raction protectionniste de lUnion
douanire devenant invitable, les expor-
tations vers la Russie de produits agroali-
mentaires et de biens dquipement (soit
50% du total) plongeraient. M. Glaziev
laffirme: La premire option [lUnion
douanire] assurera les conditions nces-
saires au dveloppement durable de lco-
nomie ukrainienne et amliorera ses struc-
tures; la seconde [lAleca] provoquera sa
dgradation et sa banqueroute (6).
Les arguments de cet oracle sont aussi
fragiles que leur cho est puissant enRussie.
Le Kremlin joint le geste la parole : des
confiseries ukrainiennes (celles de lentre-
prise Roshen, qui appartient M. Petro
Porochenko, devenu prsident du pays en
mai 2014), puis dautres produits sont
dclars dangereux pour la sant desRusses.
JUILLET 2014 LE MONDE diplomatique
PAR JULIEN VERCUEIL *
Elu le 25 mai la prsidence de lUkraine, loligarque
Petro Porochenko devra rpondre aux tentations sces-
sionnistes des rgions russophones, tout en assumant les
consquences sociales du programme concoct par le Fonds
montaire international. La prise en compte des dimensions
conomiques de la crise, souvent ignores, permet de mieux
comprendre pourquoi le pays a sombr dans la violence.
Pied de nez et volte-face
ON peut voir dans la crise politique
ukrainienne le dnouement dramatique
dune trajectoire financire devenue insou-
tenable au cours des derniers mois de 2013.
En juillet 2010, le gouvernement signait un
accord avec le Fonds montaire interna-
tional (FMI). En change dun prt de
15,5 milliards de dollars, il sengageait
notamment faire passer lge de la retraite
de 55 60 ans alors que lesprance de
vie reste infrieure de dix ans la moyenne
europenne et doubler les prix intrieurs
de lnergie. Six mois plus tard, laccord
tait gel : le gouvernement rechignait
augmenter les tarifs du gaz.
Le pays sest alors lanc dans une fuite
en avant. Lactivit ntait plus soutenue
que par la consommation des mnages,
alimente par lendettement priv et par
une hausse des dpenses sociales destine
calmer les mcontentements (+16% en
2012). En dpit des alternances politiques,
lconomie ukrainienne ptit de labsence
de consolidation institutionnelle depuis
la fin de lURSS. Lvasion fiscale, la
corruption et la prdation prvalent jusque
dans les plus hautes sphres de lEtat. Le
secteur informel pserait entre 25 et 55%
Le risque dun effet domino
(1) Fonds montaire international, communiqu de
presse n
o
13-419, Washington, DC, 31 octobre 2013.
(2) Lire Sbastien Gobert, LUkraine se drobe
lorbite europenne , Le Monde diplomatique,
dcembre 2013.
(3) Lire Jean Radvanyi, Moscou entre jeux
dinfluence et dmonstration de force, LeMonde diplo-
matique, mai 2014.
(4) Convergences et divergences dans lespace
eurasiatique. Panorama conomique, dans Jean-Pierre
Pag (sous la dir. de), Tableau de bord des pays
dEurope centrale et orientale et dEurasie, Les Etudes
du CERI, n
o
202, Paris, dcembre 2013.
(5) Russia weighing tougher Ukraine sanctions,
Ukrainian Journal, Kiev, 18 aot 2013.
(6) Sergue Glaziev, Who stands to win? Political
and economic factors in regional integration, Russia
in Global Affairs, Moscou, 27 dcembre 2013.
(7) Trade sustainability impact assessment of the free
trade area in the framework of the enhanced agreement
between the EU and Ukraine, Rotterdam, 5 avril 2007.
(8)A savoir : tous les agents ont la mme rationalit ;
tous les marchs sont parfaitement concurrentiels ;
toutes les entreprises fonctionnent pleine capacit
de production ; les facteurs de production sont parfai-
tement substituables ; les dsquilibres extrieurs sont
immdiatement corrigs.
(9) Piotr Koscinski et Ievgen Vorobiov, Do
oligarchs in Ukraine gain or lose with an EU
association agreement ? , PISM Bulletin, n
o
86 (539),
Varsovie, 19 aot 2013.
(10) Address by H. E. Carl Bildt, the Swedish
foreign minister, after receiving the inaugural Bela
Foundation award , The Bela Foundation, Bruxelles,
9 dcembre 2009, www.bela-foundation.eu
(11) Lire notre dossier sur le grand march trans-
atlantique, www.monde-diplomatique.fr/GMT
(12) Ukraine , IMF Country Report, n
o
14-106,
FMI, mai 2014.
(13) Lire Jean-Arnault Drens et Laurent Geslin,
Ukraine, dune oligarchie lautre , Le Monde
diplomatique, avril 2014.
*Matre de confrences en conomie, Institut national
des langues et civilisations orientales (Inalco).
FIN octobre 2013, unemission du FMI se
rend Kiev. Elle pose ses conditions: soit
le gouvernement laisse flotter la hryvnia,
rduit ses dpenses, augmente immdia-
tement et significativement les prix du gaz
et du chauffage pour les mnages et adopte
un calendrier pour des hausses supplmen-
taires jusqu ce que les cots soient
couverts (1) ; soit le programme dassis-
tance nest pas sign, privant lUkraine de
10 15 milliards de dollars de devises. La
Commission europenne annonce quelle
apportera 840 millions de dollars suppl-
mentaires en cas daccord avec le FMI.
Les consquences potentielles dun
relvement brutal des prix de lnergie, tant
pour la population que pour lindustrie de
la rgion orientale du Donbass, peuvent
faire hsiter le prsident ukrainien. Lamme
semaine, il rencontre le prsident russe
Vladimir Poutine Sotchi. Sans doute
discutent-ils dj dune solution alternative
celle du FMI. Le 21 novembre 2013,
M.Viktor Ianoukovitch suspend la signature
de laccord dassociation avec lUnion
europenne (2). Cette volte-face dclenche
des rassemblements Madan, la place de
lIndpendance de Kiev.
Les grandes lignes de la proposition
russe ne sont dvoiles que le 17 dcembre,
dans unmouvement tactique deM. Poutine
pour reprendre la main. Son plan prvoit
un prt de 15 milliards de dollars, une
baisse dun tiers du prix du gaz vendu
son voisin et des assouplissements
concernant la dette de Naftogaz envers
Gazprom, le tout sans condition affiche.
Cest un pied de nez au FMI et lUnion
europenne. Mais, aprs le renversement
du pouvoir et le dpart deM. Ianoukovitch,
le 22 fvrier, les nouveaux dirigeants ukrai-
niens reviennent vers le FMI...
Ce retour ne peut tre compris quen
observant linsertion internationale de lco-
Les blocages douaniers qui sensuivent
asphyxient les exportateurs ukrainiens.
De leur ct, les responsables de lUnion
europenne chantent rgulirement les
louanges du libre-change et de lAleca.
Ds 2007, un rapport command par la
Commission europenne concluait oppor-
tunment que louverture du march
combine lamlioration de la gouver-
nance intrieure pourrait conduire
lUkraine une croissance deux
chiffres (7). M. Stefan Fle, commissaire
europen pour la politique de voisinage,
promet aux Ukrainiens six points annuels
de croissance supplmentaires en cas
dassociation avec lUnion europenne.
Mais ces estimations reposent sur des
modles dont les hypothses (8), jamais
questionnes, nont quun lien trs lointain
avec les conditions de fonctionnement de
lconomie du pays.
du produit intrieur brut (PIB), selon les
sources. Le pays na toujours pas retrouv
le niveau de production quavait atteint
lUkraine sovitique (voir graphiques ci-
dessous). Les deux dsquilibres rcurrents
de lconomie, le dficit budgtaire et
celui des comptes extrieurs, ne cessent
de se creuser, sur fond dendettement en
devises.
A lautomne 2013, le gouvernement sait
dj que 3milliards de dollars devront tre
trouvs pour faire face aux chances de
2014, quoi sajoutent 1 milliard dobli-
gations en euros remboursables dans lanne.
En outre, Naftogaz, oprateur public gazier
du pays, accumule plus de 3 milliards de
dollars dimpays auprs de son fournisseur
russe Gazprom. Jusque-l, linflation est
reste faible, en raison de latonie de la
croissance, dune politique montaire
restrictive et de bonnes rcoltes. Mais le
systme financier demeure fragile, et les
pressions sintensifient sur la monnaie
nationale, la hryvnia, dont le taux de change
est survalu depuis plusieursmois. Comme
en Russie en 1998 avant le krach, un mur
de largent est en train de se dresser devant
lUkraine.
Q
UEN pensent les entrepreneurs
influents en Ukraine ? Comme la popu-
lation, ils sont partags. Ds 2013, les
travaux de lInstitut polonais des affaires
internationales prvoient que les princi-
paux bnficiaires de lAleca seront...
M. Porochenko, M. Andri Verevskiy
dont le groupe Kernel exporte vers
lUnion europenne et M. Youri
Kosiouk, gant de la volaille avec Miro-
nivsky Hliboprodukt. Les perdants
seraient les oligarques les plus proches de
M. Ianoukovitch. Son fils, M. Alexandre
Ianoukovitch, M. Rinat Akhmetov et
M. Dmytro Firtach remportent alors 40%
des appels doffres du rgime. Leur rente
politique serait menace par les rgles de
lAleca (9).
Diff icile de ne pas voir, derrire la
pauvret des arguments dploys de part
et dautre, lenjeu normatif de ces projets
dintgration. En 2009, lun de ses plus
zls promoteurs, le ministre des affaires
trangres sudois Carl Bildt, soulignait
lintrt de lAleca, bien au-del dun
simple accord de libre-change : Nous
tendons toute la lgislation sur lnergie,
toute la lgislation sur la concurrence en
Ukraine, en Moldavie, en Serbie, et cela
provoque des transformations tout fait
fondamentales sur la longue dure (10).
En exportant ses institutions, lUnion
europenne prend place dans la concur-
rence par et pour les normes, enjeu majeur
de la mondialisation (11). De son ct, la
Russie a hrit dun systme issu de
lURSS, qui, bien que lacunaire, vieil-
lissant et pesant, encadre encore les
relations conomiques entre les pays de
la CEI. Compte tenu de la contagion que
provoque leur diffusion, une pntration
des normes europennes en Ukraine
risquerait demporter lensemble post-
sovitique par effet domino. La raction
de la Russie relve donc aussi de la lutte
pour la survie dun systme sur lequel son
complexe militaro-industriel repose
toujours largement.
Les affrontements ont aggrav la crise
conomique en 2014. En mobilisant
27 milliards de dollars de prts, dont
17 milliards avancs pour deux ans par le
FMI, laccord sign enmai place lconomie
sous assistance respiratoire. Bien que lajus-
tement soit plus progressif (12) que celui
ngoci en octobre 2013, il provoquera ds
2014 une hausse denviron 50% des prix
de lnergie et un regain dinflation, tandis
que les relations avec la Russie resteront
sous la menace dune nouvelle escalade
protectionniste. A dfaut dune impulsion
budgtaire et en dpit de la dprciation de
la hryvnia, qui limite la pression concur-
rentielle, la chute du PIB devrait atteindre
5%.Onpeut prvoir unemonte desmouve-
ments sociaux, particulirement dans le Sud
et lEst industriels, o ils se mleront aux
conflits sparatistes en cours.
Vainqueur au premier tour de llection
prsidentielle,M. Porochenko a acquis une
lgitimit institutionnelle qui manquait au
gouvernement provisoire.Mais son quipe
doit relever des dfis redoutables. A court
terme, il faut reconstruire le crdit de lEtat
pour aider lconomie sortir de la logique
de prdation (13), tout en contrlant la
viabilit des comptes extrieurs. A long
terme, il est ncessaire de restructurer le
systme financier. Il faut aussi convertir
lune des conomies les plus dispendieuses
du monde (dix fois plus dnergie
consomme par unit de PIB que les pays
avancs) un mode de dveloppement qui
place lefficacit nergtique et la monte
en gamme des productions au cur de
linvestissement.
LUkraine doit disposer du temps
ncessaire la ralisation de ses objectifs
mais galement revitaliser ses relations avec
la Russie. Son inspiration institutionnelle
sera dsormais europenne, avec laccord
dassociation sign le 27 juin 2014. Son
orientation conomique gagnera cependant
rester multipolaire, car les changes avec
la Russie peuvent aider le pays sortir de
lornire.
5LE MONDE diplomatique JUILLET 2014
LE PRSIDENT DU CONSEIL ITALIEN INTRONIS SAUVEUR DE LEUROPE
Matteo Renzi, un certain got pour la casse
son pays en enjambant les fractures idolo-
giques, en rconciliant lentreprise et lEtat,
en mariant lEurope et la fiert
nationale (5). Le 31 mai, M. Renzi, assis
sur le bord dun fauteuil, en jean, la
chemise largement dboutonne, faisait
simultanment la une du quotidien
franais, du Guardian, de La Stampa, de
la Sddeutsche Zeitung et dEl Pas.
Matteo Renzi est-il lhomme qui pourra
sauver lme de lEurope?, interrogeait
le journal britannique.
Le triomphe est pourtant moins clatant
quil ny parat. Si le PD a atteint des
sommets, cest quil a profit de la dislo-
cation de la coalition centriste, jadis dirige
par M. Mario Monti, pour absorber ses
voix. Le poids de lalliance de centre-
gauche qui gouverne actuellement lItalie
a donc peu vari. De plus, leffritement du
parti Forza Italia de M. Silvio Berlusconi
et du Mouvement 5 toiles (M5S) de
M. Giuseppe ( Beppe) Grillo sexplique
moins par le pouvoir dattraction du PD
que par labstention (41 %, en hausse de
six points depuis 2009), ainsi que par la
progression de la Ligue du Nord (proche
du Front national) et de la liste de gauche
LAutre Europe avecTsipras (6), toutes
deux qualifies deurosceptiques. Le
rsultat deM. Renzi tmoigne donc surtout
dun rquilibrage des forces et dune
simplification interne la coalition gouver-
nementale.
PAR RAFFAELE LAUDANI *
Lhomme providentiel dhier a du ? Un autre apparat,
porteur de tous les espoirs. Dernier exemple en date : lIta-
lien Matteo Renzi, qui a fait des envieux quand son parti
est arriv largement en tte dans la Pninsule lors des lec-
tions europennes du 25 mai dernier. Jeune et charisma-
tique, lhomme dtiendrait la cl du salut pour une social-
dmocratie europenne bout de souffle.
AU SOIR du 25 mai, lors de lan-
nonce des derniers rsultats des lections
europennes, un score enchanta les
mdias : celui enregistr par M. Matteo
Renzi. Le prsident du conseil italien
pouvait en effet se vanter dtre lun des
rares dirigeants du continent sortir
renforc du scrutin. En obtenant 41 %
des suffrages, le Parti dmocrate (PD) ne
se contentait pas de battre le record tabli
gauche par le Parti communiste italien
(PCI) dEnrico Berlinguer aux lections
lgislatives de 1976 (34 %) : il obtenait
aussi quinze points de plus que lors du
scrutin national de 2013.
En mars 2014, dj, le banquier
daffaires franais Matthieu Pigasse le
citait comme une source dinspiration (1)
le magazine Les Inrockuptibles, dont
M. Pigasse est propritaire, prsentait
lancien maire de Florence comme un
dirigeant jeune, hyperactif, radical et
ambitieux, susceptible de ressusciter
lItalie (2). Mais, ce soir-l, M. Renzi se
hissait au rang de meilleur espoir de
lEurope rformiste pour Les Echos (3),
et celui de leader indiscutable de
lEurope pour El Pas (4). Un nouveau
modle venait dapparatre, en mesure
de rhabiliter lide europenne tout en
contrant la monte de lextrme droite.
LeMonde ne dguisa pas son admiration
pour un dirigeant capable de rveiller
des retraites approuve par le gouver-
nement Monti, lquipe actuelle semble
navoir nullement lintention de lamodifier.
Le ministre de lconomie Pier Carlo
Padoan sest dailleurs dclar favorable
une augmentation progressive de lge
de la retraite, car, selon lui, il est faux
de dire que les seniors volent le travail des
jeunes (11).
M. Renzi bnficie dun crdit certain,
quil compte utiliser pour imposer les
rformes que ses prdcesseurs ne sont
pas parvenus mettre en uvre. Il jouit
dune couverture mdiatique importante,
tant dans la presse italienne quinterna-
tionale ; il a le soutien de personnalits de
renom, tels M. Diego Della Valle, le
propritaire de la marque Tods, ou les
hommes daffaires Flavio Briatore et Carlo
De Benedetti. Son dernier supporteur en
date nest autre que ladministrateur
dlgu de la Fiat, M. SergioMarchionne :
Le programme Renzi est le seul possible.
Jespre quils lcouteront (12).
Une fois parvenu au gouvernement,
M. Renzi na dailleurs pas manqu de
manifester sa reconnaissance ses riches
soutiens, en soulageant de 23 millions
deuros dimpts le groupe Sorgenia,
proprit de la famille De Benedetti. Celle-
ci contrle entre autres le groupe ditorial
LEspresso, dont fait partie le quotidien
La Repubblica ce qui explique peut-tre
le traitement particulirement favorable
que lui rserve le journal.
Limage de la casse si chre au
prsident du conseil est parfaitement
adapte au renouveau quil propose : de
mme que les primes offertes pour les
voitures ou les appareils lectromnagers
dtruits ne font quaccorder une bouffe
doxygne aux entreprises, le renouveau
promis est ncessairement usage unique,
destin une rapide rosion. M. Renzi
devra mettre en musique une difficile
partition politique : apporter des amlio-
rations concrtes au sort des classes les
moins favorises, tout en garantissant les
intrts composites des actionnaires majori-
taires de son leadership la classe politique
de droite et de gauche, qui ne veut pas
renoncer ses privilges, les groupes finan-
ciers, le barreau italien... Le tout en vitant
de trop scarter de lvangile nolibral
et des exigences de la troka europenne.
Et il devra y parvenir rapidement. Car la
mise au rebut npargne pas forcment ses
meilleurs promoteurs...
Le bonus de 80 euros mensuels accord
jusqu la fin de lanne aux dix millions
de travailleurs gagnant moins de
1500 euros apparat surtout comme une
initiative symbolique qui dissimule mal
la continuit entre M. Renzi et ses prd-
cesseurs. La mesure nest pas ruineuse,
et elle a permis au prsident du conseil
dapparatre comme un contempteur de
laustrit prne par Bruxelles, ce dont
il a pu se targuer pendant la campagne
europenne.
Pourtant, derrire les apparences, le
rottamatore se fait le promoteur dun
blairisme vintage tranger la tradition
sociale-dmocrate.Ainsi, le rcent dcret
sur le travail quil a rebaptis Jobs
Act accentue la prcarisation en allon-
geant de douze trente-six mois la dure
des contrats dure dtermine sans
motivation, et en autorisant leur renouvel-
lement jusqu huit fois. De mme, en
dpit de son hostilit de faade la rforme
* Professeur dhistoire de la pense politique luni-
versit de Bologne.
Un langage empreint de fanfaronnades
(1) Christine Lejoux, Aucune conomie na jamais
renou avec la croissance par des politiques daus-
trit, La Tribune, Paris, 29 mars 2014. M.Pigasse
est par ailleurs actionnaire du Monde.
(2) Olivia Mller, Mais qui es-tu Matteo Renzi?,
Les Inrockuptibles, Paris, 6 avril 2014.
(3) Matteo Renzi et le syndrome du matador en
Europe, Les Echos, Paris, 4 juin 2014.
(4) Si hacemos reformas crebles, el popu-
lismo ya no tendr futuro, El Pas, Madrid,
30 mai 2014.
(5) Franoise Fressoz et Philippe Ridet, Manuel
Valls en rve, Matteo Renzi la fait , Le Monde,
11 juin 2014.
(6) M. Alexis Tsipras, dirigeant du parti de gauche
grec Syriza et candidat du Parti de la gauche europenne
aux lections europennes de mai dernier.
(7) Maurizio Tropeano, Abbiamo i potenti pi
vecchi dEuropa. Politici e manager sfiorano i 60 anni,
La Stampa, Turin, 17 mai 2012.
(8) Francesco Bei, Renzi-Berlusconi adArcore. Il
Cavaliere : Tu mi somigli, La Repubblica, Rome,
7 dcembre 2010.
(9) Lire Encore un homme providentiel pour
lItalie, Le Monde diplomatique, septembre 2012.
(10) Zagrebelsky : Renzismo? Maquillage della
Casta. E il Colle favorisce la conservazione, Il Fatto
Quotidiano, Rome, 9 mars 2014.
(11) Pensioni, Pier Carlo Padoan : Sonofavorevole
a un graduale aumento dellet pensionabile, LHuf-
fington Post, 31 mai 2014, www.huffingtonpost.it
(12) Marchionne : Lagenda Renzi lunica
possibile, spero lo ascoltino, La Stampa,
1
er
juin 2014.
M. Grillo gre les parlementaires du
M5S, promus ou excommunis selon
lhumeur du chef charismatique. Dans
les deux cas, les lus apparaissent inter-
changeables, avec en toile de fond lide
que le Parlement ne sert rien.
Ds les premiers mois de son mandat,
M. Renzi sest f ix deux priorits,
sur lesquelles se concentre la communi-
cation gouvernementale : les rformes
lectorales et institutionnelles et la
rduction des privilges de la classe
politique. Pour linstant, les rsultats
obtenus sont mdiocres. Loffensive contre
le train de vie des dirigeants du pays sest
simplement traduite par la vente aux
enchres de voitures de fonction (Alfa
Romeo, Maserati, etc.). Largement
couverte par les mdias, cette opration
a remport un succs symbolique : les
automobiles sont parties comme des
petits pains car, si les Italiens se mfient
des hommes de pouvoir, ils aiment
leur ressembler...
Quant aux rformes du systme lectoral
et du Snat, elles constituent, selon le
prsident du Snat, M. Pietro Grasso, un
risque pour la dmocratie. Le juriste
italien Gustavo Zegrebelsky nest pas seul
estimer que la prime au parti majoritaire
37 % des voix suffiraient pour occuper
trois cent quarante des six cent trente siges
de la Chambre combine laffaiblis-
sement du rle du Snat frlerait lincons-
titutionnalit (10).
Sur les plans conomique et social,
en revanche, le gouvernement sest bien
moins agit.
LE portrait de M. Renzi en rnova-
teur mrite lui aussi dtre nuanc.
Certes, lItalie est un pays notoirement
grontocratique, o les principaux postes
sont aux mains de sexagnaires. Daprs
une tude publie en 2012 par luniversit
de Calabre, lge moyen de la classe diri-
geante y tait alors le plus lev dEurope :
59 ans, avec des pointes 63 ans pour les
professeurs duniversit, 64 ans pour les
ministres et 67 ans pour les dirigeants de
banque (7). Dans ce contexte, le profil du
jeune loup peine quarantenaire a toutes
les chances de sduire un lectorat lass
par des dirigeants largement dlgitims.
Mais le renouveau propos parM. Renzi
a peu voir avec la gauche et son histoire.
Le prsident du conseil est dailleurs
totalement tranger la tradition de gauche.
Il nest jamais pass par le PCI, ni par son
successeur, le Parti dmocratique de la
gauche (PDS). Fils dun homme politique
dmocrate-chrtien de Toscane, il a
commenc sa carrire dans une formation
dinspiration catholique et modre, la
Marguerite.
Cest presque fortuitement, en 2007,
quand le PDS et la Marguerite fusionnent
pour donner naissance au PD, quil fait son
entre dans la famille de la gauche italienne.
Sa participation aux primaires dmocrates
pour la mairie de Florence, contre le
candidat du secrtariat national du parti,
peut ainsi sinterprter comme une sorte
dOPA sur une formation laquelle il sest
toujours senti tranger et qui la longtemps
peru comme tel. Lopration se concrtise
en fvrier 2014 : il sempare du gouver-
nement la faveur dun coup de force au
sein de son parti qui lui permet de destituer
son camarade, M. Enrico Letta. Contre-
disant ainsi ses nombreuses dclarations
dans lesquelles il affirmait son refus
daccder au pouvoir sans passer par
llection et la lgitimation populaire...
Le renouveau tant vant ne se situe donc
pas dans la capacit de M. Renzi tenir
parole, mais repose presque entirement
sur limage et la communication politique.
Il passe par un langage direct, empreint
de fanfaronnades, par un usage immodr
de la tlvision et des nouveaux mdias
en particulier Twitter , et par un got
irrvrencieux pour la rupture du protocole
institutionnel. Lancien publicitaire renou-
velle ainsi la politique italienne... en
portant des jeans.
De ce point de vue, il est un hritier de
M. Berlusconi, qui savait parfaitement
manipuler les mdias pour apparatre
comme lhomme des rves et des espoirs.
Depuis leur premire rencontre, en 2010,
le Cavaliere ne cache dailleurs pas
son estime pour son jeune successeur : il
le trouve diffrent des vieilles barbes
de la gauche et lui reconnat une capacit
sortir des sentiers battus , au point
davoir voulu en faire son dauphin la
tte de la coalition italienne de centre-
droite (8).
Le talent de M. Renzi rside dans sa
facult combiner linfluence berlusco-
nienne et les enseignements de M. Grillo
et de son M5S (9) : les promesses se
vendent dautant mieux quelles saccom-
pagnent dune rhtorique antisystme.
Ainsi, le prsident du conseil se prsente
volontiers comme le rottamatore,
lhomme qui envoie la casse , qui
dfie une classe dirigeante commencer
par celle du PD avant tout proccupe
de ses propres intrts.
La preuve? Son gouvernement compte
autant de femmes que dhommes, pour
lessentiel des personnalits sans poids
ni exprience politiques. Sur lexigence
du secrtaire national, chacune des listes
prsentes par le PD aux europennes
tait dirige par une femme, parfois
inconnue du grand public. Cette mthode
rappelle la manire autoritaire dont
MICHEL HERRERIA. La Parole palliative , 2010-2011
GALERIEEVAMEYER,PARIS
www.monde-diplomatique.fr/abojournal
(voir abonnement en page 2)
LLAABBOONNNNEEMMEENNTT
un moyen simple
et rapide
pour soutenir
votre journal
(1) Michael Barbaro et Michael M. Grynbaum,
Republicans cast de Blasio as a leading liberal foe,
The NewYork Times, 14 mai 2014.
(2)Cf.Nathaniel P. Morris, De Blasios tale of two
cities hits home, TheWashington Post, 7 mars 2014.
La formule conte de deux villes reprend le titre
dun ouvrage de Charles Dickens.
(3) Lire Renaud Lambert, Une lection selon
Michael Bloomberg , Le Monde diplomatique,
juin 2010.
(4) Jennifer Gould Keil et Frank Rosario, De Blasio
getting back at us by not plowing : UES residents,
The NewYork Post, 21 janvier 2014.
6
PROCCUP DE LA MONTE DES INGALITS,
Une timide brise de gauche
Quelques jours plus tard, le procs en
communisme prend un tour burlesque.
New York vient dtre frappe par une
spectaculaire tempte de neige ; les routes
sont bloques. Les tablods se prcipitent
la rencontre de citadins irrits par les
problmes de dneigement dans le trs
chic Upper East Side deManhattan. M. de
Blasio leur tourne le dos, sinsurge une
riveraine dans le New York Post. En
refusant de dneiger lUpper East Side, il
dit : Je ne suis pas lun des leurs (4).
La phrase circule sur Internet et passe en
boucle dans les mdias locaux et nationaux
en particulier ceux de M. Bloomberg.
Mais M. de Blasio reste fidle au discours
qui a fait son succs lectoral.
JUILLET 2014 LE MONDE diplomatique
ainsi quune attention constante aux
ingalits de revenus (1).
Ds les primaires dmocrates pour la
mairie de New York, M. de Blasio a en
effet plac les ingalits au centre de son
discours, rptant inlassablement que lhis-
toire de NewYork tait devenue le conte
de deux villes (2) : celle des ultrariches
et celle de tous les autres. Son programme
rsolument social lui a permis de remporter
linvestiture de son parti en devanant
notamment la candidate favorite des
mdias, soutenue par le trs puissant maire
sortant (3) , puis de battre haut la main
(avec 72% des voix) son adversaire
rpublicain, M. Joseph (Joe) Lhota.
PAR ERIC ALTERMAN *
Bien que diriges par des dmocrates, la plupart des grandes
villes amricaines laissent la sgrgation sociale se dve-
lopper et se durcir. A New York, le tout pour les riches
semble toutefois connatre un coup darrt depuis llection,
en novembre dernier, du maire Bill de Blasio. A en juger par
la violence des rsistances qu'il affronte, pour lui le change-
ment nest pas un vain mot.
(1) Sbastien Pommier, Ils veulent sauver le soldat
BNP Paribas, LExpress, Paris, 4 juin 2014.
(2) Susan Strange, States and Markets, Pinter,
Londres, 1988.
(3) Richard McGregor et Aaron Stanley, Banks
pay out $100bn in US fines,FinancialTimes,Londres,
25 mars 2014.
Les Etats-Unis mettent les
EN publiant le 29 mai une infor-
mation selon laquelle lamende inflige
BNP Paribas pourrait slever
10 milliards de dollars, le Wall Street
Journal a produit un choc. La banque est
accuse davoir, entre 2002 et 2009,
enfreint travers sa f iliale suisse les
embargos imposs par les Etats-Unis
Cuba, lIran et au Soudan. Laffaire
au lendemain du 11-Septembre que le
pouvoir amricain face aux banques inter-
nationales sest renforc, dans le cadre de
la guerre financire contre le terrorisme.
La surveillance des flux financiers est
alors devenue plantaire. Nouvel aspect
du privilge exorbitant dont parlait
autrefois le gnral de Gaulle, toutes les
transactions en dollars, mme lorsquelles
nintervenaient pas sur le territoire des
Etats-Unis, tombaient dsormais sous le
coup du droit amricain. Enfin, les
pouvoirs du Bureau de contrle des avoirs
trangers (Office of Foreign Assets
Control, OFAC), charg, au sein du dpar-
tement duTrsor, de la bonne application
des sanctions, nont cess de crotre.
cratives , il a exig que des ttes
tombent .
Cest chose faite depuis queM. Georges
Chodron de Courcel, qui prsidait le
conseil dadministration de BNP Paribas
Genve, ainsi que dautres dirigeant ont
annonc leur dpart. Mais M. Lawsky a
brandi une autre menace : celle dune
interdiction temporaire des oprations de
compensation en dollars des clients de
BNP Paribas, voire le retrait pur et simple
de leur licence.
Laffaire illustre le grand retour des
agences de rglementation financire. En
mars dernier, le quotidien britannique
Financial Times estimait que le montant
des amendes verses aux Etats-Unis par
les banques amricaines et trangres au
cours des cinq dernires annes avait
atteint 100 milliards de dollars. Pour la
seule anne 2013, il sest lev
52 milliards (3). Parmi les amricaines,
JP Morgan Chase, la premire du pays,
dtient le record, avec 13 milliards pays
au titre de sa responsabilit dans la crise
immobilire. Elle sera sans doute talonne
par Bank of America, qui, engage dans
la phase finale des ngociations avec lEtat
illustre de manire spectaculaire lvolu-
tion de la jurisprudence et des pratiques
judiciaires en matire de finance inter-
nationale. Depuis plusieurs mois, deux
autres tablissements franais, la Socit
gnrale et le Crdit agricole, se trouvent
galement en dlicatesse avec les auto-
rits amricaines.
Avant mme cette annonce, le prsident
Franois Hollande avait crit son
homologue amricain pour lalerter du
caractre disproportionn des sanctions
envisages contre BNP Paribas. Quant
M. Christian Noyer, gouverneur de la
Banque de France, il a exprim son
tonnement de voir le droit amricain
sappliquer des transactions conformes
aux rgles, lois, rglementations, aux
niveaux europen et franais, ainsi quaux
rgles dictes par les Nations unies (1).
Peut-tre ne serait-il pas aussi surpris
sil avait mieux observ les volutions
politiques des dernires dcennies. Ds la
fin des annes 1980, alors que le dbat sur
le dclin amricain face la monte du
Japon, en particulier faisait rage, la polito-
logue britannique Susan Strange insistait
sur le pouvoir structurel des Etats-Unis,
ce pouvoir de dterminer les cadres de
lconomie mondiale qui a permis de
choisir et de modeler les structures au sein
desquelles les autres pays, leurs institutions
politiques, leurs entreprises et leurs profes-
sionnels doivent oprer (2).
Au cours des annes 1990, larsenal de
sanctions mis en place durant la guerre
froide lencontre de pays et dindividus
ennemis des Etats-Unis sest consid-
rablement dvelopp. Lextraterritorialit
a franchi un pas, en 1996, avec lIran-Libya
Sanctions Act (ILSA), qui permettait
Washington dimposer des sanctions des
entreprises de pays tiers en affaires avec
lIran et la Libye. Toutefois, cest surtout
PAR IBRAHIM WARDE *
* Professeur associ la Fletcher School of Law and
Diplomacy (Medford,Massachusetts).Auteur dePropa-
gande impriale& guerre financire contre le terrorisme,
Agone - LeMonde diplomatique,Marseille-Paris, 2007.
* Journaliste.
Que des ttes tombent
Lnine, Mao, Ho Chi Minh...
DANS son discours dinvestiture, le
1
er
janvier 2014, il confirma le cap de son
mandat : Nous avons t lus pour mettre
fin aux ingalits conomiques et sociales
qui menacent de dfaire la ville que nous
aimons.ANewYork, o le pouvoir cono-
mique est omniprsent, un tel programme
promet une srieuse course dobstacles.
Sitt la phrase prononce, un ditorialiste
dumagazine en ligne Slate,MatthewYgle-
sias, se fendit dun tweet tout en nuances :
Pour son investiture, de Blasio monte sur
scne en compagnie des corps embaums
de Lnine, Mao et Ho Chi Minh.
Pour remporter la mairie dune ville
aussi multiculturelle, ce fils dimmigrants
a pu compter sur ses origines familiales
(allemandes par son pre, italiennes par
sa mre), ainsi que sur sa situation
conjugale : il est mari uneAfro-Amri-
caine. Sa critique svre des fouilles
policires injustifies (le stop-and-frisk)
que subissent les personnes de couleur a
sduit une partie de llectorat. Mais ce
qui semble avoir assur sa victoire, cest
bel et bien son message conomique,
ciment de son programme.
NewYork est la troisime ville la plus
ingalitaire des Etats-Unis, qui sont eux-
mmes lun des pays riches les plus inga-
litaires dumonde. Dans le quartier deWall
Street, les bonus verss aux traders
164 530 dollars par tte en moyenne en
2013 et les salaires dpassant les
Aprs BNP Paribas, la Deutsche
Bank et le Crdit agricole ? Lan-
nonce dune sanction amricaine
contre la banque franaise alarme
un secteur peu accoutum aux
remontrances.
NEW YORK va-t-elle devenir New
Havana (la nouvelle Havane) ? Depuis
que le dmocrate Bill de Blasio a t lu
la mairie de la principale ville amri-
caine, le 5 novembre 2013, cette crainte
tarraude le Parti rpublicain, qui a
dsign le successeur de M. Michael
Bloomberg comme son principal
ennemi progressiste . Selon le NewYork
Times, les dirigeants rpublicains
voient dans la jeune administration de
M. de Blasio lincarnation de leurs peurs
devant la monte dune nouvelle
gauche . Laquelle se caractriserait
notamment par un ddain populiste
envers les riches, une sympathie affiche
envers les organisations de travailleurs
MAIS les grandes banques interna-
tionales ont nglig ces transformations.
BNP Paribas, mal conseille, a par
ailleurs multipli les maladresses. Elle a
ignor les avertissements, comme la
visite en 2006, son sige parisien, de
M. Stuart Levey, lpoque sous-secr-
taire au Trsor pour le terrorisme et le
renseignement financier, venu mettre en
garde ses dirigeants contre leurs relations
avec lIran. Elle a continu faire des
affaires avec des pays sous embargo, en
particulier le Soudan. Au total, la justice
amricaine a estim 30 milliards de
dollars le montant de ces transactions illi-
cites. La banque a tard le reconnatre,
alors que, dans de tels cas, il est dusage
aux Etats-Unis de courber lchine et de
faire acte de contrition. Elle a donc t
considre comme non cooprative .
Les autorits amricaines auraient brandi
le chiffre de 16 milliards de dollars
damende (environ 10 milliards deuros),
voire celui de 60 milliards de dollars
(puisque les amendes peuvent atteindre
le double du montant des transactions illi-
cites), alors que la banque na provisionn
que 1,1 milliard de dollars.
Directeur du dpartement des services
f inanciers de lEtat de New York, qui
mne le jeu dans cette affaire, M. Benja-
min Lawsky a fait monter les enchres.
Se voulant le chantre de sanctions plus
720millions de dollars par an, comme celui
deM. Lloyd Blankfein, prsident-directeur
gnral de Goldman Sachs, en 2013, ne
suscitent aucun moi. Ladministration
Bloomberg tait entirement dvoue au
bien-tre et au confort de cette minorit
dultrariches, au prtexte quils contribuent
le plus aux recettes fiscales de la ville : 5%
des foyers se partagent 38% des revenus
globaux.
Avec des appartements rgulirement
vendus pour plusieurs dizaines demillions
de dollars une lite mondialise, lle de
Manhattan brille plus que jamais. Mais,
quelques encablures de l, une partie non
ngligeable de la classe moyenne new-
yorkaise bascule lentement dans la pauvret.
Entre 2008 et 2011, daprs les donnes du
Bureau amricain du recensement, le revenu
mdian par foyer a fondu de 6%. Fin 2011,
la moiti des foyer de la ville gagnaient
moins dune fois et demi le revenu dter-
minant le seuil de pauvret ; 17% de celles
dont un membre travaille temps plein, et
5,2% desmnages dont les deuxmembres
occupent un emploi, vivent en dessous de
ce seuil. Au mme moment, les loyers ont
explos. Entre 2005 et 2012, ajust
linflation, le loyer mdian a augment de
11%, alors que le revenu des locataires ne
croissait que de 2%. Selon le centre Furman,
plus de lamoiti des locataires deNewYork
dpensent aumoins un tiers de leur revenu
pour leur logement (5).
La mesure-phare de la campagne de
M. de Blasio, combattue par tous ses
rivaux, est la cration dun fonds spcial
pour lducation universelle ds le plus
jeune ge, financ par une taxe de 0,05%
sur les revenus dpassant 500000 dollars.
La proposition revt surtout un caractre
symbolique : le maire de New York ne
peut dcider seul dune telle ponction
fiscale. Il doit obtenir