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----------------------------------------------------~------- Les microbes et nous Le monde microbien: sa composition, sa nature, sa diversitĂ© et sa place dans la biosphĂšre (suite) A vant de parler plus en dĂ©tail des rapports que les microbes ont avec nous, avec notre corps ou avec notre nourriture, nous donnons un bref aperçu de leur nature. Dans ValĂ©riane nOlll, nous avons vu la place qu'ils occupent au sein du vivant, quelques-unes de leurs principales caractĂ©ristiques et comment ils se reproduisent ... Poursuivons cette prĂ©sentation. PARJEAN-PIERRE GRATIA Comme le montre la figure CD, la cellule bactĂ©rienne comme celle d'un colibacille contient au milieu de son cytoplasme un chromosome et des plasmides, qui sont constituĂ©s de molĂ©cules circulaires d'ADN. Nous pouvions donc nous demander si les bactĂ©ries, dĂ©pourvues de noyaux, pouvaient subir des mutations. Il est aujourd'hui avĂ©rĂ© qu'elles peuvent subir des changements plus ou moins ponctuels et alĂ©atoires de l'information gĂ©nĂ©tique d'une de leurs cellules provenant d'erreurs durant la rĂ©plication de l'ADN ou de l'exposition Ă  des agents mutagĂšnes. Le taux de mutation varie grandement selon les espĂšces ou les souches bactĂ©riennes, et selon l'agent mutagĂšne. Or ces mutations sont souvent dĂ©favorables Ă  la cellule et, mĂȘme si elles sont rĂ©cessives, elles s'expriment dans les cellules haploĂŻdes, comme c'est le cas des bactĂ©ries. Donc, au bout de plusieurs milliards de divisions cellulaires, avec une accumulation d'erreurs lors de la rĂ©plication du gĂ©- nome, les bactĂ©ries auraient dĂ» progressivement pĂ©ricliter. Mais la nature a rĂ©solu le problĂšme ... Le transfert horizontal de gĂšnes En effet, comme les autres organismes, les bactĂ©ries peuvent Ă©changer du matĂ©riel gĂ©nĂ©tique entre elles et donc assurer le maintien d'une bonne constitution gĂ©nĂ©tique. Il existe trois mĂ©canismes de transfert de gĂšnes entre les cellules: o la transformation, qui peut ĂȘtre artificielle ou naturelle, consiste en la pĂ©nĂ©tration d'un fragment d'ADN dans des bactĂ©ries quand elles sont dites compĂ©tentes pour le recevoir; o la transduction, durant laquelle un virus bactĂ©rien, ap- pelĂ© bactĂ©riophage, assure le transfert d'un court frag- ment de chromosome de la bactĂ©rie oĂč s'est dĂ©veloppĂ© le bactĂ©riophage; o la conjugaison au cours de laquelle deux bactĂ©ries peuvent se rapprocher, Ă©tablir un pont entre elles et per- Figure 0 SchĂ©ma de la structure d'une bactĂ©rie, le colibacille (E. Coli) copi loc __ ptido ly n) VALÉRIANE N° 112 59 NATURE & PROGRÈS BELGIQUE

Le monde microbien: sa composition, sa nature, sa

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Les microbes et nous

Le monde microbien:sa composition, sa nature, sa diversitéet sa place dans la biosphÚre (suite)

Avant de parler plus en détail des rapports que les microbes ont avec nous, avec notre corpsou avec notre nourriture, nous donnons un bref aperçu de leur nature. Dans Valériane nOlll,

nous avons vu la place qu'ils occupent au sein du vivant, quelques-unes de leurs principalescaractéristiques et comment ils se reproduisent ... Poursuivons cette présentation.

PARJEAN-PIERRE GRATIA

Comme le montre la figure CD, la cellule bactĂ©rienne commecelle d'un colibacille contient au milieu de son cytoplasmeun chromosome et des plasmides, qui sont constituĂ©sde molĂ©cules circulaires d'ADN. Nous pouvions doncnous demander si les bactĂ©ries, dĂ©pourvues de noyaux,pouvaient subir des mutations. Il est aujourd'hui avĂ©rĂ©qu'elles peuvent subir des changements plus ou moinsponctuels et alĂ©atoires de l'information gĂ©nĂ©tique d'unede leurs cellules provenant d'erreurs durant la rĂ©plicationde l'ADN ou de l'exposition Ă  des agents mutagĂšnes. Letaux de mutation varie grandement selon les espĂšces oules souches bactĂ©riennes, et selon l'agent mutagĂšne. Orces mutations sont souvent dĂ©favorables Ă  la cellule et,mĂȘme si elles sont rĂ©cessives, elles s'expriment dans lescellules haploĂŻdes, comme c'est le cas des bactĂ©ries. Donc,au bout de plusieurs milliards de divisions cellulaires, avecune accumulation d'erreurs lors de la rĂ©plication du gĂ©-nome, les bactĂ©ries auraient dĂ» progressivement pĂ©ricliter.Mais la nature a rĂ©solu le problĂšme ...

Le transfert horizontal de gÚnesEn effet, comme les autres organismes, les bactériespeuvent échanger du matériel génétique entre elles et doncassurer le maintien d'une bonne constitution génétique.Il existe trois mécanismes de transfert de gÚnes entre lescellules:

o la transformation, qui peut ĂȘtre artificielle ou naturelle,consiste en la pĂ©nĂ©tration d'un fragment d'ADN dansdes bactĂ©ries quand elles sont dites compĂ©tentes pourle recevoir;

o la transduction, durant laquelle un virus bactĂ©rien, ap-pelĂ© bactĂ©riophage, assure le transfert d'un court frag-ment de chromosome de la bactĂ©rie oĂč s'est dĂ©veloppĂ©le bactĂ©riophage;

o la conjugaison au cours de laquelle deux bactériespeuvent se rapprocher, établir un pont entre elles et per-

Figure 0Schéma de la structure d'une bactérie,le colibacille (E. Coli)

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loc __

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mettre ainsi le transfert d'un fragment plus ou moinslong de chromosome d'une bactérie dite donatrice àune autre dite réceptrice. La conjugaison requiert leconcours d'un plasmide, le facteur F de fertilité ...

Dans tous les cas, l'ADN introduit peut ĂȘtre intĂ©grĂ© dans legĂ©nome et ĂȘtre transmis aux gĂ©nĂ©rations suivantes. Cetteacquisition de gĂšnes, provenant d'une bactĂ©rie ou d'uneprĂ©paration d'ADN exogĂšne, est appelĂ©e transfert horizon-tal de gĂšnes. Le transfert de gĂšnes est particuliĂšrementimportant pour les raisons invoquĂ©es plus haut mais aussidans les mĂ©canismes de rĂ©sistance aux antibiotiques.

Un quatriÚme mode de transfert génétique, appelé zygo-génÚse spontanée et récemment découvert chez E. coli,représente une forme de sexualité véritable, puisqu'il s'agitde la fusion spontanée de bactéries sous l'effet d'un facteurZ, non identifié, transduit par un virus bactérien défectif.

Evolution et principales spĂ©cificitĂ©sdes micro-organismes dans la natureOn reprĂ©sente actuellement la position des bactĂ©ries dansl'arbre phylogĂ©nĂ©tique comme c'est reprĂ©sentĂ© dans lafigure 0, oĂč on distingue archĂ©obactĂ©ries ou Archaea,divers groupes de bactĂ©ries - mycobactĂ©ries, bactĂ©ries Ă Gram positif et protĂ©obactĂ©ries Ă  Gram nĂ©gatif comme E.coli - et Aquificae, comme Aquifex pyrophilus, que d'aucunsconsidĂšrent comme des bactĂ©ries. Les bactĂ©ries, et lesprocaryotes en gĂ©nĂ©ral, se sont succĂ©dĂ©s Ă  la suite d'uneĂ©volution partiellement rĂ©ductrice Ă  partir d'un proto-eu-caryote descendant du premier ĂȘtre vivant - LCA, last com-mon ancestor -, il Y aurait quelque trois milliards d'annĂ©es.

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Les micro-organismes eucaryotiques - mycĂštes et pro-tistes - sont apparus par la suite. Ils ont une autre organisa-tion gĂ©nomique, puisqu'ils possĂšdent un noyau contenantles chromosomes - ou la chromatine - et une membranenuclĂ©aire rĂ©gulant les Ă©changes avec le cytoplasme, et unautre mode de dĂ©veloppement... Ainsi les champignonsmicroscopiques ou mycĂštes, dont la levure, sont consti-tuĂ©s d'un appareil vĂ©gĂ©tatif appelĂ© thalle, sans tissusfonctionnels ni organes diffĂ©renciĂ©s, et de cellules vĂ©gĂ©ta-tives allongĂ©es et cloisonnĂ©es, les hyphes qui s'associentle plus souvent en mycĂ©lium, sorte de feutrage difficile Ă voir Ă  l'Ɠil nu et le plus souvent impossible Ă  identifieren l'Ă©tat. Leur reproduction est trĂšs discrĂšte, d'apparencecapricieuse, tantĂŽt asexuĂ©e, tantĂŽt sexuĂ©e, et fait intervenirdes cellules spĂ©ciales, les spores (figure 0).

Figure e Cycle de vie de la levure

Chez la levure du pain, ou autre Saccharomyces, les chro-mosomes sont au nombre de seize simples dans la formehaploïde et seize paires dans la forme diploïde. Il existe desgÚnes de structure à information continue comme chez lesbactéries, et des gÚnes à information discontinue - intronset exons - comme chez les organismes supérieurs. Par ail-leurs, les gÚnes de régulation sont spécifiques des levures.Comme chez les bactéries, on peut trouver chez la levuredes plasmides à cÎté des chromosomes, sous la formede petites molécules d'ADN circulaire d'environ six millepaires de bases, présentes entre cinquante et cent exem-plaires par cellule. Ces plasmides sont auto-réplicables etauto-transférables sans affecter la viabilité de la cellule. Ilsportent l'information génétique de quelques caractÚresnon essentiels à la viabilité de la levure. Ils jouent un rÎleconsidérable dans toutes les opérations de génie géné-tique. Comme chez tous les eucaryotes, et non chez lesprocaryotes comme les bactéries, il ya dans le cytoplasmedes mycÚtes des organites appelés mitochondries conte-nant un ADN, également circulaire. Chaque mitochondrierenferme une ou plusieurs molécules circulaires d'ADNqui, principalement, portent l'information de certainesenzymes de la chaßne respiratoire.

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Les protistes rendent d'importants services Ă©cologiques, en particulierpour l'Ă©puration de l'eau, la rĂ©gulation du C02 et des minĂ©raux dansl'eau, et pour la pĂȘche, la rĂ©colte de coquillages et l'aquaculture ‱‱‱

Comme chez la levure, la reproduction des protistesest soit asexuée - division binaire ou scissiparité -, soitsexuée. Chez les infusoires ciliés, comme les paramécies,la conjugaison fait intervenir deux noyaux, le micro et lemacronucleus. Deux individus s'accolent. Le micronucleussubit une méiose, c'est-à-dire une réduction de 2 n chro-mosomes à n chromosomes. Sur les quatre micronucleusformés, trois dégénÚrent et le quatriÚme subit une mitose,c'est-à-dire une séparation des copies des chromosomesdupliqués. Comprendre les tenants et les aboutissantsdes mécanismes de la recombinaison génétique de l'ADN,aprÚs ce type de conjugaison, est une chance de mieuxconnaßtre ce qui se passe dans nos cellules.

Des services Ă©cologiquesindispensablesA ce sujet, la levure Figure 0 Exemples de phytoplancton

comme la bactĂ©rie tireson Ă©nergie de sonmĂ©tabolisme oxydatif,ou respiration, ou dela fermentation alcoo-lique. Ce deuxiĂšmetype de mĂ©tabolismeest moins Ă©nergĂ©tiqueque le mĂ©tabolismeoxydatif, ce qui affectele rendement de lamultiplication cellulaire,bien que la croissancepuisse ĂȘtre nettementplus rapide que dans leprocessus oxydatif. Leprocessus fermentairepeut fonctionner en prĂ©sence, ou en absence partielle outotale, d'oxygĂšne, c'est-Ă -dire en anaĂ©robiose. Cette ques-tion reviendra plus tard, dans un prochain article, quandon parlera de la levure du pain et de la levure de la biĂšre.

Les protistes constituent un Ă©chelon important du rĂ©seautrophique en jouant un rĂŽle majeur dans les cycles biogĂ©-ochimiques et en participant Ă  la biodiversitĂ©, et peut-ĂȘtreplus encore Ă  la "biodiversitĂ© fonctionnelle". En effet, sur

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environ trois cent mille espĂšces estimĂ©es existantes, lesdeux tiers pourraient ĂȘtre assez largement distribuĂ©esdans les ocĂ©ans et cent mille environ pourraient avoir unedistribution plus restreinte ailleurs. Ils rendent d'impor-tants services Ă©cologiques, en particulier pour l'Ă©purationde l'eau, la rĂ©gulation du C02 et des minĂ©raux dans l'eau,et pour la pĂȘche, la rĂ©colte de coquillages et l'aquaculture.On distingue les protozoaires, comme les infusoires oul'amibe, et les protophytes, comme les algues vertes ouchlorophycĂ©es. Ce sont tous des organismes unicellulaireseucaryotiques, mais les premiers possĂšdent une cellulebeaucoup plus diffĂ©renciĂ©e que les seconds. Ceux-ci sedistinguent des premiers par leur teneur en pigmentsverts - chlorophylles a et b - et, pour certains d'ente eux -dictyochophycĂ©es - par la prĂ©sence d'un squelette tubulairesiliceux externe et creux.

Figure 0 - Exemples dephytoplancton:

~ Anabenasphaerica(cyanobactérie,procaryotique)

b) Gonyalax (dinoflagellé,protiste eucaryotique)

c) infusoires ciliés

d) Dictyocha speculum(Ă  squelette siliceux)

Parmi les algues micros-copiques, on trouve, dansles lichens, les champi-gnons ou la vase, des

spĂ©cimens qui sĂ©duisent de plus en plus de scientifiqueset d'entrepreneurs. Parmi ces derniers, certains voulent setourner vers des organismes gĂ©nĂ©rateurs d'agrocarburantsqui n'entrent pas en concurrence avec les terres agricoleset la production de denrĂ©es alimentaires, et dĂ©couvrentque les micro-algues affichent un rendement jusqu'Ă  dixfois supĂ©rieur Ă  celui des carburants traditionnels. Ellesont aussi l'avantage d'ĂȘtre faciles Ă  cultiver, de nĂ©cessitermoins d'espace au sol et d'avoir une croissance rapide ...

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