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Le mouvement des Gilets jaunes
ou les limites d’un modèle de société
Sandra HOIBIAN, avec la collaboration de Thibault Briera, Patricia Croutte, Romain Gauthier, Pauline Jauneau-Cottet, Jorg Muller
CAHIER DE RECHERCHE N°349
DECEMBRE 2019
Pôle Evaluation et société
Dirigé par Sandra Hoibian
Cette recherche a bénéficié d’un financement au titre de la subvention recherche attribuée au CRÉDOC.
142 rue du Chevaleret – 75013 PARIS – www.credoc.fr
2
TABLE DES MATIERES
TABLE DES MATIERES .......................................................................................................... 2
RESUME ............................................................................................................................. 3
I. EN PREAMBULE UN MOUVEMENT INEDIT ....................................................................... 10
II. LES GILETS JAUNES – UNE ASPIRATION A VIVRE MIEUX .................................................. 14
1. Les petits moyens ................................................................................................... 14 Vivre dignement de son travail, se distinguer des pauvres .................................................................. 14 Des normes sociales inatteignables .................................................................................................. 20 Pouvoir se faire plaisir dans une société qui valorise la consommation ................................................. 26 Une frustration d’autant plus difficile à accepter en période de reprise ................................................. 30
2. Des difficultés de vie / accidents de parcours limitant la capacité d’autonomie ................ 31
3. L’aspiration à l’autonomie ......................................................................................... 33 La soif d’une plus grande liberté ...................................................................................................... 33 La difficulté à s’extraire de sa condition sociale - L’éthique du « projet » en question- ............................ 35 Plus particulièrement chez les moins de 40 ans ................................................................................. 37
4. Une révolte des territoires, mais lesquels ? ................................................................. 39 Moins de Parisiens, plus de ruraux que la moyenne des Français ......................................................... 39 Habitants hors des métropoles ........................................................................................................ 42 Des territoires en prise avec des difficultés économiques et/ou un dépeuplement .................................. 43
5. La remise en cause d’un mode de vie ......................................................................... 45 Accéder à une forme de valorisation au prix d’une dépendance à la voiture .......................................... 45 Le repli territorial des services publics .............................................................................................. 48 Un investissement symbolique très fort de la voiture ......................................................................... 51
III. DES REVENDICATIONS ................................................................................................. 54
1. Dix grands registres de discours issus de l’analyse du Vrai débat ................................... 55
2. Prendre « aux gros » pour donner « aux petits » ......................................................... 58
3. Un souhait de changement radical de la démocratie ..................................................... 65 Sortir de l’invisibilité ...................................................................................................................... 65 Le rejet du système politique actuel ................................................................................................. 67 La figure d’un « peuple apolitique » qui décide .................................................................................. 69 Changer la représentation, mieux contrôler les élus ........................................................................... 70
Des préoccupations environnementales…différentes ............................................................. 72
4. Une aspiration à davantage de lien social ? ................................................................. 76
IV. DU MAL-ETRE AU REJET ............................................................................................... 79
1. De fortes inquiétudes et une défiance généralisée, la famille comme refuge .................... 79
2. Nous et eux : Le rejet des immigrés, des tendances complotistes et antisémites ............. 82
3. Une porosité à des informations « étonnantes » .......................................................... 86
4. Une radicalité instrumentale qui débouche sur une radicalité politique ? ......................... 89
V. DISCUSSION ............................................................................................................... 94
VI. ANNEXES – METHODOLOGIE ......................................................................................... 95
VII. BIBLIOGRAPHIE......................................................................................................... 100
3
RESUME
Mots clés : gilets jaunes, contestation, territoires, autonomie, consommation, mouvement, rejet, dé-
mocratie, société
Le mouvement des gilets jaunes, né à l’automne 2018, a fait couler beaucoup d’encre. Inédit tant dans
sa constitution via les réseaux sociaux, que dans son organisation décentralisée et le refus de toute
représentation, ou dans ses formes (blocages de ronds-points, manifestations récurrentes pendant six
mois, actions en ligne) il interpelle. Le soutien de la majorité de la population (56% en janvier 2019 et
58% en juin 2019) appelle également l’intérêt. Nous avons cherché à livrer ici une compréhension
transversale de celui-ci en mobilisant à la fois la richesse de l’enquête Conditions de vie et aspirations
du CREDOC, une analyse en data science de la consultation en ligne, le « Vrai débat », organisée par
un collectif de gilets jaunes, complétés d’autres enquêtes en population générale ou d’enquêtes de
terrain de différents chercheurs. Pour ainsi chercher à répondre à trois questions somme toute très
simples en apparence : qui sont les gilets jaunes ? que signifie l’irruption de leur mouvement ? quels
enjeux de société soulèvent-ils ?
Rappelons tout d’abord que 6% de la population se déclare eux-mêmes « gilet jaune » en janvier 2019
quelques mois après la naissance du mouvement, et 4% huit mois après. Si l’on devait résumer socio-
logiquement le mouvement, les différents travaux convergent pour noter en son sein la sur-représen-
tation des classes moyennes inférieures, actives1, travaillant le plus souvent dans le secteur privé,
que leurs statuts soient sala-
riés ou indépendants et avec
des professions souvent peu
rémunératrices (manuten-
tionnaires, infirmiers, ...). Au-
tour gravitent d’autres profils
: retraités modestes, foyers
monoparentaux, la plupart
appartenant à ce que certains
chercheurs (Coutant et al.)
dénomment « les petits
moyens ».
Habituellement peu présents
dans la sphère publique, il
s’agit pour beaucoup d’entre eux de leur premier engagement politique. Avec un budget serré, ils
aspirent à « vivre comme tout le monde » et profiter des atours de la société de consommation valo-
risées tant au travers de multiples sollicitations publicitaires de tous ordres qu’au travers de représen-
tations médiatiques (journaux télévisés, fictions). Ils aspirent ainsi à habiter une maison confortable,
1 Sur le plan territorial, les différentes études menées sont moins convergentes, exceptée fait d’une sous-représentation de la région pari-sienne, et d’une sur-représentation des territoires ruraux. La question sociale semble en réalité première.
Les gilets jaunes – des foyers modestes
Niveau de vie mensuel (*) par unité de consommation des Gilets jaunes-
Source : CREDOC, Enquête « Conditions de Vie et Aspirations », début 2019
27%18%
29%
23%
31%
27%
5%
22%
8% 9%
Déclare être un 'gilet jaune' Ensemble des Français
Bas revenus
Classes moyennesinférieuresClasses moyennessupérieuresHauts revenus
Non réponse
46% sont des bas revenus ou des classes moyennes inférieures
4
pouvoir partir en vacances une fois par an, s’offrir de temps à autre un petit plaisir comme un restau-
rant, avoir une voiture solide, et ne pas avoir à compter en permanence avec l’inquiétude de basculer
potentiellement dans un endettement sans issue. Leur situation en matière de logement est sympto-
matique de la course infinie vers une norme sociale qui se déplace continuellement. Les gilets jaunes
vivent dans des logements de taille confortable : 66% vivent dans des logements de 4 pièces et plus
contre 64% en moyenne. 87% considèrent d’ailleurs vivre dans des logements « de taille suffisante
pour une famille comme la leur », contre 86% en moyenne. Mais ce confort a, pour eux, un cout
difficile à supporter. 76% des Gilets jaunes s’en sortent difficilement et doivent s’imposer régulière-
ment des restrictions sur leur budget, contre 55% en moyenne. Avec l’augmentation des prix de l’im-
mobilier observée ces vingt dernières années, la perspective de devenir un jour propriétaire de leur
logement s’amenuise. Aujourd’hui, seuls 30% des gilets jaunes sont propriétaires de leur logement
sans emprunt à rembourser, c’est 12 points de moins qu’en moyenne, et 23 points de moins que la
proportion observée chez les personnes hostiles au
mouvement. Autre exemple, seuls 47% des gilets jaunes
sont partis en vacances au cours des 12 derniers mois,
contre 67% des personnes hostiles et 58% en moyenne
dans la population. Or différents travaux du CREDOC ont
montré l’importance du départ en vacances, qui contri-
bue à l’image que les individus se font de leur propre sta-
tut social (CREDOC-DGE 2009 ; 2010). Et qui, du point de
vue de la population, fait partie des besoins jugés incon-
tournables pour être intégré dans la société (CREDOC-IRES-ONPES 2014).
L’analyse de leur niveau de vie « réel » et de leur auto-positionnement sur une échelle des revenus est
très parlant. Alors qu’en règle générale, les Français ont plutôt tendance à voir leur situation sous un
jour moins favorable qu’elle n’est en réalité, les gilets jaunes ont quant à eux plutôt tendance à se
surclasser. C’est un mécanisme bien connu en sciences sociales, on a souvent tendance à se comparer
avec des personnes de son
entourage qui, elles-mêmes,
ont des conditions de vie as-
sez proches de la sienne. A
cela s’ajoute un phénomène
de désirabilité sociale, qui
conduit en bas de l’échelle
des revenus, à souhaiter se
distinguer des plus pauvres,
et donc à se voir plus riche
que l’on est. Leurs aspirations
consistent principalement à
rejoindre ou se maintenir
« dans la moyenne ». Interro-
gés sur le revenu idéal pour
une famille comme la leur,
l’ensemble des Français, ex-
ceptés les hauts revenus dont
Le revenu idéal mensuel- 600 euros de plus
Revenu du foyer intégrant les prestations sociales et avant impôt (médiane) Et revenu idéal « Pour une famille comme la vôtre, quel serait le revenu mensuel
dont vous souhaiteriez disposer ? » (médiane)
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », début 2019
1900
24002500
3000
Gilets jaunes Ensemble de la population
Médiane revenu actuel total avecprestations avant impotMédiane revenu idéal
600 euros +32%
600 euros +25%
47% des gilets jaunes
sont partis en vacances
au cours des 12 der-
niers mois, contre 58%
en moyenne dans la
population.
5
les revenus dépassent franchement la moyenne, aimeraient disposer d’un supplément de revenu
moyen mensuel de 600 euros, soit une augmentation de 25%. Les gilets jaunes indiquent en moyenne
les mêmes montants (600 euros), ce qui représente, compte tenu de leurs revenus inférieurs une aug-
mentation plus sensible (+32%) et situe leurs aspirations autour du niveau de vie médian.
Peu diplômés, et avec des revenus et des perspectives de carrière limitées, ils trouvent une valorisa-
tion dans une vie où la famille, le lieu de vie, la maison, les amis jouent un rôle important. La voiture
y tient un rôle central dans la mesure où, ils résident dans des territoires avec une moindre présence
de transports en communs (seuls 47% déclarent en effet avoir facilement accès à un arrêt de transport
en commun contre 55% en moyenne) ou que ceux-ci sont difficilement accessibles compte tenu de
leur situation personnelle (condition physique, état de santé) 17% des gilets jaunes contre 11% en
moyenne. Actifs, avec une moindre accessibilité aux transports en communs, ils sont donc 63% à pren-
dre leur voiture régulièrement (au moins une fois par semaine) pour se rendre sur leur lieu de travail,
contre 56% en moyenne et 44% des personnes hostiles au mouvement.
La voiture permet à la fois de travailler dans un contexte d’étalement urbain et d’augmentation des
prix de l’immobilier depuis vingt ans, mais aussi d’entretenir une sociabilité bâtie autour de la maison
(40% reçoivent chez eux régulière-
ment des amis contre 16% des Fran-
çais). 37% des gilets jaunes indiquent
ainsi avoir dû renoncer pour cause
de difficulté de déplacement à
rendre visite à de la famille, des
amis, 25% à réaliser des démarches
administratives… et 24% à vivre une
relation sentimentale. Et même si
les déplacements peuvent être vécus
comme des sources d’angoisse ou de
fatigue, la voiture est également for-
tement investie symboliquement
comme un « temps pour soi ».
Ressentant perpétuellement une
frustration par rapport à des normes
de société quasi-inatteignables, les gilets jaunes ont le sentiment de devoir injustement se serrer la
ceinture. La frustration est d’autant plus forte qu’autour les discours sur la reprise se multiplient, ren-
forcant l’effet « tunnel » théorisé par le sociologue Albert Hirschman. Imaginez des voitures bloquées
dans un embouteillages. Tant que les voitures sont bloquées, chacun prend son mal en patience. Si
une autre file que la vôtre redémarre, dans un premier temps vous éprouverez l’espoir que la circula-
tion se fluidifie aussi sur votre file. Mais si cela ne se produit pas, ou tarde à se produire, vous ressen-
tirez une forme de colère et frustration à être bloqué sur la mauvaise file.
L’écart à la norme valorisée socialement ne se limite pas à la consommation. Les gilets jaunes adhè-
rent sur le principe à l’éthique du « projet » individuel où chacun doit être l’entrepreneur de lui-
même, et se prendre en main pour réaliser ses désirs. Ils sont ainsi plus nombreux que la moyenne à
envisager de se lancer dans différents projets. Par exemple, 37% déclarent qu’ils ont le projet de chan-
ger, dans les cinq prochaines années, de lieu de vie en déménageant dans une autre région ou pays
Le déplacement, une source de fatigue et « un temps pour
soi » à la fois
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », début 2019
73%
66% 66%
49%
39%
76%
54%57%
39%
19%
75%
51% 50%
37%
15%
Se déplacer, c'est un moyend'accès aux équipements
Se déplacer, c'est un temps poursoi
Se déplacer, c'est des occasionsd'échange, de partage
Se déplacer, c'est une source defatigue
Se déplacer, c'est une sourced'angoisse
se dit 'gilet jaune' Ensemble de la population hostile au mouvement
6
(+10 points par rapport à la moyenne) ; 32% souhaitent changer de métier ou d’entreprise (+7 pts),
36% s’installer en couple, avoir un enfant (+13 pts). Mais dans le même temps ils sont beaucoup plus
nombreux à exprimer leurs difficultés à atteindre cet objectif. 82% estiment qu’il est difficile au-
jourd’hui d’avoir un projet (+18 points par rapport à la moyenne). Plusieurs éléments font obstacle à
cette autonomie tant valorisée.
- Une part non négligeable des gilets jaunes est fragilisée, par des accidents de vie (divorce,
décès de proches), une santé dégradée, un handicap personnel ou la prise en charge de
proches handicapés, des dettes. Par exemple, 46% déclarent ainsi souffrir d’une maladie chro-
nique ou d’un handicap, ou avoir un état de santé dégradé par rapport aux personnes de leur
âge (+11 points par rapport à la moyenne des Français).
- Le modèle de société auquel ils aspirent n’a plus le vent en poupe : ils aspirent à devenir
propriétaires, on vante la mobilité professionnelle et résidentielle, ils accordent une impor-
tance prédominante à la famille, celle-ci a perdu son caractère hégémonique dans la société,
ils apprécient la liberté que leur procure la voiture, celle-ci est aujourd’hui vilipendée comme
mauvaise pour la planète. Ils ont choisi ou été contraints de s’installer dans des espaces ruraux
ou péri-urbains, et l’offre de services publics a depuis été regroupée au cours des trente der-
nières années (à l’exception des EHPAD et services de soin qui viennent signifier encore le
manque de vitalité de leurs territoires).
Le mouvement des gilets jaunes cherche tout aussi bien à s’émanciper de contraintes financières qui
l’écrasent, qu’à être reconnu dans sa liberté de choix. 52% des gilets jaunes considèrent que la société
française a besoin de « plus de liberté » (plutôt que plus d’ordre ») pour mieux fonctionner contre 29%
en moyenne. D’une certaine manière on retrouve ici dans ce mouvement l’aspiration à deux formes
de liberté : la liberté négative et la liberté positive pour reprendre la formule d’Isaiah Berlin (1969)
Avoir un projet personnel… une envie difficile à concrétiser
% d’accord avec différentes affirmations
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », début 2019
80%85% 82% 82%82%
88%80%
64%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
Avoir un projet permet d’être pleinement acteur de sa vie professionnelle
Avoir un projet permet d’être pleinement acteur
de sa vie personnelle
On ne sait pas toujourscomment faire pourréaliser ses projets
Il est difficile d’avoir des projets aujourd’hui
Vous êtes vous-même un 'gilet jaune'
Ensemble de la population
7
reprise par Charles Taylor (1979). Doytcheva résume l’opposition de fond entre liberté négative et
positive ainsi
“[On peut distinguer] deux interprétations divergentes de l’idée de liberté qu’on peut résumer,
comme le fait Isaiah Berlin [1969], sous les termes de liberté positive et liberté négative,
renvoyant à la distinction établie déjà par Benjamin Constant en France entre liberté des
Anciens et liberté des Modernes. Selon cette opposition, la liberté moderne est une liberté
essentiellement négative, qui se rapproche davantage de l’indépendance : c’est la capacité de
s’affranchir de toute contrainte sociale et de tout déterminisme particulier, dans les limites
autorisées par la loi. La liberté positive désigne, en revanche, l’autonomie, c’est-à-dire la
capacité à choisir et à fixer soi-même les buts de son existence. Cet auto-accomplissement
passe par la participation de l’individu à une collectivité.” [Doytcheva, 2018, p35]
Alors qu’ils se sentent, de longue date invisibles (85% chez les Gilets jaunes contre 58% en moyenne
dans la population), l’augmentation des taxes sur les carburants est de ce fait, vécue comme une en-
trave à leur liberté et comme un signe de plus du désintérêt, voire du dédain des élites politiques
dont ils se sont, comme la grande majorité des Français, détournés depuis longtemps. Saisis par un
sentiment d’injustice, ils réclament que l’on « prenne aux gros pour donner aux petits ». Quels que
soient les matériaux d’enquête consultés, la demande de redistribution des riches vers les pauvres
est récurrente. Elle permet de réconcilier l’anti-fiscalisme d’une partie du mouvement et l’attente
d’une plus grande présence des services publics sur le territoire.
Très vite, le mouvement articule à cette demande de redistribution, le souhait d’une refonte du
système démocratique avec au centre de ces représentations, la figure d’un peuple apolitique qui
déciderait, notamment via la proposition du RIC (référendum d’initiative citoyenne). Davantage qu’a-
politique, le mouvement est en réalité plutot a-partisan, c’est à dire qu’il refuse d’être associé à des
mouvements politiques ou syndicaux existants, ce qui lui permet de faire ainsi un trait d’union entre
des personnes qui se considèrent « très à droite» (21% contre 9% en moyenne), et d’autres très à
gauche (9% vs 4%) ou encore au centre (29% vs 32% en moyenne).
Différentes expérimentations sont menées, où le lieu – le rond point, la maison du peuple, la cabane
de fortune - permet de rassembler et faire lien entre les différences
de point de vue qui peuvent se produire, et compte tenu de l’absence
d’une direction organisée. Les participants des groupes facebook en
ligne sont aussi confrontés aux questions d’organisation des
décisions, de tri et régulation des publications. La question de la
légitimité des «porte-paroles» est sans cesse questionnée. Le
mouvement amène ainsi chez des publics qui n’y étaient pas familiers
une forme de conscientisation d’échange et d’implication politique.
Dans notre enquête Conditions de vie, 21% des gilets jaunes décla-
rent accorder une importance maximale à la politique et la vie pu-
blique (avec une note de 7 sur une échelle de 1 à 7), contre 13% en
moyenne des Français.
Il s’accompagne d’une forte radicalité. Initialement instrumentale, pour arriver à capter l’attention
des médias et des pouvoirs publics via des actions violentes, l’enquête Conditions de vie semble
montre qu’avec le temps, la radicalité gagne du terrain sur le plan des idées. 42% des gilets jaunes
Maison du peuple, au rond-point du Bout-du-Pont-de-l’Arn à Mazamet, photo pu-bliée dans ladepeche.fr le 6/12/2018
8
aspiraient à un changement radical de société au début 2019 (soit quasi autant que dans la population-
38%) , ils sont 51% en juin, soit 21 points de plus que la moyenne.
Le souhait d’un changement radical de société progresse chez les gilets jaunes
Estimez-vous que la société française a besoin de se transformer profondément ? Pour que la société change comme vous le souhaitez, êtes-vous pour des réformes progressives ou des changements radicaux ?
Source : CRÉDOC, Enquêtes Conditions de vie et aspirations (janvier et juin 2019)
Cette radicalité, combinée à un terrau d’inquiétudes et de défiance très fort, s’articule de manière non
negligeable à une forme de rejet de l’autre. Si une part des collectifs de gilets jaunes réfutent tout
caractère raciste, antisémite ou homophobe de leur mouvement, on observe parmi les gilets jaunes,
une sur représentation d’un rejet de l’immigration, une forte pénetration d’idées complotistes
notamment antisémites.
Le «nous» qui se constitue au travers du mouvement des gilets jaunes emprunte ainsi deux voies
parallèles : une voie du nous qui se constitue «avec», avec des pairs, avec d’autres personnes qui ne
partagent pas tout à fait les mêmes idées, mais qui partagent une forme de lutte contre une injustice
durement ressentie. Pairs, avec lesquels le dialogue est possible, souhaitable.
Et une voie du «nous» qui se constitue contre, et exprime un rejet du «eux» qui peut prendre la forme
du rejet des élites, du gouvernement, avec une colère focalisée sur la personne du Président de la
République, aussi bien que du rejet de l’immigré. Le «nous» est alors une version défensive par rapport
à un monde jugé très anxiogène (les gilets jaunes se distinguant du reste de la population par de très
nombreuses inquiétudes et un regard pessimiste sur le monde).
Le mouvement des gilets jaunes met ainsi en lumière plusieurs questions et limites qui se posent
aujourd’hui à notre société et risquent, si elles ne trouvent pas de réponses, de faire le lit d’une
radicalisation difficile à enrayer :
40%
28%
45% 46%39%
46%
42%
51%
38%30% 43% 29%
14%16%
15%19%
17%
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4% 5% 3% 5%1% 4%
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Se dit 'giletjaune' janvier
2019
Se dit 'giletjaune' juin 2019
Ensemble de lapopulation
janvier 2019
Ensemble de lapopulation juin
2019
Hostile janvier2019
Hostile juin 2019
Progressiste Radical Pas de réforme Ne sait pas
9
• Il vient tout d’abord mettre au jour les limites d’une société qui place au coeur de son modèle
économique et symbolique la consommation, génèrant, mécaniquement, des frustrations
toujours nouvelles et infinies.
• Il visibilise les inquiétudes très fortes des catégories de travailleurs modestes qui anticipent
qu’ils seront les prochains perdants d’un marché du travail qui se polarise entre des «lovely
jobs» bien payés, exigeants et valorisants et des «lousy jobs » (Goos et Maning, 2007) sans
perspective d’ascension sociale.
• En termes de politiques publiques, il donne à voir les conséquences de la très forte augmen-
tation des prix de l’immobilier , en particulier dans les centres villes, au cours des vingt der-
nières années et des politiques de regroupement des services publics qui se conjuguent pour
amplifier une dépendance à la voiture.
• Sur le plan des valeurs, il questionne la valorisation de la réussite individuelle des «meilleurs»
(métropoles, créateurs d’entreprises, personnes mobiles) qui produit, dans un phénomène de
vases communiquants, une dévalorisation ressentie par les autres et pose la question de
comment arriver à trouver une forme de valorisation et de place pour tous dans une société
où la reconnaissance est de plus en plus importante.
• Il alerte également sur l’affaiblissement des espaces médiatiques où peuvent se dérouler des
débats apaisés, étayés, et mis en perspective permettant une confrontation des opinions pro-
pice à éviter un enfermement dans des bulles de filtres qui s’auto-nourrissent. Et le manque
d’espaces offrant une valorisation de la confrontation d’idées, du conflit, plutôt que de la
violence. Il souligne également les dangers du sensationnalisme médiatique qui entraine une
forme de surenchère de colères et de violences pour capter une part de l’attention. Sur le plan
médiatique il met également en évidence les effets délétères de la sur- représentation des
catégories supérieures qui énonce et donne à voir une moyenne largement sur-évaluée.
• Sur le plan du vivre ensemble, il met enfin en évidence le manque d’espaces collectifs2 de
construction démocratique, d’implication des citoyens, de lieux de sociabilité pouvant venir
donner une suite aux lieux de fortune constitués sur les ronds points et offrir des suites
constructives pour éviter que la construction d’un «nous» ne s’appuie sur une version
défensive, voire haineuse de l’autre. Autrement dit que le «nous» ne se construise pas en
protection envers «eux» et uniquement dans une posture critique mais dans une version «po-
sitive» de la liberté.
2 Sans être l’alpha et l’omega des réponses à ces questions, il nous semble que les initiatives actuelles relevant des «communs» intégrant à la fois des élus et des citoyens pour la réalisation concrète de missions d’intérêt général nous semble prometteuse. Voir par exemple https://www.horizonspublics.fr/international/communs-et-action-publique-en-europe-pour-quoi-faire
10
EN PREAMBULE UN MOUVEMENT INEDIT
Le mouvement social des « Gilets jaunes » est apparu à l’automne 2018, initialement en réaction à une
hausse des taxes sur les carburants et notamment une hausse du prix du diesel. Il suscite très vite
l’attention des médias, des politiques mais aussi des chercheurs en sciences humaines par son carac-
tère inédit qui tient à différentes dimensions que nous rappellerons ici brièvement avant de chercher
à mieux le décrire, comprendre et caractériser.
Sa naissance tout d’abord, à partir d’initiatives individuelles sur les réseaux sociaux, interpelle. La pé-
tition de Priscillia Ludosky demandant une baisse des prix des carburants recueillera plus d’un million
de signataires et en parallèle, une vidéo de Jacline Mouraud postée sur Youtube comptabilise plus de
six millions de vues en novembre. Les réseaux sociaux y jouent un rôle marquant à la fois comme lieu
de rencontre et d’échanges, d’expression, et d’organisation des manifestations et blocages. Des cen-
taines de groupes facebook sont créés. Le site « compteur officiel de gilets jaunes » en décembre 2018,
au plus fort du mouvement comptabilise 2.7 millions de membres, et 1, 7 millions de membres en
octobre 2019, un an après le lancement du mouvement. Les vidéos postées en ligne jouent un rôle
récurrent qu’il s’agisse de vidéos postées par des figures médiatiques du mouvement via des « face-
book lives » : rendez-vous récurrents d’expression en direct, ou de vidéos des actions.
Le mouvement sort rapidement de l’univers digital et donne lieu à différents types d’actions nouvelles
et en particulier des blocages de ronds-points partout sur le territoire, plus rarement de péages, raffi-
neries et dépôts pétroliers. Ces « carrefours giratoires » selon la
terminologie exacte qui, jusque-là, n’étaient dédiés qu’à la circu-
lation automobile, deviennent des nouveaux lieux de vie éphé-
mères donnant lieu à échanges, rencontres, débats et discus-
sions, occupation avec parfois la construction de mini-abris, blo-
cage de la circulation. Souvent considérés comme l’archétype
des dépenses publiques inutiles à la française : le rond-point
coute entre 200 000 euros et un million, et la France en compte beaucoup plus que d’autres pays. Ces
ronds-points sont situés dans des lieux rarement sous le feu des projecteurs médiatiques : sortie
d’autoroutes, entrée des petites villes, devant un fastfood, un hypermarché, ou à l’orée d’un lotisse-
ment pavillonnaire. Fait nouveau ; on constate3 une forte corrélation entre mobilisation online (sur
Facebook) et off-line (blocages des ronds-points). Les contacts en ligne servent à organiser les protes-
tations. Au-delà des occupations de ronds-points, des manifestations sont organisées. Elles ne se dis-
tinguent pas d’autres manifestions plus classiques par leurs ampleur (au plus fort de la mobilisation, le
17 novembre, 282 000 personnes se sont rassemblées dans toute la France selon le Ministère de l’In-
térieur, en comparaison, la manifestation du 22 mars 2016 en opposition à la « loi travail » avait mo-
bilisé 390 000 personnes) mais plutôt par leur caractère récurrent : tous les samedis de manière con-
tinue jusqu’en juin puis de façon plus épisodique. Fin octobre 2019, 50 « actes », tels que les dénom-
ment les membres du mouvement, ont ainsi été organisés. Ceux-ci ont lieu dans le cœur de grandes
villes, avec des appels à se rassembler dans des villes différentes suivant les dates, et souvent des
3 BOYER, Pierre C., DELEMOTTE, Thomas, GAUTHIER, Germain, et al. (2019), Les déterminants de la mobilisation des” Gilets jaunes” 2019, Working Papers, CREST
« Enfin les ronds-points servent à
quelque chose » slogan collecté 17
nov au 26 dec 2018 sur les murs,
pancartes, banderoles – source :
« Le fonds de l’air est jaune »
11
mots d’ordre thématiques. Le refus d’une organisation centralisée du mouvement entraine, contrai-
rement à d’autres manifestations l’absence de déclaration de parcours dans les préfectures, et des
lieux de rassemblement multiples au cœur de ces villes. Comme le résume Samuel Hayat « les règles
de la manifestation, fixées de longue date (on situe généralement leur formalisation en 1909 4), sont
ignorées : pas de cortège, pas de responsables légaux, pas de parcours négocié, pas de service d’ordre,
pas de tracts, de banderoles, d’autocollants mais des myriades de slogans personnels inscrits au dos
d’un gilet jaune »5.
Ces manifestations ont lieu, de plus, dans des lieux rarement choisis pour cela. On citera l’exemple
emblématique des Champs Elysées à Paris, vitrine française à l’étranger, et lieu de commerces de luxe,
qui est le théâtre de plusieurs rassemblements, et débordements, dont des dégradations de l’Arc de
triomphe le 1er décembre 2018 avec des images diffusées dans de nombreux pays. Le nombre de ma-
nifestants est très variable et s’amenuise avec le temps. 288 000 personnes sont comptabilisées le 17
novembre 2018. 126 000 manifestants le 8 décembre 2018, 66 000 le 15 décembre, 38 600 le 22 dé-
cembre 2018, et moins d’un millier pour les dates du printemps, selon le Ministère de l’intérieur. Ces
manifestations s’accompagnent de vandalismes de commerces (vols, incendies, casse), immeubles,
matériel urbain, voitures, etc. Certaines sont ponctuées d’actions visant l’Elysée ou des ministères.
Elles donnent lieu à un déploiement lui aussi sans précédent des forces de l’ordre. Des affrontements
violents entre manifestants et forces de sécurité entrainent de nombreux blessés graves de part et
d’autre qui font couler beaucoup d’encre tout aussi bien sur la légitimité de l’action des forces de
l’ordre et l’usage notamment des « tirs de lanceurs de balles de défense (LBD) » conduisant à des bles-
sures graves, que sur la violence des « casseurs » ou « black blocs » (individus masqués revendiquant
la violence comme mode d’action légitime) du mouvement et les dégâts causés tant en termes hu-
mains que financiers et économiques ou d’image de la France. Autre caractère singulier : un nombre
jamais connu d’interpellations, de gardes à vues de manifestants. Le 23 mars, après vingt semaines
de mobilisation, la ministre de la justice fait état de 2 000 personnes condamnées depuis le 17 no-
vembre, date du premier rassemblement, avec environ 40 % d’entre elles ayant reçu des peines d’em-
prisonnement ferme, et près de 1 800 personnes interpellées en attente de jugement.
4 Samuel Hayat, « La République, la rue et l’urne », Pouvoirs, vol116, 2006, p.31-44. 5 Samuel Hayat, L’économie morale et le pouvoir, in Le fond de l’air est jaune. Comprendre une révolte inédite , Textes réunis et présentés par Joseph Confavreux, Seuil, 2019
12
Nombre de manifestants Gilets jaunes en France et à Paris entre novembre et fin dé-
cembre 2018 selon le Ministère de l’intérieur
Source : CRÉDOC selon les données Ministère de l’intérieur, image les Orpimentes
Autre particularité, le mouvement se revendique comme apolitique et avec un refus de toute repré-
sentation. Le caractère horizontal de l’organisation n’est pas complètement inédit, puisque d’autres
mouvements sociaux récents le précèdent : Occupied Wall street aux Etats Unis ou Indignados en Es-
pagne, ou Nuit debout en France. Mais il n’a jamais connu des proportions aussi importantes en
France.
Dernière singularité, et non des moindres, les manifestants sont revêtus de « gilets jaunes de sécu-
rité ». Ce gilet est à la fois un symbole emblématique de l’univers automobiliste, et des contraintes
imposées par l’Etat puisque leur possession est obligatoire depuis 2008, deux dimensions importantes
dans le mouvement, nous y reviendrons. Il offre également, dans un univers médiatique où l’image
compte, une unité visuelle, télégénique, et par la même une visibilité inédite à celui-ci. Il est égale-
ment le support d’une expression personnalisée avec l’écriture d’une multitude de slogans des mani-
festants tout en permettant un signe de ralliement commun.
L’analyse du mouvement, de sa composition territoriale, sociale, de ses revendications, a mobilisé de nombreux chercheurs et analystes, issus de différentes disciplines (géographes, historiens, socio-
290 000
166 000
136 000126 000
66 000
39 000
12 000
0
50 000
100 000
150 000
200 000
250 000
300 000
350 000
17 nov.2018
24 nov.2018
1er déc.2018
8 déc.2018
15 déc.2018
22 déc.2018
29 déc.2018
13
logues, urbanistes, philosophes, politistes, etc), et utilisant différents corpus pour décrire et com-prendre ce mouvement : analyse géographique des lieux des ronds-points, du nombre de manifestants rapporté à la population du territoire, interrogation de manifestants, analyse des verbatim sur les pages facebook se revendiquant du mouvement, interrogations sur les soutiens et opposants au mou-vement via des enquêtes statistiques en population générale, analyses et comparaisons historiques avec d’autres mouvements sociaux, etc. Certains analystes ont décrit un mouvement fourre-tout sans colonne vertébrale ni logique, assemblage de colères très diverses et avec des revendications contra-dictoires.
Le présent document cherche à donner à comprendre ce mouvement en s’appuyant sur différentes publications et en les complétant par des analyses produites par le CREDOC s’appuyant sur deux dis-positifs méthodologiques différents et complémentaires :
- L’enquête Conditions de vie et aspirations du CREDOC, dispositif d’enquête auprès d’un échantillon représentatif de la population française mené deux fois par an depuis 1978. Dans cette enquête a été introduit une question permettant d’identifier le positionnement des per-sonnes par rapport au mouvement – voir encadré
- Une analyse lexicale mobilisant les outils de la data science pour analyser des corpus de gros volumes réalisée à partir des contributions spontanées sur la plateforme « LeVraidébat », lancé par un collectif de gilets jaunes
Le CREDOC a inséré une question spécifique dans l’enquête Conditions de vie, menée en janvier
2019, permettant de graduer le soutien au mouvement. Il a été demandé aux enquêtés s’ils étaient
eux-mêmes « gilet jaune », s’ils soutenaient le mouvement, s’ils ressentaient de la sympathie pour
lui, s’ils ne savaient pas quoi penser ou si, au contraire, ils y étaient opposés ou même hostiles. Le
graphique ci-dessous synthétise la répartition de la population. 6% déclarent être eux-mêmes « gi-
lets jaunes ».
56% des Français expriment une affinité avec le mouvement des gilets jaunes
« Depuis octobre 2018 est apparu le mouvement des « gilets jaunes », appelant au départ des automobilistes à bloquer les routes pour protester contre la hausse des prix des carburants et demander une baisse des taxes.
Quelle est votre attitude à l’égard de ce mouvement ? » - Champ : population française
Source : CREDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
14
LES GILETS JAUNES – UNE ASPIRATION A VIVRE MIEUX
1. Les petits moyens6
Vivre dignement de son travail, se distinguer des pauvres
Les gilets jaunes sont, davantage que dans le reste de la population, composés de catégories modestes
(27% contre 18% en moyenne) et de classes moyennes inférieures (29% contre 23%). Toutes les
enquêtes menées convergent en ce sens, quelles que soient les méthodes et populations étudiées (sur
les ronds-points, sur les réseaux sociaux, via une interrogation en ligne)7. L’enquête du CREDOC n’y
déroge pas.
Les gilets jaunes – des foyers modestes
Niveau de vie mensuel (*) par unité de consommation des Gilets jaunes-
(*) Le niveau de vie correspond à l’ensemble des revenus perçus par le ménage (salaires, pensions et retraites, allocations chômage,
prestations sociales, loyers perçus et revenus du capital, etc.), nets des cotisations so-
ciales, mais avant paiement des impôts, rap-porté à un nombre d’unités de consommation calculé comme la racine carrée du nombre de personnes dans le ménage. Il s’agit d’un ni-veau de vie déclaratif. Les bas revenus ont un niveau de vie inférieur à 70% du niveau de vie médian soit inférieur à 1200 euros
pour une personne seule, les classes moyennes inférieures ont un niveau de vie compris entre 1200 et 1700 euros pour une personne seule, les classes moyennes supé-rieures ont un niveau de vie entre 1700 et
2600 euros pour une personne seule, et les hauts revenus ont un niveau de vie supérieur
à 2600 euros pour une personne seule)
Source : CREDOC, Enquête « Conditions de Vie et Aspirations », début 2019
6 Expression tirée de l’ouvrage de Marie CARTIER, Isabelle COUTANT, Olivier MASCLET, Yasmine SIBLOT, La France des « petits-moyens », Enquête sur la banlieue pavillonnaire, La Découverte, 2008 7 L’enquête menée par un collectif de chercheurs (mobilisant des chercheurs du Centre Emile-Durkheim (Bordeaux), du CNRS, de l’INRA et des étudiants) via 166 questionnaires distribués sur les ronds-points et aux péages, ou lors des manifestations ayant eu lieu les 24 et 1er décembre, établit qu’il s’agit de personnes « qui travaillent (ou, étant retraités, ont travaillé), âgées de 45 ans en moyenne, appartenant aux classes populaires ou à la « petite » classe moyenne. » et moins diplômés « Quelque 20 % des personnes interrogées sont diplômées du supérieur (contre 27 % de la population générale, données Insee 2014) » L’enquête menée par la Fondation Jean Jaurès indique « Si seuls 11% des cadres supérieurs et des professions intellectuelles se sentent « gilets jaunes », cette identification étant également inférieure à la moyenne parmi les professions intermédiaires (13%), ce mouvement a en revanche résonné bien davantage parmi les catégories populaires : 26% des ouvriers et des employés mais également la même proportion d’indépendants (commerçants, artisans, petits chefs d’entreprise et agriculteurs) se sont identifiés aux « gilets jaunes ». Question posée : « Vous-même, diriez-vous que vous êtes un "gilet jaune" ? » (Note) 28% des titulaires d’un CAP/BEP se sentent ainsi « gilets jaunes », cette proportion s’établissant à 19% parmi les bacheliers et à 16% au sein des Bac+2 mais chute ensuite à 9% seulement parmi les détenteurs d’un diplôme supérieur à Bac+2 (Note 2) L’enquête menée par l’Institut Montaigne recense 26% d’ouvriers et 21% d’employés, 57% en emploi L’enquête menée par le Cepremap recense « 47% des ouvriers et près de 35% des employés soutiennent « tout à fait » les Gilets jaunes, contre 27% des retraités. Près de 70% de ceux qui les soutiennent fortement vivent dans un ménage dont le revenu disponible net est inférieur à 2 480 euros – soit le revenu médian en France »
27%18%
29%
23%
31%
27%
5%
22%
8% 9%
Déclare être un 'gilet jaune' Ensemble des Français
Bas revenus
Classes moyennesinférieuresClasses moyennessupérieuresHauts revenus
Non réponse
46% sont des bas revenus ou des classes moyennes inférieures
15
L’enquête Conditions de vie et aspirations permet d’aller plus loin dans l’analyse, puisqu’elle demande
aux interviewés de s’auto-positionner sur l’échelle de revenus, en proposant différentes catégories :
les privilégiés, les gens aisés, la classe moyenne supérieure, la classe moyenne inférieure, la classe
populaire, les défavorisés8. La comparaison de l’auto-positionnement avec la réalité de la si-
tuation financière est riche d’enseignements. Une grande partie de la population 45% sous-estime
sa situation, 38% ont une vision correcte, et seulement 18% a une vision plus positive de sa situation
que la réalité. Autrement dit, en règle générale, on a plutôt tendance à voir sa situation sous un jour
moins favorable qu’elle n’est en réalité.
Mais cette tendance ne se vérifie pas d’un bout à l’autre de l’échelle sociale. En particulier les per-
sonnes avec réellement de bas revenus, ont beaucoup plus tendance que les autres à se sur-
classer. C’est un mécanisme bien connu en sciences sociales, on a souvent tendance à se comparer
avec des personnes de son entourage qui, elles-mêmes, ont des conditions de vie assez proches de
la sienne. A cela s’ajoute un phénomène de désirabilité sociale, qui conduit en bas de l’échelle des
revenus, à souhaiter se distinguer des plus pauvres, et donc à se voir plus riche que l’on est.
Symétriquement, on observe chez les plus aisés, le désir de ne pas non plus se distinguer de la
moyenne, et donc de massivement sous-évaluer leur situation.
Comparaison entre l’auto-positionnement déclaré par les personnes, et leur niveau de vie réel
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
Lecture : 53% des personnes avec un niveau de vie faible « bas revenus » sur-évalue sa situation financière
Les gilets jaunes en cela se rapprochent plutôt des bas revenus : 24% se voient plus riches qu’ils ne
sont (contre 18% en moyenne), 36% ont une vision de leur situation financière conforme à leur niveau
de revenus (contre 38% en moyenne). Toutefois on notera qu’ils semblent porter un regard plus néga-
tif que les personnes de condition modeste : 40% se voient plus négativement que leur situation.
8 Pour ce faire les catégories « défavorisés et classe populaire » ont été regroupés et considérés comme des bas revenus, les « gens aisés et les privilégiés » regroupés et considérés comme des hauts revenus.
47%
14%4%
53%47%
27%
14%0%
40%
70%
86%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
Bas revenus Classes moyennesinférieures
Classes moyennessupérieures
Hauts revenus
Sur-évalue sa situation
Se positionne correctement sur l'échelle des revenus
Sous évalue sa situation
16
Les faibles marges de manœuvre financières sont d’autant plus mal vécues par les Gilets jaunes que
beaucoup travaillent. L’affinité au mouvement est d’autant plus importante que la personne est ac-
tive, en poste : 65% des personnes déclarant être Gilets jaunes sont des actifs occupés, contre 53% en
moyenne dans la population. Au sein des actifs, les ouvriers, employés, non-diplômés, déclarent plus
souvent qu’en moyenne s’être engagés personnellement dans le mouvement ou le soutenir active-
ment. La corrélation entre le niveau de vie, la profession, le diplôme et la propension d’adhérer ou de
soutenir le mouvement est marquée.
Les personnes qui se sentent Gilets jaunes occupent plutôt des emplois à faible qualification : 49%
des personnes sont employés ou ouvriers alors que les deux catégories socio-professionnelles repré-
sentent 30% de la population. Le niveau de diplôme des gilets jaunes est inférieur à la moyenne (62%
de non diplômés et BEP/CAP contre 51% dans l’ensemble de l’échantillon).
Un gilet jaune sur deux est ouvrier ou employé, seuls 20% diplômés du supérieur
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
19% 20%15% 19%
12%7%
26%
16%
12% 8%
7%9%
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
40%
45%
50%
Vous êtesvous-même
un 'giletjaune'
Voussoutenez cemouvement
Vous avez dela sympathie
pour lui
Vous ne savezpas quoi en
penser
Vous y êtesopposé
Vous y êteshostile
Employé
Ouvrier
20%
41%
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
40%
45%
50%
Vous êtesvous-même
un 'giletjaune'
Voussoutenez cemouvement
Vous avez dela sympathie
pour lui
Vous ne savezpas quoi en
penser
Vous y êtesopposé
Vous y êteshostile
Diplomé du supérieur
17
5.5% sont commerçants, chefs d’entreprise, contre 3.7% en moyenne. 19% des gilets jaunes qui tra-
vaillent sont en CDD (contre 14% en moyenne), plutôt dans des entreprises privées (76% contre 67%
en moyenne). Les figures du « comité officiel » créée le lundi 26 novembre souhaitant rencontrer le
président de la République, le Premier ministre et son gouvernement sont parlantes.
• Priscillia Ludovski, auto-entrepreneuse spécialisée dans les cosmétiques bio et l’aromathéra-
pie ; ou celle de Jacq
• Thomas Mirallès, 25 ans, chef d’entreprise de courtage en prêts immobiliers basée à Perpignan
• Jason Herbert, 25 ans, chargé de communication à la médiathèque d’Angoulême
• Eric Drouet, 33 ans, chauffeur routier à Melun
• Marine Charrette-Labadie, 22 ans, serveuse en Corrèze
• Julien Terrier, 31 ans, autoentrepreneur à Corenc, en Isère
• Mathieu Blavier, 22 ans, étudiant et fabricant de jus de pomme
• Maxime Nicolle, 31 ans, intérimaire dans les Côtes-d’Armor
Ces indicateurs renvoient à la question de la position sur un marché de l’emploi en pleine voie de
polarisation, ce que Goos et Manning9, appellent la différence entre les « lovely jobs » et les « lousy
jobs » en liaison avec la classe sociale et l’âge. Cette polarisation entraine de fortes inquiétudes10 entre
d’un côté des emplois à forte valeur ajoutée pour les plus diplômés et de l’autre le développement
d’emplois de mauvaise qualité dans le secteur des services comme la vente au détail, la logistique, la
restauration, la construction, les livraisons ou les soins (santé, care mais aussi éducation). De nom-
breux profils de carrière sont de plus en plus « atypiques » à la fois dans leurs formes (temps partiel,
contrats de très courte durée, pluri-activité, etc.) et dans leurs statuts d’activité (franchise, sous-trai-
tance, portage salarial, intermittence, indépendance) et mal couverts par la protection sociale11 fa-
vorisant l’expansion des « zones grises » entre les deux statuts traditionnels de salarié et d’indépen-
dant12.
Rappelons que selon la DARES13, de 2001 à 2017, le nombre d’entrées en CDD augmente fortement, il
a été multiplié par 2,5. 87% des embauches en 2017 se font en CDD. Dans le même temps la durée
moyenne des CDD est divisée par deux, passant de 112 jours en 2001 à 46 jours en 2017. Au sein de
ces CDD, 83% durent moins d’un mois et 30% de ces CDD ne durent qu’une seule journée. Le phéno-
mène est particulièrement marqué dans certains secteurs d’activité, comme l’hébergement médico-
social, l’audiovisuel ou la restauration.
9 Goos M. et Manning A. (2007), « Lousy and Lovely Jobs: The Rising Polarization of Work in Britain », Review of Economics and Statistics, vol. 89, no 1, p. 113-133, 10 Autor David H. et Dorn D., (2013), « The Growth of Low-Skill Service Jobs and the Polarization of the US Labor Market », American Economic Review 2013, 103(5): 1553–1597 http://dx.doi.org/10.1257/aer.103.5.1553. 11 Gazier B., Palier B., Périvier H., (2014), Refonder le système de protection sociale, Presses de Sciences Po, chapitre 1. 12 Chauchard J-P. (2017), « L’apparition de nouvelles formes d’emploi : l’exemple de l’ubérisation », in Travail et protection sociale : de nou-velles articulations ?, coll : Grands colloques, LGDJ. 13 CDD, CDI : comment évoluent les embauches et les ruptures depuis 25 ans ?, Dares analyses n°26, juin 2018
18
La part des entrées en CDD a été multipliée par 2.5 depuis le début des années 2000
Taux d’entrée en CDD pour 100 salariés
Champ : France métropolitaine, secteur privé (hors agriculture, hors intérim), champ MMO (mouvements de main-d’œuvre).Source : Dares, MMO, données rétropolées avant 2016.
Lecture : en 2017 le taux d’entrées en CDD est de 84% dans les établissements de plus de 50 salariés
Comme l’explique Isabelle Coutant14 en s’appuyant sur une étude15 menée dans la France pavillon-
naire, ce que dit le mouvement des gilets jaunes c’est une aspiration à pouvoir vivre de son travail
dignement.
« C’est aussi une indignation morale, au-delà des revendications matérielles, face à des inéga-
lités qui deviennent insupportables. Et une demande de considération bien plus globale. (…)
« ils aspiraient essentiellement à « vivre comme tout le monde » et se sentaient fragilisés par
les évolutions économiques et sociales. Ce sentiment se traduisait à l’époque par un souci de
distinction vis-à-vis des habitants des cités d’habitat social (« ceux du bas »). [Coutant, 2018]
Certains travaux [Genestier, 2019] expliquent que les gilets jaunes se placent, par opposition, entre les
deux bouts de l’échelle sociale. D’une certaine manière, ils formeraient justement le peuple parce
qu’ils ne vivent pas « au crochet de l’Etat », ne dépendent pas des aides sociales et ne fréquentent
pas les équipements publics des métropoles Cette vision reste à nuancer largement. L’enquête Con-
ditions de vie et aspirations montre que 36% des gilets jaunes perçoivent des prestations de la CAF,
contre 16% pour ceux hostiles au mouvement et 24% en moyenne. 18% sont bénéficiaires de la CMU-
C, contre 5% en moyenne et 3% des personnes hostiles. 25% sont d’ailleurs éligibles à la CMU (contre
12% en moyenne et 11% des personnes hostiles). Une partie des gilets jaunes dépend donc déjà des
aides de l’Etat pour vivre. Davantage qu’un rejet des plus pauvres qu’eux, ces différents éléments
14 Le fond de l’air est jaune. Comprendre une révolte inédite , Textes réunis et présentés par Joseph Confavreux, Seuil, 2019 15 Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet et Yamnie Siblot, « La France des petits-moyens. Enquête sur la banlieue pavillonnaire », Paris, la découverte, 2008-
0,0
20,0
40,0
60,0
80,0
100,0
120,0
1993199419951996199719981999200020012002200320042005200620072008200920102011201220132014201520162017
Etablissements de plus de 50 salariés
Etablissements de 10 à 49 salariés
19
rassemblés semblent montrer que le mouvement témoigne davantage d’une colère face à un travail
qui ne permet pas de vivre correctement, et d’atteindre un niveau de vie jugé normal.
Le politologue Samuel Hayat16 relie ces opinions avec le concept en sciences sociales d’économie mo-
rale17 qui « a été développé par l’historien E. P. Thompson pour désigner un phénomène fondamental
dans les mobilisations populaires au XVIIIe siècle : celles-ci faisaient appel à des conceptions largement
partagées sur ce que devait être un bon fonctionnement, au sens moral, de l’économie18. Tout se
passait comme s’il allait de soi que certaines règles devaient être respectées : le prix des marchandises
ne devait pas être excessif par rapport à leur coût de production, des normes de réciprocité plutôt que
le jeu du marché devaient régler les échanges, etc. Et lorsque ces normes non écrites se trouvaient
bafouées ou menacées par l’extension des règles du marché, le peuple se sentait tout à fait dans son
droit en se révoltant, souvent à l’initiative de femmes, d’ailleurs. Leur mobile était bien économique,
mais pas au sens habituel : ils n’étaient pas mus par des intérêts matériels au sens strict, mais par des
revendications morales sur le fonctionnement de l’économie. On trouve des révoltes similaires en
France à la même époque, et même plus tard : les mineurs de la Compagnie d’Anzin, par exemple, la
plus grande entreprise française durant une bonne partie du XIXe siècle, se mettaient régulièrement en
grève pour rappeler aux patrons les normes qui devaient selon eux organiser le travail et sa rémunéra-
tion, souvent en référence à un ancien ordre des choses, bref à la coutume19. La résonance avec le
mouvement des gilets jaunes est frappante. Leur liste de revendications sociales est la formulation de
principes économiques essentiellement moraux : il est impératif que les plus fragiles (SDF, handica-
pés…) soient protégés, que les travailleurs soient correctement rémunérés, que la solidarité fonctionne,
que les services publics soient assurés, que les fraudeurs fiscaux soient punis, et que chacun contribue
selon ses moyens, ce que résume parfaitement cette formule « Que les GROS payent GROS et que les
petits payent petit ». »
Une logique qui selon le chercheur s’oppose à la philosophie utilitariste de l’économie actuellement
valorisée qui mise sur des mesures capables d’attirer des capitaux, des innovations qui pourront en-
suite dynamiser l’économie toute entière et profiter par effet de ricochet aux catégories modestes.
« Dès lors, la cohérence du mouvement se comprend mieux, tout comme le fait qu’il ait pu se passer
d’organisations centralisées : comme a pu le montrer James Scott, le recours à l’économie morale fait
naître une capacité d’agir collective, une agency, y compris chez des acteurs sociaux dépossédés des
capitaux habituellement nécessaires à la mobilisation20.En effet, l’économie morale n’est pas seule-
ment un ensemble de normes partagées passivement par les classes populaires. Elle est aussi le résultat
d’un pacte implicite avec les dominants et s’insère donc toujours dans des rapports de pouvoir. Déjà,
dans les classes populaires du XVIIIe siècle étudiées par E. P. Thompson, cette économie morale avait
des traits profondément paternalistes : on attendait des détenteurs du pouvoir qu’ils la garantissent,
en échange de quoi l’ordre social dont ils profitaient était globalement accepté. Mais que les dominants
rompent ce pacte, et alors les masses pouvaient, par l’émeute, les rappeler à l’ordre. »
16 Samuel Hayat, Les Gilets Jaunes, l’économie morale et le pouvoir, 5 décembre 2018, https://samuelhayat.wordpress.com/2018/12/05/les-gilets-jaunes-leconomie-morale-et-le-pouvoir/ 17 Il indique que ce lien a déjà été mentionné par plusieurs commentateurs du mouvement, notamment l’étudiant Léo Labarre (https://lvsl.fr/le-17-novembre-au-dela-des-gilets-jaunes) et l’historien Xavier Vigna (http://www.leparisien.fr/economie/gilets-jaunes-ils-inventent-leurs-propres-codes-estime-un-historien-26-11-2018-7954086.php) Sur les révoltes fiscales et l’économie morale, voir les travaux de Rachel Renault, notamment son livre La permanence de l’extraordinaire 18 Edward Palmer Thompson, « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century », Past & Present, n°50, 1971, p. 76‑136 19 Samuel Hayat, « Une politique en mode mineur. Ordre patronal et ordre communautaire dans les mines du Nord au XIXe siècle », Politix, n°120, 2017 20 James C. Scott, The Moral Economy of the Peasant Rebellion & Subsistence in Southeast Asia, New Haven, Yale University Press, 1977
20
Des normes sociales inatteignables
En effet, les Gilets jaunes expriment un profond sentiment de frustration financière. 76% des Gilets
jaunes s’en sortent difficilement et doivent s’imposer régulièrement des restrictions sur leur budget,
contre 55% en moyenne et 35% chez ceux qui ne cachent pas leur hostilité au mouvement. Les Gilets
jaunes ont le sentiment de devoir se serrer la ceinture davantage que la moyenne de la population,
quels que soient les postes considérés. Le différentiel est toutefois plus marqué en ce qui concerne le
logement, les soins médicaux, les dépenses de télécommunication et d’internet, l’alimentation et la
voiture.
Le sentiment de devoir se serrer la ceinture sur tout, et en particulier sur les loisirs, l’ha-billement, la voiture, l’alimentation
« Est-ce que vous (ou votre foyer) êtes obligé de vous imposer régulièrement des restrictions sur certains
postes de votre budget ? »
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
Autant de foyers qui décrivent une gestion financière à l’équilibre incertain. La fragilité de la situation
financière racontée par beaucoup menace quotidiennement l’appartenance à la classe moyenne [Go-
mant, 2019]. L’expérience d’un hypothétique coup dur est particulièrement révélateur à ce sujet. Seu-
lement 33% des Gilets jaunes sont en mesure de faire face à une
dépense imprévue de 2000 euros en puisant dans leurs réserves,
contre 53% en moyenne. En revanche, 67% des opposants et 70% des
personnes expressément hostiles au mouvement ont la capacité
d’absorber une telle dépense.
13% des gilets jaunes indiquent qu’ils seraient dans une situation ap-
paremment sans issue (+4 points par rapport à la moyenne des Fran-
çais), 13% auraient recours à un emprunt auprès d’une banque (+4 pts), et 8% demanderaient un dé-
couvert à leur banque (+4 pts), 9% vendraient des objets personnels (+5 pts). Très peu solliciteraient
une aide d’un organisme social.
24
25
28
36
40
41
42
48
49
55
60
10
15
14
16
21
22
33
29
29
39
46
0 20 40 60 80
Transports en commun
Tabac et boissons
Enfants
Logement
Medicaux
Téléphone / internet/ electronique/ informatique
Equipement ménager
Alimentation
Voiture
Habillement
Vacances et loisirs
Ensemble de la population Gilets jaunes
« T’es aussi gilet jaune quand le
paiement en 4x ou 10x devient ta
seule issue pour gouter au confort ».
Sur le groupe La France en colère, 12
décembre 2018, 21h21
21
Seuls 20% des Gilets jaunes ont des réserves financières
Si vous deviez faire face à une dépense imprévue de l’ordre de 2 000 €, que feriez-vous essentiellement ? % Vous puiseriez dans vos réserves
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
Autre marqueur de cet équilibre précaire, en cas d’entrée d’argent imprévue, un tiers des gilets jaunes
mobiliserait cette entrée pour rembourser une dette (contre 21% en moyenne), 32% la placeraient,
et 18% s’achèteraient quelque chose qu’ils désirent depuis longtemps.
33%
44%
53%
61%
66%70%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
Vous êtes vous-même un 'gilet
jaune'
Vous soutenez cemouvement
Vous avez de lasympathie pour lui
Vous ne savez pasquoi en penser
Vous y êtes opposé Vous y êtes hostile
En cas de dépense imprévuede 2000
euros, puiserait dans ses réserves
33%
28%
21%18%
12% 14%
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
Vous êtesvous-même
un 'giletjaune'
Voussoutenez cemouvement
Vous avezde la
sympathiepour lui
Vous nesavez pas
quoi enpenser
Vous y êtesopposé
Vous y êteshostile
En cas de rentrée d’argent imprévue de 2000 euros , rembourserait plus vite un
emprunt, des dettes
33%
14% 13% 13%
9% 8%
4% 4%
53%
11%9% 10%
4% 4%2%
4%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
Vous puiseriezdans vos réserves
Vous
emprunteriez
auprès d’un organisme
financier, d’une banque
Vous seriez dansune situation
apparemmentsans issue
Vousdemanderiez àvotre famille
proche (parents,grands-parents,
enfants)
Vous vendriez desvaleurs ou des
objets personnels
Vousdemanderiez undécouvert à la
banque
Vous vousadresseriez à
votre employeur
Vous vous
adresseriez à un
organisme d’aide sociale
Vous êtes vous-même un 'gilet jaune' Ensemble de la population
22
33% des Gilets jaunes ont des dettes à rembourser
Et si vous aviez une rentrée d’argent imprévue de l’ordre de 2 000 €, que feriez-vous essentiellement ? % vous rembourseriez plus vite un emprunt, des dettes
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
Comme l’explique l’anthropologue Dominique Desjeux, la panne de différents équipements néces-
saires à la vie quotidienne (machine à laver, réfrigérateur, chaudière et voiture) menace la plupart des
budgets familiaux dont l'équilibre tient bien souvent à l'existence d'un ou plusieurs crédits. Les travaux
menés en 2016 par le CREDOC pour l’ONPES sur les petits moyens montrent aussi un équilibre qui ne
tient qu’à un fil21.
21 Elodie Alberola, Isa Aldeghi et Jörg Müller, Les modes de vie des ménages vivant avec moins que le budget de référence, Collection des rapports du CREDOC n° 331, https://www.credoc.fr/publications/les-modes-de-vie-des-menages-vivant-avec-moins-que-le-budget-de-refe-rence
33%
44%
53%
61%
66%70%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
Vous êtes vous-même un 'gilet
jaune'
Vous soutenez cemouvement
Vous avez de lasympathie pour lui
Vous ne savez pasquoi en penser
Vous y êtes opposé Vous y êtes hostile
En cas de dépense imprévuede 2000
euros, puiserait dans ses réserves
33%
28%
21%18%
12% 14%
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
Vous êtesvous-même
un 'giletjaune'
Voussoutenez cemouvement
Vous avezde la
sympathiepour lui
Vous nesavez pas
quoi enpenser
Vous y êtesopposé
Vous y êteshostile
En cas de rentrée d’argent imprévue de 2000 euros , rembourserait plus vite un
emprunt, des dettes
33% 32%
18%
8% 8%
1%
21%
42%
15%
10%
8%
1%
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
40%
45%
Vous rembourseriezplus vite un emprunt,
des dettes
Vous la placeriez Vous achèteriez qqchose que vous
souhaitez depuislongtemps
Vous n'en feriez rien departiculier
Vous en feriez profitervotre entourage
Autre
Vous êtes vous-même un 'gilet jaune' Ensemble de la population
23
En cela les gilets jaunes donnent à voir une évolution plus largement présente dans la société française,
rappelons que, selon la banque de France, les encours de crédit à la consommation ont été multiplié
par 3.2 en l’espace de 25 ans.
Montant des encours de crédit à la consommation envers les particuliers en millions d’euros
Source : Banque de France
Une des clés de ce regard tient notamment à la montée des dépenses contraintes et en particulier des
dépenses de logement, 56% des gilets jaunes déclarent en effet que les dépenses de logement cons-
tituent une lourde charge pour leur budget, contre 47% en moyenne de la population, et 40% des
personnes hostiles au mouvement. Des travaux du CRÉDOC ont mis en lumière il y a une dizaine d’an-
nées déjà le sentiment de « sur-place » à l’œuvre au sein des classes moyennes, qui se sentent distan-
cées par les hauts revenus et rattrapées par les bas revenus22. Un sentiment prenant racine dans la
forte augmentation des dépenses contraintes sur une longue période, sur lesquelles les ménages ont
peu de marge de manœuvre. L’augmentation des coûts du logement et la difficulté d’accession à la
propriété expliquent une grande partie du malaise des classes moyennes23.
22 Régis Bigot, Les classes moyennes sous pression, Consommation et modes de vie n°219, mars 2009, http://www.cre-doc.fr/pdf/4p/219.pdf
23 Mélanie Babès, Régis Bigot et Sandra Hoibian, Propriétaires, locataires : une nouvelle ligne de fracture sociale, Consommation et mode de vie du CRÉDOC - n° 248, mars 2012
53598
186142
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20000
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no
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-01
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sept
-17
no
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8
24
Loyer, factures, charges : les dépenses contraintes ont grimpé de 12 % à 29 % en
soixante ans
Part de la dépense pré-engagée dans la dépense de consommation
Source : INSEE, Comptes nationaux, Base 2010
Un budget contraint en liaison notamment avec les dépenses de logement
Les dépenses de logement représentent-elles pour votre budget personnel (ou celui de votre foyer)
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
Au-delà de la montée des dépenses contraintes, la frustration est d’autant plus forte que les stan-
dards et normes de consommation ne cessent de progresser : 80% de la population a internet24, 60%
des Français partent en vacances, l’allongement des études est devenu un passage obligé pour garantir
24 Baromètre du numérique 2019
0,0
5,0
10,0
15,0
20,0
25,0
30,0
35,0
Part des cantines dans le revenu disponible brut
Part des services de télévision et de télécommunications dans le revenu disponible brut
Part des assurances (hors assurance-vie) et services financiers dans le revenu disponible brut
Part de la dépense liée au logement dans le revenu disponible brut
56%
60%
54%
49%
42%40%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
Vous êtesvous-même
un 'giletjaune'
Voussoutenez cemouvement
Vous avezde la
sympathiepour lui
Vous nesavez pasquoi enpenser
Vous y êtesopposé
Vous y êteshostile
Une charge négligeable, supportable
Une charge lourde, très lourde
25
un avenir à ses enfants, etc. Les normes de modes de vie ne cessent de s’étendre et d’appeler à da-
vantage de dépenses. L’exemple du logement est frappant. En France, selon l’INSEE, la surface
moyenne des logements tend à augmenter : 87,3 m2 pour les plus récents, contre 84,0 m2 pour les
logements construits entre 1975 et 1998 et 76,0 m2 pour ceux bâtis entre 1949 et 1974, et la part des
ménages propriétaires occupants a continué d’augmenter ces dernières années : elle est de 57,9 % en
2013, en France métropolitaine, soit environ 10 points de plus qu’en 1973 25. Les gilets jaunes aspirent
à atteindre ces différents standards. Ils vivent dans des logements de taille confortable : 66% vivent
dans des logements de 4 pièces et plus contre 64% en moyenne. 87% considèrent d’ailleurs vivre dans
des logements « de taille suffisante pour une famille comme la leur », contre 86% en moyenne. Mais
ce confort a un cout difficile à supporter (56% considèrent qu’il fait peser une lourde charge sur leur
budget contre 52% en moyenne). Mais certaines de ces normes sont inaccessibles pour eux. Seuls 30%
des gilets jaunes sont propriétaires de leur logement sans emprunt à rembourser, c’est 12 points de
moins qu’en moyenne, et 23 points de moins que la proportion observée chez les personnes hostiles
au mouvement.
Statut d’occupation du logement
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
Compte tenu de leur niveau de revenu, leurs perspectives de devenir un jour propriétaires sont minces,
elles ont même eu tendance à s’amenuiser fortement au cours des vingt dernières années. Différents
25 Les conditions de logement en France, Édition 2017, INSEE
30%
42%
53%
24%21%
16%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
se dit 'gilet jaune' Ensemble des français hostile au mouvement
Accédant à la propriété en cours de remboursement d'emprunt
Propriétaire sans emprunt
Locataire ou sous-locataire parc privé
Locataire ou sous-locataire parc social
Logé gratuitement
26
travaux du CREDOC ont mis en évidence ce phénomène de surplace des classes moyennes inférieures
dans l’accession de la propriété dès 200826. Phénomène confirmé par la dernière enquête logement.
« Entre 1996 et 2016, les prix à la consommation ont augmenté de 31 %, le revenu disponible brut par ménage de 40 %, tandis que le prix des logements anciens était multiplié par 2,52 (2,67 en Île-de-France). Pour les primo-accédants, la hausse des prix freine l’achat. Elle a été en partie compensée par l’allongement de la durée des emprunts (19,6 ans entre 2009 et 2013, contre 17,2 ans entre 2002 et 2006 et 14,6 ans entre 1997 et 2001) et la baisse des taux d’intérêt (3,5 % entre 2009 et 2013, contre 4,1 % entre 2001 et 2006, 5,2 % entre 1997 et 20011). Pour les accédants récents, il a aussi fallu maintenir le taux d’apport personnel autour du tiers, c’est-à-dire consentir à une hausse de sa valeur absolue compte tenu de la hausse des prix. Les mé-nages qui ne sont pas propriétaires forment une catégorie au fil du temps de moins en moins aisée. Les anciennes générations de propriétaires pauvres vivant en logements de mauvaise qualité ont disparu, si bien que la propriété occupante est devenue moins fréquente parmi les plus modestes que dans le passé. La proportion de ménages propriétaires dans le premier quar-tile de revenu par unité de consommation a baissé par rapport à 1984 (– 8,9 points). Le revenu est devenu un déterminant plus important de l’accès à la propriété qu’il y a trente ans. Les chances d’accès à la propriété d’un ménage du premier quartile de revenu par unité de con-sommation sont de 33 % de celle d’un ménage du deuxième quartile en 2013 ; elles étaient de 71 % en 1984 »27
Comme le résume Louis Chauvel 28 « les biens reflétant la participation aux formes les plus élaborées
de la vie sociale, pour parler comme Maurice Halbwachs, [se sont éloignés] : accéder aux meilleurs
services de santé, pouvoir prétendre aux diplômes les plus élevés, résider à proximité des voisinages les
plus exclusifs, au foyer central de la valeur sociale, sont maintenant hors de portée des classes
moyennes intermédiaires. »
Pouvoir se faire plaisir dans une société qui valorise la consommation
Dans le champ de la consommation, les cycles de vie des produits sont de plus en plus courts notam-
ment car, comme l’explique Juliet Schor, le territoire de la mode est sorti du textile pour toucher
aujourd’hui quasiment tous les domaines : aménagement de l’intérieur, ustensiles de cuisine, lu-
nettes, etc). L’écart entre les ressources et les « besoins » pour être intégrés participe du sentiment
de privation des gilets jaunes. Les Gilets jaunes sont en difficulté pour suivre le train de vie actuel de
la société, où les besoins, offres et services se multiplient. L’exemple des telecoms et d’internet est
assez parlant. Entre 2011 et 2019, le taux de possesseurs de smartphones est passé de 17% à 75%29.
Les gilets jaunes sont autant, voire davantage équipés (78%)30 de smartphones. 40% disposent d’une
tablette, contre 42% en moyenne. Toute la société se numérise à grande vitesse, et chaque jour de
26 Babès Mélanie, Bigot Régis, Hoibian Sandra, Les dommages collatéraux de la crise du logement sur les conditions de vie de la population, Cahier de Recherche, n°281, CREDOC, 2011. http://www.credoc.fr/pdf/Rech/C281.pdf Bigot Régis, Hoibian Sandra, « Les difficultés des Français face au logement », Cahier de Recherche, n°265, CREDOC, 2009. http://www.cre-doc.fr/pdf/Rech/C265.pdf Bigot Régis, Les classes moyennes sous pression, Consommation et modes de vie n°219, mars 2009 27 Anne Laferrère, Erwan Pouliquen, Catherine Rougerie, Le logement en France depuis trente ans, Insee Références, édition 2017 - Vue d’ensemble - Le logement en France depuis trente ans 28 Le fonds de l’air jaune, op.cit. 29 Baromètre du numérique 2019, CREDOC, taux indiqués sur la population des 18 ans et plus, pour être comparable à celle des gilets jaunes. 30 Il s’agit ici des gilets jaunes identifiés via la même question mais à la vague de juin 2019, où l’échantillon est interrogé en face à face.
27
nouveaux services, privés, ou publics se multiplient. On comprend donc bien la nécessité pour chacun
de s’équiper, s’il souhaite pouvoir rester à la page, inclus dans notre monde, ou tout simplement tra-
vailler ou accéder à des services publics. Mais la consommation de ce type de produits va au-delà et
est aujourd’hui parée de vertus consolatoires : 41% des Gilets jaunes (soit 16 points de plus que la
moyenne) déclarent qu’ils aiment acheter des produits nouveaux qui viennent de sortir, et 50%
qu’acheter leur fait du bien quand ils n’ont pas trop le moral. Les Gilets jaunes cherchent à monter
dans le train de la consommation dont ils se sentent largement exclus.
L’envie de monter dans le train de la consommation sans pouvoir y arriver
% plutôt d’accord à propos d’achats dans le domaine des télécoms et d’internet
Source : CREDOC, enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019
Un des déclencheurs du mouvement se situe précisément dans ce sentiment de devoir se serrer la
ceinture dans une société où la consommation est parée de multiples atours, et qui sur-sollicite les
individus via des publicités présentes sur tous les supports, et où les entreprises, bien légitiment, riva-
lisent de créativité pour susciter l’envie. La distance à une norme de société prise dans une course en
avant est visible lorsqu’on s’intéresse à l’écart entre le revenu du foyer réel et le revenu idéal auquel
aspirent nos concitoyens. Notons tout d’abord que nos concitoyens ne sont pas indéfiniment gour-
mands : plus on avance dans l’échelle des revenus et plus le delta entre les revenus idéaux et la réalité
s’amenuise en valeur absolue. Les hauts revenus se disent même pleinement satisfaits de leur sort.
L’écart entre niveau de vie « réel » et désiré est en moyenne, de 600 euros, soit une augmentation de
25% par rapport aux revenus déclarés dans notre enquête31. Chez les gilets jaunes, les données mesu-
rées sont très proches. En valeur absolue l’écart est de 600 euros, mais portant sur des revenus infé-
rieurs, l’écart en pourcentage est mécaniquement plus important (32%). D’une certaine manière les
31 Pour pouvoir comparer revenu réel et idéal nous avons bien fait figurer ici les revenus et non pas le niveau de vie : les montants ne sont pas rapportés à la composition du ménage. Notons que les revenus de l’enquête Conditions de vie sont déclaratifs. Ils intègrent les revenus de l’ensemble des membres du foyer : salaires, pensions et retraites, allocations chômage, prestations sociales, loyers perçus et revenus du capital, etc., nets des cotisations so-ciales, mais avant paiement des impôts.
31
59% des Gilets jaunes se sentent toujours un peu coupables quand ils dépensent de l’argent (contre
50% en moyenne)
49% des Gilets jaunes se disent très sensibles à
l’environnement (contre 40% en moyenne)
28
gilets montrent ainsi une appétence pour consommer « comme la moyenne ». Les travaux de l’Ob-
soco convergent sur ce point32.
Le revenu idéal mensuel- 600 euros de plus
Revenu du foyer intégrant les prestations sociales et avant impôt (médiane)
Et revenu idéal « Pour une famille comme la vôtre, quel serait le revenu mensuel dont vous souhaiteriez disposer ? » (médiane)
Niveau de vie
Médiane des
revenus to-
taux réels
Médiane
du revenu
idéal
Ecart en va-
leur absolue Ecart en %
Bas revenus 1287 2000 713 55%
Classes moyennes inférieures 2000 2600 600 30%
Classes moyennes supérieures 3100 3500 400 13%
Hauts revenus 5020 5000 -20 0%
Total 2400 3000 600 25%
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
Face à ces difficultés pécuniaires, et ce désir de consommer, 82% des Gilets jaunes souhaitent une
amélioration de leur pouvoir d’achat, contre 73% des Français en moyenne et 71% exprimant leur
hostilité au mouvement.
Lorsqu’on examine l’importance accordée par les gilets jaunes aux dimensions du travail et du loisirs
dans leur vie, on constate une forme d’aspiration à sortir d’une gestion du budget dominé par la
contrainte. Les personnes considérant appartenir au mouvement sont 78% à déclarer accorder beau-
coup d’importance au temps libre et loisirs, contre 68% dans l’ensemble de la population et 57% des
32 Obsoco, Qui sont les gilets jaunes, leurs soutiens et leurs opposants ?, Rapport d’analyse, Février 2019 « Par exemple, 23 % d’entre eux sont tout à fait d’accord avec l’affirmation selon laquelle « consommer, pouvoir acheter ce qui fait plaisir, contribue fortement au bonheur » (contre 17 % pour l’ensemble de l’échantillon et 14 % parmi les opposants). De même, les « gilets jaunes » très impliqués s’accordent à 62 % sur l’idée que « dans le contexte actuel, heureusement qu’il y a la consommation pour compenser et se faire plaisir » (contre 56 % pour l’ensemble des répondants et 51 % pour les opposants). »
1900
24002500
3000
Gilets jaunes Ensemble de la population
Médiane revenu actuel total avecprestations avant impotMédiane revenu idéal
600 euros +32%
600 euros +25%
29
personnes hostiles au mouvement. Sans que cela n’entame, remarquons-le, l’importance du travail à
leurs yeux. Et dans le même temps, fait symptomatique, seuls 47% des gilets jaunes sont partis en
vacances au cours des 12 derniers mois, contre 67% des personnes hostiles et 58% en moyenne dans
la population.
Une aspiration à davantage de loisirs
Vous êtes vous-
même un 'gilet jaune'
Ensemble de la population
Hostile au
mouve-ment
Accorde beaucoup d’importance à leur travail, profession, carrière (notes 6 et 7 sur une échelle de 1 à 7) 57% 52% 50%
Accorde beaucoup d’importance au temps libre et la détente (notes 6 et 7 sur une échelle de 1 à 7) 78% 68% 57%
Parti en vacances au cours des 12 der-niers mois
47% 58% 67%
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
Partir en vacances contribue à l’image que les individus se font de leur propre statut social (CREDOC-
DGE 2009 ; 2010)33. Du point de vue de la population, partir en vacances fait partie des besoins jugés
incontournables pour être intégré dans la société (CREDOC-IRES-ONPES 2014)34. Les analyses réalisées
par le CREDOC à partir du volet spécifique de l’enquête Budget des Familles de l’INSEE dédié au budget
vacances des Français et s’appuyant sur une enquête en face-à-face auprès de plus de 10 000 ménages
entre octobre 2010 et octobre 2011 objectivent le coût des vacances pour les ménages35. En
moyenne, pour un ménage qui décide de partir, les dépenses de vacances représentent en moyenne
4,94% de l’ensemble des ressources du ménage, soit un poids supérieur à celui représenté par les
dépenses moyennes d’habillement et chaussures (3,8%) ou équivalent aux dépenses de santé (4,8%)36.
Et lorsqu’ils arrivent à partir, et malgré leurs efforts pour partir « pas cher » (en voiture, chez des amis
ou de la famille, en France), les vacanciers modestes consacrent plus de 8% de leur budget annuel
alors que, chez les ménages les plus aisés la dépense s’élève à 4,17% du budget de l’année. On com-
prend dès lors que les vacances soient jugées inabordables pour de nombreux gilets jaunes aux res-
sources modestes et jouent le rôle de variable d’ajustement pour arriver à tenir son budget.
33 Sandra HOIBIAN et Georges HATCHUEL, 2009 : Avec la crise, la recherche de vacances économes se développe, CREDOC, Paris, mars 2010. 34 Les travaux portaient sur la définition, à partir du point de vue de la population, d’un budget permettant de « disposer des ressources suffisantes, non seulement pour faire face aux nécessités de la vie quotidienne (se loger, se nourrir, avoir accès à la santé…), mais aussi pour avoir la possibilité de participer à la vie sociale ». Léopold GILLES, Chloé COVOLO, BUDGETS DE REFERENCE, Étude réalisée à la demande de l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES), juillet 2014, http://www.on-pes.gouv.fr/IMG/pdf/ONPES_CREDOC_RAPPORT_FINAL.pdf ONPES, les budgets de référence : une méthode d’évaluation des besoins pour une participation effective à la vie sociale, Rapport 2014-2015, http://www.onpes.gouv.fr/IMG/pdf/WEB_Rapport_2014_2015.pdf 35 En règle générale difficile à calculer dans la mesure où il intègre différentes dépenses souvent comptabilisées dans différents postes (trans-port, loisirs, etc) et où les ménages eux-mêmes ne sont pas toujours en mesure d’indiquer précisément des montants qui puissent être traités de manière homogène (effet mémoriel, intégration ou non de certaines dépenses, etc.). 36 Emilie Daudey, Sandra Hoibian et Sophie Lautié, Le budget vacances des Français, cahier de recherche n°324, décembre 2015
30
Déjà dans les années 60, Joffre Dumazedier37, mettait en évidence l’importance des loisirs dans la vie
sociale moderne. Nos travaux sur l’évolution du bien-être de nos concitoyens38, montraient une pro-
gression de l’accès aux loisirs chez les classes moyennes, entre le début des années 80 et 2012. Les
personnes se considérant comme des gilets jaunes dans notre enquête ne sont pas sans pratiques de
loisirs, mais ils aspirent à davantage. 24% des gilets jaunes déclarent aller régulièrement au bistrot,
soit plus souvent que la moyenne. Par contre, seuls 27% déclarent pouvoir s’offrir régulièrement le
restaurant, contre 37% des personnes hostiles au mouvement.
Aller au bistrot, mais pas souvent au restaurant
Va régulièrement au bistrot 24% 13% 14%
Va régulièrement au restaurant 27% 31% 37% Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
Qu’il s’agisse des publicités, ou des émissions à la télévisions, la représentation
de personnes en situation financière confortable domine. L’écart entre la vie
vécue et celle représentée est omniprésent. La dernière vague du baromètre
de la diversité39 conduit par le Conseil supérieur de l’audiovisuel confirme, à
l’instar des précédentes, une sur-représentation des catégories socioprofes-
sionnelles supérieures (CSP+) (74 %) au détriment des catégories socioprofes-
sionnelles inférieures (CSP-), représentées à hauteur de 12 %, et des inactifs
(14 %). Les ouvriers sont, en particulier, représentés à hauteur de 4 % alors
qu’ils composent 12 % de la société française. Comment s’étonner dès lors de
la frustration permanente ressentie ?
Une frustration d’autant plus difficile à accepter en période de reprise
L’écart à la norme est d’autant plus difficile à vivre que la reprise économique
est enfin présente, après des années de vaches maigres dans la suite de la
grande crise de 2008. En même temps que le mouvement des gilets jaunes
émerge, l’Insee publie une estimation du pouvoir d’achat en hausse, avec une
augmentation de 1,4% en 201840, pour la quatrième année consécutive. En
parallèle d’autres indicateurs sont au vert : la croissance de l’investissement
des entreprises est prévue à +2,2% à mi-2019, après +0,8% sur l’ensemble de
2018 ; la consommation augmenterait de +1,4% à mi-2019, après +0,8% sur l’ensemble de 2018. Sur
le front de l’emploi, d’après la DARES, le taux de chômage, à 8,8% au quatrième trimestre 2018, pour-
suit la baisse initiée depuis 2015, même s’il reste supérieur aux taux observés juste avant le déclen-
chement de la crise de 2008.
37 Dumazedier Joffre, Vers une civilisation du loisir ?. Ed du seuil Paris 1962 38 Bigot Régis, Hoibian Sandra, « L'évolution du bien-être en France depuis 25 ans : un bilan mitigé, une augmentation des inégalités », L'Année sociologique, vol. vol. 64, no. 2, 2014, pp. 331-358. 39 Baromètre de la diversité de la société française, Vague 2018, CSA, décembre 2018 40 Note de conjoncture de l’Insee, décembre 2018
Intérieur et extérieur de la série
Fais pas ci Fais pas ca, diffusée
pendant dix ans entre 2007 et
2017 sur France 2
31
Le taux de chômage continue de baisser
Taux de chômage au sens du BIT- en % de la population active
Champ : France hors Mayotte, population des ménages, personnes de 15 ans ou plus. Source : DARES, Insee, enquête Emploi – Données corrigées des variations saisonnières en moyenne trimes-
trielle
On observe ici l’effet « tunnel »41 théorisé par le sociologue Albert Hirschman. Imaginez des voitures
bloquées dans un embouteillages. Tant que les voitures sont bloquées, chacun prend son mal en pa-
tience. Si une autre file que la vôtre redémarre, dans un premier temps vous éprouverez l’espoir que
la circulation se fluidifie aussi sur votre file. Mais si cela ne se produit pas, ou tarde à se produire, vous
ressentirez une forme de colère et frustration à être bloqué sur la mauvaise file. La parabole permet
de décrire l’effet de comparaison sociale probablement à
l’œuvre dans le mouvement des gilets jaunes. Lorsque la si-
tuation d’un groupe social s’améliore, les autres groupes
sont dans un premier temps plein d’espoirs que leur tour
vienne prochainement. Le temps passant, le sentiment
d’injustice est décuplé et a toutes les chances se traduire
par un conflit.
2. Des difficultés de vie / accidents de parcours limitant la capacité d’autono-
mie
Au-delà de caractéristiques sociales (niveau de vie, diplôme, profession) l’identification ressentie au
mouvement des Gilets jaunes est plus forte chez des personnes en prise avec différentes formes de
fragilité et de difficultés. Le sociologue Robert Castel parle d’un processus de « désaffiliation » qui
consiste en une rupture successive des liens sociaux et provoque des formes de « vulnérabilité », dont
la figure du SDF serait l’aboutissement. Ces ruptures sont à la fois concrètes (la famille, les amis, le
voisinage, etc.), mais également abstraites (comme le lien politique du fait de l’abstentionnisme par
41 Albert Hirschman, La Morale secrète de l'économiste ", Les Belles Lettres, 1997, 110 francs.
7,2
10,5
8,8
6
6,5
7
7,5
8
8,5
9
9,5
10
10,5
11
« On aimerait voir la vie en rose » slogan
collecté 17 nov au 26 dec 2018 sur murs,
pancartes, banderoles – source : Le
fonds de l’air est jaune
32
exemple). Il y a pour le sociologue un risque « de désaffiliation lorsque l’ensemble des relations de
proximité qu’entretient un individu sur la base de son inscription territoriale, qui est aussi son inscrip-
tion familiale et sociale, se trouve en défaut pour reproduire son existence et pour assurer sa protec-
tion »42.
On retrouve en effet la présence de différents facteurs chez les personnes ayant revêtu le gilet :
• Au-delà des professions et niveaux de revenus modestes, on repère une fragilité en termes de
sécurité de l’emploi avec davantage de personnes ayant connu une période de chômage, étant
actuellement en intérim ou CDD.
• Des accidents de vie ou des changements fragilisant : le décès d’un membre de la famille, la
séparation ou le divorce.
• Des difficultés de santé : handicap ou maladie chronique, état dépressif, insomnies, nervosité.
Les Gilets jaunes en prise avec plusieurs sources de fragilité
Chez les personnes se considérant comme Gilets jaunes En moyenne dans la popula-
tion
Différentiel
35% ont connu une période de chômage au cours des 5 der-nières années
20% +15 pts
13% sont actuellement en intérim 6% +7 pts 20% sont actuellement en CDD 14% +6 pts 27% ont un membre de leur famille qui est décédé au cours des 12 derniers mois
18% + 9 pts
17% ont divorcé, se sont séparés de leur conjoint au cours des 12 derniers mois
6% +11 pts
33% souffrent d’un handicap ou d’une maladie chronique 25% +8 pts 32% ont souffert d’état dépressif au cours des 4 dernières se-maines
18% +14 pts
51% ont souffert d’insomnies au cours des 4 dernières se-maines
39% +12 pts
44% ont souffert de nervosité au cours des 4 dernières se-maines
33% +11 pts
56% ont souffert de maux de dos au cours des 4 dernières se-maines
51% +5 pts
21% ne se sentent pas en sécurité dans leur cadre de vie quoti-dien
12% +11 pts
23% sont accédants à la propriété, dont 13% sont devenus pro-priétaires au cours des 12 derniers mois
16% et 7% au cours des 12 der-niers mois
+7 pts, +6 pts
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
Antoine Bernard de Raymond et Sylvain Bordiec43 ont mené une enquête ethnographique débutée en
décembre sur deux ronds-points situés dans une petite ville du sud-ouest de la France (que les auteurs
42 Robert Castel, 1995, Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Gallimard 43 Antoine Bernard de Raymond & Sylvain Bordiec, « Tenir : les Gilets jaunes, mouvement d’occupation de places publiques », Métropoli-tiques, 14 octobre 2019. URL : https://www.metropolitiques.eu/Tenir-les-Gilets-jaunes-mouvement-d-occupation-de-places-publiques.html
33
dénomment « Treyssac » pour garder la confidentialité des données recueillies), où ils réalisent des
observations régulières de lieux d’occupations et d’actions des Gilets jaunes. « Venant au minimum
une fois par semaine à Treyssac, nous faisons varier les observations selon le jour de la semaine et
l’heure de la journée. En parallèle, nous effectuons des entretiens compréhensifs avec les participants
et recueillons des matériaux écrits (tracts, comptes rendus de réunions, etc.). ». Mobilisant un matériau
de terrain très différent, le profil des participants sur les sites est très convergent avec celui observé
dans notre enquête et souligne la présence de handicaps divers ou difficultés de vie.
« Les participants au mouvement rencontrés sur les sites occupés sont en majorité des per-
sonnes d’âge moyen (entre 40 et 55 ans), occupent souvent des emplois d’ouvriers (pour les
hommes), dans le bâtiment, les transports, l’industrie, et d’employées (pour les femmes), no-
tamment dans les domaines du « care », des services à domicile ou encore de la vente. Des
professions intermédiaires – travail social, médical et paramédical – ainsi que des travailleurs
indépendants participent également. Ils côtoient des retraités et des personnes atteintes d’un
handicap entravant la poursuite d’une activité professionnelle. D’autres participants ont à
charge une personne handicapée. Par ailleurs, beaucoup d’enquêtés mentionnent des pro-
blèmes d’accès au marché du travail en raison d’une invalidité. »
Certaines des enquêtes répertoriées montrent une sur-représentation des foyers monoparentaux,
dont on sait que la situation est fragilisée par le poids d’une famille à porter par un seul adulte.
- L’enquête de l’Obsoco répertorie 8% de foyers monoparentaux parmi les gilets jaunes
- L’enquête du collectif de chercheurs de Sc Po Grenoble à partir de 1500 questionnaires réalisés
en ligne à partir de groupes facebook de gilets jaunes répertorie 12 % de familles monoparen-
tales
Notons que dans l’enquête du CREDOC Conditions de vie et aspirations et menée en juin 2019, 15%
des gilets jaunes appartiennent à une famille monoparentale (contre 8% en moyenne).
3. L’aspiration à l’autonomie
La soif d’une plus grande liberté
Les formes d’engagement ont beaucoup évolué ces dernières années44. Au-delà des modes de mobili-
sations (plus ponctuels, plus souples, désaffiliés). La finalité des mobilisations ont changé. Celle-ci ne
se fait plus au nom de la mise en place d’un « contre-pouvoir » ou d’une idéologie bien définie mais
dans l’objectif de la démultiplication de petits actes de prise de parole ou de prise de position qui
servent à restituer une part de liberté aux individus dans leur vie quotidienne (Benasayag, Sztulwark,
2000). Ce désir d’affirmer sa liberté est très net chez les gilets jaunes. 52% considèrent que la société
française a besoin de « plus de liberté » (plutôt que plus d’ordre ») pour mieux fonctionner contre 29%
en moyenne.
Les gilets jaunes aspirent à une société qui offre davantage de liberté
44 Voir par exemple ION, Jacques, S’engager dans une société d’individus, Armand Colin, 2012.
34
Selon vous, la société française a-t-elle aujourd’hui besoin, pour mieux fonctionner, de plus d’ordre ou de plus de liberté ?% liberté (vs ordre)
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
A l’autre bout du spectre, les personnes hostiles au mouvement appellent quant à elles, à davantage
d’ordre (possiblement en liaison avec les débordements liées aux différentes mobilisations, ou par
peur de perdre leurs situations ?). L’écart est d’autant plus signifiant, que dans le même temps, les
plus hostiles au mouvement se voient comme très libres de leurs propres vies et parcours : 45%
d’entre eux (contre 32% en moyenne dans la population française) se disent tout à fait d’accord avec
l’idée qu’ils peuvent mener leur vie comme bon leur semble.
La position des Gilets jaunes sur ce point est révélatrice. 46% d’entre eux se disent eux-aussi souvent
« libres de vivre leur vie comme ils l’entendent ». Compte tenu des nombreuses contraintes et difficul-
tés auxquelles nous avons vu qu’ils sont confrontés (bas revenus et difficultés à boucler les fins de
mois, handicap, accidents de vie…), il nous semble que cette affirmation tient possiblement d’une re-
vendication, d’un souhait affiché de faire partie de cette société et d’accéder à la liberté qu’elle est
censée procurer. Pour reprendre les mots de Rosanvallon, ils expriment le désir d’une société où les
individus peuvent sortir d’une vie rétrécie pour réaliser une vie qui se déploie.
52%
39%
28%
20%17% 18%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
Vous êtes vous-même un 'gilet
jaune'
Vous soutenez cemouvement
Vous avez de lasympathie pour
lui
Vous ne savezpas quoi en
penser
Vous y êtesopposé
Vous y êteshostile
35
L’émancipation pour tous ?
% considère que la société française a aujourd’hui besoin, pour mieux fonctionner, de plus de liberté ? % plus de liberté –
% est tout à fait d’accord avec l’idée d’être libre de vivre sa vie comme il l’entend
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », début 2019
La difficulté à s’extraire de sa condition sociale - L’éthique du « projet » en question-
Ces dernières décennies ont été marquées par une valorisation grandissante de la responsabilité et
action individuelle45. Chacun, s’il veut vivre une vie épanouissante, doit aujourd’hui être capable de
constituer un projet personnel convaincant pour être sélectionné dans une formation de bon niveau,
de développer son employabilité au cours de sa vie avec des formations et des changements de car-
rière bien choisis pour rester attractif dans le marché de l’emploi, ou pour donner un exemple dans
d’autres domaines, de constituer le meilleur dossier pour avoir des chances d’obtenir un logement en
location, ou encore de donner une belle image de lui pour augmenter ses chances de rencontrer l’âme
sœur dans les « supermarchés » géants de la rencontre en ligne que sont les applications de ren-
contres, où l’offre mais aussi la concurrence est infinie, etc.
Avoir un « projet » est ainsi perçu par nos concitoyens comme un moyen d’être pleinement acteur de
sa vie personnelle (88%) et professionnelle (84%) et ainsi de sortir du quotidien (87%), de donner du
sens à la vie et de la rendre plus belle (87%)46. Jean Pierre Boutinet47 explique que l’utilisation du mot
projet émerge à l’époque des Lumières au XVIIème siècle, époque pendant laquelle l'homme s'institue
comme agent de l'histoire à côté, voire à la place de Dieu. Dans la plupart des sociétés traditionnelles,
le temps et l’avenir était structuré par le temps agraire, répétitif, où le présent se veut la réactualisa-
tion d'un passé considéré comme jamais révolu. Marquée par une soif d'émancipation et de progrès,
les philosophes, penseurs et hommes d'action utilisent le terme de projet pour représenter l’idée qu’ils
se font du nouveau pouvoir des hommes sur le monde. Le philosophe Kant par exemple affirme que
l’objectif du raisonnement n’est pas la connaissance mais l’action. Plus tard, au XIXème siècle, Fichte
45 Note de conjoncture sociétale 2018, Être l’entrepreneur de son bien-être , CREDOC, sur souscription 46 Patricia Croutte, Sandra Hoibian, Charlotte Millot, 2018 : le bon moment pour se lancer dans un projet, note de synthèse, avril 2018 47 Jean Pierre Boutinet, Anthropologie du projet, PUF, 2012
46%
31%25%
29% 31%
45%
52%
39%
28%
20%17% 18%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
Vous êtesvous-même
un 'giletjaune'
Voussoutenez cemouvement
Vous avez dela sympathie
pour lui
Vous ne savezpas quoi en
penser
Vous y êtesopposé
Vous y êteshostile
Je me sens tout à fait libre de vivre ma vie comme je l'entends
La société a besoin de plus de liberté pour mieux fonctionner
36
un autre philosophe allemand, associe le projet à l’effort qui permet à l’homme d’acquérir sa liberté.
Au mythe de l'âge d'or et du passé idéal cher à Rousseau, Fichte propose de substituer la croyance en
un avenir, source de progrès. De manière plus contemporaine, Sartre voit le projet comme un moyen
de se dépasser, et de construire des liens avec autrui.
« L'homme est d'abord un certain projet qui se vit subjectivement ; rien n'existe préalablement à ce
projet : l'homme sera d'abord ce qu'il aura projeté d'être », écrit Sartre (1947, 23)
Dans une société qui se réinvente en permanence et dominée par la rapidité, la flexibilité, l’incertitude
par rapport à l’avenir (qu’il s’agisse des métiers de demain, de la vie affective, des relations entre les
hommes et les femmes, entre les générations, des bouleversements induits par les technologies sans
cesse renouvelées, etc), les individus se placent – ou sont placés ? - de plus en plus en situation d’être
eux-mêmes les entrepreneurs de leur vie, de leur formation, de leur carrière professionnelle, de leur
vie sentimentale, etc.
Les gilets jaunes adhèrent à cet horizon du projet, symptomatique du mythe de l’individu entrepre-
neur de sa vie, et ils sont plus nombreux que la moyenne à envisager de se lancer. Par exemple, 37%
déclarent qu’ils ont le projet de changer, dans les cinq prochaines années, de lieu de vie en déména-
geant dans une autre région ou pays (+10 points par rapport à la moyenne). 32% souhaitent changer
de métier ou d’entreprise (+7 pts), 36% s’installer en couple, avoir un enfant (+13 pts). Mais dans le
même temps ils sont beaucoup plus nombreux à exprimer leurs difficultés à atteindre cet objectif.
82% estiment qu’il est difficile aujourd’hui d’avoir un projet (+18 points par rapport à la moyenne).
37
L’envie de se lancer dans un projet
D’ici cinq ans, pensez-vous réaliser un projet parmi les suivants
% d’accord avec différentes affirmations
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », début 2019
Plus particulièrement chez les moins de 40 ans
Les difficultés financières de certains retraités, la question de l’indexation des retraites, la réforme de
la CSG et la charge fiscale supplémentaire qui en découle figuraient parmi les thèmes phare abordés
dans le cadre du débat public qui accompagnait les premiers mois du mouvement. Cependant, bien
que très médiatisée, la figure du retraité semble moins présente que celle des jeunes. Une personne
sur deux qui se sent Gilet jaune a moins de 40 ans, contre 34% en moyenne dans la population fran-
çaise. 15% des Gilets jaunes ont plus de 60 ans, ce qui n’est bien entendu pas négligeable, mais nette-
ment inférieur à la proportion de cette classe d’âge en France (31%). C’est en effet parmi les trente-
naires et quarantenaires que l’envie de se projeter dans un avenir meilleur est forte : la vie active est
entamée devant théoriquement permettre d’atteindre ses objectifs, c’est également une période pro-
pice à différents changements familiaux et affectifs propices aux projets (enfants, couple).
34%37%
32% 32%
36%
24%
29%27%
26% 25%23%
12%
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
40%
Vous engager dansune association, lla
vie de votre quartierou une cause qui
compte pour vous
Changer de lieu de vie: déménager dans uneautre région, dans un
autre pays
Acheter un logement: résidence principale
ou secondaire
Changer de métier, ou d’entreprise
Vous installer encouple, ou avoir un
enfant
Vous mettre à votrecompte en activité
indépendante
Vous êtes vous-même un 'giletjaune'Ensemble de la population
80%85% 82% 82%82%
88%80%
64%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
Avoir un projet permet d’être pleinement acteur de sa vie professionnelle
Avoir un projet permet d’être pleinement acteur
de sa vie personnelle
On ne sait pas toujourscomment faire pourréaliser ses projets
Il est difficile d’avoir des projets aujourd’hui
Vous êtes vous-même un 'gilet jaune'
Ensemble de la population
38
Une envie à relier à l’âge des Gilets jaunes
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », début 2019
L’âge moyen des personnes se disant « gilets jaunes » est ainsi de 40 ans. Tandis que leurs soutiens
sont en moyenne plus âgés (47 ans). Les autres enquêtes repèrent aussi une grande diversité d’âge,
toutes ne convergent pas sur la classe d’âge la plus présente, toutefois plusieurs mettent en avant
un pic autour de la quarantaine :
- L’étude en ligne du collectif de chercheurs de sciences po via des groupes Facebook constate
un échantillon diversifié en termes d’âge, avec une dominante de 38 % des 35-49 ans
- L’Institut Montaigne identifie que parmi les gilets jaunes 28% ont 35-49 ans, 30% 50-64 ans
- L’enquête menée par un collectif de chercheurs du Centre Emile-Durkheim (Bordeaux), via 166
questionnaires distribués sur les ronds-points et aux péages, établit qu’il s’agit de personnes
« âgées de 45 ans en moyenne »
- L’Obsoco indique l’âge moyen des gilets jaunes est de 44 ans, et 24% entre 35 et 44 ans
25%17% 14%
25%
17%
11%
34%
35%
28%
11%
15%
17%
4%
16%
30%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
Se dit 'gilet jaune' Ensemble de la population Hostile au mouvement
Moins de 25 ans
25 à 39 ans
40 à 59 ans
60 à 69 ans
70 ans et plus
39
4. Une révolte des territoires, mais lesquels ?
Moins de Parisiens, plus de ruraux que la moyenne des Français
Nombreux analystes ont posé la question de l’inscription territoriale du mouvement des gilets jaunes.
Tous ont constaté une sur-représentation des Gilets jaunes en dehors de Paris48. L’étude du CREDOC
ne fait pas exception : seuls 9% des gilets jaunes habitent en région en Ile de France (contre 18% des
habitants en moyenne), et 8% dans l’agglomération parisienne contre 16% en moyenne. Et une sur-
représentation des habitants des communes rurales (31% vs 22% en moyenne).
48 Par exemple L’étude de l’Obsoco « A l’échelle des grandes zones géographiques, on note un déficit des habitants de la région parisienne parmi les « gilets jaunes » impliqués (13 % contre 19 % pour l’ensemble de la population), » En revanche l’étude de l’Obsoco n‘identifie pas de sur représentation des ruraux.
Les femmes constituent la moitié des gilets jaunes, comme dans la population où elles repré-
sentent 52% des adultes, avec une sur représentation de leur présence en ligne, et possible-
ment une sous-représentation sur les ronds points
• Dans l’enquête Conditions de vie de janvier 2019, 49% des gilets jaunes sont des femmes
• Dans l’enquête Conditions de vie de juin 2019, 56%
• L’enquête Elabe Institut Montaigne repère 47% de femmes
• L’Obsoco repère 51% femmes et 41% chez les gilets jaunes « très impliqués »
• L’étude de Sciences po Grenoble repère une sur représentation des femmes sur les
groupes facebook (56 %)
• L’étude de terrain du collectif Durkheim sur les ronds-points repère une sous représenta-
tion des femmes (45 %).
40
Des habitants de petites communes
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », début 2019
Dans l’étude menée par le Collectif de chercheurs de sciences po auprès de 1500 personnes interrogés
en ligne via les groupes Facebook ; 35 % des « gilets jaunes » interrogés vivent dans un village de cam-
pagne, 7 % dans une ferme ou une maison à la campagne.
Pour la Fondation Jean Jaurès « Les sondés résidant à moins de 10 kilomètres du centre d’une aire
urbaine de 200 000 habitants ne sont que 13% à se définir comme « gilets jaunes ». Ce taux s’établit
ensuite à 18% dans les communes situées entre 10 et 40 kilomètres puis à 28% entre 40 et 60 kilo-
mètres avant de redescendre à 21% passé la limite des 60 kilomètres, qui correspondent à des zones
très rurales avec moins d’interactions avec la grande agglomération. »
Mais, au-delà de cette caractéristique, les différentes analyses territoriales aboutissent à des carto-
graphies peu convergentes. Avant de les passer en revue, nous rappellerons qu’y voir clair est d’autant
plus complexe que :
- Les analyses réalisées peuvent porter sur des types de manifestations différentes du mouve-
ment : blocages de ronds-points, nombre de manifestants, identification géographique des
sites facebook crées. Autant de modes de mobilisation qui ne rassemblent pas nécessairement
les mêmes publics ni en termes de profil socio-économique (âge, sexe, profession) ni possible-
ment en termes de territoire (exemple : les personnes qui se sont rendues en manifestation
dans la capitale résident-elles dans des territoires mieux desservis en termes de trains ?). Autre
difficulté : les lieux de manifestations peuvent être éloignés des lieux de vie des personnes, on
ne sait pas dire avec certitude si les ronds-points occupés sont proches du lieu d’habitation ou
de travail des gilets jaunes, ….
- Elles peuvent également avoir eu lieu à des périodes différentes. Exemple les cartes 1, 2 et 3
présentées ci-dessous mobilisent la même méthodologie mais sur des périodes de temps dif-
férentes. Elles aboutissent à une cartographie non convergente montrant que le mouvement
a évolué dans le temps.
31%22% 20%
19%
17%15%
16%
14%15%
26%
31% 33%
8%16% 17%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
gilets jaunes ensemble de la population hostiles
Communes rurales
2 000 à 20 000 habitants
20 000 à 100 000 habitants
Plus de 100 000 habitants
Agglomération parisienne
41
Quelques cartes issues de différents travaux
Carte 1 :Mobilisation des Gilets jaunes par dépar-tement pour le mois de novembre (nombre de
manifestants publié par le ministère de l’Inté-rieur, rapporté) à la population du département considéré.
Source : Observatoire du bien-être, CEPREMAP, Cevipof,
Sciences po
Carte 2 :Mobilisation des Gilets jaunes par départe-ment pour le mois de décembre (nombre de mani-
festants publié par le ministère de l’Intérieur, rap-porté) à la population du département considéré.
Source : Observatoire du bien-être, CEPREMAP, Cevipof,
Sciences po
Carte 3 :Proportion de gilets jaunes dans la popu-lation par département pour la mobilisation du 17 novembre (nombre de manifestants publié par le ministère de l’Intérieur, rapporté) à la population du département considéré.
Source : H. Le Bras, https://www.nouvelobs.com/poli-tique/20181121.OBS5815/la-carte-des-gilets-jaunes-n-
est-pas-celle-que-vous-croyez.htmlb
Carte 4 :Mobilisation en ligne (nombre de membres groupes Facebook) par kilomètre carré : départements et zones d'em-ploi- Données collectées manuellement sur les groupes Face-book des "gilets jaunes", entre le 12 et le 15 décembre.
Source : CREST, 28 mars 2019
Au-delà, plusieurs hypothèses visant à relier la présence des gilets jaunes à différentes caractéris-
tiques des territoires ont été proposées (dépeuplement, chômage, radicalité politique, place de la
voiture), en liaison la plupart du temps, avec des analyses pré-existantes au mouvement. Là aussi dé-
mêler l’écheveau des analyses n’est pas un long fleuve tranquille : plusieurs de ces différentes clés
d’analyse du territoire peuvent en effet se recouper. Nous allons toutefois tenter l’exercice.
42
Habitants hors des métropoles
Première hypothèse : le mouvement donnerait à voir la France « périphérique », concept proposé
Christophe Guilluy49 qui assemble les espaces hors des métropoles, soit à la fois les zones péri-urbaines
profondes et les zones rurales, qui sont, selon l’auteur, très fortement dévalorisées par rapport aux
métropoles qui elles, tirent bénéfices de la mondialisation, prospèrent en rassemblant des publics aux
niveaux de vie et systèmes de valeurs proches des élites. Tandis que dans un effet miroir, les zones
périphériques s’atrophient.
Signalons que cette dichotomie « métropole/ hors métropole » fait l’objet de controverses en sciences
sociales, comme l’expliquent Michel Grossetti et Olivier Bouba Olga50
« La mythologie CAME [Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Excellence] n’est pas spé-
cifiquement française : elle s’inscrit dans le prolongement de très nombreux travaux acadé-
miques comme ceux de Saskia Sassen sur les « villes globales » (voir Sassen, 2004, pour une
synthèse en français), sur ceux de Richard Florida affirmant l’existence d’une « classe créative
», sensible aux aménités urbaines (les soft factors), que les métropoles auraient vocation à at-
tirer pour favoriser l’innovation et par conséquent la création d’emplois et de richesses (Florida,
2002), ou encore ceux de Richard Baldwin (2017), recommandant de « cajoler » l’élite concen-
trée dans les métropoles pour favoriser le développement économique. Lorsqu’on analyse plus
rigoureusement les données disponibles, en évitant ce biais de catégorisation, à la question «
les métropoles sont-elles plus performantes que les autres territoires ? », la réponse systéma-
tique que l’on obtient est « ça dépend » : certaines « métropoles » sont dynamiques, d’autres
non ; certains territoires non métropolitains sont dynamiques (plus que les plus dynamiques
des métropoles pour certains comme Figeac, Vitré, Issoire, Vire …), d’autres non. C’est le résul-
tat que l’on obtient en mobilisant des données sur l’emploi total par zone d’emploi (Bouba-Olga
et Grossetti, 2015), c’est le même résultat sur le sous-ensemble de l’emploi privé hors agricul-
ture par aire urbaine (Bouba-Olga, Grossetti et Tudoux, 2016), c’est toujours le même, sur
d’autres jeux de données ou d’autres périodes, qu’obtiennent d’autres auteurs comme Shear-
mur et al. (2013), Baude (2015), Poupard (2015), Rieutort (2017). »
En repartant de la catégorisation produite par l’INSEE de zonage en aire urbaine de 201051 en distin-
guant dans l’enquête Conditions de vie du CREDOC les personnes habitant dans un grand pôle (59%
de la population en 2019), des autres (41%), on constate que les personnes habitant « hors métro-
pole » sont plus nombreuses chez les gilets jaunes (51% contre 41% en moyenne). Le lien n’est pas
complètement linéaire : 37% des personnes les plus hostiles au mouvement étant également pré-
sentes dans ces territoires. Mais il est manifeste et confirmé par une analyse statistique « toutes
49 Christophe Guilluy, La France périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires, septembre 2014, Flammarion. 50 Olivier Bouba-Olga, MichelGrossetti, « La mythologie CAME (Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Excellence):comment s’en désin-toxiquer? 51 Ce zonage décline le territoire en quatre catégories. La première représente l'espace à dominante rurale qui comprend à la fois des petites unités urbaines et des communes rurales. Les trois autres constituent l'espace à dominante urbaine : ce sont les pôles urbains, les couronnes périurbaines et les communes multipolarisées. Depuis octobre 2011, le zonage en aires urbaines de 2010 permet d'obtenir une vision des aires d'influences des villes (au sens d'unités urbaines) sur le territoire. Il partage le territoire en quatre grands types d'espaces : espace des grandes aires urbaines, espace des autres aires, autres communes multipolarisées et communes isolées, hors influence des pôles. Dans les espaces des grandes aires urbaines et des autres aires, on distingue les pôles et les couronnes de ceux-ci. Le zonage en aire urbaine 2010 est basé sur les données du recensement de la population de 2008 et plus particulièrement sur celles relatives à l'emploi et aux déplacements entre le domicile et le lieu de travail.
43
choses égales par ailleurs »52, neutralisant les effets du sexe, de l’âge, du diplôme, de la profession –
catégorie professionnelle, et du niveau de vie. Une personne habitant dans un grand pôle urbain a
trois fois de chances de se déclarer Gilet jaune qu’une personne habitant en dehors.
Proportion de personnes vivant hors des grands pôles urbains selon le positionnement par rapport au mouvement des gilets jaunes
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », début 2019
Des territoires en prise avec des difficultés économiques et/ou un dépeuplement
Autre hypothèse : un mouvement lié à la « diagonale du vide », analyse proposée par le démographe
Hervé Lebras (parmi d’autres clés d’analyse comme le) reprenant les travaux de Roger Brunet qui met
à jour dans les années 1980 la carte des territoires qui se dépeuplent, à savoir une bande du territoire
courant des Ardennes au sud du Cantal.
Pour son analyse Hervé Lebras53 s’appuie sur le nombre de manifestants lors de la manifestation du
17 novembre 2018, ayant été la plus suivie, publié par le ministère de l’Intérieur, qu’il rapporte à la
population du département considéré. Selon lui « Les « gilets jaunes » étaient en effet les plus fré-
quents dans une bande du territoire courant des Ardennes au sud du Cantal, au sein de laquelle la
population déjà peu dense continue de diminuer. S’y ajoutent des départements alpins et pyrénéens
ainsi que la Bretagne centrale, eux aussi touchés par la désertification ». Plusieurs limites peuvent être
soulevée toutefois à cette analyse. Il concède en effet « Le seul désaccord entre la présence de « gilets
jaunes » et la dépopulation concerne la Haute-Normandie et l’ouest de la Picardie. » Auxquels on
pourra ajouter si l’on en croit la carte qu’il produit, la Savoie, les Alpes de Hautes Provence, et les
Pyrénées orientales.
L’étude de l’Institut Montaigne s’appuyant sur une enquête réalisée en ligne auprès d’un échantillon
de 10 010 personnes, entre le 14 décembre 2018 et le 8 janvier 2019 identifie 22% des répondants qui
52 53 Hervé Le Bras, La voiture, les « gilets jaunes » et le Rassemblement national, Études 2019/4 (Avril), pages 31 à 44
51%
47%
38% 39%
31%
37%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
Vous êtesvous-même
un 'giletjaune'
Voussoutenez cemouvement
Vous avez dela sympathie
pour lui
Vous ne savezpas quoi en
penser
Vous y êtesopposé
Vous y êteshostile
44
se disent gilets jaunes. L’étude repère une sur-représentation des gilets jaunes dans cette « " diago-
nale du vide", s’étendant des Ardennes aux Hautes-Pyrénées : Champagne-Ardenne (+7 points par rap-
port à la moyenne nationale de Gilets jaunes), Bourgogne (+5), Franche-Comté (+6), Auvergne (+2),
Limousin (+4), Languedoc-Roussillon (+5) et Midi-Pyrénées (+6) . À ces territoires, il faut ajouter aussi
une surreprésentation des Gilets jaunes en Haute-Normandie (+4) ».
Nous avons également tenté d’approcher l’hypothèse d’un effet du dépeuplement à partir de l’en-
quête Conditions de vie du CREDOC. Pour cela nous avons distingué les communes d’habitation des
personnes se disant « gilets jaunes » en deux catégories : les départements avec une croissance dé-
mographique observée de 2008 à 2013, et les autres. Les gilets jaunes ne sont pas plus présents dans
les territoires les moins dynamiques au niveau démographique : 53% habitent dans ces territoires, soit
une proportion très proche de celle observée au niveau national (51%).
Une analyse statistique « toutes choses égales par ailleurs », neutralisant les effets du sexe, de l’âge,
du diplôme, de la profession – catégorie professionnelle, et du niveau de vie confirme l’absence de
lien.
L’étude de l’Obsoco ne repère pas non plus de spécificité des communes d’habitation des gilets jaunes
selon la croissance démographique.
Davantage que la question démographique - ou en liaison avec celles-ci, il nous semble que c’est pos-
siblement la situation économique des territoires qui aurait un impact sur la mobilisation en jaune
fluo.
L’Etude Elabe- Institut Montaigne54 indique que l’« On observe que seulement 7 % (-1) des Gilets
jaunes s’indignent des inégalités territoriales, preuve de la prédominance des fractures sociales sur
les fractures territoriales dans la colère exprimée ».
Le CREST55 dans son analyse territoriale à partir de deux matériaux (la carte des 788 rassemblements
prévus pour le 17 novembre (enregistrée le 16 novembre au soir) disponible sur un site internet dédié
(www.blocage17novembre.fr), et une collecte manuelle des groupes Facebook de plus de 100
membres liés aux gilets jaunes entre les 12 et 15 décembre 2018 via des requêtes de recherche)
montre que derrière les questions de mobilité, viennent les inégalités salariales et le taux de chômage.
Les communes où se situent les ronds-points bloqués concentrent davantage que kes autres ces deux
problèmes.
De manière convergente, l’Obsoco constate dans son enquête que les gilets jaunes impliqués sont
relativement nombreux à vivre dans des communes à taux de chômage élevé, et dans des communes
à faible niveau de vie.
54 Etude Elabe Montaigne, Les Gilets jaunes : la partie émergée de la crise sociale française ? BLOG - 20 Mars 2019, https://www.institutmon-taigne.org/blog/les-gilets-jaunes-la-partie-emergee-de-la-crise-sociale-francaise 55 P.C. BOYER, T. DELEMOTTE, G.GAUTHIER, V.ROLLET, B.SCHMUTZ, Les déterminants de la mobilisation des ʺgilets jaunesʺ, Série des Docu-ments de Travail, n° 2019-06
45
5. La remise en cause d’un mode de vie
Nous l’avons vu, une des sources du malaise mis à jour par la crise des Gilets Jaunes réside dans le
décalage entre l’envie (l’injonction ?) toujours plus grande d’être un individu en pleine capacité d’agir
et le sentiment d’être toujours en prise avec des contraintes, des empêchements.
Davantage qu’une question liée à un type de territoire particulier, et au-delà des problèmes financiers,
les éléments de l’enquête Conditions de vie laissent supposer que ce qui a nourri la colère des gilets
jaunes, c’est le sentiment d’une remise en cause d’un mode de vie assumé, dont la voiture est un
élément essentiel.
Accéder à une forme de valorisation au prix d’une dépendance à la voiture
Résumons : les gilets jaunes ont plutôt des revenus modestes, sont peu diplômés, un sur deux est ou-
vrier ou employé. Difficile dans ces conditions d’espérer devenir acquéreur d’un logement en centres
ville compte tenu de l’augmentation des prix de l’immobilier en général et dans ces zones en particulier
(voir partie I.1).
51% résident hors des grands pôles urbains contre 41% en moyenne. 31% des gilets jaunes résident en
zone rurale contre 20% en moyenne. Soit des zones où les prix de l’immobilier sont plus accessibles.
Mais aussi qui permettent, comme l’explique Benoit Coquard dans son remarquable travail sur les
habitants des zones rurales56, de trouver une forme de valorisation, via l’accès à la propriété, la pos-
sibilité d’avoir un logement suffisamment grand pour entretenir du lien social, et des systèmes d’en-
traide et de solidarité où la réputation joue un grand rôle: entraide entre proches pour restaurer une
maison achetée à bas cout, entraide pour trouver du travail sur des métiers fortement concurrentiels
(beaucoup de candidats, peu d’éléments différenciants entre ceux-ci et peu de postes à pourvoir). Une
valorisation qui serait beaucoup plus difficile dans les centres villes, ou la part de diplômés et profes-
sions supérieures est plus élevée (même si elle cohabite avec une grande pauvreté) et où l’accession
à la propriété est tout bonnement inenvisageable.
L’enquête Conditions de vie corrobore cette lecture. Les gilets jaunes accordent une place plus impor-
tante au logement. Ils sont satisfaits de leur surface de vie : 87% considèrent que leur logement est de
taille suffisante pour une famille contre la leur (contre 86% en moyenne). 36% indiquent que « leur
cadre de vie » occupe aussi une place importante dans leur vie (contre 28% en moyenne).
56 Benoit Coquard, Ceux qui restent, Faire sa vie dans les campagnes en déclin, La découverte, Octobre 2019
46
Le logement est important pour les gilets jaunes
Pour chacun des domaines de la vie suivants, pouvez-vous attribuer une note de 1 à 7 selon l’importance que vous lui accordez ? Note 7 attribuée au logement
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
Pour maintenir ce mode de vie, la voiture est indispensable. Les gilets jaunes ne se distinguent pas par
des temps de transports particulièrement longs entre leur domicile et leur travail : 24.5 minutes en
moyenne contre 25 minutes pour l’ensemble de la population et 26 minutes pour les personnes hos-
tiles au mouvement. Les distances qu’ils parcourent régulièrement se situent aussi dans la moyenne.
On pourra noter que de ce point de vue ce sont les personnes « hostiles » au mouvement qui se dis-
tinguent par des déplacements dans des périmètres plus restreints.
Des déplacements dans la moyenne
Se dit 'gilet jaune' Ensemble de la po-
pulation Hostile au mouve-
ment
Se déplace à moins de 2 km de chez soi tous les jours ou presque
49% 47% 51%
Se déplace entre 2 et 49 km de chez soi tous les jours ou presque
37% 36% 27%
Se déplace entre 50 et 200 km de chez soi tous les jours ou presque
(12%) 5% 3%
Se déplace à plus de 200 km de chez soi tous les jours ou presque
(6%) 1% 2%
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
En revanche, ils ont une plus grande dépendance à la voiture, qui s’explique notamment parce que
les services publics de transports sont insuffisamment présents.
Seuls 47% déclarent en effet avoir facilement accès à un arrêt de transport en commun contre 55%
en moyenne. 17% expliquent qu’ils disposent d’un arrêt de transport mais que celui-ci est difficilement
accessible compte tenu de leur situation personnelle (condition physique, état de santé) contre 11%
en moyenne et 34% qu’il n’existe tout bonnement pas d’arrêt de transports en commun à proximité
31%
26%
18% 20% 20% 21% 22%
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
Vous êtes vous-même un 'gilet
jaune'
Vous soutenez cemouvement
Vous avez de lasympathie pour
lui
Vous ne savezpas quoi en
penser
Vous y êtesopposé
Vous y êteshostile
Ensemble de lapopulation
47
de chez eux. Actifs, avec une moindre accessibilité aux transports en communs, ils sont donc 63% à
prendre leur voiture régulièrement (au moins une fois par semaine) pour se rendre sur leur lieu de
travail, contre 56% en moyenne et 44% des personnes hostiles au mouvement.
Une dépendance à la voiture
Dispose d'un arrêt de transport en commun à proximité du domicile
Utilise sa voiture pour se rendre sur son lieu de travail ou études régulièrement (au moins 1 fois par semaine)
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
47%
53%56%
58%
63%
55%
17%
11% 11% 10%9%
11%
34%36%
33% 31%
28%34%
Vous êtes vous-même un 'gilet
jaune'
Vous soutenez cemouvement
Vous avez de lasympathie pour
lui
Vous ne savez pasquoi en penser
Vous y êtesopposé
Vous y êteshostile
Oui, et ce transport vous est facilement accessible
Oui, mais ce transport vous est difficilement accessible compte tenu de votre situation personnelle (votrecondition physique, votre état de santé)Non
63%58% 57% 55% 53%
44%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
Vous êtes vous-même un 'gilet
jaune'
Vous soutenezce mouvement
Vous avez de lasympathie pour
lui
Vous ne savezpas quoi en
penser
Vous y êtesopposé
Vous y êteshostile
Utilise voiture pour se rendre sur lieu de travail ou études Régulièrement (au moins 1 fois par semaine)
48
Cette dépendance est constatée par différents travaux. L’enquête de la Fondation Jean Jaurès57 me-
sure un taux de soutien au mouvement des gilets jaune de de 79% pour les personnes très dépen-
dantes de la voiture dans leur quotidien à 52% chez les individus ne se disant pas dépendants du tout
de leur véhicule.
Le repli territorial des services publics
Cette dépendance est probablement accentuée par la centralisation des services publics ayant été
opérée depuis les années 9058. Aleksandra Barczak et Mohamed Hilal, dans leur précieux travail à partir
des données de la statistique publique, montrent qu’après une période d’essor spectaculaire des ser-
vices publics à partir de la fin du XVIIIème siècle et jusque dans les années 90, depuis 30 ans « la ma-
jorité des services publics, parmi les 15 qu’il est possible de suivre entre 1980 et 2013 connaissent
un net repli de leur présence sur le territoire, dû à un nombre de fermetures généralement bien su-
périeur à celui des ouvertures. Cette régression des services affecte surtout les petites communes
rurales, les bourgs et les petites villes ». Le recul concerne d’abord les maternités (-48 %) les bureaux
de poste (-36 % des communes), les écoles primaires et maternelles, avec une disparition dans une
commune sur quatre (-24 %), les perceptions (-31 %), les gendarmeries (-13 %), les hôpitaux (-4 %). Les
gares (-28 %) sont elles aussi concernées par ce mouvement. Dans le même temps, et probablement
en liaison avec la persistance du chômage et le vieillissement, les antennes de Pôle emploi, les EHPAD,
les médecins et pharmaciens sont plus nombreux. Mais mis à part la progression de piscines et d’équi-
pement sportifs, les évolutions témoignent d’une forme de dévitalisation de nombreux territoires.
57 FOURQUET. Jérôme, « La fin de la grande classe moyenne », Fondation Jean Jaurès 58 Aleksandra Barczak et Mohamed Hilal, Quelle évolution de la présence des services publics en France ?, INRA, UMR1041 CESAER, Université Bourgogne Franche-Comté, AgroSup Dijon, F-21000 Dijon, France
49
En trente ans un repli de la présence territoriale des services publics
Part des communes n’ayant aucun des quinze services en 1980 et 2013 par département . Les 15 services comptabilisés sont : gendarmerie, perception, pôle emploi (ou agence nationale pour l’emploi), présence postale (bureau, agence/relais), école maternelle, école élémentaire, collège, piscine, hôpital, service de maternité, médecin généraliste, pharmacien, maison de retraite, gare de voyageurs
Taux de croissance du nombre de communes équipées entre 1980 et 2013
Source : Aleksandra Barczak et Mohamed Hilal à partir de Insee, SCEES, inventaire communal de 1980; Insee,
base permanente des équipements de 2013, recensements de la population de 1975 et 2013 59
59 Aleksandra Barczak et Mohamed Hilal, Quelle évolution de la présence des services publics en France ?, INRA, UMR1041 CESAER, Université Bourgogne Franche-Comté, AgroSup Dijon, F-21000 Dijon, France
-47,6
-36,1
-30,9
-28
-24,2
-24,2
-12,7
-4,7
-3,8
5,7
16,8
19,1
19,6
28,9
42,6
-60 -50 -40 -30 -20 -10 0 10 20 30 40 50
Etablissement ou service de maternité public ou privé
Bureau de poste
Perception
Gare ferroviaire de voyageurs
Ecole maternelle publique ou privée
Ecole primaire publique ou privée
Gendarmerie nationale
Présence postale (bureau ou agence)
Etablissement hospitalier non spécialisé public ou privé
Collège public ou privé
Medecin généraliste
Pharmacien
Piscine couverte/ découvrable ou de plein air
Agence nationale pour l'emploi
Hospice, maison de retraités, foyer-logement pour personnes âgées
Evolution de 15 services publics entre 1980 et 2013
50
L’enquête Elabe – Institut Montaigne60 indique que « Seulement 39 % (-11 points par rapport à la
moyenne) des Gilets jaunes déclarent avoir un accès facile et rapide à une série de huit services (for-
mation, culture, divertissement, soins, transports, information, courses et administration) ; La moitié
des Gilets jaunes (49 %, +10) a le sentiment que les services publics disparaissent là où ils vivent ; 69 %
(+11) estiment qu’il est de plus en plus difficile de trouver un emploi là où ils vivent ; La moitié se sent
"coincée" là où elle vit (49 %, +5). »
L’enquête Conditions de vie et aspirations permet d’identifier que 40% des gilets jaunes vivent dans
des départements où au moins un quart des communes a perdu des services publics entre 1980 et
2013 (contre 31% en moyenne dans la population).
Cette dimension n’est toutefois pas déterminante. En effet lorsqu’on réalise une analyse « toutes
choses égales par ailleurs », neutralisant les effets du sexe, de l’âge, du diplôme, de la profession –
catégorie professionnelle, et du niveau de vie, la dynamique du territoire en termes de services publics
n’a plus d’effet sur l’appartenance au mouvement. Les faibles revenus, et de diplômes sont prédomi-
nants.
Nous avions déjà constaté cette hiérarchie dans de précédents travaux menés en 2017 par le CRÉDOC
pour le CGET. Ces travaux comptabilisaient alors trois Français sur dix partageant un sentiment de
délaissement territorial. Ce sentiment culminait chez les habitants des communes situées en dehors
de l’influence des grandes aires urbaines, pôles d’activité économiques, qu’il s’agisse des communes
isolées ou des communes situées dans des pôles de plus petite taille. Il était également très fortement
lié à la situation économique du territoire dans son ensemble (taux de pauvreté, chômage) mais aussi
à la situation de chacun : les plus pauvres (36%), les non diplômés (33%), et les chômeurs (39%) expri-
maient plus que les autres le sentiment que leur territoire était délaissé par les pouvoirs publics.
60 Etude Elabe Montaigne, Les Gilets jaunes : la partie émergée de la crise sociale française ? BLOG - 20 Mars 2019, https://www.institutmon-taigne.org/blog/les-gilets-jaunes-la-partie-emergee-de-la-crise-sociale-francaise
51
Un investissement symbolique très fort de la voiture
On trouve à l’origine du mouvement des gilets jaunes la contestation de la hausse annoncée des prix
des carburants. Mais revenant quelques mois avant le début du mouvement, on trouve déjà, dans le
rejet par une partie de la population de l’abaissement de la vitesse autorisée à 80km/h sur les routes
secondaires.
Les travaux du CREST61 qui se sont appuyés sur une cartographie géographique à la fois des sites face-
book de mobilisation et des ronds-points bloqués, à partir desquels ils ont réalisé des analyses écono-
métriques, mettent en évidence l’impact de la densité de routes passées à 80km/h dans la mobilisa-
tion.
Jérome Fourquet 62 en veut pour preuve que « le parc de radars automatiques, qui cristallisent encore
davantage la rancoeur depuis la mise en place des 80 km/h, a été particulièrement ciblé. Sur les 3 200
radars déployés sur le territoire, près de 20% avaient déjà été vandalisés au printemps et à l’été con-
sécutivement à l’annonce puis à la mise en place des 80 km/h. Ce changement de la réglementation
s’était traduit par une explosion spectaculaire du nombre de personnes flashées qui passa de 240 000
en juillet 2017 à près de 500 000 en juillet 2018, mois de l’entrée en vigueur de cette décision. Cet
emballement s’inscrivait dans une tendance de déjà très nette augmentation des recettes des radars
automatiques ces dernières années. »
La limitation de vitesse à 80km ; et l’augmentation du prix des carburants viennent limiter la liberté
de déplacement de deux manières : elle les conduit à devoir conduire plus lentement, et vient les
frapper au porte-monnaie lorsqu’ils l’enfreignent.
Ce sentiment d’empêchement est d’autant plus fort dans une société qui valorise et nécessite forte-
ment la mobilité. Selon le ministère de l’environnement, le nombre de voyageurs-km est passé de
849,5 milliards en 2005 à 956 milliards en 2016 soit une augmentation de 12,5% en une dizaine d’an-
née63. Ces évolutions s’accompagnent de changements dans les représentations. Loin des anciennes
figures où la sédentarité était valorisée en opposition au vagabond sans statut, l’imaginaire contem-
porain accole à la mobilité de fécondes et positives associations. Anne Barrère, Danilo Martuccelli64
décrivent les multiples connotations dans la littérature articulant la mobilité à la recherche d’une trans-
formation existentielle, la marche vers une vie meilleure, une forme d’emprise sur le monde, la possi-
bilité de se confronter à l’altérité dans un monde exaltant un « individu ultra-mobile, hyper-malléable
et indéfiniment adaptable » (Taguieff, 200465). Barrère et Martuccelli montrent que la « représentation
fantasmée de la mobilité généralisée de certains individus produit [même une forme] d’enclavement
individuel chez d’autres […] C’est parce qu’ils vivent dans un monde qui survalorise le mouvement, que
la mobilité empêchée ou impossible englue certains personnages dans le malaise existentiel. Ne pas
pouvoir bouger est plus que jamais un signe d’impuissance sociale. »
61 Pierre C. Boyer, Thomas Delemotte, Germain Gauthier, Vincent Rollet et Benoît Schmutz, CREST, École Polytechnique, ENSAE, Les déter-minants de la mobilisation des "gilets jaunes", 28 mars, 2019 62 Fourquet, Fondation Jean Jaures, note 2 63 Ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer, en charge des relations internationales sur le climat, Data lab transport, Les chiffres clés du transport, édition 2018, mars 2018, https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2018-10/datalab-31-chiffres-cles-transport-mars2018-c.pdf 64 Anne Barrère, Danilo Martuccelli « La modernité et l'imaginaire de la mobilité : 'inflexion contemporaine », Cahiers internationaux de sociologie 2005/1 (n° 118), p. 55-79. 65 Taguieff P.-A., Le sens du progrès, Paris, Flammarion, 2004.
52
Comme le dit très justement Alexis Spire66 – « le mode d’action par l’occupation des ronds-points et le
filtrage des automobilistes peut ainsi s’interpréter comme un moyen de reprendre le contrôle sur la
mobilité ».
L’enquête du CREDOC affine le rapport à la voiture des gilets jaunes au travers de différentes ques-
tions. Le rapport à la voiture semble revêtir un caractère symbolique plus fort chez les gilets jaunes
qui l’investissent à la fois davantage de représentations positives et négatives. 39% des gilets jaunes
associent leurs déplacements à une source d’angoisse, vraisemblablement en liaison avec les questions
de cout, mais possiblement aussi de respects d’horaires de travail. Dans le même temps, se déplacer
est décrit par 66% des gilets jaunes comme « un temps pour soi ». Une réponse qui n’est pas neutre
dans une société qui investit fortement l’identité individuelle67.
Se déplacer – tout aussi bien un moment pour soi, ou pour échanger avec d’autres, qu’une source de fatigue et d’angoisse
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
Les difficultés de déplacement (accessibilité des transports en commun, absence ou insuffisance de
transports fiables et réguliers, couts des carburants, cout d’acquisition et d’entretien de la voiture,
voire de plusieurs voitures nécessaires en zone rurale, possession du permis de conduire sans retrait
de points, etc) pèsent particulièrement sur les gilets jaunes. 37% déclarent avoir du renoncé à rendre
visite ou de la famille à cause de difficultés de déplacement, 26% à des loisirs, 25% n’ont pu réaliser
66 Fond de l’air est jaune 67 Voir par exemple De Singly, Les deux sources de l’individualisme, La vie des idées, avril 2015 Gauchet Marcel, « Trois figures de l'individu », Le Débat, 2010/3 (n° 160), p. 72-78.
73%
66% 66%
49%
39%
76%
54%57%
39%
19%
75%
51% 50%
37%
15%
Se déplacer, c'est un moyend'accès aux équipements
Se déplacer, c'est un temps poursoi
Se déplacer, c'est des occasionsd'échange, de partage
Se déplacer, c'est une source defatigue
Se déplacer, c'est une sourced'angoisse
se dit 'gilet jaune' Ensemble de la population hostile au mouvement
53
des démarches administratives. Un quart évoque même des relations sentimentales et un accès à
l’emploi empêché. Les difficultés de déplacement ont des impacts dans l’ensemble de la population
sur les liens avec autrui, la pratique de loisirs, ou même l’accès à un emploi. Mais chez les gilets jaunes,
l’impact est exacerbé. Avoir des difficultés de déplacement c’est en quelque sorte être coupé du
monde.
Ne pas pouvoir se déplacer – une coupure avec le reste de la société
Se dit 'gilet
jaune' Ensemble de la population
Est hostile au mouvement
A renoncé pour cause de difficulté de déplace-ment à rendre visite à de la famille, des amis
37% 22% 11%
A renoncé pour cause de difficulté de déplace-ment à pratiquer des loisirs
26% 17% 9%
A renoncé pour cause de difficulté de déplace-ment à réaliser des démarches administratives
25% 12% 6%
A renoncé pour cause de difficulté de déplace-ment à vivre une relation sentimentale
24% 8% 5%
A renoncé, pour cause de difficulté de déplace-ment à accepter emploi, à suivre études ou for-mation
23% 9% 5%
A renoncé, pour cause de difficulté de déplace-ment à réaliser des examens médicaux
21% 11% 8%
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
Comme l’explique Poissonnot68 « [ces catégories] veulent pouvoir résider où elles le veulent et se dé-
placer sans se ruiner, mais également disposer de pouvoir d’achat pour pouvoir faire des choix à travers
lesquels se construire. Voter c’est bien, mais vivre c’est mieux… L’opposition souvent entendue entre
« vivre » et « survivre » désigne ce souhait de ne pas être enfermé dans les dépenses contraintes, de
disposer de moyens pour exercer le principe de l’autonomie personnelle. À quoi bon être autorisé à être
soi-même si on ne dispose pas des moyens minimaux pour se le permettre ? »
68 Poissonnot, Les "Gilets jaunes", des catégories populaires en quête d’autonomie, 15/12/2018, https://www.latribune.fr/opinions/tri-bunes/les-gilets-jaunes-des-categories-populaires-en-quete-d-autonomie-800976.html
54
DES REVENDICATIONS
Né initialement d’un rejet des taxes sur les carburants, le mouvement porte très vite d’autres reven-
dications qui ont conduit de nombreux commentateurs à considérer le mouvement comme un agrégat
de revendications hétéroclites. L’historien Noiriel apparente quant à lui cette évolution à une « nou-
velle forme de démocratie dans laquelle nous sommes entrés et que Bernard Manin appelle la « dé-
mocratie du public » (cf son livre Principe du gouvernement représentatif, 1995). De même que les
électeurs se prononcent en fonction de l’offre politique du moment – et de moins en moins par fidélité
à un parti politique – de même les mouvements sociaux éclatent aujourd’hui en fonction d’une con-
joncture et d’une actualité précises. »69 L’historien rappelle70 que « Les luttes antifiscales ont joué
un rôle extrêmement important dans l’histoire populaire de la France. Je pense même que le peuple
français s’est construit grâce à l’impôt et contre lui. Le fait que le mouvement des gilets jaunes ait été
motivé par le refus de nouvelles taxes sur le carburant n’a donc rien de surprenant. Ce type de luttes
antifiscales a toujours atteint son paroxysme quand le peuple a eu le sentiment qu’il devait payer sans
rien obtenir en échange. Sous l’Ancien Régime, le refus de la dîme fut fréquemment lié au discrédit
touchant les curés qui ne remplissaient plus leur mission religieuse, et c’est souvent lorsque les sei-
gneurs n’assuraient plus la protection des paysans que ceux-ci refusèrent de payer de nouvelles
charges. Ce n’est donc pas un hasard si le mouvement des gilets jaunes a été particulièrement suivi
dans les régions où le retrait des services publics est le plus manifeste. Le sentiment, largement partagé,
que l’impôt sert à enrichir la petite caste des ultra-riches, alimente un profond sentiment d’injustice
dans les classes populaires. »
Et plus globalement, au-delà des questions économiques soulevées par la contestation, il considère
que « les gilets jaunes crient « j’ai mal à la taxe au lieu de dire j’ai mal partout ».
L’analyse de différentes sources montre effet une grande convergence des revendications sur deux
dimensions qui ne se limitent pas aux questions de pouvoir d’achat quotidien. Les revendications s’ar-
ticulent autour de deux grandes dimensions :
- Un changement du système économique pour plus de justice sociale
- Une demande de renouvellement de la démocratie
Nous appuierons pour décrire celles-ci principalement sur l’analyse en data science des contributions
au « Vrai débat » réalisée par le CREDOC, complétées des autres sources (enquêtes en population gé-
nérale et enquêtes de terrain locales).
69 Gérard Noiriel, Les gilets jaunes et les « leçons de l’histoire », 21/11/2018, https://noiriel.wordpress.com/2018/11/21/les-gilets-jaunes-et-les-lecons-de-lhistoire/ 70 Id.
55
1. Dix grands registres de discours issus de l’analyse du Vrai débat
En parallèle du “Grand débat”71 une autre consultation citoyenne en ligne, appelée le « Vrai débat »
est mise en place à l’initiative de Gilets jaunes. Celle-ci a vraisemblablement attiré les contributions
d’une partie de ce public comme le rappelle le Laboratoire LERASS de Toulouse72 : « La consultation
s’est déroulée du 30 janvier au 3 mars
2019 et les contributeurs devaient
s’inscrire sur le site en renseignant leur
e-mail. La communication autour de sa
mise en œuvre s’est principalement ef-
fectuée via les pages Facebook des Gi-
lets jaunes, plus rarement via les mé-
dias (sur une période de trois mois, le
rapport est de 800 articles mention-
nant le « vrai débat » contre 64 000
pour le « grand débat »). Il est donc
possible que les contributeurs soient
majoritairement des «sympathisants
Gilets jaunes ».
Notons tout d’abord que les contribu-
tions sont relativement longues. Le graphique ci-dessous présente la distribution du nombre de mots
des contributions dans les questions ouvertes portant sur la transition écologique du « Grand débat »
et dans les contributions libres du thème « Transition écologique & solidaire, Agriculture & Alimenta-
tion, Transport » du «Vrai débat». Les personnes qui se sont exprimées sur le site du Vrai débat, pro-
bablement car les formats étaient plus ouverts que dans le grand débat, ont écrit des contributions
plus longues.
71 Le Grand débat national a été annoncé le 18 décembre 2018 par le Président de la République et lancé le 15 janvier 2019, il intégre de multiples dispositifs : une plateforme en ligne, des cahiers de doléances dans les mairies et des réunions sur tout le territoire. Ces initiatives ont donné lieu à des analyses et synthèses (https://granddebat.fr/pages/syntheses-du-grand-debat ) disponibles en ligne. 72 Brigitte Sebbah, Lucie Loubère, Natacha Souillard, Julie Renard, Nikos Smyrnaios, La dilution des Gilets jaunes dans l’agenda médiatique et politique, Quand le mouvement ne fait plus l’événement mais tente de se consolider, Rapport de recherche - 22 février 2019, Laboratoire d’Études et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales, Axe Médias et médiations socio-numériques - Université de Toulouse, https://www.lerass.com/opsn/
Remarque liminaire Une consultation en ligne n’est pas une enquête
sociologique.
Il n’y a aucun contrôle sur les participants, contrairement à une en-
quête quantitative qui suit un échantillonnage rigoureux pour repré-
senter la population visée, via des quotas ou des méthodes de sélec-
tion aléatoire.
Aucune information (ou pour certaines consultations très peu, ex sur
le Grand débat il y a une donnée géographique) ne sont disponibles sur
les individus répondant. On ne connait pas le sexe des participants, ni
leur âge, leur niveau de revenu, leur lieu d’habitation, s’ils se sentent
gilets jaunes ou pas, s’ils ont manifesté ou pas, etc.
Il faut savoir que, dans ce type de consultations, un même participant
(ou groupe de participants) peut créer plusieurs comptes différents et
donc proposer plusieurs propositions, arguments et votes.
56
Nous avons mobilisé nos compétences textométriques pour classer et cartographier le vocabulaire de
l’intégralité des contributions au « Vrai débat », en utilisant le logiciel Iramuteq
(http://www.iramuteq.org) qui est un logiciel libre de textométrie, développé par Pierre Ratinaud au
sein du Lerass et avec le soutien du Labex SMS (ANR-11-LABX-0066).
L’analyse lexicale permet d'accéder aux représentations mentales et dépasse une simple analyse par
comptage de fréquences en fournissant les grandes thématiques, les champs sémantiques et le voca-
bulaire structurant et qualifiant les discours.
Nous avons suivi les étapes suivantes de traitement :
1. Lemmatiser les mots issus des différentes contributions, c’est-à dire réduire les mots à leur
forme canonique (c’est-à-dire leur forme la plus simple) afin de pouvoir réunir les termes de
même sens. Par exemple, les verbes sont réduits à leur forme infinitive, les noms au singulier,
les adjectifs au singulier masculin,…
Exemple issu de la documentation du logiciel IRaMuTeQ
Source : Documentation IRaMuTeQ - http://www.iramuteq.org/documentation/fichiers/documenta-
tion_19_02_2014.pdf
2. Opérer une classification descendante hiérarchique (CDH). Contrairement à une classification
ascendante hiérarchique, on part ici d’une seule classe que l’on scinde au fur et à mesure des
étapes. On scinde ainsi, tour à tour la classe qui présente le plus de dissimilitude en son sein
(à l’inverse d’associer deux individus qui se ressemble le plus dans la même classe pour une
CAH).
57
L’analyse aboutit à dix classes de discours. L’arbre de l’analyse lexicale présenté permet de visualiser
ces dix classes et leurs proximités : lorsque les classes sont reliées par un embranchement elles ont
des proximités sémantiques.
Les pourcentages sont calculés sur l’univers des 31 350 segments (issus des 23 205 contributions) :
c’est-à-dire des morceaux de discours comptant au maximum 40 mots/lemmes.
Dix classes de discours de l’analyse lexicale de la consultation citoyenne du « Vrai débat »
Source : CREDOC, Consultation citoyenne « Vrai débat », 2019
Aux contributions libres, s’ajoute la possibilité de voter pour les contributions des autres participants
au «Vrai débat» et de justifier leurs votes (favorable, neutre, mitigé) par un argument ou une source.
Le graphique suivant présente la répartition des votes favorables et défavorables par classe.
Les votes recueillis par classe de la typologie
Source : CREDOC, Consultation citoyenne « Vrai débat »
58
2. Prendre « aux gros » pour donner « aux petits »
La plus importante des familles de discours (32.2%) a trait aux questions économiques, avec le sou-
hait d’une refonte du système fiscal, monétaire, bancaire, de la place des entreprises, du cout du
logement, et la recherche d’une plus grande équité des ressources (salaires, emplois, aides)
• Classe 1 –-16.1% des verbatim évoquent les questions liées au système économique (fiscal,
monétaire, bancaire, entreprises, logement)
Cette classe est à la fois la plus conséquente elle concerne 16.1% des seg-
ments et 3052 contributions et elle recueille un nombre important de votes
favorables (90 830 votes favorables) contre seulement 16 900 défavorables.
De nombreuses propositions de cet ensemble visent à refondre le système
fiscal, en supprimant ou réduisant certains impôts (TVA), en supprimant et
simplifiant le nombre de taxes (trop d’impôt) ou en créant de nouvelles (ex :
taxes sur les transactions financières) ou rétablissant d’autres (ISF) dans
l’idée de taxer davantage les hauts revenus, et de diminuer les impôts et taxes
sur les personnes modestes ou les classes moyennes. Il aborde également la
demande d’une meilleure progressivité de l’impôt via la révision des tranches
d’imposition pour les particuliers et entreprises. Ce sous ensemble lexical dé-
nonce aussi la fraude fiscale, et l’évasion dans des paradis fiscaux, à la fois des
particuliers et des entreprises et les milliards perdus par la puissance pu-
blique, et les questions d’harmonisation des fiscalités entre pays.
Les questions touchant la place des entreprises dans le système économique
et fiscal sont aussi évoquées. Emergent ainsi les aides jugées inefficaces (CICE
notamment), et les impôts à créer afin de favoriser la relocalisation des acti-
vités des entreprises, de rétablir une forme de justice fiscale pour favoriser
davantage les PME et mieux réguler les multinationales. La gouvernance et
répartition des richesses au sein des entreprises est également mentionnée,
avec une volonté de donner plus de place aux salariés. Dans la même veine,
la responsabilité sociale des entreprises vis-à-vis de l’emploi, des territoires
est visible dans les discours.
Le système bancaire et monétaire sont abordés à la fois avec une dénoncia-
tion des produits financiers toxiques (crise des surprimes) et de la finance,
une critique des aides qui ont été fournies aux banques suite à la crise de
2008, une remise en cause des missions de la BCE, ou plus proche du quoti-
dien des citoyens le souhait de limiter les frais bancaires jugés injustes. L’in-
térêt pour des monnaies locales est également cité.
L’augmentation des coûts du logement est également pointé du doigt comme
un dysfonctionnement du modèle économique actuel, et des propositions
très diverses pour y remédier sont abordées.
Mots clés : impôt, fiscal, taux, taxer, tranche, imposition, transaction, TVA, ISF, entreprise, béné-
fice actionnaire, dividende, euro, banque, CICE, milliard, revenir, évasion, frauder, paradis, payer,
niche, optimisation, argent, euros, riche, dette, loyer, logement
Ce registre lexical étant le premier numériquement, nous l’illustrerons par des verbatim, dont nous
n’avons pas corrigé les fautes de frappe ou d’orthographe, pour rester le plus fidèle au corpus.
59
« instauration de 15 tranche d'impot au lieux de 5 aujourd'hui pour répartire plus justement l'impôt et faire en
sorte que les plus riches paye proportionellement plus d'impôt que les premieres tranches d 'impôt »
« L'ISF jusqu'à présent rapportait 5 milliard d’euros a l’état.Aujourd’hui l'IFI ne rapporte qu’un milliard. C'est
inadmissible de demander un effort aux plus démunis et de faire cet allègement fiscal aux plus riches.Cet impôt
ne concerne que 330 000 redevables. Où est la justice fiscale ? »
« supprimer la tva sur les produits de 1ère nécessité....par contre l'augmenter sur les produits de luxe pour récu-
pérer la différence »
« Définition des classes
moyennes : Ceux qui payent
toujours plein pot, c'est à
dire les actifs ou retraités
dont les revenus sont systé-
matiquement au dessus des
seuils pour bénéficier des
avantages accordés par le
gouvernement et pas assez
élevés pour pouvoir se
payer des conseillés fiscaux
afin de pouvoir "optimiser"
leurs fiscalités c'est-à-dire
payer une contribution fis-
cale dérisoire compte tenu
de leurs revenus en bénéfi-
ciant très souvent des aides
(y compris aides sociales) et primes associés. »
« 1) Lutter contre les paradis fiscaux qui font perdre à chaque état membre 1 à 1,5% du PIB 2) Créer une taxe
sur les transactions financières afin que les marchés financiers contribuent au fond européen de stabilité 3)Ren-
forcer la séparation des banques de dépots et des banques d'affaires 4)Faire converger l'impot sur les sociétés
au niveau européen »
« Ne pourrait-on pas réfléchir à un système où chacun paierait le carburant selon son revenu, avec par exemple
une échelle de prix différents ou une autre progressivité à créer. Un code inséré dans nos cartes bancaires indi-
querait notre niveau de revenu et déterminerais le prix à payer et une carte "carburants" pourrait être créé avec
ce même code pour les personnes qui souhaite régler en espèces. Ce même système pourrait s'appliquer aussi
aux péages d'autoroutes... »
« Recuperation des taxes et impots non payé par les grosses sociétés et multinationales (GAFAM entre autres)
proportionnelle au chiffre d'affaire réalisé en France et non au bénéfice masqué »
« Imposer des taxes aux entreprises qui délocalisent lors de l'importation en France »
Mise en place d'un bonus/malus pour la création d'une entreprise selon le bassin d'emploi: répartir équitable-
ment de façon géographique l'emploi (bonus dans un bassin d'emploi sinistré et malus dans le cas contraire)
« Créer des monnaies locales (régionales ? départementales ? Grandes Villes ?) afin que l'argent reste sur place
et ne parte pas dans les banques. Les monnaies locales permettent d'acheter locales (artisans, commerçants,...)
tout en n'enrichissant pas les banques. Certaines villes ont même permis le paiement d'impôts via leur monnaie
local, et également le paiement de fonctionnaire de cette manière. »
« Les banques ne tombent pas car elles sont garanties par les gouvernements et donc les citoyens.il s'agit de
séparer l'activité speculative ( pour laquelle la banque fait des benefices enormes,et si ils perdent tout (krach)
....les citoyens renflouent pour que le système continue de fonctionner....) de l'activité réélle (l'épargne des gens
, les prêts, les entreprises...)Je propose donc qu'on ne garantisse QUE la partie réelle de l'activité bancaire...en
Photo Franck Dubray / Ouest France (17ème journée de manifestation)
60
cas de krach sur la bourse, c'est la banque qui paye ses dettes. l'état garantira seulement les citoyens.Hollande
avait promis de le faire et en fin de compte le ministre de l'économie à vidé le texte de tout pouvoir...les
banques n'en veulent pas, excellent documentaire d'arte sur ce sujet »
« Le logement doit etre considéré comme un produit de nécessité et non pas comme un produit spéculatif. Pour
ce faire, plusieurs mesures :-taxer lourdement les plus values sur l'ensemble des transactions immobilières y
compris sur les résidences principales, et ce dès le premier euro de plus value. -taxer de manière importante les
résidences secondaires. Des milliers de logements vides alors que beaucoup de personnes ne peuvent se loger.-
décider autoritairement du montant des loyers dans une fourchette de 200 à 500 euros maximum. »
• Classe 9 – 13.7% des verbatim- Equité des ressources (salaires, emplois, aides)
Cette classe concerne 13.7% des segments et 3763 contributions. Cette classe suscite le troisième
plus grand nombre de votes favorables (83 211 votes favorables et 15330 défavorables).
Elle aborde dans une très large part, la question des retraites. La ré-indexa-
tion des retraites sur l’inflation est évoquée de manière récurrente. Sont
aussi mentionnées le souhait de suppression de la CSG sur les retraites, le
retour de la retraite à 60 ans, le rattrapage des années de gel des retraites.
Différentes situations sont pointées comme injustes (retraites des fonction-
naires ou des élus par exemple).
La deuxième thématique évoquée a trait à l’équité de salaires et de l’em-
ploi. Avec à la fois le souhait d’une garantie de ressources pour vivre, et à
l’autre bout de l’échelle, un plafonnement des salaires ou une suppression
d’avantages jugés indus (avantages des élus, des fonctionnaires, des grands
patrons…). La demande d’équité des ressources vise des dimensions di-
verses : égalité salariale des hommes et des femmes, salaire parental pour
le parent restant au domicile, ressources garanties pour les plus fragiles, ou
revenu minimum pour tous par exemple. Les aides et allocations sont abor-
dées, avec le souhait de revalorisation ou de suppression de certaines, ou
encore d’ajouts de critères (suppression des allocations familiales au-delà de
3 enfants par exemple). Différentes personnes décrivent leurs situations et
la difficulté d’accéder à certaines aides (Anah par exemple contre la préca-
rité énergétique, ou besoin d’une aide pour prendre en charge les mutuelles
par exemple).
L’arrêt de certaines aides – comme les aides à destination des personnes
considérées comme « étrangères » est évoqué de manière récurrente.
Et davantage de contrôle est réclamé par certains (exemple : contrôle des
arrêts maladies, des fraudes sociales).
Mots clés : Retraite, retraité, pension, salaire, SMIC, net, CSG, alloca-
tion, AAH, inflation, indexation, indexer, revalorisation augmenta-
tion, monter, cotiser, cotisation travailler, minimum, revenir, mois,
chômage, salarié, loyer, employeur
61
L’enquête Conditions de vie et aspirations confirme le souhait d’une plus grande redistribution des
richesses de la part des gilets jaunes. L’idée selon laquelle il faut « prendre aux riches pour donner
aux pauvres » gagne du terrain depuis 2014 dans la population. En 2019, les deux-tiers des Français se
prononcent en faveur d’une plus grande redistribution verticale des richesses (65%, +10 points par
rapport à 2014). Le taux observé est en deçà de celui constaté en 2012 (71%), année de l’élection de
François Hollande, qui avait notamment valorisé la lutte contre la finance, et proposé l’idée de taxer à
75% les plus hautes tranches de revenus dans sa campagne
pour l’élection présidentielle. Mais dès l’année suivante, l’ad-
hésion à cette idée avait régressé en liaison avec la hausse
des impôts durement ressentie par la population. 2019
marque donc un retournement de tendance, certainement à
lier à la demande de rétablissement de l’impôt sur la for-
tune, largement revendiquée par les Gilets jaunes. Le souhait
d’une redistribution plus forte du haut vers le bas de l’échelle
des revenus est d’ailleurs une opinion qui différencie fortement les Gilets jaunes (88%) et leurs sou-
tiens qui y sont largement favorables de ceux qui sont hostiles au mouvement (seuls 29% d’entre eux
partagent cette opinion).
88% des gilets jaunes considèrent qu’il faut prendre aux riches pour donner aux pauvres
« Pour établir la justice sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres ?»
Champ : population française, en % d’accord (total tout à fait et plutôt d’accord)
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », 2019
Avec un terrain d’enquête encore très différent, l’étude menée par un collectif de chercheurs de
Sciences Po73 via deux questions ouvertes administrées dans le cadre d'un questionnaire diffusé sur
300 groupes Facebook en France métropolitaine, mais aussi sur les groupes locaux pour optimiser la
couverture géographique74.-aboutit à la même prédominance d’attentes concernant la justice sociale
73 Chercheurs membres du collectif universitaire d'enquête sur les Gilets jaunes : Tristan Guerra, Sciences Po Grenoble, Pacte-CNRS Frédéric Gonthier, Sciences Po Grenoble Pacte-CNRS Chloé Alexandre, Sciences Po Grenoble, Pacte-CNRS Florent Gougou, Sciences Po Grenoble, Pacte-CNRS Simon Persico, Sciences Po Grenoble, Pacte-CNRS 74 plus de 1 750 réponses, dont 1 455 exploitées résultats dispoibles sur le site dédié https://aspsdt5.sphinxonline.net/reporting/re-port/41b80c5d-34b5-4ae3-8779-08d6807ede2d/41
6271
57 5665
0
10
20
30
40
50
60
70
80
2011 2012 2013 2014 2017 20190%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
Vous êtesvous-même
un 'giletjaune'
Voussoutenez cemouvement
Vous avez dela sympathie
pour lui
Vous ne savezpas quoi en
penser
Vous y êtesopposé
Vous y êteshostile
88%
29%
« Marre d’être tondus »
« Manu, c’est à partir de quand que ca
ruisselle »
Source : Le fonds de l’air est jaune, slo-
gans collecté 17 nov. au 26 dec. 2018
sur murs, pancartes, banderoles –
62
et l’aspiration à « pouvoir vivre ». Les chercheurs résument cela ainsi « Pour les répondants, il s’agit
moins d’une révolte contre une taxe en particulier, ou pour la défense de l’usage de la voiture, qu’une
révolte contre un système fiscal et de redistribution jugé inique »
Pouvoir vivre et justice sociale au cœur des revendications
Source : Gilets jaunes : que disent-ils de leur mouvement ?, 2019
La demande d’une redistribution plus « juste » vient ainsi réconcilier l’anti-fiscalisme exprimé lors
de la genèse du mouvement et la demande de plus de services publics, d’aide et de redistribution.
En effet, les gilets jaunes ne remettent pas en cause toute action de l’Etat comme on a pu le penser.
Ils sont plus nombreux que la moyenne à attendre une aide plus importante des pouvoirs publics. Seuls
21% (contre 35% en moyenne) indiquent les dimensions où il souhaitait davantage d’appui de la puis-
sance publique. En tête de celles-ci, un appui financier pour payer les factures, et une aide pour accé-
der à un logement.
Et synthèse de l'étude sur le site du Monde, édition du 26 janvier 2019
63
Les Gilets jaunes attendent davantage d’aides des pouvoirs publics
Quels seraient les deux principaux domaines dans lesquels vous souhaiteriez que les pouvoirs publics vous ai-dent davantage ?
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », 2019
Les gilets jaunes se portent en effet en faux par rapport à l’horizon d’une totale responsabilité indivi-
duelle des parcours, valeur montante de notre société75. Les Gilets jaunes (en grande majorité des
actifs à l’équilibre financier fragile) ainsi que leurs soutiens rejettent cette individualisation des res-
ponsabilités et réclament un soutien plus fort des pouvoirs publics
La moitié des personnes hostiles aux Gilets jaunes considèrent que les pauvres n’ont pas fait d’efforts pour s’en sortir
Entre les deux raisons suivantes, quelle est celle qui, selon vous, explique le mieux que certaines personnes vivent dans la pauvreté ? % C'est plutôt parce qu'elles n'ont pas eu de chance (vs C'est plutôt parce
qu'elles n'ont pas fait d'effort pour s'en sortir)
Source : CREDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
75 Sandra Hoibian, Les Gilets jaunes, un "précipité" des valeurs de notre société, Note de synthèse n°26 CREDOC, avril 2019, https://www.cre-doc.fr/publications/les-gilets-jaunes-un-precipite-des-valeurs-de-notre-societe Sandra HOIBIAN, Gilets jaunes: le refus de la responsabilité individuelle de la pauvreté, ; Consommation & Modes de Vie N306, juin 2019,
44%
25%23% 23% 22%
21%
10% 9%7%
2%
33%
14%
24%21%
12%
35%
14%
9% 8%
4%
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
40%
45%
50%
Pour payer le loyer, lesfactures d'énergie,
l'alimentation
Accéder à un logement Etre informé sur vosdroits
Pour payer les soinsmédicaux
Trouver un emploi Vous n'avez pas besoinde davantage d'aides
Pour payer les activitéssportives, de loisirs ou
culturelle
Définir votre orientation,votre projet
professionnel
[Nsp, nr] Autre domaine
Vous êtes vous-même un 'gilet jaune'
68%75% 71%
62% 58%
45%
27% 24%28%
35% 40%
54%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
Vous êtesvous-même
un 'giletjaune'
Voussoutenez cemouvement
Vous avez dela sympathie
pour lui
Vous ne savezpas quoi en
penser
Vous y êtesopposé
Vous y êteshostile
Plutôt parce qu'elles n'ont pas eu de chance
Plutôt parce qu'elles n'ont pas fait d'effort
64
Ces difficultés personnelles et besoins d’aide se combinent à un fort sentiment d’injustice. L’étude
Elabe – Institut Montaigne76 décrit ainsi « Cette croissante fragilité économique nourrit un sentiment
presque unanime au sein des Gilets jaunes de vivre dans une société injuste (87 %, +9) et renforce
l’idée selon laquelle la réussite sociale est jouée d’avance (68 %, +5). Ils expriment un profond senti-
ment de déclassement : 69 % (+17) estiment que leurs parents vivaient mieux qu’eux au même âge.
Cette violence sociale ressentie affaiblit le consentement à l’impôt : la moitié des Gilets jaunes con-
sidère que les impôts et les taxes qu’elle paye sont inutiles (51 %, +16). Leur colère sociale se perçoit
aussi dans les sujets qui indignent le plus les Gilets jaunes, qui ne sont que des sujets économiques et
sociaux : écart entre hauts et bas salaires (46 %, +8) et les inégalités sociales (35 %, +5), mais aussi
sur la fraude fiscale (26 %, +1), la précarité de l’emploi (26 %, +4), la corruption (25 %, +5) et la fraude
aux aides sociales (24 %, -3). »
Comme le résume le groupe de travail « Triangle » (UMR CNRS 5206, Lyon) 77 qui a lui aussi analysé le
corpus du Vrai débat mais sur un corpus plus réduit (sélection d’un millier de contributions les plus
consensuelles, c’est-à-dire ayant un pourcentage important de votes favorables, et peu de défavo-
rables ou mitigés) « Le titre (et la typographie) d’une des propositions résume l’attitude consensuelle
sur la justice fiscale et la colère contre ceux qui fraudent : « Les gros payent GROS et les petits payent
PETIT - lutter contre l'évasion fiscale ». Il y a une forte demande d’équité (proportionnalité, progressi-
vité) et de sanctions envers les fraudeurs. La lutte contre l’évasion et la fraude fiscale, le retour de l’ISF
sont présentés comme des revendications de justice mais aussi comme des moyens de financer les
mesures proposées. Elle va de pair avec la revendication sur le CICE, dont est parfois demandée la sup-
pression mais plus souvent encore la vérification d’effectivité : si ça ne sert pas à créer des emplois il
faut récupérer les sommes avancées. »
L’enquête des chercheurs Jean-Yves Dormagen et Geoffrey Pion à partir d’une interrogation sur les
ronds-points de la région de Dieppe le 9 décembre, arrive à des conclusions similaires : « Le rétablisse-
ment de l’ISF, la revalorisation du smic, l’annulation de l’augmentation du prix du carburant, l’augmen-
tation des retraites, la baisse des impôts directs, l’augmentation des impôts pour les plus grosses en-
treprises, le maintien et le soutien des petits commerces locaux, la réforme des rémunérations des élus
et l’interdiction des délocalisations d’entreprises sont plébiscitées par plus de 90 % des « gilets jaunes »
comme « prioritaires » ou « très prioritaires ».78
76 Elabe – Montaigne - Les Gilets jaunes : la partie émergée de la crise sociale française ?, 20 mars 2019, Blog - https://www.institutmon-taigne.org/blog/les-gilets-jaunes-la-partie-emergee-de-la-crise-sociale-francaise 77 Triangle Eléments de synthèse réalisés par le groupe de travail de Triangle (du 8 au 18 mars 2019) 78 v https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/27/le-mouvement-des-gilets-jaunes-n-est-pas-un-rassemblement-aux-revendications-heteroclites_5402547_3232.html
65
3. Un souhait de changement radical de la démocratie
Sortir de l’invisibilité
La question de l’invisibilité sociale, de la présence dans notre société de « groupes de population mal
couverts par la statistique publique, peu visibles pour les pouvoirs publics et peu ou mal appréhendés
par les politiques sociales »79 ou les médias n’est pas nouvelle80. Rosanvallon évoquait ainsi « l’impres-
sion d’abandon [qui] exaspère aujourd’hui de nombreux Français. Ils se trouvent oubliés, incompris, pas
écoutés. Le pays, en un mot, ne se sent pas représenté »81. Nous avions cherché dès 2015 à cerner ce
phénomène82 et montré une omniprésence du sentiment d’invisibilité puisque la moitié des Français
estimaient déjà être confrontés personnellement « très souvent » ou « assez souvent » à des diffi-
cultés invisibles, qui ne seraient pas considérées par les pouvoirs publics ou les médias. Le taux est
toujours de 58% en 2019. Il culmine à 85% chez les Gilets jaunes, et 71% chez leurs soutiens, contre
seulement 36% chez les personnes hostiles au mouvement. Faut-il rappeler que dans sa fonction pre-
mière le gilet jaune est un gilet de « haute visibilité » destiné à améliorer la visibilité d'une personne
évoluant en bordure de chaussée en situation dangereuse ou sur un chantier pour améliorer la pro-
tection individuelle.
Le soutien au mouvement proportionnel au sentiment d’invisibilité
Avez-vous le sentiment d’être confronté(e) personnellement à des difficultés importantes que les
pouvoirs publics ou les médias ne voient pas vraiment ? % très souvent ou assez souvent
Source : CRÉDOC, Enquête Conditions de vie et Aspirations des Français, 2019
79 ONPES, « Étude sur l’invisibilité sociale : un enjeu de connaissance des personnes pauvres et précaires », La Lettre, n°4, octobre 2014. http://www.onpes.gouv.fr/IMG/pdf/Lettre_ONPES_04_2014.pdf 80 BOURDIEU Pierre, La Misère du monde, Editions du Seuil, 1993. 81 ROSANVALLON Pierre, Le parlement des invisibles, Éditions du Seuil, Raconter la vie, 2014. 82 Nelly Guisse et Sandra Hoibian, La France des invisibles, Collection des rapports n°327, mars 2016 https://www.credoc.fr/publications/la-france-des-invisibles
85%
71%59%
51%
39% 36%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
Vous êtesvous-même
un 'giletjaune'
Voussoutenez cemouvement
Vous avez dela sympathie
pour lui
Vous ne savezpas quoi en
penser
Vous y êtesopposé
Vous y êteshostile
66
Devenir visible est d’autant un enjeu que, pour la population, l’invisibilité a comme premier effet des
conséquences individuelles. Être invisible socialement accentuerait d’abord les difficultés des per-
sonnes concernées (52%), jusqu’à les exclure de la société (47%). Les catégories les plus modestes de
la population, sans doute plus fragiles, expriment plus que les autres cette crainte d’une aggravation
de la situation des invisibles. Viennent ensuite le risque de création de conflits et de tensions (43%),
et l’avènement d’une société moins solidaire (32%). Cet impact sur la solidarité est d’autant plus sou-
vent souligné que l’âge décroit, les jeunes ayant peut-être le sentiment d’être les laissés pour compte
d’une société dans laquelle leur insertion sociale et professionnelle apparait de plus en plus difficile.
Comme l’explique Poissonnot 83 « L’insatisfaction de ces catégories populaires à l’égard du monde po-
litique s’exprime donc depuis longtemps sous la forme d’une contestation et d’un retrait. Elle n’est
pas prise en compte par le personnel politique. Depuis le 21 avril 2002 ou le référendum de 2005, les
institutions n’ont pas notablement changé et les sources d’insatisfaction n’ont pas disparu. Du « cri
muet » dans les urnes (comme le suggérait Jean-Claude Kaufmann dans L’invention de soi), les catégo-
ries populaires sont passées à la colère jaune. »
L’augmentation du prix du carburant est ainsi lu comme un signe supplémentaire du désintérêt voire
du dédain des élites politiques, médiatiques, par rapport aux conditions de vie des catégories popu-
laires ne pouvant se passer de la voiture. L’annonce de la hausse des taxes sur le carburant met le feu
aux poudres car elle entretient le sentiment d’injustice fiscale : les élites citadines n’auront pas à sup-
porter cette la taxe carbone puisqu’ils utilisent peu leur voiture, quand ils en ont une. Cette vision
caricaturale touche du doigt une réalité : 96% des habitants des communes rurales possèdent ou ont
l’usage d’au moins une voiture, contre 69% dans l’agglomération parisienne et 55% dans Paris intra-
muros84. Le carburant ne représente que 2% du budget des ménages mais demeure indispensable pour
travailler, consommer, se déplacer. Sans huile dans le moteur, l’exercice de l’autonomie personnelle
devient impossible.
83 Poissonnot, Les "Gilets jaunes", des catégories populaires en quête d’autonomie, 15/12/2018, https://www.latribune.fr/opinions/tri-bunes/les-gilets-jaunes-des-categories-populaires-en-quete-d-autonomie-800976.html 84 CREDOC, Enquête « Conditions de Vie et Aspirations »
67
Le rejet du système politique actuel
Selon une enquête2 menée sur les ronds-points par un collectif de chercheurs du centre Durkheim, les
gilets jaunes sont des primo-militants, qui n’ont jamais milité ni dans un parti politique, ni dans un
mouvement syndical.
Une étude de terrain85 mené à Dieppe par deux chercheurs Jean-Yves Dormagen et Geoffrey Pion in-
dique de manière convergente que pour 54 % d’entre eux86, il s’agit de leur première participation à
un mouvement social « Ce qui montre [selon les chercheurs] à quel point ce mouvement rassemble des
citoyens peu habitués à l’action collective et souvent éloignés de la politique ». L’enquête Conditions
de vie confirme ces données. Les gilets jaunes participent moins aux élections que la moyenne : 21%
déclarent que ces dernières années ils n’ont pas voté, contre 13% dans l’ensemble de la population.
Ils se distinguent par un rejet très net de la classe politique : 60% n’ont pas du tout confiance dans les
hommes et femmes politiques, contre 45% en moyenne, à l’opposé des personnes hostiles au mouve-
ment qui accordent plus volontiers crédit à leurs représentants actuels.
Ce rejet se cristallise sur le gouvernement d’Emmanuel Macron. 67% déclarent qu’ils « ne font pas du
tout confiance au gouvernement actuel pour résoudre les problèmes qui se posent aujourd’hui en
France » contre 42% en moyenne dans la population et 17% des personnes hostiles au mouvement.
Les travaux du LERASS87 à partir des publications d’un groupe facebook de gilets jaunes du Cantal éta-
blit que classe lexicale la plus forte (19,9% des phrases employées) est composée de segments affi-
chant la rancœur du public vis- à- vis du gouvernement incarné par la personnalité d’Emmanuel Ma-
cron, rassemblant des « insultes, mais plus généralement l’expression d’un rapport de force qui se cons-
truit entre les gilets jaunes et le gouvernement ».
Lorsqu’ils se déclarent une proximité avec une famille politique, ils optent plus souvent pour des cou-
rants radicaux qui appellent à un rejet du « système » actuel : 21% se situent « très à droite » contre
9% en moyenne, 9% « très à gauche » contre 1% en moyenne.
85 réalisée le 9 décembre par des questionnaires-papier sur les quatre ronds-points toujours occupés à Dieppe (Arques-la-Bataille, Leclerc Rouxmesnil-Bouteilles, Euro Channel Neuville-lès-Dieppe et Auchan Dieppe). Chiffres donnés sur les 822 répondants (sur 1 549) qui déclarent avoir participé « au moins une fois » à un rassemblement sur un rond-point depuis le 17 novembre. 86 https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/27/le-mouvement-des-gilets-jaunes-n-est-pas-un-rassemblement-aux-revendications-heteroclites_5402547_3232.html 87 Sebbah et al, op.cit.
68
Autopositionnement politique et confiance dans le gouvernement actuel
'Gilet jaune'
Ensemble de
la population Hostile
Très à gauche 9% 4% 1%
A gauche 10% 12% 5%
Plutôt à gauche 9% 14% 12%
Au centre 29% 32% 38%
Plutôt à droite 8% 13% 18%
À droite 6% 8% 12%
Très à droite 21% 9% 8%
[Nsp, NR] 8% 8% 6%
'Gilet jaune'
Ensemble de la population Hostile
Très confiance 14% 2% 2%
Plutôt confiance 8% 14% 26%
Plutôt pas confiance 16% 36% 43%
Pas du tout confiance 60% 45% 28%
[Nsp] 2% 3% 2% Source : CRÉDOC, Enquête Conditions de vie et Aspirations des Français, 2019
Les travaux du CEVIPOF et CEPREMAP menés à la fois à partir d’une enquête en population générale,
et d’une analyse géographique de l’emplacement des ronds-points convergent en ce sens. Yann Algan,
Elizabeth Beasley, Daniel Cohen, Martial Foucault, Madeleine Péron indiquent ains que « Ce sont ma-
joritairement d’anciens électeurs de Marine Le Pen, de Jean-Luc Mélenchon ou des abstentionnistes
(dans cet ordre). […] L’analyse de la géographie des ronds-points confirme le caractère original de ce
mouvement. Le Nord-Est et le Sud-Ouest sont les points forts de la mobilisation, soit les deux régions
où Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont fait leurs meilleurs scores en 2017.88 ».
Les opinions recueillies par le collectif de chercheurs du CNRS « Notre enquête confirme également le
large rejet des organisations représentatives traditionnelles : 64 % considèrent que les syndicats n’ont
pas leur place dans le mouvement, 81 % pensent de même pour tous les partis politiques. 93 % sont
d’accord avec l’opinion selon laquelle « le peuple, et pas les responsables politiques, devrait prendre
les décisions les plus importantes ». C’est seulement le cas de 50 à 60 % des Français dans les enquêtes
récentes. Il en va de même pour le rejet des élites politiques : 95 % sont d’accord avec l’opinion selon
laquelle « les responsables politiques parlent beaucoup et agissent trop peu ».
Les travaux de l’institut Montaigne complètent ce portrait en mettant en lumière le sentiment d’une
incapacité des partis politiques, des syndicats, des députés, des instances européennes et du Président
de la République « à faire évoluer le monde dans lequel on vit ».
88 Yann Algan, Elizabeth Beasley, Daniel Cohen, Martial Foucault, Madeleine Péron, « Qui sont les Gilets jaunes et leurs soutiens ? », Obser-vatoire du Bien-être du CEPREMAP et CEVIPOF, n°2019-03, 14 Février 2019
69
La figure d’un « peuple apolitique » qui décide
Priscillia Ludosky89, figure emblématique du mouvement - à la fois à l’initiative de la pétition en ligne,
et ensuite très investie dans le mouvement via l’administration de plusieurs groupes Facebook de gilets
jaunes - explique la place importante des réseaux sociaux en ligne dans la construction du mouvement,
en ce qu’ils permettent précisément selon elle, un engagement et un échange d’idée sans la barrière
qu’est selon elle l’affiliation politique.
« Il est peut-être assez inédit de voir que l’on a utilisé un réseau social comme outil pour initier
un mouvement et pour continuer à débattre de ce mouvement. C’est peut-être le caractère
inédit de la chose : le rapport numérique est passé avant le rapport humain. Ce qui a fait
tomber des barrières puisque justement le problème c’est que chacun se jauge en fonction du
parti dont il est membre. Là tout de suite, on a été dans le vif du sujet, dans le concret, pour
échanger sur des idées qui rassemblent. Après forcément, au bout d’un an apparaissent des
divergences. Mais au départ ce qui est très rassembleur c’est justement que par les outils nu-
mériques, son affiliation à un parti politique ne se manifeste pas. C’est par la force du débat,
qu’effectivement les désaccords se font voir. Mais au départ non. Facebook est très rassem-
bleur, très rapidement. »
Les témoignages accréditant l’idée d’une révolte populaire sont nombreux. Les gilets jaunes se reven-
diquent du peuple sur les réseaux sociaux90 ainsi que dans leurs interventions médiatiques. Inscrit
dans le vocabulaire du mouvement, le « peuple » est le mot qui revient le plus souvent dans les do-
léances des gilets jaunes analysées par le laboratoire PACTE. Plus encore, les gilets jaunes ont le senti-
ment de former le peuple comme l’indique P. Genestier à partir de ses observations durant un mois,
de la mi-novembre à la mi-décembre 2018, au contact de «gilets jaunes» occupants un rond-point sur
une large route départementale d’accès à une ville sous-préfecture du département de Seine-et-
Marne:
« Il s’agissait pour moi d’échanger avec quelques dizaines de personnes mobilisées, se disant
elles-mêmes constituer ‘’le peuple’’ puisqu’elles s’affirmaient représentatives de la « masses de
la population’’ ignorée par ‘’ceux d’en haut’’ ». [Genestier, 2019]
Plusieurs études convergent en ce sens. « Lorsqu’on leur demande de choisir qui « devrait décider de
ce qui est le meilleur pour le pays », les personnes interrogées font majoritairement confiance à des
citoyens tirés au sort (53 %, contre 17 % pour les Français). Peu soutiennent une prise de décision par
les députés (13 %) ou par le président de la République (2 %). Le recours aux experts est une solution
envisagée par 30 % de l’échantillon, autant que l’ensemble des Français. »91
89 Priscillia Ludosky : « Créer un groupe Gilets Jaunes Facebook, c’est créer une petite entreprise politique virtuelle », entretien Par Igor Galligo, dans AOC Média 90 Voir par exemple https://www.facebook.com/gjpourlepeuple/ 91 Etude de 5 chercheurs de Sciences Po Grenoble (enquête par questionnaire en ligne diffusé sur 300 groupes Facebook.) https://www.le-monde.fr/idees/article/2019/01/26/qui-sont-vraiment-les-gilets-jaunes-les-resultats-d-une-etude-sociologique_5414831_3232.html Selon la Fondation Jean Jaurès « Parmi les 10 % des Français qui déclarent aujourd’hui se sentir « gilets jaunes », seuls 19 % d’entre eux pensent que la démocratie fonctionne bien ; les personnes soutenant le mouvement sans pour autant s’être mobilisées sont 32 % à consi-
70
Le mouvement est finalement davantage a-partisan qu’a-politique. L’exemple des « Gilets jaunes de Com-mercy » (Meuse) témoigne d’une forme de politisa-tion. Les Gilets Jaunes locaux se sont organisés en as-semblée populaire, prenant chaque décision après un vote des militants présents, et rédigeant des « ap-pels »92 avec pour objectif de se doter de lieux "où la parole se libère, où on ose s’exprimer, s’entraîner, s’en-traider", comme l'expliquait leur premier appel, mis en ligne le 30 novembre sur Youtube. D’autres témoi-gnages expriment une forme de politisation. « Avec les
gilets jaunes, on est sorties de notre impuissance », résument-elles d’une seule voix.93 Dans leur étude menée à Dieppe sur les ronds-points les deux chercheurs Jean-Yves Dormagen et Geoffrey Pion indi-quent que « le mouvement des « gilets jaunes » n’est pas vécu par ses principaux protagonistes comme un simple mouvement revendicatif et ponctuel : 91 % des « gilets jaunes » souhaitent s’orga-niser en un mouvement structuré et durable et 80 % pensent même qu’ils doivent se doter de messa-gers/porte-parole démocratiquement élus pour les représenter. »94
L’enquête d’Elise Lobbedez95 à partir de son observation participante de « gilets jaunes » de la région lyonnaise confirme le tournant en termes d’engagement qu’a pu constituer le mouvement pour cer-tains de ses participants, qui a pu aller jusqu’à provoquer des changements de vie.
Dans notre enquête Conditions de vie, 21% des gilets jaunes déclarent accorder une importance maxi-
male à la politique et la vie publique (avec une note de 7 sur une échelle de 1 à 7), contre 13% en
moyenne des Français.
Les différentes revendications du mouvement nous semblent également témoigner d’une politisation
progressive, dans le sens d’une attention plus forte portée à la chose publique, aux enjeux de société.
Changer la représentation, mieux contrôler les élus
Dans son enquête, le collectif de chercheurs indique que « le thème du renouveau démocratique et
citoyen est très saillant : 97 % des « gilets jaunes » estiment que la démocratie ne fonctionne pas très
bien (25 %) ou pas bien du tout (72 %). C’est 37 points de plus que l’ensemble des Français.
De fait, le deuxième plus gros registre de discours (26%) des contributions du Vrai débat expriment
ce souhait de renouveau de la démocratie, autour de trois dimensions.
dérer que la démocratie fonctionne bien ; les personnes qui ne soutiennent pas le mouvement sont les plus satisfaits du système démocra-tique : 63 % considèrent que la démocratie fonctionne bien en France. » https://jean-jaures.org/nos-productions/l-observatoire-de-la-de-mocratie-2019-premiers-enseignements 92 https://www.youtube.com/watch?v=dfLIYpJHir4 93« Avec les gilets jaunes, nous sommes sorties de notre impuissance » : des femmes racontent leur année de révolte, 22 novembre 2019, Bastamag https://www.bastamag.net/femmes-gilets-jaunes-maison-du-peuple-mouvement-social-mobilisation-greve-5-decembre 94 https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/27/le-mouvement-des-gilets-jaunes-n-est-pas-un-rassemblement-aux-revendications-heteroclites_5402547_3232.html 95 Elise Lobbedez, Un an après, le gilet jaune a bouleversé les quotidiens, 15/11/2019, The conversation, https://theconversation.com/un-an-apres-le-gilet-jaune-a-bouleverse-les-quotidiens-126535
Premier appel des Gilets jaunes de Com-mercy
71
La première et la plus importante de notre analyse lexicale (la classe 3 regroupe 13.1% des segments
classés et concerne 3052 contributions) aborde en effet la question du changement des modes de
représentation des citoyens. C’est cette classe qui recueille le plus de votes d’adhésion (92920). Elle
est également la plus clivante avec le plus de votes défavorables (23928), bien que beaucoup moins
nombreux. Elle représente les contributions en faveur d’un changement du mode de représentation
démocratique des citoyens. Plus spécifiquement nombreuses contributions souhaitent un change-
ment des règles électorales, avec une prise en compte du vote
blanc, un taux de participation minimal requis pour une prise
en compte des résultats, voire un vote obligatoire. Autre at-
tente très fortement présente : le désir d’un plus grand recours
au référendum (avec notamment la revendication du Référen-
dum d’Initiative Citoyenne) notamment pour les décisions im-
portantes (modification de la Constitution, engagement de la
France dans des traités internationaux - décision de la sortie de
la France de l’Union Européenne, par exemple). D’autres con-
tributions abordent la remise en question du système repré-
sentatif actuel (Sénat, Parlement), l’introduction du tirage au
sort dans les assemblées représentatives, l’écriture d’une nou-
velle constitution, etc.
Deuxième idée récurrente émergeant de la concertation le sou-
hait d’un plus grand contrôle de la place des élus. Cette classe
7 regroupe 9.6% des segments classés, soit 2616 contributions.
Cette classe évoque très nettement la volonté de réduire les
avantages des députés et plus largement de l’ensemble des
élus (rémunération des hauts fonctionnaires, indemnités à vie
pour certaines catégories d’anciens élus, immunité parlemen-
taire, cumul des mandats). S’y ajoute l’exigence d’exemplarité
des élus et membres du gouvernement (obligation d’avoir un
casier judiciaire vierge). De nombreuses voix s’expriment également en faveur d’une diminution du
nombre de niveaux de représentativité (suppression du Sénat et redondance des niveaux com-
mune/département/région), de l’introduction de scrutins proportionnels et d’un meilleur contrôle du
travail des députés et des hauts fonctionnaires.
Enfin et de manière plus marginale, est évoquée l’attente d’une justice indépendante et impartiale.
La classe 2 regroupe 3.2% des segments classés et concerne 878 contributions.
Les verbatims reflètent très fortement le désir d’une justice plus indépendante du pouvoir exécutif. De
De nombreuses contributions soulignent également la volonté d’avoir une justice plus équitable :
mettre fin à l’impunité des élus et ne plus avoir de justice à plusieurs vitesses. Les violences policières
sont aussi largement mentionnées, notamment dans le contexte des manifestations des Gilets jaunes.
En contrepoint, on relèvera par ailleurs une part non négligeable d’interventions réclamant le retour
à un état fort ainsi qu’un maintien de l’ordre plus ferme. Le souhait d’une application des peines plus
rigoureuse est par ailleurs très nettement observable.
72
Pierre Rosanvallon96 légitime cette attente ainsi « Les représentants sont élus avec un si faible pour-
centage aujourd’hui que leur légitimité de départ peut vite s’affaisser, et qu’il faut donc la renforcer
par des épreuves permanentes de légitimation. L’onction électorale, il faut le rappeler, repose sur une
fiction qui consiste à dire que la majorité exprime la volonté générale. Avec ces majorités courtes et un
fort taux d’abstention, le pouvoir doit sans cesse relégitimer son « permis de gouverner », être évalué,
contrôlé. Il faudrait aussi, comme on l’a dit, une démultiplication des formes de représentation. Cette
révolte est le révélateur du nécessaire basculement des sociétés dans un nouvel âge du social et de
l’action démocratique. »
Des préoccupations environnementales…différentes
Le mouvement des Gilets jaunes ayant émergé à la suite de la hausse des taxes de carburants, la ques-
tion de position de la position des militants du mouvement vis-à-vis du défi climatique s’est très vite
posée. La Fondation Jean Jaurès et l’IFOP97 popularisent alors la formulation de Jean-Marc Jancovici
en opposant les « Fins de mois difficiles versus fin du monde ou quand la transition écologique réactive
le clivage de classe ». D’un côté la France qui se mobilise est celle des fins de mois difficiles, de l’autre
les catégories aisées et diplômées se sentent beaucoup plus concernée par la fin de monde annoncée
en liaison avec l’urgence climatique.
L’enquête Conditions de vie montre une vision plus nuancée. Certes les gilets jaunes sont avant tout
préoccupés par les questions financières qui obscurcissent et s’imposent de manière lancinante au
quotidien. Interrogés sur leurs préoccupations98, la pauvreté en France arrive très nettement en tête
(42% vs 27% en moyenne). Mais celles-ci n’écartent pas complètement les questions écologiques. 20%
des gilets jaunes se disent préoccupés par l’environnement. C’est moins que la moyenne de la popu-
lation (26%) mais ils sont aussi nombreux (25% vs 23% en moyenne) à se dire prêts à payer plus de
taxes affectées directement à la défense de l'environnement, et 49% se déclarent sensibles à l’envi-
ronnement, soit davantage que la moyenne de la population.
Les gilets jaunes ne se désintéressent pas des questions environnementales
Se dit 'gilet
jaune'
Ensemble de la po-pulation
Se dit hostile au mouve-
ment Se dit préoccupé par la dégra-dation de l'environnement, parmi une liste de 12 thèmes 20% 26% 29% Se dit prêt à payer plus de taxes affectées directement à la défense de l'environne-ment 25% 23% 33%
Se dit sensible à l'environne-ment (notes 6 ou 7 sur 1 à 7) 49% 41% 48%
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », 2019
96 Le fonds de l’air est jaune 97 Focus Ifop, Fondation Jean Jaurès, Les « gilets jaunes » : révélateur fluorescent des fractures françaises, N° 186, Novembre 2018 98 Parmi une liste de douze thèmes intégrant l’immigration, l’Europe, la pauvreté dans le monde, les maladies graves, le chômage, les conflits sociaux, la drogue, la violence et l’insécurité, les tensions internationales.
73
L’étude du CENRS montre que 31 % se déclarent « prêts à accepter une réduction de leur niveau de vie
afin de protéger l’environnement », contre 35 % qui refusent cette idée et 34 % qui ne s’estiment ni
prêts ni pas prêts. Là encore, ce sont des proportions similaires à celles mesurées dans l’ensemble de
la population française.
Les gilets jaunes se montrent moins préoccupés par le réchauffement de la planète (31%) que l’en-
semble de la population (41%) et nettement moins que les personnes hostiles (49%, 18 pts d’écart).
Mais ils se montrent plus sensibles à d’autres atteintes à la nature : la pollution de l’eau, des rivières
et des lacs arrive en tête de leurs préoccupations dans le domaine écologique (32%, soit +7 pts par
rapport à la moyenne et +18 pts par rapport aux hostiles).
Ils sont préoccupés autant par la pollution de l’eau que par le réchauffement climatique
Parmi les problèmes suivants liés à la dégradation de l’environnement, quels sont les deux qui vous paraissent les plus préoccupants ?
Gilets jaunes Ensemble Hostiles
Le réchauffement de la planète 31% 41% 49%
La disparition de certaines espèces végétales
ou animales 32% 32% 26%
Les catastrophes naturelles (inondations, tem-
pêtes, séismes, 25% 28% 26%
La pollution de l’eau, des rivières et des lacs 32% 25% 24%
La pollution de l’air 15% 22% 27%
Les risques de l’industrie nucléaire 13% 12% 10%
L’augmentation des déchets ménagers 16% 11% 11%
Le recours à des technologies non respec-
tueuses de l’environ 13% 10% 10%
La dégradation des paysages 10% 8% 7%
La gêne occasionnée par le bruit 11% 6% 8%
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », 2019, questions insérées par le SOeS
Mais alors que les personnes hostiles au mouvement considèrent que ce sont en priorité les entre-
prises (47%) puis les particuliers (34%) qui doivent changer leurs comportements pour assurer le res-
pect du développement durable, les gilets jaunes pointent davantage la responsabilité des adminis-
trations (27% vs 22% en moyenne et 17% chez les personnes hostiles au mouvement). L’Etat est pointé
en premier lieu. 30% citent aussi la commune, vraisemblablement en liaison avec leur affinité plus
grande aux actions mises en place à l’échelon local.
74
Une attente plus forte de prise de responsabilité dans ses actes par l’administration
Selon vous, qui doit en priorité changer ses comportements pour assurer le respect du développement durable…
Gilets jaunes Ensemble Hostiles
Les administrations 27% 22% 17%
Les particuliers 24% 27% 34%
Les entreprises 48% 49% 47%
[Nsp, nr] 2% 2% 2%
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », 2019
Parmi les acteurs publics, qui selon vous serait le mieux placé pour mettre en place des actions avec un impact vraiment positif sur l’environnement ?
Gilets jaunes Ensemble Hostiles
Les communes 30% 23% 30%
Les départements, les régions 27% 26% 26%
L'Etat 41% 48% 41%
[Nsp, nr] 1% 2% 3%
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », 2019
Lorsqu’on les interroge sur les actions individuelles qu’ils mettent le plus fréquemment en œuvre pour
protéger l’environnement. Le tri des déchets arrive en tête de leurs réponses, avec une proportion
toutefois inférieure à celle du reste de la population (41% vs 51%). Mais ils mettent davantage en avant
leur attention pour réduire leur consommation d’énergie (chauffage) (38% contre 31% des personnes
hostiles) et réduire leur consommation d’eau (25% contre 17% des hostiles). Ces comportements sont
évidemment à mettre en relation avec leurs difficultés financières et leur gestion au plus près de leurs
budgets, s’imposant de nombreuses restrictions. Mais pas seulement. Ils sont nombreux à déclarer
réduire à la source les déchets en évitant les sur-emballages (31% vs 25% en moyenne) et 14% indi-
quent qu’ils achètent des produits avec label environnemental (vs 10% des hostiles). En revanche leur
dépendance à la voiture reste visible puisqu’ils mentionnent moins souvent les leviers liés aux dépla-
cements (choix de transport alternatif, réduction de l’usage de la voiture).
S’ils n’évoquent pas davantage l’achat de produits locaux comme mode d’action vert qu’ils effectuent
au quotidien, ils sont plus nombreux à considérer que consommer local est un moyen efficace de pro-
tection de l’environnement (27%) que les autres. A l’inverse ils sous valorisent l’impact de la voiture
sur la planète.
75
Selon vous, quelles sont les deux actions individuelles les plus efficaces pour protéger l’environnement
Au quotidien, quelles sont les deux actions que vous mettez le plus fréquemment en œuvre pour protéger l’environnement ?
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », questions insérées par le SOeS
Contraints financièrement, ils ont, de fait, une consommation plus restreinte : 63% expliquent qu’ils
ont fait des économies au cours des 6 derniers mois en « consommant moins » (contre 56% en
moyenne et 53% des hostiles), 52% qu’ils ont acheté des produits d’occasion (contre 36% en moyenne
et 26% des hostiles), et 40% ont eu recours à des pratiques collaboratives non marchandes (telles que
des pratiques d’échange ou de partage de biens et de services entre particuliers (ex. covoiturage, co-
location entre personnes âgées et étudiants, échanges de services de jardinage, bricolage/recyclage,
échange de livres, de jouets, petits cours, monnaies locales, fab lab, etc.) contre 21% en moyenne et
14% des hostiles.
Les travaux menés par soixante-dix sociologues, politistes et géographes ayant répondu en novembre
2018 à l’appel du Centre Emile Durkheim (CNRS-Sciences Po Bordeaux) et ayant interrogé 1300 gilets
jaunes via des questionnaires en ligne aboutissent à des conclusions convergentes.
Magali Della Sudda99 dresse ainsi un portrait très parlant du mouvement sur ce plan. « Le mouvement,
qui est né d’une protestation contre la hausse des taxes sur le carburant, a souvent été qualifié d’anti-
écologiste. Notre enquête montre pourtant que les « gilets jaunes » qui estiment que l’écologie n’est
pas une priorité sont très minoritaires. L’argument des fins de mois contre la fin du monde est battu en
brèche. […] L’enquête témoigne de l’émergence d’une “praxis écolo populaire” – faire son potager,
acheter sa viande chez l’éleveur d’à côté, consommer autrement. […] Ainsi, à la question : « Certaines
personnes défendent la hausse des taxes sur le carburant pour des raisons écologiques. Que leur ré-
pondez-vous ? », près d’un tiers des personnes répond « Je suis pour l’écologie », et près d’une personne
sur cinq « C’est le kérosène et les yachts qu’il faut taxer ». Ce qui résume bien le mouvement : l’ex-
pression d’une demande de justice dans les politiques environnementales, fiscales et sociales. Ainsi, un
peu plus d’un sur dix estime que « ce n’est pas à [eux] de payer », qu’« il faudrait que la taxe sur les
99 Magali Della Sudda, Les “gilets jaunes” sont écolos, à leur manière », 03/09/2019, Le Monde, https://www.lemonde.fr/idees/ar-ticle/2019/09/03/magali-della-sudda-les-gilets-jaunes-sont-ecolos-a-leur-maniere_5505699_3232.html
9%
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21%
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19%
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30%
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38%
Acheter produits écologiques qui portentun label environnemental
Réduire sa consommation d’eau
Moins utiliser sa voiture
Choisir un mode de déplacement plusrespectueux environnement
Choisir des produits locaux
Trier la plupart de ses déchets pour lerecyclage
Réduire déchets, éviter produitssuremballés achat produits
Réduire consommation énergie (baisserclim-chauffage..)
Gilets jaunes
Ensemble
Hostiles 10%
18%
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17%
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14%
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38%
41%
Acheter produits écologiques qui portentun label environnemental
Moins utiliser sa voiture
Choisir un mode de déplacement plusrespectueux environnement
Réduire sa consommation d’eau
Choisir des produits locaux
Réduire déchets, éviter produitssuremballés achat produits
Réduire consommation énergie (baisserclim-chauffage..)
Trier la plupart de ses déchets pour lerecyclage
Gilets jaunes
Ensemble
Hostiles
76
carburants aille vraiment à l’écologie », ou que l’écologie,
« c’est pour ceux qui ont les moyens ». Plusieurs marchés
citoyens réunissant producteurs locaux et habitants, et qui
court-circuitent la grande distribution, ont vu le jour depuis
le début du mouvement. On l’a constaté aussi bien en Gi-
ronde – à Saint-Macaire – que dans l’Oise ou en Bretagne. »
Une dimension que l’on retrouve dans l’analyse de Brigitte
Sebbah et al. qui identifie dans les commentaires en ligne
postés sous la pétition de Priscillia Ludosky côté d’un registre de colère contre le gouvernement, que
l’essentiel des commentaires évoquent « l’inefficacité écologique de la mesure et de son impact né-
gatif sur le quotidien des travailleurs, notamment en milieu rural et périurbain. ».
4. Une aspiration à davantage de lien social ?
Les revendications des gilets jaunes n’évoquent quasi jamais cette dimension. Pourtant, il nous semble
que l’analyse de leurs réponses à un certain nombre de questions posées dans l’enquête indiquent
une sensibilité particulière au lien social.
Dans notre enquête, les personnes qui se disent gilets jaunes ne se montrent pas plus isolés sociale-
ment que les autres, elles semblent même avoir une sociabilité plus importante :
• 44% des gilets jaunes actifs voient leurs collègues plusieurs fois par mois contre 30% en
moyenne
• 72% déclarent rencontrer régulièrement des membres de leur famille proche, une proportion
très proche de la moyenne (76%)
• 38% voient une ou plus fois par semaine des membres familles (contre 24%en moyenne)
• 40% reçoivent des amis au moins une fois par semaine (contre 16%)
• 40% ont des échanges avec des voisins, dans leur immeuble ou quartier au-delà de l’échange
de pure politesse une ou plusieurs fois par semaine (contre 26%)
Les gilets jaunes mobilisent notamment les réseaux sociaux en ligne pour étendre leur réseau de so-
ciabilité :
- 49% des gilets jaunes indiquent que Internet et les technologies de l'information leur ont per-
mis de : nouer des liens avec de nouvelles personnes (contre 43% en moyenne et 41% des
personnes hostiles)
77
- 58% des gilets jaunes indiquent qu’ils ont grâce aux TIC pu retrouver d’anciennes connais-
sances (contre 50% en moyenne et 47% des per-
sonnes hostiles)
- 25% des gilets jaunes indiquent qu’ils ont grâce aux
TIC pu faire une rencontre amoureuse (contre 15%
en moyenne et 15% des personnes hostiles)
Est-ce parce que 37% sont célibataires, soit 7 points de plus
que la moyenne (30%) ? Malgré une fréquence de liens so-
ciaux proche, voire supérieure, à celle observée dans l’en-
semble de la population, et malgré leur mobilisation d’in-
ternet pour étendre leurs réseaux de sociabilité, 28% déclarent se sentir souvent seuls (vs 20% en
moyenne), et parmi ceux-ci 88% déclarent en souffrir (contre 80%)
47% déclarent par ailleurs se sentir de temps à autre abandonnés, inutiles exclus (contre 30% en
moyenne).
En parallèle, 29% des gilets jaunes donnent une note de 7 (sur 1 à 7) sur l’importance qu’a la cohésion
sociale dans leur vie (contre 24% en moyenne) Six mois après, dans l’enquête de juin (menée cette
fois en face à face) la dimension est encore plus importante : 47% des gilets jaunes (6% de la popula-
tion) donnent alors une note de 7 (sur 1 à 7) sur l’importance qu’a la cohésion sociale dans leur vie
(contre 31% en moyenne, et 18% des hostiles).
Les ronds-points constituent en cela des points de rassemblement,
où le lieu fait lien comme l’expliquent100 Antoine Bernard de Ray-
mond et Sylvain Bordiec à partir de leur enquête ethnographique101
débutée en décembre sur deux ronds-points situés dans une petite
ville du sud-ouest de la France (qu’ils appellent « Treyssac » pour des
raisons de confidentialité),et où ils réalisent des observations régu-
lières de lieux d’occupations et d’actions des Gilets jaunes.
Ils expliquent « les ronds-points ont d’abord servi d’espaces de ras-
semblement pour mettre en place des blocages. Mais rapidement,
beaucoup sont devenus des lieux de vie, qu’il s’est agi de tenir. Les Gilets jaunes se sont largement
organisés à la faveur de la « sociabilité de rond-point »102 […] De nombreux témoignages soulignent la
possibilité inédite d’échanger sur ses conditions de vie avec d’autres, qui transforme le regard qu’on
porte sur soi-même et sur la société : « Le 17 novembre, pour moi, c’est la précarité décomplexée », dit
100 Antoine Bernard de Raymond & Sylvain Bordiec, « Tenir : les Gilets jaunes, mouvement d’occupation de places publiques », Métropoli-tiques, 14 octobre 2019. URL : https://www.metropolitiques.eu/Tenir-les-Gilets-jaunes-mouvement-d-occupation-de-places-publiques.html 101 Les chercheurs se rendent « au minimum une fois par semaine à Treyssac, [et font] varier les observations selon le jour de la semaine et l’heure de la journée. En parallèle, nous effectuons des entretiens compréhensifs avec les participants et recueillons des matériaux écrits (tracts, comptes rendus de réunions, etc.). » 102 Gérard Noiriel, Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire. Dialogue avec Nicolas Truong, La Tour d’Aigues, Le Monde-Éditions de l’Aube, 2019.
« Ce qui était génial à la maison du peuple,
c’était de pouvoir arriver à n’importe quelle
heure, et de rencontrer du monde pour dis-
cuter, échanger, manger ensemble, se re-
mémore Céline, enseignante démission-
naire. C’était très spontané. »
Source : Bastamag, 22 novembre 2019
Un « gilet jaune » à Paris, samedi 7 dé-
cembre 2019. Julien muguet pour « Le Monde »
78
un travailleur social. Les rassemblements apparaissent à leurs protagonistes comme des moments de
solidarité et de fraternité entre personnes ne se connaissant pas auparavant. […] on construit « en
dur » et on s’organise pour tenir en permanence les occupations. Il s’agit de
mettre en place un lieu habitable où il est possible de dormir, prendre des
repas et se rassembler. Sur le premier des ronds-points réoccupés, les parti-
cipants s’attellent à la construction d’une « cabane » (baptisée « Maison du
citoyen ») à partir de palettes en bois et de bâches, tandis que sur le second
rond-point la remorque d’un camion est surélevée, à laquelle on ajoute un
auvent. […] Le fait que les participants bénéficient d’un lieu permanent des-
tiné à leur accueil aide à donner corps à un collectif. […] ’un des aspects le
plus fréquemment soulignés par les enquêtés pour expliquer l’intensité de
leur engagement tient au fait de « rencontrer des gens de tous milieux »,
« des gens que je n’aurais jamais rencontrés sans les Gilets jaunes ». […] Ces
Gilets jaunes révèlent ainsi les ressorts affectifs, les aspirations de frater-
nité, le manque ressenti, voire l’absence antérieure de supports relation-
nels, moteurs de l’éclosion puis de la continuation du mouvement. On peut
ici émettre une hypothèse : les occupations de ronds-points ne revêtent pas
seulement une dimension stratégique, elles s’inscrivent aussi dans l’écologie sociale des zones périur-
baines et des petites villes et contribuent à recréer une forme de centralité sociale à laquelle beaucoup
de participants au mouvement estiment ne plus avoir accès. »
Une cabane construite par des Gilets jaunes, dans
le Sud-Ouest (© S. Bordiec et A. Bernard de Ray-
mond)
79
DU MAL-ETRE AU REJET
1. De fortes inquiétudes et une défiance généralisée, la famille comme refuge
Les gilets jaunes se distinguent de la population par une forme de fébrilité et angoisse par rapport au
monde. Sur certains risques, les explications semblent évidentes : automobilistes réguliers, ils sont
plus inquiets des risques d’accident de la route que la moyenne des Français, avec des parcours pro-
fessionnels plus précaires, ils s’inquiètent des risques de chômage. Mais ils sont également plus in-
quiets des risques d’agression dans la rue, des risques liés à la consommation de produits alimentaires.
L’écart le plus parlant est probablement celui observé concernant les risques de guerre qui inquiètent
beaucoup 34% des gilets jaunes contre 16% en moyenne.
Un fébrilité et inquiétude généralisée
On éprouve parfois de l'inquiétude, pour soi-même ou pour des proches. Pouvez-vous me dire si les risques sui-vants vous inquiètent ?
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
44% 42% 41% 41% 40%
34%
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25%
30%
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40%
45%
50%
beaucoup inquietrisque accident de la
route
beaucoup inquietrisque maladie grave
beaucoup inquietrisque agression dans
la rue
beaucoup inquietrisque chomage
beaucoup inquietrisque guerre
beaucoup inquietrisque consommation
de produitsalimentairees
se dit 'gilet jaune' Ensemble de la population
80
Lorsqu’on les interroge sur la confiance qu’ils accordent à différents organismes et interlocuteurs, ils
se montrent plus méfiants que la moyenne. Leur dé-
fiance est paroxystique lorsque l’on évoque la police
(ils sont 26 points de moins que la moyenne et -40
points que les personnes hostiles au mouvement).
Une attitude à mettre en liaison avec les violences
présumées des forces de l’ordre envers les manifes-
tants, et notamment le tir de LBD, ayant donné lieu à
l’ouverture de la saisie de 2019 affaires par l’IGPN et
faisant l’objet de très nombreuses vidéos et photos
sur les réseaux sociaux.
Les entreprises, de toute nature, suscitent ensuite
une forte mise à distance : les gilets jaunes sont 12
points de moins que la moyenne et 19 points de
moins que la moyenne à accorder leur confiance aux
entreprise publiques. Ils sont également moins nombreux à accorder du crédit aux entreprises privées
(-9 points par rapport à la moyenne et -17 points par rapport aux personnes hostiles au mouvement),
ainsi qu’aux banques (-8 points par rapport à la moyenne et -18 points par rapport aux personnes
hostiles au mouvement).
Le discrédit des hommes et femmes politiques, et médias est élevé également mais il rejoint en cela le
regard sombre porté par la population dans son ensemble.
Une défiance généralisée
Globalement, avez-vous très confiance, plutôt confiance, plutôt pas confiance ou pas du tout confiance dans les acteurs suivants ? % très+plutôt
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
27%
46%
30%
61%
83%
66%
62%
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16%
37%
32%
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70%
58%
68%
71%
23%
28%
28%
42%
43%
49%
61%
67%
A confiance dans les hommes et femmes politiques
A confiance dans les banques
A confiance dans les médias
A confiance dans les entreprises publiques
A confiance dans la police
A confiance dans les entreprises privées
A confiance dans les associations
A confiance dans l'école
Se dit 'gilet jaune'
Ensemble de la population
Vous y êtes hostile
« Lors des manifestations GJ, plusieurs manifestants, qui ne
mettaient pas la vie des forces de l'ordre en péril ont été mu-
tilés par des LBD, devenues, de fait, des LBA : Lanceur de
Balles d'Attaque. Le Ministre de l'intérieur porte là une res-
ponsabilité énorme. De fait, M. MACRON aura été le 1er Pré-
sident de la Vème République à permettre à nos forces de
l'ordre de tirer sur le peuple français. »
« Lors des manifestations de Gilets Jaunes, des agents de la
BAC habillés en BlackBlocs et munis de marteaux ont commis
des actes de vandalisme sur des vitrines. De nombreux té-
moins les ont identifiés comme protégés par les cordons de
CRS. De nombreuses images de leurs exactions circulent sur
les réseaux sociaux. Ils doivent être traduits en justice et
écroués. »
Contributions au « vrai débat », plateforme de consultation
organisée par un collectif de gilets jaunes
81
Ajoutons à ce tableau que seuls 30% des gilets jaunes considèrent que la justice « fonctionne bien’
contre 32% en moyenne et 39% des hostiles au mouvement. La crise de confiance se manifeste par un
pessimiste exacerbé, qui frappe singulièrement les Français [Le Bras, 2019]. Quand ils regardent der-
rière eux, les gilets jaunes estiment que le niveau de vie s’est dégradé depuis une dizaine d’année, tant
au niveau personnel (52% pour les gilets jaunes contre 45% en moyenne et 35% des hostiles) que pour
l’ensemble des Français (71% pour les gilets jaunes contre 66% en moyenne et 45% des hostiles).
Le regard sur l’avenir en est fortement assombri. Au cours des cinq prochaines années, 62% des gilets
jaunes estiment que leurs conditions de vie « vont se détériorer beaucoup », contre 49% en moyenne
et 39% des hostiles. Et selon l’étude de l’Obsoco, 82% des gilets jaunes sont persuadés du fait que les
« générations futures vivront une vie moins heureuse que la nôtre » contre 76% en moyenne er 67%
des opposants.
On retrouve ce sentiment d’inquiétude généralisée lorsqu’on les interroge sur l’impact de la digitali-
sation de la société103. 33% des gilets jaunes considèrent que les ordinateurs et d’internet sont une
menace pour l’emploi (contre 21% en moyenne et seulement 11% des personnes hostiles au mouve-
ment) ; 28% une menace pour l’éducation et la formation (contre 22% en moyenne er 20% des hos-
tiles),
Le rejet de la mondialisation est également marqué. Selon l’étude de l’Obsoco, seuls 36% des gilets
jaunes considèrent que « la mondialisation ne fait pas perdre son identité à la France » contre 43% en
moyenne et 53% des opposants. L’étude de terrain menée par le collectif de chercheurs de Sciences
po converge sur ce points « Les « gilets jaunes » sont très opposés à la mondialisation. Près de 87 %
sont d’accord avec l’idée selon laquelle « les conséquences économiques de la mondialisation sont ex-
trêmement négatives pour la France » (contre 63 % des Français). Les « gilets jaunes » partagent aussi
un euroscepticisme bien ancré, puisqu’ils sont 83 % à s’opposer à l’idée que « la France doit aller plus
loin dans la construction européenne ».
Alors qu’ils ont le sentiment de vivre dans un univers plus menaçant que la moyenne, la famille cons-
titue pour eux un fort point d’ancrage. 73% des gilets jaunes affirment que « La famille est le seul
endroit où l’on se sente bien et détendu », contre 59% dans l’ensemble de la population. Notons que
dans l’ensemble de la population, cette opinion a tendance à s’affadir sur longue période104.
De même, alors que ces opinions ont très largement perdu du terrain dans la population française,
22% des gilets jaunes considèrent que « les femmes ne devraient jamais travailler avec des enfants en
bas âge » (contre 8% en moyenne)105 et 14% qu’elles ne devraient travailler que si nécessaire (contre
9% en moyenne)106.
103 Enquête CREDOC Conditions de vie et aspirations de juin 2019, menée en face à face auprès de 2000 personnes, questions posées dans le cadre du baromètre du numérique, 104 L’opinion était partagée par sept personnes sur dix au début des années 80 contre 6 sur dix aujourd’hui. 105 41% des Français étaient de cet avis en 1979 contre 8% aujourd’hui 106 22% avaient cette opinion en 1979 contre 9% aujourd’hui
82
La famille comme refuge
Etes-vous d’accord avec l’affirmation suivante « La famille est le seul endroit où l’on se sente bien et détendu »
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
Si l’attachement des gilets jaunes à la famille, et à un rôle traditionnel des femmes est notable, en
revanche, ceux-ci se montrent plus ouverts que la moyenne au mariage de personnes de même sexe
(74% vs 72% en moyenne re 69% des personnes hostiles), ainsi qu’à l’adoption par des couples de
même sexe à laquelle 70% des gilets jaunes adhèrent (contre 61% en moyenne er 56% des personnes
hostiles au mouvement).
2. Nous et eux : Le rejet des immigrés, des tendances complotistes et antisé-
mites
Les institutions ne sont pas les seules à faire les frais de la colère des gilets jaunes. L’immigration sus-
cite un rejet plus important que la moyenne de la part des personnes aux gilets fluorescents. L’immi-
gration arrive en deuxième place de leurs préoccupations, derrière la pauvreté en France (+8 points
par rapport à la moyenne). Et 69% des gilets jaunes souhaitent que l’on favorise en priorité le départ
d’un grand nombre des immigrés qui vivent actuellement en France (vs leur intégration, dans notre
société). La proportion est en moyenne de 55%, soit un écart de 14 points.
73%
65%
58%54% 52% 52%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
Vous êtesvous-même
un 'giletjaune'
Voussoutenez cemouvement
Vous avez dela sympathie
pour lui
Vous ne savezpas quoi en
penser
Vous y êtesopposé
Vous y êteshostile
83
69% souhaitent qu’on favorise le départ d’un
grand nombre d’immigrés qui vivent actuelle-ment en France
Vous personnellement, souhaiteriez-vous que dans les prochaines années, on favorise en priorité ? % Le départ d’un
grand nombre des immigrés qui vivent actuellement en France (vs L’intégration, dans notre société, des immigrés qui
vivent actuellement en France)
L’immigration est le deuxième sujet de préoccupa-
tion principale des gilets jaunes
Parmi les sujets suivants, quels sont les deux qui vous préoccu-pent le plus ?% total 2 réponses
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », début 2019.
Les données de l’étude sur le complotisme107 menée par la Fondation Jean Jaurès et l’IFOP montrent
que si les gilets jaunes (et plus particulièrement les plus militants) sont particulièrement réceptifs aux
théories du complot, quelles qu’elles soient, les croyances où l’écart est le plus important par rapport
à la moyenne de la population concernent des complots en lien avec l’immigration, ou le sionisme :
• 59% des gilets jaunes ayant participé aux actions sont d’accord avec l’idée que « L’immigration
est organisée délibérément par nos élites politiques, intellectuelles et médiatiques pour abou-
tir à terme au remplacement de la population eu-
ropéenne par une population immigrée » (+34
points par rapport à la moyenne, et +46 points par
rapport aux personnes ne s’identifiant pas au
mouvement)
• 50% des gilets jaunes ayant participé aux actions)
sont d’accord avec l’idée qu’il « existe un complot
sioniste à l’échelle mondiale », soit 28 points de
plus que la moyenne, et +38 points par rapport
aux personnes ne s’identifiant pas au mouve-
ment)
107 Enquête sur le complotisme – Vague 2, Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch JF/JPD, janvier 2019. L’enquête a été menée en ligne du 21 au 23 décembre 2018 auprès d’un échantillon de 1 506 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, complété par un échantillon de 254 personnes de moins de 35 ans, qui ont été remises à leurs poids réel au sein de l’échantillon lors du traitement statistique des résultats. Au total, 1 760 personnes ont été interrogées.
69%
61%
55% 54%
42%
50%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
Souhaite le départ d'un grand nombre d'immigrés
Vous êtes vous-même un 'giletjaune'Vous soutenez ce mouvement
Vous avez de la sympathie pour lui
Vous ne savez pas quoi en penser
Vous y êtes opposé
Vous y êtes hostile
4%
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8%
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12%
9%
29%
40%
32%
14%
4%
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13%
26%
32%
31%
27%
5%
8%
8%
11%
11%
13%
20%
20%
39%
42%
drogue
tensions internationales
Europe
conflits sociaux
pauvreté dans le monde
maladies graves
environnement
violence, insécurité
immigration
pauvreté en France
se dit 'gilet jaune'
Ensemble de lapopulation
hostile
Source : Le télégramme, 29/12/2018
84
Les gilets jaunes beaucoup plus convaincus
de différentes théories complotistes que la moyenne
% d’accord (tout à fait + plutôt) avec différentes affirmations complotistes
Source : Fondation Jean Jaurès – IFOP pour Conspiracy watch, janvier 2019
Notons que l’analyse statistique des données (régressions logistiques multinomiales) menée par Lau-
rent Cordonier, Gérald Bronner et Florian Cafiero, montre que « le profil sociologique des « gilets
jaunes » ne permet pas d’expliquer à lui seul le haut degré de conspirationnisme observé au sein du
mouvement. Le fait d’être un gilet jaune augmente en effet de façon significative la probabilité d’ad-
hérer à des théories du complot, indépendamment de la catégorie professionnelle, du niveau d’études,
de l’âge, du positionnement politique et de la religion des sondés »108.
Les résultats de plusieurs enquêtes convergent dans le sens d’un rejet plus fort des gilets jaunes pour
la diversité. L’enquête menée par l’OBSOCO montre que seuls 39% des gilets jaunes considèrent que
« la diversité culturelle apportée par l’immigration est bénéfique à la France » contre 47% en moyenne
et 53% des opposants.
Différentes enquêtes judiciaires pour "injure publique à caractère raciste" de personnes aux jaquettes
fluo ont été ouvertes109. L’étude des publications facebook de deux leaders médiatisés du mouvement
108 Gérald Bronner, Université Paris Diderot; Florian Cafiero, Université Paris Diderot et Laurent Cordonier, Université Paris Diderot, Les « gilets jaunes » au risque du complotisme, https://theconversation.com/les-gilets-jaunes-au-risque-du-complotisme-111644 109 Une enquête a été confiée à la brigade de recherche de la gendarmerie d'Amiens "pour injure publique à caractère raciste", après la publication d'une vidéo où des migrants sont insultés le mardi 20 novembre 2018 en marge d'un blocage de "gilets jaunes", dans la Somme. Ces "gilets jaunes", alertés par du bruit, ont signalé à la gendarmerie la présence de migrants dans un camion-citerne bloqué sur un barrage à Flixecourt. Dans une vidéo tournée sur place et publiée sur les réseaux sociaux, un homme appelle à faire un "barbecue géant" avec les migrants, en paraissant se réjouir de l'intervention des forces de l'ordre. Voir par exemple : https://www.europe1.fr/societe/somme-en-quete-pour-injure-raciste-contre-des-migrants-lors-dun-blocage-de-gilets-jaunes-3806009 En marge d'une manifestation de Gilets jaunes, le 16 février, le philosophe Alain Finkielkraut avait été violemment pris à partie avec des invectives telles que « Elle est à nous, la France », encore « Sale race » ou « T'es un haineux et tu vas mourir ». Le tribunal a notamment
6
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Les Américains ne sont jamais allés sur la lune et la NASA a fabriqué des fausses preuves et de fausses images de l’atterrissage
de la mission Apollo sur la lune
Le gouvernement américain a été impliqué dans la mise en oeuvredes attentats du 11 septembre 2001
Seule une poignée d’initiés est capable de décrypter les signes de complot qui ont été inscrits sur les billets de banque, les logos de
marques célèbres ou dans des clips musicaux
Certaines traînées blanches créées par le passage des avions dansle ciel sont composées de produits chimiques délibérément
répandus pour des raisons tenues secrètes
Les Illuminati sont une organisation secrète qui cherche àmanipuler la population
Le trafic de drogue international est en réalité contrôlé par la CIA .
Il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale
L’immigration est organisée délibérément par nos élites politiques, intellectuelles et médiatiques pour aboutir à terme au
remplacement de la population européenne par une population …
L’accident de voiture au cours duquel Lady Diana a perdu la vie est en fait un assassinat maquillé
Le ministère de la santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la
nocivité des vaccins
a participé auxactions GJ
se dit gilet jaune
Ensemble de lapopulation
ne se sent pas GJ
85
dressé par La Fondation jean Jaurès110 identifie également la présence de ce type de discours. Dans le
cas d’Eric Drouet, Roman Bornstein repère des vidéos antimigrants, le relai l’infox du Pacte de Marra-
kech, le partage d’un article qui s’en prend aux « racailles » et à « l’immigration de masse », publié à
l’origine sur le site de Vincent Lapierre, un journaliste gravitant entre les sphères antisémites d’Alain
Soral et de Dieudonné, ou l’intervention non interrompue lors de
« lives » de membres de la « France en colère » qui expriment des
opinions telles que « « C’est ce qu’on appelle la mafia Khazar, ce
sont les sionistes. Ce ne sont pas des juifs ni des sémites, ce sont la
mafia Khazar, les sionistes qui sont en train de nous entretuer » ou
« Le plus marrant dans les « gilets jaunes » : il n’y a pas de mecs des
cités. Il n’y a pas de Blacks. J’ai pas vu toute cette fratrie qui vend
de la drogue “h24” qui ont été assimilés par cette matrice sociétale. Ils n’en ont rien à foutre ».
Le mouvement n’est pas toutefois monocorde sur ces questions. Certains gilets jaunes111 expriment
très nettement leur rejet complet du racisme, et de l’antisémitisme.« Après nous avoir insultés et trai-
tés de moins que rien, voilà maintenant qu’il nous présente comme une foule haineuse fascisante et
xénophobe. Mais nous, nous sommes tout le contraire : ni raciste, ni sexiste, ni homophobe, nous
sommes fiers d’être ensemble avec nos différences pour construire une société solidaire. »112
Samuel Hayat113 relie le rejet de l’étranger au concept de l’économie morale décrite plus haut. « Cela
a un coût dont il faut prendre la mesure : les mouvements fondés sur l’économie morale s’inscrivent
dans le rappel d’une coutume, la soumission à un ordre juste, mais aussi dans le cadre d’une commu-
nauté. L’économie morale est conservatrice, non seulement parce qu’elle rappelle des normes intem-
porelles, mais aussi parce qu’elle lie entre elles des personnes définies par une commune appartenance.
(…) L’économie morale est la proclamation des normes d’une communauté, elle n’étend pas la logique
de l’égalité des droits aux étrangers, pas plus qu’elle ne reconnaît les conflits internes, en particulier
idéologiques. Ce dernier point éclaire d’un autre jour le refus proclamé des partis : il s’agit certes d’une
mise en question du pouvoir des représentants au profit d’une réappropriation populaire de la politique.
Mais c’est aussi le refus du caractère partisan de la démocratie, de l’opposition entre projets politiques,
au profit d’une unité dont on sait bien qu’elle peut aisément se transformer en « rassemblement hai-
neux autour de la passion de l’Un qui exclut » »
estimé que ces propos « apparaissent viser Alain Finkielkraut comme personne de confession juive », par le recours aux stéréotypes habituels antisémites, décrivant les personnes de confession juive comme n'appartenant pas à la communauté nationale », selon la décision consultée par l'Agence France-Presse. « Les injures apparaissent ici avoir été proférées en raison de la religion de la personne visée, le terme sioniste venant ici purement et simplement dissimuler le caractère antisémite des propos », a encore considéré le tribunal. Voir par exemple : https://www.lepoint.fr/societe/finkielkraut-deux-mois-avec-sursis-pour-le-gilet-jaune-qui-l-avait-insulte-12-07-2019-2324269_23.php 110 Roman Bornstein, En immersion numérique avec les « gilets jaunes », 14/01/2019, https://jean-jaures.org/nos-productions/en-immer-sion-numerique-avec-les-gilets-jaunes, 111 Voir par exemple le troisième appel des gilets jaunes de Commercy, Publié le 18 février 2019 https://manif-est.info/Le-troisieme-appel-des-gilets-jaunes-de-Commercy-946.html 112 Appel de la première « Assemblée des assemblées » des Gilets jaunes, https://solidaires.org/Appel-de-la-premiere-Assemblee-des-as-semblees-des-Gilets-jaunes 113 Samuel Hayat, Le fonds de l’air est jaune, op.cit.
« Parce que c’est notre rejet » slogan
collecté 17 nov au 26 dec 2018 sur
murs, pancartes, banderoles – source :
Le fonds de l’air est jaune
86
3. Une porosité à des informations « étonnantes »
Le rejet des gilets jaunes de différentes institutions, au sein desquels les médias traditionnels figurent
en bonne place, combiné à une défiance dans les discours officiels, se traduit par une présence impor-
tante des gilets jaunes sur les réseaux sociaux (74% contre 66% en moyenne et +64% des hostiles)
selon l’enquête Conditions de vie et aspirations du CREDOC de juin 2019 menée en face à face. Et
surtout, derrière la télévision114 ; Internet et les réseaux sociaux sont considérés par les gilets jaunes
plus souvent que la moyenne comme des sources d’information fiable.
Les gilets jaunes font plus souvent confiance que la moyenne à internet et aux réseaux sociaux
Parmi les médias suivants, lequel vous inspire le plus confiance ? % En premier + En deuxième ?
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », juin 2019.
Olivier Ertzscheid115, chercheur en sciences de l’information à l’université de Nantes, avance l’hypo-
thèse que les réseaux en ligne viennent prendre, chez les gilets jaunes, et plus généralement les caté-
gories modestes, la place des anciens corps intermédiaires (syndicats et partis) aujourd’hui délaissés.
Le changement d’algorithme de Facebook, instauré début 2018, met davantage en avant les contenus
issus des pages de groupes, très prisées chez les sympathisants des “Gilets jaunes”, viendra amplifier
ce mouvement dans un mécanisme encourageant la viralité. « « après quelques likes sur un groupe, on
se retrouve submergé du contenu de ce groupe dans son fil d’actualité. Le nouvel algorithme a précipité
les gilets jaunes dans une bulle de filtre » 116 Ce changement, explique le chercheur, n’est pas le fruit
du hasard. Selon Olivier Ertzscheid « en février 2017, Marc Zuckerberg avait en effet explicité son in-
tention de bâtir deux types d’infrastructures sociales : « la première pour encourager l’engagement
114 Télévision qui est aujourd’hui encore le media dans lesquels les Français – et les gilets jaunes - ont le plus confiance 115 Olivier Ertzscheid, De l’algorithme des pauvres gens à l’Internet des familles modestes, Le Fonds de l’air est jaune, op.cit. 116 Vincent Glad cité par Olivier Ertzscheid
53%
32% 30%
24%
19%
14%
51%
24%
39%
44%
7%
17%
57%
22%
49%46%
1%
15%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
La télévision Internet La radio La presse écrite Les réseaux sociaux Les livres
Gilets jaunes Ensemble de la population Hostiles
87
dans les processus politiques existants, notamment l’appel à aller voter pour lutter contre l’absten-
tion,. « la seconde pour établir de nouveaux processus participatifs dans des prises de décisions collec-
tives pour les citoyens du monde. »
Divina Frau-Meigs117, sociologue des médias à l'Université Sorbonne Nouvelle., explique que le succès
des médias sociaux auprès des gilets jaunes (et plus globalement de la population) n’est pas la cause
mais la conséquence d’une évolution des médias traditionnels, dont le « régime de véracité » cons-
truit dans les années 1920 a été fortement ébranlé dès les années 1980-1990, avant même l’arrivée
des réseaux sociaux. « Les recherches en marketing ont poussé la presse écrite à s’aligner sur la presse
télévisée, à la conquête de publics nouveaux par le biais d’études de marché fondées sur les styles de
vie (jardinage, restauration…), […]. Les propriétaires de journaux sont devenus de plus en plus des per-
sonnalités politiques et économiques éloignées du métier, à la tête d’entreprises dont le cœur de mis-
sion n’est pas l’information : 10 milliardaires du bâtiment, du luxe, de la défense et de la téléphonie se
partagent 90 % de la presse nationale. Ces entreprises ont pris le contrôle des comités éditoriaux qui
ont été réduits de manière drastique, tout comme les équipes de terrain. Elles ont fait jouer la con-
currence économique, qui accroît la dépendance à l’égard de la publicité et des annonceurs, et réduit
la capacité à mener des enquêtes de long terme. […] La norme d’objectivité s’est fossilisée : elle a de
plus en plus consisté en le recours quasi-mécanique à deux experts de bords opposés, contribuant ainsi
au sentiment de polarisation. »
Cette polarisation de l’information dans les médias classiques, l’apparition des chaines de médias en
continu dont les formats laissent peu de place à une parole longue et posée, la perte d’autonomie
financière des médias (vers Audience Network et Adsense qui récupèrent 80 % du trafic publicitaire)
laissent une place aux médias en ligne dont la nouvelle trilogie de la véracité devient selon la cher-
cheuse « capter l’attention sur un « scandale » social, susciter l’émotion pour exprimer le désir de
changement et proposer une nouvelle façon d’envisager le problème, avec un recours aux idées rai-
sonnées en fin de processus, ». Les formats de médias présents uniquement sur les réseaux sociaux
comme « Brut » ou « Loopsider » suivent ces nouveaux préceptes. Ils ne proposent plus de débat con-
tradictoire, de mise en perspective des données, mais mettent l’accent sur un point de vue comme
dans une conversation où chacun pourrait déployer son opinion.
Cette évolution pose d’autant plus question que les gilets jaunes sont particulièrement réceptifs , à ce
que nous avons appelé dans notre enquête une information « étonnante » sur les réseaux sociaux.
51% des gilets jaunes s’y intéressent, soit qu’ils ont immédiatement envie de la partager (22% contre
9% en moyenne) ou qu’ils cherchent à recouper cette information avec d’autres sources (29% soit une
proportion quasi identique à la moyenne).
Comme l’explique Divina Frau-Meigs « Cette approche par la conversation permet au public d’exprimer
son cynisme à l’égard des médias de masse tout en se réinvestissant dans les échanges perçus comme
plus authentiques sur les médias sociaux. Elle suscite l’empathie, la compassion et la reconnaissance.
La proximité, la subjectivité et la participation en ligne et hors ligne supplantent alors l’objectivité et
l’impartialité. »
117 Divina Frau-Meigs, « Gilets jaunes » : ce que leur défiance envers les médias nous apprend », 11 février 2019, The conversation, https://theconversation.com/gilets-jaunes-ce-que-leur-defiance-envers-les-medias-nous-apprend-111273
88
Notons que le phénomène dépasse le champ des réseaux sociaux. L’intérêt pour des informations sen-
sationnelles ou à contrecourant de discours plus consensuels et convenus est aussi présent lorsque les
gilets jaunes en prennent connaissance via les médias traditionnels (télévision, radio, presse) ou lors-
que l’information leur est communiquée par un proche. En revanche, lorsque l’information provient
d’une source institutionnelle, les comportements des gilets jaunes ne se distinguent pas de la
moyenne.
Un intérêt pour les informations « étonnantes »
De plus en plus d’informations circulent, notamment sur internet. Comment réagissez-vous dans les différentes situations suivantes face à une information étonnante :
Source : CRÉDOC, Enquête « Conditions de vie et aspirations », juin 2019.
22%
9%20% 17% 22%
14% 14% 16%
29%
28%
32%31%
32%
29% 29% 25%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
Se dit'gilet
jaune'
Ensembledes
Français
Se dit'gilet
jaune'
Ensembledes
Français
Se dit'gilet
jaune'
Ensembledes
Français
Se dit'gilet
jaune'
Ensembledes
Français
Info vue sur les réseaux sociaux Info communiquée par unproche (famille ou amis)
Info rapportée à la télévision,radio, presse
Info provenant d'unesource
institutionnelle
Vous avez envie de la partagerimmédiatement
Vous préférez la croiser avec d'autressources
Vous ne faites rien de particulier
[Nsp]
89
4. Une radicalité instrumentale qui débouche sur une radicalité politique ?
Les images du saccage des Champs Elysées près de l’Arc de triomphe, les violences entre manifestants
et forces de l’ordre, ont fait l’objet d’une couverture médiatique mettant précisément l’accent sur
celles-ci : « Gilets jaunes Acte 18 : scènes de chaos sur les
Champs Elysées »118 , « L'acte XVIII des gilets jaunes marqué par
les violences » 119, « Gilets jaunes: à Paris, la peur des violences
paralyse certains quartiers »120. Les images filmées avec des
codes proches des scènes de guerre alimentent l’idée d’un mou-
vement particulièrement radical dans ses modes d’action. Au-
delà du sensationnalisme médiatique constitué par le nouveau
régime de « véracité » des médias (voir plus haut) les données
de l’enquête Conditions de vie montrent que cette radicalité
s’inscrit dans des tendances sociétales plus globales.
Dès 2018 en effet, l’enquête Conditions de vie mesurait déjà un
soutien à des formes d’actions radicales comme formes d’ac-
tions l’occupation ou le blocage de certains lieux, le recours à la
violence physique ou la dégradation de biens publics, dans un contexte de confrontations autour de
l’aéroport de Notre dame des Landes. Ce soutien était particulièrement fort chez les bas revenus, les
jeunes.
Début 2019, les Français, dans leur ensemble, semblent accepter encore un peu plus facilement
qu’un an auparavant ces différentes formes d’actions (+3 à +5 points). L’occupation et le blocage bé-
néficient de l’assentiment du plus grand nombre (59%, +3 points), le recours à la violence physique et
la dégradation de biens publics restent majoritairement perçus comme injustifiés aux yeux de nos con-
citoyens mais leur légitimité gagne du terrain : 17% (+5 points en un an) comprennent qu’on puisse
avoir recours à la violence physique pour s’opposer à une décision que l’on désapprouve fortement,
ou faire triompher une cause qui tient à cœur, et 13% (+3 points) qu’on puisse dégrader des biens
publics. On aurait pu s’attendre à ce que les pillages et actes de vandalisme fortement médiatisés sur
les chaines d’information en continu aient limité la compréhension à la radicalité. À part chez les indé-
pendants et les cadres chez qui le soutien à ce type d’action a eu tendance à diminuer, on constate
une progression dans l’ensemble de la société. Davantage qu’idéologique, la violence est valorisée
pour sa fonction instrumentale : avec l’idée que ce n’est que par la violence que chacun peut obtenir
gain de cause. Elle s’explique ainsi par la volonté d’être entendu.
118 https://www.youtube.com/watch?v=iJUKNNHCBok 119 https://www.youtube.com/watch?v=SDpRbarzM34 120 https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/gilets-jaunes-a-paris-la-peur-des-violences-paralysent-certains-quartiers-1148490.html
Capture d’écran d’une vidéo dépeignant les violences le 1er décembre à Paris
90
Le soutien à des formes d’action radicales progresse
Pour s’opposer à une décision que l’on désapprouve fortement, ou faire triompher une cause qui tient à cœur, comprenez-vous qu’on puisse avoir recours aux actions suivantes ?
Source : CRÉDOC, enquêtes « Conditions de vie et aspirations », début 2019
Luc Boltanski et Arnaud Esquerre121, dans une publication récente, décrivent le cadre théorique de ce
qu’ils dénomment l’économie « de l’enrichissement ». L’économie de l’enrichissement « suppose tou-
jours le recours à un dispositif narratif afin de sélectionner, dans la multiplicité phénoménale, certaines
des différences que présente une certaine chose. (…) En ce sens, les économies de l’enrichissement ont
pour principale ressource la confection et la mise en forme des différences et des identités. ». Le mou-
vement des Gilets jaunes offre un dispositif narratif de nature à visibiliser et donner la valeur au
mouvement : les manifestations sont dénommées « des actes » comme au théâtre, le gilet jaune donne
une visibilité et unité visuelle inédite qui fera ensuite des émules (les stylos rouges, …), le blocage des
ronds-points offre des images spectaculaires, les marches sur les Champs Elysées, lieu réputé au niveau
international et d’ordinaire peu souvent mobilisé pour des manifestations présentent un caractère de
nouveauté et disent la colère par rapport à la consommation de luxe , les actes de violence contribuent
à la diffusion en boucle sur les chaines d’information continue.
L’analyse d’influenceurs sur Twitter, lieu de prise de parole investi plutôt par les élites, jeunes, à fort
capital culturel et intéressées par la sphère publique, est de ce point de vue riche d’enseignement.
L’écho donné par les influenceurs au mouvement des Gilets jaunes est sans commune mesure avec
celui de la marche pour le Climat, ayant pourtant rassemblé 130 000 manifestants en septembre et
octobre, soit des ordres de grandeur similaires. Le pic des tweets autour des Gilets jaunes est dans le
détail davantage lié au nombre d’interpellations qu’au nombre de manifestants. Il culmine autour du
8 décembre, date marquée par des affrontements violents autour de l’Arc de triomphe, qui n’est pour-
tant pas la manifestation ayant rassemblé le plus de personnes.
121 Luc Boltanski, Arnaud Esquerre, L’économie de l’enrichissement et ses effets sociaux, 2017
13% comprennent
qu’on puisse dégrader des biens publics
59% comprennent qu’on
puisse occuper ou bloquer des lieux (usines, routes, places, etc.)
17% comprennent qu’on
puisse avoir recours à la violence physique
+3 pts/2017
+5
pts/2017 +3 pts /2017
91
Etre audible dans la société du spectacle
Tweets de leaders d’opinions sur les Gilets jaunes et sur la marche sur le climat Quantification du nombre de tweets intégrant les termes « Gilets jaunes » « GJ » ou « RIC » chez des influen-ceurs (c’est-à-dire vus par plus de 5000 personnes, et/ou ayant déclenché plus de 500 marques d’engagement
comme des likes, des shares, des réactions de followers)
Source : CRÉDOC, Analyse des tweets d’influenceurs sur le réseau Twitter à partir de l’outil Talkwalker
La population est parfaitement consciente de ces phénomènes. Lorsqu’on leur demandait, en 2015,
d’expliquer le phénomène d’invisibilité sociale, les Français plaçaient en tête des raisons l’individua-
lisme (« chacun ne pensant qu’à ses problèmes » 50%), et tout de suite derrière un sensationnalisme
des médias (42%).
La proportion de gilets jaunes aspirant à un « changement radi-
cal » de société (42%) n’était au début 2019 pas réellement dif-
férente de celle observée dans l’ensemble de la population (38%).
En revanche, pour arriver à leurs fins, les gilets jaunes se mon-
traient beaucoup plus compréhensifs par rapport à différents
17 nov.2018
24 nov.2018
1er déc.2018
8 déc. 2018 15 déc.2018
22 déc.2018
29 déc.2018
Bruit Twitter Gilets Jaunes Bruit twitter Marche pour le climat
290 000
166 000
136 000
126 000
66 000
39 000
12 000
0
50 000
100 000
150 000
200 000
250 000
300 000
350 000
0
200
400
600
800
1000
1200
1400
1600
17 nov. 2018 24 nov. 2018 1er déc. 2018 8 déc. 2018 15 déc. 2018 22 déc. 2018 29 déc. 2018
Nb. de manifestants
Bruit sur Twitter
282 interpellations
339 interpellations
682 interpellations
2000
interpellations
351 interpellations
220 interpellations
161 interpellations
Mots les plus cités sur Twitter:
Paris, forces, violences, Champs Elysées, casseurs, police
Mots les plus cités sur Twitter:
gilets jaunes, Macron, Taxes Nb d’interpellations
(Influenceurs)
« « On ne rentre pas dans un monde meil-
leur sans effraction »
« je ne manifeste pas, je m’insurge »
Slogans recueillis dans Le fonds de l’air est jaune
92
actes violents : 88% comprenaient qu’on puisse occuper ou bloquer des lieux (usines, routes, places)
contre 59% en moyenne et 14% des hostiles, 38% qu’on puisse dégrader des biens publics contre 13%
en moyenne et 3% des hostiles, et 49% qu’on puisse avoir recours à la violence physique contre 17%
en moyenne et 5% des hostiles.
Avec le temps le mouvement se radicalise-t-il sur le fond ? En juin 2019 soit près de huit mois après la
naissance du mouvement, les personnes qui s’identifient à la contestation, sont sensiblement plus
nombreuses à aspirer à un changement radical de société (51% contre 42% en janvier), alors même
que dans le reste de la population, le mouvement est plutôt inverse.
Le souhait d’un changement radical de société progresse chez les gilets jaunes
Estimez-vous que la société française a besoin de se transformer profondément ? Pour que la société change
comme vous le souhaitez, êtes-vous pour des réformes progressives ou des changements radicaux ?
Source : CRÉDOC, Enquêtes Conditions de vie et aspirations (janvier et juin 2019)
Signalons également que, si le RIC et plus globalement la transformation de la démocratie via l’intro-
duction de davantage de démocratie directe aux cotés de la démocratie représentative fait partie des
revendications les plus récurrentes du mouvement (voir plus haut) , on mesure aussi une forme de
distance avec la démocratie au sein du mouvement des gilets jaunes. Selon l’OBSOCO, seuls 61%
d’entre eux considèrent que « le régime démocratique est irremplaçable, c’est le meilleur système
possible », contre 67% en moyenne et 77% des opposants au mouvement.
40%
28%
45% 46%39%
46%
42%
51%
38%30% 43% 29%
14%16%
15%19%
17%
22%
4% 5% 3% 5%1% 4%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
Se dit 'giletjaune' janvier
2019
Se dit 'giletjaune' juin 2019
Ensemble de lapopulation
janvier 2019
Ensemble de lapopulation juin
2019
Hostile janvier2019
Hostile juin 2019
Progressiste Radical Pas de réforme Ne sait pas
93
Comme l’explique Michel Wievorka122, « la violence est le contraire du mouvement social, […]. Elle
surgit quand celui-ci ne parvient pas ou plus à exister et à se transcrire en action concrète, et transforme
en rupture ce qui dans un conflit est de l’ordre de la relation, du débat et, éventuellement, de la négo-
ciation. Le conflit met aux prises des adversaires, là où la violence oppose des ennemis. Mais cette
dernière peut aussi être un élément du mouvement social, une composante à la fois stratégique et
expressive. C’est même ainsi qu’il faut comprendre, à certains égards, les violences des samedi 24 no-
vembre et 1er décembre derniers à Paris – sans oublier qu’il y en a eu aussi dans quelques autres villes
de France. »
La radicalisation du mouvement sur le plan des idées, et le recours légitimé à la violence comme moyen
d’attirer l’attention et d’obtenir gain de cause doivent être écoutés avec attention par les politiques
publiques. Construire de nouveaux espaces de dialogue démocratique, tant sur le plan physique via
des lieux, qu’institutionnel, avec une réelle capacité d’impact sur le monde, semble de ce point de
vue, incontournables.
122 Michel Wieviorka, Les « gilets jaunes », qu’est-ce que c’est?, 4 décembre 2018 https://theconversation.com/les-gilets-jaunes-quest-ce-que-cest-108213
94
DISCUSSION
La première des limites et certainement la plus importante est que dans les différentes enquêtes quan-
titatives mobilisées, et compte tenu des taux de personnes se considérant comme affiliés au mouve-
ment (6% dans l’enquête Conditions de vie de janvier) les échantillons de gilets jaunes sont faibles.
L’enquête Conditions de vie en décompte (183 sur 2976 interviews en hiver, et 79 sur 2052 en juin).
Mécaniquement, certaines populations au sein des gilets jaunes (retraités modestes, foyers monopa-
rentaux) ne peuvent être étudiées.
Deuxième limite, le mouvement des gilets jaunes est particulièrement difficile à analyser. D’abord car
il se défend d’institutionnalisation. Chacun peut ainsi se déclarer Gilet jaune, sans être considéré
comme tel par son voisin. Être gilet jaune est-ce avoir manifesté tous les samedis ? avoir bloqué des
ronds-points ? avoir posté des messages sur les groupes facebook ? ou avoir un gilet jaune posé osten-
siblement sur son pare-brise ? se sentir représenté par ceux qui ont manifesté selon ces différents
types d’engagement. La population d’origine à représenter, question basique de tout travail de re-
cherche, est en elle-même insaisissable et sans points de repère fiables.
Parce qu’il se revendique horizontal, il est beaucoup plus malaisé d’affirmer avec certitude des ana-
lyses concernant les gilets jaunes. Telle personne qui se considère gilet jaune peut avoir une opinion,
qui sera tout aussi bien démentie par une autre. Alors que pour l’étude d’un mouvement associatif,
politique, ou syndical, il est possible de compléter les entretiens par des analyses de discours, il est
beaucoup plus difficile de le faire dans le cas des gilets jaunes : quels « collectifs » retenir ?
Enfin, les terrains et modalités d’enquête mobilisés dans ce travail ont tous en commun de chercher à
discerner qui compose ce mouvement tant du point de vue sociologique que sur le plan des idées. La
diversité des engagements, et leur évolution dans le temps complexifie fortement la tâche des socio-
logues. Ce travail, pour avoir cherché à mobiliser des sources différentes, avec des méthodes diffé-
rentes (quantitatives, qualitatives, observations participatives, ethnographiques) passe de nombreux
travaux pourtant très intéressants, faute de temps ou de les avoir repérés. En outre, le mouvement
étant fort récent, de nombreuses enquêtes citées dans ce cahier de recherche n’ont pas encore fait
l’objet de publications académiques. Les précisions méthodologiques des résumés publiés dans la
presse mobilisés dans ce cahier de recherche sont donc souvent sommaires.
95
ANNEXES – METHODOLOGIE
Nous avons cherché à mobiliser différents travaux ayant mobilisé des matériaux recueillis à peu près
à la même période : entre novembre 2018 et février 2019, soit au plus fort de la contestation.
Différentes enquêtes en ligne auprès d’un échantillon représentatif de Français
- L’étude Conditions de vie et aspirations du CREDOC, enquête en ligne auprès d’un
échantillon représentatif de 3000 personnes, menée du 4 au 21 janvier 2019. L’échan-
tillon recruté est représentatif de la population âgée de 15 ans et plus, résidente en France
métropolitaine, en Corse et dans les DOM. L’échantillon est structuré de la façon suivante :
Grande région (12 modalités), Sexe, Age (5 modalités), Profession - catégorie sociale (8
modalités), Taille d’agglomération (9 modalités), Type de logement (individuel ou collectif).
Les quotas sont déterminés à partir des données du recensement de la population le plus
récent, redressées par les derniers résultats disponibles de l’enquête Emploi et du bilan dé-
mographique de l’INSEE. 6% se déclarent gilets jaunes dans cette enquête.
Plus ponctuellement, (à la fois car elle est menée à une période plus lointaine de la naissance
du mouvement, et qu’elle porte sur un échantillon plus restreint) l’enquête Conditions de vie
et aspirations du CREDOC, menée en juin 2019 en face à face auprès d’un échantillon re-
présentatif de 2000 personnes de 18 ans et plus, et qui mesure elle aussi une proportion de
4% de la population qui se dit « gilet jaunes ».
- L’enquête menée par le CEPREMAP adossé au Baromètre de la confiance du CEVIPOF
(Sciences Po). La vague d’enquête a eu lieu en décembre 2018. L’enquête comporte un
échantillon de 2116 personnes, représentatif de la population française.
- L’étude de l’Obsoco, d’une enquête en ligne auprès d’un échantillon représentatif de 4000
Français de 18 à 70 ans, menée du 23 janvier au 1er février 2019. Les quotas ont été
établis sur la population globale interrogée au regard des critères suivants : sexe, âge, ca-
tégorie socioprofessionnelle, niveau de diplôme, région de résidence et taille de l’agglomé-
ration de résidence. Un redressement a été appliqué aux données brutes pour assurer un
ajustement fin de l’échantillon final aux quotas nationaux.
- L’étude menée par l’IFOP pour la Fondation Jean Jaures123 en janvier 2019124.
- L’enquête Elabe pour l’Institut Montaigne, s’appuie sur une enquête réalisée en ligne au-
près d’un échantillon de 10 010 personnes, entre le 14 décembre 2018 et le 8 janvier
2019 constitué selon la méthode des quotas appliquée par région aux variables de genre,
âge, catégorie socio-professionnelle et taille d’agglomération. 12 sous-échantillons régionaux
123 « Gilets jaunes » - Note n°2 : Les « gilets jaunes » : Sociologie d’un mouvement hors norme 124 La méthodologie précise, question et échantillon n’est pas précisée dans la note.
96
de 800 individus (1 200 en Ile-de-France) ont ainsi été constitué pour être représentatifs de
la population résidente de chaque région administrative métropolitaine âgée de 18 ans et
plus125.
D’une enquête à l’autre, les formulations et les modalités de réponse changent quelque peu. On passe
d’une participation binaire (« Vous qualifiez-vous de gilets jaunes ?») à un continuum d’attitudes pos-
sibles face au mouvement (Tableau 1).
Date du ter-
rain d’en-
quête
Question Modalités de réponses
proposées
Proportion de « gilets jaunes » ou
soutiens dans l’échantillon
Institut Mon-
taigne - ELABE
14/12/18 –
08/01/19
« Vous-même, diriez-vous
que vous êtes un « gilet
jaune » ?
« Oui », « Non mais je
soutiens l’action et les re-
vendications des gilets
jaunes », « Non »
21% se disent gilets jaunes
47% ne se disent pas gilets jaunes
mais soutiennent l’action et les re-
vendications du mouvement
CEPREMAP/ décembre
2018
Diriez-vous que vous soutenez
le mouvement des Gilets
jaunes ?
Tout à fait/ plutôt/ indiffé-
rent/ plutôt pas/ pas du
tout
30% soutiennent tout à fait les gilets
jaunes
CREDOC 4 au 21 janvier
2019
« Depuis Octobre 2018 est ap-
paru le mouvement des « Gi-
lets jaunes », appelant au dé-
part les automobilistes à blo-
quer les routes pour protester
contre la hausse des prix du
carburant et demande une
baisse des taxes. Quelle est
votre attitude à l’égard de ce
mouvement
« Vous êtes vous-même
un 'gilet jaune’ », « Vous
soutenez ce mouve-
ment », « Vous avez de la
sympathie pour lui »,
« Vous ne savez pas quoi
en penser », « Vous y êtes
opposé », « Vous y êtes
hostile »
6% se disent gilets jaunes
33% soutiennent le mouvement
17% a de la sympathie
L’ObSoCo 23/01/19 –
01/02/19
« Vous qualifiez-vous de gilets
jaunes »
Avez-vous personnellement
pris part au mouvement des
« gilets jaunes » ?: participa-
tion active sur les réseaux so-
ciaux, blocages de ronds-
points ou de péages, manifes-
tations proches de leur lieu de
vie ou à Paris, opération es-
cargot.
« Oui », « Non » 46% de la population se déclare gi-
let jaune
6% est très impliqué : i.e a réalisé
trois types d’action parmi les sui-
vantes
• a participé activement sur
les réseaux sociaux (16%
des fcs)
• a manifesté près de leur
lieux de vie (10% des fcs)
• a occupé des ronds points
(7% des fcs)
• a réalisé des opérations
escargot (5% des fcs)
125 Les régions Corse et Provence-Alpes-Côte d’Azur ont été regroupées.
97
• a bloqué des péages ou
d’accès (3% des fcs)
• ont manifesté à Paris. (2%
des fcs)
Fondation
Jean Jaures-
IFOP
16% des Français se définissent
comme « gilets jaunes »
44% affichent de la sympathie sans
pour autant s’identifier à ce mouve-
ment,
40% ne se sentant ni proches ni en
soutien.
Une enquête menée sur les ronds-points et lieux de manifestations par un collectif de cher-
cheurs :
- L’enquête menée par un collectif de chercheurs (mobilisant des chercheurs du Centre
Emile-Durkheim (Bordeaux), du CNRS, de l’INRA et des étudiants) via 166 questionnaires
distribués sur les ronds-points et aux péages, ou lors des manifestations ayant eu lieu les 24
et 1er décembre
Cette enquête a été enrichie menée à partir de questionnaires recueillis en ligne sur les
groupes facebook :
- Une étude « Gilets jaunes : que disent-ils de leur mouvement ? » réalisée par un collectif de
cinq chercheurs de Sciences Po Grenoble a été menée par questionnaire en ligne dif-
fusé sur 300 groupes Facebook. L’enquête quantitative « a été lancée le 22 décembre
2018 cible près de 300 groupes Facebook de tous les départements de France. L’enquête a
obtenu plus de 1 750 réponses, dont 1 455 exploitées – Les résultats ont été publiés en
partie via une tribune sur le site du journal Le Monde, 26 janvier 2019 et une publication sur
un site internet dédié https://aspsdt5.sphinxonline.net/reporting/report/41b80c5d-34b5-
4ae3-8779-08d6807ede2d
Une étude ethnographique menée par Antoine Bernard de Raymond & Sylvain Bordiec, « Tenir :
les Gilets jaunes, mouvement d’occupation de places publiques », Métropolitiques, 14 octobre 2019.
URL : https://www.metropolitiques.eu/Tenir-les-Gilets-jaunes-mouvement-d-occupation-de-places-
publiques.html, « débutée en décembre sur deux ronds-points situés dans une petite ville du
sud-ouest de la France (appelons-la « Treyssac »), où nous réalisons des observations régulières
de lieux d’occupations et d’actions des Gilets jaunes. Venant au minimum une fois par semaine à
Treyssac, nous faisons varier les observations selon le jour de la semaine et l’heure de la journée.
En parallèle, nous effectuons des entretiens compréhensifs avec les participants et recueillons des
matériaux écrits (tracts, comptes rendus de réunions, etc.).
98
Une enquête de terrain menée par Jean-Yves Dormagen et Geoffrey Pion Jean-Yves Dormagen et
Geoffrey Pion mobilisant différentes méthodologies dont notamment sur une enquête par question-
naires le 9 décembre par des questionnaires-papier sur les quatre ronds-points toujours occupés à
Dieppe (Arques-la-Bataille, Leclerc Rouxmesnil-Bouteilles, Euro Channel Neuville-lès-Dieppe et Au-
chan Dieppe).
Une observation participante menée par Elise Lobbedez de la région lyonnaise
Des travaux d’analyse des lieux de mobilisation :
- Le CREST126 a mené une analyse territoriale en s’appuyant sur deux types de matériau :
O la carte des 788 rassemblements prévus pour le 17 novembre (enregistrée le 16
novembre au soir) disponible sur un site internet dédié
(www.blocage17novembre.fr), qui ont été associés à une commune127
O une collecte manuelle des groupes Facebook de plus de 100 membres liés aux
gilets jaunes entre les 12 et 15 décembre 2018 via des requêtes de recherche un
panel de mots-clefs liés au mouvement, et auxquels ont été associés un échelon
géographique identifiable, selon les références explicites présentes dans le nom du
groupe (par exemple "Les Gilets jaunes de Savoie", "Gilet Jaune 74", "Mobilisation
gilets jaunes senlis". . . ).128
- Hervé Le bras a également menée une approche s’appuyant sur le nombre de manifes-
tants lors de la manifestation du 17 novembre 2018, ayant été la plus suivie, publié par le
ministère de l’Intérieur, qu’il rapporte à la population du département considéré.
126 P.C. BOYER, T. DELEMOTTE, G.GAUTHIER, V.ROLLET, B.SCHMUTZ, Les déterminants de la mobilisationdes ʺgilets jaunesʺ, Série des Docu-ments de Travail, n° 2019-06 127 Comme l’expliquent les chercheurs il s'agit là de déclarations d'intention de manifester faites par les gilets jaunes eux-mêmes à la veille des mobilisations 128 Par ailleurs les chercheurs ont collecté manuellement des données sur les groupes Facebook liés aux gilets jaunes entre les 12 et 15 décembre 2018 via des requêtes de recherche sur Facebook avec un panel de mots-clefs liés au mouvement et associés, ou non, à des indicateurs géographiques. Pour chaque groupe ainsi repéré, ils ont récupéré les informations suivantes : le nom du groupe, le nombre de membres ainsi que le nombre de messages publiés. En ignorant les groupes qui comptent moins de 100 membres, cette méthode nous permet de répertorier 1548 groupes différents. Ces différents groupes sont ensuite associés à un échelon géographique identifiable : natio-nal, régional, départemental, ou infra-départemental (à l'échelle d'une ville ou d'une agglomération) selon les références explicites présentes dans le nom du groupe (par exemple "Les Gilets jaunes de Savoie", "Gilet Jaune 74", "Mobilisation gilets jaunes senlis". . . ). Plus de la moitié des groupes analysés (834) sont associés à une ville, à un petit groupe de villes ou à un "pays" et seuls un peu plus de 25% des groupes ont une visée qui dépasse l'échelle du département . Par ailleurs, près de la moitié des publications le sont sur des groupes locaux (730 295 sur 1 473 616). Ces observations témoignent du caractère local et décentralisé du mouvement. Nous utilisons des méthodes d'analyse textuelle afin d'associer chaque groupe localisable à son entité géographique (région, département, communes ou groupes de commune). Grâce à ces deux sources de données compilées, reflétant à la fois la mobilisation online (sur Facebook) et off -line (blocages des ronds-points), nous construisons trois indicateurs : Nombre de rassemblements prévus par zone géographique; Nombre de membres de groupes Facebook associés à chaque zone géographique; Nombre de publications sur les groupes Facebook par zone géographique.
99
Une analyse menée lexicale à partir d’un corpus de titres de presse et d’un corpus Face-
book de gilets jaunes par Brigitte Sebbah, Lucie Loubère, Natacha Souillard, Julie Renard, Nikos
Smyrnaios, La dilution des Gilets jaunes dans l’agenda médiatique et politique, Quand le mouvement
ne fait plus l’événement mais tente de se consolider menée
« Notre collecte des données a été effectuée du 05 au 10 février 2019 ; elle inclut donc la journée
de mobilisation syndicale du mardi 5 février et la manifestation du 14ème Acte qui a eu lieu le samedi
9 février. Notre corpus Facebook provient de la page du groupe public “la France en colère !!!”2
et comprend 103 529 commentaires et posts publiés par plus de 20000 comptes. Ce groupe public
est d’ailleurs passé cette semaine en groupe privé, comme d’autres groupes des Gilets jaunes. Le
corpus de presse quotidienne nationale (PQN) est composé de 352 articles collectés à partir de
la base de données Europresse en utilisant les mots-clés “gilet jaune” et “gilets jaunes »
Une analyse de data science réalisée pour cette recherche par le CREDOC à partir du corpus
de la consultation du « Vrai débat » lancée par un collectif de gilets jaunes
La plateforme du « Vrai débat » a été ouverte le 25 novembre 2018 à l’initiative d’un groupe de «ci-
toyens Gilets jaunes » de la Réunion, puis suivis par de nombreuses régions. La collecte des « revendi-
cations » a eu lieu du 30 janvier au 3 mars 2019.
La plateforme, a permis de recueillir les contributions des citoyens, ces contributions s’articulant au-
tour de neuf thématiques prédéfinies :
- Démocratie, Institutions
- Transition écologique & solidaire, Agriculture & Alimentation, Transport
- Justice, Police, Armée
- Europe, Affaires étrangères, Outre-mer
- Santé, Solidarité, Handicap
- Économie, Finances, Travail, Comptes publics
- Éducation, Jeunesse, Enseignement supérieur, Recherche et Innovation
- Sport, Culture
- Expression Libre & sujets de société
23 205 « opinions » que nous appellerons « contributions » dans le document qui ont généré 679 938
votes, 76 723 « arguments », 1405 sources ont ainsi été analysées avec les méthodes de la data
science.
100
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