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Fête du Trône Hors-série 18 H ORS-SÉRIE FÊTE DU TRÔNE AOÛT 2014 Le Matin : Le 12 octobre 1999 à Casablanca, S.M. le Roi Mohammed VI a défini, dans un discours prononcé devant les responsables des régions, des wilayas, des préfectures et des provinces du Royaume, les cadres de l'adminis- tration et les représentants des citoyens, le nouveau concept de l'autorité. Quel regard por- tez-vous sur ce concept ? Christophe Boutin : Le «nouveau concept de l’autorité» est un complément indispensable de l’évolution démocra- tique du Maroc. Le discours de 1999 a d’abord permis au Souverain marocain de définir les prin- cipales responsabilités des autorités, consistant «à assurer la protection des libertés, à préserver les droits, à veiller à l'accomplissement des devoirs et à réu- nir les conditions nécessaires qu'exige l'État de droit». Il s’agit donc de placer au premier plan le respect d’un cadre juridique résultant d’ailleurs à la fois de textes marocains et de conventions in- ternationales. On pourrait dire que le point focal de cette approche est le rejet de l’arbi- traire : ce n’est plus son statut qui légi- time l’action de l’agent d’autorité, c’est son rôle d’instrument d’application de la norme. Mais le discours de 1999 a aussi permis au souverain de préciser comment devait être conçue cette application. Le nouveau concept, déclarait-il en 1999, est «fondé sur la protection des services publics, des affaires locales, des libertés indivi- duelles et collectives, sur la préservation de la sécurité et de la stabilité, la gestion du fait local et le maintien de la paix sociale». Et il devait insister quelque temps après sur l’ar- ticulation nécessaire entre ce nouveau concept d’autorité et l’activité économique. On touche ici à une politique de proximité, qui prend en compte les spécificités locales, et dans laquelle l’agent d’autorité intervient pour réguler et pour arbitrer bien plus que pour imposer. C’est pourquoi, et c’est sans doute le troisième point essen- tiel du discours de 1999, le souverain invitait les agents de l’État à sortir «des bureaux administratifs» pour rechercher une concertation avec les administrés sur le terrain «en les associant à la recherche des solutions appropriées». C’est ce que l’on nomme parfois la démocratie participative, dans laquelle la société civile, sans d’ailleurs concurrencer les instances représentatives institutionnelles, est consultée lors de la prise de décision. Respect de l’État de droit, proximité et par- ticipation, nous sommes bien avec ce «nouveau concept» voulu par Mohammed VI (et le terme «nou- veau» montre aussi qu’il s’agissait de tourner la page de pratiques an- térieures) dans la redéfinition d’un cadre démocratique et moderne d’action de l’État. On en trouve une expression récente au titre XII de la Constitution marocaine de 2011, «De la bonne gouvernance», et le fait d’avoir ainsi constitutionnalisé ces éléments, les plaçant au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, montre leur place éminente. Le Maroc a aussi connu en 2008 une réforme du cadre juridique régissant le statut des agents d'autorité selon une vision moderniste à même d'accompagner les mutations imposées par l'ou- verture de l'administration territoriale sur son environnement. Peut-on parler d'une redéfini- tion du rapport administration-citoyen durant le règne de S.M. Mohammed VI ? Le discours de 1999 a d’abord permis au Souverain marocain de définir les principales responsabilités des autorités, consistant «à assurer la protection des libertés, à préserver les droits, à veiller à l'accomplissement des devoirs et à réunir les conditions nécessaires qu'exige l'État de droit». «Le “nouveau concept de l’autorité” est un complément indispensable de l’évolution démocratique du Maroc» CHRISTOPHE BOUTIN, politologue français, professeur des universités à l'Université de Caen. Le discours de 1999 a permis au Souverain de définir les principales responsabilités des autorités, consistant «à assurer la protection des libertés, à préserver les droits, à veiller à l'accomplissement des devoirs et à réunir les conditions nécessaires qu'exige l'État de droit». Entretien réalisé par El Mahjoub Rouane ●●● ●●●

«Le “nouveau concept de l’autorité” est un complément ...etudes-geopolitiques.com/sites/default/files/pdf/-Boutin_hors... · tique du Maroc. Le discours de 1999 a d’abord

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Fête du TrôneHors-série

18 • H ORS-SÉRIE FÊTE DU TRÔNE • AOÛT 2014

Le Matin : Le 12 octobre 1999 à Casablanca, S.M. le Roi Mohammed VI a défini, dans un discours prononcé devant les responsables des régions, des wilayas, des préfectures et des provinces du Royaume, les cadres de l'adminis-tration et les représentants des citoyens, le nouveau concept de l'autorité. Quel regard por-tez-vous sur ce concept ?Christophe Boutin  : Le «nouveau concept de l’autorité» est un complément indispensable de l’évolution démocra-tique du Maroc. Le discours de 1999 a d’abord permis au Souverain marocain de définir les prin-cipales responsabilités des autorités, consistant «à assurer la protection des libertés, à préserver les droits, à veiller à l'accomplissement des devoirs et à réu-nir les conditions nécessaires qu'exige l'État de droit». Il s’agit donc de placer au premier plan le respect d’un cadre juridique résultant d’ailleurs à la fois de textes marocains et de conventions in-ternationales. On pourrait dire que le point focal de cette approche est le rejet de l’arbi-traire : ce n’est plus son statut qui légi-time l’action de l’agent d’autorité, c’est son rôle d’instrument d’application de la norme. Mais le discours de 1999 a aussi permis au souverain de préciser comment devait être conçue cette application. Le nouveau concept, déclarait-il en 1999, est «fondé sur la protection des services publics, des affaires locales, des libertés indivi-duelles et collectives, sur la préservation de la sécurité et de la stabilité, la gestion du fait local et le maintien de la paix sociale». Et il devait insister quelque temps après sur l’ar-ticulation nécessaire entre ce nouveau concept d’autorité et l’activité économique. On touche ici à une politique de

proximité, qui prend en compte les spécificités locales, et dans laquelle l’agent d’autorité intervient pour réguler et pour arbitrer bien plus que pour imposer. C’est pourquoi, et c’est sans doute le troisième point essen-tiel du discours de 1999, le souverain invitait les agents de l’État à sortir «des bureaux administratifs» pour rechercher une concertation avec les administrés sur le terrain «en les associant à la recherche des solutions appropriées». C’est ce que l’on nomme parfois la démocratie participative, dans laquelle la société civile, sans d’ailleurs concurrencer les instances représentatives institutionnelles, est consultée

lors de la prise de décision. Respect de l’État de droit, proximité et par-ticipation, nous sommes bien avec ce «nouveau concept» voulu par Mohammed VI (et le terme «nou-veau» montre aussi qu’il s’agissait de tourner la page de pratiques an-térieures) dans la redéfinition d’un cadre démocratique et moderne d’action de l’État. On en trouve une expression récente au titre XII de la Constitution marocaine de 2011, «De la bonne gouvernance», et le fait d’avoir ainsi constitutionnalisé ces éléments, les plaçant au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, montre leur place éminente.

Le Maroc a aussi connu en 2008 une réforme du cadre juridique régissant le statut des agents d'autorité selon une vision moderniste à même d'accompagner les mutations imposées par l'ou-verture de l'administration territoriale sur son environnement. Peut-on parler d'une redéfini-tion du rapport administration-citoyen durant le règne de S.M. Mohammed VI ?

Le discours de 1999 a d’abord permis au Souverain marocain de définir les principales responsabilités des autorités, consistant «à assurer la protection des libertés, à préserver les droits, à veiller à l'accomplissement des devoirs et à réunir les conditions nécessaires qu'exige l'État de droit».

«Le “nouveau concept de l’autorité” est un complément indispensable de l’évolution démocratique du Maroc»

CHRISTOPHE BOUTIN, politologue français, professeur des universités à l'Université de Caen.

Le discours de 1999 a permis au Souverain de

définir les principales responsabilités des

autorités, consistant «à assurer la protection

des libertés, à préserver les droits, à veiller à

l'accomplissement des devoirs et à réunir les

conditions nécessaires qu'exige l'État de droit».

Entretien réalisé par El Mahjoub Rouane

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AOÛT 2014 • H ORS-SÉRIE FÊTE DU TRÔNE • 19

L’administration doit être capable de répondre à des de-mandes de plus en plus nombreuses et diverses formu-lées par les citoyens. Économie, social, environnement, le citoyen, titulaire de nouveaux droits dans tous ces do-maines, se tourne – parfois d’ailleurs de manière excessive – vers un État qu’il estime à même de répondre à ses at-tentes. Pour que les réponses soient adaptées et efficaces, il faut dépasser une excessive centralisation. Même dans le domaine de la déconcentration, en effet, là où la hié-rarchie entre autorités est la règle, les autorités locales doi-vent avoir, dans leur ressort, la possibilité d’engager le dia-logue avec les collectivités ou la société civile. C’est le sens des réformes administratives qui ont été faites au Maroc ces dernières années, avec non seulement de nouveaux rapports entre autorités, mais aussi la création, autant que de besoin, de nouvelles unités administratives adaptées à l’évolution de la donne démographique. Trois éléments doivent prévaloir dans le dialogue entre l’administration et les citoyens : l’information, la possibilité de s’exprimer (prévus par exemple à l’art. 13 de la Constitution, avec la création d’instances de concertation), la possibilité en-fin de contester la décision (art. 118 de la Constitution). Pour autant, le citoyen doit garder à l’esprit que tout ne peut être satisfait, ne serait-ce que parce qu’il faut parfois concilier entre elles certaines des aspirations divergentes qu’il présente. Le Souverain marocain a enfin pleinement conscience des deux principales menaces qui pèsent sur le fonctionnement tout administration, au Maroc comme ailleurs  : la culture de l’impunité, laissant des dysfonc-tionnements non sanctionnés, et le risque de la corrup-tion. Il appartient aux juges de les faire reculer, avec en sus l’aide de l’Instance nationale ad hoc prévue à l’art. 167 de la Constitution.

La régionalisation avancée doit, selon la Consti-tution, conférer aux présidents des conseils ré-gionaux le pouvoir d'exécution des délibérations desdits conseils, en lieu et place des gouverneurs et des walis. Elle doit aussi renforcer la partici-pation de la femme à la gestion des affaires ré-gionales et, d'une manière générale, à l'exercice des droits politiques et procéder à la refonte de la composition et des attributions de la Chambre des conseillers, dans le sens de la consécration de sa représentativité territoriale des régions. Comment évaluez-vous cette nouvelle approche des affaires locales ?«L’organisation territoriale du Royaume est décentralisée. Elle est fondée sur une régionalisation avancée». En po-sant ces principes à l’article premier de sa Constitution, le Maroc fixe un cadre qu’éclaire le titre IX du même texte, «Des régions et des autres collectivités territoriales». Dans cette décentralisation, annoncée par le Souverain dès le dé-but de son règne, la démocratie participative se combine

avec la démocratie représentative, car des «mécanismes participatifs de dialogue et de concertation» (art. 139 de la Constitution) sont prévus. La coupure est ensuite assumée entre élus locaux et agents d’autorité, puisque l’article 138 de la Constitution fait des présidents des collectivités leurs organes exécutifs. Quant à la place laissée aux agents d’au-torité dans l’article 145 de la Constitution, s’ils «assistent» les exécutifs des collectivités, ce n’est que pour mieux in-tégrer les décisions locales dans des plans de grande enver-gure. On peut être plus réservé sur le fait qu’ils «exercent le contrôle administratif», sans que soit mentionné dans le texte constitutionnel le recours au juge qui semble le complément logique du contrôle de légalité, mais il faut at-tendre la mise en œuvre de ces principes. Pour Tocqueville, la participation à la vie politique locale est la meilleure école de formation du citoyen, et la régionalisation avan-cée, l’un des grands chantiers mis en œuvre par Moham-med VI, vise à favoriser cette participation. Elle s’harmo-nise par ailleurs avec la prise en compte officielle, dans le Préambule de la Constitution de 2011 par exemple, des composantes «arabo-islamique, amazighe et saharo-has-sanie» qui enrichissent l’identité marocaine. La mise en place de ce nouvel équilibre entre centre et périphérie, dé-licate, sera sans nul doute un moment fort de la vie poli-tique marocaine des prochaines années. En conclusion, du discours royal de 1999 à 2014, en passant par la Constitu-tion de 2011, au long de ces quinze années de règne, c’est une même logique de dialogue qui sous-tend l’approche des rapports entre administration et citoyens, d’une part, et entre collectivités et agents d’autorité, d’autre part. Et cette volonté de passer du monologue au dialogue est, me semble-t-il, un des éléments clefs apportés par le Roi Mohammed VI à la vie politique marocaine. n

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22 janvier 2009 • S.M. le Roi Mohammed VI recevant, au Palais Royal à Fès, 37 walis et gouverneurs que le Souverain a nommés à l'administration centrale et territoriale du ministère de l'Intérieur.