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Le volume de la pyramide Denis Tanguay, UQAM, Département de mathématiques, section didactique [email protected] Le plus récent congrès de la Commission internationale pour l’étude et l’amélioration de l’enseignement des mathématiques (CIEAEM 61) s’est tenu à l’Université de Montréal du 26 au 31 juillet dernier et était dédié à la mémoire du regretté didacticien Claude Janvier. J’ai eu l’occasion d’y animer, avec Louis Charbonneau et Daniela Furtuna, un atelier sur l’enseignement de la géométrie de l’espace au secondaire. Dans le n°141 d’Envol, J. Proulx (2007) proposait une possible adaptation, aux aires des figures planes, du travail de Claude Janvier sur le volume. Ce travail, on peut y avoir accès via le livre « Le Volume, mais où sont les formules? » (Janvier, 1994), dont je recommande fortement l’achat et la lecture aux enseignants de mathématiques de niveau secondaire. La géométrie dans l’espace et les formules de volume y sont traitées conformément au programme du MEQ des années 90, qui cantonnait alors ces sujets à la seule année de secondaire 3. On sait que dans le nouveau programme du MELS, la géométrie dans l’espace occupe maintenant plus de place, de la 1 re à la 3 e secondaire, avec même la possibilité d’y revenir en 4 e et 5 e secondaires dans le cadre d’activités de type « projet ». Dans le présent article, je me propose de discuter d’ajouts possibles à la séquence d’enseignement que propose Janvier sur les volumes, pour mieux prendre en compte l’accroissement du temps consacré à la géométrie spatiale et y favoriser au maximum la mise en œuvre de la compétence Déployer un raisonnement mathématique. 1. Quelques considérations didactiques Pour bâtir une séquence d’enseignement efficace sur le volume, il importe de bien repérer les difficultés qu’éprouvent les élèves avec ce concept. J’en énumère ici quelques-unes parmi celles dont C. Janvier discute dans son livre. 1. La confusion aire latérale – volume. C’est le pendant « spatial » du conflit périmètre-aire, à deux dimensions. Cette confusion fera par exemple dire à un élève que deux boîtes faites avec la même quantité de carton seront nécessairement de même volume. GRMS ENVOL no 149 — octobre-novembre-décembre 2009 9 2. La confusion contenant – contenu, espace occupé – capacité, peut-être liée à la précédente. Serait victime de cette confusion l’élève qui, pour mesurer la capacité d’une tasse, mesurait la quantité de liquide déplacé en immergeant complètement la tasse dans un récipient gradué. Une autre manifestation de cette confusion consiste à refuser d’associer un volume à une portion d’espace vide. 3. La confusion solide (objet) – volume (une mesure, c’est-à-dire un nombre positif ); → difficulté à concevoir que des solides d’apparences très différentes aient un même volume. 4. Conception « rigide » de l’unité (entre autre pour le centimètre-cube); → difficultés associées au volume des corps ronds ou aux solides, dont les dimensions ne sont pas entières : les centimètres-cubes « ne rentrent pas » diront certains élèves! 5. Conception purement procédurale de la formule : • formule perçue comme un calcul précédé d’un « mesurage »; • ne s’appuie pas sur un raisonnement, sur une représentation spatiale de l’objet dont on mesure le volume; • mémorisation des formules plus difficiles, parce qu’elles n’ont pas de base sur quoi s’étayer; d’où la difficulté suivante : 6. Difficulté à reconnaître à quelle classe de solides s’applique la formule ou inversement, à associer la bonne formule à un solide donné. 7. Difficulté à repérer les éléments de la formule dans la représentation spatiale : → confusion hauteur – arête, hauteur – apothème; souvent exacerbée par l’abus que font les enseignants du symbolisme, par le manque de précision des enseignants qui négligent de dire de quelle hauteur ils parlent, de quelle base ils parlent; → difficulté à se représenter mentalement la hauteur abaissée d’un point sur un plan; → difficulté à concevoir plusieurs bases pour un même solide (ex : les pyramides à base triangulaire ou tétraèdres), à repérer les hauteurs (pas les mêmes!) pour ces bases distinctes.

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Le volume de la pyramideDenis Tanguay, UQAM, Département de mathématiques, section [email protected]

Le plus récent congrès de la Commission internationale pour l’étude et l’amélioration de l’enseignement des mathématiques (CIEAEM 61) s’est tenu à l’Université de Montréal du 26 au 31 juillet dernier et était dédié à la mémoire du regretté didacticien Claude Janvier. J’ai eu l’occasion d’y animer, avec Louis Charbonneau et Daniela Furtuna, un atelier sur l’enseignement de la géométrie de l’espace au secondaire. Dans le n°141 d’Envol, J. Proulx (2007) proposait une possible adaptation, aux aires des figures planes, du travail de Claude Janvier sur le volume. Ce travail, on peut y avoir accès via le livre « Le Volume, mais où sont les formules? » (Janvier, 1994), dont je recommande fortement l’achat et la lecture aux enseignants de mathématiques de niveau secondaire. La géométrie dans l’espace et les formules de volume y sont traitées conformément au programme du MEQ des années 90, qui cantonnait alors ces sujets à la seule année de secondaire 3. On sait que dans le nouveau programme du MELS, la géométrie dans l’espace occupe maintenant plus de place, de la 1re à la 3e secondaire, avec même la possibilité d’y revenir en 4e et 5e secondaires dans le cadre d’activités de type « projet ». Dans le présent article, je me propose de discuter d’ajouts possibles à la séquence d’enseignement que propose Janvier sur les volumes, pour mieux prendre en compte l’accroissement du temps consacré à la géométrie spatiale et y favoriser au maximum la mise en œuvre de la compétence Déployer un raisonnement mathématique.

1. Quelques considérations didactiques

Pour bâtir une séquence d’enseignement efficace sur le volume, il importe de bien repérer les difficultés qu’éprouvent les élèves avec ce concept. J’en énumère ici quelques-unes parmi celles dont C. Janvier discute dans son livre.

1. La confusion aire latérale – volume. C’est le pendant « spatial » du conflit périmètre-aire, à deux dimensions. Cette confusion fera par exemple dire à un élève que deux boîtes faites avec la même quantité de carton seront nécessairement de même volume.

GRMS ENVOL no 149 — octobre-novembre-décembre 2009 9

2. La confusion contenant – contenu, espace occupé – capacité, peut-être liée à la précédente. Serait victime de cette confusion l’élève qui, pour mesurer la capacité d’une tasse, mesurait la quantité de liquide déplacé en immergeant complètement la tasse dans un récipient gradué. Une autre manifestation de cette confusion consiste à refuser d’associer un volume à une portion d’espace vide.

3. La confusion solide (objet) – volume (une mesure, c’est-à-dire un nombre positif ); → difficulté à concevoir que des solides d’apparences

très différentes aient un même volume.4. Conception « rigide » de l’unité (entre autre pour le

centimètre-cube); → difficultés associées au volume des corps ronds

ou aux solides, dont les dimensions ne sont pas entières : les centimètres-cubes « ne rentrent pas » diront certains élèves!

5. Conception purement procédurale de la formule : • formule perçue comme un calcul précédé d’un

« mesurage »; • ne s’appuie pas sur un raisonnement, sur une

représentation spatiale de l’objet dont on mesure le volume;

• mémorisation des formules plus difficiles, parce qu’elles n’ont pas de base sur quoi s’étayer; d’où la difficulté suivante :

6. Difficulté à reconnaître à quelle classe de solides s’applique la formule ou inversement, à associer la bonne formule à un solide donné.

7. Difficulté à repérer les éléments de la formule dans la représentation spatiale : → confusion hauteur – arête, hauteur – apothème;

souvent exacerbée par l’abus que font les enseignants du symbolisme, par le manque de précision des enseignants qui négligent de dire de quelle hauteur ils parlent, de quelle base ils parlent;

→ difficulté à se représenter mentalement la hauteur abaissée d’un point sur un plan;

→ difficulté à concevoir plusieurs bases pour un même solide (ex : les pyramides à base triangulaire ou tétraèdres), à repérer les hauteurs (pas les mêmes!) pour ces bases distinctes.

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8. Difficulté à concevoir la bonne variation de volume par transformation du solide→ erreur : si je double la longueur du côté d’un cube,

alors son volume double aussi;→ gestion difficile des changements d’unités : si l’on

passe des mètres-cubes aux centimètres-cubes, de combien faut-il multiplier le volume?

9. Difficulté à calculer les volumes de solides complexes→ difficulté à trouver le bon découpage pour les solides

décomposables; → difficulté à percevoir le découpage en tranches à la

base du principe de Cavalieri (voir items F et F' dans la séquence des raisonnements et justifications, §2), à reconnaître ses conditions d’applicabilité.

Le livre de C. Janvier propose une démarche qui cherche à minimiser ces difficultés.

• Voir la formule comme une systématisation du dénombrement des unités-cubes dans le solide, une manière d’organiser ce dénombrement.

• S’appuyer sur des décompositions spatiales (visualisation du découpage en tranches dans le cas des prismes droits) et des reconstructions spatiales (d’un autre solide à partir du solide initial, dans le cas des pyramides, de la sphère ...); bref, sur des actions, intériorisées ou non.

• Éviter le recours trop hâtif aux automatismes de calcul et au mesurage.

• Éviter ou retarder le recours au symbolisme, insister sur la verbalisation (qui favorise en général le raisonnement au détriment des automatismes).

• Recourir à des unités non conventionnelles. Retarder l’introduction aux unités standards (toujours dans le but de retarder les automatismes de calcul, de favoriser la décomposition mentale du solide). Favoriser des activités de comparaison entre solides, retarder le « numérisme » (recours plus ou moins systématique aux nombres).

• Idée de « construire » les formules, de les déduire les unes des autres, en allant des plus simples aux plus complexes, et en élargissant sans cesse les classes de solides auxquelles elles s’appliquent.

• Un des choix de Janvier : l’introduction au Principe de Cavalieri, qui est mentionné mais pas spécifiquement prescrit par le programme du MELS. Outre l’intérêt intrinsèque du principe, celui-ci permet de donner des justifications autrement inaccessibles pour les formules de volume de la pyramide, des prismes obliques, de certains solides torsadés...

2. Raisonnements et justifications clés dans la séquence de Janvier

Mais quels sont donc ces raisonnements qui permettent de « construire » les formules de volume, de les déduire les unes des autres? Comment le Principe de Cavalieri intervient-il dans ces arguments? Sans entrer dans les détails (le lecteur pourra se référer à Janvier, 1994), je donne ici les grandes lignes de ce qui pourrait être un tel enchaînement. Certaines étapes — par exemple le passage des prismes à base rectangulaire aux parallélépipèdes — ont été ajoutées à ce que propose Janvier, où il y a par endroits un peu de flou dans l’argumentation. J’aurai plus loin l’occasion d’en discuter.

La séquence des raisonnements et justifications

A. Quand on peut décomposer un solide pour en recomposer un autre, les deux solides ont le même volume.

A'. Additivité du volume1 :si Solide = Solide1 ∪ Solide2,

avec Volume(Solide1 ∩ Solide2) = 0, alorsVolume(Solide) = Volume(Solide1) + Volume(Solide2).Le principe peut être itéré et ainsi appliqué aux réunions finies de solides.

B. Dans un prisme droit à base rectangulaire, les cubes-unités se dénombrent par :

le nombre de cubes par tranche × le nombre de tranches.C. Le nombre de centimètres-cubes de la tranche du fond

est égal au nombre de centimètres-carrés qui pavent ce fond.

C'. Le nombre de tranches d’un centimètre d’épaisseur est égal au nombre de centimètres en hauteur, soit la mesure en centimètres de cette hauteur.

D. Les items B, C et C' se combinent pour donner la formule de base pour les prismes droits à base rectangulaire :

volume = aire de la base × hauteur. (*)E. Pour les parallélépipèdes droits (prismes droits dont

la base est un parallélogramme), on obtient la même formule (*) en soustrayant, en vertu des items A et A', le volume de deux prismes à base rectangulaire obtenus en complétant le parallélogramme en rectangle : voir les détails à l’Annexe 1.

E'. Deux copies isométriques de prismes droits à base triangulaire peuvent être juxtaposées pour donner un prisme droit dont la base est un parallélogramme. Le volume du prisme à base triangulaire est donc la moitié de celui du prisme dont la base est le parallélogramme.

1 Pas énoncée explicitement dans Janvier (1994) mais utilisée implicitement.

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Mais comme l’aire du triangle est aussi la moitié de celle du parallélogramme, la formule (*) reste bien valable pour les prismes à base triangulaire.

E''. Pour les prismes droits dont la base est un polygone quelconque, il suffit de découper cette base en triangles et de considérer la décomposition du prisme initial en prismes dont les bases sont ces triangles. Comme dans l’Annexe 1, on retrouve bien la formule (*) après avoir mis la hauteur en évidence dans la somme obtenue en vertu de A'.

F. Principe de Cavalieri (version « faible ») : le volume est invariant par déplacement latéral (à hauteur fixe) des tranches.

F'. Principe de Cavalieri (version « forte ») : si les figures planes, déterminées par les intersections de deux solides avec chaque plan parallèle à un plan fixe donné, ont la même aire, alors les deux solides ont le même volume.

G. La formule (*) valable pour les prismes droits l’est aussi pour les prismes obliques, parce que le Principe de Cavalieri permet de passer du prisme oblique au prisme droit qui a même base et même hauteur. De la même façon, les pyramides qui ont même base et même hauteur ont toutes le même volume, par le Principe de Cavalieri.

H. Tout prisme droit à base triangulaire se découpe en trois pyramides à base triangulaire, qui sont de même volume par G. Deux de ces pyramides ont même base et même hauteur que celle du prisme. La formule du volume de la pyramide est alors :

volume = 1

3 × aire de la base × hauteur. (**)

I. Le cylindre (respectivement le cône) est la limite d’une suite de prismes (respectivement de pyramides) qui ont pour bases des polygones réguliers, dont le nombre de côtés tendrait vers l’infini. Par passage à la limite, les formules pour les volumes sont alors analogues à celles des prismes (respectivement des pyramides), soit la formule (*) (respectivement (**) ).

J. La sphère est la limite d’une suite de polyèdres dont le nombre de faces tendrait vers l’infini, et l’aire de ces faces vers 0. Ces polyèdres se découpent en pyramides jointes en leur sommet au centre du polyèdre. La hauteur de ces pyramides tend vers le rayon de la sphère, et la somme des aires des bases de ces pyramides, tend vers l’aire de la sphère. D’où les formules : volume de la

sphère = 1

3 × aire de la sphère × rayon =

3πr.

On le voit, Janvier cherche à justifier chacune des formules usuelles de volume. Certaines « justifications » relèvent cependant en partie d’un recours à l’intuition. C’est le cas de l’application du principe de Cavalieri pour obtenir les formules des prismes et des pyramides obliques (items G et H de la séquence) : j’en discuterai dans les sections subséquentes du présent article. Une seule formule ne reçoit aucune justification : la formule 4r2 pour l’aire de la sphère de rayon r, aussi donnée sous la forme « 4 fois l’aire d’un grand cercle de la sphère » (Janvier, 1994, p. 43).

3. Pourquoi peut-on appliquer Cavalieri ici?

Rappelons-le, la séquence proposée par Janvier est conforme au programme du MEQ des années 90 et doit donc « tenir » en une année, la 3e secondaire. Pour un enseignant qui veut y mettre plus de temps, certains des enchaînements argumentatifs paraîtront un peu succincts, avec des « brèches » dont le colmatage n’est pas si aisé, ne va pas de soi. Examinons-en un de plus près : le passage crucial du volume du prisme au volume de la pyramide.

Considérons pour cela le prisme droit ABCDEF, de base ∆BCE. Il est constitué des trois pyramides à base triangulaire (ou « tétraèdres ») ABCE, ADEF et le tétraèdre ACDE, coincé entre les deux. Mais comment justifier que les trois ont même volume? On peut arguer, par exemple, que ABCE et ACDE ont des bases isométriques, respectivement les triangles ∆ABC et ∆ADC, et la même hauteur, portée par la perpendiculaire abaissée du point E sur le plan ABCD. Or, on cherche justement à établir la formule

1

3× aire de la base × hauteur

pour le volume de la pyramide; on ne peut donc pas présumer qu’elle est valide, et conclure que ABCE et ACDE ont même volume!

Figure 1 : un prisme à base triangulaire

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Figure 2 : découpage du prisme en trois tétraèdres

Janvier (1994) justifie que les trois pyramides à base triangulaire sont de même volume en « montrant » que « toutes les pyramides ayant des bases congrues et la même hauteur ont le même volume » (p. 37). Il invoque pour cela le principe de Cavalieri, à l’aide d’un montage par lequel les quatre coins d’un rectangle sont reliés par des élastiques à une même tige, dont l’extrémité est déplacée à hauteur fixe et simule ainsi les sommets d’une famille de pyramides de même base.

Figure 3 : extraite de Janvier, 1994 (Figure 4.3, p. 37)

Pour que deux pyramides aient même volume, il faut que chaque plan parallèle à la base coupe en des « sections » congrues. L’enseignant peut simuler une coupe dans la pyramide « en élastiques » à l’aide d’un rectangle en papier construction attaché aux élastiques. Il n’est pas question de démontrer la congruence. L’enseignant peut prendre une coupe ou deux [...] (op. cit., p. 38).

Il y a ici, selon moi, plusieurs aspects à discuter. Tout mathématicien est réticent à écrire ou affirmer quelque chose comme « Il n’est pas question de démontrer… ». C’était fort probablement le cas de Janvier, qui a, sans doute évalué, en toute connaissance de cause, que la complexité des arguments plus formels, et le temps requis pour les mener à bien, auraient peser trop lourd dans l’ensemble de la séquence2. Dans un contexte où une séquence complète sur les volumes s’étendrait sur deux ou trois ans, est-il envisageable d’y réintroduire une plus grande part de démonstration?

Je ne parle pas ici de démontrer le Principe de Cavalieri. Cavalieri lui-même n’a jamais donné de démonstration à son Principe. De fait, une démonstration moindrement formelle du Principe requiert les outils du calcul différentiel et intégral, et était hors de portée des contemporains de Cavalieri, dont les travaux préfigurent cependant ceux de Newton et Leibniz, un demi-siècle plus tard. Il est clair qu’il en sera de même au secondaire : si l’enseignant doit introduire le Principe de Cavalieri en classe, il lui donnera le statut de postulat, de vérité mathématique admise sans démonstration, et non de théorème.

2 Janvier donne d’ailleurs les pistes d’une possible démonstration en invoquant le théorème de Thalès (p. 38).

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Mais qu’en est-il des critères d’applicabilité du Principe? Ne devrait-on pas, chaque fois que c’est possible, démontrer que les conditions sont bien remplies? Le fait que les « tranches » obtenues par section des pyramides de même base et même hauteur soient isométriques, est admis dans Janvier sur une base empirico-perceptive. En outre, pour les trois pyramides obtenues en découpant le prisme ABCDEF, à base triangulaire, de quelles bases et hauteurs parle-t-on? Pour un élève de 2e ou 3e secondaire, il ne va certainement pas de soi que le tétraèdre ACDE a même base et même hauteur que l’un des deux autres tétraèdres, ABCE ou ADEF. Or, Janvier ne précise rien là-dessus dans son livre.

4. Géométrie de l’espace et géométrie plane : une ou deux géométries?

Il y a ici, selon moi, un danger qui guette : en géométrie plane, à partir de la 2e secondaire et de plus en plus systématiquement ensuite, on cherche à éviter le recours au perceptif, à l’empirisme, au constat visuel et à la mesure sur des figures, on cherche autant que possible à démontrer (déductivement) les affirmations, en s’appuyant sur un corpus d’axiomes ou de résultats précédemment démontrés et qu’on enrichit à mesure qu’on avance dans la matière. On peut comprendre qu’en géométrie de l’espace, un développement axiomatique « à la Euclide » est plus difficile et le recours au raisonnement déductif y sera vraisemblablement moins systématique. Mais il faut tout de même s’assurer que la cassure entre les deux géométries, plane et spatiale, ne soit pas trop grande. Si le travail en géométrie de l’espace ne fait intervenir que des validations empirico-perceptives, si le statut théorique des énoncés n’est jamais ni discuté, ni même problématisé, l’élève comprendra difficilement quel sont les « termes du contrat » en géométrie : sur quoi s’est-on basé pour affirmer ce résultat? Que doit-on faire pour le valider? Quand ai-je le droit de me fier à la figure ? Sur combien de « cas » me suffit-il de vérifier? Qu’ai-je le droit d’affirmer et quand? Pourquoi ai-je le droit de faire cela en géométrie de l’espace mais pas en géométrie plane?

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Figure 4 : les deux tétraèdres ABCE et ACDE, coupés par des plans tous parallèles à ABCD

Figure 5 : les deux tétraèdres ADEF et ACDE, coupés par des plans tous parallèles à CDEF

L’intersection de chaque plan avec le prisme ABCDEF est un rectangle. Si l’on considère ensuite l’intersection de ce rectangle avec les deux tétraèdres (ABCE et ACDE dans le 1er cas, ADEF et ACDE, dans le 2e cas), on constate qu’il s’agit d’un « sous-rectangle » coupé le long d’une diagonale, avec une des deux moitiés du rectangle dans un des tétraèdres et l’autre moitié dans l’autre tétraèdre (ci-dessus, les triangles en différents tons de gris). L’intersection de chaque plan avec les deux tétraèdres est donc constituée de deux triangles isométriques et par Cavalieri, les deux tétraèdres sont bien de même volume. Mais peut-on justifier rigoureusement ces affirmations, autrement que par un simple constat visuel, ou que par un « montage Cabri », comme celui à partir duquel les images ci-dessus ont été créées? Une animation Cabri est en effet relativement facile à réaliser et sera très parlante pour les élèves, mais elle relève, elle aussi, beaucoup plus du « constat » (fût-il informatisé!) que de la preuve mathématique...

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Pour bien comprendre ce que l’enseignant attend de lui, il est essentiel que l’élève discerne une cohérence minimale dans les attentes relatives à la géométrie, et puisse transposer à la géométrie de l’espace les raisonnements, connaissances et modes de travail mis en œuvre en géométrie plane (Grenier et Tanguay, 2008, p. 45). Il n’est pas normal que les géométries planes et spatiales apparaissent à l’élève comme deux mondes distincts, où le travail demandé n’est pas du tout de même type. Il n’est pas normal que les résultats, concepts et méthodes étudiés et développés en géométrie plane ne soient jamais réinvestis en géométrie de l’espace.

Pour l’égalité des volumes des pyramides de même base et même hauteur, je propose ici un enchaînement d’arguments qui démontre que le Principe de Cavalieri s’applique bel et bien. En outre, il fait appel à des résultats de la géométrie plane : critère CCC pour l’isométrie des triangles3, isométrie des côtés opposés dans le parallélogramme. En les faisant intervenir en géométrie de l’espace, l’élève apprend donc à coordonner son travail géométrique dans le passage de deux à trois dimensions.

5. Le Principe de Cavalieri s’applique aux pyramides

Dans l’enchaînement déductif qui va suivre, nous allons nous appuyer sur quatre propositions fondamentales de la géométrie de l’espace.

Proposition 1. Par trois points non alignés passe un unique plan de l’espace.

Proposition 2. L’intersection de deux plans non parallèles est une droite.

Proposition 3. Soient Π1 et Π2 deux plans distincts et parallèles dans l’espace. Si Π est un plan sécant pour Π1 et Π2, alors les intersections Π ∩ Π1 et Π ∩ Π2 sont deux droites parallèles.

3 Rappelons en quoi consiste le critère CCC (pour côté-côté-côté) d’isométrie des triangles : si deux triangles ont leurs côtés homo-logues de même longueur, alors ils sont isométriques.

Figure 6 : deux plans parallèles et un plan sécant

Proposition 4. Transitivité du parallélisme dans l’espace : deux droites de l’espace, parallèles à une même troisième, sont parallèles entre elles.

À l’Annexe 2, je propose les premiers pas dans ce qui serait un développement « à la Euclide » menant à ces propositions. Les Propositions 1 et 2 y sont en fait des axiomes (respectivement axiomes A2 et A5), conformément aux démarches standards. Les Propositions 3 et 4 correspondent respectivement aux Théorèmes 7 et 8 de l’annexe. Je laisse à chaque enseignant le soin de déterminer ce qu’il garderait pour sa classe d’un tel développement : cela peut bien évidemment dépendre du niveau, de la force de la classe, de la motivation des élèves, du temps consacré à cette portion de la matière, etc. À la limite, les Propositions 3 et 4 peuvent être, elles aussi, admises comme axiomes (la preuve de la transitivité du parallélisme est particulièrement délicate). Venons-en maintenant à l’enchaînement déductif annoncé.

Théorème des pyramides à base triangulaire. Le principe de Cavalieri s’applique aux pyramides à base triangulaire (tétraèdres) qui ont même base et même hauteur, et permet de conclure à l’égalité de leur volume.

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Démonstration. Considérons le segment AB dans le plan Π1, que nous appelons aussi le plan de base, et deux points S' et S'' dans le plan Π3, le plan des sommets, parallèle à Π1 (voir figure 7). Considérons le plan Π2, le plan de coupe, parallèle à Π1 et Π3 et entre les deux. Les points A, B et S' étant dans deux plans parallèles (distincts), ils ne peuvent être alignés. Par la Proposition 1, ces points déterminent donc un plan. Ce plan intersecte Π1 le long de la droite AB et Π2 le long de la droite A'B' (Proposition 2). La Proposition 3 permet alors de déduire que les deux droites AB et A'B' sont parallèles. Considérons maintenant le plan déterminé par A, B et S'', qui intersecte Π2 le long de la droite A''B''. Le même argument permet de conclure que AB et A''B'' sont parallèles. Ayant AB comme parallèle commune, les droites A'B' et A''B'' sont donc parallèles (Proposition 4). On fait le même raisonnement en considérant maintenant les plans S'S''A et S'S''B, comme plans sécants de Π2 et Π3, le plan S'S''A coupant Π2 le long de A'A'' et le plan S'S''B le long de B'B''. On conclut que A'A'' et B'B'' ont S'S'' comme parallèle commune, et sont donc parallèles. Mais alors, A'A''B''B' est un parallélogramme, ce qui permet de déduire que ' ' '' ''A B A B≅ , comme côtés opposés.

Figure 7 : Cavalieri s’applique aux pyramides de même

base et même hauteur

GRMS ENVOL no 149 — octobre-novembre-décembre 2009 15

Supposons maintenant qu’on ait dans le plan de base non pas un segment AB mais un triangle ∆ABC. Considérons les deux pyramides de même base ∆ABC et de sommets respectifs S' et S''. Le plan de coupe Π2 intersectera la pyramide de sommet S' le long d’un triangle que nous notons ∆A'B'C', et la pyramide de sommet S'' le long d’un triangle que nous notons ∆A''B''C''. Le raisonnement que nous venons de faire s’applique à chaque côté et permet de déduire les isométries :

,

,

A B AB A B

A C AC A C

B C BC B C

′ ′ ′′ ′′≅ ≅

′ ′ ′′ ′′≅ ≅

′ ′ ′′ ′′≅ ≅

Le critère d’isométrie CCC permet alors de conclure que ∆A'B'C' ≅ ∆A''B''C''. C’est bien le résultat escompté, puisqu’il montre que les sections par les plans parallèles à la base dans des pyramides de même base et de même hauteur sont bien des triangles isométriques. Le Principe de Cavalieri s’applique donc à de telles pyramides et elles sont bien de même volume : CQFD!

On peut maintenant utiliser ce théorème pour établir de façon plus rigoureuse l’égalité des volumes entre les trois tétraèdres ABCE, ACDE et ADEF, obtenues par décomposition du prisme ABCDEF, et ainsi justifier la formule du volume des pyramides. Le théorème des pyramides à base triangulaire se généralise ensuite aux pyramides à base polygonale quelconque par simple découpage de la base en triangles : on applique le théorème à chacune des pyramides à base triangulaire ainsi obtenue. Montrer que Cavalieri s’applique aux prismes à base triangulaire de même base et même hauteur est plus aisé que pour les pyramides : en effet, les faces latérales des prismes sont des parallélogrammes, dont les sections parallèles à la base sont toutes de même longueur que cette base (voir figure 8). Comme pour les pyramides, pour passer des prismes à base triangulaire aux prismes à base polygonale quelconque, il suffit de découper ces derniers en prismes à base triangulaire et de conclure par additivité.

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Figure 8 : Cavalieri s’applique aux prismes de même base et même hauteur

6. Conclusion

Montrer plus formellement que le principe de Cavalieri s’applique aux pyramides à base triangulaire de même base et même hauteur permet de jeter un pont entre la géométrie plane et la géométrie de l’espace, de réinvestir certains résultats de la géométrie plane en géométrie de l’espace, d’inciter l’élève à être aussi exigeant et rigoureux en géométrie de l’espace qu’en géométrie plane quand c’est possible. Mais plus important encore peut-être, cela lui permet d’explorer plus à fond, les objets, notions et relations de la géométrie spatiale : plans, droites, parallélisme, intersections, etc.

Il faut, en effet, se méfier de l’illusion par laquelle la transposition du plan à l’espace de ces notions est facile et immédiate. Ce qui touche au parallélisme, par exemple, est beaucoup plus complexe dans l’espace que dans le plan, puisque le parallélisme entre deux droites requiert l’existence d’un plan incluant ces deux droites (cf. Annexe 2). La transitivité du parallélisme, qui est évidente dans le plan, ne va plus du tout de soi dans l’espace, et cette complexité accrue, appelle un travail et des efforts redoublés. Comme D. Furtuna (2008) le

montre bien dans son mémoire de maîtrise, l’étude de ces notions, de même que celles de perpendicularité, distance, angle, etc., doit être articulée entre géométrie plane et géométrie spatiale, avec des analyses et validations selon les mêmes modes, où ne sont négligés ni le raisonnement déductif, ni les édifications théoriques « à la Euclide » en géométrie de l’espace. Faute de soigner cette articulation, les heures supplémentaires consacrées par le nouveau programme à la géométrie spatiale tiendront en classe de la visite touristique, et nos élèves sortiront mal outillés pour affronter les difficultés que pose « le 3D » dans les cours d’algèbre linéaire, de calcul différentiel et intégral, d’infographie, aussi bien dans les programmes collégiaux qu’en génie, en mathématiques ou en informatique à l’université.

Références

Furtuna, D. 2008. Modélisation dans l’espace : obstacles du passage du bidimensionnel au tridimensionnel. Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal.

Grenier, D. et Tanguay, D. 2008. L’angle dièdre, notion incontournable dans les constructions pratique et théorique des polyèdres réguliers. Petit x, n°78, pp. 26-52.

Janvier, C. (1994). Le volume, mais où sont les formules? Éditions Modulo, Ville Mont-Royal, Québec.

Proulx, J. (2007). L’aire des figures planes à la manière de Claude Janvier. Envol, n°141 (Octobre-novembre-décembre 2007), pp. 9-14.

Annexe 1

De la formule du prisme à base rectangulaire à celle du parallélépipède

Il s’agit, comme pour les formules de l’aire, de passer du parallélogramme au rectangle par « décomposition-recomposition ». Mais attention! L’argument donné dans la plupart des manuels, consistant à découper un triangle rectangle à une extrémité du parallélogramme pour le recoller à l’autre extrémité, n’est pas général et ne s’applique pas à des parallélogrammes plus « allongés » comme le parallélogramme ABCD ci-dessous4.

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Sections des faces latérales

4 ... à moins peut-être de changer de base et de hauteur. Mais on veut établir une formule qui soit valable quelle que soit la paire base-hauteur considérée dans le parallélogramme!

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On se place au stade où l’on a établi la formule (*), volume = aire de la base × hauteur, pour les prismes droits à base rectangulaire. Supposons qu’on veuille maintenant calculer le volume du parallélépipède, prisme droit dont la base est le parallélogramme ABCD (imaginez que ce parallélépipède sort à angle droit de la feuille). Par additivité (items A et A' de §2), son volume sera celui du prisme droit (de même hauteur) de base AA'CC', moins le volume des deux prismes droits dont les bases sont les triangles ∆AA'D et ∆BCC'. Mais ces deux prismes à base triangulaire peuvent être juxtaposés pour donner un solide dont le volume est, toujours en vertu de l’additivité, celui du prisme de base AA'DD'. On a donc :

volume (parallélépipède) = vol.(prisme de base AA'CC') – vol.(prisme de base AA'DD')= aire(AA'CC') × hauteur – aire(AA'DD') × hauteur, par (*)= [aire(AA'CC') – aire(AA'DD')] × hauteur= aire(ABCD) × hauteur, c’est-à-dire la formule (*), dont la validité vient de passer des prismes droits à base rectangulaire aux parallélépipèdes droits.

Annexe 2

Premiers pas « euclidiens » en géométrie de l’espace

Axiome A1. Par deux points passe une et une seule droite. Toute droite contient au moins deux points.

Axiome A2. Par trois points non alignés passe un et un seul plan. Chaque plan contient au moins trois points non alignés.

Axiome A3. Il existe au moins quatre points non coplanaires.

Axiome A4. Si deux points sont contenus dans un plan, alors la droite passant par ces deux points (en vertu de A1) est contenue dans ce plan.

Axiome A5. Si l’intersection de deux plans (distincts) est non vide, alors cette intersection est une droite.

Définitions (parallélisme). Deux droites (distinctes) seront dites parallèles s’il existe un plan les contenant et si leur intersection est vide. Une droite sera dite parallèle à elle-même. Une droite et un plan seront dits parallèles si leur intersection est vide. Deux plans (distincts) seront dits parallèles si leur intersection est vide. Un plan sera dit parallèle à lui-même. Deux droites non contenues dans un même plan et d’intersection vide seront dites gauches5. Deux droites seront dites sécantes si elles sont distinctes et d’intersection non vide. Deux plans seront dits sécants s’ils sont distincts et d’intersection non vide.Remarques. En vertu de A1, deux droites sécantes ont exactement un point en commun. Deux droites sont donc soit gauches (auquel cas elles ne sont pas coplanaires), soit parallèles (auquel cas elles sont par définition coplanaires), soit sécantes (auquel cas elles sont nécessairement coplanaires : voir Théorème 2). En vertu de A5, deux plans sécants ont exactement une droite en commun.

Axiome A6. Axiome de la parallèle : par un point à l’extérieur d’une droite passe une et une seule parallèle à cette droite.

Remarque : attention! Il s’agit ici de la version « spatiale » de l’axiome de la parallèle, qui nous assure de l’existence non seulement de la parallèle, mais également — définition du parallélisme dans l’espace oblige —, d’un plan contenant la droite donnée et la parallèle.

Théorème 1. Si une droite intersecte un plan qui ne la contient pas, alors cette intersection est un point.

Preuve. En effet, si l’intersection contient deux points ou plus, alors le plan doit contenir la droite en vertu de A4.

Théorème 2. Une droite et un point à l’extérieur de la droite déterminent un unique plan. Deux droites sécantes déterminent un unique plan. Deux droites parallèles déterminent un unique plan.

Preuve. Soit d une droite et P un point à l’extérieur de d. Par A1, d contient au moins deux points, disons X et Y. Mais alors, X, Y et P sont trois points non alignés et il existe par A2 un plan qui les contient. Ce plan contient P mais contient également d par A4, puisqu’il contient X et Y. Tout plan qui contient P et d doit être confondu avec ce plan sans quoi on aurait deux plans dont l’intersection contient plus qu’une droite, contredisant ainsi A5.

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5 Eh oui, des droites gauches !!!

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Soient d1 et d2 deux droites sécantes et soit X leur point d’intersection. Alors d1 contient au moins un autre point distinct de X par A1 et ce point est à l’extérieur de d2 sans quoi d1 et d2 seraient confondues par A1. Appelons Y ce point. De même, d2 contient au moins un autre point distinct de X et ce point est à l’extérieur de d2. Appelons Z ce point. Alors X, Y et Z sont non alignés et déterminent un plan qui contient d1 et d2, par A4. Tout plan contenant d1 et d2 lui est confondu sans quoi on contredit A5, comme ci-dessus.

Si d1 et d2 sont parallèles, la définition du parallélisme nous assure de l’existence d’un plan qui les contient; ce plan est unique sans quoi on contredit A5, comme ci-dessus.

Théorème 3. Si une droite d est parallèle à une droite d' (distincte de d) contenue dans le plan Π, alors ou bien d est elle aussi contenue dans Π, ou bien d est parallèle à Π.

Preuve. Considérons le plan Ω incluant d et d', dont l’existence est assurée par le parallélisme entre d et d'.

Supposons que Ω ∩ Π ≠ Ø. Alors leur intersection est une droite en vertu de A5, appelons-la d''. Puisque Π contient d'' et puisque d ∩ Π = Ø, on doit avoir d ∩ d'' = Ø. De même, d' ∩ d'' = Ø. Mais alors, d et d' sont deux parallèles à d'' passant par X, ce qui contredit A6. Notons que les égalités d ∩ d'' = Ø et d' ∩ d'' = Ø sont insuffisantes pour affirmer le parallélisme de d'' avec d et d' : nous devons également garantir l’existence d’un plan qui contient d et d'' d’une part, d' et d'' d’autre part. Mais ce plan, c’est Ω!

Théorème 5. Une droite parallèle à deux plans sécants est parallèle à leur intersection.

Preuve. Soit d une droite parallèle à Π1 et à Π2, et soit d' la droite à l’intersection de Π1 et Π2. Soit X un point de d' et considérons Π, l’unique plan contenant d et X (Théorème 2). Π est distinct de Π1 puisque Π contient d, parallèle à Π1.

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Si Ω n’est pas confondu avec Π, alors par A5, son intersection avec Π est exactement d'. Mais alors, d et Π ne peuvent avoir de point en commun puisqu’un tel point serait à l’extérieur de d' (d et d' étant parallèles) et serait à la fois dans Π et dans Ω (puisque Ω contient d), contredisant ainsi A5.

Théorème 4. Si deux droites sécantes sont toutes deux parallèles à un même plan Π, alors le plan déterminé par ces deux droites (en vertu du Théorème 2) est parallèle à Π.

Preuve. Soient d et d' deux droites telles que d ∩ d' = X . Soit Ω l’unique plan qui les contient toutes deux.

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L’intersection de Π avec Π1 est non vide puisqu’elle contient X et il s’agit donc d’une droite (passant par X) par A5. Mais alors, Π ∩ Π1 est l’unique parallèle à d passant par X, puisque coplanaire avec d comme sous-ensemble de Π et d’intersection vide avec d comme sous-ensemble de Π1. De la même façon, Π ∩ Π2 est l’unique parallèle à d passant par X. On en conclut que Π ∩ Π1 = Π ∩ Π2, ce qui implique qu’il s’agit d’une droite sous-ensemble de Π1 ∩ Π2. En vertu de A5, on a donc finalement que Π ∩ Π1 = Π ∩ Π2 = Π1 ∩ Π2 = d' comme unique parallèle à d passant par X, ce qui complète la démonstration.

Théorème 6. (Transitivité du parallélisme pour les plans). Deux plans parallèles à un même troisième sont parallèles entre eux.

Preuve. Soient Π1, Π2 et Π3 trois plans distincts, avec Π1 parallèle à Π2 et Π2 parallèle à Π3. Supposons que Π1 et Π3 soient sécants. Par A5, leur intersection est une droite, que nous notons d. Mais alors, en vertu du Théorème 5, toute droite de Π2, comme droite d’intersection vide avec Π1 et avec Π3, est une parallèle à d. Ceci contredit l’axiome de la parallèle puisqu’on peut certainement (axiomes A2 et A4) trouver deux droites de Π2 sécantes en un point X de Π2, faisant de ces droites deux parallèles à d passant par X.

Théorème 7. Soient Π1 et Π2 deux plans (distincts) parallèles. Quel que soit le plan Π de l’espace, Π et Π1 sont sécants si et seulement si Π et Π2 sont sécants, et les intersections Π ∩ Π1 et Π ∩ Π2 sont alors deux droites parallèles (voir Figure 6).

Preuve. L’équivalence énoncée est une conséquence directe du Théorème 6. Montrons donc que si Π ∩ Π1 = d1 et Π ∩ Π2 = d2, avec Π1 et Π2 deux plans parallèles, alors d1 et d2 sont deux droites parallèles. Mais c’est direct puisque les deux droites sont coplanaires comme droites de Π et elles ne peuvent s’intersecter, sans quoi le point d’intersection serait commun à Π1 et à Π2, contredisant le parallélisme de ces deux plans.

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Théorème 8. (Transitivité du parallélisme pour les droites). Deux droites parallèles à une même troisième sont parallèles entre elles.

Preuve. Soit a, b et c trois droites telles que a b (notons ab le plan qui contient a et b) et b c (notons bc le plan qui contient b et c). On veut montrer que a c. Attention! Il ne s’agit pas simplement de montrer que a ∩ c = Ø, il faut aussi trouver un plan qui inclut a et c!

Par le théorème 3 (avec c ≡ d, b ≡ d' et ab ≡ Π), ou bien c est contenue dans ab, ou bien c est parallèle à ab. Si c est contenue dans ab, alors ab contient à la fois a et c et les deux droites sont parallèles. En effet, dans le cas contraire, leur intersection est un point (voir les remarques avant l’Axiome A6), notons-le X. Mais alors, a et c sont deux parallèles à b passant par X, ce qui contredit A6.

Supposons donc maintenant que c est parallèle à ab. Soit P un point de c. Comme P est en dehors de a, on peut considérer l’unique plan Π qui contient a et P (Théorème 2). En fait, Π contient alors c mais il faut le montrer! Π est distinct de ab puisqu’il contient un point de c. Π est également distinct de bc puisqu’il contient a; or, bc ne peut contenir a sans quoi le Théorème 2 donne ab = bc et on aurait c ⊂ ab. Comme l’intersection de Π avec bc contient P, cette intersection est une droite, par A5. Cette droite ne peut croiser b, sans quoi l’intersection de Π avec ab contiendrait la droite a et un point de b à l’extérieur de a, contredisant A5. Mais alors, Π ∩ bc est l’unique parallèle à b passant par P et par A6, cette droite est c. Finalement, Π contient à la fois a et c. Comme parallèle à ab, c ne peut croiser a et les deux droites sont bien parallèles.