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Le voyage de l’obélisque Louxor/Paris (1829-1836)

Le voyage de l’obélisque

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Page 1: Le voyage de l’obélisque

Le voyage de l’obélisque Louxor/Paris (1829-1836)

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� Repères Le voyage de l’obélisque Louxor/Paris (1829-1836)

« Sire, Paris, qui ne le cède qu’à une seule des capitales de l’Europe moderne, le disputera bientôt aux villes les plus célèbres des temps anciens ; mais ses palais et ses places publiques n’ont pas encore, il faut l’avouer, atteint le degré de splendeur auquel est parvenu Rome, dont la capitale de votre royaume se montre d’ailleurs la rivale en magnificence. On n’y voit aucun de ces obélisques transportés d’Égypte en Europe. »

Rapport du baron d’Haussez (1778-1854), ministre de la Marine (1829-1830)

Des obélisques voyageurs

Du symbole religieux au symbole politique Le mot obélisque est d’origine grecque et signifie « petite broche à rôtir ». À l’époque hellénistique, il est utilisé par analogie de forme pour désigner ce monument égyptien quadrangulaire dont le sommet est taillé en pyramide. L’ancien mot égyptien qui désigne un obélisque est benben. Il signifie « s’élever en brillant ». Édifiés en l’honneur du dieu solaire Amon Rê, les obélisques ont en effet une fonction religieuse. Ils symbolisent un rayon de soleil figé dans la pierre. Il existe des dizaines d’obélisques datant de l’Égypte pharaonique. La plupart ont été réemployés dès l’Antiquité. Quand les pharaons de la 21e dynastie choisissent pour nouvelle capitale Tanis (1069 av. J.-C.), ils utilisent la ville abandonnée de Pi-Ramsès comme carrière de pierres et réemploient les obélisques de Ramsès II. Après le sac de Thèbes (669 av. J.-C.), les Assyriens emportent deux obélisques à Ninive leur capitale, pour signifier la victoire de l’Orient sur l’Égypte. Suite à la bataille d’Actium (31 av. J.-C.), les Romains font de même. On compte aujourd’hui 13 obélisques à Rome. Ayant perdu leur fonction religieuse, ils traduisent par leur installation au centre de l’urbs, la prédominance de la civilisation romaine sur la civilisation égyptienne. L’empereur Auguste (27 av. J.-C.-14 ap. J.-C.) ordonne le déplacement vers Alexandrie d’un obélisque situé à Héliopolis. En 37, l’empereur Caligula le fait transporter à Rome. L’écrivain Pline l’Ancien rapporte qu’un navire de grande taille fut construit spécialement pour son transfert. Aujourd’hui, l’obélisque se dresse près de la basilique Saint-Pierre. Haut de 25,37 m, il est le premier à être réédifié à la Renaissance (1586) par l’architecte Domenico Fontana (1543-1607). Autre obélisque aujourd’hui romain, celui de Saint-Jean de Latran se dressait à l’origine devant le temple de Karnak, près de Thèbes. Érigé sous Thoutmôsis III (1479-1425 av. J.-C.), c’est le plus grand obélisque connu : 32,18 m de haut. L’empereur Constantin (270-337 ap. J.-C.) le fait transporter à Alexandrie, puis, en 357, son fils Constance II choisit de l’installer à Rome pour orner le Circus Maximus. Brisé puis enterré, l’obélisque est redécouvert puis réédifié en 1588 par Fontana. Surmontés d’une croix ou d’une statue de Saint-Pierre, les obélisques romains symbolisent la victoire du christianisme sur le paganisme antique. À l’époque byzantine, le transfert d’obélisques se poursuit en direction de la nouvelle Rome, Constantinople. Au XIXe s., des pays européens et les États-Unis reprennent cette tradition. Les places de Paris, Londres et New-York sont ornées d’obélisques égyptiens, sans que ce réemploi ait une signification religieuse. Au-delà du projet décoratif, ces installations ont un sens politique : elles sont le signe du basculement du monde au profit de l’Occident, l’affirmation des grandes puissances de l’époque.

Un monument à la gloire du pharaon L’obélisque de la Concorde mesure 22, 37 m de haut et pèse près de 230 tonnes. C’est un monolithe de granit rose, plus précisément de syénite, une roche magmatique en provenance de Syène (Assouan). À l’origine, cet obélisque (occidental) et son jumeau (oriental) se dressaient de chaque côté de l’entrée du sanctuaire de Louxor, près de la ville de Thèbes, sur la rive Est du Nil en Égypte. Construit sous la 18e dynastie par Amenhotep III (vers 1350 av. J.C.), le temple est dédié au dieu solaire Amon Rê. En 1250 av. J.-C., Ramsès II fait ajouter un immense pylône (porte) à l’entrée. Les bas-reliefs y racontent le combat du pharaon contre les Hittites, en 1299 avant J.-C., à Qadesh (Syrie) : Pour sauver le pharaon encerclé par l’armée ennemie, le dieu intervient en personne. Les deux obélisques sont ornés de hiéroglyphes. Le texte gravé est une dédicace du pharaon aux dieux qu’il vénère. C’est un poème plein d’emphase, aux formules répétitives. Au sommet de l’obélisque occidental, sur chacune des 4 faces, Ramsès fait une offrande de vin - ou d’eau - à Amon. La victoire éternelle du « Maître des Deux Terres », le roi d’Égypte, est proclamée. Les noms du pharaon et ses titres « Le roi de Haute et de Basse Égypte, l’élu de Rê », « Le fils de Rê, Ramsès aimé d'Amon » y sont répétés 40 fois. Chaque année en juillet, une grande fête religieuse était célébrée dans le temple de Louxor : la fête d'Opet. Les statues d’Amon Rê, de la déesse Mout son épouse et du dieu Khonsou leur fils étaient portées en procession. Elles se rendaient par le Nil du temple de Karnak au temple de Louxor. Dans la barque royale, le pharaon suivait les divinités. Le rituel célébrait la renaissance de la triade divine et confirmait le pouvoir du souverain.

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Les Français en Égypte

L’expédition d’Égypte (1798-1801) De juin 1798 à septembre 1801, les Français occupent l’Égypte. À la tête de l’expédition, le jeune général Bonaparte obéit aux ordres du Directoire (pouvoir exécutif de 1795 à 1799). Il faut faire diversion et occuper l’Égypte pour appauvrir l’Angleterre en lui coupant la route de ses colonies des Indes. La victoire française sur les Mamelouks lors de la bataille des Pyramides (21 juillet 1798) semble confirmer cette stratégie. Mais les Français deviennent prisonniers de leur conquête : les vaisseaux anglais de l’amiral Nelson détruisent la flotte française ancrée dans la rade d'Aboukir (1er août 1798). L’ambition politique de Napoléon Bonaparte le conduit à rentrer précipitamment en France en août 1799. Il laisse son armée (30 000 hommes) au général Kléber. Les troupes françaises prolongent leur présence dans des conditions difficiles qui suscitent l’hostilité de la population. En 1801, l’expédition d’Égypte se termine par une défaite militaire. En revanche, c’est un succès sur le plan culturel. 167 savants et artistes accomplissent un travail remarquable de découverte et d’inventaire du territoire occupé. Dominique-Vivant Denon (1747-1825) est l’un des membres les plus actifs de la Commission des Sciences et des Arts de l’armée d’Orient. Il dresse de nombreux relevés des sites visités puis fonde l’Institut français d’Égypte en 1798. Pendant l’expédition, une découverte majeure est faite par les Français. En 1799, un officier déterre une pierre de basalte noir dans le village d’el-Rashid. Un texte y est gravé en trois langues : hiéroglyphes, démotique (écriture cursive de l’égyptien), grec. Daté de 196 avant J.C., c’est un décret qui rend hommage au pharaon Ptolémée V. En 1802, suite à la défaite française, la pierre dite « de Rosette » est reprise par les Anglais. De 1809 à 1829, sous la direction de Nicolas-Jacques Conté (1755-1805), les recherches et les dessins rapportés de l’expédition sont réunis dans un ouvrage intitulé Description de l’Égypte. Cette encyclopédie (9 volumes de texte + 11 atlas de planches) est un apport considérable à la connaissance de l’Égypte et conduit à populariser l’orientalisme en France.

L’Égypte de Méhémet-Ali, une terre d’aventure pour les Français (1804-1849) À l’époque, l’Égypte est sous la domination de l’Empire ottoman. En 1805, Méhémet-Ali (1769-1849), albanais d’origine, s’impose comme vice-roi d’Égypte mais il est officiellement un vassal du sultan ottoman Mahmoud II (règne de 1808 à 1839). Il cherche à moderniser l’Égypte en s’inspirant du modèle occidental et cultive auprès des Européens, des Français surtout, une réputation ambiguë : tantôt détesté comme symbole de despotisme (massacre de mercenaires Mamelouks en 1811), tantôt adulé comme un nouveau Napoléon pour son dynamisme modernisateur et sa volonté de développement du pays. Il cherche un appui auprès des puissances européennes, en particulier de la France, mais il doit vaincre les réticences suscitées par le traitement qu’il inflige aux peuples vaincus. De plus, il soutient le sultan ottoman dans sa lutte contre l’indépendance de la Grèce : lors de la bataille de Navarin (20 octobre 1827), la flotte égyptienne renforce celle des Turcs et affronte directement l’escadre anglo-franco-russe. Celle-ci sera finalement victorieuse. Au même moment, Méhémet-Ali se lance dans une surenchère de cadeaux faits à la France et à l’Angleterre, pour obtenir leurs bonnes grâces et accessoirement entretenir leur rivalité. Les deux puissances européennes cherchent à se positionner de la manière la plus favorable à leurs intérêts respectifs. Elles ont compris les avantages de la position géopolitique de l’Égypte sur la route des Indes. En 1826, sur les conseils de Drovetti consul de France au Caire, Méhémet-Ali offre au roi Charles X la girafe Zarafa. Ce cadeau est bientôt suivi d’un autre similaire, envoyé au roi d’Angleterre. Dans ce jeu diplomatique, Méhémet-Ali penche bientôt nettement pour la France car l’Angleterre redoute l’unification de l’Égypte avec la Turquie et veut absolument contrer sa politique expansionniste vers le Sud (Soudan) et en Asie Mineure (Syrie). Pour favoriser l’émergence d’une élite égyptienne, Méhémet-Ali missionne en France 44 étudiants qui symbolisent la renaissance arabe, la Nahda. Le vice-roi accueille en Égypte des Français, ingénieurs et intellectuels, qui célèbrent en lui un capitaine d’industrie aux idées modernes et novatrices. Victor Hugo s’enthousiasme : « Il est à Napoléon ce que le tigre est au lion ! ». Les entrepreneurs affluent et cherchent à le convaincre de faire de l’Égypte le terreau de réalisation de leurs projets. Ils trouvent en Égypte des conditions économiques plus favorables qu’en France et célèbrent l’ouverture à la modernité du vice-roi qui tranche, selon eux, avec les blocages administratifs français. Les relations franco-égyptiennes se resserrent et aboutissent à une véritable égyptomanie, visible dans l’art et la littérature du XIXe siècle. C’est dans ce contexte que s’inscrit la promesse du don de plusieurs obélisques à la France.

Le choix d’un symbole

L’influence de Champollion Dès le règne de Louis XVIII (1815-1824), les autorités françaises négocient avec Méhémet-Ali pour acquérir l'un des obélisques de Thoutmosis III installés à Alexandrie et surnommés les Aiguilles de Cléopâtre. En 1828, le baron Isidore Taylor (1789-1879), un conseiller de Charles X, joue de son influence pour voir se concrétiser cette promesse faite par le vice-roi d’Égypte. Il est soutenu par le ministre de la Marine, le baron d’Haussez (1778-1854) qui écrit au roi : « Sire, Paris malgré ses palais et ses places publiques n’a pas encore atteint le degré de splendeur auquel est parvenu Rome. On n’y voit aucun de ces obélisques transportés d`Égypte en Europe ». Jean-François Champollion (1790-1832) n’approuve pas le choix des obélisques d’Alexandrie. Sa célébrité est telle que son avis pèse d’un poids décisif. Passionné par les découvertes de l’expédition d’Égypte, il possède depuis 1808 une copie de la pierre de Rosette. Grâce à elle et à sa connaissance des langues anciennes, il parvient en 1822 à comprendre l’écriture hiéroglyphique. Le 4 juillet 1829, il propose à Charles X de demander les obélisques de Louxor (moins abîmés et surtout ornés de hiéroglyphes) et de convaincre Méhémet-Ali de donner aux Anglais un obélisque d’Alexandrie et celui du temple de Karnak qu’il sait intransportable. Le ministre de la Marine se range à l'avis de Champollion et écrit un rapport au roi à ce sujet. En novembre 1829, une commission d’étude Pour le transport des obélisques égyptiens en France est mise en place, sous la conduite du ministère de la Marine. Elle doit définir les caractéristiques du futur Luxor, le navire qui sera construit spécialement pour son transport.

La mission du baron Taylor Le 6 février 1830, pour négocier la cession des obélisques de Louxor, une ordonnance royale nomme le baron Taylor, commissaire du roi auprès du vice-roi d’Égypte. Les frais relatifs à son voyage et au transport du premier obélisque seront imputés au budget de la Marine. La Chambre des députés vote une ligne budgétaire spéciale de 300 000 francs pour financer le projet. Le 31 mai, Méhémet-Ali reçoit en audience le baron Taylor et le nouveau consul de France à Alexandrie, Jean-François Mimaut (1774-1837). Au cours de l’entretien, le consul fait une proposition qui lui a été conseillée par Champollion : « Vous avez promis aux Anglais un des obélisques de Thèbes. Faites-leur don de celui de Karnac qui est connu pour le plus grand et le plus beau de tous, et dont ils seront fiers, et offrez au roi de France, qui vous en sera gré, les deux obélisques de Louxor ». Le vice-roi juge la proposition excellente. Le lendemain, la transaction est soumise au consul britannique qui immédiatement donne son accord. Le 3 juin, le baron Taylor confirme au ministre de la Marine l’accord du vice-roi d’Égypte pour le don à la France des deux obélisques de Louxor et d’un obélisque d’Alexandrie.

Un contexte politique troublé Les négociations avec l’Égypte sont rendues difficiles par la rivalité franco-anglaise, le contexte international sur la question d’Orient mais aussi les tensions politiques en France. Le 5 juillet 1830, pour lutter contre la piraterie, les Français prennent Alger. Les 27, 28 et 29 juillet (les Trois Glorieuses), une partie des Parisiens se soulève contre la politique ultraroyaliste du gouvernement.

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Cette révolution entraîne la chute du régime : Charles X est contraint d’abdiquer le 2 août. Soutenu par les députés libéraux, Louis-Philippe (1773-1850), fils aîné du duc d'Orléans, devient roi des Français. Ce n’est que le 15 septembre que la nouvelle parvient en Égypte. Le cadeau du vice-roi d’Égypte va-t-il être remis en cause ? Méhémet-Ali et les Égyptiens s’enthousiasment aussitôt pour la révolution et le nouveau souverain. Le 29 novembre 1830, le vice-roi confirme le don des obélisques à la France de Louis-Philippe.

L’incroyable odyssée ou l’interminable voyage

Afin de transporter l’obélisque de près de 230 tonnes et de 23 m de haut, un voilier à fond plat est spécialement construit à Toulon. Pour mieux répartir le poids de son chargement, le Luxor est équipé de 5 quilles. Il est lancé le 26 juillet 1830, mesure 42 m de long sur 9 m de large. Ses 3 mâts sont démontables. Cette particularité facilitera, en Égypte la mise sous bâche du navire pour le protéger du soleil, en France son passage sous les ponts de la Seine. Mais avant tout, elle est imposée par la fonction même du Luxor : c’est pour permettre le chargement de l’obélisque dans la cale que les mâts ne sont pas fixés à la quille comme sur un voilier classique. Conçu par l’ingénieur Rolland (1769-1837), le navire se veut adapté à la navigation fluviale comme à la navigation hauturière (en haute mer). Le commandement du Luxor est confié au lieutenant de vaisseau Raymond de Verninac Saint-Maur (1794-1873). Son second est le lieutenant de vaisseau Léon de Joannis (1803-1868). Définies par le baron Tupinier, directeur des ports et coordinateur de l’expédition, les opérations d’abattage et de chargement du premier obélisque à Louxor sont confiées à l’ingénieur du Génie maritime Apollinaire Lebas (1797-1873). Pour l’accompagner, 16 ouvriers spécialisés de l’arsenal de Toulon sont choisis.

Chargé de vivres et de matériels (outils, bois, métaux…), le Luxor quitte Toulon le 15 avril 1831 avec 121 personnes à son bord. Il atteint Alexandrie le 3 mai. Dès son arrivée, déçu par la mauvaise tenue à la mer du Luxor, Verninac écrit au ministre qu'il ne pourra assurer le retour sans l'assistance d'un navire à vapeur. La crue du Nil contraint l’expédition à attendre le 15 juin avant de remonter le fleuve jusqu’à Louxor. Lebas part devant, à bord d’un bateau égyptien, pour préparer la cale d’échouage, l’infrastructure des installations de l’expédition et les opérations d’abattage. Le 14 août 1831, l’expédition débarque près du temple. Le Luxor est échoué puis recouvert de nattes arrosées deux fois par jour pour sa préservation. Pendant le mois de septembre et malgré une épidémie de choléra, les travaux d’infrastructure sont réalisés : construction de logements et d’un hôpital, d’un four et d’un moulin. Un potager est créé à partir de graines apportées de France.

Auparavant, Lebas a dû revoir son système d’abattage car l’obélisque occidental est fragilisé par une fissure de 8 m de haut à partir de sa base. Pour le protéger, le monument est enfermé dans un coffrage de bois et de métal. Le 31 octobre 1831, l’obélisque est abattu à l’aide de deux cabestans (treuil à axe vertical) et de bigues (appareils de levage). Il faut 25 mn pour réaliser l'opération et 200 hommes. En dépit de l’avis de Champollion, le piédestal (socle) est laissé en place car très dégradé. Durant le mois de novembre, l’obélisque est halé par environ 200 hommes, par étape de 30 m, à raison de 15 heures de travail par jour. L’embarquement est un vrai défi : 400 m séparent l’obélisque de la rive où est amarré le navire. Pour tracer le chemin de halage, une centaine d’hommes ont été recrutés sur place. Il faut acheter puis détruire 30 maisons placées trop près de l’obélisque, creuser une chaussée en enlevant 90 000 m3 de sable, construire un plancher amovible sur le sable (4 sections de 7 m de long). Pendant le séjour, la maladie - choléra puis dysenterie - a affaibli les organismes. 12 hommes meurent en Égypte.

Le 19 décembre 1831, l’obélisque est chargé et solidement amarré dans le Luxor dont l’avant a été découpé. Le navire est refermé le 25 décembre. En attente de la crue du Nil pendant 7 mois, le navire ne commence sa lente descente du fleuve que le 25 août 1832. Il arrive à Alexandrie le 2 janvier 1833. Il doit ensuite encore attendre avant de repartir pour la France, pour éviter les tempêtes hivernales fréquentes en Méditerranée. Il appareille enfin le 1er avril, remorqué par le navire à vapeur Sphinx. La traversée est difficile car la mer est agitée : le Luxor roule de manière dangereuse. Le voyage suit alors un itinéraire dont les étapes sont dictées par l’état de la mer et les ravitaillements du Sphinx en charbon (960 kg/h). Les deux navires font escale à Rhodes (6 avril) puis à Corfou (23 avril) pour se réapprovisionner en charbon. Ils s’arrêtent ensuite à Toulon (10 mai) pour subir une quarantaine sanitaire de 25 jours. L’expédition repart le 22 juin, sans Lebas qui remonte directement à Paris pour préparer le chantier. Elle fait ensuite escale à Gibraltar (30 juin), au Cap Saint-Vincent (12 juillet) puis à La Corogne (20 juillet). L’expédition atteint Cherbourg (12 août) où elle reçoit la visite du roi Louis-Philippe (2 sept.). Au Havre, le Luxor continue son voyage vers Paris sans le Sphinx. Remorqué par un petit vapeur, le Luxor atteint Rouen (14 sept.). Il est alors démâté, allégé et débarrassé de ses bastingages pour pouvoir passer sous les ponts de la Seine. Mais il lui faut encore attendre la crue de la Seine avant de repartir. Le Luxor est ensuite halé jusqu’à Paris par 14 puis 28 chevaux. Ces derniers doivent changer de rive selon la configuration du fleuve. Le 23 décembre 1833, il arrive enfin dans la capitale et s’échoue au pont de la Concorde. Le navire aura parcouru 12 000 km et voyagé pendant 2 ans et 9 mois. En août 1834, il est débarqué. Encore emmailloté de son coffrage, il est posé sur la rampe du pont de la Concorde.

Les enjeux mémoriels et politiques

Où installer l’obélisque ? Débute une longue période d’attente car la destination finale de l’obélisque n’est pas encore déterminée officiellement : la cour carrée du Louvre, l’esplanade des Invalides… ? La bataille des sites est un jeu de dupes car la cale d’échouage du Luxor est construite dès 1833 en contre-bas du pont de la Concorde. Or le déplacement de l’obélisque ne pourra excéder quelques petites centaines de mètres. De plus, sur tous ses plans préparatoires d’embellissement de la place de la Concorde, l’architecte Jacques Hittorff (1792-1867) fait figurer l’obélisque dès 1833. Enfin, pour Louis-Philippe, le « nettoyage » de ce lieu de mémoire régicide est impératif. C’est pour ménager diverses susceptibilités, dont le Conseil de Paris, que l’on fait croire qu’un choix est possible.

La place de la Concorde L’histoire des aménagements de la place de la Concorde témoigne des soubresauts de la vie politique française au XIXe siècle. Elle reflète les conceptions successives de la souveraineté. En 1753, Louis XV (1710-1774) charge l’architecte Ange-Jacques Gabriel (1698-1782) de réaliser une place sur un terrain en friches. Il doit y mettre en valeur une statue du roi à cheval, sculpture de bronze offerte par les marchands de Paris, commandée en 1748 au sculpteur Edmé Bouchardon (1698-1762). Gabriel imagine une place à pans coupés, ornée de 2 fontaines et bordée de 6 fossés entourés de balustrades. La statue est achevée en 1758 mais il faut attendre 1763 pour qu’elle soit inaugurée. La place Louis XV n’est alors pas terminée : seuls sont construits les bâtiments bordant la rue Royale. Le 11 août 1792, au lendemain de l’abolition de la royauté, la statue de Louis XV est abattue et la place rebaptisée place de la Révolution. La guillotine y fonctionne pratiquement sans interruption pendant deux ans. C’est là que sont exécutés Louis XVI, Marie-Antoinette, Camille Desmoulins, Saint-Just, Robespierre... La place devient le symbole de la Terreur, de ses excès et de ses revirements. En 1794, la Convention scelle sur le socle de l’ancienne statue un faisceau de 83 baguettes symbolisant les départements et l’union de la nation. Un grand drapeau tricolore est hissé au sommet d’un mât pour signifier la nouvelle souveraineté républicaine. En 1795, soucieux de clore la phase sanglante de la Révolution, les Thermidoriens la rebaptisent place de la Concorde.

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Les projets de réaménagement De juin 1799 à juillet 1800, le centre de la place est occupé par une statue de la Liberté, en plâtre et de dimensions colossales. Sous le Consulat, Napoléon Bonaparte (1769-1821) la fait démolir pour y dresser une colonne surmontée d’une statue de la République. Mais le simulacre de toile peinte et de bois révèle un inconvénient majeur : l’énorme soubassement masque les Champs-Élysées et les Tuileries. Le projet est abandonné en 1802. L’empereur songe à y édifier une statue de Charlemagne puis une fontaine. En 1814, la place retrouve son nom d’origine et Louis XVIII (1755-1824) projette la construction d’un monument commémoratif (chapelle, statue, saule pleureur) en l’honneur de son frère guillotiné. En 1826, Charles X (1757-1836) pose la première pierre du socle de la future statue. La place est rebaptisée Place Louis XVI. À la révolution de juillet 1830, seul le piédestal est terminé. Il sert de base au drapeau tricolore avec lequel la France vient de renouer. La place prend alors le nom de Place de la Charte. Sous la Monarchie de juillet (1830-1848), elle est renommée Place de la Concorde. L’écrivain François-René de Chateaubriand (1768-1848) suggère de mettre au centre une fontaine au bassin de marbre noir en guise d’expiation, 4 fontaines aux angles, des portiques à l’entrée des Champs-Élysées et des Tuileries. En 1829, le préfet de la Seine, Gaspard de Chabrol (1773-1843), organise un concours d’architectes pour aménager la place de la Concorde. L’architecte Louis-Pierre Baltard (1764-1846) imagine une fontaine et 2 obélisques commémoratifs dont une colonne surmontée de l’effigie de Louis-Philippe. Le projet est vite critiqué et en raison des soubresauts politiques, la sélection est ajournée. En 1833, Hittorff est nommé architecte de la place, avec le soutien du ministre des Travaux publics, Adolphe Thiers (1797-1877).

Le choix définitif Depuis la chute de Charles X, l’installation d’une statue du souverain régnant au centre de la place ne semble plus pertinente. Faudra-t-il la changer à chaque changement politique ? Trente ans après la destruction de la statue de Louis XV, la symbolique d’un tel aménagement choquerait une opinion publique qui a soutenu la révolution de 1830. L’arrivée de l’obélisque à Paris tombe au bon moment pour le roi. Comme le précise Rambuteau, nouveau préfet de Paris : « Il ne rappelle aucun évènement politique, et il est sûr de rester, tandis que vous pourriez voir un jour un monument expiatoire ou une statue de la liberté.» En 1832, on prépare l’Exposition des Arts et de l’Industrie qui doit se tenir deux ans plus tard. Hittorff est chargé de réaliser une maquette grandeur nature de l’obélisque, pour en faire une attraction de l’exposition. En 1834, deux simulacres en carton, à l’échelle 1, sont placés à la Concorde et aux Invalides. En novembre 1834, le préfet consulte le Conseil municipal et présente deux projets d’Hittorff. Le premier dessine une place rectangulaire à 4 entrées, 4 fontaines et sans fossé ; le second, une place octogonale à 8 entrées, 4 fontaines et un maintien des fossés. Le 24 avril 1835, le Conseil choisit la seconde proposition avec quelques modifications. La place est renommée Place de la Concorde pour consacrer la réconciliation du peuple français. On décide officiellement d’installer en son centre l’obélisque de Louxor.

Quel piédestal pour l’obélisque ?

Champollion espérait que le socle d’origine soit remonté à Paris, mais en mauvais état, il n’a jamais quitté Louxor. C’est l’ornement sculpté du socle de l’obélisque oriental qui est prélevé et chargé dans le Luxor. Orné de babouins, adorateurs du soleil et symboles du dieu Thot, il est rapidement jugé impudique et mis en réserve au Louvre. En décembre 1833, la décision est prise de faire réaliser un nouveau piédestal en granit. Plusieurs projets d’ornementation sont proposés dont celui de Hittorff qui est retenu. En mai 1834, l’entrepreneur breton Guillastrennec remporte le marché pour la fourniture, le transport, le montage et le polissage du nouveau piédestal. Cinq blocs de granit, d’un poids total de 240 tonnes sont extraits (piédestal plus lourd que l’obélisque). Le Luxor et le Sphinx sont mobilisés pour transporter les blocs, de l’Aber Ildut (Finistère) jusqu’à Paris. C’est seulement en 1836 que le piédestal de granit breton de 9 m de haut est achevé. Sur la place de la Concorde, une pente de 120 m a été construite pour faire glisser l’obélisque jusqu’à son piédestal. Le mardi 25 octobre 1836, alors qu’une centaine de musiciens jouent Les mystères d’Isis de Mozart, une foule de 200 000 personnes envahit la place. À 11 h 30, 350 artilleurs sont disposés sur les 10 cabestans de l’appareil de levage et entament le redressement de l’obélisque. Lebas, qui dirige l’opération avec un porte-voix, se place en dessous afin de ne pas survivre en cas de rupture de l’appareil. La manoeuvre est dangereuse : la veille pendant les essais, une grue est tombée et a tué un homme. À midi, le roi Louis-Philippe, la famille royale et les personnalités apparaissent au balcon de l’hôtel de la Marine. À 14 h 30, l’obélisque repose sur son piédestal. Le drapeau national est hissé à son sommet. En se découvrant devant lui, Louis-Philippe donne le signal des applaudissements à la foule restée jusque-là immobile et silencieuse. Dans le socle de l’obélisque est enfermé un coffret contenant des pièces à l’effigie de Louis-Philippe. À défaut de trôner en statue au centre de la place, le roi y est donc présent de manière symbolique. En 1839, le résumé des opérations, les noms des acteurs et les plans de l’abattage, du chargement et de la réédification de l’obélisque sont gravés sur le piédestal. Les travaux d’embellissement de la place se poursuivent sous la direction d’Hittorff, sans remise en cause du dessin initial de Gabriel. Hittorff fait réaliser 2 grandes fontaines pour encadrer l’obélisque. 8 statues des grandes villes de France sont édifiées sur les guérites de pierre marquant l’accès aux fossés. L’architecte décide d’installer sur la place les 18 colonnes rostrales prévues pour le pont de la Concorde. Elles ont une fonction d’éclairage et, en 1866, utiliseront pour la première fois l’électricité. Vingt ans plus tard, une autre conception de l’aménagement de la place de la Concorde s’impose. Napoléon III (1808-1873) envisage de transformer la place en une grande esplanade nue, bordée de tribunes, pour y organiser de grandes fêtes et des défilés militaires. Dans ce projet, l’obélisque doit disparaître. Le préfet de la Seine, le baron Haussmann (1809-1891), réussit à convaincre l’empereur de conserver l’obélisque et les 2 fontaines. Les fossés, en revanche, sont comblés à la demande de Napoléon III. L’obélisque est classé Monument Historique en 1937. En 1981, le second obélisque de Louxor, resté sur place, est officiellement restitué par la France à l’Égypte. En 1998, sur le conseil de l’égyptologue Christiane Desroches-Noblecourt (1913-2011), celui de la Concorde est surmonté d’un pyramidion de bronze doré, renouant avec la tradition antique.

Les navires

� Luxor Allège à 3 mâts, conçue spécialement pour le transport de l’obélisque. Lancé le 26 juillet 1830 à Toulon, construit d’après les plans de l’ingénieur Rolland, le Luxor mesure 43 m de long et 9 m de large. Il embarque 120 hommes pour l’expédition. Sa coque est armée de 5 quilles pour mieux répartir le poids de son chargement. Le fond du navire est plat car le navire ne doit pas dépasser les 2 m de tirant d’eau pour naviguer sur le Nil. En 1834, il sert au transport des blocs de granit du piédestal.

� Sphinx Corvette à 3 mâts et 2 roues à aubes, premier navire militaire français à vapeur à être totalement opérationnel. Lancé en 1829 à Rochefort, construit d’après les plans de l’ingénieur Hubert, le Sphinx mesure 46 m de longueur et 8 m de largeur. Il est armé de 6 canons et embarque 90 hommes. Grâce à ses roues de 6 m de diamètre, il atteint la vitesse de 7 nœuds (14 km/h). Sa vitesse et son autonomie en font un instrument de communication efficace entre les rives de la Méditerranée. C’est lui qui transmet la nouvelle de la prise d’Alger en juillet 1830. En 1845, il se brise sur les rochers, à proximité d’Alger.

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Les hommes

� Justin Pascal Angelin (1795-1859) Chirurgien de marine français. Pendant la mission, il soigne l’équipage du Luxor victime du choléra et de la dysenterie. Avec Léon de Joannis, il collecte des spécimens pour le Muséum d’Histoire naturelle à Paris. Il publie ses souvenirs : L’expédition du Louxor ou Relation de la campagne faite dans la Thébaïde pour en rapporter l’obélisque occidental de Thèbes (1833).

� Jean-François Champollion (1790-1832) Égyptologue français. Grâce à une copie de la pierre de Rosette, il est le premier à déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens (1822). En 1826, il est nommé conservateur des Antiquités égyptiennes au musée du Louvre. À la tête d’une expédition scientifique (1828-1829), il parcourt le Nil et est fasciné par les obélisques de Louxor. Il convainc les autorités françaises de leur grand intérêt historique. De retour à Paris, il enseigne les langues orientales au Collège de France. Il publie de nombreux ouvrages dont ses Lettres écrites d’Égypte et de Nubie (1828).

� Jacques Hittorff (1792-1867) Architecte français, d’origine allemande. Élève de Charles Percier (1764-1838), il termine l’église Saint-Vincent de Paul (1830). En 1832, il est chargé de concevoir les nouveaux plans de la place de la Concorde, afin d’y installer l’obélisque. Il publie un Précis sur les pyramidions en bronze doré employés par les anciens Égyptiens (1836). Sous le second empire, il est notamment l’architecte du cirque d’Hiver (1852) et de la gare du Nord (1865).

� Léon de Joannis (1803-1868) Officier de marine français. En 1831, il est chargé du commandement en second du Luxor. Sa maîtrise du dessin fait de lui l’illustrateur de l’expédition. De retour à Paris, il publie Campagne pittoresque du Luxor, un récit complété par 18 estampes, gravées par ses soins (1835). Il quitte la Marine en 1845 et prend la direction de l’école des Arts et Métiers d’Angers.

� Jean-Baptiste Apollinaire Lebas (1797-1873) Ingénieur français, du Génie maritime. Il est chargé de coordonner les travaux de transfert de l’obélisque de Louxor jusqu’à son installation sur la place de la Concorde, le 25 octobre 1836. Il publie L'Obélisque de Louxor : Histoire de sa translation à Paris (1839). La réussite de l’affaire de l’obélisque lui vaut une immense notoriété. Un mois après, il est nommé conservateur du musée de la Marine alors situé au Louvre. Il le dirige pendant 16 ans.

� Isidore Justin Taylor (1789-1879) Critique d’art d’origine irlandaise, conseiller culturel de Charles X qui l’anobli (baron). Avec Quatremère de Quincy et Charles Nodier, il théorise la notion de patrimoine. Ils en publient le premier recueil Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France (1820-1878). En janvier 1830, il est chargé de négocier avec Méhémet-Ali pour finaliser le don de l’obélisque à la France. Directeur de la Comédie française, il soutient Victor Hugo au moment de la Bataille d’Hernani (1830).

� Raymond de Verninac Saint-Maur (1794-1873) Officier de marine français. En 1829, il dirige l’Astrolabe à bord duquel Champollion revient d’Égypte. L’égyptologue propose son nom au ministre de la Marine pour le commandement du Luxor. Il réussit la délicate mission de transporter l’obélisque jusqu’à Paris (1831-1833) puis publie le récit de l’expédition sous le titre Le voyage du Luxor en Égypte (1834). De juillet à décembre 1848, il est nommé ministre de la Marine.

Bibliographie

Ouvrages - Yves Alphandari, Les Hiéroglyphes, du dieu Thot à Champollion. Éditions Flammarion, collection Castor Doc, 2013 - Françoise Choay, Le patrimoine en questions. Anthologie pour un combat. Éditions du Seuil collection La couleur des Idées, 2009 - Sydney Aufrère, Jean-Claude Golvin, Jean-Claude Goyon, L’Égypte restituée. Éditions Errance, 1997 - Jean-Marcel Humbert, L’Égypte à Paris. Éditions Action artistique de la Ville de Paris, 1998 - Richard Lebeau, Atlas de la découverte de l’Égypte. Éditions Autrement collection Mémoires, 2007 - Bernadette Menu, L’obélisque de la Concorde. Préface de Christiane Desroches-Noblecourt, Éditions du Lunx, 1987 - Robert Solé, Le grand voyage de l’obélisque. Éditions du Seuil, 2004 - Jean Vercoutter, À la recherche de l’Égypte oubliée. Éditions Gallimard collection Découvertes, 2007 - De la place Louis XV à la place de la Concorde. Catalogue d’exposition, Musée Carnavalet, 17 mai-14 août, 1982 - Hittorff, un architecte du XIXe siècle. Catalogue d’exposition, Musée Carnavalet, 20 octobre 1986-4 janvier 1987 - Le voyage de l’obélisque Louxor/Paris (1829-1836). Album de l’exposition, Musée national de la Marine, 12 février-6 juillet 2014

Articles en ligne - Eric Cancouët, De la voile à la vapeur, Carnet pédagogique, Musée des Arts et métiers, 2002 : www.arts-etmetiers.net - Jérôme Louis, La Question d’Orient sous Louis-Philippe, Thèse universitaire, 2004 : www.tel.archives-ouvertes.fr - Moussa Sarga, Méhémet-Ali au miroir des voyageurs français en Égypte, Revue Romantisme, n°120 pp.15-25, 2003 : www.persee.fr - L’Orientalisme au XIXe siècle : www.lesclesdumoyenorient.com

Musée national de la Marine

Auteurs : Service culturel D. Frémond, M. Machicot, C. Maillé-Virole / M.-P. Demarcq, A. Niderlinder commissaires de l’exposition / Paris 2014

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� Documents Le voyage de l’obélisque Louxor/Paris (1829-1836)

1. Méhémet-Ali vu par les Français � François-René de Chateaubriand (1768-1848), écrivain français, Mémoires d’Outre-Tombe, 1809-1841 « Je ne me laisse pas éblouir par des bateaux à vapeur et des chemins de fer, par la vente des produits des manufactures et par la fortune de quelques soldats français, anglais, allemands, italiens, enrôlés au service d’un vice-roi : tout cela n’est pas la civilisation. »

� Jean-François Champollion (1790-1832), égyptologue français, Correspondance : Le voyage en Égypte, 1828-1829 « Méhémet-Ali, cet excellent homme, n’a d’autre vue que de tirer le plus d’argent possible de la pauvre Égypte ; sachant que les Anciens représentaient celle-ci par une vache, il la trait et l’épuise du matin au soir, en attendant qu’il l’éventre, ce qui ne tardera pas. Voilà au juste ce qu’ont produit de bon et de beau les nobles conseils de Drovetti*, du grand Jomard** et autres pasteurs des peuples. L’Égypte fait horreur et pitié. »

* aventurier et collectionneur d’art. Membre de l’Expédition d’Égypte, consul général de France en Égypte, il aurait pillé sans scrupules les sites égyptiens. ** ingénieur français, membre de l’Expédition d’Égypte. Rival de Champollion, il contribue au recensement des hiéroglyphes.

� Xavier Marmier (1808-1892), voyageur et écrivain français, Du Rhin au Nil, 1847 « La bastonnade est ici non seulement un moyen de punition, mais souvent un moyen de réduire au silence celui qui se plaindrait de l’irrégularité ou de l’exiguïté de son salaire. Si une première bastonnade ne suffit pas pour assouplir un manœuvre obstiné, on lui en donne libéralement une seconde, et au besoin une troisième. Il n’est pas rare de voir arriver dans les hôpitaux des malheureux ensanglantés, meurtris par ce châtiment barbare, avec l’injonction au médecin de les guérir au plus tôt et de les remettre à qui de droit pour qu’on les bastonne encore et qu’on les renvoie de nouveau à l’infirmerie. J’espère que Méhémet-Ali ne connaît point toutes ces honteuses cruautés. S’il les connaissait ou les tolérait, il faudrait le replacer au rang de ces féroces Mamelouks* dont il a délivré le sol d’Égypte. »

* Anciens esclaves convertis à l’Islam, originaires du Caucase, d’Afrique noire ou d’Europe. Ce sont des cavaliers redoutables.

� Alexandre de Berruyer (1804-1864), rédacteur en chef du journal de Cherbourg, L'Obélisque de Louqsor à Cherbourg, 1833

Propos de Charles Dupin (1784-1873), commissaire du gouvernement de Louis-Philippe et membre du Conseil de l’Amirauté : « Si Méhémet-Ali possède une armée régulière, disciplinée selon la tactique européenne, c’est à des officiers français qu’il doit cette création et les conquêtes qu’a déjà faites cette armée. S’il possède une Marine qui compte aujourd’hui des frégates et même des vaisseaux de premier rang, c’est à la création de l’arsenal d’Alexandrie par un ingénieur français qu’il doit cette force navale, plus étonnante encore et plus difficile à produire que l’innovation de son armée de terre. Enfin, lorsque Méhémet-Ali voulut que les fils des principaux officiers attachés à son gouvernement fussent initiés à la connaissance des arts et des sciences, sur lesquels repose la civilisation moderne, c’est à la France, à la capitale et sous la direction savante d’un membre de l’Institut qu’il a confié la jeunesse sur laquelle il fonde ses espérances pour l’avenir de l’Égypte. »

� Marie-Théodore Renouard de Bussière (1802-1865), voyageur et ethnologue français, Lettres d’Orient [écrites en 1827-1828], 1829 « Sous son administration, l’Égypte changea bientôt de face : les troubles cessèrent et le commencement de son règne fut marqué par la réparation de tous les ouvrages d’utilité publique. Aussitôt que l’Égypte fut paisible, il porta son attention sur les canaux et les digues ; il songea aux ressources qu’il pourrait tirer de la navigation intérieure et de l’agriculture, et établit l’irrigation des champs que leur éloignement du Nil rendait stériles. »

� Amédée Durande (1838-1871), enseignant et historien français, Joseph, Carle et Horace Vernet : Correspondance et biographies, 1864

Lettre d’Horace Vernet (1789-1863), peintre français, fils de Carle Vernet et petit-fils de Joseph Vernet, Alexandrie le 6 novembre 1839 : « Le pacha est petit, la barbe blanche, le visage brun, la peau tannée, l’œil vif, les mouvements prompts, l’air spirituel et très malin, la parole brève, et riant très franchement lorsqu’il a lâché un petit sarcasme, plaisir qu’il s’est donné toutes les fois que la conversation tournait à la politique. » 6

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� Amin Maalouf (1949-), écrivain franco-libanais, Le Rocher de Tanios (roman), 1993 « Méhémet-Ali pacha, vice-roi d’Égypte, avait entrepris de bâtir en Orient, sur les décombres de l’Empire ottoman, une nouvelle puissance qui devait s’étendre des Balkans jusqu’aux sources du Nil, et contrôler la route des Indes. De cela, les Anglais ne voulaient à aucun prix, et ils étaient prêts à tout pour l’empêcher. Les Français, en revanche, voyaient en Méhémet-Ali l’homme providentiel qui allait sortir l’Orient de sa léthargie, et bâtir une Égypte nouvelle en prenant justement la France pour modèle. Il avait fait venir des médecins français, des ingénieurs français, et il avait même nommé à l’état-major de son armée un ancien officier de Napoléon. Des utopistes étaient allés vivre en Égypte dans l’espoir d’y bâtir la première société socialiste, porteurs de projets inouïs - tel celui de percer un canal de la Méditerranée jusqu’à la mer Rouge. Décidemment, ce pacha avait tout pour plaire aux Français. Et puis, s’il irritait à ce point les Anglais, il ne pouvait être foncièrement mauvais. Et il n’était pas question de laisser Londres se défaire de lui. » � Édouard Gouin, écrivain français, L'Égypte au XIXe siècle : Histoire militaire, politique, anecdotique et pittoresque de Méhémet-Ali…, 1847 « L’Égypte, par notre temps, a fait de grandes choses. Hier, c’était une chétive et brute paysanne : elle ne comptait plus dans le monde, elle obéissait à pire que des bâtards, à des Mamelouks, à des esclaves ! Aujourd’hui c’est une héroïne : elle joute avec des puissances formidables, son glaive pèse dans le plateau des balances politiques. L’Orient a trouvé sa Jeanne d’Arc. Descendu des faîtes lumineux à l’obscure barbarie, elle a su remonter et ressaisir sa place au soleil. Qui l’a découverte dans son lointain Vaucouleurs* ? Qui l’a été chercher dans son coin de ciel ? Qui lui a tendu la main ? - La France. Qui l’a tirée complètement du chaos ? - un homme surtout, Méhémet-Ali […] Méhémet-Ali, à 45 ans, ne savait pas encore lire, mais il savait ressusciter un pays. […] Sa patronne, la France aura eu […] bonne part dans les succès du réformateur. […] Pour que la copie fut digne de l’original, nous avons prêté des savants, des artistes, des capitaines, des médecins, des ingénieurs, des architectes : un personnel, un matériel d’organisation. La science, l’armée, la flotte, les arsenaux, la santé publique, l’industrie comptent des Français à leur tête. Des écoles se sont ouvertes dans les principales cités de l’Égypte pour l’enseignement de notre littérature ; nous élevons dans notre capitale et comme nous ferions de nos propres enfants, les jeunes Arabes que leur patrie nous a confiés. […] Méhémet-Ali dort cinq heures par nuit et le matin avant l’aube, il est sur pied. […] Le royal vétéran marche d’un pas militaire et se promène dans ses appartements, les mains croisées derrière le dos à l’exemple de Napoléon ; comme Napoléon, il est de rien, devenu tout ; comme Bonaparte, il s’est élevé, il s’est affermi par le glaive : comme Napoléon, il s’est immortalisé par ses institutions majestueuses et durables. »

* Ville fidèle à Charles VII bien qu’enclavée dans une région inféodée aux Anglais. Jeanne d’Arc y demande une escorte pour se rendre auprès du roi. � Auguste-Frédéric-Louis Viesse de Marmont (1774-1852), militaire français, Voyage du maréchal duc de Raguse, 1837 « C’est la finesse et l’énergie qui frappent tout d’abord en lui. Son regard est perçant, spirituel et scrutateur, sa figure très mobile. On voit qu’une puissance intérieure agit fortement en lui, et qu’il est passionné. Mais, après ces traits principaux, on trouve sur son visage et dans ses manières de la bonhomie. Effectivement, il est de mœurs enjouées. […] Il est né avec un tact très délié, avec la connaissance des hommes, et c’est une chose qui tient du prodige que l’habileté qu’il a déployée pour arriver au pouvoir et pour s’y maintenir. »

2. Le voyage de Champollion en Égypte

Jean-François Champollion (1790-1832), égyptologue français, Lettres et journaux écrits pendant le voyage d’Égypte, recueillies et annotées par Hermine Hartleben (1846-1919), enseignante allemande, auteur de la première biographie de Champollion, 1906

� Lettre à son frère Jacques-Joseph Champollion-Figeac, à Alexandrie le 24 août 1828 « C’est ce matin à huit heures que j’ai eu une audience du Pacha. […] Descendus au grand escalier de la salle du Divan, nous sommes entrés dans une vaste salle remplie de fonctionnaires publics, et l’on nous a immédiatement introduits dans une seconde salle percée à jour, dans un angle de laquelle, entre deux fenêtres, était assis Méhémet-Ali, dans un costume fort simple et tenant en main une pipe chargée de diamants. Sa taille est médiocre [moyenne] et l’ensemble de sa physionomie a une teinte de gaîté, qui surprend dans un homme occupé de si grandes choses et accablé de tant de soucis. Le trait saillant de sa figure est une paire d’yeux d’une extrême vivacité, et qui font un singulier contraste avec une barbe blanche qui tombe et qui s’étend sur sa poitrine. » � Lettre à son frère Jacques-Joseph Champollion-Figeac, à Alexandrie le 28 août 1828 « J’arrivai enfin auprès des obélisques, situés devant le mur de la nouvelle enceinte qui les sépare de la mer dont ils sont éloignés de quelques toises seulement. De ces monuments, au nombre de deux, l’un est encore debout et l’autre renversé depuis fort longtemps. Tous deux en granit rose, comme ceux de Rome, et à peu près du même ton, ils ont environ soixante pieds de hauteur, y compris le pyramidion. […] Ainsi les obélisques d’Alexandrie remontent aux temps pharaoniques, comme la beauté de leur travail suffirait d’ailleurs pour le démontrer, et ont été sculptés à trois époques différentes, mais toujours dans la 18e dynastie. Ce sont les premiers voyageurs européens ou les premiers Francs établis à Alexandrie qui auront donné à ces monuments le nom d’Aiguilles de Cléopâtre, appellation aussi inexacte que le nom de Colonne de Pompée, appliqué à un monument des bas temps romains. […] Je suis allé plus souvent, […] aux obélisques de Cléopâtre, dont celui qui est debout appartient au roi, qui devrait bien le faire prendre. Le voisin, renversé dans le sable, appartient aux Anglais. » � Lettre à son frère Jacques-Joseph Champollion-Figeac, à Thèbes le 24 novembre 1828 : « Le quatrième jour (hier 23), je quittai la rive gauche du Nil pour visiter la partie orientale de Thèbes. Je vis d’abord Louxor, palais immense, précédé de deux obélisques de près de 80 pieds, d’un seul bloc de granit rose, d’un travail exquis, accompagnés de 4 colosses de même matière, et de trente pieds de hauteur environ, car ils sont enfouis jusqu’à la poitrine. C’est encore là du Ramsès le Grand. » � Lettre à son frère Jacques-Joseph Champollion-Figeac, à Biban-el-Molouk le 25 mars 1829 : « Je reviens encore à l’idée que, si le gouvernement veut un obélisque à Paris, il est de l’honneur national d’avoir un de ceux de Louxor (celui de droite en entrant), monolithe de la plus grande beauté et de soixante-dix pieds de hauteur, monument de Sésostris, d’un travail exquis et d’une étonnante conservation. Insiste pour cela, et trouve un ministre qui veuille immortaliser son nom en ornant Paris d’une telle merveille : 300 000 francs feraient l’affaire. Qu’on y pense sérieusement. […] C’est devant le pylône nord du Ramesséion de Louxor que s’élèvent les deux célèbres obélisques de granit rose, d’un travail si pur et d’une si belle conservation. Ces deux masses énormes, véritables joyaux de plus de soixante-dix pieds de hauteur, ont été érigées à cette place par Ramsès le Grand […] Je possède des copies exactes de ces deux beaux monolithes. Je les ai prises avec un soin extrême, en corrigeant les erreurs de la gravure de la Commission*, et en les complétant par les fouilles que nous avons faites jusqu’à la base des obélisques. Malheureusement, il est impossible d’avoir la fin de la face Est de l’obélisque de droite, et de la face Ouest de l’obélisque de gauche : il aurait fallu abattre pour cela quelques maisons de terre et faire déménager plusieurs pauvres familles de fellahs. »

* Commission des Sciences et des Arts de l’armée d’Orient, mise en place lors de l’expédition d’Égypte (1798-1801). 7

Page 9: Le voyage de l’obélisque

� Lettre à son frère Jacques-Joseph Champollion-Figeac, à Thèbes le 4 juillet 1829 : « Je suis bien aise que le savant ingénieur anglais ait eu la belle idée d’une chaussée de 300 000 francs pour dégoûter son gouvernement et par contrecoup le nôtre des pauvres obélisques d’Alexandrie. Ils me font pitié depuis que j’ai vu ceux de Thèbes. Si on doit voir un obélisque à Paris, que ce soit un de ceux de Louxor. La vieille Thèbes sera consolée, et de reste, en gardant celui de Karnak, le plus beau et le plus admirable de tous. Mais je ne donnerai jamais mon adhésion (dont on pourra fort bien se passer du reste) au projet de scier en trois un de ces magnifiques monolithes. Ce serait un sacrilège : tout ou rien. Sans dépenser 300 000 francs en préparatifs préliminaires, on pourrait mettre sur le Nil, chargé sur un radeau proportionné, l’un des deux obélisques de Louxor (et je désigne celui de droite par de bonnes raisons à moi connues, quoique le pyramidion en soit brisé et qu’il paraisse de quelques pieds moins élevé que son voisin). Les hautes eaux de l’inondation l’amèneraient à la mer et jusqu’au vaisseau qui devrait le charger pour l’Europe. Voilà le possible. »

3. Les conseils de Champollion Jacques-Joseph Champollion-Figeac (1778-1867), archéologue et frère aîné de Champollion, L’obélisque de Louqsor transporté à Paris, 1833

� Lettre de Champollion à Charles Lemercier de Longpré baron d’Haussez (1778-1854), ministre de la Marine et des Colonies (23 août 1829-31 juillet 1830), le 12 janvier 1830 : « Ces deux obélisques, monuments du règne de Sésostris, ne sont point également bien conservés ; les grandes fouilles que j’ai fait exécuter pour en copier les inscriptions m’ont convaincu que celui de droite, en entrant dans le palais, quoique son pyramidion soit brisé en partie, est infiniment préférable à celui de gauche, dont le bas est très endommagé jusqu’à une grande hauteur au-dessus de la base. C’est donc l’obélisque de droite qu’il faut choisir pour orner notre belle capitale. Il est nécessaire également, en enlevant cet obélisque, d’emporter le grand cube de granit rose qui lui sert de base, et de s’assurer, en fouillant au-dessous de ce dé, s’il n’existe pas encore quelque autre socle inférieur, qu’on prendrait aussi, afin d’élever ce monument sur une de nos places publiques, avec tous ses accessoires primitifs, et de manière à ce qu’on voie enfin un obélisque tel que les Égyptiens avaient conçu ces sortes de décorations, qu’on défigure en Europe en les juchant sur de ridicules bases d’architecture romaine. »

� Rapport de Champollion à Horace Sébastiani (1772-1851), ministre de la Marine et des Colonies (11 août-17 nov. 1830), sept. 1830 : « Aucun genre de monument n’est plus propre à perpétuer la mémoire de cette grande expédition qu’un ou plusieurs obélisques égyptiens, transportés dans la capitale de la France ; et, sous ce rapport, l’obélisque d’Alexandrie ne remplirait nullement le but proposé. […] Tout concourt au contraire à appeler l’attention du gouvernement sur les deux magnifiques obélisques qui décorent l’entrée du palais de Louxor à Thèbes. Ces monolithes qui, à eux seuls, feraient l’ornement d’une capitale, sont remarquables par la beauté de la matière, la grandeur des proportions, la richesse des sculptures qui les couvrent, le poli de leurs faces et leur admirable conservation. Sous le rapport historique, ce sont des monuments élevés à la gloire du plus célèbre des conquérants égyptiens, Sésostris, dont les inscriptions contiennent les louanges et énumèrent les travaux. Il serait beau que de tels obélisques devinssent, dans Paris, des monuments commémoratifs de nos victoires en Égypte. […] Situé sur une butte factice, le palais de Louxor est à une très petite distance du Nil ; la pente même de la butte facilitera beaucoup le transport vers le fleuve, et l’embarquement des obélisques. L’ingénieur chargé de ces opérations trouvera sur les lieux tous les secours désirables en hommes pour pouvoir ses machines et pour tous les travaux préparatoires. Un habitant du pays, travaillant depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, est bien payé à raison de quatre sous de France par jour, sans aucun frais de nourriture quelconque. S’il devient nécessaire d’abattre plusieurs maisons du village, soit pour renverser, soit pour mener les obélisques au Nil, les frais d’achat de ces cahutes, en simple limon, seront une somme tellement minime qu’il devient presque inutile de s’en occuper. À l’exception des hommes, soit pour manœuvrer les machines, soit pour creuser ou niveler le terrain, on ne trouvera à Thèbes aucune autre sorte de secours en ustensiles, en matériaux ou en instruments. L’ingénieur maritime doit donc s’en pourvoir et embarquer avec lui tout ce qui pourra être nécessaire pour l’exécution de son plan, cordages, planches, pièces de bois, leviers, ferrements, savon… […] Si, malheureusement, on devait se réduire à n’emporter qu’un seul des obélisques de Louxor, il faut, sans aucun doute, prendre l’obélisque occidental, celui de droite en entrant au palais. Le pyramidion a un peu souffert, il est vrai, mais le corps entier de cet obélisque est intact, et d’une admirable conservation ; tandis que l’obélisque de gauche, comme je m’en suis convaincu par des fouilles, a éprouvé une grande fracture vers la base. En enlevant les obélisques, dont on déchaussera d’abord les bases, il devient indispensable d’emporter aussi les dés ou piédestaux sur lesquels ils sont placés ; et s’ils ont en outre reçu un soubassement de quelque autre nature, il est nécessaire d’enlever ce soubassement, ou tout au moins d’en prendre les dimensions exactes, pour le reconstruire à Paris, et y montrer enfin des obélisques égyptiens avec tous leurs accessoires, et conservant leur destination et leur caractère primitifs. On évitera ainsi la faute commise jusqu’ici en Europe, de jucher ces beaux monuments sur une base ridicule d’architecture moderne, et de les dresser dans de vastes espaces qui les dévorent, et qui détruisent ainsi leur grandeur et toute leur majesté. »

� Lettre d’Horace Sébastiani (1772-1851), ministre de la Marine et des Colonies, à Jean-François Champollion, le 13 octobre 1830 : « J’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, le 8 de ce mois. Vous m’y entreteniez des difficultés qu’éprouverait la navigation du Luxor, si ce bâtiment était expédié dans cette saison pour Alexandrie, de l’impossibilité de lui faire remonter le Nil avant le printemps prochain, et de la convenance de le faire partir de Toulon seulement à cette époque. Je vous remercie beaucoup d’avoir bien voulu me transmettre, à ce sujet, les observations que vous ont suggérées votre zèle et la connaissance que vous avez acquise des lieux où le Luxor doit être conduit. J’ai donné des ordres pour que ce bâtiment soit retenu à Toulon jusqu’à la fin de l’hiver. Je recevrai avec reconnaissance toutes les communications que vous jugeriez utile de me faire, dans l’intérêt de cette expédition dont, mieux que personne, vous pouvez apprécier les difficultés. »

4. Un symbole politique Jean-Baptiste Apollinaire Lebas (1797-1873), ingénieur de l’expédition, L’obélisque de Luxor. Histoire de sa translation, 1839

Rapport de Charles Lemercier de Longpré baron d’Haussez (1778-1854), ministre de la Marine (23 août 1829-31 juillet 1830), fait au roi Charles X, le 25 novembre 1829 : « Sire, La France doit à ses rois les plus beaux monuments qui la décorent, et Paris, qui ne le cède qu’à une seule des capitales de l’Europe moderne, le disputera bientôt aux villes les plus célèbres des temps anciens ; mais ses palais et ses places publiques n’ont pas encore, il faut l’avouer, atteint le degré de splendeur auquel est parvenu Rome, dont la capitale de votre royaume se montre d’ailleurs la rivale en magnificence. On n’y voit aucun de ces obélisques transportés d’Égypte en Europe. Votre auguste frère, qui, comme votre majesté, accordait aux arts une protection si éclairée, avait ordonné de traiter avec le Pacha d’Égypte pour obtenir les obélisques d’Alexandrie, ou quelques autres qui se trouvaient sur cette vieille terre, riche des débris de l’ancienne civilisation du monde. Méhémet-Ali s’empressa de répondre aux désirs du roi de France, en offrant l’un des obélisques d’Alexandrie, nommé Aiguille de Cléopâtre. Malheureusement cet obélisque, sur lequel le temps a exercé ses ravages, présente moins d’intérêt pour les arts que ceux qui sont encore debout à Louxor, dans la Haute Égypte. »

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5. La rivalité franco-anglaise Isidore Taylor (1789-1879), commissaire royal envoyé par le roi auprès de Méhémet-Ali, Lettre au baron d’Haussez, le 3 juin 1830 : « [Les obélisques] de Louxor à Thèbes sont maintenant au roi de France et ce n’est pas à l’Égypte qu’on les a pris, c’est à l’Angleterre qui allait les faire enlever. »

6. Des témoins privilégiés

� Léon de Joannis (1803-1868), officier en second du Luxor, Campagne pittoresque du Luxor, 1835

« Un navire comme le Luxor, dans le Nil, semblait aux habitants une grande nouveauté ; aussi les voyait-on quitter leurs rizières et leurs champs de coton ; l’enfant abandonner son troupeau de moutons et de buffles, pour accourir sur le rivage, et contempler ce qu’ils appelaient le galioun et le bâtiment-montagne. […] Louxor était en vue : nous arrivâmes le 14 août, à huit heures du soir. La nuit nous cachait le village, et malgré notre impatience, nous ne pûmes distinguer qu’une silhouette bien imparfaite des lieux que nous devions habiter. […] Il [le village] est […] d’une aridité sans égale : pas un dattier ne couronne ses maisons carrées surmontées de pigeonniers ; pas un arbre n’y vient apporter un peu d’ombrage. Des cahutes bâties en terre noire et devenues grises par l’effet de la chaleur s’y groupent autour des ruines du palais, dont les restes dominent les habitations. Vers le milieu du village s’élèvent deux obélisques de chaque côté de la porte du palais comprise entre les deux propylées. […] Le revêtement en bois de l’obélisque, s’asseyant dans toutes ses parties, laissait entendre d’énormes craquements, et lorsque la plus légère secousse avait lieu, une espèce de vibration faisait trembler les bigues*. C’est en contemplation devant ces immenses effets dynamiques, et le cœur plein de la plus vive sollicitude, que nous vîmes s’abattre en vingt-cinq minutes cette admirable aiguille de Louxor. À la fin de l’opération, elle reposait sur une éminence destinée à la recevoir ; les grandes bigues étaient alors verticales, et, comme fières de leur œuvre gigantesque, elles semblaient, en agitant leurs pavillons tricolores et leurs branches de palmiers au-dessus des plaines de la Thébaïde, dire à tous ces colosses répandus au milieu des ruines : Tremblez ! Car à nous la puissance, à nous la victoire, nous avons terrassé l’un de vos frères ! […] Restait à refermer la porte par laquelle il était entré ; c’est ce à quoi l’on occupa immédiatement les charpentiers, qui rajustèrent la partie de l’avant sciée avec le reste de la coque du navire, en chevillant, sur les deux morceaux rapprochés, de fortes pièces de bois, qui s’opposaient dès lors à leur séparation. On refit le bordé extérieur, on consolida la partie du fond du Luxor, près de la base de l’obélisque, pour obvier** à la fracture qui pourrait provenir de la poussée verticale de l’eau sur l’avant ; on refit tous les emménagements intérieurs. Bref, on remit tout dans son état primitif ; et l’on eut plus qu’à attendre l’inondation prochaine. »

*Grue portuaire. **Remédier. � Justin-Paul Angelin (1795-1859), chirurgien de l’expédition, L’expédition du Louxor ou relation de la campagne faite dans la Thébaïde pour en rapporter l’obélisque occidental de Thèbes, 1833

« Thèbes ! Ce nom seul réveille le souvenir de toutes les gloires ; Thèbes, le berceau des arts et des sciences, où commandèrent pendant des siècles les puissants rois de l’Égypte, Thèbes est aujourd’hui couchée dans la poussière. […] Ces pyramides, dont la hauteur n’est guère moindre de 70 à 80 pieds, ont été, il y a trois mille ans, taillées d’une seule pièce et pour ainsi dire à vif dans des carrières du plus beau granit. Il a fallu tout le génie des Égyptiens d’autrefois, toutes les ressources d’une science mécanique perfectionnée, pour les en tirer avec succès ; il a fallu tout le talent de la sculpture pour leur imprimer ce cachet d’élégance et de perfection qui en fait les monuments les plus surprenants de l’Antiquité. On s’est demandé ce que signifiaient ces emblèmes magiques, ces signes mystérieux qui revêtent leurs quatre faces. Les antiquaires nous répondront que les Égyptiens plaçaient devant leurs temples et leurs palais ces monolithes géants comme de grands signaux qui les distinguaient des habitations particulières. Tel était le but de ces longues aiguilles, sur les pans desquelles le nom du roi qui avait élevé le palais, ou du dieu auquel on consacrait le temple, était écrit en caractères hiéroglyphiques. […] Le nom de Thèbes éveillait dans mon imagination des souvenirs d'Antiquité et de gloire si pressants, que je résolus de tenter tous les moyens d'être admis à faire partie de l'équipage. Mon projet n’était pas sans difficultés : j’étais destiné, en ma qualité de chirurgien-major, pour une autre et prochaine expédition, et déjà le chirurgien choisi pour l’Égypte était placé sur le navire le Louxor. Il ne me restait donc plus que la chance de permuter avec lui ; les dangers dont certains esprits timorés entouraient ce voyage, les sombres pronostics qu’ils faisaient naître, me donnèrent des espérances. Je me décidai donc à lui en faire la proposition ; et quel que fût le motif qui le détermina, j’eus la joie de l’y voir consentir. […] Notre ingénieur fit pratiquer par un trait de scie une section transversale et complète du navire, à trois mètres de l’avant ; il respecta la quille, et se contenta de la disjoindre pour la rajuster plus tard sans lui rien ôter de sa force première ; la tranche séparée fut soulevée par des palans et maintenue en l’air sur deux poutres mâtées en croix de Saint-André. Le bâtiment ainsi ouvert présentait à une de ses extrémités une large bouche pour recevoir son chargement, qui devait lui arriver en glissant sur un plan incliné. [...] La voilà terminée, cette expédition hardie qui va enrichir notre capitale d'un nouveau monument. Il va faire son entrée, apportant avec lui des inspirations pour les arts et des souvenirs pour l'histoire. »

7. Un navire mythique Alexandre de Berruyer (1804-1864), rédacteur en chef du journal de Cherbourg, L'Obélisque de Louqsor à Cherbourg, 1833

« Le Luxor est entré avant-hier dans le bassin de l’arsenal. Je suis arrivé à Toulon tout à propos, hier matin, pour aller visiter ce glorieux pèlerin qui a passé sur la terre d’Égypte. […] Dans le bassin sans eau, le Luxor reposait à sec sur ses cinq quilles. C’est comme une petite corvette, en apparence forte, solide, légère ; mais son extérieur ment ; […] c’est du bois blanc peint en noir ; la carène n’est pas doublée, le grand mât n’a pas de racine à l’entrepont, […] on est fier de penser que notre France, dans ses passe-temps, construit en quelques jours un navire spécial pour cueillir un obélisque au désert ; quand le Luxor aura terminé sa campagne, tout sera fini pour lui : on le placera peut être comme un trophée votif, sous quelque hangar de Paris, ainsi que les Romains firent de la trirème qui leur porta l’obélisque du cirque de Caracalla. Ce serait une sorte d’homicide de démolir le Luxor : c’est une relique à conserver. On aura beaucoup de joie de voir à Paris ce navire gallo-thébain avec ses flancs tout couverts d’arabesques en mousses vertes et blanches que le Nil y a incrustées comme des hiéroglyphes. On devrait le suspendre, pièce à pièce, au Louvre comme l’ex-voto d’un marin dans une chapelle […]. Je me trouvai tête à tête avec l’obélisque ; il était couvert et bardé, dans presque toute sa longueur, comme une gigantesque momie de granit dont on ne distinguait que la tête et les pieds. Je ne m’attendais pas à voir une masse si imposante : le mot d’obélisque rappelle toujours à mon esprit quelque chose de délié, de fluet, d’étique. Et c’était presque une pyramide que j’avais là, couchée devant moi. Le sommet tout découvert me parut avoir subi de fortes altérations ; il n’a plus ces quatre surfaces parfaitement unies comme l’avait faites le polissoir du sculpteur thébain. Ce n’est point étonnant ; tant de siècles se sont appuyées là-dessus ! Tant de simouns* ont soufflé sur cette tête de vieillard millénaire ! Tant de vautours ont égrené ce granit en y aiguisant leurs becs de fer. »

* Vent chaud, sec et violent soufflant sur les côtes orientales de la mer Méditerranée. 9

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8. Les avantages du navire à vapeur Jean-Marguerite Tupinier (1779-1850), ingénieur français, directeur des ports et coordinateur de l’expédition, Rapport sur le matériel de la Marine présenté à M. le vice-amiral de Rosamel ministre de la Marine, 1838

« Il serait sans doute fort difficile de prévoir dès à présent tous les services que les bâtiments à vapeur pourront rendre dans une guerre maritime ; mais déjà leur immense utilité comme remorqueurs est jugée ; il suffirait, pour la prouver, de citer la remorque donnée par le Sphinx, de 160 chevaux, à l’allège qui portait l’obélisque de Louxor, et que ce bâtiment a traîné à sa suite, d’Alexandrie à Toulon et de Toulon au Havre, sans qu’aucun accident grave soit venu compromettre le succès de cette admirable opération. Les bâtiments à vapeur seront aussi d’excellents convoyeurs, et on les emploiera avec beaucoup d’avantage à la défense des rades et des ports qu’un ennemi menacerait d’une attaque de vive force ou qu’il gênerait par un blocus ; dispensés de changer de direction à cause des vents contraires, ce sont d’excellents porteurs de dépêches, et sauf des retards que des accidents peuvent occasionner, on sait, à peu de chose près, quel temps leur est nécessaire pour franchir un espace donné. Pour de courtes traversées, ils peuvent se charger d’un nombre considérable de passagers ; ils serviraient par conséquent à transporter des troupes sur les côtes ennemies où l’on aurait à opérer une diversion. Toutes les fois que les distances à parcourir ne seront pas un obstacle à leur réunion avec des escadres*, ils rendront à celles-ci dans les combats des services incalculables, en se tenant toujours prêts à secourir les vaisseaux sous ventés ou désemparés, et en les aidant même, dans le succès, à amariner** et enlever les bâtiments ennemis qui auraient amené*** leur pavillon. »

* Groupe de navires sous un même commandement. ** Remplacer l’équipage d’un navire pris à l’ennemi. *** Baisser son drapeau en signe de défaite.

9. Un hochet de granit Joseph-Pétrus Borel d’Hauterive dit Pétrus Borel (1809-1859), poète et traducteur français, L’obélisque de Louqsor (pamphlet), 1836

« N’était-ce donc pas assez de détruire et de laisser détruire dans Paris, comme dans toute la France, les monuments que nous ont légués nos ancêtres ? N’était-ce donc pas assez d’avoir laissé abattre l’église Saint-Côme et Saint-Damien et la chapelle du collège de Cluny ? N’était-ce donc pas assez d’avoir laissé s’établir un mauvais lieu dans Saint-Benoît, d’avoir promis au marteau le collège de Montaigu, d’avoir soupiré après la démolition de la Sainte-Chapelle de Vincennes, d’avoir fait des jardinets et des rigoles en travers de la majestueuse composition de Le Nôtre, et d’avoir rapetassé les Tuileries ? N’était-ce donc pas assez d’avoir livré honteusement Bagatelle, et d’avoir fait du château de Saint-Germain, au nom de la liberté régnante, un cachot ? N’était-ce donc pas assez d’avoir rasé le manoir de Saint-Leu-Taverny, et d’en avoir vendu les pierres tachées de sang à qui en a voulu ? N’était ce donc pas assez de tous ces attentats ? Fallait-il encore que la dévastation étendit ses ravages jusqu’aux rives du Nil ?

Le devoir de l’homme est de s’opposer, par toutes les ressources de son génie, à l’anéantissement de ses travaux ; de contrebalancer, de retarder, de suspendre les opérations de la nature, qui ne sait donner l’existence à de nouveaux êtres qu’aux dépens de ceux qui l’ont précédés. La loi de l’homme est conservation ; la loi du temps est destruction. L’homme et le temps doivent donc être en lutte constante. Malheureusement le premier fait souvent abnégation de sa mission pour aider l’autre dans la sienne, et, comme lui, s’arme d’une faulx et d’une épée. Une fois entré dans cette voie, l’homme devient plus redoutable que le temps ; car les détériorations de celui-ci sont plus lentes ; rien ne le hâte, il a l’éternité devant lui.

Qu’on n’accuse pas les Vandales* et l’ignorance de destruction : les Vandales ne font pas la guerre aux monuments, l’ignorance est respectueuse. C’est au nom de la science et du progrès que la plupart de ces crimes sont consommés. C’est la science et non point l’ignorance, qui dit « - Ceci est gothique, ceci est barbare, renversez !... ». C’est la science qui parcourt l’univers, une pioche et une hache à la main ; qui va spoliant Thèbes de ses ruines imposantes qui, depuis tant de siècles, faisaient l’admiration du voyageur, dont elles élevaient l’âme et élargissaient l’esprit par la méditation. C’est la science qui va ravageant les nécropoles de la Thébaïde, démolissant les hypogées**, effondrant les sépulcres, criblant la poussière des tombeaux ; c’est la science, qui n’arrêtera ses profanations que lorsqu’elle aura nivelé aux sables des déserts les berceaux des civilisations primordiales. C’est la science qui a dépouillé et qui dépouille chaque jour Athènes de ses débris magnifiques ; qui lui arrache ses bas-reliefs et ses métopes ; qui lui dérobe ses statues ; qui emballe et expédie ses colonnes et ses portiques pour la terre du négoce, pour l’Angleterre, où ils vont s’engloutir dans les bosquets biscornus de quelque raffineur enrichi. C’est la science qui ne tardera pas à dépouiller l’Inde de ses monuments de la gloire moghole, qui ne tardera pas à dépecer le mausolée du Tadj Mahall, le palais d’Akbar, le Mouti-Mutjid, la perle des mosquées ; c’est la science qui laisse dépérir les mausolées d’Akbar et d’Ulla-Madoula, pour s’autoriser bientôt à les démanteler et à les charrier en Europe. Mon Dieu ! Quelle manie de prendre et de transporter ! Ne pouvez vous donc laisser à chaque latitude, à chaque zone sa gloire et ses ornements ? Ne pouvez vous donc rien contempler sur une plage lointaine, sans le convoiter et sans vouloir le soustraire ? Je ne serais pas surpris si l’on venait m’annoncer un jour que les Anglais ont pris la lune pour la mettre au musée de la Tour de Londres.

Croirez-vous avoir donné beaucoup d’éclats à votre nation, croirez-vous l’avoir fort rehaussée, quand vous aurez enfoui dans la vase de la Tamise, ou dans la boue de la Seine, l’œuvre de deux ou trois mille ans, les chefs d’œuvre de quinze ou vingt peuples ; quand vous aurez empilé dans vos carrefours et dans vos magasins, Romains sur Étrusques, Égyptiens sur Hindous, Italiens sur Arabes, Grecs sur Mexicains ? Chaque chose n’a de valeur qu’en son lieu propre, que sur son sol natal, que sous son ciel. Il y a une corrélation, une harmonie intime, entre les monuments et le pays qui les a érigés, qu’on ne saurait intervertir impunément. Il faut à la pyramide un ciel bleu, un sol chauve, l’horizontalité monotone du désert ; il faut la caravane qui passe à ses pieds ; il faut les cris d’une population éthiopienne qui s’émeut, ou il faut la solitude et les hurlements du chacal. Il faut aux sphinx de granit les longues avenues des temples des pharaons ; il faut, ou ces hordes bizarres qui s’entretuèrent à leur ombre, ou les ruines silencieuses de Karnac. Il faut aux obélisques les pylônes du temple, il faut le culte du soleil, il faut l’idolâtrie de la multitude ou il faut le désert. Ces monuments qui versent tant de sublime poésie sur les sables arides des Sahara, qui proclament la grandeur, la puissance, le génie des races passées, traînés dans le sein de nos villes, deviennent mornes, muets, stupides comme elles. La belle tournure que vous aurait un sphinx dans une impasse, entre un cordonnier et un estaminet*** ! Le bel effet que celui d’un obélisque se profilant sur un hôtel garni, entre un corps de garde et une marchande de tisane ! Hélas ! Nonobstant toutes ces raisons et beaucoup d’autres, voici la France qui se met aussi de la partie pour faire la traite des monuments, et qui s’en met à toute outrance. Elle vient, le fait est notoire, le fait est scandaleux, d’importer un monolithe arraché aux ruines de Louxor. Pauvre France ! Combien elle est heureuse maintenant qu’elle possède un obélisque ! Quelle gloire ! Réjouis-t-en bien longtemps, ma patrie ! L’enfant qui secoue son hochet oublie ses chagrins : puisse ce hochet de granit assoupir tes douleurs, et verser du baumes sur tes plaies. […] »

* Peuple germanique d’origine scandinave ayant envahit la Gaule en 407 puis l’Espagne et l’Afrique du Nord. **Tombeaux souterrains. ***Café.

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10. Une carrière d’obélisques Eusèbe de Salles (1796-1873), enseignant et traducteur français, Pérégrinations en Orient. Voyage pittoresque, historique et politique, 1840

« Les carrières de granit, un peu encombrées de sable et d’éclats, offrent des traces curieuses du travail des outils antiques ; le travail d’un coin semblable au notre y est aussi reconnaissable. Le grand obélisque, dégrossi et séparé de trois côtés, est incliné de 30° à l’horizon ; le pyramidion en est très nettement indiqué ; debout et écarri*, il aurait eu au moins la taille de celui de Karnak, qui est plus long même que l’aiguille de Saint-Jean de Latran. Comment voiturait-on ces masses de la carrière à la rivière, qui en parait séparée par des collines. Un canal, s’il y eu eut, n’a pas laissé de traces : une berge assez haute aurait dû être tranchée dans le granit, qui est recouvert de sable et de décombres. M. Lebas a pensé qu’un plan incliné était ménagé de la carrière au Nil ; c’est précisément ainsi que cet ingénieur fit cheminer l’obélisque de Louxor jusqu’au navire qui le reçut. […] La mécanique moderne a porté plus vite et plus loin des masses que les Égyptiens et les Romains remuèrent avec des moyens plus patients et probablement plus compliqués. Pour ériger ces masses, on bâtit des terrassements qui servent de point d’appui et qu’on monte comme un échafaudage solide jusqu’à la hauteur du monolithe dressé. Diodore de Sicile a attribué aux Égyptiens quelque chose de pareil en parlant de montagnes de sable qu’on accumulait autour des obélisques. »

* Coupé en carré.

11. Le choix du site parisien Sous la direction d’Édouard Charton (1807-1890), journaliste français et directeur de publication, Le Magasin pittoresque (périodique), 1838

« Nous voilà donc en possession du monument légué par le grand Sésostris* à la postérité. Où le mettrons nous ? Le capitaine de l’expédition, M. de Verninac Saint-Maur, et le lieutenant Joannis, qui ont chacun publié une relation du voyage, demandaient qu’on assignat à l‘Obélisque le centre de la cour carrée du Louvre : cet avis n’a point prévalu. Malgré de graves objections soulevées par les artistes, on s’est décidé à l’établir au centre de la place de la Concorde, où il coupe en deux la vue de l’Arc de triomphe, de la Madeleine, de la Chambre des députés, du grand pavillon des Tuileries. Nous le croyons cependant encore mieux placé là qu’au Louvre, car il faut de l’air et de l’espace à cette pierre vénérable. Mais si la dépense n’eût point dû empêcher d’aller chercher la seconde, qui reste toute seule à la porte du temple de Louxor, il nous semble qu’il eut été fort bien de placer les deux aiguilles aux coins des Champs-Élysées, à l’entrée de la place Louis XV. Deux pyramides dans cette position ne masqueraient aucun monument ; et vues des Tuileries, elles paraîtraient dépendre de l’Arc de l’Etoile, dont elles formeraient en quelque sorte un complément de décoration. »

* Nom de quatre pharaons des 12ème et 13ème dynasties (de 1964 à 1854 avant Jésus-Christ).

12. Un événement national Jean-Baptiste Apollinaire Lebas (1797-1873), ingénieur de l’expédition, L’obélisque de Luxor. Histoire de sa translation, 1839

« M. Thiers, qui accordait aux arts et aux sciences une protection éclairée, était alors ministre du Commerce et des Travaux publics ; arrivé à Paris, l’obélisque rentrait dans les attributions de son département, et ma mission se trouvait ainsi terminée ; mais le ministre jugea que l’honneur d’ériger ce monument devait appartenir à celui qui l’avait abattu et embarqué à bord du Luxor, dans les sables de la Thébaïde* ; c’était justice. […] Le centre de la place de la Concorde, successivement occupé par divers monuments, avait été, sous la Restauration, affecté à l’Apothéose de Louis XVI. Après la Révolution de 1830, on eut l’idée d’y substituer un des trophées de Sésostris, qui s’acheminait vers la capitale à travers le vaste Océan. Le bas de la rampe droite du pont de la Concorde, étant le point le plus voisin de la place, fut choisi pour y échouer le Luxor. On procéda immédiatement à l’extraction des déblais qui encombraient cette partie de la berge ; pendant ce temps, les charpentiers travaillaient à la préparation de la cale en bois. […] Son niveau devait être calculé de manière que le Luxor pût flotter par-dessus, lorsque la profondeur du fleuve permettrait de faire remonter ce navire de Rouen à Paris. Le sol régalé jusqu’au raz de l’étiage, on se proposait de le dresser suivant la pente de la rampe ; mais les retards occasionnés par la coalition que formaient alors les charpentiers pour obtenir une hausse de salaires, empêcha de lui donner cette inclinaison. Pendant la suspension des travaux, la Seine monta de plusieurs pieds, il ne fallut plus songer à creuser un terrain inondé, encore moins à poser la charpente à sec. Des ouvriers, plongés dans l’eau jusqu’aux aisselles, assemblèrent toutes les parties de la cale sur un radeau de plat-bord, soutenu de distance en distance par des cordes fixées sur des pieux ; puis on remplit avec des cailloux les vides ménagés […] C’est là que vint se placer le Luxor le 23 décembre 1833. La cale terminée en octobre, mon premier soin fut de dresser le plan général des lieux sur lesquels nous devions opérer, et de combiner les moyens que je me proposais d’employer pour débarquer, haler l’obélisque, et le poser sur sa base. […] Les travaux à exécuter étaient de deux sortes : il s’agissait d’abord de conduire l’obélisque au sommet du piédestal, sans changer son inclinaison, puis de lui faire décrire, en élévation, un quart de cercle pour le dresser sur le lit de pose dont les dimensions étaient exactement les mêmes que celles de la base du monolithe.

Quatrième déplacement du monolithe Dans ces diverses manœuvres, on avait fait usage de quatre cabestans et de deux béliers qui frappaient à l’arrière du ber** ; mais pour le monter sur le viaduc et l’élever sur son piédestal, il avait été arrêté que la force motrice serait fournie par une machine à vapeur. Nulle occasion ne pouvait s’offrir plus brillante et plus solennelle, de faire éclater aux yeux de tout un peuple assemblé, la puissance de ce merveilleux agent [la vapeur]. C’eût été un spectacle bien imposant que de voir un fardeau de 500 milliers s’élever majestueusement dans l’espace, sans le secours d’aucune force animale, et se dresser sur sa base à l’aide d’une des plus puissantes interventions des temps modernes, la seule peut-être dont l’antiquité ne soit pas fondée à réclamer la priorité ; malheureusement l’avarie survenue à la machine, pendant qu’on en faisait l’essai pour imprimer quelques mouvements à l’obélisque, força de renoncer à l’emploi de ce moteur ; il fallut immédiatement prendre d’autres mesures, établir d’autres points fixes ; etc., etc. ; avoir recours enfin au même système de halage pour lequel rien n’avait été prévu. Il importait cependant que ces travaux préparatoires fussent exécutés avec la plus grande promptitude. La saison avançait, le moindre retard aurait obligé de renvoyer l’opération à l’année suivante ; aussi trois jours après, l’appareil était-il prêt à fonctionner. […]

* Province romaine du Bas Empire en Égypte (capitale : Thèbes). ** Charpente soutenant un navire pendant sa construction ou sa réparation.

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Jean-Baptiste Apollinaire Lebas (1797-1873), ingénieur de l’expédition, L’obélisque de Luxor. Histoire de sa translation, 1839 (suite)

Passons au calcul des forces et de la résistance. Le poids de l’obélisque est évalué à 250 kg ; pendant toute la durée de la rotation, il reposera sur le piédestal, une partie du poids sera donc supportée par ce point d’appui ; le reste qui constitue la résistance à vaincre, dépend évidemment de son inclinaison et de l’angle sous lequel il sera tiré par le collier de haubans*. Il résulte des dispositions prises que pour surmonter cette résistance, il sera nécessaire de transmettre aux haubans des tensions successives, représentées par 124,000k - 121,800k - 120,000k - 114,000k - 100,000k - 76,000k - 42,400k, à l’instant où la verticale du centre de gravité de la masse, coïncidera avec les points de l’espace 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7. Ces tensions, en raison des angles que forme la direction des cordages avec le plan du chevalet, correspondent pour les mêmes positions, à une traction des apparaux, mesurée par 104,000k - 89,600k - 88,000k - 86,200k - 80,000k - 66,000k - 38,000k. Ainsi l’effort que les moteurs [humains] auront à développer, ne sera que de 104 kg, et il ira graduellement en diminuant. Chaque cabestan est mû par quarante-huit artilleurs ; en évaluant la force d’un homme à 12 kg, les dix cabestans réunis tireront la moise** supérieure du chevalet, comme le feraient 115 kg, ce qui dépasse le maximum d’effort de 11 kg ; comme un homme vigoureux peut exercer une action de 15 kg et même de 20 kg au lieu de 12 kg que j’ai supposés, il s’ensuit qu’à la rigueur trois cents hommes auraient pu suffire à l’opération. […]

Érection de l’obélisque Le 25 octobre, dès le matin, plus de deux cent mille spectateurs répandus sur la place de la Concorde, à toutes les issues, sur les terrasses des Tuileries, dans l’avenue des Champs-Élysées, attendaient avec une avide curiosité l’érection de l’obélisque. Depuis huit jours elle était annoncée, et il semblait que toute la population parisienne voulût assister au dernier acte du drame commencé, trois ans auparavant, sur les ruines de la Thébaïde. Ce drame pouvait ne pas être exempt d’une terrible péripétie ; car un ordre mal compris, un amarrage mal fait, une pièce de bois viciée, un boulon tordu ou cassé, un frottement ou une résistance mal appréciés, enfin mille accidents imprévus pouvaient amener une catastrophe épouvantable : l’obélisque brisé, des millions perdus ; et plus de cent ouvriers infailliblement écrasés par la chute de l’appareil. Telles étaient les conséquences qu’aurait eues l’insuccès de cette opération. C’était assez sans doute pour inquiéter l’esprit le plus ferme ; et, malgré la sécurité que m’inspiraient les moyens d’exécution, j’avoue que je ne pouvais, sans une sorte d’anxiété, penser à la grave responsabilité qui pesait sur moi… […] A onze heures et demi, les artilleurs commencent au son du clairon leur marche circulaire et cadencée. […] À midi, le roi, la reine et la famille royale se montrent à l’Hôtel du ministère de la Marine, et viennent se placer au balcon qui avait été richement décoré et disposé pour les recevoir. Des vivats saluent l’arrivée de leurs majestés. Pendant cet intervalle, le monolithe avait parcouru un arc d’environ 38°. Il était tout près du point, où la pression exercée sur la charnière et dont l’intensité avait augmenté graduellement avec l’inclinaison du monolithe, allait atteindre son maximum, pour diminuer ensuite en raison de l’arc décrit par le centre de gravité. Monté sur l’acrotère*** d’où je pouvais suivre de l’œil toutes les manœuvres, j’éprouvais, depuis quelques secondes, un mouvement de trépidation que j’attribuai d’abord à une allusion causée par le déplacement des objets environnants ; mais à cet instant précis, le mouvement vibratoire devint assez prononcé, pour me donner la certitude qu’il était produit par l’ébranlement du bloc sur lequel j’étais placé. Cette découverte n’était rien moins que rassurante, lorsqu’un craquement, causé par le resserrement des bois, se fit entendre. Aussitôt je donnai le signal d’arrêter, afin de chercher la cause de ce bruit et d’examiner une à une toutes les parties du point d’appui. « Rien n’a bougé, s’écrie M. Lepage, inspecteur des travaux, vous pouvez continuer. » […] L’ordre, l’harmonie, l’attention la plus soutenue continuèrent de présider à l’opération, et personne ne songea un seul instant à quitter son poste. Je repris immédiatement le mien sur l’acrotère, et la manœuvre recommença. […] Tout étant disposé pour cette opération importante, la marche des cabestans fut réglée ainsi qu’il suit : on fit faire d’abord trois tours, ensuite deux, puis un, puis un demi, etc., etc., jusqu’au moment où le point d’équilibre étant dépassé, on vit les chaînes se tendre et les palans se roidir. C’est alors qu’en filant peu à peu et avec beaucoup de mesure les chefs des palans, on a, par degrés, lâché les câbles, et l’obélisque qui, cinq ans auparavant, descendait de la base où il avait reposé trente-trois siècles, est venu se placer lentement et sans secousse sur le rocher breton qui formait son nouveau piédestal. […] Pendant que je traversais la place de la Concorde pour me rendre au ministère de la Marine où le roi m’avait fait appeler, quatre de nos braves avaient déjà gravi sur le sommet de l’obélisque, et y attachaient des drapeaux tricolores et des branches de laurier. Les milliers de témoins qui assistèrent à cette scène, savent avec quel enthousiasme électrique ce signal fut accueilli par la multitude ; surtout lorsque le chef vénéré de la grande nation, le roi Louis-Philippe, se découvrit pour saluer ces glorieuses couleurs que, trente-sept ans auparavant, l’armée française avait arborées, en battant des mains, sur les ruines de la Thébaïde. »

* Cordages. ** Pièce de bois servant à enserrer d’autres pièces. *** Partie supérieure du socle.

13. Un pyramidion contesté Jacques Hittorff (1792-1867), architecte chargé de l’aménagement de la place de la Concorde, Précis sur les pyramidions en bronze doré employés par les anciens Égyptiens…, 1836

« Engagé par plusieurs savants et artistes à réunir en un précis les raisons qui m’ont fait proposer le parti de restituer le sommet de l’obélisque de Louxor, au moyen d’un pyramidion en bronze doré, j’ai cru d’autant plus convenable de me livrer à ce travail, que de nombreuses discussions et controverses s’étant élevées à ce sujet, il s’agit d’éclaircir un point d’archéologie intéressant, et de répandre la connaissance de faits généralement ignorés sur l’emploi que les anciens ont fait du bronze doré pour cet objet, emploi dont il n’a été question dans aucun des nombreux écrits auxquels le monolithe a donné lieu. En examinant avec attention le pyramidion de l’obélisque de Louxor, on peut douter que l’état d’imperfection dans lequel il se trouve ne soit originaire, et que jamais ce monolithe n’a été terminé par un pyramidion complet en granit, comme le sont plusieurs obélisques de l’Égypte et de Rome. Il y a donc ici une exception à la règle générale. […] L’obélisque de Louxor, par sa nouvelle destination et l’emplacement qu’il occupe ne pouvait pas plus à Paris qu’à Thèbes rester dans son état d’imperfection, et la restitution de son pyramidion ayant été regardée comme indispensable, il ne s’agissait plus que de chercher à la faire coïncider le plus possible avec la restitution qui avait été adaptée dans l’origine. Pour cela il fallait avant tout laisser subsister ce qui existait et n’ajouter que ce qu’il avait été matériellement possible d’ajouter dans le principe. [...] Le choix de cette matière dut paraître d’autant moins hasardé, que des personnes de l’équipage du Luxor, à ma première visite sur ce bâtiment, me dirent avoir vu dans l’intérieur du palais, au-devant duquel le monolithe était élevé, la représentation figurée d’un obélisque avec un pyramidion peint en jaune. […] La demande de dorure me semblait suffisamment fondée, surtout lorsque d’autres considérations venaient encore à l’appui : ces considérations étaient que l’obélisque de Louxor élevé non pas dans un musée d’antiquités, mais au centre de la place de la Concorde, y figure non seulement comme un monument des plus intéressants par son ancienneté, mais encore comme un objet d’embellissement qui doit participer à la décoration de ce magnifique emplacement. Pour atteindre ce double but, il ne doit pas y être employé comme un objet de curiosité dans son état de mutilation, quelque précieux qu’il puisse être, mais bien comme un monument complet ou complété et en harmonie avec ce qui l’entoure. L’obélisque, surmonté d’un pyramidion en bronze doré, aurait offert cette harmonie avec les vingt colonnes rostrales qui doivent l’accompagner. Au milieu de ces dernières dont les boules et les chapiteaux seront enrichis de dorure, le pyramidion aurait fait briller au loin l’éclat de ses surfaces ; entièrement d’accord avec l’ensemble de la décoration, le monolithe de Louxor aurait été l’objet principal, aussi bien par son aspect de magnificence que par sa masse imposante. »

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14. Que dit l’obélisque ? François Chabas (1817-1882), égyptologue français, Traduction complète des inscriptions hiéroglyphiques de l’obélisque de Louqsor, place de la Concorde à Paris, 1868 L’égyptologue Bernadette Menu propose une traduction plus récente dans son ouvrage sur l’obélisque (voir Bibliographie p. 5). « Face Nord. Côté de la Madeleine. Ramsès II agenouillé offre deux vases de vin à Amon-Rê. Cartouche [du pharaon] : Le maître des deux mondes, seigneur des diadèmes. Le dieu dit au roi : Je te donne la santé parfaite. Je te donne la vie, la stabilité et le bonheur parfaits.

Colonne à gauche du spectateur. L’Horus-Soleil, taureau fort, le plus fort (des forts), qui combat avec son glaive, le roi aux grands rugissements, le maître de la terreur, dont la valeur frappe la terre entière, le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil, celui dont la domination est deux fois chérie comme celle du dieu qui habite Thèbes, le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil. Le vivificateur.

Colonne médiale. L’Horus-Soleil, taureau fort du Soleil, qui a frappé les barbares. Seigneur des diadèmes, qui combat contre des millions, lion magnanime, épervier d’or, le plus fort sur la terre entière, taureau sur sa limite [frontière], qui oblige la terre entière à venir en sa présence, par la volonté d’Amon, son père auguste. Il a fait (l’obélisque) le fils du Soleil. Vivant éternellement.

Colonne à droite du spectateur. L’Horus-Soleil, taureau fort, le grand des fêtes triacontaérides, qui aime les deux mondes [Basse et Haute Égypte], roi fort de glaive, qui s’est emparé des deux mondes, chef suprême dont la royauté est grande comme celle du dieu Atoum, le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil, les chefs du monde entier sont sous ses pieds, le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil. Vivificateur.

Face Est. Côté Tuileries. Même offrande. Cartouche : Le dieu bon, maître des deux mondes, fils du Soleil, seigneur des diadèmes, vivificateur comme le soleil. Amon-Rê, roi des dieux, dit : Je te donne la vie, la stabilité et le bonheur parfaits. Je te donne la santé parfaite.

Colonne à gauche du spectateur. L’Horus-Soleil, taureau fort, fils d’Amon, combien multipliés sont tes monuments ! le très fort, fils aimé du Soleil, sur son trône, le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil, qui a élevé la demeure d’Amon, comme l’horizon céleste, par ses grands monuments pour l’éternité, le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil. Vivificateur.

Colonne médiale. L’Horus-Soleil, taureau fort, combattant avec son glaive, le seigneur des diadèmes, qui abat ce qui l’approche, qui s’empare des extrémités du monde, épervier d’or, très-terrible, disposant de la vaillance, le roi de la Haute et de la Basse Égypte ; viens, ô fils divin, vers ton père Amon, toi qui fais être en allégresse le Temple de l’âme et les dieux du Grand Temple en joie. Il a fait (l’obélisque) le fils du Soleil. Vivant éternellement.

Colonne à droite du spectateur. L’Horus-Soleil, taureau fort, l’aimé de la déesse vérité. Roi doublement chéri comme le dieu Atoum, chef suprême, délices d’Amon-Rê pour les siècles ; le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil : ce qu’est le Ciel, tel est ton monument ; ton nom sera permanent comme le ciel. Le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil. Vivificateur.

Face Ouest. Côté des Champs-Élysées. Même offrande. Cartouche : Le dieu bon, maître des deux mondes, fils du Soleil, seigneur des diadèmes, vivificateur comme le Soleil éternellement. Amon-Rê, seigneur des trônes du monde, dit : Je te donne la santé parfaite. Je te donne la joie parfaite.

Colonne à gauche du spectateur. L’Horus-Soleil, taureau fort, riche en vaillance, roi puissant par le glaive, qui s’est rendu maître de la terre entière par sa force ; le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil ; tous les pays de la terre viennent à lui avec leurs tributs. Le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil. Vivificateur.

Colonne médiale. L’Horus-Soleil, taureau fort, l’aimé de la déesse vérité. Seigneur des diadèmes, qui prend soin de l’Égypte et châtie les nations, épervier d’or, dominateur des armées, le très-fort, le roi de la Haute et de la Basse Égypte, roi des rois, issu d’Atoum ; un de corps avec lui pour exercer sa royauté sur la terre pour les siècles, et pour rendre heureuse la demeure d’Amon par des bienfaits. Il a fait (l’obélisque) le fils du Soleil. Vivant éternellement.

Colonne à droite du spectateur. L’Horus-Soleil, taureau fort, l’aimé du Soleil, roi très-funeste (à ses ennemis) ; la terre entière tremble par ses terreurs ; le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil, fils de Montou, que Montou a formé de ses mains ; le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil. Vivificateur.

Face Sud. Côté du Palais Législatif [Côté Seine] Offrande de l’eau. Cartouche : Le dieu bon, fils du Soleil, qui donne la vie, la stabilité et le bonheur comme le Soleil. Amon-Rê lui dit (au roi) : Je te donne la joie parfaite.

Colonne à gauche du spectateur. L’Horus-Soleil, taureau fort, l’aimé de la déesse vérité. Le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil, rejeton du Soleil, protégé d’Harmachis, semence illustre, œuf précieux de l’Œil sacré, émanation du roi des dieux, pour (être) seul seigneur possédant le monde entier ; le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil. Vivificateur éternel.

Colonne médiale. L’Horus-Soleil, taureau fort, très valeureux. Le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils aîné du roi des dieux, qui l’a élevé sur son trône, sur la terre, comme seigneur unique possédant le monde entier. Il le connaît en ce qu’il (le roi) lui a rendu hommage en amenant à perfection sa Demeure des Millions d’années, marque de la préférence qu’il a eue dans l’Ap méridional [Thèbes] pour son père, celui-ci le préférera pour des millions d’années. Il a fait (l’obélisque) le fils du Soleil. Vivificateur, éternel comme le Soleil.

Colonne à droite du spectateur. L’Horus-Soleil, taureau fort, aimé du Soleil, le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil, roi excellent, belliqueux, vigilant pour rechercher les faveurs de celui qui l’a procréé [Amon Rê], Ton nom est permanent comme le ciel ; la durée de ta vie est comme le disque solaire sur lui (le ciel). Le roi de la Haute et de la Basse Égypte, fils du Soleil. Vivificateur éternel comme le Soleil. » 13

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15. Les frères séparés Théophile Gautier (1811-1872), écrivain, poète et critique d’art français, Émaux et camées [poèmes parnassiens], 1852 L’Obélisque de Paris

Sur cette place je m'ennuie, Obélisque dépareillé ; Neige, givre, bruine et pluie Glacent mon flanc déjà rouillé ; Et ma vieille aiguille, rougie Aux fournaises d'un ciel de feu, Prend des pâleurs de nostalgie Dans cet air qui n'est jamais bleu. Devant les colosses moroses Et les pylônes de Luxor, Près de mon frère aux teintes roses Que ne suis-je debout encor, Plongeant dans l'azur immuable Mon pyramidion vermeil Et de mon ombre, sur le sable, Écrivant les pas du soleil ! Ramsès, un jour mon bloc superbe, Où l'éternité s'ébréchait, Roula fauché comme un brin d'herbe, Et Paris s'en fit un hochet. La sentinelle granitique, Gardienne des énormités, Se dresse entre un faux temple antique* Et la chambre des députés.

Sur l'échafaud de Louis seize, Monolithe au sens aboli, On a mis mon secret, qui pèse Le poids de cinq mille ans d'oubli. Les moineaux francs souillent ma tête, Où s'abattaient dans leur essor L'ibis rose et le gypaète** Au blanc plumage, aux serres d'or. La Seine, noir égout des rues, Fleuve immonde fait de ruisseaux, Salit mon pied, que dans ses crues Baisait le Nil, père des eaux, Le Nil, géant à barbe blanche Coiffé de lotus et de joncs, Versant de son urne qui penche Des crocodiles pour goujons ! Les chars d'or étoilés de nacre Des grands pharaons d'autrefois Rasaient mon bloc heurté du fiacre Emportant le dernier des rois. Jadis, devant ma pierre antique, Le pschent au front, les prêtres saints Promenaient la bari*** mystique Aux emblèmes dorés et peints ;

Mais aujourd'hui, pilier profane Entre deux fontaines campé, Je vois passer la courtisane Se renversant dans son coupé. Je vois, de janvier à décembre, La procession des bourgeois, Les Solons**** qui vont à la chambre, Et les Arthurs qui vont au bois. Oh ! dans cent ans quels laids squelettes Fera ce peuple impie et fou, Qui se couche sans bandelettes Dans des cercueils que ferme un clou, Et n'a pas même d'hypogées A l'abri des corruptions, Dortoirs où, par siècles rangées, Plongent les générations ! Sol sacré des hiéroglyphes Et des secrets sacerdotaux, Où les sphinx s'aiguisent les griffes Sur les angles des piédestaux ; Où sous le pied sonne la crypte, Où l'épervier couve son nid, Je te pleure, ô ma vieille Égypte, Avec des larmes de granit !

*Eglise de la Madeleine. **Vautour. ***Barque sacrée. ****Solon (640-558 avant Jésus-Christ) est un homme politique et un législateur athénien. L’Obélisque de Luxor

Je veille, unique sentinelle De ce grand palais dévasté, Dans la solitude éternelle, En face de l'immensité. À l'horizon que rien ne borne*, Stérile, muet, infini, Le désert sous le soleil morne, Déroule son linceul jauni. Au-dessus de la terre nue, Le ciel, autre désert d'azur, Où jamais ne flotte une nue, S'étale implacablement pur. Le Nil, dont l'eau morte s'étame D'une pellicule de plomb, Luit, ridé par l'hippopotame, Sous un jour mat tombant d'aplomb ; Et les crocodiles rapaces, Sur le sable en feu des îlots, Demi cuits dans leurs carapaces, Se pâment avec des sanglots. Immobile sur son pied grêle, L'ibis, le bec dans son jabot, Déchiffre au bout de quelque stèle Le cartouche sacré de Thot.

L'hyène rit, le chacal miaule, Et, traçant des cercles dans l'air, L'épervier affamé piaule, Noire virgule du ciel clair. Mais ces bruits de solitude Sont couverts par le bâillement Des sphinx, lassés de l'attitude Qu'ils gardent immuablement. Produit des blancs reflets du sable Et du soleil toujours brillant, Nul ennui ne t'est comparable, Spleen lumineux de l'Orient ! C'est toi qui faisais crier : grâce ! À la satiété des rois Tombant vaincus sur leur terrasse, Et tu m'écrases de ton poids. Ici jamais le vent n'essuie Une larme à l'oeil sec des cieux. Et le temps fatigué s'appuie Sur les palais silencieux. Pas un accident ne dérange La face de l'éternité ; L'Égypte, en ce monde où tout change, Trône sur l'immobilité.

Pour compagnons et pour amies, Quand l'ennui me prend par accès, J'ai les fellahs** et les momies Contemporaines de Ramsès ; Je regarde un pilier qui penche, Un vieux colosse sans profil Et les canges*** à voile blanche Montant ou descendant le Nil. Que je voudrais comme mon frère, Dans ce grand Paris transporté, Auprès de lui, pour me distraire, Sur une place être planté ! Là-bas, il voit à ses sculptures S'arrêter un peuple vivant, Hiératiques écritures, Que l'idée épelle en rêvant. Les fontaines juxtaposées Sur la poudre de son granit Jettent leurs brumes irisées ; Il est vermeil, il rajeunit ! Des veines roses de Syène, Comme moi cependant il sort, Mais je reste à ma place ancienne : Il est vivant et je suis mort

* Limite. ** Travailleur agricole en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, en Égypte et en Syrie en particulier. ***Bateaux légers, étroits et rapides.

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16. Les ruines du temple Gustave Flaubert (1821-1880), écrivain français, Voyage en Égypte [notes], 1851 Natif de Rouen, Flaubert assiste le 14 septembre 1833 au passage du Luxor sur la Seine. Il a alors douze ans. Seize ans plus tard, il visite l’Orient qui le faisait tant rêver au collège. « Arrivée à Louxor : Nous sommes arrivés à Louxor le lundi 30 avril, à huit heures et demie du soir ; la lune se levait. [Nous descendons à terre. Le Nil est bas, et un assez long espace de sable s’étend du Nil au village de Louxor ; nous sommes obligés de monter sur la berge pour voir quelque chose. Sur la berge, un petit homme nous aborde et se propose à nous comme guide, nous lui demandons s’il parle italien : Si, signor, multo bene. La masse des pylônes et des colonnades se détache dans l’ombre, la lune qui vient de se lever derrière la double colonnade semble rester à l’horizon, basse et ronde, sans bouger, exprès pour nous, et pour mieux éclairer la grande étendue plate de l’horizon. Nous errons au milieu des ruines, qui nous semblent immenses, les chiens aboient furieusement de tous les côtés, nous marchons avec des pierres ou des briques à la main.] Par derrière Louxor et du côté de Karnak, la grande plaine a l’air d’un océan ; la maison de France éclate de blancheur à la lune, [comme nos chemises de Nubien ; l’air est chaud, le ciel ruisselle d’étoiles ; elles affectent ce soir la forme de demi-cercles, comme seraient des moitiés de colliers de diamants, dont çà et là manqueraient quelques-uns. Triste misère du langage ! Comparer des étoiles à des diamants !]

Louxor : Le lendemain, mardi, nous visitons Louxor. Le village peut se diviser en deux parties, divisées par les deux pylônes : la partie moderne, à gauche, ne contient rien d’antique, tandis qu’à droite les maisons sont sur, dans, et avec les ruines. Les maisons habitent parmi les chapiteaux des colonnes, les poules et les pigeons huchent, nichent dans les grandes feuilles de lotus ; des murs en briques crues ou en limon forment la séparation d’une maison à une autre, les chiens courent sur les murs en aboyant. Ainsi s’agite une petite ville dans les débris d’une grande. Il y a trois colonnades, deux de petites colonnes, une de grosses ; les grosses ont des chapiteaux-champignons, les petites ont des chapiteaux-lotus non épanouis.

Pylônes*. – La corniche des pylônes a été brisée, elle subsiste seulement dans la partie interne de la porte. Des deux côtés de la porte, deux colosses enfouis jusqu’à la poitrine ; les épaules du colosse de gauche sont la seule chose d’eux qui soit intacte ; ils devaient être d’un très beau travail à en juger par les bandelettes et les oreilles. Un troisième colosse, sur le pylône de droite, est complètement enfoui ; on n’en voit plus que le bonnet de granit poli qui brille au soleil comme une pipe de porcelaine allemande. En face des pylônes, sur les maisons qui font vis-à-vis, pigeonniers ; les pigeons s’envolent et vont battre des ailes au sommet des pylônes. Sur le pylône de gauche on voit une bataille : les chars sont alignés, c’est-à-dire échelonnés les uns sur les autres, par défaut de perspective ; tous les chevaux sont cabrés ; pêle-mêle de gens et de chevaux tombant les uns sur les autres ; le roi (grande stature) est debout sur un char à deux chevaux, et tire de l’arc, derrière lui un flabellifère ; il est au milieu de la bataille ; plus loin sont des gens dans une grande barque, debout. Un homme debout (stature moyenne) sur son char, conduisant les mains très en avant, chic anglais. Sur le pylône de droite on voit vaguement des chars et des guerriers ; un homme (de grande stature), assis, semble recevoir des captifs. Le pylône de gauche représentait la bataille et celui de droite le triomphe. [C’est contre le pylône de gauche que se trouve l’obélisque, dans un état parfait de conservation. Une chierie blanche d’oiseaux tombe d’en haut et s’épate par le bas comme une coulée de plâtre ; c’est par la merde des oiseaux que la nature proteste en Égypte, c’est là tout ce qu’elle fait pour la décoration des monuments, ça remplace le lichen et la mousse. L’obélisque qui est à Paris se trouvait contre le pylône de droite. Huché sur son piédestal, comme il doit s’embêter là-bas, sur la place de la Concorde, et regretter son Nil ! Que pense-t-il en voyant tourner autour de lui les cabriolets de régie, au lieu des anciens chars qui passaient jadis au niveau de sa base ?]

* Porte monumentale du temple.

17. Une étrange disparition Pierre Boulle (1912-1994), écrivain français, L’enlèvement de l’obélisque - Nouvelles étranges et inédites, œuvre posthume, 2007 « Un fait unique dans les annales de la ville de Paris s’est produit aujourd’hui. Le Quotidien, le mieux renseigné des journaux de la capitale, se fait un devoir d’informer ses lecteurs de cet événement sensationnel. L’obélisque de Louxor, le plus bel ornement de la plus belle place de notre ville a disparu, et cette disparition reste un mystère angoissant. Ce matin, vers dix heures, M. W. H. Duncan, touriste londonien de passage à Paris, se promenait dans nos rues, un guide à la main, sans autre but que de s’emplir les yeux du spectacle inoubliable de nos monuments. Descendant l’avenue des Champs-Élysées, après avoir admiré l’Arc de Triomphe et les deux palais, Duncan arriva place de la Concorde et là s’arrêta indécis. Pendant plusieurs minutes, il contempla l’étendue de la place, d’abord avec curiosité, puis avec étonnement. Plusieurs fois, son regard erra de la chaussée à son guide, puis aux ministères, puis aux statues du pourtour ; ensuite il se mit à feuilleter nerveusement son livre. Non satisfait, il fit deux fois le tour complet de la place, s’arrêtant à chaque instant et recommençant le même manège. À la fin, n’y tenant plus, s’apprêtait à remonter l’avenue. « Look here, monsieur l’agent, pouvez-vous m’indiquer où se trouve cet damned obélisque of yours qui est écrit dans le livre ? » L’agent de police Moutard regarda longuement l’insulaire, d’abord avec soupçon, puis avec une pitié un peu méprisante ; enfin, du doigt, sans se retourner, il indiqua la direction du monument et continua son chemin à lentes enjambées. Mais déjà W. H. Duncan l’avait rejoint et, avec une nervosité rare chez un Anglais, il l’interpellait à nouveau : « Je demande où se trouve l’Obélisque, le grand obélisque de Louxor écrit dans le livre. » L’agent fronça les sourcils ; se trouvait-il devant un mauvais plaisant ou un homme ivre ? Mais la colère du Britannique semblait sincère. « Là, je dis là, en face de vous. » dit l’agent Moutard en se retournant et en pointant devant lui son bâton blanc. « Là… » Il n’acheva pas sa phrase. Il resta immobile comme pétrifié, dans une position ridicule, le bras tendu cependant que la file de voitures descendant l’avenue, croyant à quelque signal impératif, se dirigeait en foule vers la rue Royale. L’Obélisque avait disparu. La nouvelle s’est répandue dans Paris au cours de la matinée et des centaines de personnes commencent à se masser place de la Concorde, contemplant l’emplacement vide où s’élevait autrefois ce monument millénaire. La police alertée a déjà effectué de nombreuses perquisitions, mais aucune trace n’a été trouvée. »

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Chronologie du voyage

Date

Evénement 15 avril 1831 Départ du Luxor de Toulon (France) 3 mai 1831 Arrivée du Luxor à Alexandrie (Égypte) 21 juin 1831 Arrivée à Rosette. Attente de la crue du Nil 14 août 1831 Arrivée à Louxor après la remontée du Nil (750 km) 31 octobre 1831 Abattage de l’obélisque 16 novembre 1831 Début du halage de l’obélisque vers le Luxor 19 décembre 1831 Chargement de l’obélisque à bord du Luxor 18 août 1832 Remise à l’eau du Luxor après l’attente de la crue du Nil 25 août 1832 Départ de Louxor et descente du Nil 2 octobre 1832 Arrivée à Rosette. Attente de la crue du Nil 1er janvier 1833 Départ de Rosette. Passage périlleux de la barre du Nil 2 janvier 1833 Arrivée à Alexandrie. Attente du printemps pour éviter les tempêtes hivernales 1er avril 1833 Départ d’Alexandrie. Le Luxor est remorqué par le Sphinx 6 avril 1833 Escale à Rhodes pour se mettre à l’abri d’une tempête 23 avril 1833 Escale à Corfou pour se ravitailler en charbon 10 mai-22 juin 1833 Escale à Toulon pour carénage des navires et mise en quarantaine de l’équipage 30 juin, 12 juillet 1833 Escales à Gibraltar (Royaume-Uni), au Cap Saint-Vincent (Portugal) 20 juillet-5 août 1833 Escale à la Corogne (Espagne) suite à de mauvaises conditions climatiques en Atlantique 12 août 1833 Arrivée à Cherbourg 2 septembre 1833 Visite à bord du roi Louis-Philippe et du ministre de la Marine 12 septembre 1833 Départ de Cherbourg pour le Havre. Le Sphinx est remplacé par la Héva 14 septembre 1833 Escale à Rouen. Attente de la crue de la Seine 13 décembre 1833 Départ de Rouen. Le Luxor est halé par 14 puis 28 chevaux 23 décembre 1833 Arrivée du Luxor à Paris, après un périple de 12 000 km, 2 ans et 9 mois de voyage 8-10 août 1834 Déchargement de l’obélisque qui est hissé sur la rampe du pont de la Concorde 17 avril, 16 août, 29 septembre 1836 Déplacement de l’obélisque vers la place de la Concorde, le viaduc d‘élévation puis au bord du piédestal 25 octobre 1836 Installation de l’obélisque sur la place de la Concorde

Liste des ministres de la Marine

Entrée en fonction

Fin de mandat

Nom du ministre

Seconde Restauration : Louis XVIII (1755-1824) règne de 1814 à 1824 - Charles X (1757-1836) règne de 1824 à 1830

9 juillet 1815 26 septembre 1815 François Jaucourt 26 septembre 1815 23 juin 1817 François Joseph de Gratet, vicomte Dubouchage 23 juin 1817 12 septembre 1817 Laurent, marquis de Gouvion Saint-Cyr 12 septembre 1817 29 décembre 1818 Mathieu Louis, comte Molé 29 décembre 1818 14 décembre 1821 Pierre-Barthélémy, baron Portal 14 décembre 1821 4 août 1824 Gaspard de Clermont-Tonnerre 4 août 1824 3 mars 1828 Christophe de Chabrol de Crouzol 3 mars 1828 8 août 1829 Jean-Guillaume Hyde de Neuville 8 août 1829 23 août 1829 Jules Auguste de Polignac 23 août 1829 31 juillet 1830 Charles Lemercier de Longpré, baron d'Haussez

Monarchie de Juillet : Louis-Philippe (1773-1850) règne de 1830 à 1848

31 juillet 1830 1er août 1830 Henri de Rigny 1er août 1830 11 août 1830 Henri de Rigny 11 août 1830 17 novembre 1830 Horace Sébastiani 17 novembre 1830 13 mars 1831 Antoine Maurice Apollinaire d'Argout 13 mars 1831 4 avril 1834 Henri de Rigny 4 avril 1834 19 mai 1834 Albin Roussin 19 mai 1834 10 novembre 1834 Louis Jacob 10 novembre 1834 18 novembre 1834 Charles Dupin 18 novembre 1834 6 septembre 1836 Guy-Victor Duperré 6 septembre 1836 31 mars 1839 Claude du Campe de Rosamel 31 mars 1839 12 mai 1839 Jean Tupinier 12 mai 1839 1er mars 1840 Guy-Victor Duperré 1er mars 1840 29 octobre 1840 Albin Roussin 29 octobre 1840 7 février 1843 Guy-Victor Duperré 7 février 1843 24 juillet 1843 Albin Roussin 24 juillet 1843 9 mai 1847 Ange René Armand de Mackau 9 mai 1847 24 février 1848 Napoléon Auguste Lannes, duc de Montebello

Musée national de la Marine

Auteurs : Service culturel D. Frémond, M. Machicot, C. Maillé-Virole / M.-P. Demarcq, A. Niderlinder commissaires de l’exposition / Paris 2014

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Page 18: Le voyage de l’obélisque

� Parcours 1er et 2nd degré Le voyage de l’obélisque Louxor/Paris (1829-1836)

Objectifs - Approcher la civilisation de l’Égypte antique à partir d’une œuvre conservée en France. - Rappeler l’intérêt de la France pour l’Égypte ancienne. Préciser les étapes de la connaissance par les archéologues et historiens français. - Envisager les différents aspects de l’installation de l’obélisque sur la place de la Concorde, sous la Monarchie de Juillet : Aspects technique (transport), urbanistique (remodelage d’un quartier), diplomatique (relations de la France avec l’Afrique du Nord), politique (communication gouvernementale). - Amorcer avec les élèves une réflexion sur le patrimoine et ses enjeux.

Liens avec les programmes scolaires du 2nd degré

� Collège

Histoire et Géographie Sixième. Le premier thème consacré à l’Orient ancien dont au premier chef, l’Égypte ancienne, suppose que l’on étudie un monument replacé dans son contexte et que l’on s’intéresse au système d’écriture.

Quatrième. Troisième partie du programme d’histoire consacrée au XIXe siècle. Thème 1, L’industrialisation (le transport à vapeur). Thème 2, L’histoire politique de la France (la Monarchie de Juillet). Thème 4, La colonisation. Liens aussi avec le programme de Géographie : Les mobilités, le transport maritime (les conditions de transport au XIXe siècle).

Histoire des arts Toutes classes. Thèmes à exploiter : Arts, créations, cultures / Arts, espace, temps / Arts, état et pouvoir / Arts, mythes et religions /

Arts, ruptures, continuités.

� Lycée

Histoire Seconde. Plusieurs Enseignements d’Exploration offrent différentes pistes de travail en rapport avec le thème. - Création et activités artistiques, option Patrimoines : les différents enjeux artistiques et politiques que représente le déplacement à Paris d’une œuvre d’art de l’Égypte antique ainsi que la restructuration d’un quartier qui en découle. - Littérature et société : Thème 2, L’aventure de l’écrit, des tablettes d’argile à l’écran numérique (étude des hiéroglyphes de l’obélisque). Thème 6, Regards sur l’autre et sur l’ailleurs (fascination réciproque de la France et de l’Égypte au XIXe siècle). - Méthodes et pratiques scientifiques : Approche scientifique des phénomènes (travaux pour démonter, transporter, ériger l’obélisque). - Sciences de l’ingénieur : Prendre appui sur le transport et de l’érection de l’obélisque pour découvrir les objectifs et les méthodes de travail propres aux sciences de l’ingénieur, fiche Documents à l’appui (12. extraits de l’ouvrage d’A. Lebas / texte complet sur Gallica).

Terminale. Rapport des sociétés à leur passé, chapitre sur l’étude du Patrimoine du centre historique de Paris (enjeux du déplacement d’une œuvre d’art multiséculaire).

Français Après la visite de l’exposition, une séance de travail peut être menée, fiche Documents à l’appui (15. poèmes de Théophile Gautier). Seconde. Lien avec le thème La poésie du XIXe au XXe siècle : du romantisme au surréalisme. Première. Lien avec le thème Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours. Une analyse comparative du pamphlet de Pétrus Botrel (1936) et des poèmes de Théophile Gauthier (1852) permet d’aborder le thème des Réécritures, du XVIIe siècle jusqu'à nos jours, en abordant les caractéristiques propres aux grands genres littéraires.

Histoire des arts Toutes classes. Thèmes à exploiter dans le champs anthropologique : Art et sacré / Arts et idéologie / Arts, mémoires, témoignages, engagements. Thème à exploiter dans le champs esthétique : Arts, goût, esthétique.

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Observation 1

Un monument antique - Rappeler le contexte historique et géographique : l’Égypte à l’époque des pharaons, le site de Louxor (Thèbes) sur les rives du Nil. - Décrire la fonction politique et religieuse du temple (dédié au dieu Amon Rê). Préciser le symbolisme des obélisques (rayons de soleil). - Mentionner la bataille de Qadesh. Rappeler la volonté de Ramsès II de commémorer sa victoire en édifiant devant le temple une porte monumentale flanquée de deux obélisques. Préciser que ces derniers, ornés de hiéroglyphes, glorifient le pharaon (cité 40 fois).

Sur place Louqsor, le temple et la fête d’Opet par Jean-Claude Golvin (1942- ), XXe siècle (Musée de l’Arles antique, Arles)

A l'appui Fiche Repères : Des obélisques voyageurs Fiche Documents : 14. Que dit l’obélisque ? Fiche Activités : 1. Apprendre à lire les hiéroglyphes

Observation 2

Un cadeau diplomatique - Évoquer l’égyptomanie française qui a suivi le retour de l’expédition d’Égypte (1798-1801). - Décrire le caractère et les ambitions politiques du vice-roi d’Égypte, documents à l’appui. - Rappeler la rivalité franco-anglaise. Faire comprendre dans quel contexte politique s’inscrit le don fait à la France par Méhémet-Ali (pour les remercier de l’aide apportée à la modernisation de son pays…)

Sur place Huile sur toile Portrait de Méhémet-Ali vice-roi d’Égypte par Auguste Couder, 1840 (Château de Versailles, Versailles)

A l'appui Fiche Repères : Les Français en Égypte Fiche Documents : 1. Méhémet-Ali vu par les Français / 5. La rivalité franco-anglaise Fiche Travaux dirigés : Exercices 1 et 2

Observation 3

Les enjeux culturels - Mentionner les travaux de Champollion et son apport au décodage de l’épigraphie égyptienne. - Expliquer la préférence de l’égyptologue pour les obélisques de Louxor (ornés de hiéroglyphes). - Décrire la stratégie qu’il emploie pour arriver à ses fins, les arguments qu’il utilise auprès de Méhémet-Ali.

Sur place Huile sur toile Portrait de Jean-François Champollion par Léon Cogniet, 1831 (Musée du Louvre, Paris)

A l'appui Fiche Repères : Le choix d’un symbole / Les hommes Fiche Documents : 2. Le voyage de Champollion en Égypte / 3. Les conseils de Champollion / 4. Un symbole politique

Observation 4

Un exploit technique - Rappeler le poids (entre 220 et 230 tonnes) et les dimensions (23 m de haut) de l’obélisque que les Français doivent déplacer. - Décrire le site à l’arrivée de l’expédition française (obélisques ensablés, habitations construites contre le temple…). - Raconter les différentes étapes de l’abattage, depuis la construction de la chaussée jusqu’au halage vers le Nil. - Présenter l’ingénieur de la Marine chargé du projet (Lebas) et expliquer l’utilisation des cabestans, habituelle sur un navire (pour démultiplier la force humaine lors de la remontée des ancres…).

Sur place Maquette au 1/66 Abattage de l’obélisque de Louqsor par les modélistes du musée, 1847 (Musée national de la Marine, Paris)

A l'appui Fiche Repères : L’incroyable odyssée / Les hommes Fiche Documents : 6. Des témoins privilégiés

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Observation 5

Un embarquement délicat - Observer la proue (avant) du Luxor et expliquer pourquoi elle est sciée (permettre le chargement direct). - Repérer le passage des câbles par la poupe (arrière) et leur arrimage à des ancres. - Décrire la manœuvre, étape par étape, en faisant observer les différents éléments du diorama. Repérer les cabestans.

Sur place Maquette au 1/66 Embarquement de l’obélisque dans l’allège Luxor par les modélistes du musée, 1847 (Musée national de la Marine, Paris)

A l'appui Fiche Repères : L’incroyable odyssée Fiche Documents : 6. Des témoins privilégiés (Angelin) / 10. Une carrière d’obélisques

Observation 6

Un navire adapté à son chargement - Préciser que le navire a été spécialement construit pour l’occasion. Rappeler son nom de baptême (Luxor). - Décrire les adaptations faites pour un tel transport exceptionnel (cinq quilles, fond plat, mâts démontables…). - Expliquer la particularité des cinq quilles : Sous la coque d’un navire, la quille permet de modérer le roulis (balancement) et sert de colonne vertébrale au navire. Pour emporter l'obélisque, il faut une colonne vertébrale très robuste donc une grande quille forte. Mais comme le Luxor doit naviguer sur des fleuves de faible profondeur, il possède 5 petites quilles au lieu d’une seule quille trop grande. - Lister avec les élèves les raisons de ces modifications : le poids de l’obélisque, la navigation fluviale, la protection du navire à Louxor…

Sur place Huile sur toile Le Luxor avant son départ de Louqsor, signé A.G., 1834 (Collection particulière)

A l'appui Fiche Repères : L’incroyable odyssée / Les navires Fiche Documents : 7. Un navire mythique Fiche Activités : 3. Embarquer l’obélisque à bord du Luxor Fiche Travaux dirigés : Exercice 3

Observation 7

Le secours d’un navire à vapeur - Préciser que le Sphinx est le premier navire militaire à vapeur, de la Marine française à être totalement opérationnel. Rappeler pourquoi le capitaine du Luxor a demandé à être remorqué (déception sur la tenue à la mer du navire : dérive du Luxor à l’aller). - Expliquer comment fonctionne une machine à vapeur : l’eau de la chaudière, chauffée par le combustible (charbon), se transforme en vapeur et actionne les pistons de la machine qui entraînent les roues à aubes (ou l’hélice). - Questionner les élèves sur les infrastructures complémentaires à ce mode de propulsion (escales charbonnières).

Sur place Modèle de la corvette à roues Sphinx 1829, anonyme, XIXe siècle (Musée national de la Marine, Paris)

A l'appui Fiche Repères : L’incroyable odyssée / Les navires Fiche Documents : 8. Les avantages du navire à vapeur

Observation 8

Un interminable voyage - Rappeler les dates de départ de Louxor (25 août 1832) et d’arrivée à Paris (23 décembre 1833). - Montrer le trajet, carte à l’appui, et préciser la distance parcourue (12 000 km). - Lister les difficultés qui ont ralenti le voyage (attente de la crue du Nil, tempête en Méditerranée, escales charbonnières, quarantaine à Toulon, attente de la crue de la Seine…).

Sur place Aquarelle sur papier Le Sphinx remorquant le Luxor par François Roux (1811-1882), vers 1880/82 (Galerie Delalande, Paris)

A l'appui Fiche Repères : L’incroyable odyssée / Les hommes Fiche Documents : Chronologie du voyage Fiche Activités : 4. Tracer le périple de l’obélisque

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Observation 9

Des souvenirs égyptiens - Rappeler l’égyptomanie française qui a suivi le retour de l’expédition d’Égypte (1798-1801). - Expliquer les raisons de la longue escale de trois mois à Rouen, de septembre à décembre 1833 (attente de la crue de la Seine). - Préciser que pendant la mission, les officiers ont eu le temps de visiter l’Égypte et d’acquérir des souvenirs antiques (janvier 1832 : visite de la Haute Égypte pendant l’attente de la crue…). - Raconter comment se sont constituées les collections égyptiennes du musée de Rouen : En 1833, l’équipage profite de l’escale pour négocier des souvenirs rapportés d’Égypte.

Sur place Vase canope Qebehsenouf à tête de vautour, époque Saïte de - 664 à - 525 av. J.C. (Musée départemental des Antiquités, Rouen)

A l'appui Fiche Repères : Les Français en Égypte / L’incroyable odyssée Fiche Documents : Chronologie du voyage

Observation 10

Un événement politique - Rappeler le contexte politique troublé, la chute du régime (juillet 1830), l’avènement d’un nouveau souverain (Louis-Philippe). - Évoquer la polémique sur le patrimoine déraciné et rappeler les raisons d’un tel cadeau (remerciements pour la modernisation du pays…). - Décrire les hésitations et les tractations sur le choix symbolique de la place parisienne qui accueillera l’obélisque. - Raconter la journée du 25 octobre 1836 : l’accident de la veille, la foule immense, les appareils de Lebas, les 350 artilleurs, l’apparition du roi quand tout paraît assuré… Insister sur les calculs préalables de l’ingénieur, ses craintes, sa joie de la mission accomplie…

Sur place Aquarelle Érection de l’Obélisque de Louqsor le 25 octobre 1836 par Cayrac, 1837 (Dépôt du Louvre, Musée national de la Marine, Paris)

A l'appui Fiche Repères : Les enjeux mémoriels et politiques / Quel piédestal pour l’obélisque ? / Les hommes Fiche Documents : 9. Un hochet de granit / 11. Le choix du site parisien / 12. Un événement national / 13. Un pyramidion contesté Fiche Travaux dirigés : Exercices 4 et 5

Musée national de la Marine

Auteurs : Service culturel D. Frémond, M. Machicot, C. Maillé-Virole / M.-P. Demarcq, A. Niderlinder commissaires de l’exposition / Paris 2014

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� Activités 1er et 2nd degré

Le voyage de l’obélisque Louxor/Paris (1829-1836)

Activité 1 : Apprendre à lire les hiéroglyphes Tableau de quelques signes hiéroglyphiques et leur correspondance dans l’alphabet latin © Musée national de la Marine

Cette écriture est réservée aux textes sacrés et aux édifices religieux. Dans la vie quotidienne, on utilise une écriture simplifiée ou très simplifiée (hiératique ou démotique). L’alphabet hiéroglyphique compte 700 signes sous l’Ancien Empire (2700-2200 avant J.-C.).

Vautour

A

Jambe

B

Corbeille

C

Main

D

Bras

E

Vipère à cornes

F

Support de jarre

G

Plan de maison

H

Mèche de lampe

H

Roseau fleuri

I

Cobra

J

Corbeille

K

Lion couché

L

Chouette

M

Filet d’eau

N

Couronne rouge

N

Lasso

O

Siège

P

Flanc de colline

Q

Bouche

R

Etoffe pliée

S

Bassin d’eau

SH

Ventre de vache

CH

Pain

T

Entrave

TH

Caille

U et OU

Corde

W

Corbeille et verrou

X

Roseaux fleuris

Y

Verrou de porte

Z

Les hiéroglyphes se lisent de haut en bas et, de gauche à droite si les êtres vivants regardent à gauche (et inversement). Il existe trois catégories de hiéroglyphes. L’idéogramme : un signe pour un mot. Le phonogramme : un signe pour un son. Le déterminatif : signe qui ne se prononce pas mais précise le sens du mot (animal, végétal…). Un même hiéroglyphe peut être idéogramme ou phonogramme. Pour les distinguer, les Égyptiens ajoutent le signe à l’idéogramme :

est le son R. signifie bouche. Les noms s’accordent en genre et en nombre. Les verbes se conjuguent.

sert à introduire une phrase affirmative.

signifie « Je suis » .

Traduire la phrase suivante : Je suis + prénom (en phonétique)

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Page 23: Le voyage de l’obélisque

Activité 2 : Trouver le nom du pharaon Apollinaire Le Bas, Dessins hiéroglyphiques qui décorent l’obélisque occidental de Louqsor (détail), 1839 © Musée national de la Marine / A. Fux

Repérer les cartouches de Ramsès II gravés sur l’obélisque :

Côté Ouest à Paris Face Champs Elysées

Côté Sud à Paris Face à la Seine

Côté Nord à Paris Face à la Madeleine

Côté Est à Paris Face aux Tuileries

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Page 24: Le voyage de l’obélisque

Activité 3 : Embarquer l’obélisque à bord du Luxor Apollinaire Le Bas, Appareil employé pour l’embarquement de l’obélisque occidental de Louqsor (détail), 1839 © Musée national de la Marine / A. Fux

Sur la coupe longitudinale du navire, repérer l’obélisque (en caisse). L’entourer d’un trait rouge. Quelle partie du navire a été sciée pour permettre son embarquement ?

Observer maintenant la coupe transversale du Luxor. Repérer l’obélisque et l’entourer de rouge. Combien de quilles comporte le navire ? Pourquoi d’après-vous ?

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Page 25: Le voyage de l’obélisque

Activité 4 : Tracer le périple de l’obélisque Carte de la mer Méditerranée © Musée national de la Marine

Lo

uxor

Sélectionner les escales d’après la chronologie du voyage. Légender la carte en notant le nom des pays où l’expédition a séjourné.

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� Travaux dirigés 2nd degré Le voyage de l’obélisque Louxor/Paris (1829-1836)

Littérature et société : Regards sur l’autre et sur l’ailleurs (Français/Histoire)

Exercice 1. À partir du document Méhémet-Ali vu par les Français (1.), faire un tableau à double entrée qui liste les traits positifs et les traits négatifs attribués par les Français à Méhémet-Ali, qu’ils soient implicites ou explicites. Synthétisez ensuite.

Auteur Référence du document

Traits positifs Traits négatifs

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Page 27: Le voyage de l’obélisque

Exercice 2. Sur le modèle d’un récit de voyage, rédigez la lettre d’un voyageur français visitant l’Égypte au moment du départ de l’obélisque. L’auteur de la lettre est amené à rencontrer Méhémet-Ali.

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Littérature et société : Regards sur l’autre et sur l’ailleurs (Français/Histoire)

Exercice 3. Dans le document Un navire mythique (7.), relevez les différentes métaphores désignant le navire qui a transporté l’obélisque de Louxor jusqu’à Paris.

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Exercice 4. Dans les documents Un hochet de granit (9.) et Les frères séparés (15.), relevez les différentes métaphores désignant les obélisques du temple de Louxor.

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Création et activités artistiques (option Patrimoine)

Exercice 5. Documents (3.) et (9.) à l’appui, expliquez quelles sont les différentes conceptions qui s’opposent en France sur la question du déplacement des œuvres d’art au XIXe siècle. Relevez les arguments favorables au déplacement et ceux qui y sont opposés.

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Page 28: Le voyage de l’obélisque

La poésie du XIXe siècle au XXe siècle : du Romantisme au Surréalisme (Français)

Exercice 6. Document Les frères séparés (15.) à l’appui, répondez aux questions suivantes : [Un autre questionnement peut être mené en fonction du niveau de la classe ou des orientations pédagogiques] Quel est le type de vers utilisés dans ces deux poèmes de Théophile Gautier ? Quelles sont les rimes ? Comment sont-elles disposées ?

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L’Obélisque de Paris L’Obélisque de Louxor Monde végétal Monde animal Eaux, Éléments liquides Air, Ciel Éléments architecturaux

Quelle métaphore pour désigner l’obélisque est identique à chacun des deux poèmes ?

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Réécritures, du XVIIe siècle à nos jours (Français)

Exercice 7. Documents Un hochet de granit (9.) et Les frères séparés (15.) à l’appui, répondez aux questions suivantes :

- Quelle figure de style revient plusieurs fois dans le texte de Pétrus Borel ? Relevez-les. Quel effet cela donne-t-il ? À partir de votre réponse, identifiez le genre littéraire auquel appartient ce texte.

- Relevez trois passages des poèmes de Théophile Gautier qui semblent inspirés par le texte de Pétrus Borel.

- Quelle métaphore utilisée pour désigner l’obélisque semble l’indice le plus probant que Gautier ait lu le texte de Borel ?

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Musée national de la Marine

Auteurs : Service culturel D. Frémond, M. Machicot, C. Maillé-Virole / M.-P. Demarcq, A. Niderlinder commissaires de l’exposition / Paris 2014

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