14
L’empathie et le processus thérapeutique auprès des parents abusifs 1 Vernon R. WIEHE (College of Social Work University of Kentucky, Lexington, KY, USA) Résumé Les chercheurs définissent l’empathie comme une variable modératrice vis-à-vis des comportements agressifs. L’empathie joue aussi un rôle important au niveau de l’activité parentale. Les études réalisées dans le domaine d’abus d’enfants et utilisant les échelles de mesure d’empathie montrent que les parents abusifs obtiennent des scores significativement inférieurs à ceux des parents non abusifs. D’une part, le but de cet article théorique est de démontrer que l’empathie est une composante importante dans le traitement des parents abusifs (différentes approches y seront présentées). D’autre part, il est important d’encourager le recours à ces méthodes dans les interventions auprès des parents abusifs et de mesurer l'efficacité de cette approche à court et à long terme. Introduction Différents chercheurs (Feshbach, 1964 ; Mehrabian & Fauvre et Ballard – Campbell, 1983) décrivent l’empathie comme une variable jouant un rôle modérateur dans la manifestation des comportements agressifs. Divers comportements apparentés à l’empathie sont identifiés comme indispensables à une parentalité adéquate. Il s’agit par exemple de la capacité à donner du réconfort, à être serviable et coopérant (Frodi & Lamb, 1980 ; Hogan, 1979 ; Hoffman, 1978) ; de la capacité à évaluer le bien-être et les besoins de l'autre (Ainswort, Blehar, Waters & Wall, 1978 ; Batson, Turk, Shaw & Klein, 1995) et de la flexibilité (Downs et Jenkins, 1993). Dans le cadre de la recherche sur la maltraitance, les mères abusives obtiennent des scores significativement inférieurs aux indices d'empathie lorsqu’ ils sont comparés à ceux des mères non abusives (Fesbach, 1989 ; Le Tourneau, 1981, Marino, 1992, Rosenstein, 1995). L’empathie jouant un rôle important dans le contrôle de l'agressivité et dans l’élaboration d’une parentalité adéquate et étant donné que les abuseurs détiennent un taux d’empathie bas, il semble logique qu’une formation à l’empathie soit recommandée pour le traitement des abuseurs. Cet article théorique poursuit un double objectif : 1. suggérer (littérature à l'appui) que le développement de l'empathie devrait constituer une composante de base dans le traitement des abuseurs ; 2. encourager l'élaboration d'une formation à l'empathie dans les programmes de traitement et promouvoir l'évaluation de son efficacité au travers d'une recherche à court et à long terme. 1 Approaching Child Abuse Treatment From the Perspective of Empathy, Child Abuse & Neglect, vol.21 n°12, 1997, pp 1191-1204. Child Abuse and Neglect, The International Journal, ISPCAN. © Pergamon, An imprint of Elsevier Science. ISSN 0145-2134 Article traduit par Natacha Winners (psychologue et chercheuse CCMHULB) et le Docteur Marc Gérard (pédopsychiatre et coordinateur de l’équipe SOS Enfants de l’ULB) avec la collaboration de Yves-Hiram Haesevoets (psychologue clinicien et chercheur CCMHULB), et l’aimable autorisation de l’auteur et de la maison d’édition.

L'empathie et le processus thérapeutique auprès des parents abusifs

Embed Size (px)

Citation preview

L’empathie et le processus thérapeutique auprès des parents abusifs1

Vernon R. WIEHE (College of Social Work University of Kentucky, Lexington, KY, USA)

Résumé Les chercheurs définissent l’empathie comme une variable modératrice vis-à-vis des comportements agressifs. L’empathie joue aussi un rôle important au niveau de l’activité parentale. Les études réalisées dans le domaine d’abus d’enfants et utilisant les échelles de mesure d’empathie montrent que les parents abusifs obtiennent des scores significativement inférieurs à ceux des parents non abusifs. D’une part, le but de cet article théorique est de démontrer que l’empathie est une composante importante dans le traitement des parents abusifs (différentes approches y seront présentées). D’autre part, il est important d’encourager le recours à ces méthodes dans les interventions auprès des parents abusifs et de mesurer l'efficacité de cette approche à court et à long terme. Introduction Différents chercheurs (Feshbach, 1964 ; Mehrabian & Fauvre et Ballard – Campbell, 1983) décrivent l’empathie comme une variable jouant un rôle modérateur dans la manifestation des comportements agressifs. Divers comportements apparentés à l’empathie sont identifiés comme indispensables à une parentalité adéquate. Il s’agit par exemple de la capacité à donner du réconfort, à être serviable et coopérant (Frodi & Lamb, 1980 ; Hogan, 1979 ; Hoffman, 1978) ; de la capacité à évaluer le bien-être et les besoins de l'autre (Ainswort, Blehar, Waters & Wall, 1978 ; Batson, Turk, Shaw & Klein, 1995) et de la flexibilité (Downs et Jenkins, 1993). Dans le cadre de la recherche sur la maltraitance, les mères abusives obtiennent des scores significativement inférieurs aux indices d'empathie lorsqu’ils sont comparés à ceux des mères non abusives (Fesbach, 1989 ; Le Tourneau, 1981, Marino, 1992, Rosenstein, 1995). L’empathie jouant un rôle important dans le contrôle de l'agressivité et dans l’élaboration d’une parentalité adéquate et étant donné que les abuseurs détiennent un taux d’empathie bas, il semble logique qu’une formation à l’empathie soit recommandée pour le traitement des abuseurs. Cet article théorique poursuit un double objectif : 1. suggérer (littérature à l'appui) que le développement de l'empathie devrait constituer une

composante de base dans le traitement des abuseurs ; 2. encourager l'élaboration d'une formation à l'empathie dans les programmes de traitement

et promouvoir l'évaluation de son efficacité au travers d'une recherche à court et à long terme.

1 Approaching Child Abuse Treatment From the Perspective of Empathy, Child Abuse & Neglect, vol.21 n°12, 1997, pp 1191-1204. Child Abuse and Neglect, The International Journal, ISPCAN. © Pergamon, An imprint of Elsevier Science. ISSN 0145-2134 Article traduit par Natacha Winners (psychologue et chercheuse CCMHULB) et le Docteur Marc Gérard (pédopsychiatre et coordinateur de l’équipe SOS Enfants de l’ULB) avec la collaboration de Yves-Hiram Haesevoets (psychologue clinicien et chercheur CCMHULB), et l’aimable autorisation de l’auteur et de la maison d’édition.

Définition de l'empathie Historiquement, le concept d'empathie remonte à la fin du 18ème siècle, début 19ème. Il s’est développé dans les cercles de philologues et philosophes. Ce terme renvoie à l'allemand « Einfühlung » ou « sentir, ressentir à la place de » (Pigman, 1995). Freud utilise ce terme dans l'interprétation des rêves et semble avoir emprunté le concept à Lipps (1851-1914) qui écrivit abondamment sur des sujets philosophiques et psychologiques. Lipps, dans ses écrits, suggérait que le "Einfühlung" permettait à une personne de comprendre les autres, de réaliser qu’elle a un « self » et les autres aussi. L'empathie devient un concept important pour Freud et apparaît fréquemment dans ses écrits. Pour Freud, l'empathie est le fait de pouvoir se mettre dans la position d'un autre, soit de manière consciente, soit de manière inconsciente. Elle représente un élément essentiel de la relation thérapeutique (Pigman, 1995 ; Shoughnessy, 1995). L'importance de l'empathie dans la relation thérapeutique continue à se refléter à travers les écrits de Kohut (1997) , Truax & Carkhuff (1967) et Rogers (1959). Ce n’est que plus récemment que ce concept est utilisé dans le cadre du traitement des abuseurs sexuels (Pithers, 1994). Bien qu’initialement l'empathie ait été conceptualisée de manière unidimensionnelle comme étant les réactions d'un individu aux expériences observées d'un autre, les cliniciens y perçurent ultérieurement des composantes à la fois cognitives et affectives. La composante cognitive se centre sur l’observateur qui est capable de comprendre la perspective de l'autre. La composante affective se centre, elle, sur la réaction émotionnelle de l'observateur (Davis, 1983 ; Feshbach, 1975). Marshall, Hudson, Jones et Fernandes (1995) conceptualisent l'empathie comme un processus en 4 étapes : 1. reconnaissance des émotions 2. perspective – taking 2 3. reproduction des émotions 4. décision et réponse L’empathie : 1. nécessite qu'une personne soit capable de distinguer de manière précise l'état

émotionnel d'une autre personne. Si l'individu ne peut le faire, les étapes restantes du processus sont rendues caduques.

2. renvoie à la capacité de se mettre à la place de la personne observée et à voir les situations comme la personne les perçoit

3. induit la reproduction de l'émotion observée. Cette étape ne peut se faire que si les 2 premières ont abouti. La reproduction des émotions implique aussi que l'observateur ait un répertoire d'états émotionnels afin de reproduire l'émotion observée.

4. se rattache à la décision de l'observateur d'agir ou non aux sentiments expérimentés dans l'étape précédente.

L'empathie dans le fonctionnement psychosocial Goleman (1995), dans son récent best seller intitulé3 : « Intelligence Emotionnelle : pour quelles raisons l’intelligence émotionnelle peut être plus importante que le quotient intellectuel », certifie que l'empathie (variable importante de l'intelligence émotionnelle) traduit la difficulté actuelle de beaucoup de gens dans leurs relations interpersonnelles. Bien

2 Capacité de se mettre à la place de l’autre. 3 « Emotional Intelligence : Why It can matter more than IQ »

qu'il soit destiné à une audience populaire, cet ouvrage constitue une bonne base de recherche dans le champ de la santé mentale. Pour Goleman, plus les personnes sont réceptives à leurs propres émotions, plus elles seront habiles à lire les sentiments des autres et à répondre de manière appropriée. L’incapacité à distinguer une émotion parmi nos propres émotions (processus cognitif) et les sentiments d'un autre correspond à "alexithemia" en psychiatrie (traduit grossièrement du grec par "manque de mots pour les émotions"). Goleman cite le cas de Gary, un chirurgien brillant reconnu en sciences et en arts mais "alexithymic", souffrant de problèmes interpersonnels avec sa fiancée (dus à l’inconscience de ses sentiments propres ainsi que de ceux de sa compagne). Cette incapacité à fonctionner dans le royaume des sentiments et des émotions représente pour Goleman un déficit majeur de l'intelligence émotionnelle et cette problématique se retrouve aussi chez les abuseurs d’enfants. Goleman (1995) cite la recherche de Stern (1987) portant sur les réponses des mères à leurs bébés (basée sur un support vidéo représentant les interactions Mère – Enfant). Stern identifie l' "attunement"4 comme le processus d'échanges répétés qui surviennent entre un parent et l'enfant. Un bébé sourit et la mère sourit en retour à l'enfant. Le message affirmatif de la mère traduit le fait qu’elle comprend la communication de l’enfant, qu’elle se met au diapason de son enfant. Stern différencie la qualité de la relation précoce (« attunement ») et imitation. L'imitation ne traduit qu’un versant cognitif : elle montre à l'enfant que le parent sait ce que l’enfant a fait. La capacité d’être au diapason de son enfant traduit en plus une composante affective : elle démontre à l'enfant la reconnaissance des sentiments ressentis par ce dernier en les lui renvoyant. Cette interaction constitue la base de l'empathie sur laquelle les expériences futures se constituent. D’autres études faites par Feshbach (1987) et Eisenberg & Mc Mally (1993) appuient l’hypothèse selon laquelle les mères empathiques ont des enfants empathiques ; l’empathie des mères sert donc de modèle à leurs enfants. Pour Goleman (1995 : 101), "lorsqu'un parent échoue constamment à montrer de l'empathie à une série particulière d'émotions de l'enfant (joies, larmes, besoins d'être pris dans les bras), l'enfant commence à éviter d'exprimer, peut être même de ressentir, ces émotions. De cette manière, toute une série d'émotions peut commencer à s'effacer du répertoire des relations intimes, surtout si durant l'enfance ces sentiments continuent à être découragés de manière ouverte ou insidieusement". La qualité de la relation précoce constitue la base de l'empathie de l’individu pour sa vie future. Si une personne n'a pas vécu l'empathie, comment peut-elle être à son tour empathique aux autres? Dans le cadre de la maltraitance on constate que les enfants éduqués par des parents abusifs physiquement sont moins empathiques que les enfants non-abusés (Baharal, Waterman & Martin, 1981 ; Hinchey & Gavelek, 1982 ; Straker & Jacobson, 1981). Ces découvertes peuvent expliquer, en partie, la théorie intergénérationnelle de l'abus : certains adultes abusés ou à qui on n'a pas montré d'empathie durant l'enfance peuvent à leur tour essayer de façonner le comportement de leurs enfants à travers des actions coercitives et même abusives, sans tenir compte des sentiments de l'enfant (Kaufman & Zigler, 1987). Tout cela pour dire que si un ou les deux parents ne sont pas empathiques, la probabilité que l'enfant ne le soit pas à son tour peut être une explication simpliste d'un concept complexe. Chase-Lansdale, Wakschlag, et Brooks – Gunn (1995) étudient le développement de l’empathie depuis la prime enfance jusqu’à l’adolescence en montrant l’importance du rôle des parents et des pairs ainsi que l’importance de la contribution personnelle de l’individu,

4 attunement = accordage des psychismes, qualité de la relation précoce parent-enfant

deux composantes nécessaires au développement de cette capacité. Ces chercheurs identifient différents obstacles au développement de l’empathie : la pauvreté, les désaccords conjugaux et les psychopathologies parentales telles que la schizophrénie, la dépression et autres formes de maladies mentales. Aucune recherche n’a été faite sur l’impact des scènes de violence conjugale peut avoir sur le développement de l’empathie chez l’enfant témoin ; cependant les chercheurs montrent un lien entre le fait d’assister aux disputes maritales et des interactions négatives avec les pairs. L’hypothèse est que l’absence d’empathie réciproque dans les couples fonctionnant sur le mode de la violence impliquerait une absence d’empathie chez l’enfant dans ses relations avec les pairs (qui pourrait même perdurer jusqu’à l’âge adulte). Empathie et comportements parentaux "Cette capacité - aptitude à percevoir comment l’autre se sent - joue un rôle dans beaucoup de domaines de la vie aussi bien dans le domaine commercial que dans les domaines amoureux que dans le domaine des relations précoces parents-enfants ainsi que dans le champ de l’action politique. Il en est de même pour l'absence d'empathie. Un manque d'empathie se retrouve aussi bien chez les psychopathes, que chez les violeurs et les abuseurs d'enfants" (Goleman, 1995 : 96). La recherche suggère une relation positive entre l'empathie et différents comportements pro-sociaux tels que, la compréhension, la capacité à donner du réconfort, à être serviable et coopérant, à évaluer le bien-être de l'autre, à percevoir les besoins de l'autre, à être flexible et à montrer une sensibilité aux besoins de l'autre. Le contrôle de l'agressivité joue aussi un rôle important dans l'éducation parentale. Le comportement aversif d’un enfant peut provoquer une réponse agressive de la part d’un ou des deux parents. La recherche met en avant la relation étroite qui existe entre l'empathie et l'agressivité (rencontrée dans les abus d'enfants)(Fesbach, 1969 ; Mehrabian & Epstein, 1972). D'après une série d'études, l'empathie servirait de mécanisme modérateur mettant fin au comportement agressif avant que le mal ne soit infligé à l'objet de l'agression. De l'utilisation d'un programme de formation à l'empathie chez les enfants résulte une diminution des comportements agressifs, une augmentation des comportements pro-sociaux et une relance de l’estime de soi. De même, les recherches montrent une relation entre l'empathie et l’abus d’enfants. Le Tourneau (1981) appuie l'hypothèse d'une relation inverse entre empathie et abus d’enfants. Lors d’un conflit, la capacité à examiner le point de vue de l’autre conduit à une plus grande compréhension et une diminution du conflit. De même les parents peu empathiques aux besoins, intentions et sentiments de l’enfant seraient plus enclins à répondre de manière agressive ou punitive dans des situations conflictuelles. Feshbach (1989), Wiehe (1986) et Rosenstein (1995) comparent les scores d’empathie d'un groupe de parents abusifs à ceux d'un groupe de parents non-abusifs. Les résultats nous montrent des scores significativement inférieurs dans le groupe des parents abusifs. Cette recherche centrée sur les interactions entre des mères abusives et leurs enfants suggère qu'une incapacité à l'empathie peut être un facteur favorisant la perception de certains besoins infantiles (par exemple : les pleurs) comme aversifs. D'autres chercheurs (Milner, Halsey & Fultz, 1995) examinent la capacité de réponses empathiques chez les mères à haut et bas risque d'abus physique durant une période déterminée. Ils utilisent la projection de cassettes vidéo d'un enfant, souriant, calme, pleurant comme matériel et font l’hypothèse que les mères à haut risque ont des scores plus bas que

les mères à bas risque. Ensuite, ils mesurent le niveau d'empathie grâce au "Interpersonal Reactivity Index (Davis, 1980)". Les résultats ne montrent aucunes différences statistiques significatives entre les deux groupes. Ces recherches ne démontrent donc pas une causalité entre les scores bas d'empathie et l'abus d'enfant mais suggèrent plutôt une association. D'autres variables comme la dépression, la tristesse, le stress et la manière dont les parents traitent cognitivement l'information au sujet du comportement de leurs enfants jouent également un rôle. Les études antérieures suggérant une relation entre empathie et abus d’enfants utilisaient des échantillons commodes (trop ciblés) ne prenant pas en compte des facteurs important tels que l'âge, le statut marital ou l'ethnicité. Aussi, le facteur du genre ne fut pas pris en compte excepté dans la recherche de Rosenstein (1995) qui inclut un petit échantillon de pères abusifs. L’absence d’hommes dans cette étude peut être due au fait que les échantillons sont souvent collectés au sein de centres de soins de jour où les mères sont plus nombreuses, celles-ci jouant un rôle plus important dans les relations précoces à l’enfant. En outre, de nombreuses recherches ont été conduites auprès de mères célibataires. Relations entre agressivité, empathie et maltraitance Il existe quatre sources d'agressivité relatives à la maltraitance : 1. Explication biologique de l'agressivité : Meyer (1996) décrit l’agressivité comme un

instinct pouvant être influencé par des changements biochimiques provenant des effets de la drogue et de l’alcool sur le cerveau. La recherche montre que l'abus de drogue et d'alcool est un facteur favorisant la maltraitance dans de nombreux cas.

2. L'agressivité peut être le résultat d'une frustration à atteindre des buts. De nombreuses études montrent que les parents sous stress (que ces stress proviennent de problèmes physiques, émotionnels, conjugaux ou financiers et qu’ils soient dus à l'incapacité d’arrêter les pleurs de l'enfant) sont à risque pour le déclenchement d'abus physique et émotionnel de l'enfant.

3. L'agressivité peut être apprise par l'observation de personnes agressives (Bandura, 1973 ; Felson, 1992). La recherche soutient l’idée suivant laquelle la maltraitance des parents découle du fait d'avoir été traités de cette manière par leurs propres parents ou de l'observation de comportements agressifs à la télévision ou au cinéma. L'agressivité instrumentale (là le tort est causé sans l'intention de nuire) que l’on retrouve dans des formes sévères de punition corporelle peut découler dans un sens cognitif, des textes bibliques pris littéralement sans regard sur le contexte temporel ou culturel dans lesquels ils furent écrits, renforcés par le clergé qui suggère l'utilisation de la "baguette" et le fait de battre les enfants (Flynn, 1994 ; Greven, 1997 ; Wiche, 1990).

4. Enfin, l'agressivité peut provenir du besoin de pouvoir et de contrôle. L'agressivité de ce type est liée au genre comme on l’a rencontré dans les cas d'abus sexuel d'hommes sur les femmes (Gelles, 1993).

Ces 4 formes de comportements agressifs peuvent être exprimés de manière isolée ou en interaction . Agressivité Facteurs Facteurs résultant de ? individuels familiaux ? Maltraitance différents facteurs associés niveau associés - changements biochimiques bas - frustration d’empathie - modèle / répétition - Besoin de pouvoir et Facteurs sociaux et de contrôle culturels associés

Figure 1 : relation-agressivité, empathie et maltraitance

Ce modèle suggère que des facteurs multiples (individuels, familiaux, sociaux et culturels) sont associés au manque d'empathie (occupent une place centrale dans la maltraitance). Les exemples de facteurs individuels liés à la maltraitance physique et émotionnelle de l'enfant sont nombreux : attentes inappropriées, stress, habilités parentales inadéquates, inversion des rôles, abus de substance. Les facteurs familiaux incluent la nature de l'interaction parents - enfants et la composition familiale. Les facteurs sociaux et culturels associés à la maltraitance sont la pauvreté, isolement social, valeurs culturelles et religieuses en rapport avec la punition corporelle. Un modèle multifactoriel pour la compréhension de l'abus sexuel d'enfant est suggéré par Finkelhor : "les 4 préconditions de l'abus sexuel" (1984). Empathie et traitement des abuseurs Dès lors que l'empathie est décrite dans la littérature comme une variable importante pour une relation parentale adéquate et comme un facteur déficient chez les abuseurs, le traitement des abuseurs ne devrait-il pas se construire autour de cette variable ? Bien que la formation à l'empathie soit une modalité fondamentale dans les programmes de traitement pour les abuseurs sexuels adultes et adolescents, l'utilisation de cette modalité dans le traitement des abuseurs physiques et émotionnels est beaucoup moins répandue (Freeman-Longo, Brid, Stevenson et Fiske, 1994). Une revue (de 1983 à 1992) des programmes de traitement pour les parents physiquement abusifs révéla que les programmes de traitement n'étaient pas centrés sur la formation réelle à l'empathie mais plutôt sur les groupes de discussion, formation des parents, travail de cas, travail psychodynamique, résolution de problèmes, thérapie par la relaxation et travail sur le stress (Oates & Bross, 1995). Une revue des articles centrés sur le traitement des parents abusifs dans Child Abuse and Neglect (de 1993 à 1996) ne décrivit qu’un programme de traitement pour les adolescents abuseurs sexuel (Sermabekian & Martinez, 1994) mais aucun pour les abuseurs physiques et émotionnels. Plusieurs exemples de programmes de traitement peuvent être trouvés dans la littérature utilisant la formation à l'empathie avec les abuseurs et d’autres types d’agresseurs. Cependant, ces programmes ne permettent pas de déterminer si l’augmentation d’empathie résulte ou non de l’arrêt basé sur le comportement abusif. Acton et During (1992) mirent sur pied un programme de traitement de 13 semaines par la gestion des comportements agressifs et incluant la formation à l'empathie. Les participants étaient 29 parents fréquentant ou ayant fréquenté une agence protectrice de l'enfance. Les scores calculés grâce à des instruments mesurant les réponses parentales empathiques aux communications et comportements des enfants, montrèrent des changements statistiquement significatifs suite à l'intervention. Malheureusement, un groupe contrôle de comparaison ne fut pas utilisé dans cette recherche. Wright et Al. (1994) rapportèrent des changements dans l'empathie des offenseurs envers les victimes dans un groupe d’agresseurs juvéniles (qui n’ont pas commis d’abus sexuel) qui participèrent à un programme appelé "Breaking Barriers". Ce programme de traitement de diversion des offenseurs est comparé à 1 groupe contrôle de non-offenseurs et à 1 groupe recevant des services de probation régulière. Schewe et O' Donohue (1993) montrent que des collégiens participant à une présentation vidéo de formation à l'empathie visant à faciliter l'empathie envers les victimes d'abus sexuels. Ces collégiens obtiennent des taux d'empathie significativement plus élevés après

avoir vu la vidéo et supérieurs à ceux du groupe contrôle (non traité), notamment sur les indices mesurant la probabilité de commettre un viol ou un abus sexuel. Approches de la formation à l’empathie Partons de l'hypothèse que l'empathie est une variable modératrice de l'agressivité et que les parents abusifs ont tendance à avoir des scores d’empathie inférieurs à ceux des parents non abusifs. Dès lors, comment intégrer la formation à l'empathie dans des interventions auprès des individus maltraitants ? La littérature nous fournit plusieurs approches : 1. Basés sur la définition de l'empathie de Marshall et Al. (1995), le développement de

l'empathie chez les auteurs d'abus devrait commencer par la "reconnaissance de l'émotion", c’est-à-dire le développement de leur capacité à discriminer et étiqueter les émotions. Kropp et Haynes (1987) comparent 20 mères abusives et 20 mères non abusives quant à leur capacité à identifier un affect émotionnel général (positif et négatif) et les signaux émotionnels. Ils réalisent ce travail à partir de 14 planches de visages de bébés exprimant différents affects : détresse / douleur, surprise, tristesse, joie, intérêt, peur et colère. Leurs résultats montrent que les mères abusives sont moins aptes à identifier correctement les signaux émotionnels et aussi qu’elles sont plus aptes à identifier les signaux d'émotion négative que positive. Les deux groupes montrent des difficultés à différencier stress, douleur et colère mais ce problème semble plus prononcé dans le groupe des mères abusives.

Bien que des chercheurs (1991) présentent des études similaires dans lesquelles les mères abusives et mères non-abusives ne se distinguent pas dans leur identification d'expressions émotionnelles, ils démontrent que les enfants abusés et les enfants non-abusés eux, diffèrent dans cette identification. L'échec à prouver cette différence peut être dû à la présentation des stimuli (photos de visages).

2. Une analyse transactionnelle fournit un schéma simple mais utile qui peut être utilisé dans la formation à l'empathie pour l'étape de discrimination initiale.

De la même manière que les couleurs rouge, bleu et jaune sont les couleurs primaires ou basiques et que toutes les autres couleurs découlent des mélanges de celles-ci, cette théorie suggère qu'il y existe au moins 4 sentiments ou émotions basiques : tristesse, contentement, colère, peur. Tous les autres sentiments sont des mélanges de ces 4 "basics" (1990). Ces 4 sentiments de base peuvent être utilisés avec les participants dans le cadre d’une formation à l'empathie et ce, par la discrimination et la classification des émotions basiques et par la fusion des émotions plus complexes que représentent les mélanges de ces 4 sentiments de base (T. Kolter, personal communication, 20 Juin 1990).

3. La littérature suggère plusieurs approches pour le développement des composants de la

définition de l'empathie. Les thérapeutes souhaitant utiliser la formation à l'empathie auprès des abuseurs peuvent adapter les concepts "perspective-taking", "émotion-réplication" et "réponse-décision". En 1993, des chercheurs montrent que le programme de formation à l'empathie destiné aux hommes à haut risque d’abus sexuels peut être adapté aux abuseurs physiques et émotionnels. Cette intervention consiste en une cassette vidéo de 45 min. réalisée par les expérimentateurs et destinée à faciliter l'empathie envers les victimes d'abus sexuels. La vidéo expose des témoignages de plusieurs victimes de viol, d'abus sexuel durant l’enfance et de harcèlements sexuels

évoquant leur victimisation, la douleur et la souffrance qui en suivit. A plusieurs reprises durant la projection de la vidéo, il est demandé aux participants d'imaginer comment les victimes ont pu se sentir avant, pendant et après leur victimisation. Les sujets sont aussi amenés à s'imaginer eux-mêmes comme victimes d'agression sexuelle. En comparaison, les résultats montrent que les sujets, après avoir visionné la cassette, obtiennent un taux d’empathie plus élevé.

4. De la même manière Pithers (1994) présente un programme d'entraînement à l'empathie

pour les agresseurs sexuels. Ce programme se compose de 5 étapes durant lesquelles les participants sont successivement exposés aux expériences cognitives, émotionnelles et comportementales des victimes d'abus sexuels.

1ère étape : les participants doivent présenter aux membres du groupe une description détaillée de l'agression pour laquelle ils ont été le plus récemment jugés. 2ème étape : les participants doivent lire des témoignages écrits de victimes d'abus. Les participants préparent des résumés écrits des contenus factuels et émotionnels de ces lectures et discutent comment l’expérience de leur propre victime peut être similaire ou différente des victimes de ces récits. 3ème étape : celle-ci dure 4 à 8 semaines. Les participants ont vu les vidéos et écouté les cassettes audio de survivants discutant de leur victimisation et de leur chemin vers la guérison. Des discussions structurées suivent cette activité. 4ème étape : les participants écrivent une histoire où ils doivent se mettre à la place de leur victime. Ensuite ils assurent le rôle de leur victime dans un jeu de rôle lisant leur texte à haute voix et répondant aux questions des membres du groupe (questions destinées à la victime). 5ème étape : chaque participant joue l'incident de l'abus sexuel d'abord du point de vue de l’abuseur pendant qu'un membre du groupe joue le rôle de la victime, ensuite les rôles sont inversés (il joue le rôle de la victime et un autre membre le rôle de l’abuseur). Durant le jeu de rôle, l'emphase est placée sur l’abuseur parlant à la 1ère personne, sur les pensées, sentiments et fantaisies qu'il expérimente avant, pendant et après l'incident abusif. Le rôle qu'il joue est supposé le forcer à expérimenter les composantes comportementales, kinesthésique, cognitive et émotionnelle de l'agression sexuelle qu'il a commise. A la fin du programme, l'évaluation révèle une hausse des habilités empathiques. Cependant, l'auteur émet une réserve quant au maintien d’un tel changement de comportement (le maintien à long terme n’a pas été testé).

5. La lecture de simples histoires ou nouvelles, dépendant du niveau de lecture des

participants, peut être utilisée pour augmenter l'empathie. Les enfants qui lisent fréquemment montrent plus d'empathie et d'émotions lorsqu’ils sont comparés aux enfants lisant moins fréquemment (Van Der Bolt & Tellegen, 1994-1995). A travers les personnages présentés dans ces récits, ceux-ci offrent au lecteur le pouvoir d'entrer dans une série illimitée de contextes et d’émotions.

6. De même, lors d’une interview récente sur la radio publique nationale, une avocate évoquant les drames passés perçoit la radio comme "le théâtre de l'esprit" qui nécessite que les auditeurs se projettent eux-mêmes dans la scène dont ils écoutent la description et d'imaginer ce qu'il s'était passé. La lecture d'histoires ou de livres, l’écoute des cassettes dramatiques suivies de discussion de groupe peuvent être intéressantes pour développer l'empathie chez les participants.

7. La communication victime-abuseur peut être utilisée pour augmenter l'empathie : cependant des précautions doivent être prises dans l'utilisation de cette technique parce qu'une revictimation peut survenir (Knopp & Stevenson, 1989). La communication victime-agresseur ne devrait être utilisée que lorsque c'est dans l'intérêt de la victime plutôt que de l'agresseur. La communication victime-abuseur peut être classée selon plusieurs niveaux d'intensité (direct et indirect) et selon la nature de cette communication (personnelle et non personnelle). La communication directe implique un contact face à face entre la victime et l'abuseur. Elle se fait généralement en présence d'un thérapeute dans le cadre d'un traitement individuel ou de groupe. La communication indirecte se fait au travers de lettres, de cassettes vidéos ou audio ou par le téléphone. La communication personnelle implique que la victime et l'agresseur communiquent l'un avec l'autre. La communication impersonnelle suggère que la victime et l’agresseur peuvent ne pas se connaître l'un et l'autre. Par exemple : un abuseur peut apparaître avant un traitement de groupe de survivants d'abus sexuel dès lors que cet abuseur n'a abusé d'aucun des participants du groupe.

8. Un ouvrage intitulé "Empathy and Compassionate Action : Issues and Exercices : A

Guided Workbook for Clients in Treatment" (Freeman - Longo, Bays and Bear, 1996) montre que l'empathie peut être utilisée comme une stratégie d’intervention auprès des auteurs d'abus d'enfants. Bien que destiné initialement aux abuseurs sexuels, cet ouvrage peut également s’appliquer aux auteurs d’abus physique et émotionnel.

9. Plusieurs programmes appelés "The Nurturing Programmes" sont disponibles dans le

commerce en anglais et espagnol pour parents et enfants de différents groupes d'âge (prénatal : naissance jusqu'à 5 ans, 4 - 12 ans). Ces programmes mettent en avant les différents aspects de la parentalité adéquate incluant l'empathie.

10. Le développement de l'empathie chez les abuseurs d'enfants nécessite que les

thérapeutes mettent sur pied des outils créatifs utilisant des techniques et des ressources variées. Des expériences sont réalisées dans le domaine du psychodrame (Goldman & Morrison, 1984 ; Jones, 1996) et de la thérapie par l’art (Linesch, 1988 ; Naumbert, 1987 ; Rubin, 1987). Ces techniques devraient également permettre d’approfondir les facteurs individuels, familiaux et socio-culturels ayant contribué au comportement abusif.

Résultats évaluatifs des recherches L'évaluation de l'efficacité de la formation à l'empathie avec les abuseurs est importante et nécessite l'usage de stratégies innovatrices en recherche. Une revue de la littérature sur l'usage de la formation à l'empathie avec les abuseurs sexuels et les programmes de prévention fournissent les informations concernant les résultats de la recherche méthodologique. Ce type de recherche évaluative utilise les instruments multiples plutôt qu'un indice « single » (unique) d'empathie ; elle se base sur l'utilisation d'échantillons appariés de comparaison et insiste sur l'identification et le contrôle des variables affectant la relation entre l'empathie et le comportement abusif identifié préalablement. Un « single Index » d'empathie a souvent été utilisé dans des études comparant des cohortes de mères abusives et mères non abusives comme par exemples : "The Hogan Empathy Scale” (Hogan, 1969), “The Emotional Empathy Scale” (Mehrabian & Epstein, 1972) and “the Interpersonal Reactivity Index” (Davis, 1983).

Certains auteurs critiquent les mesures généralisées de l'empathie et encouragent l'usage de mesures spécifiques à une personne qui peuvent révéler l'incapacité de sujets à être empathiques à l’égard de leurs victimes et qui évaluent de manière plus précise les aspects de l'empathie à cibler dans le traitement. Les chercheurs devraient considérer l'utilisation de mesures comportementales incluant les cassettes vidéos et les analyses de l'empathie liées à des comportements aversifs démontrés par les sujets en réponse à une tâche assignée. Etant donné que l’utilisation des codes comportementaux présente un problème significatif dans l'analyse de telles cassettes vidéos, les chercheurs souhaitent utiliser les services du "centre de l'apprentissage social d'Oregon" pour l'analyse de cassettes. Différents codes de comportement y sont disponibles pour les analyses. En guise de conclusion Dans le cadre de la recherche, l’empathie est décrite comme une variable modératrice de l’agressivité. Les études montrent aussi que l’empathie joue un rôle important dans les relations précoces parents-enfants et que les abuseurs d’enfants en sont déficients. Bien que des formations à l’empathie aient été utilisées dans le traitement d’abuseurs sexuels (adultes et adolescents), elles sont moins fréquentes dans le traitement d’abuseurs physiques et émotionnels. Les travailleurs des services de protection de l’enfance et les thérapeutes travaillant avec les abuseurs physiques et émotionnels nous encouragent donc à expérimenter différents moyens afin d’augmenter l’empathie chez les parents abusifs et à mesurer l’efficacité des traitements à long terme.

Bibliographie