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IMAGES Les écomasées en France : contrudictions et déviutions François Hubert en 1952 àRoquefort, France. Diplômé de philo- sophie, sociologie de la communigation et ethno- logie française. Animateur à I’Ecomusée de la Grande-Lande de 1976 à 1982. Conservateur au Musée de Bretagne de Rennes depuis 1983. Parti- cipe avec I’équipe de Jean-Yves Veillard au pro- gramme de I’Écomusée du Pays de Rennes. A coor- donné les travaux de l’exposition uDécouvrir les écomusées n et de la publication Découvrir ¿es éco- musées. Depuis une dizaine d’années, la prolifé- ration de discours entretenant sans cesse une confusion entre théorie et doctrine n’a pas aidé à éclaircir la philosophie des écomusées dont les données de base, mal- gré leur complexité, avaient pourtant été établies de manière cohérente. Tout s’est passé comme si l’idée était devenue un tel enjeu (et peut-être l’est-ellepour obtenir des subventions) qu’il fallait à tout prix éviter d’en préciser le contenu. A tel point que cet outil patrimonial censé d’abord s’intéresser à la mémoire collec- tive fait preuve d’une étonnante faculté d’oubli lorsqu’il s’agit de sa propre his- toire, inventant une chronologie qui n’a pas grand-chose à voir avec les étapes de la réalisation des dsérents projets’, développant une mythologie dont la plu- part des héros n’ont jamais eu qu’un rôle très accessoire, certains textes - et des plus officiels - allant jusqu’à omettre le nom de Georges Henri Rivière parmi les instigateurs de l’idée ! Car nous devons nous rendre à I’évi- dence :-il est aujourd’hui impossible de citer à un collègue étranger visitant la France une seule expérience il pourrait voir réalisé l’ensemble des principes qu’il a découverts dans les textes théoriques : son itinéraire le conduirait dans quatre ou cinq lieux fort éloignés les uns des autres, chacun ne lui montrant que l’une des facettes de I’écomuséologie. Quant au grand public, il reste persuadé (mais invente-t-il ou juge-t-il d’après ce qu’il voit ?) qu’un écomusée est la reconstitu- tion d’une ferme ou d’un atelier ancien. L’inadéquation entre le discours et la réa- lité est aujourd’hui manifeste. I1 est vrai que chacun de son côté a théorisé sa pro- pre expérience, tâchant de la conformer à la (( Définition évolutive des écomu- sées )>*, même si elle en était initialement fort éloignée : l’emploi du terme en effet ne fait l’objet d’aucune protection, cha- cun pouvant l’utiliser et l’interpréter àsa guise. Des hommes de génie (parfois) ont assuré la synthèse des théories partielles : mais en raison de leur méconnaissance des réalités du terrain, ils n’ont pu faire mieux qu’une spéculation purement intellectuelle. Et pour comble de mal- heur, l’écomusée s’est trouvé confronté à la crise économique qui l’a sérieusement ébranlé. Histoire d’une idée et de sa perversion En 1967, la création des Parcs naturels régionaux (regroupement de communes en milieu rural qui bénéficient de finan- cements importants pour pratiquer une politique de développement économi- que et culturel) sera l’occasion pour Georges Henri Rivière d’adapter les musées de plein air scandinaves au con- texte français en modifiant cependant le modèle initial : il ne s’agit pas de dépla- cer des maisons sur un site artificiel, mais de reconstituer des espaces tels qu’ils ont existé. Ces nouveaux musées3 propose- ront une pédagogie globale en ne traitant plus seulement des pratiques culturelles ou de l’architecture, mais aussi des rela- tions de l’homme avec son environne- ment. Ils apparaissent comme un premier effort de synthèse entre les sciences de l’homme et celles de la nature. Ces expé- riences, dont le nom d’écomusée forgé peu après exprime bien la prise en compte de l’environnement, vont très vite bénéficier d’un succès important : le développement, chez le grand public, des idées écologistes et régionales. 1. I1 est presque communémeng admis aujourd’hui, par exemple, que I’Ecomusée du Creusot a été le premier, alors que cette expérience débute en 1971, soit trois ans après celle des parcs naturels régionaux. Georges Henri Rivière a fait l’objet de trois versions successives (1973, 1976, 1980). Volontairement bref (une page), ce texte définit les bases des écomusées tout en laissant de vastes possibilités d’expérimentation. La version de 1980 est intégralement reproduite dans le présent numéro de Museum. 3. Parmi les plus connus des écomusées d 6 parcs, citons ceux des monts d’Arrée et d’Ouessant, de la Grande-Lande, de Camargue, du mont Lozère et de la basse Seine. 2. La U Définition évolutive des écomusées >> de

Les écomusées en France: contradictions et déviations

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I M A G E S

Les écomasées en France : contrudictions et déviutions

François Hubert

Né en 1952 àRoquefort, France. Diplômé de philo- sophie, sociologie de la communigation et ethno- logie française. Animateur à I’Ecomusée de la Grande-Lande de 1976 à 1982. Conservateur au Musée de Bretagne de Rennes depuis 1983. Parti- cipe avec I’équipe de Jean-Yves Veillard au pro- gramme de I’Écomusée du Pays de Rennes. A coor- donné les travaux de l’exposition uDécouvrir les écomusées n et de la publication Découvrir ¿es éco- musées.

Depuis une dizaine d’années, la prolifé- ration de discours entretenant sans cesse une confusion entre théorie et doctrine n’a pas aidé à éclaircir la philosophie des écomusées dont les données de base, mal- gré leur complexité, avaient pourtant été établies de manière cohérente. Tout s’est passé comme si l’idée était devenue un tel enjeu (et peut-être l’est-elle pour obtenir des subventions) qu’il fallait à tout prix éviter d’en préciser le contenu. A tel point que cet outil patrimonial censé d’abord s’intéresser à la mémoire collec- tive fait preuve d’une étonnante faculté d’oubli lorsqu’il s’agit de sa propre his- toire, inventant une chronologie qui n’a pas grand-chose à voir avec les étapes de la réalisation des dsérents projets’, développant une mythologie dont la plu- part des héros n’ont jamais eu qu’un rôle très accessoire, certains textes - et des plus officiels - allant jusqu’à omettre le nom de Georges Henri Rivière parmi les instigateurs de l’idée !

Car nous devons nous rendre à I’évi- dence :-il est aujourd’hui impossible de citer à un collègue étranger visitant la France une seule expérience où il pourrait voir réalisé l’ensemble des principes qu’il a découverts dans les textes théoriques : son itinéraire le conduirait dans quatre ou cinq lieux fort éloignés les uns des autres, chacun ne lui montrant que l’une des facettes de I’écomuséologie. Quant au grand public, il reste persuadé (mais invente-t-il ou juge-t-il d’après ce qu’il voit ?) qu’un écomusée est la reconstitu- tion d’une ferme ou d’un atelier ancien. L’inadéquation entre le discours et la réa- lité est aujourd’hui manifeste. I1 est vrai que chacun de son côté a théorisé sa pro- pre expérience, tâchant de la conformer à la (( Définition évolutive des écomu- sées )>*, même si elle en était initialement fort éloignée : l’emploi du terme en effet ne fait l’objet d’aucune protection, cha- cun pouvant l’utiliser et l’interpréter àsa guise. Des hommes de génie (parfois) ont assuré la synthèse des théories partielles : mais en raison de leur méconnaissance

des réalités du terrain, ils n’ont pu faire mieux qu’une spéculation purement intellectuelle. Et pour comble de mal- heur, l’écomusée s’est trouvé confronté à la crise économique qui l’a sérieusement ébranlé.

Histoire d’une idée et de sa perversion

En 1967, la création des Parcs naturels régionaux (regroupement de communes en milieu rural qui bénéficient de finan- cements importants pour pratiquer une politique de développement économi- que et culturel) sera l’occasion pour Georges Henri Rivière d’adapter les musées de plein air scandinaves au con- texte français en modifiant cependant le modèle initial : il ne s’agit pas de dépla- cer des maisons sur un site artificiel, mais de reconstituer des espaces tels qu’ils ont existé. Ces nouveaux musées3 propose- ront une pédagogie globale en ne traitant plus seulement des pratiques culturelles ou de l’architecture, mais aussi des rela- tions de l’homme avec son environne- ment. Ils apparaissent comme un premier effort de synthèse entre les sciences de l’homme et celles de la nature. Ces expé- riences, dont le nom d’écomusée forgé peu après exprime bien la prise en compte de l’environnement, vont très vite bénéficier d’un succès important : le développement, chez le grand public, des idées écologistes et régionales.

1. I1 est presque communémeng admis aujourd’hui, par exemple, que I’Ecomusée du Creusot a été le premier, alors que cette expérience débute en 1971, soit trois ans après celle des parcs naturels régionaux.

Georges Henri Rivière a fait l’objet de trois versions successives (1973, 1976, 1980). Volontairement bref (une page), ce texte définit les bases des écomusées tout en laissant de vastes possibilités d’expérimentation. La version de 1980 est intégralement reproduite dans le présent numéro de Museum.

3. Parmi les plus connus des écomusées d 6 parcs, citons ceux des monts d’Arrée et d’Ouessant, de la Grande-Lande, de Camargue, du mont Lozère et de la basse Seine.

2. La U Définition évolutive des écomusées >> de

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Par ailleurs, entre 1971 et 1974, se développe, sous la direction de Marcel Évrard, avec l’aide de Hugues de Varine, alors directeur de I’ICOM et l’appui de Georges Henri Rivière, une nouvelle expérience : au sein de la communauté urbaine Le Creusot-Montceau-les-Mines récemment créée, mûrit le projet d’un musée de l’homme et de l’industrie qui soit éclaté sur l’ensemble du territoire et le plus proche possible des habitants. Tous doivent être associés à la concep- tion, animation, évaluation, etc., cette participation étant facilitée par le choix d’un statut associatif. En 1974, cette expérience prend le nom d’écomusée et les perspectives nouvelles qu’elle propose vont contribuer à l’enrichissement de la réflexion, principalement dans le domaine de la territorialité du champ d’intervention et dans celui de la partici- pation de la population : désormais, le préfHe << éc0 )9 désigne aussi bien la prise en compte de l’environnement naturel que social.

Les écomusées* sont donc le fruit de la rencontre de deux démarches qui ont procédé en quelque sorte àl’inverse l’une de l’autre : c’est, d’une part, un siècle de réflexion sur les musées menée à terme et synthétisée par Georges Henri Rivière qui trouve immédiatement un écho dans le public en raison de ses préoccupations essentielles : écologie et ethnologie régio- nale ; c’est, d’autre part, à partir d’aspi- rations participatives et autogestionnai- res, le besoin de créer un nouveau type de musée. La convergence des deux appro-

ches débouche sur la conception d’un système muséographique dont le modèle idéal organise autour du musée du temps, un musée de l’espace, un labora- toire de terrain (atelier, documentation, magasin d’objets s’il y a lieu, etc.), des antennes ou communautés associées, des itinéraires et cheminements. L’ensemble est géré par trois comités (usagers, ges- tionnaires, scientifiques) qui assurent la, participation de tous et fonctionnent comme une a école mutuelle >>, l’objectif suprême étant le développement de la communauté.

Cet intense bouillonnement culturel et idéologique qui constitue le contexte d’émergence des écomusées ne doit cependant pas faire oublier qu’ils sont nés dans une période de prospérité économique, à l’inverse des réalisations suivantes, principalement celles posté- rieures à 1977 et qui sont les plus nom- breuses. I1 est toujours difficile d’adapter à la récession des idées engendrées par la prospérité : lorsque les usines ferment les unes après les autres, l’écomusée doit admettre la remise en cause de son dis- cours sur le développement et même, parfois, son existence, une part impor- tante de la population préférant que ses financements soient transférés à des entreprises créatrices d’emploi !

Outre l’ébranlement de quelques principes de base, la crise économique a surtout donné lieu à un étonnant phé- nomène de déviation. Toute période difficile s’accompagne en effet d’une prolifération de musées d’histoire et

d’ethnographie qui ont pour fonction d’exorciser l’inquiétude face à l’avenir par une exaltation des valeurs du passé.

Depuis 1977, on a vu naître, dans ce contexte, une multitude de ((petits éCo- musées >9. Ils s’appuient rarement sur un regroupement de communes comme leurs prédécesseurs et de ce fait ont du mal à affirmer leur extension territoriale. I1 leur est donc difficile de concevoir un programme cohérent d’autant que leurs financements sont souvent limités. Mais ils crient haut et fort leur conformité à << la Définition des écomusées B, parce qu’il est indispensable pour eux d’être iden- tifiés comme tel : le terme en effet est pra- tique car il donne bonne conscience : le discours très élaboré sur le développe- ment que professe l’écomusée permet de masquer les tendances passéistes de la plupart de ces entreprises récentes. Mais sur le terrain, on mythifie le passé à tra- vers les fêtes des moissons et la période contemporaine est totalement absente du programme muséographique, s’il existe! Si bien que ces différentes expériences informeront plus le sociologue sur les angoisses et les fantasmes de notre so- ciété, que le muséologue sur de nouvelles pratiques muséographiques.

4. Pour plus de dgtails sur l’histoire des écomusées, on lira 2 Hugues De Varine, u L’écomusée B, Gazette de l’Association des mzsées cuna&ens (Ottawa), vol. 104, no 2, 1978, p. 29-40: ainsi que F. Hubert, J. Y. Veillard, H. Joubeaux, Découivir les écoconusées, Rennes, Musée de Bretagne, 1984 (48 p., photogr., bibliogr., 45 F).

2 ÉCOMUSÉE DE LA COMMUNAUTÉ LE CREUSOT- MONTCEAU-LES-MINES. La participation de la population devient l’élément dynamique indispensable, ce principe est devenu la clé de voûte des écomusées.

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188 Frmgois Habert

En effet, telle est bien la véritable ambiguïté de l’écomusée, comme l’a déjà fait remarquer Jean-Yves Veillard5 : est-il une authentique réappropriation de son patrimoine par la population ou le refuge de nouvelles classes réfractaires au changement socioéconomique ?

L ’écomusée entre de mythe et d’utopie

Bien des écomusées de la troisième géné- ration (celle des parcs étant la première et celle du Creusot la deuxième) ont poussé à l’extrême cette contradiction et c’est à leur sujet qu’un quotidien français a pu écrire qu’ils étaient les <musées de la récession ..

Ils puisent leur philosophie dans l’expérience participative du Creusot, se définissant comme e écomusées commu- nautaires D pour exprimer la philosophie d’autodéveloppement qu’ils prônent, en opposition aux <( écomusées institution- nels )> représentés initialement par la génération des parcs où la part d’initia- tive de la population est effectivement plus faible. Juridiquement, l’opposition institutionnel I communautaire marque le rattachement du premier à une collec- tivité locale ou à une administration de tutelle et l’indépendance du second, qui lui est conférée en France par le statut de la loi de 190 1.

Pourtant, et malgré sa lourdeur, la tutelle administrative assure la pérennité de l’écomusée institutionnel sans exclure la création d’une association des usagers. Et l’on peut se demander si le statut asso- ciatif n’a pas pour conséquence la préca- rité de l’écomusée communautaire et si son indépendance à l’égard du pouvoir n’est pas un leurre. I1 doit sans cesse qué- rir des subventions remises en cause cha- que année et qui peuvent devenir un moyen de pression considérable. L’avenir de l’écomusée ne tient qu’au bon vouloir de ses financeurs et, pour durer, il devra faire des concessions en s’immisçant dans le jeu politique : son action pourrait alors être celle voulue par le pouvoir et, contra- diction suprême, il deviendrait un outil de manipulation !

Vu sous cet angle, l’écomusée commu- nautaire est une aubaine pour les pou- voirs politiques : ils peuvent limiter son coût tout en contrôlant son action !

Mais il l’est aussi du point de vue de l’idéologie qu’il développe : contraire- ment P l’esprit contestataire qu’il affiche, l’écomusée est loin d’être subversif, son programme visant à l’instauration d’un véritable consensus entre toutes les cou-

ches de la population. Les trois comités constituent alors la structure formelle de réalisation du consensus, car‘le vieux rêve de l’âge d’or est partout présent : àtravers les fêtes des battages s’élabore l’image idéale d’une vie sociale qui sert de réfé- rence aux spéculations sur l’avenir. Et les écomusées à dominante industrielle n’échappent pas à cette règle : ils pré% rent traiter de l’histoire des techniques que de l’histoire sociale et s’ils évoquent parfois le paternalisme des patrons du XIX~ siècle, ils sont plus évasifs sur les grands conflits, les luttes de classes et les oppositions irréductibles entre catégories sociales6.

Ce tableau, ainsi dressé à dessein, montre bien le risque principal pour un écomusée : qu’il définisse son domaine d’action entre un passé mythique et un avenir utopique. Le présent est en effet difficile à vivre comme l’illustre l’expé- rience des écomusées de villes nouvelles, où les différences sociales se doublent de différences de culture et de civilisation ; et que peut faire l’écomusée sur ces terri- toires, sinon proposer une identité totale- ment artificielle à des populations trans- plantées, qui, en outre, se heurtent violemment aux habitudes des habitants de longue date ?

Autre idée centrale de l’écomuséolo- gie, celle de territoire prend une telle importance dans certains projets qu’elle devient la projection de tous les fantas- mes (( micro-nationalistes D : on n’hésite pas à rebaptiser collines et vallées, à créer des U portes )> de l’écomusée qui, moins qu’elles n’informent le voyageur de son existence, manifestent àla population les frontières de sa ((petite patrie ~ 7 , exaltant ses différences et, pourquoi pas ? sa supé- riorité. C’est un peu comme si une mino- rité, sans passer par la voie des urnes, légi- timait son pouvoir en créant une nouvelle

5 . J.-Y. Veillard, *Les musées d’ethnographie, les musées impossibles de l’Hexagone,, texte non publié d’une intervention dans un séminaire de réflexion sur le patrimoine ethnologique, à Rennes, en 1983.

1978 dans un article peu connu, mais fort intéressant, bien qu’anonyme : c Un écomusée, ce n’est pas un musée comme les autres,, Histoire et ctitique des arts, Paris, décembre

6 . Cette réflexion avait déjà été développée en

1978, p. 90-102. 7. Cette expression est née avec les

mouvements régionalistes conservateurs qui, dès la fin du X I X ~ siècle, étaient à l’origine de la création des musées de terroir.

8. Seuls des journaux de gauche ou d’extrême gauche ont fait preuve de quelque soupçon ; c’est surtout le cas du quotidien Libération. Mais le seul article vraiment critique à ma connaissance est celui cité ci-dessus, paru dans Histoire et critique des arzs, revue qui se revendiquait de l’extrême gauche.

nation, car l’écomusée, en se proposant une approche globale du territoire, déve- loppe naturellement une forte propen- sion à l’hégémonie : toutes les actions sociales, culturelles et économiques doi- vent passer par lui, excluant implicite- ment toute autre structure. Que l’on ne s’étonne donc pas si en France les écomu- sées n’ont jamais fait l’objet de critiques virulentes de la part des partis politiques, des journaux d’opinions. Ils dérangent peu, ils prennent en charge l’animation socioculturelle, ont recours au bénévolat, coûtent moins cher que beaucoup d’autres structures et, à travers leur volonté d’engendrer un monde meilleur, servent d’exutoire au militantisme politique.

On ne peut cependant nier aux écomu- sées, quels qu’ils soient, leur efficacité en matière d’animation. Le philosophe Henri Pierre Jeudy a déjà remarqué que (c L’élaboration d’un musée ne concrétise pas seulement le consensus social qui se fait autour d’un idéal de la conservation, elle réalise diverses pratiques d’échanges

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culturels. La préparation, le développe- ment d’un musée [. . .] supposent un ras- semblement d’objets et de documents qui génère de la communication sociales. )> Un programme d’écomusée mobilise une partie importante de la population et intensifie la vie sociale, le risque de l’écomusée communautaire étant précisément de ne jamais aller au- delà de ce rôle. Car c’est l’absence de dimension scientifique de la plupart des démarches qui sécrète déviations et con- tradictions. En dehors de toute distancia- tion, de tout esprit critique, le <<musée miroirs ne montre plus la société telle qu’elle est mais telle qu’elle veut se voir, avec les excès que suppose cette attitude. C’est au contraire de la confrontation d’une interprétation scientifique avec la vision que les habitants ont d’eux-mêmes que naîtra un dialogue porteur de dépas- sement. Récuser tout intérêt à l’exposi- tion permanente conçue de manière scientifique sur une base a interdiscipli- naire périodisée>>, selon les mots de Georges Henri Rivière, au profit de peti-

tes expositions temporaires réalisées directement par la population sans apport extérieur, c’est évacuer totale- ment les possibilités d’une confronta- tion. Pour cette raison, l’exposition per- manente est la clé de voûte de l’écomusée et non un simple aléa de l’animation. Corrélativement, la participation de la pppulation ne doit pas être conçue comme la mise en oeuvre d’un vaste con- sensus, mais comme le moyen de mettre en évidence conflits et contradictions. L’écomusée doit échapper au seul rôle de conservation, mais il doit, avec autant de force, échapper au seul rôle d’animation car le danger qui le guette, c’est l’excès dans l’un ou l’autre sens, l’écomusée ins- titutionnel ayant tendance à s’enfermer dans les préoccupations scientifico-con- servatrices des vieux musées de terroir et

5 ~COMUSÉE DE LA GRANDE-LANDE. ~a maison de Marquèze. Les premiers, les écomusées 9 parcs se ’Ont attachés 1 ensemble de l’environnement dans lequel

9. H. P. Jeudy, al‘échange et l’objet>, texte extrait d’une intervention au colloque c Constituer aujourd’hui la mémoire de demain., tenu à Rennes en décembre 1984 et dont les actes

‘OnSeTver

seront prochainement publiés par l’Association Muséologie nouvelle et expérimentation sociale.

objets et bâtiments puisent leur signification.

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190 Françoir Hubert

4 MUSÉE DE BRETAGNE, Rennes. Section Bretagne contemporaine. Les écomusées doivent aussi proposer une interprétation du présent, et non s’enfermer dans ‘

l’exaltation du passé.

I’écomusée communautaire à rejoindre la cohorte des centres d’animation socio- culturels.

Les écomzaées ont-iZs zm. aveaìr ?

L’équilibre conservation-animation ne définit pas cependant à lui tout seul l’écomusée : la plupart des musées tradi- tionnels le réalisent aussi bien et depuis longtemps. Son originalité, c’est cette étonnante capacité dont il a fait preuve à rejoindre son époque, à se confronter à elle pour lui proposer, au-delà de l’image qu’il lui renvoyait, un nouvel huma- nisme. L’écomusée, comme d’autres for- mes de musées nées en même temps ou un peu avant lui (Musée du Niger, Casa del Muséo, musée de voisinage)*o remet- tait définitivement en cause l’idée d’un musée universel, immuable dans le temps et dans l’espace. I1 lui opposait des formes spécifiques d’objectivation de leur patrimoine par chaque micro-société et réalisait concrètement sur le terrain (à moins qu’il n’ait contribué à leur élabo- ration) les réflexions de la table ronde de Santiago (1972) : <(Le musée est une insti- tution au service de la société dont il est partie intégrante et il possède en lui- même les éléments qui lui permettent de participer à la formation des consciences des communautés qu’il sert”. )>

Mais en même temps qu’il ouvrait une brèche au sein du musée traditionnel, I’écomusée avait besoin d’être légitimé. I1 a voulu que ses acquis ne disparaissent pas, que soit définie sinon une charte, du moins << des principes d’organisation )> (entérinés par le ministre de la culture en 1980) qui garantissent sa spécificité et

assurent sa reconnaissance par les <(ins- tances supérieures>+. Et de fait, il fut reconnu et en même temps que lui (était- ce une manœuvre?) toutes les expérien- ces, toutes les théories qui subitement se réclamèrent de son nom, le dévalorisant du même coup. u Les écomusées, ça évo- lue du tonnerre ! Mais ce qui m’agace, c’est que d’un côté on progresse et de l’autre, il y a deux ou trois récupérateurs qui prennent le train en marche et qui en font tout un système. C’est une idée tellement spectaculaire et tellement féconde que ça intéresse les récupéra- teurs )> disait Georges Henri Rivière’’.

L’écomusée, on le voit, a connu bien des luttes, les plus importantes étant peut-être celles à venir. Moins que cette dévalorisation-récupération, voulue ou non, l’écomusée devra craindre, comme l’a laissé entrevoir sa confrontation avec la crise économique, les transformations de la société. Le monde d’aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec celui qui l’a généré. Derrière les nouvelles technolo- gies se profile une autre vision de l’homme et du monde qui lui ouvre de vastes perspectives car les Centres de cul- ture scientifique et technique semblent ne pas aller au-delà de la dimension tech- nique : le < nouvel humanisme )> des éco- musées de la quatrième génération aurait-il de beaux jours devant lui ?

Cette quatrième génération, cepen- dant, reste à inventer.

10. Voir les articles de Pablo Toucet, uLe musée de Niamey et son environnement )>, Nuserrm, vol. =IV, no 3 , 1972, p. 204-207, et de Coral Ordónez García, ((La Casa del Museo, Mexico, D.F., une expérience de musée intégré m,

11. Extrait des résolutions adoptées par la table ronde de Santiago en 1972 (Museum, vol. XXV, no 3 ) mis en exergue des documents préparatoires du premier Atelier international des écomusées et nouvelles muséologies, Montréal, Québec, 1984.

12. Voir également le chapitre consacré aux écomusées dans le rapport demandé par le ministre de la culture français à Max Querrien, président de la Caisse nationale des monuments historiques et des sites, en juin 1982, <Pour une nouvelle politique du patrimoine B.

13. Extrait d’une interview parue dans le journal Le Monde du 8-9 juillet 1979 (sous le titre : ((Le musicien muséographique qui inventa aussi les écomusées s).

vol. XXVII, no 2, 1975, p. 71-77.