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Les enseignements de la crise alimentaire de 2005 au Niger pour les politiques de sécurité alimentaire Johny EGG INRA / UMR MOISA (Montpellier) Journée CIRAD 4 septembre 2008 « Sécurité alimentaire et production agricole : y a-t-il vraiment un lien ? »

Les enseignements de la crise alimentaire de 2005 au … · Plan de l’exposé 1. Les dispositifs publics de prévention / gestion des ... Une crise d’accessibilité sur fond de

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Les enseignements de la crise alimentaire de 2005 au Niger

pour les politiques de sécurité alimentaire

Johny EGGINRA / UMR MOISA (Montpellier)

Journée CIRAD 4 septembre 2008« Sécurité alimentaire et production agricole :

y a-t-il vraiment un lien ? »

Pourquoi parler de la crise 2005 au Niger

• Une crise qui a marqué les esprits – une crise « non annoncée »– incluant les zones de production principales…– alors que le Niger a un Dispositif national de prévention

considéré comme expérimenté– une médiatisation hors norme au Sahel (20 ans)– une mise en cause sévère des acteurs publics

• Une crise emblématique des changements…– dans les déterminants des crises alimentaires (la sécurité

alimentaire des ménages) – dans les conditions de « la réponse » aux crises (les politiques

publiques de sécurité alimentaire)

Les études et évaluations de la crise alimentaire 2005 du Niger

• Evaluation du DNPGC face à la crise – étude IRAM : Egg, Michiels, Delpeuch, Blein, Alby-Flores– « Enseignements de la crise… » : série études MAE (à

paraître)• Evaluation de l’action du PAM (contribution V. Ancey)

• Evaluation de l’action des ONG : CARE , CRS, World Vision, SCF

• Analyse MSF : « Niger 2005, une catastrophe si naturelle », Karthala

• Etude LASDEL : rétrospective de la crise « vue par le bas »– Numéro d’Afrique contemporaine

Plan de l’exposé

1. Les dispositifs publics de prévention / gestion des crises alimentaires dans les pays du Sahel

2. La caractérisation de la crise alimentaire 2005 du Niger

3. Le déroulement de la crise4. Les réponses du Dispositif public 5. Les enseignements de la crise 2005 du Niger

1. Les dispositifs de prévention / gestion des crises alimentaires dans

les pays du Sahel

Le Sahel : une zone qui vit avec le risque

• Un environnement à risques, histoire jalonnée de famines– exposition aux risques liée aux aléas ( sécheresse, criquets) – aggravée par facteurs structurels : pauvreté, faible productivité,

dégradation fertilité sols, pâturages

• Les stratégies anti-risques des populations– Prévenir le risque (gestion ex-ante du risque)

• Diversifier les activités et les sources de revenus• Épargne de précaution (stock, bétail, valeur d’échange)

– Atténuer les conséquences du choc (partage des risques et gestion ex post)

• Pratiques de crédit / réciprocité• Réseaux de solidarité

La politique de prévention / atténuation

• Objectif : suppléer les stratégies des ménages ex ante : prévenir le risque ; ex-post : atténuer les conséquences du choc - idée d’assurance – Politique s’impose après la libéralisation marchés céréaliers

• Schéma de base : – information (alerte / choc) : bilans, SAP, SIM…– stock de sécurité (et autres outils) – structure coordination Etat- donateurs

• Mise en œuvre : à partir fin 80’s tous les pays du CILSS se dotent d’un Dispositif national – Niger : SAP (1989), DNPGC renforcé par UE (2000)

Structures et outils du Dispositif Niger • Les structures :

– Organe commun : CMC / CRC (Commission Mixte de concertation) signataires : UE, France, RFA, USAID, Suisse et PAM

– Bien commun : SNR (SNS + FSA)– Bien commun des donateurs : FCD

• Les outils : – CCA (Cellule Crises Alimentaire, Cabinet 1er Ministre)– SAP (bilans céréaliers, surveillance zones à risques, SIM…) – OPVN (gestion par contrat-Plan avec l’Etat)

• Les moyens d’intervention– Aide alimentaire – Ventes à prix modérés, distribution semences/intrants– Actions d’atténuation (micro-réalisations)

2. Caractérisation de la crise alimentaire 2005

• Une crise alimentaire sévère qui résulte d’une combinaison de facteurs conjoncturels et structurels • Une crise qui s’écarte du schéma attendu par le Dispositif national

Une crise d’accessibilité sur fond de déficit d’offre …

• Production céréalière insuffisante et déficit fourrager très important

• Niveau de prix des céréales très élevé…(effet intégration marché régional)

• Baisse prix bétail, oignons et commerce

Evolution du prix du mil sur le marché de Niamey

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2001/2002 2002/2003

2003/2004 2004/2005

… et de dégradation continue des conditions de vie des ménages vulnérables• Crise sévère pour tous les ménages vulnérables en raison :

– des prix élevés, – de la dégradation continue de leurs moyens de production– de l’épuisement de leurs stratégies de survie - « les gens ont

adopté la crise »les migrations sont accentuées,

– la solidarité communautaire se fragilise – les récoltes ne suffisent pas à rembourser l’endettement – les exploitations aisées ont profité de la crise (ventes de

céréales, acquisition de terres suite à dettes…)

Intensification des stratégies d’atténuationrégion de Maradi

• Exode précoce et prolongé de tous les jeunes(importance de téléphonie mobile et Western Union)

• Forte consommation de feuilles y compris de nouvelles espèces végétales toxiques

• Décapitalisation des ressources (vente ou mise en gage de champ, vente de biens propres, …)

• Recours aux moins vulnérables (demande d’aide alimentaire ou semences), mais aussi fragilisation des ménages (répudiation)

Une crise nutritionnelle « révélée »• Toutes les enquêtes nutritionnelles anthropométriques réalisées en

2005 au Niger ont donné :

des prévalences de malnutrition aiguë (poids-taille <-2ET) dans la population des enfants de moins de 5 anstoujours graves (≥ 10%) et souvent critiques (≥15%), comparables aux situations de guerre

• Toutes les régions sont touchées (zones vulnérables ou non sur le plan alimentaire).Ce paradoxe apparent réside dans la complexité des causes de malnutrition avec une intrication de la sécurité alimentaire, de l'environnement social et de la santé.

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Maradi +Tahoua - z.agricole (09-10)

Mar+Tah - z.agropastorale (09-10)

Mar+Tah - z. pastorale (10)

(% d’enfants de 6 à 59 mois avec un Poids-Taille < - 2 ET)

Grave

Critique

Acceptable

%

Mauvaise

Ampleur de la crise Prévalence de malnutrition aiguë en 2005

dans plusieurs régions du Niger

Ampleur de la crise Ampleur de la crise PrPréévalence de malnutrition aiguvalence de malnutrition aiguëë en 2005 en 2005

dans plusieurs rdans plusieurs réégions du Niger gions du Niger

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Maradi (01/1992)

Maradi (04-08/2000)

Maradi (01/2005)

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Tahoua (01/1992)

Tahoua (04-08/2000)

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Tahoua C0 (08/2005)

(% d’enfants de moins de 5 ans avec un Poids-Taille < - 2 ET)

Grave

Critique

Mauvaise

Acceptable

%

Comparaison des prévalences de malnutrition aiguë 1992 –2000 - 2005 dans plusieurs régions du Niger (1)

Comparaison des prComparaison des préévalences de malnutrition aiguvalences de malnutrition aiguëë 1992 1992 ––2000 2000 -- 2005 dans plusieurs r2005 dans plusieurs réégions du Niger (1)gions du Niger (1)

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Niger 1992Niger 2000

Burkina 1992

Burkina 1998

Burkina 2003Mali 2001

Tchad 1996-97

Nigeria N.O 2003

% d’enfants de moins de 5 ans avec un Poids-Taille < - 2 ETen milieu rural dans plusieurs pays du Sahel (1992-2003)

Grave

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Moyenne

Acceptable

%

Au-delà du Niger : dans le Sahel, des taux de malnutrition aiguë parmi les plus élevés du monde

3. Chronologie de la crise alimentaire: une périodisation du « processus »

• Manque d’anticipation • Divergences de stratégies entre les acteurs du Dispositif national

Juin - sept 2004 : fin de la lutte anti-acridienneOctobre - janv 2005 : diagnostic et programmation

– à partir d’un déficit jugé maîtrisable, – plan d’urgence d’atténuation des crises (PAC)– Requête d’aide alimentaire (manque de crédibilité du signal)

Février - juin : doutes et remises en causes– Hausse des prix, difficultés approvisionnement – Révélation de la crise nutritionnelle (HKI-PAM, MSF)

modifie profondément le déroulement « annoncé »de la crise

– 1er flash appeal, pression des media passage à « l’arène internationale » (sièges des agences)

Juillet : passage à l’urgence – Forte pression pour les distributions gratuites

(Médiatisation, « humanitaires, sièges)

– Rupture d’approvisionnement en céréales du Dispo. – Changement de stratégie du PAM

Crise institutionnelle au sein du DNPGCA

Août – début oct : distributions gratuites gén. – Les nécessités de la coordination s’imposent

coordination compliquée par gd nombre acteurs– Distributions gratuites grande échelle, grands moyens

Novembre : difficulté de pronostic nvelle campagne Controverse malgré la production satisfaisante et l’excédent de fourrages (en fonction résilience)

4. Caractérisation de la réponse

Une réponse qui tarde mais parvient à contenir la crise

1er temps de la réponse

La stratégie d’atténuation : • Peu d’impact en raison :

– sous dimensionnement du plan d’urgence – sous réalisation, suite difficultés d’approvisionnement

• PAC : actions utiles mais réponse non adaptée à difficultés d’envergure :

lourdes à organiser + handicap manque disponibilités de céréales

• Ventes à prix modérés : réalisées à 50%Appréciées, mais volumes insuffisants pour avoir impact significatif sur ménages et sur prix

2ème temps de la réponse : l’urgenceLes distributions gratuites à grande échelle: • succès opérationnel global :

plus de 60.000 t de céréales distribuées en deux mois durant la saison des pluies (dont 43.500 t par le PAM et 18.200 t par le Dispositif)

• mais ambitions initiales de ciblage des ménages abandonnées

• Impact important (seules aides significatives, 20 j.)mais limité par période tardive

• Effets pervers sur actions de développement (banques de céréales, crédit, prise en charge…)

Centres de récupération nutritionnelleCRENI, CRENAS, CRENAM

• Janvier 2005 : 1 CRENI et 7 CRENA sur Maradi• Juillet 2005 : 1 Protocole National de prise en charge de la malnutrition• Juillet – décembre : plus de 800 centres - 25 ONG – 335.000 enfants

traités

5. Principaux enseignements

Une nécessaire adaptation du dispositif public et des outils d’analyse

au changement de paradigme

La crise 2005 a mis en évidence

Un décalage entre– le « modèle » de Dispositif en place au Niger

(et au Sahel) – et l’évolution

(i) des conditions de la sécurité alimentaire des populations vulnérables

(ii) des conditions de l’aide

Le Dispositif doit s’adapter à un changement de paradigme

Une crise inscrite dans un continuum • Au total, une crise inscrite dans un continuum de

dégradation des systèmes de vie des populations vulnérables

affaiblisement de la capacité d’absoption des chocs extérieursnotamment aux prix (les stratégies faisant davantage recours au marché)

« la crise nous a trouvé à genoux, elle nous a mis à terre »« les gens ont adopté la crise »

• Au total, : une crise dans laquelle les déterminants conjoncturels et structurels sont difficiles à démêler

La remise en question du schéma type de la crise alimentaire au Sahel

• L’origine de la crise n’est pas liée à un choc, mais au processus de transformation et d’appauvrissement des ménages ruraux

Adaptation des outils de suivi et d’analyse (stratégie des ménages)Réponses dans la durée Prise en compte du continuum urgence / réhabilitation / développement

• L’ampleur de la malnutrition infantileNécessite solutions curatives et préventives

• Changement du rôle du marché régionalAssurance sur disponibilités n’est plus garantie par le marché

La remise en question du dispositif de gestion des crises au Sahel

• Un contexte de concurrence pour leadership de gestion des crises : national, régional ou international

• Nouveaux acteurs de la gestion des crises– Organisation paysannes, ONG locales

Revendication de souveraineté nationale (Afr. Ouest)

– Collectivités décentraliséesMise en œuvre de la politique par les élus, ex Mali

– ONG locales – Nouveaux donateurs

• Bilatéraux, notamment anciens « récipiendaires » (Chine, Inde, Maroc)• Multilatéraux (ONU, solidarités islamique…)

L’évolution des modalités d’alerte et de mobilisation de l’aide

• Décalage dans les politiques de communication entre : – Le Dispositif : information à caractère technique diffusée par

des canaux spécialisés– Les acteurs de l’aide humanitaire : mobilisation de l’opinion

publique pour inciter à l’action les donateurs

• Aujourd’hui, la médiatisation est nécessaire pour renforcer l’efficacité de l’appel, mais :– la priorité au plaidoyer se fait au détriment de l’information– la médiatisation de la crise entraîne un changement d’arène

difficile à gérer pour les acteurs du Dispositif (passage de l’arène locale à l’arène internationale et rôle prépondérant des acteurs de l’aide humanitaire)

Conflits de normes sur les politiques de sécurité alimentaire

• Urgence versus prévention et développement- Normes globalisées de l’aide d’urgence - Moyens sans commune mesure avec Dispositifs nationaux

• La gestion commune face : – au droit universel à l’alimentation :

• droit fondamental qui « s’impose » aux Etats, • qui s’affranchit, si nécessaire, des contraintes

institutionnelles locales au nom du devoir d’ingérence

– à la souveraineté alimentaireDroit des peuples à définir leur propre politique agricole et

alimentaire (via Campesina 2001, OP)