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RachelHawthorne
LESGARDIENSDEL'OMBRE
Pleinelune
Traduitdel’anglais(États-Unis)parAnne-ÉlisabethLozano
PROLOGUE
Unsilencepesant régnait sur la forêt.Agitéespar labrisedecettechaudenuitd’été, les feuillesnous chuchotaient des avertissements quenous ignorions.Baignésde la clarté de la lune,Lucas etmoiétionsseulsaumonde.Ilétaitbienplusgrandquemoietpourapercevoirsesyeuxargentés,jedevaisinclinerlatêteen
arrière.Sesyeuxm’hypnotisaient,cequi,aulieuderalentirlerythmeaffolédemoncœur,nefaisaitquel’accélérer.Oupeut-êtreétait-celaproximitédeseslèvres…Mesjambesnemeportaientplus.Jemesuisadosséeàun troncd’arbre.Lucass’estavancévers
moi.Est-cequej’étaisprête?Est-cequejevoulaisdecebaiserquichangeraitmavie?Jesavaisquesi je l’embrassais, j’enseraischangéepour toujours,nousneserionsplus jamais lesmêmes,notrerelationsetransformerait…Ce mot immense paralysait mon cerveau. Se transformer. Il signifiait bien plus pour moi
maintenant.Maintenantquejesavais.Soudain,Lucasaété toutprèsdemoi. Ilaposésonavant-brascontre l’écorce,au-dessusdema
tête,commesi luiaussiavaitbesoind’unappui.Jesentaissachaleur irradiermoncorps.Dansdescirconstancesplusnormales,jemeseraisattenduequ’ilmeserretendrementdanssesbras,maiscettenuit-là,rienn’étaitnormal.Auclairdelune,jevoyaisàquelpointilétaitbeau.Magnifique,àvraidire.Sescheveux,épaiset
lisses, lui tombaient sur lesépaulesenunbouillonnantmélangeblanc,noir,brunetargent. J’avaisdésespérémentenviedelestoucher,deletoucher.Maisjesavaisqu’ilinterpréteraitlemoindregestede ma part comme le signe que j’étais prête. Or je ne l’étais pas. Je ne voulais pas de ce qu’ilm’offrait.Pascesoir-là.Peut-êtremêmejamais.Dequoiest-cequej’avaispeur?Cen’étaitqu’unbaiser.J’avaisdéjàembrasséd’autresgarçons,et
jel’avaisembrassé,luiaussi.Alors,pourquoil’idéedel’embrasseràprésentmeterrifiait-elletant?Laréponseétaitsimple:jesavaisquecebaisernouslieraitl’unàl’autrepourtoujours.Il a gentiment repoussé mes cheveux de mon front. Il m’avait dit un jour que leur couleur lui
rappelaitcelled’unrenard.Presquetoutcequ’ildisaitavaitunrapportaveclaforêt,cequiseyaitsibienàsesmanièresdesolitaire.Pourquoi se montrait-il si patient ? Le sentait-il, lui aussi ? Comprenait-il que ce serait
irrémédiablesi…Soudain,ilabaissélatêteversmoi.Jen’aipasbougé.Jerespiraisàpeine.Malgrétousmesdoutes,
j’enavaisenvie.Maisjeluttaiscontrecetteenvie.Seslèvrestouchaientpresquelesmiennes.—Kayla,a-t-ilmurmuré,latiédeurdesonhaleinecaressantmajoue,c’estl’heure.Leslarmesmesontmontéesauxyeux.J’aifaitnondelatête–commentreconnaîtrequ’ildisaitla
vérité?—Jenesuispasprête.Toutàcoup,j’aientenduungrognementsourd.Ils’estraidi.Ill’avaitentendu,luiaussi.Ilafaitun
pasenarrièreetjetéuncoupd’œil.C’estalorsquejelesaivus:unedouzainedeloupsencerclaientlaclairière.—Danscecas,trouves-enunautre.Tunepeuxaffrontercetteépreuveseule.Ilm’atournéledosets’estrésolumentdirigéverslesloups.—Attends!luiai-jecrié.Maisilétaitdéjàtroptard.
Ilacommencéàsedéshabillertoutenaccélérantlepas,s’estmisàcourir,afaitunbond…Etc’estunloupquiatouchélesol.Enuneétourdissanteseconde,ils’étaittransforméenanimal.Et
ilétaitaussibeauainsiquesoussaformehumaine.Ilarejetélatêteenarrièreetahurléàlalune.Sonappelarésonnéenmoi.J’aitentéderésisterà
l’envie d’y répondre,mais l’animal au fond demoi était trop fort, trop déterminé pour se laisserdompter.J’aicouruverslui…Difficile de croire qu’à peine quinze jours auparavant, l’idée que les loups-garous puissent
réellementexistermeparaissait totalementridiculeetaberrante.Surtoutmaintenantquemoi,KaylaMadison,j’allaisendevenirun.
1
Moinsdequinzejoursauparavant…
La peur. Une chose vivante et remuante cachée au plus profond de moi. Parfois je la sentaiss’agiter,sedémenerpourselibérer.Ellem’accompagnaitcettenuit-là,auxalentoursdeminuit,alorsque jemarchaisencompagniedeLindseyparmi lesbroussaillesduparc.Mais j’étaisdevenue trèsforte pour dissimuler ma panique. Je ne voulais pas que Lindsey croie qu’elle avait commis uneerreur en me persuadant de venir travailler avec elle pour l’été comme guide de randonnée.J’espérais apprendre à son contact quelques astuces qui m’aideraient à combattre mes démonsintérieurs.N’empêchequesebaladertoutesseulesdansunendroitoùdegrossesbestiolessauvagesétaient à la recherche d’un casse-croûte dans notre genre, c’était dingue. D’autant plus que nousn’avionsprévenupersonne.Nousn’avionsrienditparcequesortirdesbungalowsaprèsl’extinctiondes feux aurait pu nous valoir un renvoi définitif. J’avais survécu à une semaine d’entraînementintensif,pasquestiondemefairevirerlaveilledemapremièremissiond’accompagnement.En guise d’arme, je serrais dansmamain une lampe torche.Monpère adoptif est flic et ilm’a
apprismillefaçonsdetuerquelqu’unavecunelampetorche.D’accord,j’exagèreunpeu,maisquandmême,ilm’amontréquelquestrucsd’autodéfense.Surlecôté,àl’endroitoùlesarbreset lesbuissonsétaientleplusépais, j’ai toutàcoupentendu
unesortedebruissement.—Chut!Attends.C’étaitquoi?Monmurmuren’étaitqu’unfiletdesoufflerauque.Avecsalampe,Lindseyabalayélestroncs,puislefeuillagedesarbres.Lalumièreducroissantde
luneneparvenaitpasàtraverserlavégétation.Jemesuisretournéeetlefaisceaudemalampel’aéclairée.Elleareculéenlevantlebraspourse
protégerlesyeux.Sesfinscheveuxblondsprenaientuneapparenceirréelledanscettelumière.Ellem’évoquaitunefée,maisjesavaisquesoussestraitsdélicatssecachaitunegrandeforceintérieure.La presse locale avait parlé d’elle quand elle avait sauvé un enfant attaqué par une panthère. Elles’étaitinterposéeetavaitfaitfuirl’animal.—J’aicruentendrequelquechose,luiai-jedit.—Commequoi?—Saispas.Lecœurbattant, j’aiànouveauregardéautourdemoi.J’adore lanature.Maiscettenuit-là,àcet
endroit-là,jeflippais.Jen’arrivaispasàmedébarrasserdel’impressionquequelqu’un,ouquelquechose,m’observait.—Commeunbruitdepas?ademandéLindsey.—Pasvraiment.Oualorsquelqu’unquimarcheraitenchaussettes.Lindseyapassésonbrasautourdemesépaulesfluettes.Elleétaitunpeuplusgrandequemoiet
beaucoup plus musclée grâce à la randonnée et à l’escalade. Nous nous étions rencontrées l’étéprécédentquandj’étaisvenuecamperavecmesparents.Elleétait l’unedenosguides–ousherpas,comme les appelaient les employés du parc. Nous nous étions très bien entendues et étions vitedevenuesamies,aupointderesterencontacttoutaulongdel’annéescolaire.—Personnenenoussuit,m’aaffirméLindsey,toutlemondedormaitquandnoussommesparties.—Etsic’étaitunprédateur?Mapeur était absurde.Cependant, j’avais entenduquelque chose, et ce quelque chose n’était pas
amical.Jen’auraispaspuexpliquerpourquoi,maisj’enétaissûre.Unsixièmesens…
L’éclatderiredeLindseys’estrépercutéentrelesarbres.—Non,sérieux.Ilyabieneucettehistoiredepanthèrel’étédernier,luiai-jerappelé.—Etalors?—Etsielleétaitrevenuepoursevenger?—Alorsc’estmoiqu’ellevamanger.Pastoi.Saufsielleestaffamée.Danscecas,elledévorera
cellequicourtlemoinsvite.Engros,moi.Mêmesijemedéfendaisàlacourse,j’étaisloind’êtremédailled’or.J’ai respiré à fond pour concentrer mon attention sur les bruits autour de moi. Un silence
surnaturelrégnaitdanslaforêt.Unsilencedûàunpossibledanger?—Ondevraitpeut-êtrerentrer?Nousétionsàmoinsdedeuxkilomètresduvillagequisetrouvaitàl’entréeduparc.Lindseyetmoi
partagionsunpetitbungalowavecBrittany,uneautreguide.Aprèslecouvre-feu,àvingt-troisheures,personnen’étaitcensésortir.—Côt!Côtcôtcôt!Lindseyimitaittrèsbienlapoule,mouilléeenl’occurrence.—Trèsmarrant.Etsionsefaitvirer?luiai-jedemandé.—Encorefaudrait-ilqu’onnouschope.Allez,viens.—Maisqu’est-cequetuveuxmemontrer?Toutcequ’ellem’avaitdit,c’estqu’ellevoulaitpartager«untrucintense»avecmoi.Celaavait
suffipourpiquermacuriosité,maisàcemoment-lànousétionsencorebienensécuritéauvillage.—Écoute,Kayla,situveuxdevenirunesherpa,ilfautqueturéveilleslafilleaccrod’aventuresqui
sommeilleentoi.Cequejevaistemontrervautlargementlerisquedeperdreceboulot,unejambeoulavie.—Ouah!Était-elle en traind’éludermaquestion ?Ça en avait tout l’air. J’ai regardé autourdemoi avec
méfiance.—Ya-t-ilunrapportaveclesmâlesdenotreespèce?Àvraidire,c’étaitàmesyeuxlaseulechosequipuissejustifiertouscesrisques.Lindseyasoupirécommelefontlesparents.—Tuesuncasdésespéré.Allons-y.Peudésireusederesterseule,jel’aisuivie.Moi,j’avaisapprislaprudence.Monpèreetmamère
avaientététuésdansceparcquandj’avaiscinqans.C’étaitpourm’aideràsurmontercetraumatismequemes parents adoptifsm’y avaient emmenée l’année précédente, trop tard pour que çamarche,selonmoi.Nousavionscampéunesemainedanslecoin,jem’étaisbienamusée,maisjenejureraispasquel’expérienceaitcontribuéàréglermes«problèmes».Oui,parcequej’avaisparaît-ildesproblèmesémotionnels.Ducoup,jesuivaisunethérapie,cequi
voulaitdirequejegaspillaisuneheureparsemaineavecleDrBrandon,unpsyférudelaméthode«Affrontersespeurs».J’auraispréféréallerchezledentiste!Maisdequoiest-cequej’avaisréellementpeur?Cen’étaitmêmepasunanimalquiavaitattaqué
mesparents.Ilsavaientétéabattuspardeuxchasseursabrutisdebièreetsanspermisquilesavaientprispourdesloups.Àcausedeceschasseurs,mesrêvesétaientremplisdeloups;mesnuitsétaientagitéesetjehurlais
souventdansmonsommeil.D’oùlathérapiepourveniràboutdescauchemars.SelonlathéorieduDrBrandon,moninconscientcherchaitàexpliquercommentdeuximbécilespouvaientavoirabattumesparents.Il ne me restait rien de ce lointain après-midi, à part un grand flou et l’image de mes parents
étendusmortssurlesoldelaforêt.
MonDieu,commentavaient-ilspulesconfondreavecdesloups?Derrièremoi,ilyaeuuncraquementdansunbuisson.Pétrifiée,leduvetdemanuquehérissé,je
mesuisfrottélecouenpassantlamainsousmescheveuxroux.Puisunfrissonm’aparcourueetmesbrassesontcouvertsdechairdepoule.J’avaisl’impressionquesijemeretournais,jeverraiscequec’était.Maisest-cequej’avaisenviedel’affronter?Lindseyestrevenuesursespas.—Qu’est-cequisepasse,encore?—Quelquechosenoussurveille,ai-jemurmuré,jelesens.Cettefois,Lindseynem’apasenvoyéebouler.Elles’estmiseàregarderautourd’elle.—Çapourraitêtreunhibouàlarecherched’uncasse-croûteouaucontrairesoncasse-croûtequi
détale.—Untruccommeça,maisenplusflippant.—J’ai grandi dans le coin et passé le plus clair demon tempsdans cette forêt. Il n’y a riende
flippant,parici.—Etlapanthère?—C’étaitloindanslesbois.Ici,onestencoreenpleinecivilisation.Ilyamêmedesendroitsoùles
portablespassent.Encoreunecentainedemètresetonyest.Ellem’apriseparlamainetjel’aisuivie,surlequi-vive.Ilyavaitquelquechose.J’enétaissûreet
certaine.Etc’étaitpasunhibouniunrongeur.Pasuntrucdanslesarbres,niuntrucpetit.Untrucquipourchassaituneproie.J’aifrissonné.Uneproie?Pourquoiest-cequej’avaispenséàça?Etpourtant,c’étaitlavérité.Je
lesentais.Cetrucattendaitetobservait.Maisobservaitquoiouqui?Etattendaitquoi?Combien de mètres restait-il ? Quarante ? Quelle débilité de s’aventurer ici sans prévenir
personne!Sijamaismesparentsadoptifsl’apprenaient,ilsmetueraient.Jeleuravaispromisd’êtresérieuse.C’étaitlapremièrefoisquejepartaissanseux,etmamèreadoptivem’avaitfaitpromettred’êtreprudente,etpatatietpatata.Devantmoi,unelueuràtraverslefeuillageaattirémonattention.—Qu’est-cequec’est?—Cequejevoulaistemontrer.Nousavonsfranchiuneligned’arbrespourentrerdansuneclairièreilluminéeparunfeudecamp.
Avantquejepuisseposeruneautrequestion,unedouzainedejeunes–lesautressherpas–asurgidederrièrelesarbres.—Surprise!ont-ilscrié.Joyeuxanniversaire!Moncœurafaillis’arrêter.Lamainsurlapoitrine,jemesuismiseàrire.—C’estpasaujourd’hui,monanniversaire!—Maisc’estdemain,non?m’ademandéConnor.Enregardantsamontre,ilacommencéàcompter:—Dansdixsecondes,neuf,huit…Lesautresontentonné lecompteà reboursavec lui. Ils s’étaient tousmisen rangdevant le feu.
Près de Connor se tenait Rafe. Ses cheveux lisses et bruns lui tombaient aux épaules et ses yeuxmarronétaientsisombresqu’ilsdevenaientnoirssurlepourtourdelapupille.Commec’étaitplutôtuntaiseux,j’étaisvraimentsurprisequ’ilparticipeàtoutça.—Sept,six…Brittany,àcôtédelui,luiressemblaitcommeunejumelle.Mêmescheveuxbrunsetlisses,unpeu
pluslongs,etlesyeuxd’unbleutrèsfoncé.Elledormaitquandnousétionsparties.Ouplutôt,faisaitsemblant,ai-jecompristoutàcoup.Ellem’avaitbieneue.Maiscommentavait-ellefaitpourarriveravantnous?
Etpuisilyavaitd’autressherpasquel’onm’avaitprésentésmaisquejeneconnaissaisencorequedevue.Qu’ilssoientvenusmefaisaitsuperplaisir.—Cinq,quatre…Àl’école,jem’étaistoujourssentieàpart:l’orpheline,l’enfantadoptée,cellequin’étaitpasàsa
place. Jack et Terri Asher m’avaient recueillie. Ils n’étaient pas horribles, c’était juste qu’ils necaptaientpastout.Maisbon,çaexiste,desparentsquicomprennentparfaitementleursenfants?—Trois,deux,un.Joyeuxanniversaire!Connoracontournélefeuets’estaccroupi.Uneflammeaétinceléetunefuséeestpartieversle
cielpouryexploserdansunedébauchederouge,blanc,bleuetvert.J’auraispariéquelesfeuxd’artificeétaientinterditsdansunparc.Maisj’étaistropcontentepour
m’ensoucier.Etpuis,pourlapremièrefoiscetété-là,jen’étaisplussoumiseauxrèglesparentales.Jen’avaisplusenviedemecomporterenenfantsage.—J’ycroispas!Vousvousenêtessouvenus!J’étaistrèstouchée.Personnenem’avaitjamaisorganisédesurprise,cedontjemefichaisunpeu
parcequemesparentsétaientmortslejourdemonanniversaire.—C’estimportant,unanniversaire,aditLindsey.Surtoutcelui-là.Àtesdix-septans!Brittany a apporté un plateau sur lequel étaient disposés dix-sept petits gâteaux de supermarché,
chacunsurmontéd’unebougie.—J’adorelesgâteaux,ai-jedit,surtoutceuxfourrésàlacrème,fabriquésàlachaîneetemballés
dansduplastique.—Faisunvœuetsouffle.J’aiprisunegrandeinspiration,jemesuispenchéeenavantetc’estalorsquejel’aivu.LucasWilde.Ilétaitadosséàuntroncd’arbre,lesbrascroisés,presqueinvisibledansl’obscurité,commes’ilne
souhaitaitpasqu’onlevoie.Maissasimpleprésencedégageaitunetelleforcequej’aiétéétonnéedenepasl’avoirremarqué
avant.Sesyeuxbrillaientd’unelueurargentéedanslenoir.Commeàsonhabitude, ilmeregardaitintensément.Lucasme terrifiait.Ou plutôt, ce que j’éprouvais pour luime terrifiait.Une attirance que je ne
m’expliquaispas.J’avaisdéjàcraquésurdesmecs,maiscettefois,c’étaitplusqueça,sipuissantquec’enétaitpresqueirrésistible–etunpeuembarrassantvuque,manifestement,ilnepartageaitpasmessentiments. Pire, j’avais l’impression qu’il voulait éviter tout contact avec moi. J’essayais dedissimulercequejeressentais,maisdèsquejelevoyais,messentimentsrevenaientaugalop,cequimefaisaitcraindrequ’ilpuisseliredansmesyeuxcequejetentaisvaillammentdecacher.Êtreprèsdeluifaisaitbattrelachamadeàmoncœur,m’asséchaitlabouche.Jebrûlaisdepasser
mesdoigtsdanssesmèchesmulticolores.Ànotrepremièrerencontre,j’avaiscruqu’ils’étaitfaituneteinture. Jen’avais jamais rienvude tel…niquelqu’uncomme luinonplus. Il était si intense.Luiaussiavaitéténotreguidel’étéprécédent,maisj’avaistrèspeuparléaveclui.Enrevanche,jel’avaissouventsurprisàm’observer.Onauraitditqu’ilattendaitquelquechose…—Allez,souffletesbougies!m’aencouragéeConnor.Sesmotsm’ontsortiedematranse.J’aifaitunvœusansvraimentypenseravantd’éteindred’un
couplesbougiestremblotantes.—Tiens,m’aditBrittanyenmetendantungâteau,désoléedenepasavoirprévuunvraigâteau
d’anniversaire,onafaitaveclesmoyensdubord.— C’est super, ai-je déclaré avec un sourire reconnaissant, ravie de la diversion, je ne m’y
attendaispasdutout.
—On adore les surprises, a ajoutéLindsey,mais vous auriez pu être plus discrets, elle vous aentendusdanslaforêt.Vousavezfaillitoutgâcher.J’aifaitminedelataper.—C’estçaquej’aientendu?Ungrandsoulagementm’avaitenvahie;enmêmetemps,j’avaisl’impressionqu’ellesetrompait.—Bienoui.Pourquetunetedoutesderien, il fallaitqu’ilssoientcouchésaumomentdenotre
départ. Il fallait aussi qu’ils se dépêchent pour tout installer avant qu’on arrive. Et le plussilencieusementpossible.—Maisc’estderrièrenousquej’aientenduquelquechose.—Commequoi?estintervenuLucasenserapprochant.Lesondesavoixgraveafaitnaîtreuneondedeplaisirenmoi.Justesavoix.Ellemeremuaitavec
uneviolenceinouïe.Messentimentsabsurdesmemettaientmalàl’aise.Jen’étaispaslegenredefilleàplaireauxbeauxténébreux.Quesonattentionsoitfocaliséesurmoiétaitunpeuflippant.—C’étaitsûrementrien.—Alorspourquoituenparles?—C’estpasmoi.C’estLindsey.N’importequellefillenormaleauraitadoréqu’ils’intéresseàelle.Alorspourquoimerendait-ilsi
nerveuse?Pourquoiperdais-jetousmesmoyensensaprésence?—Du calme,Lucas, a ditConnor, c’était nous sans doute. Tu sais bien comment c’est : plus tu
essaiesd’êtrediscret,plustufaisdebruit.MaisLucas avait les yeux fixés sur l’endroit d’oùnous étions arrivées.Si je n’avais pas suque
c’étaitimpossible,j’auraispucroirequ’ilétaitentraindehumerl’air.Sesnarinessedilataientetsontorsesegonflaitdegrandesinspirations.—Jedevraispeut-êtreallerjeteruncoupd’œil.Justeaucasoù.Ilavaitdix-neufans,maisilsemblaitplusâgé,peut-êtreparcequ’ilétaitsherpaenchef.C’étaitlui
quiétaitresponsabledenotrepetitgroupe.S’ilyavaitunproblème,ondevaits’adresseràlui.Encorequej’auraiscertainementlaisséunoursmedévorertoutecrueavantdeluidemanderdel’aide.Àtortouàraison,ilmesemblaitqu’ilnerespectaitqueceuxquifaisaientpreuved’autonomie.Etj’avaiscebesoinridiculedefairemespreuvesàsesyeux.—TuesaussiparanoqueKayla,aditLindsey,prendsungâteauetassieds-toi.MaisLucasnebougeaitpas, lesyeuxtoujoursfixéssur l’endroitd’oùnousavionsémergéde la
forêt.C’était curieux,mais j’aurais parié que si quelque chose nous avait suivies, quoi que ce fût,Lucas nous en protégerait.C’était ce qui émanait de lui.C’était probablement aussi la raison pourlaquelle,bienquetrèsjeune,ilassumaitdetellesresponsabilitésetavaittantd’autorité.Ildégageaitquelquechosedesiintrépide,desicourageuxàcemoment-làquejeneparvenaispasàdétachermesyeuxdelui.Maisenmêmetempsjen’avaispasenviededonnerl’impressionquej’étaisraidedinguedelui.Dessouchesd’arbresavaientétédisposéesautourdufeu.Jemesuisassiseetj’aijetéunnouveau
coupd’œildansladirectiondeLucas.Ilétaitgrandetathlétique.Sont-shirtmoulantsoulignaitsesmuscles secs. J’ai soudain eu une furieuse envie de caresser ses bras durs comme l’acier, sesépaules…Pathétique.Iln’avaitjamaisrienditoufaitquipuissemeporteràcroirequ’ilpourraitunjourluiaussis’intéresseràmoi.— Alors, qu’est-ce que tes parents t’ont offert pour ton anniversaire ? m’a demandé Brittany,
ramenantmonattentionverslegroupe.Personne,apparemment,n’avaitremarquéquej’avaisl’espritailleurs.EtLucasencoremoinsque
lesautres. J’étais surpriseque lui, toujours sivigilantpourtant,ne se soitpas renducompteque jen’avaisd’yeuxquepourlui.
—Unétéentierloind’eux!ai-jemarmonné.—Ilsnem’ontpasparusilourdsqueçal’étédernierquandjelesairencontrés,aditLindsey.—Ilsnelesontpas,ai-jeadmisenenlevantlabougiepourlajeterdanslefeu.Ilssontmêmeplutôt
pastropmal.Sauf qu’ils n’étaient pasmes vrais parents. Je m’en suis immédiatement voulu d’avoir eu cette
pensée.Ilsétaientmesvraisparents,pasmesparentsbiologiques.Peut-êtrequecequej’avaissentidans la forêt, c’était mes parents biologiques. Idée débile. Je n’étais pas du genre à croire ausurnaturelouauparanormal.—Alors,qu’est-cequ’ilst’ontoffert?ainsistéBrittany.—Toutlematérielnécessairepourcamper.—Pasdevoiture?—Pasdevoiture.—Dommage.—C’estpasgrave,aditConnor,lesvoituressontinterditesdansleparc.Brittanyluiajetéunregardenbiais,puisahaussélesépaules.Unje-ne-sais-quoidansceregardm’afaitmedemandersiellen’avaitpasunpetitfaiblepourlui.—Est-cequ’ilyaquelqu’und’autrequemoipourtrouverlegroupequ’onaccompagnedemainun
peubizarre?ademandéRafe.Dans l’après-midi, nous avions brièvement rencontré le Pr Keane, son fils et ses étudiants de
troisièmecycle.Nousallionslesescorterjusqu’àunendroitqu’ilsavaientchoisidanslaforêt,puislesylaisserquinzejoursavantdevenirlesrécupérer.Ilsavaientévoquéleurespoird’apercevoirdesloups.—Bizarredansquelsens?ai-jedemandé.—LePrKeaneestanthropologue,aditRafe,pourquoivient-ilicipourétudierdesloups?—Lesloupssontbienplusintéressantsqueleshumains,adéclaréLindsey.Lucas,tutesouviensde
ceslouveteauxqu’onavaittrouvéspendantlesvacancesdeprintemps?—Ouais.Lucasn’étaitpasunbavard,cequinelerendaitqueplusintrigantetintimidant.Ilétaitdifficilede
savoircequ’ilpensait,etsurtoutcequ’ilpensaitdemoi.— Ils étaient si mignons, a continué Lindsey, pas lemoins dumonde perturbée par lemanque
d’enthousiasmedeLucas.Troispetitsorphelins.Onlesaenquelquesorteadoptésjusqu’àcequ’ilspuissents’ensortirseuls.Touslesautressherpastravaillaientdansleparcdepuisaumoinsunan.J’auraispumesentirun
peuàpart,maisquelquechosedanslegroupemefaisaitm’ysentiràl’aise.Ilsn’avaientrienàvoiravec lesgroupesà l’école. Jen’avais jamais faitpartied’aucun : jen’avaispas leprofilmajorettehyperpopulaire,sansêtreuneintellohypercoincéepourautant.Jenesavaispasvraimentcommentmedéfinir.C’estpeut-êtrepourçaquejemesentaissibienici.Ilsaimaienttouslanatureetlegrandair.—Nousdevrionsrentrer,aditLucas.—Tucassesl’ambiance,aronchonnéLindsey.—Tumeremercierasdemainmatinquandilfaudraquetusoisprêteàpartiràl’aube.Toutlemondeagrognésouslapiqûrederappelduréveilplusquematinal.Onaéteintlefeuet
alluméleslampestorches.Avantdepartir,j’aitenuàlesremercier.—C’étaitunsuperanniversairesurprise.—Hé,c’estpastouslesjoursqu’onadix-septans,s’estécriéeLindsey.Onvoulaitfaireuntruc
spécialavantquetaseulepréoccupationnedeviennetasurvie.
Jen’aipaspum’empêcherderire.—Çavapasêtresiméchantqueça,si?—Le groupe du PrKeane veut s’enfoncer loin dans le parc, à un endroit où ne nous sommes
jamais allés. Le terrain va être plus difficile que d’habitude, l’effort physique plus important. Çadevraitêtrestimulant…C’estriendeledire…—Maisnet’inquiètepas,atentédemerassurerLindsey,tut’entirerascommeunchef.—Jeferaidemonmieux.Nousavonsreprislecheminduvillage,d’oùpartaienttouteslesexcursions.Rafeétaitentêtedu
groupe et les sherpas étaient disséminés entre lui et moi, sauf un. Lucas fermait la marche, justederrièremoi.Ànouveau,j’aieulasensationd’êtreobservée.—Qu’est-cequisepasse?m’ademandéLucas.Commentavait-ildevinéquej’avaissentiquelquechose?Jemesuistournéeverslui,metrouvantunpeuidiotedeledireàhautevoix.—Justelasensationbizarrequenousnesommespasseuls.—Oui,jelesens,moiaussi,a-t-ilditàvoixbasse.—Çapourraitpasêtrecesloupsquevousavezrecueillis?—Jecroispas.Noussommestropprèsdel’entréeduparc.Cela correspondait à ce que Lindsey avait dit à propos de la panthère, mais bon, les animaux
n’avaientpastoujoursuncomportementprévisible.Legroupe,auxaguets,avançaitverslevillagedanslesilenceleplustotal.J’avaisuneconscience
aiguë de la présence de Lucas derrière moi. Et pas parce que je l’entendais – il marchait plussilencieusement qu’un loup. Mais j’avais l’impression qu’il était proche de moi au point de metoucher. Jemesentaisnerveuse, surexcitée. Jemedemandaiss’ilvoyaitenmoiautrechosequ’unepetitenouvelle.Iln’yavaitaucunindicepouvantm’inciteràcroirequ’ils’intéressaitàmoi.Oumêmequ’il eût envie demieuxme connaître.Nous avions là l’occasion de nous parler et pourtant nousrestionstouslesdeuxsilencieux.Loindevant,deslumièresapparaissaientàtraversl’épaissevégétation:levillage,premièreétape
obligatoirepourtouslesrandonneursduparc.Enfin,nousavonslaissélaforêtderrièrenous.J’étaisencorefrissonnante.—Dites-moiquelessherpasnefontpastropderandonnéesnocturnes.—Quasimentjamais,aditRafe.Maismoiaussij’aisentiuntrucdanslaforêt.—Si ce truc avait étédangereux, il nous aurait attaqués, aditConnor.C’était sûrement justeun
lapin.—Peuimporte,ilestpartimaintenantetnous,nousdevrionsdéjàêtrecouchés,aconcluLucas.ConnoretRafesesontdirigésvers leurbungalow.Lucass’estattardé.Aprèsunehésitation, ila
dit:—Joyeuxanniversaire,Kayla!—Oh,merci.Sesmotsavaientprovoquéunesurprisepresqueaussifortequelapetitefête.Ilaparusurlepointd’ajouterquelquechose,afourrélesmainsdanslespochesdesonjean,puisil
estparti.Jenesavaispastropquoienpenser.Lindsey,Brittanyetmoinoussommesdirigéesversnotrebungalow.Aumomentdenousmettreau
lit,jeleuraidit:—Cetanniversairesurprise,jen’enrevienstoujourspas.—Tuauraisdûvoirtatête!s’estesclafféeLindsey.T’étaiscomplètementsouslechoc.
—Commentas-tupugarderlesecret?Ellem’aadresséungrandsourire.—Celan’apasétéfacile!Unefoisleslumièreséteintes,Lindseyamurmuré:—Hé,Kayla!C’étaitquoi,tonvœu?J’airougidansl’obscurité.—Sijeteledis,ilneseréaliserapas.Saufquejen’étaispassûred’avoirenviequ’ilseréalise.J’ignoraiscequim’avaitprisdefairece
vœudontlesmotsrésonnaientencoreenmoi.:JesouhaitequeLucasm’embrasse.
2
Je suis recroquevillée dans un endroit exigu et sombre. Je suis petite, une enfant. Mes mainscouvrentmabouchepourm’empêcherdefairedubruit.Jesaisquesijefaislemoindrebruit,ilsmetrouveront.Jeneveuxpasqu’ilsmetrouvent.Deslarmesroulentsurmesjoues.Jetremble.Ilssontjustelà,dehors.Lesméchants.Alorsjerestecachée.Personnenemetrouveradanslenoir.Puis une lumière qui se rapproche de moi, encore et encore. Et un monstre, un monstre qui
m’attrape…
Je me suis réveillée en hurlant, les bras battant l’air. Ils ont tapé dans quelque chose. J’airecommencéàcrier.—Hé,cen’estquemoi!aditLindsey.Lalampedechevetàcôtédemonlits’estallumée.Ilfaisaitencorenuit.Lindseysetenaitentreson
litetlemien,l’airhorrifié.—Qu’est-cequit’arrive?J’aiessuyémeslarmes.—Désolée,j’aifaituncauchemar.—Sansblague!Brittany,assisesursonlit,meregardaitcommesij’étaislemonstredemescauchemars.—Onauraitditquet’étaisentraindetefaireassassiner.J’aisecouélatête.—Pasmoi.Mesparents.Maisc’estunelonguehistoire…ai-jedit,hésitante.—Pasdeproblème.C’estpersonnel,jecomprends,aditBrittany.Lindseys’estassisesurmonlit,m’aprisedanssesbrasetm’aétreinteavecforce.Elleconnaissait
l’histoire. Je lui avais tout raconté au cours de l’année, au fur et à mesure que notre amitié serenforçait.— Est-ce que ça va aller ? Tu vas pouvoir accompagner le groupe demain matin ? m’a-t-elle
demandé.Onpeutlaissertomberetattendreleprochain,situveux.—Non. Il fautque j’affrontemespeurs,etallerdans la forêt faitpartieduprocessus.Ça ira.Et
pourcesoir,jenesaispas,c’estpeut-êtreàcausedenotrepromenadenocturne.Çafaisaitunbailquejen’avaispaseucecauchemar.—Entoutcas,sachequetupeuxcomptersurnous.ElleajetéunregardversBrittanyquiaacquiescé.—Ouais.Lessherpasdoiventseserrerlescoudes.—Merci,ai-jeditenpoussantunprofondsoupir.Lindseyestretournéesecoucher.—Tuveuxquejelaisselalumièreallumée?—Non,çavaaller.Aussi bien que possible, étant donné les problèmes que j’affrontais. Le truc vraiment bizarre,
c’était cette curieuse peur quim’avait envahie depuis peu.Comme une prémonition ou un truc dugenre.Lasensationquequelquechosed’inexplicableallaitseproduire.Lindsey a éteint et je me suis lovée sous mes couvertures. J’aurais aimé comprendre ce qui
clochait.Mes parents adoptifs ne parvenaient pas à l’expliquer.Mon psy non plus.Une chose étaitcertaine,c’estquecelaempiraitdepuismonretourauparc.Jenepouvaisquemedemandersicelaavaitunlienaveccequiétaitarrivéàmesparents.
Monsubconscientallait-ilenfinselibérer?Et,sioui,quellesconséquencescelaaurait-ilsurmavie?
Le lendemain matin à mon réveil, j’étais encore sous l’effet de mon rêve dont les effluvesdésagréablesnesemblaientpass’évaporer.J’aiessayédepenseràautrechose.Monanniversaire.Jenemesentaispasplusvieille.Sanssavoirpourquoi,j’avaiscruqu’àdix-septansjemesentirais
plusmûre, plus douée pour la drague aussi.Au lieu de ça, jeme trouvais comme avant, la bonnevieillemoi-même.Unefaiblelumièrefiltraitàtraverslesrideaux.L’aubeétaitlevéedepuisunboutdetempsetc’était
mon premier jour de travail officiel en tant que sherpa. J’allais enfin embarquer pour l’aventureinauguraledemonété.Jemouraisd’impatience.Lasemaineprécédente,j’avaissubitoutessortesdeformationsetd’entraînements.Cettepremière
excursionpermettraitdememettreàl’épreuve.J’aitendulebraspourallumerlalumière.Lindseyagrognéetfourrélatêtesoussonoreillerenmarmonnantquelquechosequiressemblaità«Laisse-moitranquille».—Faispasattentionàelle,aditBrittanyquis’estlevéepourfairedespompes.Siçanetenaitqu’à
elle,ellepasseraitlajournéeaulit.—Jecroyaisqu’elleaimaitallerenforêt.—Tutetrompais.Brittanys’estrelevéeetacommencéàs’étirer.—Elleaimebienlaforêt,maisellepréféreraitquandmêmenepasêtreici.J’aijetéuncoupd’œilversLindsey.Ellenem’avaitjamaisditça.—Maisalors,pourquoiest-ellelà?—Pasmoyend’ycouper.Quandtugrandisdanslecoin,onattenddetoiquetusoissherpapendant
l’été.—Doncvousêtestousducoin?—DeTarrant,unpeuplushautsurlaroute.Ilfallaitlatraverserpourentrerdansleparc:unepetitevilleaméricainecommelesautres.—Cequifaitquedanslegroupe,vousêtestousdéjàamis?—Benouais,plutôt.Connor,RafeetLucassontpartis, ilsentrentàlafaccetteannée.Lindseyet
moi,nousavonsencoreunandelycéeavantd’yaller.—J’ail’impressionquetoutlemondeesttrèsimpatientdesecasserdechezsesparents.—C’estpaspourçaquetueslà,toi?J’aiacquiescé.Maisilyavaitautrechose.J’avaistoujoursadorécamper.Depuisquelquetemps,je
nepensaismêmeplusqu’àça:j’avaisbesoindegrandair.—J’imaginequejedevraismesentiràl’écart,pourtantcen’estpaslecas.Elleahaussélesépaules.—C’estquetuesdesnôtres,non?J’aisourienrevoyantl’entraînementparlequelj’étaispasséelasemaineprécédente.—Jesuisunesherpa,pasdedoutelà-dessus.Elleaalorspenchélatête,commeunpetitchiensurlaplagearrièred’unevoiture,etm’aregardée
avecundrôled’airquejen’arrivaispasàinterpréter.Oùétaitmonpsyquandj’avaisbesoindelui?—C’estça,a-t-elledit,maisj’aieul’impressionquecen’étaitpasvraimentcequ’ellevoulaitdire.
Prems’pourladouche!Jel’airegardéesedirigerverslasalledebains.Elleétaithypermusclée.Avecmonmètresoixante
etmasilhouettefluette, jel’aitrouvéeunpeuintimidante.J’espéraisqu’entrimbalantungrossacà
dosparmontsetparvauxtoutl’étéjememuscleraisunpeu,moiaussi.—Prêtepourtonpremierjourofficieldesherpa?m’ademandéLindseyens’asseyantsursonlit.Elleacommencéàpeignersescheveuxplatineaveclesdoigts.Jemesuisapprochéedupieddesonlit.—Àvraidire,jesuisterrifiée.—Pourquoi?Tuasassurégravependantl’entraînement.—Ouais,maisc’étaientdessimulations.—Tuvastrèsbient’ensortir.—Jepeuxtedireuntruc?—Biensûr.Toujours.—Jesuisinquièteparcequej’aiétéaffectéeaugroupedeLucasetqu’ilm’impressionneunpeu.Il
estsiintense.— Te laisse pas impressionner. Tous les mecs du groupe croient qu’ils ont quelque chose à
prouver.Leurspèresaussiétaientsherpasdans leur jeunesse.C’estune traditionquise transmetdepèreenfils.Ilsn’acceptentlesfillesquedepuisquelquesannées.—C’estpourçaqueBrittanyfaitdespompesausautdulit?Lindseyalevélesyeuxauciel.—Oui.Elleaussiapeut-être l’impressionqu’elleaquel-quechoseàprouver.Moi, jeneprends
pasçatellementausérieux.Brittanyestsortiedelasalledebainsenshortkaki,chaussuresderandonnéeetdébardeurrouge.
Ses longs cheveux noirs attachés en queue de cheval lui donnaient un air strict. Elle a regardé samontre.—Ondoitêtreàl’appeldansdixminutes.Jemesuisruéedanslasalledebains.J’avaisenviedeprendreunelonguedouchebrûlanteparcequeceseraitladernièreavantunbon
moment. Mais j’étais pressée par le temps. Pas de maquillage – ce n’était pas nécessaire enrandonnée–,justedelacrèmesolaire,pournepasavoirtropdetachesderousseur,etdumascara.Mescilssontroux,etsansmascara,ilssontinvisibles.J’aimisunpantalonkaki,meschaussuresderandoetundébardeur.Par-dessus,j’aienfiléunsweatàcapucheetj’aiattachémescheveuxavecunbandana.Pourparachevermonrituelmatinal,j’aicaressélependentifenétainquejeportetoujoursautour
ducou,uncercledebrinstorsadésterminéspardesnœuds.Unjour,quelqu’unm’aditquec’étaitunsymboleceltesignifiant«gardien».Çasemblaitadapté.Ilavaitappartenuàmamère,etparfoisilmedonnaitl’impressionqu’elleveillaitsurmoi.Quandjesuissortiedelasalledebains,BrittanyavaitdéjàfiléetLindseyavaitpasséunshortkaki
etundébardeur.Elleaussiavaitattachésescheveuxenqueuedecheval.Ellem’aaidéeàajusterlesbretellesdemonsacàdos.—Sic’esttroplourd,dis-leàLucas.Ilpourrarefilerdestrucsauxautresmecs.—Jenesuispasunefemmelette.Jepeuxportermonsacàdos.J’étaisunpeuvexéequ’ellepensequej’auraisbesoind’aide.—Jedisçacommeça.Lessherpasportaientbeaucoupdetrucsl’étédernier,alorsilsepeutquetu
nesoispashabituéeàtrimbalerunbazaraussilourd.—Oui,maiscetteannée,c’estmoilesherpa.—Etpastêtueavecça…a-t-ellemarmonné.Jene faisaispasma têtedemule,c’était justeque j’avaisdécidéd’assurermapartduboulot.Et
j’avaisaussidécidéquemesparentsadoptifsnememanqueraientpas.C’étaitdur.Attention, j’étaisévidemment encore très attachée à mes parents biologiques, mais ils n’étaient plus là depuis
longtemps,etmesparentsadoptifsm’avaienttoujourstraitéecommes’ilsm’avaientdonnénaissance.Parfois, la force de mon amour pour eux me surprenait. Cela dit, j’ai tendance à éprouver desémotionsintenses,dumoinsd’aprèsmonpsy,cequiexpliquaitpourquoiquejen’avaistoujourspasréglémesproblèmesparrapportàlamortabsurdedemesparents.L’air fraisdumatinm’afait frissonnerquand jesuissortiedubungalow.Lesrandonneurset les
guidess’étaientrassemblésaucentreduvillage.Ilétaitconstituédelastationdesrangerschargésdesurveillerleparc,d’unpetitcentredepremierssecours,d’uneboutiquedesouvenirs,d’uneépicerieetd’uncafé.Dernièrechancederavitaillementavantdepartirenrandonnée.Jesentaisl’excitationetunepointedenervositémonterenmoi.Aprèstout,j’allaisêtreresponsable
decescampeurs.Lindseyafermélaportedubungalowetcognésonépaulecontrelamienne.—Cettefois,c’estlabonne,mavieille.Tuesprête?J’aiprisuneprofondeinspiration.—Jecrois,oui.—Tuvasvoir,tuvasbienplust’éclaterquel’étédernier.J’ai réajusté mon sac à dos, pris une nouvelle grande inspiration et je me suis dirigée vers le
groupe.LePrKeane,sonfilsetlesétudiantsquilesaccompagnaientserendaientloindanslaforêt.Sixsherpasallaientlesaccompagner.Celafaisaitbeaucouppourunsipetitgroupe,maiscommelePrKeaneavaitbesoind’unéquipementparticulierpourl’enseignementqu’ilcomptaitleurdispenser,il nous avait engagés enmasse.Ce quime convenait parfaitement, vu que j’étais encore en phased’apprentissage. L’idée d’avoir quelqu’un sur qui compter en cas de coup durme rassurait. Je nevoulaispasêtrecelledontunemauvaisedécisionnousdonneraitlavedetteaujournaldevingtheures.Undesrandonneurss’estécartédugroupe.—Salut,Kayla,a-t-ilditens’approchantdemoi,ungrandsourireauxlèvres.Lindseya levéunsourcil interrogateurdansmadirectionetacontinuésaroute.Moi, jemesuis
arrêtéepourparleravecMason.C’étaitundesétudiantsduPrKeane,etsonfilsquiplusest.Jel’avaisrencontrélaveilleetilétaithypermignon.Lescheveuxbrunfoncédesafrangeluitombaientsurlessourcilsetluicachaientàmoitiél’œilgauche.—Salut,Mason.—J’aieupeurquetun’arrivespasàtemps.Ildébordaitd’uneénergiequiaencoreplusboostémonenthousiasmepour l’aventurequenous
allionsentreprendre.—Non,justeunpeuderetardaudémarrage.—Cetterandovaêtresupertrippante.—Tuasdéjàpratiquélecampingsauvage?—Ohoui.Pasici,biensûr.Maismonpèreetmoiavonsdéjàparcourud’autresparcs.EtenEurope
aussi.—Tonpèreettoiêtestrèsproches?Ilahaussélesépaules.—Çadépend. Il resteunparent,quoi.Enplusd’êtremonprofprincipal.Sanscompterqu’ilme
traitecommesij’étaisencoreunmôme.Jeluiaisouriaveccompassion.—Nem’enparlepas.—Oh,si,onpourraitenparler,situveux.Plustard,cesoir.Puisilabaissélesyeux,commesitoutàcoupilétaitmalàl’aise.Soncomportementmerappelait
celui de Rick, avec qui j’étais allée au bal de fin d’année, juste avant qu’il me demande del’accompagner.Commes’ilétaitentrainderassemblersoncourageavecl’angoissed’êtrerejeté.
—On va s’éclater, l’ai-je rassuré, sans vraiment savoir pourquoi, vu que j’allais passer justequelquesjoursaveclui.Sansdouteparcequ’ilétaitmignonetavaitl’airsympa.D’autrepart,aucunerèglen’interdisaitde
tisserdesliensaveclesrandonneurs.Passerplusieursjoursouplusieurssemainesensembledanslesboisfavorisaitlesrapprochements.Ila levé lesyeuxversmoietm’adécochéungrandsourire.Sesyeuxétaientd’unbeauvertvif.
Encadrésparsescheveuxnoirsetsonteinthâlé,onnepouvaitquelesremarquer.—Onpourraitfairelarouteensemble…a-t-ildit,sanssavoirs’ildevaitleformulercommeune
vraiequestion,unesuggestionouunesimpleremarque.—Jevoudrais…—Lacitadine,tuviensavecmoi.Intuitivement–personnenem’avait jamais traitéede« citadine»–, j’ai tout de suite suque cet
ordrem’étaitadressé.Jel’avaispeut-êtrecomprisparcequej’avaisreconnulavoix.Oualorsparcequ’ellese trouvait trèsprèsdemoi.Cedrôlede traitementde faveurm’énervaitetmeplaisaità lafois.Tâchantdegardermoncalme,jemesuislentementtournéeversLucas.—Pardon?«Lacitadine»,tudis?—Tuvisbienenville,non?—Oui, je crois bien qu’on peut dire deDallas que c’est une ville.Mais pourquoi est-ce que je
devraisalleravectoi?Ilétaitentrainderééquilibrersursesépaulesunsacàdosdeuxfoisplusgrosquelemien.Moi,
j’auraisétépliéeendeuxsoussonpoidsmaisluileportaitcommesiderienn’était.—Parcequetuesnouvelleetquej’aibesoindevoircommenttut’ensors.Onpassedevant.Il était en bermuda kaki et t-shirt noir. Ses cheveux étaient raides et plats, mais le mélange de
couleurlesrendaittoutsaufbanals.Ilyavaitdudéfidanssesyeuxgris.D’accord,j’étaisnouvelle,pasidiotetoutefoisaupointdediscuterunordreavantmêmed’avoircommencélarando.Ilpouvaittrèsbiendéciderquej’étaisuncasdifficileetmelaisserlà.Jen’aimaispaslepouvoirqu’ilavaitsurmoietencoremoinsqu’iln’hésitepasàl’exercer.J’avaisunproblèmeavecl’autorité,c’étaitclair.J’aiesquisséuneparodiedesalutmilitaire.Àmavivesurprise,seslèvressesontcrispéescomme
s’ilréprimaitunsourire.Uneréactiontoutsimplementfascinante.—Intéressantcollier.C’estlesymboleceltepour«gardien»,a-t-ilditdoucement.Jen’auraispasétéplussurprises’ils’étaitmisàmeparlerdehautecouture.Jenem’attendaispas
qu’ils’yconnaisseentrucsceltiques.J’aiportélamainàmonpendentif.—Oui,c’estcequ’onm’adit.Ilappartenaitàmamère.—Cequilerendspécial.Ses yeux s’étaient plantés dans les miens et tout à coup plus rien d’autre n’existait. Pendant un
instant,iln’étaitplusmonchef,ilétaitcemecquej’avaisrencontrél’étéprécédent,celuidontj’avaisrêvéplusdefoisquejepouvaismelerappeler.Jenesavaispaspourquoiilhantaitmesrêvesetmespensées.Nipourquoi j’avaisenviede luiavouer levœuque j’avais fait laveilleausoir.Pourquoij’avaistellementenviedel’embrasser.Sonregardestdescenduversmeslèvrescommes’ilétaitentraindepenseràlamêmechosequemoi…Etsoudain,ilaparucontrarié,commes’ilétaitmécontentdelui-même,peut-êtreparcequeMason
l’observaitavecunecuriositéqu’iln’essayaitmêmepasdecacher.—Onseretrouvedevantdanscinqminutes,a-t-ilaboyétoutàcoup.(PuisilaregardéMasonavec
unehostilitéàpeinedissimulée.)Faisbienattentionàresterprèsd’unguide,Mason.Faudraitpasteperdre.MasonaregardéLucass’éloigner,sesyeuxvertsréduitsàdeuxpetitesfentesparl’énervement.Je
pouvais physiquement sentir son antipathie enversLucas.D’habitude, je n’étais pas très forte pour
deviner les émotions des gens, mais je me disais qu’être dans la forêt devait faire resurgir mesinstinctsprimaires.Untrucdugenre«retouràlanature».Ilyavaitàl’évidencedelatensionentreeux.—Quil’anomméàceposte?amaugrééMason.—LesRangersduparc, je crois. Il est très fort, à ceque l’onm’adit.L’étédernier, il amême
retrouvéunefamillequiétaitperduealorsquetouslesautressecouristesétaientrentrésbredouilles.—Sérieux?Commentilafait?—Ilasuivileurpiste,ouuntrucdugenre.Fautluiposerlaquestion.—Commes’ilallaitmerépondre…—Vousvousêtesrentrésdedansouquoi?—Pasencore,maisçanesauraittarder.Ilyauntrucquinemeplaîtpaschezcetype.Selonmoi,Masonnefaisaitpaslepoids.Lucasluimettraitunepâtée,maisjenepensaispasque
Masonapprécieraitbeaucoupquejeluidonnemonavissurlaquestion.Apparemment,jen’étaispaslaseuleàavoirretrouvémoninstinctanimal.—Iln’envautpaslapeine,ai-jedit.Masons’estretournéversmoiavecunmouvementbrusqueetm’afaitunsourirebizarre.—Tucroisquejemeferaisaplatir.—Iltientquandmêmeunesacréeforme.—Netelaissepasabuserparmonamourdesétudes.Jesaismedéfendre.—Jen’endoutepas.Jen’avais rien trouvéd’autreà répondre.Cependant,unebagarrenemesemblaitpasunebonne
idée.—Bon,jedoisyaller.Ilaeffleurémamain.—J’aiquelquechosepour toi. (Il a fouillédans sapocheet ena sortiunpetitpaquetqu’ilm’a
tendu.)Joyeuxanniversaire!Jel’airegardéavecsurprise.—Commentas-tusu?Ilarougi.—Lanuitdernière,jen’arrivaispasàdormir,alorsjesuissortimarcherunpeuetj’aivuvotre
petitefête.Ilnousavaitsuivis?Est-cequec’étaitluiquej’avaisentendu?—Pourquoit’asriendit?Tuauraisputejoindreànous.—C’estpasmongenredem’incrusterdanslesfêtes.Ouvre-le.C’étaitunbraceletdecuirtressé.—Oh,merci!Ilmeplaîtbeaucoup.Jeluiaifaitungrandsourireetilaeul’airencoreplusembarrassé.—Iln’yapasbeaucoupdechoix,danslecoin,exceptédumatérieldecampingetdessouvenirs
débiles.—Non,vraiment,ilestgénial,ai-jeditenpassantlebraceletàmonpoignet.—Alors,onseverrapeut-êtretoutàl’heure?Cen’étaitpascommesionallaitsefaireunrendez-vousdanslesrègles.Ceseraitforcémentune
activitédegroupe,maisçapouvaitquandmêmeêtrefun.—Ouais,çamarche.Je suis partie rejoindreLucas.Ce n’était que le premier jour, et la situation était déjà complexe
entremonattiranceenversLucasetmonintérêtpourMason.Cedernierétaitnettementplusrassurant.Maisest-cequej’avaisenviedequelquechosederassurant?
3
J’airejointLucasdeuxpetitesminutesplustard.J’avaisdécidédenepasluimontrerlecadeaudeMason,etj’espéraisqu’ilneleremarqueraitpas.J’avaisl’intuitionqu’iln’approuveraitpas.—Masonétaitdanslaforêtlanuitdernière,luiai-jedit.C’estsûrementluiquej’aientendu.—Jesaisqu’ilétaitdanslaforêt.Jel’aisenti.—Quoi?—À cause du savon qu’il utilise. Carrément fort, ce truc.Mais de toute façon, celui qui nous
surveillaitetdontj’aisentilaprésence,jenepensepasquec’étaitlui.—Maisilm’aditqu’ilnousavaitobservés.—Alors,c’étaitpeut-êtrelui.Detouteévidenceilm’envoyaitpromener.—Tun’aspasl’airsuperconvaincu.—Jepensejustequ’ilfautqu’onrestevigilants.Allons-y!a-t-ilcriéaurestedugroupe.QuandLucasavaitditquenousprendrionslatêtedugroupe,ilvoulaitdirequ’ilmarcheraitdevant
etquejelesuivrais.Pourmeconsolerjesongeaisqu’iln’yavaitpasd’autreoptionquedemarcherenfileindienne,vul’étroitessedusentier.Nousempruntionsunchemintrèsfréquenté,sibienqu’onledistinguaitnettementetquelavégétationnenousgênaitpas.Plustard,nousbifurquerionsversunezone que personne n’avait explorée. C’était ce que je préférais dans la randonnée : aller là oùpersonnen’étaitjamaisallé.C’étaittoujoursuneaventure,quiréservaitdessurprisesàchaqueinstant.Etàcemoment-là,maplusgrandesurprise,c’étaitLucas.J’appréciaisdeleregarderbouger.Ilavaituneincroyableassuranceetlepiedtrèssûr.Jesavaisqu’ilallaitàl’universitéloind’icietqu’ilnerevenaitquel’étépourtravaillerauparc.Et
c’étaittout.Cedontj’étaissûre,c’étaitqu’ilétaitenparfaiteconditionphysique.C’étaitàpeines’ilrespirait,
alorsquemarespiration,àmaplusgrandehonte,commençaitàdevenircarrémenthachée.Lesentiergrimpaitdanslaforêtetleterraindevenaitdeplusenplusaccidenté.J’avaisl’impressiondefaireuneséancedemuscu.Etmoiquimecroyaisenforme!—Encoreuneffort,aditLucas.Monhumiliationétaittotale.Nonseulementilm’avaitentenduehaleter,maisenplusiln’avaitpas
pus’empêcherdemefairesavoirqu’ilavaitremarquémesdifficultés.Personnen’avaitfaitensortequejemesenteàpartmaisjesavaismaintenantquec’étaitlecas.—Jevaistrèsbien.Ilm’ajetéuncoupd’œilsansralentirsonallure.—Maisleprofetsesétudiants,eux,ontdumal.JerepensaiàsonaccrochageavecMason.—Est-cequetuessaiesdeleurdonneruneleçon?—Sic’étaitlecas,jenem’arrêteraispasdutout.Oui,ilétaittrèscertainementcapabledemarchertoutelajournéesansfairelamoindrepause.Je
ressentaisunétrangemélanged’admirationetdejalousieenverslui.Jenesavaispaspourquoic’étaitimportantpourmoi,mais j’avais envied’être sonégale etde l’impressionnerparmonendurance.Qu’ilressentedel’admirationpourmoi.Lesentiers’estunpeuélargietLucasaralentipourmepermettrederemonteràsahauteur.—Depuiscombiendetempses-tusherpa?l’ai-jequestionné.Ilatournésesyeuxgrisversmoi.—Quatreans.
—C’estpourçaqu’onm’amisedanstongroupe?Àcausedetonexpérience?Ilmescrutait,decettefaçoncalmeetintensequiluiétaitsiparticulière.Puisiladit:—C’estmoiquit’aidemandée.J’ensuisrestéebouchebée,maisiln’apaseuletempsdes’enrendrecomptecarj’aitrébuché.Ila
réagi avecune rapidité stupéfiante. Ilm’a attrapée et redressée avant que je nem’effondre sous lepoidsdemonsacàdos.Sesmains,largesetchaudes,enserraientmesbras.Mamaladresseauraitdûmeremplirdehonte,maisj’étaistropintriguéeparcequ’ilvenaitdedire.—Pourquoi?Pourquoim’avoirdemandée?—Parcequepersonnen’auraitpumieuxteprotégerquemoi.—Parcequetuesquoi,toi?Supersherpa?Etpuistucroisquejenesuispascapabledeprendre
soindemoitouteseule?—C’estpasmoiquiviensdem’emmêlerlespieds.J’aichoisid’opterpourlesilencecarilauraitétéridiculed’essayerdeluiexpliquerquesij’avais
trébuché,c’étaitàcausedecequ’ilavaitdit,etquedoncmamaladresseétaitenquelquesortedesafaute.—Ons’arrêteici?ademandéLindseyens’approchant.Ellemeregardaitbizarrement.—Oui,aditLucas.Il a lâché mes bras, reculé d’un pas et laissé son sac à dos glisser par terre avec l’aisance de
quelqu’un qui enlève son blouson. Puis il s’est appuyé contre un tronc d’arbre. Je me suislaborieusementdébarrasséedemonsacàdos.—Unquartd’heuredepause.Pensezàboire,aditLucas,une foisque tout lemondenousaeu
rejoints.Jevaisfaireuntourderepérage.Pasletempsdedireoufetilavaitdéjàdisparuentredeuxarbres.OK,monsieur « Vous-allez-mordre-la-poussière ». Joue-la comme ça. Prouve-nous que tu n’es
même pas humain, que toi, tu n’as pas besoin de repos et qu’en comparaison nous ne valons pastripette.—Lafatiguen’apasprisesurluiouquoi?agrommeléMasonens’affalantparterreprèsdemoi.—Onditquec’estlemeilleur,afaitremarquerlePrKeane.Il avait les cheveux foncés, avec quelquesmèches grises.Mêmedans sa tenue de randonneur, il
conservaitunealluretrèsdistinguée,commes’ilallaitàtoutinstantselancerdansuncoursmagistral.Pasd’IndianaJoneschezceprofesseur-là. Il s’estdirigéversdeuxdesesétudiants,TyleretEthan,haletants,quitranspiraientàcausedelagrandecaisseenboisqu’ilstransportaient.Illesaaidésàladéposeràterresansdommage.—Ilyaquoilà-dedans,professeur?ademandéConnor.—Dumatérielquenousutiliseronspourpréleverdeséchantillonsquandnousseronssurplace.—Vousdevezavoirl’intentiond’enprendredesmasses,alors.Le sourire du Pr Keane m’a évoqué celui qu’arborait mon psy quand il cherchait à me faire
comprendrequeluisavaitdeschosesquemonmodesteespritn’étaitmêmepascapabled’imaginer.—Jetiensàenavoirpourmonargent.Etj’aichoisilesétudiantsquim’accompagnentpourleur
curiosité. Je ne doute pas qu’ils examineront avec la plus grande attention tout ce que noustrouverons.Masonn’étaitdoncpasleseulànourriruneformederessentimentenverslessherpas.J’ignorais
combienleparcdemandaitpournotreaccompagnement.Moi,entoutcas,j’étaispayéeauminimumlégal. Je considérais que la vraie récompense était de pouvoir passer l’été en pleine nature. Nousn’aurionspasétélàsinousn’aimionspasfaireça.
Lesautresétudiants–David,JonetTess–s’étaientassisensembledansleurcoinpendantquelessherpasseregroupaiententreeux.DavidetJonsemblaientunpeuvieuxpourêtreencoreétudiants.Jemedemandaiss’ilsn’avaientpaschoisidereprendredesétudesaprèsquelquetemps.Jeleurdonnaislatrentaine.Tess,quantàelle,ressemblaitàuntopmodèle.Extrêmementjolie,elleétaitgrande,avecunepeaucaféaulaitetunteintsansdéfaut.En repensant à ce que venait de dire le Pr Keane, je me suis dit qu’il valait mieux éviter de
constituerdescastes :étudiantscontresherpas.J’aisortiunebouteilled’eaudemonsacetmesuisassiseàcôtédeMason.Ilétaitentraindeserongerl’ongledupouce.—Qu’est-cequit’arrive?— Oh, rien, je me le suis un peu abîmé en préparant mon sac ce matin. Il n’arrête pas de
s’accrocher.—J’aiunelimeàonglessituveux.J’aiouvertlafermetureÉclairdemonsacàdospourl’attraper.—Tuasemportéunelimeàongles?Ilavaitl’airauthentiquementsoufflé.— Bien sûr. Toute fille qui se respecte pense à emporter sa lime à ongles dans ses escapades
sauvages.Ilaacceptélalimeenriantets’estlimél’ongleavantdemelarendre.—Penseàboire,luiai-jerappelé.—Ahoui,c’estvrai.Ilaattrapéunebouteilledanssonsacetaavaléquelquesgrossesgorgées.Puisils’estpenchévers
moi.—Qu’est-cequetusaissurcetype?—Queltype?—Celuiquiseprendpourlechef.—Sic’estdeLucasquetuparles,defait,c’estluilechef.Ilalesdiplômesettoutpourleprouver.JenesavaispaspourquoijevenaisàlarescoussedeLucasetdesonarrogance.—Oui...Ilestducoin?—Oui.—Ses cheveux sont bizarres. Je veux dire, tu avais déjà vu des cheveux de toutes les couleurs
commeça?Moi,j’aimaisbien,jen’étaispasprêtecependantàlereconnaître,depeurquequelqu’unnecroie
quej’avaisunfaiblepourLucas.Jenesavaispastropcommentdéfinircequejeressentaispourlui.Jeletrouvaisultrasexy,maisenmêmetemps,ilétaitplusvieuxquemoietsemblaitbeaucoupplusmûr.Enfait,ilm’intimidaitunpeu.—Et toi?m’ademandéMason, interrompantmes réflexions. J’aicruentendreque tuvenaisde
Dallas.C’estpresqueleCanada,ça.Pourquoichoisirdevenirtravailleraussiloindecheztoi?Instinctivement,j’aieuenviedeluirépondredefaçonévasive,maispourréussirmathérapie,ilme
fallaitaucontraireaffrontermonpasséetnonpaslerefouler.Enplus,j’étaisencoresouslecoupdemoncauchemar.J’avaispeut-êtrebesoindemedélesterdetoutcepoidsetMasonavaitl’aird’êtreunmecsympa,ouentoutcasdes’intéresseràmoi.J’aitouchélebraceletencuirqu’ilm’avaitoffertetluiaiditlepluscalmementpossible:—C’estmonpsyquimel’aconseillé.—Tuvoisunpsy?Était-ilimpressionnéouhorrifié?Àl’école,lesgensavaienttendanceàs’imaginerquesionallait
voirunpsy,c’étaitparcequ’onétaitsurlepointdetuertoutlemonde,doncjen’enparlaisjamaisàpersonne.J’étaisbeaucoupplusrenferméeàDallasqu’ici,danslanature,oùjemesentaisdavantage
chezmoi.Sij’avaiseulechoixentrevivreenvilleouàlacampagne,j’auraisàcoupsûrchoisilacampagne.J’aisoudaineuenviedem’épancher.J’aihochélatêteetdit:—Oui.—Alors,euh,t’esbipolaire,cegenredetruc?Etvoilà,toutdesuiteunevisionnégative.—Disons juste que j’ai des problèmes. (Et puis, comme il avait touché un point sensible, j’ai
poursuivi avec amertume :)Mes parents ont été tués dans ce parc. Alorsmon psy dit que je doisessayerd’entrerenharmonieaveccetteforêtpoursurmonterleurmort.—Oh,c’estdulourd,tonhistoire.Manifestement, il avait du mal avec les sujets trop personnels et je m’étais plantée en croyant
établirunlienprivilégiéaveclui.Jeregrettaisdéjàdem’êtreconfiéeàlui.—Ouais,c’estpastropuntrucquejeraconte,normalement.Oublieça.Jenesaispaspourquoije
t’enaiparlé.—Non,non,hé,c’estmoi,j’aimalréagi.C’estjustequejen’avaisjamaisrencontrépersonnedont
lesparentsontététués.Jenem’yattendaispas.Commentest-cearrivé?Desanimauxsauvages?J’aifaitnondelatête.—Jesuisdésoléemaisjen’aipastropenvied’enparler.J’auraismieuxfaitdemetaire.—Attends,iln’yapasdeproblème.Jecomprendssituneveuxpasqu’onenparle.Maisdepuis
qu’ons’estrencontrés,j’airessentiunesortedeconnexionavectoi,alorssituveuxenparler,jesuislà.Jeluiaisouriavechésitation.—Merci.—Jet’enprie.Enplus,iln’yapasdedangeravecmoi.Onvapasserquinzejoursensemble,puis
jedisparaîtraidetavie.Àmoinsque…—Àmoinsque?—Àmoinsquel’onnedeviennevraimentproches.Qu’est-cequ’onensait?Aveclese-mailset
lestextos,lesrelationslonguedistancepeuventtrèsbienmarcher.Demande-moitoutdesuiteenmariagetantquetuyes!—Wouah!T’esunrapide,toi!Ils’estencorerapprochédemoi.—Jefaisjustedessuppositions.Surunsujetquim’intéresse.Moi aussi, çam’intéressait.Ou j’imaginaisque c’était le cas.Mais alors, pourquoi est-ceque je
n’arrivaispasàrépondreàsesavances?Pourquoiest-cequejecherchaisàvoirsiquelqu’unnousregardait,commesij’étaisentraindefairequelquechosedemal?Etpourquoiest-cequejem’étaispresqueévanouieenvoyant,adosséàunarbre,Lucasquim’observait?Qu’est-ce qu’il avait à toujours rôder autour de nous ? Et par quelle absurdité est-ce que je
m’interrogeaissurcequiseraitpossibleentrenous?— Il faut repartir si nous voulons atteindre le camp avant la nuit, a-t-il soudain annoncé. La
citadine,tucontinuesavecmoi.Normalement,jerespectelesordres.Saufquandjenelefaispas.Là,nousétionsencoretropprès
duvillage.Sijememutinais,ilpouvaitencorem’yrenvoyerillicopresto.Etcommej’avaistrébuchédevantlui–lahonte!–,jenepouvaispasdécemmentaffirmernepasavoirbesoindesurveillance.J’aidoncattrapémonsacàdos,l’aiinstallésurmesépaulesetj’aitraînédespiedsjusqu’àLucas.—Est-cequec’estvraimentnécessaire?—Pourlemoment.D’unmouvementbrusquedelatête,ilaindiquéquelquechosederrièremoi.—Tuvoulaismarcheraveclui?
Jesavaisqu’ilfaisaitréférenceàMason.—Peut-être.Qu’est-cequeçapeutbientefaire?—S’il y a un problème, tout ce que tu verras, ce sont ses fesses pendant qu’il détalera pour se
mettreàl’abri.—Tun’ensaisrien.— Je suis assez doué pour juger de ce que les gens ont dans le ventre.Mason, c’est que de la
gueule.Ilaboiemaisnemordpas.—Ettoi,c’esttoutl’inverse,c’estça?Lacommissuredeseslèvresatressaillidanscequidevaitêtreunsourire.—Siquelqu’unmériteunrappelàl’ordre,oui,jepeuxmordre.Avantquej’aietrouvéunerepartieintelligente,sonsoupçondesourireadisparuetiladit:—Ilsepourraitqu’onrencontredudanger.Resteencoreunpeuavecmoi.C’estàmoiqu’ilparlaitdedanger?Ilconnaissaitmonhistoire,peut-être?Etpuisqu’est-cequeça
pouvait bien lui faire ?C’était parce que j’étais la petite nouvelle ?Ou y avait-il autre chose ?Etpourquoi est-ce que je voulais qu’il y ait autre chose ? Pendant une seconde, j’ai envisagé decontinueràdiscuter,maistoutlemondes’étaitdéjàrassembléetonn’attendaitplusquemoi.J’aihaussélesépaules–tantbienquemal,àcausedemonsacdedeuxtonnes.—Ehbien,allons-y,chef!
4
—Desloups-garous?Vouscroyezvraimentquelesloups-garousexistent?J’aifaillim’étoufferdansmatentativedésespéréedenepasrirependantquejeposaislaquestion.
Leclientatoujoursraison,maisjen’étaispassûrequecelas’appliquâtauxrandonneursdontj’étaisl’unedesguides.Enl’occurrence, ilssetrompaientsurtoutelaligneet jenepouvaispasnepasleleurdire.Nousétionstousassisautourd’unfeudecampencompagnieduPrKeane.Lerestedelajournée
s’étaitdéroulécommelamatinée :grimpettedans laforêt,pause,regrimpette…Jusqu’àceque,aucrépuscule,nousayonsatteintunegrandeclairièreetqueLucasdéclarequenousallionsydresserlecamp.Àprésent,ilfaisaitcomplètementnuitetnousnousfaisionsgrillerdesmarshmallows.Cliché,d’accord,maisc’étaittropbon.Le Pr Keane nous avait raconté de vieilles légendes à propos des loups-garous. Ces histoires
étaient fascinantes.Absurdes,mais fascinantes.Puis il avaitpoursuivi enmentionnant les loupsquiavaient été repérés dans les zones les plus lointaines du parc. Des loups qui, selon lui, étaient enréalitédesloups-garous.Ilsemblaitconvaincuqueceparcenparticulierétaitleurterraindechasseprivilégié,quec’étaitlàqu’ilssecachaient.—Pourquoiest-cesidifficileàcroire?ademandélePrKeaneenréponseàmaquestion.Assis sur un petit tabouret pliant, il avait un air très professoral. Il ne luimanquait qu’un nœud
papillonrouge.— Toutes les cultures sans exception mentionnent des légendes à propos d’humains prenant la
formed’animaux.Etceslégendessontfondéessurdesfaits.—Jesuisd’accordavecKayla,aditLindseyquiétaitassiseàcôtédeConnor.Lesloups-garous,
c’estdelapurefiction.RegardezleYétioulemonstreduLochNess.Justedegroscanularsquiontétééventés.— Je ne sais pas, est intervenuConnor. Il se peut que le PrKeane tienne quelque chose, là.Au
campusavecmoi,ilyavaituntypequiauraittrèsbienpuêtreunloup-garou.Ilneserasaitjamais,nese coupait jamais les cheveux et ne se lavait pas non plus. Difficile de savoir s’il était vraimenthumain.J’aidûétoufferunrireànouveau.Nuldoute,aucundenousneprenaitcesthéoriesausérieux.—Maissic’étaitvrai?Etsidesloups-garousvivaientbeletbiendanscetteforêt?aditMasonqui
étaitassisàcôtédemoi.Il avait une façon bien à lui de préparer ses marshmallows qu’il faisait longuement et
précautionneusementrôtirjusqu’àcequ’ilssoientd’unbrunclairuniforme.Mêmeaumeilleurdemaforme,jeneparvenaispasàmontrerautantdepatience.Alors,fatiguéecommejel’étais,autantdireque je n’en avais aucune. Mes marshmallows survolaient à peine le feu avant d’être aussitôtengouffrés.—Dans ce cas, nous allons tous connaîtreunemort atroce, ai-jegrincé en imitant lavoixd’un
savantfoudesérieZ.Unéclairaccompagnéd’ungrondementdetonnerre,etlareconstitutionauraitétéparfaite.MoninterprétationafaitglousserConnoretLindsey.MêmelesétudiantsduPrKeaneontsouri.—Oualorsnousallonstousnouschangerenloups-garous,aditLucasquiétaitadosséàunarbre,
unpeuàl’écart.—C’estcommeçaqueçamarche,non,professeur?Siunloup-garouvousmord,vousaussivous
endevenezun?
—C’estunepossibilité.Leslycanthropespourraientaussiêtredeshumains,victimesd’unesortedemutationgénétique.—UntruccommelesX-Men?l’ainterrompuLucasavecunsouriresardonique.—Mêmedanslafiction,ilyatoujoursunebribedevérité.—Etpourquoiceseraitlesloups-garouslesmutants?Etsilesmutants,c’étaienttouslesautres?
Peut-êtrequel’humanitéacommencéaveclesloups-garous.—Intéressantethéorie.Mais,danscesconditions,neseraient-ilspasl’espècedominante?Ceserait
euxquinousauraientprisenchasseetnonl’inverse.—Parcequ’onlesaprisenchasse,là?arelevéRafe.— Jeme suismal exprimé, a dit le PrKeane, je voulais dire que nous les recherchons et non
l’inverse.— Et s’ils ne souhaitent pas être « recherchés », il se pourrait qu’ils s’en prennent à nous, dit
Brittany.Ilsepasseraitquoi,alors?—Iln’yarienàcraindrepourcesoir,aditLucasenregardantleciel.Lalunen’estpaspleine.—Celan’estvraiquesi leur transformationestcontrôléepar l’activité lunaire,asouligné lePr
Keane.Ets’ilspouvaientsetransformeràvolonté?—Alorsnousavonsungrosproblème.Lucasétaitrestédesplusimpassiblesendisantça,sibienquejenesavaispassic’étaitdulardou
ducochon.—Tun’ycroispasvraiment,si?luiai-jedemandé.Lucas était la dernière personne que je m’attendais à voir avaler cette ridicule histoire de
lycanthropes.Ilm’afaitunclind’œil(etmoncœuramanquédechavirer).—Entoutcas,unefoisquej’aurairefermématentetoutàl’heure,jen’ensortiraipasavantquele
joursoitlevé.—Tatenten’arrêterapasunloup-garou,aditMason.Puisilasoufflésursonmarshmallowparfaitementgrillé.—Aucuneattaquedeloupcontreunhumainn’ajamaisétérecensée,luiaassénéLucas.— Il ne s’agit pas de loups ici, mec, a rétorquéMason avec rudesse. Il s’agit de loups-garous.
Quelqu’unquisechangeenanimal.Ilssontici,etonvaleprouver.Etc’estmoiquisuisenthérapie?—C’estça,lebutdecetteexpédition?ademandéLucasavecuncalmesiglacialquedesfrissons
mesontremontéslelongdelacolonnevertébrale.—Masonselaisseunpeuemporter,aexpliquélePrKeane.Nousespéronsjustevoirdesloupset
si possible les étudier. La lycanthropie me fascine, je l’avoue. Cela étant, est-ce que j’y croisvraiment ? Non, bien sûr que non. Cependant, je tiens à rester ouvert et à ne pas rejeter cettepossibilitéd’emblée.—Lesloupsavaientdisparudelarégionjusqu’àcequ’onenréintroduisequelquescouplesilya
unevingtained’années, réponditLucas.Ceux-là sontcertainementmorts,mais leurdescendanceseportebien.Etsurtout,ilsappartiennentàuneespèceprotégée.—Nousneleurvoulonsaucunmal.—Bon,danscecas,peut-êtrequevousaurezdelachanceetquevousenverrezquelques-uns.Lucass’estredressé.—Nousdevonsnous lever tôt demainmatin. Je vaisme coucher.Rafe, tu t’assuresque tout est
sécurisé,lefeuetlereste,avantd’allerdormir.—Çamarche,aditRafeenlançantunmarshmallowcramédanssabouche.
UnefoisLucasparti,latensionpalpableautourdufeudecamps’estrelâchée.J’avaisl’impressiondenepasêtrelaseuleàpenserqueçarisquaitdesecorserentreLucasetMason.—T’ycroisvraiment,àcetruc?ai-jedemandéàMason.—Non,maisceseraittellementcool,hein?—Bien,ilssontquandmêmetoujoursunpeuagressifs,danslesfilms.—Moi,j’aidéjàétémorduparunloup.—Sérieux?—Ouais.Ils’estpenchépourreleverlebasdesonpantalon.Ilavaitunehorriblecicatriceaumollet.—Ils’estoffertunebellebouchée.—Depuis,Masons’estprisdepassionpourl’étudedesloups,aditlePrKeane,avecunepointede
fiertédanslavoix.—MaisLucasaditqu’iln’yavaiteuaucuneattaquerecensée…—Ilnesaitpastout,arétorquéMasoncalmement.Unnouveaufrissonm’aparcourue.—Etalorsàlapleinelune,tutechangesenloup?ademandéLindsey.—Pfff,siseulement...—Moi,jeroulepourlesloups-garous,acontinuéLindsey.C’estlesfilmsdeHollywoodquiont
flinguéleurréputation.Desdémonstoutdroitsortisdel’enfer.Alorsqu’enfaitjepensequ’ilssontunemétaphoredel’ignoblefaçondontnoustraitonsceuxquisontdifférentsdenous.—Maisc’estquedesfilms,Lindsey,aprotestéConnor.Iln’yapasdemessagesubliminaloude
grandevéritéultimeenfindévoilée.Enplus,situregardesunfilmoùleloup-garouesttoutgentiletcompréhensif,aucunechancequelafilleàcôtédetoisemetteàcrieretvienneseréfugierdanstesbras.—Jecroisqu’ilssontvictimesdenospréjugés.C’esttoujourseuxlesméchants.J’aimerais,juste
unefois,quecesoitleloup-garoulehérosdufilm.— Tu prends ça très à cœur, a conclu Mason en commençant à faire griller un nouveau
marshmallow.—Qu’est-cequetuveuxquejetedise?J’aiunfaiblepourlagentcanine.—Lesvampiresnesontpasmieuxtraités,aditBrittany.Tuvasprendreleurdéfenseàeuxaussi?— Il y a plein de films où les vampires essaient de résister à leur soif de sang humain et de
conserverleurhonneuretleurdignité.Jedisjustequedetempsentemps,ceseraitsympadevoirunloup-garoucommeçadansunfilm.— La transformation leur fait perdre toute leur humanité, a décrété Mason. (Il a retiré son
marshmallowdufeuetregardéautourdelui.)Enfin,c’estcommeçadanslesfilms.— Dans toutes les légendes, les loups-garous commettent des actes abominables, a dit le Pr
Keane.IlestparfaitementnormalqueHollywoodintègredespeursancestralesdansceshistoires.—Oui,maisquandmême,amarmonnéLindsey.Ellesemblaitpourtantavoirrenoncéàdéfendrelacausedesloups-garous.Çan’avaitaucunsens,
detoutefaçon.C’étaientjustedestrucspourjoueràsefairepeur.Masonm’aproposésonmarshmallowidéalementgrillé.—Jenepeuxpas accepter, lui ai-jedit.Aboutir àune telleperfection t’ademandé tropd’effort
pourquejet’enprive.—C’estparcequejevoulaisqu’ilsoitparfaitpourtoi.Commentrefuser?Jel’aiglissédansmabouche.C’étaitdélicieux.Jeluiaisourietilm’asourien
retour.Quandnousneparlionspasdeloups-garous,etqueLucasn’étaitpasdanslecoin,j’appréciais
la compagnie deMason. Et puis il était rassurant. Il ne suscitait pas enmoi des envies de chosesinterdites,deschosesbienplussérieusesqu’unsimplebaiser.
Brittany,Lindseyetmoisommesretournéesànotre tente.Brittanys’estglisséeaussitôtdanssonsac de couchage, nous a tourné le dos et s’est endormie sans un mot. J’ai lancé un regardinterrogateuràLindseyquiahaussélesépaules.—Jenesaispascequec’est,maisilyauntrucquinevapas.Nousnoussommesallongéesdansnossacsdecouchageànotretour.Lindseyaéteintlalumièreet
alluméunepetitelampestyloquiéclairaitvaguementsonvisage.—Qu’est-cequisepasseentreMasonettoi?m’a-t-elledemandéd’untoncalme.—Jenesaispastrop.Mais,bon,ilmeplaîtbien.—Faisgaffe.Ilyadesmecsquicroientquelessherpassontfacilesàdraguer,qu’onestlàpourça.—JenecroispasqueMasonsoitcommeça.Etpuisjenesuispasunefillefacile.— Juste, fais gaffe. Je ne veux pas qu’il t’arrive un truc désagréable pendant ta première
expédition.— Il se peut qu’on passe un peu de temps ensemble, mais je ne me lancerais jamais dans une
histoiresérieuseavecuntypequejenereverraipeut-êtrejamais.—Ouais,onditçaetpuis…amurmuréBrittany.—Jecroyaisquetudormais,toi,aditLindsey.—Jenepeuxpasdormirsivousbavasseztoutletemps.Lindsey lui a tiré la langue et j’ai étouffé un gloussement. Lindsey s’est installée plus
confortablementdanssonsacdecouchage.—Faisjusteattention,a-t-elleconclu.
Jefixaisletoitdelatenteenréfléchissant.Lindseyavaitlaissélamini-lampealluméeenguisedeveilleuse.J’avaisapprisl’étédernieraucoursdenotreexpéditiondanslaforêtqu’ellen’aimaitpaslenoircomplet.Aumilieudelanuit,quandmesparentsétaientendormis,jem’échappaispourallermeglisserdanssatente.Nousparlionsalorspendantdesheuresdulycée,deshoppingoudemecs.Elleétaitlapremièrepersonneendehorsdemafamilleàquij’avaisracontéquemesparentsavaientététués. Pour une obscure raison, et à l’exception de la nuit précédente, je ne faisais jamais decauchemarsquandLindseyétaitdanslecoin.Peut-êtreparcequejesentaisqu’ellenemerésumaitpasàmonpassé.D’unecertainefaçon,elleétaitplustolérantequemonpsy.J’avais aussi rencontréBrittany l’étéprécédent,mais jen’étaispas aussiproched’elle.Peut-être
parcequejesentaisqu’elleavaitsespropresproblèmes.Àprésent,elleronflait.C’étaitunesortedepetitreniflement,commeceluidemonchienFargo.Cependant, ce n’était ni la lumière ni ce bruit qui me tenaient éveillée. C’était les loups. Ils ne
hurlaient pas,mais j’avais la sensation qu’ils rôdaient autour du camp. Si Lucas avait dit vrai, ilsétaientlàdepuisvingtans,ilspouvaientdoncavoirétéprésentsquandmesparentsbiologiquesetmoiétionsvenuscampercetété-là.Est-cequec’étaiteuxqueleschasseursavaientvus?Était-onprèsdel’endroitoùmesparentsétaientmorts?Jen’avaispasvoulum’yrendrel’étéprécédent.Jen’étaispasprête.Enplus,personnen’avaitl’air
desesouvenirdulieuexactoùças’étaitpassé.Oudumoins,c’étaitcequ’onm’avaitdit.Peut-êtremecroyait-on incapabledesupporter lechoc.Àprésent, jemesouvenaisdesgrognementssourdsquej’avaisentendusce jour-là,etcen’étaitpasunrêve.Étions-nousen traindefuirdes loups?Lucasavaitpourtantditqu’ilsn’avaientjamaisattaquépersonne.Ques’était-ilréellementpassécejour-là?
J’airepoussélehautdemonsacdecouchagepourm’asseoir.J’avaistoutàcoupbesoindesortir.Jen’avaispaspris lapeinedemedéshabiller, ilmesuffisaitd’enfilermeschaussures. J’ai attachémeslacets,attrapélalampetorcheetouvertlafermetureÉclairdelatenteaussisilencieusementquepossible.Deuxlanternesétaientencoreallumées,maisiln’yavaitpersonneenvue.Jen’avaispasbesoinde
compagnie,jevoulaisjuste…Jenesavaispascequejevoulaisaujuste.Affrontetespeurs,m’avaitordonnéleDrBrandon.Cequiauraitétébienplusfacilesi j’avaissu
lesquelles.Franchement,jen’enavaispaslamoindreidée.J’avaisl’impressionquequelquechosedecapital était sur lepointd’arriver etquemavie allait basculer. Jene savaispas àquoim’attendre,maiscequelquechoseétaitreliéàmonpasséetallaitinfluencermonavenir.Desquestions,maispasderéponses.Delacrainte,maissansraison.J’ailongélestentesetmesuisdirigéeverslaforêt.Àpeineavais-jeparcouruquelquesmètresque
j’aientenduuneconversationàvoixbassenonloindemoi.Consciented’êtreindiscrète,jemesuistoutdemêmeapprochée.—Jesais,papa.Combiendefoisfaut-ilquejeterépètequejesuisdésolé?J’avaisreconnulavoix.Mason.—Nousnedevonspaséveillerleurssoupçons.—C’esttoiquiascommencéàparlerdesloups-garous.—Entantquelégendes.—Tuavaisl’aird’unprédicateurprêchantl’Évangiledesloups-garous.C’estpourçaqueKayla
t’ademandésituycroyaisvraiment.Tuesautantresponsablequemoi.—Surveillonsnosparolesàl’avenir.N’importelequeldenosguidespourraitenêtreun.J’aidûmecouvrirlabouchedesdeuxmainspourétouffermonrire.—Moi,jepariesurLucas,aditMason.J’étaisencoreplusabasourdie.— Ce type est beaucoup trop silencieux. C’en est presque surnaturel. Et pourquoi est-ce qu’il
disparaîtchaquefoisqu’onfaitunepause?Qu’est-cequ’ilvafaire?—Net’inquiètepas,onvaledécouvrir.Jesuisrestéelà,immobilesouslechoc,pendantqu’ilss’éloignaientversleurtente.Qu’est-ceque
c’étaitquecettehistoire?Lucas,unloup-garou?L’idéequ’unhumainpuissesetransformerenanimalétaitgrotesque,maisquequelqu’unpuissey
croirepourdebonétaiteffrayant.Jerepensaià l’équipementqu’ils transportaient.C’étaitunecageque contenait la grande caisse en bois ?Allaient-ils capturer un loup ?Et une fois qu’ils auraientcomprisqueleloupn’étaitqu’unloup,quesepasserait-il?Jemesuisdirigéeverslaforêtavecprécaution.Jenevoulaissurtoutpasqu’ilss’aperçoiventque
j’avaissurprisleurconversation.Loindemoilapenséequ’ilspourraienttenterdemetuerpourmecontraindreausilenceouuntrucfoudanscegenre-là,maisjetrouvaisunpeuflippantel’idéed’êtreembarquéedansuneexpéditiondechasseauloup-garou.Mais,aufond,quelmalyavait-ilàcela?Desgensveillaientbiendesnuitsentièresdansl’espoird’apercevoirdessoucoupesvolantes.Certainssoutenaientmordicus qu’ils avaient été enlevés par des extraterrestres et étaientmontés à bord devaisseauxspatiaux.D’autresencoreseruinaientenéquipementsdehautetechnologieafindeprouverl’existence des fantômes. Ce n’était donc pas si dingue que ça de croire en l’existence des loups-garous.Pourmoi,c’étaientdesfadaises,maisdumomentqu’ilsnefaisaientdemalàpersonne,jenevoyaispaspourquoiilsn’auraientpasledroitd’explorerlaforêt.Quand j’ai estiméme trouver suffisamment loinpournepasêtre repérée, j’ai alluméma lampe
torche.Sa lumièreétait rassurante,maiscurieusement,c’était laprésencedesarbresautourdemoi
qui me réconfortait le plus. Agitées par le vent, les feuilles murmuraient une curieuse berceuse.Pendantunemerveilleuseseconde,j’aipresquecruentendremamèremelachanter.Jenecroyaispasaux fantômes, en revanche j’étais convaincue que notre âme, notre esprit, ou quoi que ce fût quiconstituaitnotreêtrenoussurvivaitaprèsnotremort.Aprèstout,cen’étaitpeut-êtrepassifouqueçadecroireàl’existencedesloups-garous.—Tuvasquelquepart,lacitadine?J’aitournélalampetorchedansladirectiondelavoix.Lucassetenaitprèsdemoi.Jenel’avais
pasentenduapprocher.J’aiposélamainsurmoncœurdontlesbattementsfurieuxmenaçaientdefaireexplosermacage
thoracique.—Tuasfaillimefilerunecrisecardiaque.Montonétaitaccusateur,etàjustetitre.—Qu’est-cequetufaislà?—Jen’arrivaispasàdormir.—Donctut’esditqueceseraitunebonneidéedet’éloignerducamptouteseule?—Jenem’éloignaispas.J’étaisjusteentrainde…Pourquoiest-cequejemejustifiais?—Ettoi,qu’est-cequetufaisici?—Jen’arrivaispasàdormirnonplus.Qu’est-cequit’empêchededormir?J’avaisregrettédem’êtreconfiéeàMason;jeluiaidoncfaituneréponsevolontairementvague.—Justedestrucsàgérer.—Tesparentsontététuésparici,non?Ilyavaitdelasympathieetdelacompassiondanssavoix.—Commenttusaisça?luiai-jedemandé.—L’étédernier.Onnousaditpourquoituétaislà.Pouréviterqu’onsorteuntrucdéplacépendant
l’expédition.Çaadûêtredifficilepourtoiderevenirici.J’ai fait oui de la tête, la gorge serrée à cause de toutes les larmes que je n’avais pas encore
versées.—Situveux,jet’accompagne.—Merci,mais…jen’aipastropenviedecompagnie.—Sansparler. Justemarcher.Commeça jepourrai garder l’œil ouvert et être sûrque tu es en
sécurité.—Etsionseperd?—Jeconnaiscetteforêtcommemapoche.QuandtugrandisàTarrant,cetteforêt,c’estunpeuton
jardind’enfants.—D’accord.Siçateva.Justeunpetittour.Ilm’aemboîtélepas.J’avouequesaprésenceétaitbienplusréconfortantequecelledesarbresou
du faisceau lumineux dema lampe torche.C’étaitmême assez agréable d’être avec lui sans avoirbesoindeparler.Jesentaisl’odeurdesapeau.Uneodeurboisée,commecelledelaforêtautourdenous.Plaisante,
puissante,sexy.Sespasétaient incroyablementsilencieux.J’ai tournémalampetorchevers luiuneseconde.Ilétaitpiedsnus.—C’estpasunpeudangereux?ai-jeditendirigeantànouveaumalampedevantmoi.—Jemarchepiedsnusdepuisquejesuispetit.—Tutedéplacessisilencieusement.—J’aiapprisàlefaire.Connor,Rafeetmoi,onjouaitauxgendarmesetauxvoleursparici.La
seulefaçondegagner,c’étaitdepouvoirleurtomberdessussanssefairerepérer.
—Ettuaimesgagner.—Àquoibonjouersic’estpourperdre?Jemesuisarrêtéepourm’adossercontreunarbre.J’aiorientémalampeverslesolpouravoirun
peudelumière,maissansquenosvisagesfussentéclairés.Mêmecommeça,jepouvaissentirqu’ilm’observait.—Ettoi,tuasdessouvenirs,disons,douloureux?—Toutlemondeena.—C’estpasuneréponse.—Oui.Moiaussi,j’enai.Savoixétaitblanche,dénuéed’émotion,etjedevinaisqu’iln’allaitpass’épancher.Pourtant,savoir
queluiaussiavaitdessouvenirspéniblesmesuffisait.J’aipousséunlongsoupir.—J’étaisavecmesparentsquandilsontététués.Maisjenemerappellepasvraimentcequis’est
passé. Jeme souviensdesdétonations.C’étaientdes fusilsdechasse.Un sonassourdissant.Etpuismes parents,morts. Je n’arrête pas d’y penser depuis que je suis arrivée. L’année dernière, c’étaitcommesij’étaisdansunebulle,àl’abridemonpassé.Jenevoulaispasl’affronter.Cetteannée,c’estdifférent. C’est comme s’il y avait quelque chose à l’intérieur de moi qui voulait resurgir. J’ail’impressiond’êtresurlepointdemerappelerquelquechosedetrèsimportant.Ils’estrapprochédemoietm’acaressélajoue.Àcemoment-là,j’airéaliséquejepleurais.J’aieu
unpetitrireembarrassé.—Désolée.C’esttrèslourd,toutça,etjenevoulaispastel’imposer.—Pasdeproblème.Çaadûêtretrèsdurpourtoiderevenirici.Moi,j’adorecetteforêt.Toi,tu
doisladétester.—Enfait,non.D’unecertainefaçon,jemesensplusprochedemesparents.Iln’arienajouté.Etcurieusement,celal’afaitremonterdansmonestimeparcequemieuxvalaitle
silence que des banalités. Je me demandais si je n’aurais pas dû me taire, mais j’avais envie decontinuer.—Monpsyprétendquejedoisaffrontercessouvenirs,alorsquelaseulechosedontj’aieenvie,
c’estdelesoublier.Parceque,euh,jefaisdescauchemars…Etilsn’ontaucunsens.Ilme caressait encore la joue, et ce gesteme procurait un incroyable soulagement.Même dans
l’obscurité,sesyeuxnequittaientpaslesmiens.—Ças’estpassélejouroulanuit?— La nuit. Ou, plutôt, à la nuit tombante. C’est-à-dire qu’il faisait assez clair pour distinguer
vaguementcequisepassait.—Vousétiezensemble?—Oui,ilsvoulaientmemontrerquelquechose.Onavaitquittélegroupe.J’aiclignédesyeuxenessayantdeprécisermonsouvenir.—J’avaisoubliéqu’ilyavaitd’autresgens.Quiétaient-ils?Delafamille?Non,sinonilsm’auraientemmenéeaveceux.Desamis?—Jenesaispasquic’était.Tucroisquec’estimportant?—Jenesuispaspsy,jel’ignore.Qu’est-cequetesparentsvoulaienttemontrer?—Jen’arrivepasàm’ensouvenir.Quelquechosem’afaitpeur.Maisquoi?—Net’inquiètepas.Sic’estimportant,çatereviendra.—Jecroyaisquetun’étaispaspsy…—Eneffet. Je sais seulementqueparfois,çamarchemieuxquand tun’essaiespasquequand tu
essaiestropfort.—N’importequoi,tathéorie!
Ilasouri,unéclairblancdansl’obscurité.J’aifaillirelevermalampetorchepourmieuxvoirça.Ici, loindugroupe, dépouillé de son rôlede chef, il redevenait ungarçon comme les autres et nem’intimidaitplusautant.—Ettoi,pourquoiest-cequetun’arrivaispasàdormir?luiai-jedemandé.J’avaischoisidepartirduprincipequ’iln’avaitpaslancéçaàlalégère.—Cetteconversationsurlesloups-garous…Çam’aretourné.Saréponsem’afaitsourire.—Ouais,c’estça.Tuaspeurdugrandméchantloup-garou,maintenant.Ilm’arenvoyéunsouriremoqueur.Unsourireincroyablementsexy.—Ilscroientquetuesunloup-garou,tusais.MasonetlePrKeane.—Vraiment?Ilyavaitdel’amusementdanssavoix.—Ettoi,tutrouvesçadrôle?—Dumomentqu’ilsn’ontpasdeballesenargent.—Super.Tuveuxdirequetoiaussitucroisàtoutesceshistoires?—Non,maisparcontrejeneveuxpasqu’ilstirentsinoustombonssurdesloups.—Tuestrèsprotecteurenverseux.—J’aipassébeaucoupde tempsdanscette forêtetapprisàenconnaître tous lesanimaux.Jene
voudraispasqu’ils soientblessés.Pareilpour toi. Jenevoudrais surtoutpasqu’il t’arrivequelquechose.Ilauntoutpetitpeubaissélatêteet,toutàcoup,j’aicomprisqu’ilallaitm’embrasser.Etquej’en
avaisdésespérémentenvie.Soudain,unhurlementde loupnousafaitsursauter.Uncri lointainquiévoquait lasolitudeet le
deuil.—Nousdevrionsrentrer,aditLucasens’écartantdemoi.J’airelevélalampetorchepouréclairerlesentier.—Parici,aditLucaslorsqu’ilm’aprislamainpourmedirigerdanslabonnedirection.—T’essûr?—Sûretcertain.Jel’aisuivietnousavonsbientôtaperçulesfaibleslumièresducamp.—Mercidem’avoiraccompagnée,ai-jeditenarrivantàmatente.—Situasbesoind’allerfaireuntourlanuit,dis-le-moi.Cen’estpasprudentd’yallerseule.Une foisbienconfortablement installéedansmonsacdecouchage, j’ai songéque luiaussiétait
alléseuldanslaforêt.C’étaitdangereuxpourmoimaispaspourlui?Puisànouveauj’aientenduunhurlementdeloup,bienplusprèscettefois,siprèsquej’auraisjuré
qu’il se trouvait juste devant ma tente. Je me suis dit que j’aurais dû avoir peur. Et au contraire,commependantmapromenadeavecLucas,jemesuissentierassurée.Aprèsm’être endormie,pour lapremière foisdepuis très longtemps j’ai rêvéde loups sansme
réveillerenhurlant.
5
Lejoursuivantaplusoumoinsressembléauprécédent,àceciprèsqueleterrainestdevenuplusdifficile. Plus difficile pour tout le monde sauf pour les sherpas. À un moment donné, Lucas aproposéqueConnoretRafesechargentdelacaisse,maisTyleretEthanontrefusé.—Jemedemandecequ’ilpeutbienyavoirdedanspourqu’ilsytiennenttellement…aremarqué
Brittany.Après la pause déjeuner, comme Lucas ne m’avait pas demandé de continuer avec lui, j’avais
rejointBrittanyetLindsey.—Jepariequ’ilsmeledisent,sijemedébrouillebien,afanfaronnéLindsey.—Àmonavis,ilyadeschancespourquecesoitunecage,ai-jemurmuré.—Unecage?Pourquoifaire?s’estétonnéeBrittany.Jemesentaisbêtededireçaenpleinjour:—J’aisurprisuneconversationhiersoir.Ilscroientvraimentqu’ilyadesloups-garousdansle
coin.—Pfff,afaitLindsey.Ilsnesontpaslespremiers.Touslesans,desrandonneursviennentparce
qu’ilsontentendudesrumeursetqu’ilsveulenttrouverdespreuves.Aufond,c’estunpeudenotrefaute.Àl’occasiondeHalloween,nousorganisons«uneforêthantée»afinderecueillirdesfondspourdesrefuges.Noscostumessontsupercooletsuperréalistes.—Etflippants,aajoutéBrittany.—Maispersonnen’estdupe.AlorsqueMasonetsonpèreontl’airréellementembarquésdansune
chasseauloup-garou,ai-jeinsisté.— Et après ? Ils ne trouveront rien et nous, en attendant, on est quandmême payés, a déclaré
Lindsey.—Oui,jesais,maisducoup,jememéfied’eux.—Lesgenscroientà toutessortesdechoses.Dumomentqu’ilsn’ontpasrecoursà laviolence,
qu’est-cequeçapeutbiennous faire?Enplus,cegenrede rumeursaugmente la fréquentationduparc.Doncc’esttoutbon.J’ai passé mon sac à dos. Elle avait sans doute raison. J’étais fière d’avoir prouvé que j’étais
capabledetenirlerythme.Rafefermaitlamarcheens’assurantquepersonnenerestaitàlatraîne.—Et,euh,Lucas.Ilparticipeàvotretrucde«forêthantée»?ai-jedemandé.J’avaisdumalàl’imaginerenmonstrecostumé.— Jusqu’à son départ à la fac.Maintenant il ne rentre que pour les vacances. Pourquoi ? a dit
Lindsey.J’aieuunriregêné.— Pure curiosité. Vu que nous allons passer l’été ensemble, c’est normal qu’on apprenne à se
connaître.—Onpourrapeut-êtrejoueràactionouvéritécesoirautourdufeu,aditBrittany.—Hé,voustraînez,là!acriéConnorduhautdusentier.Nousavonsaccélérél’allure.J’espéraisqueBrittanyblaguaitàproposd’actionouvérité.Certes,j’avaisenvied’apprendreplein
detrucs…pasd’endire.Aufinalcesoir-là,onn’ajouéàrienetniMasonnilePrKeanen’ontparlédeloups-garous.Plustard,alorsqueBrittanyetmoinouspréparionsànouscoucher,Lindseynousarejointesdans
latente,toutexcitée.—J’aifaitmonpetitmanègeàEthanetjesaiscequ’ilyadanslacaisse.Delabière.
—Tutefousdenous,arépliquéBrittany.Riend’autre?—Bon, il y a de l’équipement aussi,mais ils planquent des bières dans les interstices et ils ont
décrétéquec’étaittroplourdàtrimbaler;alorsdèsquelePrKeanepartsecoucher,c’estfiesta!Brittanyetmoiavonsinstantanémentchangénosplans.L’idéed’unefêteaubeaumilieudesbois
meplaisaitbien.Jemesuisbrossélescheveuxetjelesailaissésdétachéspourqu’ilsbouclentautourdemes épaules. Puis jeme suismise à farfouiller dansmon sac à dos pour trouvermon top vertémeraudedécolleté.Lindseyajetéunœildehorsparl’ouverturedelatente.—Qu’est-cequ’ilacesoir?Allez,professeurKeane,audodo!—TuvasretournerdraguerEthan?ademandéBrittany.—Non.Ettoutàl’heurejenel’aipasdragué.J’aijusteflirtéunpeu.—TuessupposéeêtreavecConnor,non?Jen’aipasl’impressionquetuleprennesvraimentau
sérieux.—Quoi?ai-jedit,aprèsavoirsurmontélechoc.Connorettoi?Maistunem’enasjamaisparlé!—C’estcompliqué,aditLindsey,etj’aiperçududépitdanssavoix.Elleafinidecoiffersescheveuxblondsetanouélebasdesont-shirtau-dessusduventrepour
montrersonnombril.Apparemment,nousavionstouteslestroisenvied’attirerl’attention.—Nosparentssontdevieuxamis,çalesarrangequ’onsoitensemble.—Situn’espasd’accord,alorsnelefaispas,aditBrittany.—Tun’attendsqueça,hein?—Jecroisjustequ’ilméritequelqu’unquiavraimentenvied’êtreaveclui.—Quelqu’uncommetoi?—Oh,lesfilles,vousn’allezquandmêmepassortirvosgriffes?suis-jeintervenue.Elles se sont regardées fixement et Lindsey s’est détournée la première. Peut-être parce qu’elle
avaitvuBrittanyfairesaséancedemuscuquotidiennelematinmême.—Connoretmoi,onn’estpassûrsdecequ’onvafaire.Alorsest-cequ’onpeutlaissertomberle
sujetjusqu’àlafindel’expédition?Brittanyahaussélesépaules.—Commetuvoudras.J’avaisdéjàsentiunecertainetensionentreelles.J’avaisl’explicationàprésent:Brittanyavaitle
béguinpourConnor.J’ai enfilémon top vert et un short blanc.Au fond, je comprenais les doutes de Lindsey. Il est
parfoisdifficilededémêlercequel’onressentexactementpourquelqu’un.Cesoir-là,parexemple,jen’auraissudiresic’étaitpourLucasoupourMasonquejemefaisaisbelle.Ils’étaitpasséquelquechose avec Lucas la nuit précédente,mais ilm’impressionnait toujours autant.Quant àMason, ehbien,aveclui,leschosesparaissaientmoinscompliquées.J’aurais aimé avoir apporté mes petites sandales sexy, mais je n’avais que mes chaussures de
randonnée,alorsj’allaisdevoirm’encontenter.Enmecontemplantdansmonmiroirdepoche,j’étaisquandmêmeassezsatisfaitedel’ensemble.Lindseyadenouveauregardéàl’extérieur.—Enfin!LePrKeaneestparti.Allons-y!Nous avons tous évacué le camp telle une armée de ninjas dont certains, c’est-à-dire tous les
étudiantsduPrKeane,ycomprisTess,portaientdespacksdebière.Àcauseduminusculecroissantdelune,lalampetorchedeConnorn’étaitpasdetroppourouvrirlavoie.Unefoishorsdeportéed’oreilleduPrKeane,Ethanacommencéàdistribuerlescannettes.
Àmavivesurprise,Lucasenaprisune.Puis,commed’habitude,ils’estadosséàunarbre.Tessl’arejoint et il lui a accordé un de ses très rares sourires.Verte de jalousie, j’ai détourné le regard,feignant l’indifférence. La veille, j’avais cru partager avec lui quelque chose de spécial ;manifestement, celan’avait riende spécial à sesyeux, iln’était riendeplusqu’une sortedegrandfrèreveillantsurunepersonnedontilavaitlacharge.Lindseyaentrechoquésacannettecontrelamienne.—Àlatienne!—Pourquoitum’asrienditpourConnorettoi?J’étaisunpeuvexée.Jeluiavaisconfiétellementdetrucsdepuisnotrerencontrel’étédernier.Et
puisils’agissaitd’uneinfocapitale,là.—Jet’aidéjàdit.Jenesaispasoùçava.Enplus,quandc’estarrangéparlesparents,mercibien.—J’ail’impressionqueBrittanyavraimentunfaiblepourConnor.—C’estpossible.Entoutcas,ilsepassedestrucsqu’ellenenousracontepas.Etpuistuasvutoute
lamuscuqu’ellefait?ElleveutdevenirSupersherpaouquoi?Sûrqu’elleaunfaiblepourConnor,maisluipense,commenosparents,queluietmoi,onestfaitsl’unpourl’autre.Onestamisdepuisqu’onestpetits.Jeneveuxpasluifairedemal,mais jenesaispassic’est luiqu’ilmefaut.Alorsjustemaintenant,là,jen’aipasenvied’ypenser.Elleabuunegorgéedebière.—EtConnor,ilréagitcomment?—Ilestdéçudemonmanqued’enthousiasme.C’estcompliqué.—Situasbesoind’enparler,n’hésitepas.Ellealevélesyeuxversmoietm’afaitungrandsourire.—Merci.Ànouveau,nousavonstrinqué.—Jecroisquejevaisallerfaireplusampleconnaissanceaveccesétudiantssimignons.Alorsqu’elles’éloignait,etmêmesi jen’enétaispas fière, jemesuissentieunpeurassuréede
savoirquejen’étaispaslaseuleàtraverserunephasedifficile.—Çava?Masonvenaitsoudaind’apparaître.Jeluiaisouri.—Pasmal.(Puis,enlevantmacannettedanssadirection,j’aiajouté:)Bravod’avoirtransbahuté
delabièrejusqu’ici!—Clair.Mêmesi sur la finEthanetTylerne trouvaientplus l’idéeaussibonne.Tu sais ceque
j’adoredanslecamping?L’immensitéduciel.Tuveuxallerregarderlesétoiles?J’aidénichéuneclairièreavecdel’herbepours’allonger…Ilaconclusaphraseparunpetitmouvementinterrogatifdelatête.J’airegardéducôtédeLucasquiétaitencoreentraindeparleravecTess.J’avaismanifestement
malinterprétécequis’étaitpassélanuitprécédente.Entantqueresponsabledugroupe,peut-êtrenevoulait-il pas s’attacher. Ou alors il ne voyait en moi qu’une petite chose qui avait besoin d’êtreprotégée,lapetitenouvellequin’avaitpaslesépaulespourdevenirsherpa.—Pourquoipas?Çamarche.Masonetmoiavonschacunattrapéuneautrebièreet le tempsd’arriverà laclairière, la têteme
tournait agréablement.Nous nous sommes allongés.L’herbe était fraîche et légèrement humide derosée.—Regarde,laGrandeOurse,aditMason.—Etlà,c’estCassiopée,ai-jeajouté.Masonasoupiré.—Tuasl’airdebienconnaîtrelacarteduciel.
—C’estmonpèrequim’aapprisçalapremièrefoisqu’ilm’aemmenéecamper.—Etmoiquicomptaist’impressionneravecmascience!Maisenfait,jevaist’avoueruntruc,il
n’yaquelaGrandeOursequej’arriveàreconnaître.Jenevoisjamaisd’autresformesdansleciel.J’ai alors pensé à Lucas qui ne devait certainement pas avoir ce genre de problèmes et devait
pouvoiridentifierbienplusdeconstellationsquemoi.Maispourquoiest-cequejepensaisàluiàcetinstant?JemesuistournéeversMason.—Bon,Cassiopée,c’estpeut-êtreunpeudifficile,maissituescapabledereconnaîtrelaGrande
Ourse,tudoispouvoirtrouverleDragon.Saqueues’enrouleentrelaGrandeetlaPetiteOurse.—Non.—Suismondoigt.Regarde,ici.—Non,rien.Désolé.Jenesuisvraimentpasdouépourça.—Pasgrave.Lemieux,detoutefaçon,c’estlesétoilesfilantes.—Mêmeça,jemedébrouillepourlesrater.Ilm’afaitrire.—Mason,c’estfacile!Ilsuffitd’attendrejusqu’àcequ’onenvoieune.—Çapourraitprendretoutelanuit,a-t-ilditdoucement.J’aitournélatêteverslui.Ilm’observait.—C’estsûr.Surtoutsituneregardespasleciel.—Maistuesplusintéressante.Pourquoias-tuvouludevenirsherpa?—J’aimepasserdu tempsenforêt.Et là, jesuismêmepayéepour lefaire.Jesuisgagnantesur
toutelaligne.—VenantdeDallas,tunedoispastrèsbienconnaîtrelesautressherpas.Où voulait-il en venir ? Cherchait-il à créer une ambiance « guerre de clans » ? Cela ne me
semblaitpastrèsjudicieuxpourassurerlebondéroulementdel’expédition.D’unautrecôté,ilavaitpeut-êtredessujetsd’inquiétudeconcernantmescamarades.Oualorsc’étaitjustepourparler.—Jelesairencontrésl’étédernier.Depuis,Lindseyetmoi,onsemaileetonsetéléphone.Onest
devenuesamies.Facile,vuqu’onatellementdechosesencommun.—Commequoi?—L’amourdelanature,desgrandsespaces…Enplus,onentretouteslesdeuxenterminalecette
annéeetdanstousleslycées,c’estlamêmechose:lesgroupes,lesprofs,lesexams,lesmecs.SaufqueLindseyn’avaitjamaisfaitallusionàcequisepassaitentreConnoretelle.—Donc,tulesastousrencontrésl’étédernier.—Eneffet.— J’imagine qu’on a de la chance de les avoir. Je n’avais pas envisagé que ça puisse être
dangereuxdevenirdanslesbois.Ettoi,aveccequiestarrivéàtesparents,t’aspaslatrouille?—Non.Curieusement, jeme suis toujours sentie en sécurité ici. Il suffit de restervigilants.Les
sherpassontlàetilssontpayéspourassurerlasécuritédetoutlemonde.Enplus,j’aiuneconfianceaveugleenLucas.Çam’asurprisedem’entendredireçaàhautevoix.—Sérieux?—Carrément.Ilesttoujourshyperattentif.—Oui,ilenavaitl’air,avecTesstoutàl’heure.Pasavantqu’ellesejettesurlui,mesuis-jeditavechumeur.—Tul’aimesbien,Lucas?m’a-t-ildit,peut-êtreàcausedemonsilence.—Jen’airiencontrelui.—Etmoi,tum’aimesbien?
J’aieul’impressionquemaréponseluitenaitàcœur.Maisavantquej’aiepurépondre,unfrissonm’aparcourul’échineetj’aieulachairdepoule.Je
mesuisassised’uncoup.—Qu’est-cequ’ilsepasse?m’ademandéMason.—Onnousregarde.Ilaricané.—Àtouslescoups,c’estencoreLucas.Cemec…—Non,pasLucas.Mon intuition me soufflait que ce n’était pas lui. Sa façon de m’observer était différente. Son
regardétaitprotecteuralorsquecelui-ciétait…menaçant.—Ondevraityaller.Jemesuislevée.—Jecroyaisqu’onnepartiraitpasavantd’avoirvuuneétoilefilante.—Detoutefaçon,onneregardaitpasleciel.Etpuis,sérieux,jelesenspas,là.—C’estàcausedenotreconversationsurlesdangersdelaforêt.—Non,c’estpasça.Allez,Mason,onyva.Lucasvaencorenousmeneruntraind’enferdemain.
J’aibesoindedormirunpeu.Ils’estalorslevéavecréticence.J’aiattrapélescannettesdebièreetjelesluiaifourréesdansles
mains.—Ellesvontpesermoins lourd,mais toi et tespotesallezquandmêmedevoir lesporterparce
qu’onnepeutpasleslaisserlà.—C’étaitunetrèsmauvaiseidéed’apporterdelabière.(Ilasourietaajouté:)Saufqueçam’a
permisdepasserdutempsseulavectoi.Sur lecheminde retour, jenesuispasparvenueàmedéfairede la sensationquequelquechose
nousépiait.Quelquechosededangereux.Etsoudain,jel’aivu,dissimulédansl’obscuritéd’unpetitbosquetd’arbres,àquelquesmètres.Seulssesyeuxgrisetbrillantsétaientvisibles.Unloup.Satêten’aémergédel’obscuritéqu’uneinfimefractiondeseconde,maiscelam’asuffipourvoirqu’ilétaitnoir.Noirébène.Ilnousobservait.Lucasnousavaitassuréque les loupsn’attaquaientpas leshumains,mais jen’enétaisplusaussi
sûre.—Hé!J’aivuunloupcommeça,quandjevousaisuivis,lesoirdetonanniversaire,achuchoté
Mason.—Sérieux?— Oui. J’ai failli mourir de peur. Il a surgi de l’ombre au moment où je retournais vers les
bungalows.Oui,lasensationaussiétaitlamêmequecesoir-là.Maispourquoiest-cequ’unloupmesuivrait?
Jel’ignorais.Cequejesavais,parcontre,c’étaitquejen’avaispasconfianceenceloup.Jepercevaisdel’hostilitéenlui.Oualors,j’avaisbutropdebière.
6
Il était tard dans l’après-midi quand nous sommes arrivés au bord d’un torrent. Il coulait sirapidementqu’ilétaitcouvertd’écume.Etmêmes’iln’étaitpastrèsprofond,ildonnaitl’impressiond’être terriblement dangereux. J’avais la gorge serrée au spectacle des efforts que Lucas devaitdéployerpour le traverser. Ilavaitunecordeattachéeautourde la tailledont l’autreextrémitéétaitnouéeàunarbre.S’ilvenaitàglisser,ellel’empêcheraitd’êtreemportéparlecourant.Etunefoisenface,ill’attacheraitàunautrearbrepournouspermettredetraverserennousyaccrochant.Ilavaitpresqueatteintlemilieudutorrentetlesvaguelettessefracassaientcontreseshanches,cequivoulaitdirequ’ellesm’arriveraientàlataille,voireplushaut.Lecôtérisquédelatraversém’emplissaitd’excitationetboostaitmontauxd’adrénaline.Çaallait
êtrefun,enplusd’êtrephysiquementdifficile.J’aimel’eaupresqueautantquelarando,alorsj’étaisimpatientedevoircequejevalaisfaceàuntorrentdéchaîné.—Hé,Kayla!Tunousfilesuncoupdemain?acriéBrittany.J’airegardédanssadirection.LindseyetBrittanyavaientgonfléuncanotjauneetleremplissaient
devivresetd’équipement.Masonetlerestedugroupeétaiententraindechargerdansuneautreembarcationlagrandecaisse
qu’ilstransportaientdepuisledébut,unecaissemaintenantunpeupluslégère.Jemesuisagenouilléeprèsdenotrecanotetj’aicommencéàbalancerdestrucsàl’intérieur.—Çaavaitl’airdebiensepasserentreMasonettoihiersoir,aditLindsey.—Onaregardélesétoilesetc’esttout.Jenemesentaispastrèsàl’aiseàl’idéedeparlerdeMasonetmoi.—Iln’ajamaisvud’étoilefilante.—Ouais,c’estça,aditBrittany.Lesrandonneursutilisenttoujourslamêmeexcusepours’isoler
avecunsherpa.—Non,c’estvrai,ai-jeinsisté.Brittanyalaissééchapperunpetitrire.—Maisiln’yapasdeproblème.Ilestplutôtmignon.Surcepoint,elleavaitraison.—Lucasvacertainementdemanderàl’und’entrenousderesteraveclegroupe,aucasoù,adit
Lindsey.—Çasepassetoujourscommeça?ai-jedemandé.L’étéprécédent,Lindseyétait restéeavecnous,maisnousn’avionspasséqu’unesemainedansle
parc.—Oui, surtoutavecuncampdebaseétablidansuncoinaussi sauvage.Ladirectionduparcne
tientpasàcequelescampeursseretrouventdanslepétrinpourensuiteallerleraconterpartout.—Quivaresteraveceux?—Aucuneidée.Onletirerasûrementàlacourtepaille.EtvuquetuenpincespourMason,cesera
peut-êtretoi,aditBrittany.Uncridevictoireasoudainexploséprèsdenous. IlvenaitdeRafeetConnorquise tenaientau
bord de l’eau et surveillaient la progressiondeLucas. SiLucas avait perdu l’équilibre et avait étéemporté,l’und’euxauraitplongépourlerattraper.Jen’étaispastrèssûrequecelaauraitvraimentserviàquelquechose.Maispeuimportait,maintenantqu’ilavaitréussiàatteindrel’autrerive.Jemesentaisabsurdement
fièredelui,commesisonexploitétaitaussilemien.Aprèsavoirdénouélacorde,ilaenlevésont-shirtet l’amisàséchersurunbuisson.Mêmedeloin, jepouvaisadmirersontorse.Sonbronzage
étaitparfait,surtoutpourledébutdumoisdejuin.Impossibledecroirequ’ilfréquentaitlescentresdebronzage.Ilaimaitlepleinairautantquemoi,doncc’étaitcentpourcentnaturel.Quand il s’est retourné, j’ai aperçu unemarque sur son omoplate gauche.Tache de naissance ?
Tatouage ?Ça avait l’air tropparfait, c’était à coup sûr de l’encre. J’étais intriguée.Qu’est-cequicomptaitassezàsesyeuxpourqu’ilveuillel’inscriredefaçonindélébilesursoncorps?Jedevaisaussireconnaîtrequejetrouvaislestatouagessexy,àconditionqu’ilssoientbienfaits.Mêmedeloin,lesienavaitl’airterriblementsexy.—Onafini,aditMasontoutàcoup.J’aisursauté.Commes’ilm’avaitsurpriseentraindecommettreunacterépréhensible.Dieumerci,
iln’étaitpastélépathe.Iln’auraitpasappréciéletourquemespenséesavaientprisàproposdeLucas.Maisaprèstout,jenedevaisrienàMason.Nousavionsjusteregardélesétoilesensemble.—Kayla,tuasuneseconde?m’ademandéMason.J’airegardéLindseyetBrittany,quionthaussélesépaules.—Onapresquefini,aavancéLindsey,aucasoù j’auraiseubesoind’uneexcusepournepasy
aller.Jemesuislevéeetj’aisuiviMasonunpeuàl’écart.—Alors,çava?ai-jelancé.—On n’a pas trop eu le temps de se parler aujourd’hui. Si seulement Lucas pouvait un peu te
lâcher.—Iln’estpasgarde-chiourmequandmême,ai-jeréponduenriant.—Alorspeut-êtrequetupourraisluidemanderdetelaissermarcheravecmoi.Oujepeuxaussi
luidemandermoi-même.—D’accord.Jem’encharge,mêmesijedoutequ’ilsoitouvertàcegenredesuggestion.—Super.Parcequel’inconvénientdepasserunmoisenpleineforêt,c’estqueçarendleschoses
unpeu compliquéespour la vie sociale. Imaginonsque j’aie enviede te proposer un rendez-vous.C’estpascommesionpouvaitalleraucinéma.J’aisourienpensantquejevoyaistrèsbienoùilvoulaitenvenir.Etj’étaisincroyablementflattée.—C’estjuste.—Enrevanche,undînerauxchandelles,c’estenvisageable…—Tuveuxdireuneboîtedeconserveauxchandelles?—Hé,ilnes’agitpasd’expérienceculinaire,maisdepasserdutempsensemble.Alorscesoir,situ
veux…Iln’apasterminésaphrase,unpeulâchement.Étais-jepartante?J’aitournélatêteversletorrent.Lucasétaitentraindeleretraverser.J’avaisdu
malàl’imaginermeproposerundînerauxchandelles.Pourtant,ilavaitététrèsprévenantl’autresoirquandj’avaiseubesoind’allerfaireuntour.Prévenant ? Jen’aurais jamais cruutiliser cet adjectifpourdécrireLucas.Comment se faisait-il
que,quoiquejefasse,jemesurprenneàpenseràlui?C’étaitn’importequoi,surtoutlà,avecMasonentraindemedemanderdedîneraveclui,ici,danslaforêt.—Çamarche.Avecplaisir,ai-jedit.—Cool.Ons’échapperadiscrètement.Toutçatitillaitmongoûtdel’interdit.—Trèsbien.Onsevoitplustard.Je suis ensuite repartie vers Lindsey et Brittany qui finissaient de remplir le canot. En plus des
vivres,nousyavionsfourrétoutcequ’ilétaitpossibled’ymettre:sacsàdos,chaussures…Toutcequinousalourdiraitetrendraitlatraverséedangereuse.
Unefoislescanotspleinsàrasbord,lesmecslesontmisàl’eauetontentamélatraversée.Lucas,ConnoretRafesesontdébattusaveclenôtrependantqueMason,EthanetlePrKeaneavaientmailleàpartiravecceluiquitransportaitlacaisse.David,JonetTylerpoussaientletroisième,quicontenaitlessacsàdosdesétudiants.Quantànous,lesfilles,nousavonsattendusurlarive.—Quelsexisme!Commesionn’étaitpascapablesnousaussidepousserlescanots,acommenté
Tess.—Moi,çameva,aditLindsey.Laissons-lessetaperlesaleboulot.—Oui,forcément,toitut’enfiches.Tun’aspasàimpressionnerlePrKeane.Jesuissiimpatiente
qu’onarrivepourpouvoirmemettreauxchosessérieuses.—C’est-à-dire?luiai-jedemandé.Jen’avaistoujourspasvraimentcompriscequ’ilsvenaientfairedanslecoin.—Découvrir lasourcedes légendesde loups-garousdans larégion.Celafaitpartiedesaxesde
rechercheduPrKeane.—Vouspenseztombersurunbouquinquitraîneraitparlà?Ellem’agratifiéed’unsourireindulgent.—Untrucdugenre.Ilssaventqu’onarrive,hein.Lesloups.Vouslesentendezlanuit?Çam’afaitrepenserauloupdelaveille.Devais-jeenparleràLucas?Ilyavaitquelquechosede
lugubre dans l’attitude de ce loup. Mais s’il avait eu la rage, il nous aurait attaqués. Ce n’étaitcertainementrien,justeunpeudenervositéquimontaitaufuretàmesurequ’ons’enfonçaitdanslaforêt.—Lesloupshurlent,aditBrittanyd’untontranquille.C’estcommeça.—Situledis.Tessafaitunsignedetêteversletorrent.—Lucasesttropsexy.Jen’arrivepasàcroirequ’iln’aitpasdecopine.—Àmonavis,c’estlegenredemecquiattendlabonnepersonne,aditLindsey.—Ah!Ah!Legenresilencieuxet fort?Undon juan,oui.Croyez-moi. J’enaivuassezsur le
campus.—Vousallezàlamêmefac?ai-jedemandé,surpriseparsoncommentaire.—Non,jesuisdeVirginieetLucasm’aditqu’ilétudiaitdansleMichigan.—Oui,ilaobtenuuneboursegrâceàsesperformancesenathlétisme,aditLindsey.— Je pourrais toujours changer de fac, a répondu Tess sans le quitter des yeux pendant qu’ils
sortaientlescanotsdel’eau.—Bon,ondiraitquec’estànousdetraverser,aannoncéBrittany.Lindseyetmoiavonsavancédans le torrent.L’eau froideexerçaitunepressionpuissantecontre
mesmollets.NousavonsensuiteaidéBrittanyetTessàentrerdansl’eauetàsestabilisercontrelecourantpourcommenceràtraverser.PuisLindseym’afaitunpetitsigneetlesasuivies.Lucasavaitdécidéque jepasseraisendernier.Nonpasque jesoisspécialeàsesyeux, jeneme
leurraispas.Maisilavaitprobablementlumondossierdecandidatureaupostedesherpaetvuquej’étaisuneexcellentenageuse.J’appartenaisàl’équipedenatationdemonlycéeetj’avaismêmetentélesqualificationspourl’équipeolympique.J’avaiséchouéàquelquescentièmesdeseconde.Desortequemêmesipersonneneveillaitsurmoi,çanem’inquiétaitpas.Étant donné que nous allions laisser le groupe du Pr Keane et retourner au camp de base des
Rangers par lemême chemin, la corde resterait en place. Et vu que le PrKeane garderait la plusgrandepartiedesvivres,notreretourseraitbienplusrapide.J’aiattenduqueLindseyaittraversélestroisquartsdutorrentetjemesuislancéeàmontour.Je
me suis solidement agrippée à la corde et j’ai péniblement fait quelques pas.L’eaum’arrivait à la
taille.Sanslacorde,lecourantm’auraitdéséquilibrée.BrittanyetTessavaientdéjàatteintlarivequandj’aisentiunesecoussesurlacorde.Cetteétrange
vibrationm’évoquaitlafaçondontlefildepêchesetendaitquandmonpèreadoptifm’emmenaitàlapêcheetqu’onavaitunetouche.Lindsey, qui était presque arrivée, n’avait rien senti.Tout à coup, j’ai à nouveau eu la sensation
qu’on m’observait. Cette même sensation qui se répétait depuis que je l’avais ressentie pour lapremière fois le soir demon anniversaire.Malgré les signaux d’alarme dansma tête, jeme suisarrêtéeet j’ai regardéderrièremoi.Lesombresallongéesde la find’après-midimebouchaient lavue.Jen’airienremarquédeparticulier.Jemesuisditqueceladevaitêtreunoiseau–ungrosoiseauquis’étaitposépuisavaitredécollé.—Kayla!Malgré levacarmedu torrent, j’ai reconnu lavoixdeLucasetperçuson impatience.Jemesuis
retournéevers la riveoù il se tenait.Lindsey sortait de l’eau. Je savaisqueLucasm’envoulait delambiner parce qu’il avait l’intention de parcourir encore quelques kilomètres avant la nuit. Il nesavait pas se détendre ni profiter de l’instant présent. Il fallait toujours repousser les limites, lessienneset…Soudain,lacordeaviolemmenttressautédansmamain.J’aiperdupiedsousl’assautducourantet
jemesuiseffondréedansl’eauenlâchantlacordedevenuesouple.J’aicherchéenvainàlarattraper.Je ne parvenais plus à respirer. Le courant me maintenait sous l’eau et m’entraînait. J’avais lespoumonsenfeu.Bam!Jeme suis écraséecontreun rocherouune souche, en tout casquelquechosed’incroyablement
grosetdur.Lechocaexpulsélepeud’airqu’ilrestaitdansmespoumons.Jemesuisdébattuedeplusbelle pour regagner la surface. J’avais la poitrine tellement douloureuse que je craignais qu’ellen’explose.J’aicrevélasurfaceletempsd’unebrutaleinspirationetlecourantm’afaitreplonger.Ilfallaitque
jereprenneledessus.Ilfallaitquejeluttecontrelapaniquequimontaitetlapeurdemourir.Jenevaispasmenoyer.Jerefusedemenoyer.J’airéussiàsortirmonvisagedel’eauetàmemettresurledos.D’oùsortaientcesrapides?Le
courant était encore plus violent par ici. Plus dangereux. Quelle distance est-ce que j’avaisparcourue?Plusieurskilomètres,àenjugerparmesmusclesendolorisetmonépuisement.Ducoindel’œil,j’aiaperçuunebranchequiflottaitàproximité.Jem’ysuisagrippéeletempsde
rassembler mes esprits et de retrouver mon souffle. Il fallait que je rejoigne la rive. J’ai essayéd’utiliserlabranchecommeflotteurenbattantdesjambespouravancer,maislecourantjouaitavecellecommes’ils’agissaitd’unebrindille.J’aifiniparlalâcheretnagerverslarive.Cen’étaitpassiloin.Jepouvaislefaire.Jepouvaisyarriver.Je me suis cogné le genou.Malgré la douleur, ça m’a permis de me rendre compte que l’eau
devenaitmoinsprofonde,mêmesi lecourant restait trèsfort.Moitiénageantetmoitiémetraînant,j’aiatteintlariveetmesuishisséesurl’herbe.J’avaismal au ventre et à la poitrine en crachant toute l’eau que j’avais avalée. Puis jeme suis
effondréeavecdeshalètements.J’avaismalpartout.Mesbrasetmesjambesécorchéssaignaient,etjetremblais à cause du froid et du choc. Je refusais de penser que j’avais faillime noyer.Même sij’avais suivideuxou trois coursde secourismedesannéesauparavantquand j’avaisbossécommemaîtrenageurà lapiscineunété,ce torrentétaitbienplusdangereuxquen’importequellepiscine.J’avaiseudelachance…Etjesavaisaussiquejenepouvaispasmepayerleluxederesterlààmereposer.Jedevaisimpérativementmeréchauffer.
Jemesuisforcéeàm’asseoiretj’aiessorémeshabitsaumaximum.Cequinem’aapportéaucunsoulagement.J’avaisenviedem’étendrelàetdedormir.Pourtant,ilfallaitquejerejoignelesautres.Courirme
réchaufferait. Jemesuis relevéeàgrand-peineet j’aicommencéà titubervers lesarbresquandungrognementmenaçantm’astoppéenetdansmonélan.Jem’étaiscruetiréed’affaire.Jemetrompais.Unoursencolèresedressaitdevantmoi.
7
L’oursétaitgigantesque!Deboutsursespattesarrière,ildevaitbienmesurerdeuxmètres,mêmesi la terreur altérait certainementmon jugement. Jene savaispas si l’odeurdu sangoude lapeurexcitaitlesours,maisjesaignaisencoreetj’étaismortedetrouille.J’avaisluqu’encasdeconfrontationavecunoursilfallaits’étendreausoldetoutsonlong.Mais
j’avaisaussiluautrepartqu’ilfallaitserecroquevillerenpositionfœtale.Prendreunedécision,là,maintenant.Jemeremettaistoutjustedel’épreuvedutorrentetmoncerveaurecommençaitàpeineàfonctionner,alorspourdéciderd’unestratégie…J’avaisquandmêmegardéassezdesang-froidpournepaspaniqueretmemettreàcourir.Maisjeneparvenaispasàcontraindremoncorpsàadopterunepositiondesoumission.Siçatournaitmal,jevoulaisaumoinsêtrecapabledetenterquelquechosepourdéfendremavie.Relevant la tête, l’oursaouvert lagueuleetpousséunformidablegrognement.Sescrocsétaient
énormesetsespattescarrémentmonstrueuses.Puisilachargé.Instinctivement, j’aivouludétalerà toutes jambes.Ducoinde l’œil, j’aiaperçuunmouvementà
côtédel’animal.Ungrondementlourddemenaces–différentdeceluidel’ours–arésonnédanslaclairièreetjemesuisretournéejusteàtempspourvoirunloupsejetersurlui.En reculantmaladroitement, j’ai trébuché et je suis tombée sur les fesses. L’attaque du loupme
fournissait la diversion dont j’avais besoin pourm’enfuir,mais je ne parvenais pas à détacher lesyeuxdesdeuxanimauxquisefaisaientfaceengrognantetenclaquantdescrocs.L’oursalancésapatte en avant et j’ai entendu le loup glapir.Du sang s’estmis à couler le long des plaies que lesgriffesavaientouvertesdanssonflanc.Pourtant,leloupn’apasreculé.Aucontraire,ils’estdéplacépours’interposerentrel’oursetmoi.
Jenevoulaispasqueceloupmeure.Cen’étaitpasceluiquej’avaisvulaveille,j’enétaissûre.Sonpelageétaitdifférent,constituéd’unmélangedecouleurs.Debout sur ses pattes arrière de nouveau, l’ours grognait. Face à lui, le loup avait retroussé les
babinesetlaissaitéchapperunprofondgrondementd’avertissement.J’auraisdéjàdûêtreentraindecourir,jelesavais,maisjen’enavaispasl’énergie.J’étaisassise
parterreetjenesavaispassij’auraisjamaislaforcedemerelever.J’avaisenviedecrier.Jevoulaisquelessherpasmeretrouvent,qu’ilsviennentàmonsecours.L’oursa infligéunnouveaucoupau loupet l’aenvoyévolerdans lesairscommes’ilnepesait
rien.Aprèss’êtrelourdementreçu,leloupareprisunepositiond’attaqueets’estmisàtournerautourdel’ours.Puisilabondienavantetluiamordulapatte.L’oursagémi,afaitvolte-faceets’estenfui.Toujours en position d’attaque, le loup s’est tourné dans ma direction. Allait-il s’en prendre à
moi?JemesouvenaisdecequeLucasavaitdit:unloupsaind’espritn’attaquerajamaisunhumain.Je faisais de mon mieux pour ne pas trembler, je ne voulais pas qu’il sente ma méfiance. Maisl’épuisement,lapeurettoutcequej’avaisendurédepuisquelacordeavaitcédépesaienttroplourd:j’aiétéprisedeviolentstremblements.Pouressayerdenepasm’effondrer,j’aitâchéd’oubliermonétatenmeconcentrantsurleloup.Il
mefaisaitpenseràungroschien,maisc’étaitleplusbelanimalquej’aievudemavie.Sonpelageseparaitd’uncurieuxmélangedecouleursprofondesetlumineusesàlafois.Etsesyeuxbrillaientd’unbel éclat argenté, pas le gris triste du loup de l’autre soir. J’avais la sensation bizarre qu’ilm’inspectait,essayantdedéterminersi…Siquoi?Pourquoiest-cequ’ilmeregardaitcommeça?Pourquoirestait-illà?Àmesureque lesminutespassaient, jemesentaisdeplusenplusà l’aiseenfacede lui.Unlien
palpable nous unissait d’une façon inexplicable. Dans mes cauchemars, les loups étaient toujours
féroces,maiscelui-làm’avaitsauvélavieaupérildelasienne.Cequiétaitarrivéàmesparentsavaitaffectémesrêves.Maissi j’avaispeurdequelquechose,cen’étaitpasdecetteforêtoudeceloup.J’avaispeurdequelquechoseenmoi.Quelquechosequejenecomprenaispas.Toutàcoup,deséchosdevoixmesontparvenus.Lesautresarrivaient.J’airepenséauPrKeaneet
àsonobsessiondesloups.—Va-t’en,luiai-jemurmuré.Prendssoindetoi.Satêtes’estinclinéedansunecurieusepositionpuisiladisparud’unbonddansl’épaisfeuillage.—Kayla!hurlaitLindsey.—Parici.Jen’avaispasbougé.J’essayaisderassemblermesforces.— Oh, mon Dieu ! a crié Lindsey au moment où Brittany, Rafe, Connor, Mason et elle ont
débouchédanslaclairière.J’aiétésurprisequeLucasnesoitpasaveceux.Lindseys’estprécipitéeversmoi,s’estagenouilléeetacommencéàmefrotterlebrasenprenant
soind’évitermesblessures.Çam’aréconfortéeetréchauffée.—Onavaitpeurquetutesoisnoyée,aditBrittanyennousrejoignant.Elleaensuiteentreprisdemefrotterl’autrebras.C’étaitdivin.J’ailaissééchapperunpetitrirefaiblard.—Ehbien,non.Rafeaenlevésont-shirt.—Tudevraistechanger.Lindseys’estsaisiedut-shirtetachassétouslesmecs.Pendantqu’ilss’éloignaient,j’aientenduMasonfaireuncommentaireàRafe:—Lucasalemêmetatouagequetoi.Letatouagesurl’omoplategauchedeRafereprésentaitunesortedesymbolecelte.Trèssemblable
àmonpendentif.Jel’aicherchéàmoncouetenlesentantsousmesdoigts,j’aiétésoulagéedenepasl’avoirperdudansletorrent.—Ouais.Çafaisaitpartiedel’initiationpourlaconfrérieàlafac.Untrucdeouf.Curieux. Je n’arrivais pas à imaginerLucas dans une confrérie.Ensuite j’ai réfléchi au fait que
Lucasétaitrestéenarrièreaveclegroupeaulieudeveniràmonaide.Madéceptionétaitcuisante.—Allez,ilfautquetuenlèvescesfringuestrempées,m’aordonnéLindsey,interrompantlefilde
mespensées.J’aienlevétopetsoutien-gorgepourpasserlet-shirtdeRafequiétaitencorechaud.C’étaitaussi
réconfortant que de se glisser sous une couverture.Mon short était fait d’un tissu qui séchait vite.Alors,sansêtremortedechaudpourautant,jen’avaisplusaussifroidqu’avant.Quandj’aiétérhabillée,onarappelélesmecs.—Onfaitunfeuiciouonretourneaucamp?ademandéConnor.—Ramène-la.Tupeuxlaporter?ademandéRafe.—Pasdeproblème,aréponduConnor.—Jepeuxmarcher,suis-jeintervenue.Enplus,celam’aideraàmeréchauffer.—Oui,c’estsûr.Tutesensd’attaquepourtelever?m’aquestionnéeConnor.J’aiacquiescéetmesuislevée.—EtLucas?ademandéMason.Vucommentilcourait,ilauraitdûêtrelàavantnous.Iln’estpasrestéaucamp?Ilmecherchait?Uneétincelledejoieaexploséenmoietmesyeuxm’ontpiqué.Qu’est-cequisepassait?C’était
certainementlecontrecoup.C’étaitça,biensûr.JenereprésentaisriendespécialpourLucas,etluipareilpourmoi.C’étaitjustedelasolidaritéentresherpas.
—IladûperdreKayladevueetladépassersansvoirqu’elles’étaithisséesurlarive,aexpliquéRafe. Il faitde l’athlétismeàhautniveau. Ilcourtà lavitessede la lumière. Jevaisàsa recherche.Vous,vousretournezaucamp.Kaylaabesoindeboireuntrucchaudetleplusviteseralemieux.Puis,sansnouslaisserletempsdedirequoiquecesoit,ilestpartidansladirectionqu’avaitprise
leloup.—Faisattention!luiai-jecrié.Ilyavaitunoursetunloup.Rafes’estarrêtéetaeul’aird’avoirenviededirequelquechose,maisMasonaétéplusrapide.—Oùça?—Ici.Ilssesontbattusetpuisilssesontenfuis.Leloupestblessé.Situtombessurlui…—Net’inquiètepas.Jenel’approcheraipas.Lesanimauxsauvagesetmoi,çafaitdeux.Enarrivantaucamp,j’aieulabonnesurprisedeconstaterquelestentesétaientdéjàmontées.Jeme
suis immédiatement glissée dans lamienne, impatiente d’enlevermon short humide. J’ai enfilé unjogging chaud et confortable. Mes éraflures ne saignaient plus mais je les ai quand mêmedésinfectées.(Onn’estjamaistropprudentenforêt.)Puisj’aiattrapéunecouverturequej’aienrouléeautour de mes épaules avant de sortir rejoindre les autres près du feu. Un peu de nourriture meréconforteraitàcoupsûr.Lindseym’atenduunboldesoupe.—Boisça.Çavat’aideràteréchauffer.Elles’estassiseàcôtédemoi.—Onétaitmortsd’inquiétude.—Pasautantquemoi.—Bon,neleprendspasmal,maisjesuiscontentequeçatesoitarrivéàtoietpasàmoi.Jenesuis
pastrèsbonnenageuse.— S’ils ajoutent une épreuve de descente de rapides, j’aurai peut-être une chance d’intégrer
l’équipeolympiquecettefois.Elleariàmablaguedébileparcequejeluiavaisracontéquej’avaisloupédepeulasélectiondans
l’équipenationale.Puiselleapassésonbrasautourdemoietm’aserréetrèsfortcontreelle.—MonDieu,jen’aijamaiseuaussipeurdemavie!J’aiappuyématêtesursonépauleetj’auraispum’endormiraussitôt.Àcetinstant,seulel’épaule
deLucasauraitpumeréconforterplusquecelledeLindsey.J’étaisémuequemamésaventurel’aitpaniquéaupointqu’ilm’aitdépasséesansmevoir.Ilneseraitprobablementpastrèsfierdeluiquandilrentreraitaucamp.Mêmeluin’étaitpasparfait.Jen’avaispasl’intentiondemettrelesujetsurletapis,cependant.LucasetRafesontarrivéspeuaprès.Touslesdeuxgrandsetbruns,onauraitditdesfrères.—J’avaisraison,aditRafe.Il fonçait tellementqu’iladépassél’endroitoùtuessortiedel’eau
avantquetuyarrives.—Voilàcequec’estqued’êtrerecordmandumillemètres,adéclaréConnor.Sanssesoucierdescommentaires,Lucass’estaccroupiprèsdemoi.—Çava?—Oui.Jemesentaisunpeugênéedetenirlavedette.—Désolée.Jenesaispascequis’estpasséaveclacorde.—Ilst’ontpasdit?Jel’airegardésanscomprendre.—Ditquoi?—Quelqu’unl’acoupée.
8
—Qu’est-cequevousracontez?ademandélePrKeane.PerduedanslesyeuxdeLucas,j’avaispresqueoubliéquenousn’étionspasseuls.—AprèsledépartdeLucas,Connoretmoiavonssortilacordedel’eau,aexpliquéRafe.Onse
disaitqu’elleavaitpeut-êtrefrottécontrel’écorceetqu’àforceelles’étaiteffilochéeaupointdefinirparcasser.Maislacoupureestnette.Faiteaucouteau.—Quiferaituntrucpareil?ademandéTess.Lucass’estrelevéaveccettegrâcefélinequiluiétaitpropre.—Avez-vousdesennemis,professeur?—J’aibienuncollèguequidemande lesmêmes subventionsquemoi,mais jene l’imaginepas
tenterdesaboterl’expédition,a-t-ilréponducalmement.(Maisàlafaçondontildardaitsonregardvers les sherpas, on aurait dit qu’il les soupçonnait.) Il est de toute façon absurde de penser quequelqu’uncherchait ànousnuireàcausedecetteexpédition.Àmonavis,nousdevrions tousallernouscoucher.Nousavonsperdudu tempsàcausedupetit…incidentdecetaprès-midi. J’aimeraisqu’onpuisserattrapernotreretarddemain.J’avaisfaillimouriretluiconsidéraitquecen’étaitqu’undésagréablepetitincident?Etenplus,il
refusaitdevoirlesimplicationsd’unéventuelsabotage.Mêmesijenesavaispastropquoienpenserdemoncôté,j’étaissûrequeçavalaitaumoinslapeinequ’onenparle!Mason me regardait d’une façon qui signifiait qu’il avait quelque chose à me dire. Peut-être
désirait-ils’excuserpourl’attitudedesonpère.En râlant, tous les étudiants du Pr Keane sont partis vers leurs tentes. Mason, lui, est resté.
Manifestement,ilvoulaitmeparlerentêteàtête.J’aifaituneffortpourmelever,jel’airejointetj’aimêmeréussiàluiadresserunpâlesourire.—J’imaginequec’estrâpépourledînerauxchandelles.Enrougissant,sesjouesontprisuneteintequasimentpourpre.—Pascesoir,non.Maisonpourraitquandmêmefaireunpetittour?J’aihochélatêteetnousavonscommencéàmarcher.—Nevouséloignezpas,agrognéLucas.J’aijetéunregardenarrièreetvuqu’ilavaitl’airtoutsaufheureux.—Onvapasloin.—Il estdécidément trèsprotecteur envers toi, aditMasonquandnous sommes sortisducercle
forméparlestentes.—Ilestcommeçaavectoutlemonde.C’estsonboulot.—Situavaisvulavitesseàlaquelleiladémarréquandtuasétéemportée.Jen’avaisjamaisvu
quelqu’uncouriraussivite.—C’estunchampiondelacourseàpied.—Oui,c’estcequ’ondit.Nousnoussommesarrêtésunefoisassezloinpourquepersonnenepuissenousentendre.Ilm’a
alorsprislamain.—J’allaisluicouriraprès,maisRafem’enaempêché.Etpuis,detoutefaçon,jen’auraispaspule
rattraper.—C’estpasgrave.Tuétaislàquandj’aieubesoindetoi.—J’essaie,maislessherpasteprotègenttellementquejemesenspresque…rejeté.—Non,maisjetedis,çava.
Ça me faisait de la peine qu’il se sente mal à cause de moi, et parce que les autres l’avaientempêchédeveniràmonsecours.Jeledevinaismalàl’aiseaveceux.Peut-êtreparcequ’ilétaittropintello.Mêmes’ilétaitencorejeune,ilétaitdéjàentroisièmecycle.SonQIdevaitcreverleplafond.—Hé,euh,qu’est-cequiestarrivéenpremier,l’oursouleloup?—C’esttaversiondel’énigmesurl’œufoulapoule?Jen’avaispasessayédedissimulermonirritation.Laquestionmesemblaittropbizarre.—Non,sérieux.Çam’intrigue.Parceque,normalement,lesoursn’attaquentpas,ilmesemble.—Vadireçaauboy-scoutquienestmortl’andernierenAlaska.Et puis soudain, j’ai compris quemon énervement envers lui était aussi débile que sa question.
Quelleimportanceçapouvaitbienavoir?J’étaisvivante,etcelaseulcomptait.—L’oursétaitlepremier.—Donc,tuteretrouvesfaceàunoursetunloupvientàtarescousse?—Àmarescousse,jesaispas.Maisoui,ilachassél’ours.C’étaitpeut-êtreparcequ’iln’aimaitpas
lesours,ai-jeajoutéenriantpourdétendrel’atmosphère.Çan’apeut-êtrerienàvoiravecmoi.Jenesuismêmepassûrequ’ilaitremarquéquej’étaislà.—Ilressemblaitàquoi?Toutçadevenaitcomplètementridicule.J’aidégagémamaindelasienne.—Ilétaitnoir.—Toutnoir?Commeceluid’hiersoir?Non, ai-je pensé.Mais sans vraiment savoir pourquoi, je n’avais pas envie de lui dire la vérité.
Commeunbesoindeprotégerceloupcontrelui.—Pourquoi?Tut’attendaisàautrechose?Ilatournélesyeuxverslefeudecampd’oùlessherpasn’avaientpasbougé.LePrKeanen’avait
pasànousdireànousquandallernouscoucher.Aucontraire,j’avaislasensationque,rienquepourmarquerlecoup,lessherpasn’iraientsecoucherquetrèstard,etpasdansladiscrétion.—Jenesaispas,a-t-ilditdoucement.J’imaginaisqu’ilavaitunpelagemélangé.(Ils’est incliné
versmoiet a ajoutéd’unevoixencoreplusbasse :)Entrenous, j’avoueque je trouvebizarrequeLucasnet’aitpasdécouverteavantnous.Maisqu’est-cequ’ilracontait?Jemesuisalorssouvenuedelaconversationqu’ilavaiteueavecsonpèreaucoursdelapremière
nuit.Est-cequ’ilpensaitqueLucas…étaitleloup?C’étaitcomplètementfou!—Lucascouraittrèsviteetmoi,jesuisrestéeuncertainmomentsousl’eau,doncilmesemble
toutàfaitpossiblequ’ilm’aitperduedevue.—Peut-être,a-t-ilmurmuré.C’estquandmêmebizarre.—Commetulesens.Bon,moi,jesuisfatiguée.—Désolé.Cen’estpaspourtefairesubiruninterrogatoirequejevoulaisteparler.C’estjustede
lacuriosité.Ilarrivetellementdechosesétrangesdanscetteforêt.(Ilm’asouri.)Entoutcas,jesuissoulagéquetuaillesbien.J’étaisjalouxqueLucasvoleàtonsecours.Jesuiscarrémentcontentqu’ilsesoitplantécommeça.Iln’estpassiparfait,finalement.J’aitouchésonbras.—Yapasdequoiêtrejaloux.—Onpourrapeut-êtresefairecedînerdemain?—Peut-être.Ils’estpenché,commes’ilallaitm’embrasser,ets’estfigé.Certainementparcequ’ilavaitsentila
mêmechosequemoi.Sansavoirbesoindemeretourner,jesavaisqueLucasnousobservait.J’aivudanslesyeuxdeMasonqu’ilvenaitdeprendreladécisiondem’embrasserquandmême,
histoire de faire enrager Lucas. Et je n’avais pas l’intention d’entrer dans ce petit jeu-là. Je lui ai
souhaitéunebonnenuitetjesuispartie.J’étaispresquearrivéeàmatentequandLucasm’ainterceptée.—Hé,Kayla,onpeutseparleruneminute?Si c’était une question, le ton qu’il avait employé le contredisait. C’était un ordre. J’étais
physiquementetpsychologiquementàbout.Malgréça, j’aipuisédansmesdernièresréservespouraller rejoindre Lucas et les autres sherpas. Ils avaient l’air de conspirateurs. Leur conversationsemblaitteniràl’écartlegroupeduPrKeane.—Commentçava?m’ademandéLucas.Il y avait une réelle inquiétude dans sa voix. J’ai ravalé les larmes qui auraient trahi mon état
déplorable. Je voulais faire bonne figure, auprès de Lucas, mais aussi de tous les autres sherpas.Lindseym’asouripouressayerdemeréconforter.—Çava.Jedoislavieàceloup.Ilst’ontdit,non?Avecl’oursettout?—Oui,Rafem’aexpliqué.Désolédenepasavoirput’aider.—Jen’auraispascruquetupaniqueraisaupointdecourirencoresansregarderenarrière.Endisantça,etmêmesij’étaisconscientequejen’auraispeut-êtrepasdûlefairedevanttémoins,
jemesuisrenducomptequec’étaitlapurevérité.Lucasnepaniquaitpas.Jamais.Cen’étaitpassongenredefaireuneerreuraussistupide.—Lecourant était si rapideque j’ai cruque tuétaisplus loin. Jen’aipaspenséà ralentirpour
m’enassurer.J’aihochélatête,mêmesisaréponsesonnaitfaux.—Jelaisseraisbienunbonsteakpourceloup,sijepouvais,ai-jedit.—Jesuissûrqueçaluiferaitplaisir.Jet’aidemandédevenirpourceci:as-turemarquéuntruc
bizarresurlariveavantdecommenceràtraverser?J’airegardélesvisagespréoccupésdessherpasquim’entouraientetj’aifaitnondelatête.—Riendutout.Maispourquoiest-cequequelqu’unessaieraitdesabotercetteexpédition?C’est
n’importequoi.— Il ne s’agit pas forcément de l’expédition, a dit Rafe. On se demande si ça ne serait pas
quelqu’unquienvoudraitauxsherpas,quinousenvoudraitànous.—Ouplusprécisément,aditLucas,quelqu’unquim’envoudraitàmoi.—Qui pourrait bien t’en vouloir ? ai-je protesté.Tu as remporté l’oscar de l’amabilité l’année
dernière.Ilm’alancéunsourireétincelant.—C’estmignon,ça.Clair,ai-jepensé,mignon,c’esttoiquil’esquandtusouriscommeça.—Non,sérieusement,quipourraitt’envouloir?ai-jerépété.—Devlin.Ilabossécommesherpaicil’étédernier,etilafaitdestrucsqu’iln’auraitpasdûfaire,
ilaprisdesrisquesetaufinalilamisdescampeursendanger,m’aexpliquéBrittany.—Lucasluiabottélecul,aajoutéConnor.Il y avait une telle admiration dans sa voix que j’ai été surprise qu’ils ne se tapent pas dans les
mains.—Aprèsça,Devlinestpartifaireuntourailleurs.Manifestement,Rafenevoulaitpasêtreenrestedanscettehistoire.—C’estpaspourautantqu’iln’estpasderetourdanslecoin,acontréLindsey.J’étaissurprisequ’ilssoientsiinquietsàcaused’unpauvretypedel’annéeprécédente.Qu’est-ce
qu’ilseraitrevenufaireici?Etpuis,c’étaitmoilapetitenouvelle.C’étaitmoiquiétaiscenséeêtreunpeupaniquée,là.Paseux.Toutçanemedisaitrienquivaille.—Onlesauraits’ilétaitrevenu,aditConnor.
—Pass’ilsetientàdistance,aréponduLindsey.—Ellen’apastort,aconfirméLucas.—Sansvouloirenrajouterdanslaparanoïaambiante,jecontinueàavoirlasensationqu’onnous
observe,ai-jedit.—Ah!C’estvrai,amurmuréLindsey.Déjà,lapremièrenuit,elleflippaitgrave…—Non.J’aijusteeul’impressionqu’onmesurveillait.Mêmechoselanuitdernière.—Lanuitdernière?aditLucas.—Pendantqu’onbuvaitdelabière, j’aisenti lemêmetruc,commesiquelqu’unm’observait.Et
puisj’aivuunloup,aussi,unpeuplustard…—Dequellecouleur?—Masonvientdemeposerlamêmequestionàproposduloupquiaattaquél’ours.Est-cequ’ily
auntrucquejedevraissavoiràproposdesloupsdeceparc?Tum’asditqu’ilsnes’enprenaientpasauxhumains.—Exact.Cependant,onaeudesinfosquijustifientd’engarderunàl’œil.Alors,dequellecouleur
étaitleloupquetuasvuhiersoir?— C’est difficile à dire. Je pencherais pour noir, mais c’était peut-être à cause de l’obscurité.
Mason, qui était avec moi, affirme que c’est celui qui traînait dans les bois le soir de monanniversaire.—Masonétaitdanslesboispendantlafête?ademandéLindsey.Etleloupaussi?— Mason m’a dit qu’il n’arrivait pas à dormir. Mais à mon avis, ce n’était pas lui qui nous
observait.Jepensequec’étaitleloup,parcequeçam’afaitlamêmeimpressionunpeuangoissantequ’hiersoir.(J’ailâchéunpetitrire.)Biensûr,unloupnepourraitpascouperunecorde,doncjenesaispasquoipenserdetoutça.LucasetRafeontéchangéundrôlederegard.—Quoi?ai-jedemandé.—Devlin avait un loup de compagnie, a dit Lucas. Donc si le loup est dans le coin, il y a de
grandeschancespourqueDevlinlesoitaussi.Ilvafalloirêtretrèsvigilants.Onvaétablirdestoursdegarde.Rafe,Brittany,vousprenezlepremiertour.Quelquesminutes plus tard, jeme suis enfin glissée dansmon sac de couchage avec un plaisir
intense.J’étaiscourbatueetcouvertedebleus,maisparmiracle,jen’avaisaucuneblessuregrave.Enfindecompte,j’avaiseuunechanceincroyable.Cequim’afaitrepenserauloup.Jel’imaginaiscachéquelquepartpourpansersesblessures.Est-
cequesafemellel’attendait?Lesloupsnes’accouplaient-ilspaspourlavie?Étaient-ilsplusfidèlesqueleshumains?—Kayla?amurmuréLindsey.Je me suis tournée vers elle, ignorant les protestations de mes muscles endoloris. L’année
précédente,jel’avaissouventretrouvéedanssatentepourparlerdesheuresdurant.Mêmesij’aimaisbeaucoup Brittany, je ne me sentais pas aussi proche d’elle que de Lindsey et j’avais aussil’impressionquelaprésencedeBrittanyempêchaitLindseydeparlerlibrement.—Ouais?—Qu’est-cequetupensesdeRafe?Là,vraiment,jenem’yattendaispas.Aprèstoutcequis’étaitpasséaujourd’hui,c’étaitladernière
questionquimeseraitvenueàl’esprit.—Jeletrouvecool.Pourquoi?—Jenesaispas.Jeleconnaisdepuistoujours,onagrandiensemble.Etmaintenant,jeletrouve…
différent.Plusmature.Enfin,jepensebeaucoupàlui,etc’estbizarre.—Ilteplaît,c’estça?
—Jecrois,oui.—EtConnor?—Jeneveuxpasluifairedemal,vraiment,maisjenesaispassic’estluiqu’ilmefaut.—Ettudoistedécidercetété?—C’estunesortedetraditiondanslecoin.Àdix-septans,tuescenséesavoiravecquituchoisis
d’être.Etc’estbientôtmonanniversaire.—Celameparaîtunpeu…moyenâgeux.—Tum’étonnes!a-t-elleditenriant.J’auraispréféréqueLucasmemetteavecRafepourletour
degarde.AvecConnor,çavapasêtredrôle.Nosrelationssontplutôttenduesdepuisquelquetemps.—C’estpeut-êtremoiqu’ilvadésignerpourprendreletourdegardeavecConnor.—C’estça.TunevoispaslafaçondontLucasteregarde?Mamainàcouperquetuserasaveclui.Toutàcoup,ilfaisaitbeaucouptropchauddansmonsacdecouchage.J’aisortiunejambe.—Hum…J’aiplutôtl’impressionqu’ilmeconsidèrecommeunesourcedeproblèmes.Enplus,il
estcarrémentsexy.Ildoitdéjàavoirunecopine.—Iln’ajamaiseuderelationsérieuse.Enfin,pasquejesache.—Jenesuismêmepassûredeluiplaire.Sérieux.Ilpassesontempsàm’aboyerdessus.—Littéralement?s’est-elleesclaffée.— Quoi ? Non. Mais il est un peu caractériel. Enfin, c’est sans doute à cause de toutes ses
responsabilités.—Yapasqueça.Ilfautqu’ilsemontreàlahauteurdecequ’onattenddelui.Safamilleestplutôt
puissantedanslecoin.LesWildefontlaloi,parici.—Çafaitlongtempsqu’ilssontinstallésdanslarégion?—Ilsremontent,genre,àlaguerredeSécession…—Jemedemandes’ilsontconnumesparents.Monpsyditquejedoisaffrontermonpassé,mais
c’estdifficile.J’aipeudesouvenirsetpersonnepourmeraconter.—Voirmourirtesparentsadûêtreterrible!Jen’arrivemêmepasàimaginer…— Je ne les ai pas vraiment vus mourir. Ma mère m’avait installée dans cette… (une image,
soudain,avecdessonsetdesodeurs)…danscettepetitecaverne,ouuntrucdugenre.Ilyavaitdesgrognements.Desloups?Leschasseurslesauraientvisésetauraienttouchémesparentsparerreur?Est-ceque
mamèreavaitessayédemeprotéger?—Tusaisàquelendroitduparcças’estpasséexactement?—Non.Jen’aipasdemandél’annéedernière.Jenesouhaitaispasentrerdans lesdétails.C’était
déjàassezdurderevenirici.Maiscetteannée…Jenesaispaspourquoi,jemesensdifférente.C’estcommesij’étaisàmaplace.Commesij’allaisbientôtdécouvriruntrucimportant.—Commequoi?—Jenesaispastrop.Maisleloup,là,aujourd’hui…Jen’aipaseupeurdelui.C’étaitcommesije
leconnaissais.Tropbizarre,non?—Quandtesparentsontététués,ilyavaitdesloups?—Audébut, jepensaisquenon,queleschasseurss’étaient trompés.Maisdepuisquelquetemps,
j’aidesflashs,etjevoisdesloups,maisilsn’ontpasl’airagressifsdutout.—Ilfautpeut-êtrequetuyaillesdoucement,quetulaisseslessouvenirsremonteràleurrythme.—Peut-être. (J’aipousséunprofondsoupir.)De toute façon, je suis tropépuiséepourypenser.
Aprèscetteoverdosed’adrénaline,jesuisauborddel’effondrement.Elleatendulebrasetm’aserrélamain.—Jesuistellementcontentequetut’ensoistirée.—Moiaussi.
Jeluiaisourietjeluiaisouhaitéunebonnenuit.Jemesuisremisesurledosetj’aiessayédem’endormir,maisjen’arrivaispasàarrêterdepenser
auloup.Pourquoiest-cequej’avaiseul’impressiondelaconnaître?Est-cequenousétionstombéssurunetanièredeloupsavecmesparents?Avecdeslouveteaux,peut-être?Est-cequemesparentsavaient essayéde lesprotégerdes chasseurs ? J’auraisvouluquemes souvenirs soientplus clairs.Combiend’annéeslesloupsvivaient-ils?Pourquoiceloupenparticulierm’était-ilfamilier?Soudain,j’aientendulehurlementd’unloupetj’aisu.Suquec’étaitluietqu’ilm’appelait.L’envie
deluirépondremedéchiraitlesentrailles.Jebrûlaisdemelever,depenchermatêteenarrièreetdehurler en retour. L’étrangeté de ma réaction m’effrayait. C’était comme s’il tentait d’éveiller unechoseprimaleenfouietoutaufondmoietdontjenesavaispasqu’elleexistait.Affrontetespeurs,m’avaitditleDrBrandon.C’étaitdifficileàfaire,surtoutmaintenantqu’elleschangeaient.Audébut,ellesseconcentraientsur
mon passé et ce qui était arrivé à mes parents. Des peurs qui suscitaient mes cauchemars. Puis,récemment,mespeurss’étaientmisesàconcernermonfutur,àdésignercettedimensioninconnueenmoiquivoulaitémergeraugrandjour.Parfois,jemedisaisquejesubissaisdeschangementsquejenecomprenaispas.Etcomme jenesavaispascequi sepassait, jenesavaispasnonplusàquienparler.Parcontre,unechoseétaitsûre:jen’avaispaspeurdeceloup.Jemesuisextraitedemonsacde
couchage et j’ai enfilémes chaussures. Lindsey ne bougeait pas. J’ai attrapémon kit de premièreurgence et une lampe torche avant de me glisser dehors. Brittany et Rafe discutaient à l’autreextrémitéducamp.Ilsnem’avaientpasvue.Etmêmes’ilsmevoyaient,ilsétaientlàpourprotégerlescampeursde toutemenaceextérieureet jenemenaçaispersonne.D’autrepart, ilnem’étaitpasinterditdequitterlecamp.J’aihésitéàprévenirLucas,maisjen’avaispasl’intentiond’allerloin.Ceneseraitpasnécessaire.
J’ai contourné la tente et me suis dirigée vers les buissons les plus proches. À la lumière demalampe,j’aimarchéjusqu’àunendroitassezéloignépourqu’onnepuissepasm’entendreparler,maisassez près pour qu’on puisse m’entendre crier. J’ai éteint ma lampe et j’ai commencé à attendre.Mêmes’ilétaitfoudecroire,d’espérer,queleloupviendrait.Le croissant de lune me permettait de voir à quelques mètres autour de moi. Avant, je n’avais
jamais remarquéàquelpoint la clartéde la lunepouvait êtrebrillante.Oupeut-êtrequemesyeuxétaiententraindes’habitueràl’obscurité.Entoutcas,ilétaitcertainquejevoyaisbienmieuxlanuit.Puisj’aientenduunbruitdepas,enfin,depattes.Monouïeelleaussisemblaits’êtreaiguisée.J’ai
regardésurlecôtéetilestapparu.Jemesuisagenouilléeenregrettantdenepasluiavoirapportéquelquechoseàmanger.Leclairde
luneglissaitsursonpelagemulticolore,commes’ilenabsorbaitlalumière.—Salut,toi.Jemesentaisunpeuridicule.À lamaison, jeparlais tout le tempsàFargo,monchien.Mais là,
c’était différent. C’était un animal sauvage, même s’il n’avait pas l’air menaçant. Je faisais bienattentionàréprimertoutmouvementbrusquepournepasl’effrayer.—Jevoulaistediremerci.À ma profonde surprise, il s’est rapproché pour que je puisse le caresser. Après un instant
d’hésitation,j’ailentementenfouimamaindanssonépaispelage.Ensurface,safourrureétaitrêche,maisendessouselledevenaitdouceetagréable.Attentiveàgarder lavoixcalmeetégale, je luiaidit:—N’aiepaspeur.Jesaisquetuasétéblesséetjeveuxvoirsic’estgrave.Jen’étaispassûredesavoircommentl’aider.Nettoyerlaplaie,mettreunpeud’antiseptique?Jene
voulaispaslebander,depeurdelerendretropvisiblepoursesprédateurs.Jesavaisquelepelagedes
loups s’adaptait à leur environnement comme une tenue de camouflage. Je me suis lentementrapprochéedu flancque l’oursavait tailladé. Jamais jen’avaisétéaussiprèsd’unanimal sauvage.C’étaitdéroutantet excitantà la fois. J’avaisconscienceques’ildécidaitdem’attaquer, jen’auraisaucunechance,maisd’instinctjesentaisqu’ilnemeferaitpasdemal.Jenesavaispasqu’unanimalpouvaitseteniraussiimmobile.J’aipassélamainsursonflanc,m’attendantàsentirdestouffesdepoilsemmêlésetdusangséché.Rien.J’aiattrapémalampetorchepourl’éclairer.Pasdesang.Paslamoindretrace.Çaalors!J’auraispourtantjuréqu’ilavaitétéblessé.Jemesuis
ditqu’ils’étaitpeut-êtrebaignédansunemare,cequiauraitpulaverlesang,maismêmedanscecas,j’auraisdûsentirlesrenflementsdechairlàoùl’oursavaitenfoncésesgriffes.J’aidoucementécartélespoilspourexaminersapeau,sansplusdesuccès.Rienderien.—Cedevaitêtrelesangdel’ours.J’étaisencore trèssecouéeàcausedemabaignadeaumomentoù toutçaétaitarrivé. J’avaispu
malvoir.Leloupavaitlatêtetournéeversmoipourm’observer.—Tuestellementbeau.Jesuisheureusedevoirquetuvasbien,maistunepeuxpasresterlà.Il
pourrait t’arriver quelque chose. (Surtout si le Pr Keane ou Mason t’aperçoivent.) Tu dois allerrejoindretameute.Ilafaitunbrusquemouvementdelatêteenavantetaémisunsourdgrognement.—Qu’est-cequisepasse,montoutbeau?Immédiatement, j’ai pris conscience de l’absurdité de ma question… Comme s’il pouvait me
comprendre,commes’ilallaitmerépondre.J’étaisridicule.Ilm’adenouveauregardéeetpuisilestpartiàlavitessed’unbouletdecanon.Sij’avaisencore
besoind’êtrerassuréesursonétat,làj’étaisconvaincuequ’iln’avaitrien.Jesuisrestéeassiseunmomentàfixerl’endroitoùilavaitdisparudansl’obscurité.J’avaisdéjàvu
à la télévision des gens qui vivaient en bonne intelligence avec des animaux sauvages. Pourmoi,c’était lapremière fois. Jemedisaisque j’auraisdû trouverçabizarre,maisenmême temps,celas’étaitpassédefaçontotalementnaturelle,commes’ilyavaitunesortedelienentreleloupetmoi.Curieux.Depuis que j’étais revenue dans le parc, j’avais cette drôle de sensation que c’étaitma
place. Et je m’étais découvert un instinct protecteur surdéveloppé envers les loups. Ce n’était passeulementpourleurbeauté.C’étaitpourcertainstraitsquilesrendaientquasihumains:intelligence,monogamie,sensdelafamille.Etc’étaitpeut-êtrecedernierélémentquim’attiraitparticulièrement.Depuislapertedemesparents,lanotiondefamillerevêtaituneimportancecapitalepourmoi.—Kayla?Lucas.Surprise,j’aifaitvolte-face.—Qu’est-cequetufichesici?Ma rencontre avec le loup était trop intime et personnelle pour que j’en parle. En plus, Lucas
risquaitdemecroirefolle.—Justeunenuitdeplussanspouvoirtrouverlesommeil,ai-jeditenmerelevant.— Je connais ça. Tu es tellement épuisé que tu crois que tu vas t’effondrer et au lieu de ça, tu
n’arrivespasàfermerl’œil.—C’estpénible.Enmêmetemps, jemesuisditquesi jeretournaistoutdesuitedansmatente, jen’auraispasde
problèmepourm’endormir.SiLucas a remarqué la troussedepremiers secours, il n’a riendit. Ilpouvaitaussibienm’avoirvueavecleloupetfeindredecroiremesmensongespourêtresympa.—Ettoi,tunedorsjamais?luiai-jedemandé.—Pasbeaucoup.Unemauvaisehabitudequej’aiprisecetteannéeàlafac.Beaucouptropdetemps
passéàréviser,dumoinsquandjen’étaispasentraindefairelafête.
—J’aidumalàt’imaginerfairelafête.—Pendant lepremier semestre, lapremière fois loinde lamaison, jeme suis lâché.Connoret
Rafeaussi.Surlecampus,onnoussurnommait«lessauvages».Maisenfind’année,ons’estcalmés.(Il a regardé autour de lui.) Tu as dit que le loup d’hier soir était noir. Le loup de cet après-midiaussi?Alors que j’avais choisi de ne pas révéler la vraie couleur du loup àMason, je n’ai eu aucune
hésitationavecLucasdontjeconnaissaisl’amourpourlanatureetlesanimauxsauvages.—Non. Son pelage était unmélange de couleurs.Un peu comme tes cheveux.Noir,marron et
blanc.—C’estlecasdelaplupartdesloups,etc’estpourquoiunloupnoirseremarqueautant.Tusais,il
n’estpastrèsjudicieuxdesortirducampseuletantqu’onn’apasretrouvécelouppournousassurerqu’ilnenouscauseraaucunmal.—Tuasl’airdetoutsavoirsurlesloups.—Aufildesans,onenarencontrépasmal.Nevapascroirequ’onlesconnaît tous,maisc’est
vrai,certainssontplusamicauxqued’autres.J’aifaitouidelatête.Monloup,dumoinsceluiquejecommençaisàconsidérercommetel,neme
feraitjamaisdemal.—Jecroisquelafatiguecommenceàmerattraper,ai-jedit.Sansunmot,Lucasm’araccompagnéejusqu’àmatenteetaattenduquejemeglisseàl’intérieur.Jenem’étaispastrompée.Quelquessecondesontsuffipourquejem’endorme.Puisj’airêvédu
dînerauxchandellesqueMasonm’avaitpromis.Seulement,dansmonrêve,cen’étaitpasavecMasonquejedînais.C’étaitavecLucas.
9
Lindseyavaitraison.J’étaisavecLucaspourmontourdegarde.—Situn’aspastroplaforme,jepeuxmonterlagardeseul,m’a-t-ilditquandjel’airejoint.—Non,çava.Ilm’aregardéeplusattentivement.—Bon,d’accord,çavapassibienqueça,maisjepeuxresterlàsansquecesoitl’horreur.Ilafaitcedrôledepetittrucavecseslèvresquiressemblaitàunsourire.—Tuveuxunshootdecaféineavantdecommencer?—Ohoui,ceseraitcool.On s’est assis chacun sur une bûche près du feu et ilm’a tendu une tasse de café. La nuit était
fraîche,lachaleurétaitplusquebienvenue.Lucassetenaitpenchéenavant,lescoudesappuyéssurlescuisses,lesdeuxmainsetlesyeuxvisséssursatasseàcafé.Deprofil,ilétaitscandaleusementbeau.—Jet’effraie,hein?m’a-t-ildemandéd’unevoixdouce.Si parmalheur j’avais déjà bu une gorgée de café, soit je l’aurais recrachée, soit jeme serais
étrangléeavec.—Tuesdugenreintense,ai-jereconnu.—Ouais.C’estquejeprendstrèsausérieuxmonrôle,celuideprotégercettezonenaturelle.Alors
quanddesgenscommelePrKeaneetsongroupeviennentici,jenesuispassûrqu’ilsleméritent.Ilm’aregardéepar-dessussonépaule.—J’aigrandiici.J’aimecetendroit.C’estpaspareilpourtoiàDallas?—Non, jenem’ysuis jamaissentievraimentàmaplace,ai-jeavoué.Jemesenspluschezmoi
danscetteforêt.—Çanousfaitunpointcommun.Etmoi,ça,çamefaisaitbizarre.—Tuétudiesquoi,àlafac?—Lessciencespolitiques.J’aihausséunsourcilsurpris.—Quoi?Tuveuxfairedelapolitique?Ilm’asourimalicieusement.—J’essaied’améliorermonrelationnel.Jedevaisavouerquemêmesicen’étaitpasungrandbavard,unefoisqu’onavaitréussiàentamer
une conversation avec lui, il n’avait pas de problème de contact. En fait, les discussions avec luiétaient toujours captivantes. Il était évident que quand il s’intéressait à quelque chose, il le faisaitvraiment.—Lindseym’aditquetonpèreétaitquelqu’und’importantdanslecoin.—Oui,ilaétémairedeTarrantetalongtempsfaitpartieduconseild’administrationdel’école,
d’oùmonintérêtpourlapolitique,j’imagine.Etpuisilattendbeaucoupdemoi.—Ilasuquetuavaiscassélagueuleàcetype,Devlin?—Oui,etçaneluiapasfaitplaisir.(Ilasecouélatête.)Lesparents!Quoiquetufasses,cen’est
jamaisbien.—M’enparlepas.Pendantuneminute,noussommesrestésassislà,àsiroternotrecaféensilence.—Lacouleurdetescheveuxmerappelleunrenardquej’aivuunefois,m’a-t-ilditdoucement.—Merci.Enfin,sic’étaituncompliment.—Biensûr,a-t-ilréponduenriant.
—Jen’aijamaisvuderenardenliberté.—Peut-êtrequejepourrait’enmontrerunavantlafindel’été.—Ceseraitsuper.Jelepensaissincèrement.Bienmieuxqu’undînerauxchandellesautourd’uneboîtedefayots.À
cetteidée,jemesuissentiecoupabledetournerendérisionlatentativedeséductiondeMason.Maisaussicurieuxquecelapuisseparaître,entreuntrekenforêtàlapoursuited’unrenardetundînerauxchandellesdanslemeilleurdesrestos,jechoisiraislerenard.Àcemoment-là,j’auraisdûmedire:«Lucasmecomprend.C’estluiqu’ilmefaut.»Àlaplace,j’aiavalémasaliveetdécidédechangerde sujet, parce que je sentais queLucas ne rigolait pas à propos des relations amoureuses. Il étaitcertainement aussi intense en amour que dans les autres domaines et moi, j’avais encore trop dechosesàréglerpourentamerunerelationsérieuse.—Tucroisvraimentquec’estDevlinquiacoupélacorde?Silebrusquechangementdesujetdeconversationl’asurpris,ilnel’apasmontré.—Jenevoisqueçacommeexplication.—Maisc’estn’importequoi!Bon,ils’estfaitvirer.Etalors?Ilfautpasseràautrechose.—Ilnepasserapasàautrechose,pasavantd’avoireusarevanche.Iladûattendretoutel’année
scolairequejerevienne.C’estici,danscetteforêt,qu’ilveutsevenger.—Sevenger?Parcequetuluiasbottélesfesses?Çamesembleunpeuexagéré.Ilaeuunpetitrireamer.—Exagéré?C’estDevlintoutcraché.Cetypeestlimitepsychotique.—Maisàquoiçaluiaservidecoupercettecorde,àpartfaireflippertoutlemonde?—Àcréerlechaos,àsusciterl’angoisse.—TucroisquelePrKeaneetsongroupeserontensécuritéquandnousseronspartis?—Oui,Devlinn’enveutqu’àmoi.Ilnes’enprendrapasàeux.—Àt’entendre,ondiraitquetuleconnaistrèsbien.Ilatournésonregardd’argentversmoi.—Normal.C’estmonfrère.J’aieul’impressiond’avoirétéfrappéeenpleinepoitrine.Celaadûsevoirsurmonvisage,parce
queLucass’estlevé,ajetésonfonddecafédanslefeuets’estéloigné.J’aicruqu’ilallaits’enfoncerdans lesbois,mais au lieudeça, il s’est arrêté à l’endroitoù j’avaisvuBrittanyetRafe jouer lessentinelles.Donc,ils’étaitbattuavecsonfrèreetl’avaitfaitrenvoyerenledénonçant.Jemesuislevéepourle
rejoindre.Lamainposéesursonbras,jeluiaidit:—Celaadûêtretrèsdurpourtoi.Etsurtoutdenepasfairesemblantdenepasvoircequ’ilfaisait,
denepasdétournerlesyeux.Ilaacquiescéd’unmouvementbrusque.—C’étaitcommes’ilétaitdevenuAnakinSkywalkeretavaitchoisilecôtéobscurdelaForce,un
truc comme ça. Il faisait des tas de conneries. Il connaît cette forêt aussi bien quemoi. Il peut s’ydissimuleràl’insudetous.—Cen’estpastafautes’ilapétélesplombs.Jemefaisaisl’effetd’êtreunepsydecomptoir.—Jemesuisopposéàluietjel’aihumilié.Lucasatouchémajoue.Jesentaislachaleurdesesdoigtssurmapeau.Sesyeuxd’argentavaient
foncéjusqu’àprendrelacouleurdel’étain.—Jeveuxvraimenttemontrercerenard,maispourl’instant,jedoisveilleràcequelePrKeane
arriveàbonport,puistrouverDevlinetm’occuperdelui.Ilfautquecesoitmapriorité.
Ilalaisséretombersamain.Ilavaitl’airmalàl’aise,commes’ilavaitencorequelquechosesurlecœur,maisqu’ilétaitencoretroptôtpourdireceschoses-là.—Tudevraisallerteposterlà-bas,a-t-ilditenindiquantl’autreboutducamp.—OK,çamarche.Ilm’avait toutsimplementrenvoyée,et ladéceptionfaisaitmal.Trèsmal.Entraversant lecamp,
j’ai décidé que ce que je ressentais pour Lucas, quoi que ce fût, allait passer.Mason s’intéressaitvraimentàmoietmoi,jenem’étaistoujoursintéresséequ’àunseulmecàlafois.Masonétaitlebon.Ilétaitsûr.Lucasavaitdestrucsàrégler.Peut-êtrequ’unefoisl’affaireavecson
frèrederrièrelui,ilpourraittrouverdutempspourmoi.Oupeut-êtrequelacurieuseattirancequej’avaispourluicasseraitd’uncoup,commelacordeau-
dessusdutorrent.Peut-êtrequ’ellepouvaitêtresectionnéeaussinet.Ouais, c’est ça,KaylaMadison. LeDrBrandon avait tort.Ce ne sont pas tes peurs que tu dois
affronter,c’estlaréalité.Depuislamortdetesparents,tuasrejetétouteémotion.EtLucastefaitpeurparceque,aveclui,tu
redécouvreslessentiments.Etçaveutdirerisquerd’avoirmalànouveau.Jenevoulaisplusavoirmal.Jamais.Masonnemeferaitpasdemal.
10
Lelendemain,àcausedemescourbatures,nousavonsavancépluslentement.Jesentaislatensiondessherpas.NousavionsdécidédenepasparlerdenossoupçonsconcernantDevlinaugroupeduPrKeane.Illeursuffisaitdesavoirquequelqu’unavaitsectionnélacorde.Lucasétaitconvaincuqu’ilsnerisqueraientplusrienunefoisquenousserionspartis.Quandnousavonsfaitnotrepremièrepause,j’aienlevémonsacàdosavecprécautionetl’aiposé
par terre pour m’asseoir dessus. Mason m’a rejointe, un bouquet de fleurs sauvages à la main.Comme il n’y enapasbeaucoupdans cette zone, il avait dûquitter le sentier chaque foisqu’il envoyaitunepourpouvoirenréunirautant.—J’aipenséqueçateconsoleraitpeut-êtreunpeu,a-t-ilditenmetendantlesfleurs.J’aiprislebouquetetjel’aihumé.—Merci.—Ilyenadedifférentessortes.—Jevoisça.—Ellesnesontpasfacilesàrepérer,ilfautavoirl’œil…—C’estsupergentil.—Cueillirdesfleurssauvagesestinterditparlerèglementduparc,asoudainditLucas.Commed’habitude,jenel’avaispasentendu.—Alors,colle-moiuneamende,arétorquéMason.J’aipastrouvédefleuristedanslecoin.—Yenapasbeaucoup,suis-jeintervenue.Cen’estpastrèsgrave.Lucasnousadécochéunregardassassinets’estéloignésansunmot.—Quelgrandromantique,amarmonnéMason.Enfait,Lucasétaitromantique,maispasausensclassiqueduterme.Enplus,ilavaitraison.D’ici
quelquesheures,lesfleursseraientpassées.Cependant,leseffortsdeMasonmetouchaient.Cequimedéplaisait,c’étaitdevoir lemanègedeTessautourdeLucas.Cettefilleétaitdécidément tropbelle.Ellemedonnaitenviedemefrotterlevisagejusqu’àcequemestachesderousseurdisparaissent.—Alors,commenttutesens?m’ademandéMasonpourramenermonattentionverslui.—Quelquesbleusetdescourbatures,riendesérieux.—S’ilm’étaitarrivélamêmechose,jeseraistentédetoutlaissertomber.—Bah,hier,c’étaitcommeduraftingsanscanot,quoi.Etexcitant,aussi.C’étaitlemoinsqu’onpuissedire.—C’estpeut-êtremieuxavecuncanot,non?Çam’afaitrire.—Clair.—Alorspeut-êtrequ’onpourraselefairecesoir,cefameuxdînerauxchandelles?—JecroisqueLucasnenousautoriserapasàquitterlecamp.—Jenevoispaspourquoi.—Parcequec’estmonchef.—Etsiturestaisavecnous,quandonserasurplace?Çapourraitêtrefun.—Peut-être.JenesavaispascommentLucasréagirait,maisl’idéenemedéplaisaitpas.Commeça,j’auraisune
chanced’explorerleslieuxàfondetpeut-êtrededécouvrirl’endroitoùmesparentsavaientététués.Maisj’avaiscinqansàcetteépoqueetdonc,pourmoi,laforêt,c’étaitlaforêt,point.Etmêmesijepouvais me souvenir à quoi l’endroit ressemblait, il risquait d’avoir beaucoup changé en unedouzained’années.
Les deux jours suivants, nous avons beaucoup avancé, progressant dans des zones qu’aucuncampeurn’avaitjamaisexplorées.Lucasmarchaittoujoursentête,unemachetteàlamainpournoustaillerunpassage.Ilnousa touspoussés jusqu’auxlimitesdenotrerésistance,etau-delà.Ducoup,nousnousécroulionschaquesoiràpeinelecampdressé.Pasdedrague,pasderigolade.Ce rythmed’enfer semblait plaire auPrKeane.Une fois à destination, nous le laisserions à ses
affaires avant de venir le récupérer quinze jours plus tard pour l’aider à rapporter tout sonéquipement.Aucunautreévénementétrangen’avaiteulieu,maismalgréça,nouscontinuionsàmonterlagarde
pendant la nuit. Je faisais toujours équipe avec Lucas. Nous ne parlions pas et nous nous tenionschacun à une extrémité du camp. Souvent, je l’observais longtemps, jusqu’à ce qu’il s’en rendecompteetqu’ilmeregardeàsontour.Là,jedétournaisleregardenessayantdefairecommesiderienn’était,dansl’espoirqu’ilneprennepasconscience
dunombred’heuresquejepassaisàfantasmersurlui.Je pensais à Lucas presque autant qu’au loup. Je l’entendais hurler chaque soir avant de
m’endormir.J’attendaisqu’ilsemontreunsoirpendantmontourdegarde.Lucasneflipperaitsansdoutepassileloupvenaitfaireunpetittourdanslecamp.Commeleshurlementssemblaienttoujourstrès proches, j’étais sûre qu’il nous suivait. Et cette certitude nourrissait en moi un sentiment desécuritéquejeneparvenaispasàm’expliquer.Tard dans l’après-midi du quatrième jour après l’incident de la rivière, nous avons atteint une
magnifiqueclairière.Elledébouchaitsurunpetitruisseaudontl’eaugargouillaitdoucement.Rienàvoir avecmon torrent.De l’autre côté, lapentedevenait plus arduepour commencer à former lescontrefortsdelamontagne.Lavallées’étendaitànospieds,dessinantuntableaupaisible.—Qu’enpensez-vous,professeur?ademandéLucas.JemesuisretournéepourvoirlePrKeaneacquiescer.—Ceseraparfait,absolumentparfait.En dressant le camp, j’ai senti monter en moi une grande satisfaction. Nous n’allions pas tout
remballerdès le lendemainmatin.LegroupeduPrKeaneallaitdemeurer làpendantquinze jours.Nousavionsatteintnotrebut.Typiquement,seulslessherpasmâlesétaientpartischasser,enmode«MoiTarzan,ToiJane».Ils
espéraient piéger deuxou trois lapins. J’étais en trainde ramasser dupetit bois pour le feuquandMasons’estapprochédemoi.—Tuasréfléchiàmonidée?m’a-t-ildemandé.Jeveuxvraimentquecesoittoiquirestesavec
nous.Puisilaessayédemeprendrelamain,nesachantpastropquoifairequandilavuqu’ellesétaient
touteslesdeuxpleinesdepetitbois.Ilm’asaisilecoude.— Tume plais, Kayla. Et même plus que ça… J’aimerais que tume laisses le temps, eh bien,
d’explorercequejeressens.Devoircetteétoilefilante.Toutemavie,oudumoinsdepuislamortdemesparents,j’avaisrecherchélasécurité.OrLucas
éveillait enmoi des émotions inconnues, effrayantes. J’avais parfois l’impressionqu’un autremoirisquaitdesurgir,des’extrairedemaproprepeausijepassaistropdetempsaveclui.LucasétaitlegrandméchantloupalorsqueMasonétaitlebâtisseurdelamaisonquiprotégeaitdu
loup.Masonétaitunechaudecouvertureunsoird’hiveralorsqueLucasétait…J’ignoraiscequ’ilétait.Maisilmeterrorisait.—Jenesaispascommentçasepassepourladésignationdeceluiquivarester,luiai-jedit.—Propose-toicommevolontaire.TupourraspartagerlatentedeTess.J’auraispréféréquelqu’und’autre,maisvuqu’elleétait laseulefille,elleconstituaitmonunique
option.Jemesuisimaginéel’écouterchaquesoirdanslatentemeparlerdeLucas.Enmêmetemps,
j’aurais aussi quelqu’un avec qui parler deMason. En plus, je parviendrais peut-être à surmontercertains problèmes demon passé. Et je nemarcherais pas tous les jours jusqu’à l’épuisement.Unépuisementtelqueplusrienn’ad’importancelesoirvenu.—J’enparleraiàLucas.—Génial.Jesuisraviqueturestes.—Jevaisessayerderester.Nuance.OnverracequeditLucas.
—Jenesuispassûrquecesoitunebonneidée.Ilavaitlesbrascroiséssurletorseetunrictusàla«c’est-moi-le-boss-donc-me-cherche-pas»qui
enlaidissaitlestraitsparfaitsdesonvisage.—Pourquoi?luiai-jedemandé.—T’esnovice.—Jecampedepuismanaissance.J’admetsquejeneconnaispascetteforêtaussibienquetoi,mais
c’est quandmême une forêt comme les autres. Le camp est déjà installé. Ils vont faire un peu demarchedurantlajournéeetças’arrêtelà.Pasdequoienfaireunplat.Enplus,ilfautquetumelâchesunpeulabridedetempsentemps.—Pourquoiveux-turester?a-t-ilexigédesavoir.—Pourl’expérience.Pouravoirl’occasiond’affrontermonpassé…—Pourquoi?—ParcequelesthéoriesunpeufarfeluesduPrKeanesontintéressantes…—Pourquoi?J’aiserrélesdents.Pourquoirendait-illeschosessipénible?—Parcequej’aimebienMason,d’accord?J’aienviedepasserdutempsaveclui,d’apprendreàle
connaître.Jemesensbienaveclui.—OK.Tupeuxrester.Laconiqueetfroid.Ilyavaitdelacolèredanssavoix.Jenesavaispaspourquoi,maisquandila
tournélestalonsets’estéloigné,jemesuissentiecommeabandonnée.J’avaispourtanteucequejevoulais.DutempsavecMason,ensécurité.Pourquoi,alors,est-cequej’avaisl’impressionquejevenaisdeperdrequelquechosedebienplus
important?
Cesoir-là,pourlapremièrefoisenallantmecoucher,j’étaisimpatientedeprendremontourdegarde.Masonavaitexplosédejoie,unpeutrop,quandilavaitapprisquejerestais.Ilm’avaitmêmeoffertunde leurs t-shirtsverts«KampKeane».Super.Etaprèsça ilm’acolléecommede laglupendanttoutelasoirée.Ilétaitjustetropheureuxquejereste.Etj’auraisdûressentirlamêmechose.Mais Lucas était aussi renfrogné queMason était heureux. Rafe et lui ont longuement discuté à
l’écart.Àunmoment,onauraitmêmeditqu’ilssedisputaient.UneexpressioninquiétanteestpasséesurlevisagedeLucaspuis,finalement,ilestparti.—Ouah,j’aicruqu’ilallaitlefrapper,achuchotéMasonàcôtédemoi,cequim’afaitréaliserque
jen’étaispaslaseuleàsuivreledéroulementdecepetitdrame.Je les soupçonnaisdeparlerdemoietdemon insistanceà rester.Maisqu’est-cequeçapouvait
bienfaireàRafe?EtàLucasaussi,d’ailleurs?Ilnes’étaitrienpasséentrenous.QuandLindseyaeufinisontourdegardeetm’apassélerelais,j’étaisdéjàprête.Jevoulaisparler
avecLucasetessayerdeluiexpliquer…Luiexpliquerquoi?Jenesavaispastrop.Entoutcas,jenevoulaispasque,lelendemainmatin,ilparteencorefâché
contremoi.Mais c’était lui qui avait dit avoir des choses plus importantes à gérer quema petite
personne.Mason,lui,medonnaitl’impressionquej’étaislaseulechoseimportante.Unefilleabesoindeça.Maisquandjesuissortiedelatente,cen’étaitpasLucasquim’attendait,c’étaitConnor.—EtLucas?ai-jedemandé.—Ildort,jecrois.Bon,moi,jeprendscecôté-là.Ils’estéloigné.—Connor?Ils’estarrêtéets’esttournéversmoi.Iln’arboraitpassonhabituelsourireprovocateur.J’aurais
aiméquecelafûtàcausedel’heuretardive,maisjedevinaisqueluiaussim’envoulait.—Jenecomprendspaspourquoimadécisionderesterposeunproblème.Ilasoupiré.—Voilàprécisémentleproblème.—Alorspourquoipersonnem’explique?ai-jedit,unpeuagacée.—C’estpasàmoidelefaire.Pauvreexcuse.—Trèsbien.C’estquedixjours.Oulala.Etvous,vousfaitescommesijevousavaistrahisouun
trucdanslegenre.—Onpensaitpasqueceseraittoiquiresterais,c’esttout.Parcequej’étaislanouvelle?SiçainquiétaitLucastantqueça,ilauraitpuinsister.À la façon typique des mecs, Connor est parti comme si la conversation était finie. Seulement
j’avaisencored’autresquestions.J’aienvisagéderéveillerLucas,maisjenevoulaispasledéranger,luiquidormaitsipeu.Celadit,s’ilarrivaitàdormir,c’étaitqueçanelepréoccupaitpastantqueçaquejereste.J’aifaitletourdemonpérimètrejusqu’auruisseau.J’aicontemplélalunesereflétersurl’eau.Etc’estseulementàcemoment-làquej’airéaliséquejen’avaispasentendumonlouphurler.Peut-
être que nous étions sortis de son territoire.Cette idéem’a attristée. J’aimême caressé l’idée unesecondedeprendrelecheminduretouraveclesautreslelendemain,rienquepourmerapprocherdelui.Mais c’était n’importe quoi.En plus, c’était certainement une coïncidence si je l’avais entenduhurlerchaquesoirenallantmecoucher.J’allaisresteretm’éclateravecMason.
Lessherpassontpartisà l’aube.En lesregardants’éloignerdepuis lesdernières tentesducamp,j’aivuqueseuleLindseyavaittournélatêtepourmefaireunsigne.Monsentimentd’abandonétaitridicule.Cen’étaitpascommesinousn’allionsjamaisnousrevoir.Etl’ambiancedetrahison,c’étaitencoreplusdébile.Jenesavaisplustrèsbienpourquoij’avaisimaginéqu’ilseraitsiintéressantderester.Keaneétait
professeur,mais, sansvouloir faire cancre, si ses cours étaient commeses randos, il était horsdequestionquejem’yinscrive.Tropbarbant.Lesdeuxjourssuivants,noussommesrestéssiprèsducampquecelaneméritaitpasd’êtreappelé
de la rando. Alors que nous étions à proximité des montagnes et qu’il y avait tant de sentiersnouveauxàexplorer!LePrKeanepassaitsesjournéesàvérifiersonmatériel(unpeutard,àmonavis,vuquelaplusprochequincaillerieétaitàdeskilomètres),àgriffonnerdesnotesdanssonpetitcarnetetàregarderauloin.Aprèsdéjeuner,letroisièmejour,jesuisalléevoirMason.—Ilfautqu’onfassequelquechose,çanepeutpascontinuercommeça,luiai-jedit.Ilaesquisséunsourired’excuse.
—Ouais,monpèreaimebientoutcontrôleretilpeutparfoismanquerd’imagination.Tupensesàquoi?—Allonsexplorerlesmontagnes.—Çamarche.Mêmes’ilétaitencoretôtetquenousn’allionspasloin,j’aiprismonsacàdos.Marcher avecMason, c’était différent d’une rando avecLucas. J’essayais deme dire que c’était
parcequenousn’avionsaucunbut,alorsqueLucasenavaittoujoursun.Maisilyavaitautrechose.Masonnemenaitpas,ilsecontentaitdemarcheràcôtédemoi.—Tusaisdéjààquellefactuvasaller?—Sansdoute à la facpubliqueprèsdechezmoi.Pasbesoinde réussirunexamend’entrée,un
concours, ouun trucdugenrepour l’intégrer. (Je lui ai adresséunpetit sourire, commepourmejustifier.)Jesuisnullequandils’agitd’exams.Sonsouriren’étaitpasmieux.—Ouais,moi pareil.Mêmequand je révise commeunmalade.Dès que j’entends « Sortez vos
stylos»ou«Prenezunefeuille»,c’estfini.Ilvasansdirequemonpaterneln’estpasravi.C’était lapremièrefoisque je l’entendaisproféreruneremarqueun tantsoitpeucritiqueenvers
sonpère.—Tonpèreettoiavezl’airdebienvousentendre.«Enfin,saufquandvousparlezdeloups-garous»,ajoutai-jeàpartmoi.—Oui,engénéral,maisaufond,ilresteunparent.Iloublieparfoiscequec’estqued’êtrejeune.Lesombres commençaient à s’allonger.Nous avionsparcourupasmalde chemin, àmagrande
surprise.Nousétionsloindetoutetdetoutlemonde,enpleinenaturesauvage.—Ondevraitrentrer,ai-jesuggéré.—Pastoutdesuite.Ilafouilléunedesgrandespochesdesonpantalonetenasortiunegrossebougieblanche.—Jet’avaispromisundînerauxchandelles.—Oui,mais lanuitvabientôt tomberetonnepourrapas retrouvernotrechemin. Il seraitplus
sagede…—Sage…Mincealors.Bon,remplaçonsledînerparungoûter,danscecas.Jem’étais peut-être attendue à quelque chosed’unpeuplus romantique,mais bah…C’était plus
romantiquequetoutcequeLucasm’avaitjamaisproposé.Çam’énervait,troisjoursaprès,depenserencoreàlui.Ildevaitêtrederetourauvillage,prêtàaccompagnerunautregroupeenattendantdevenirnousrécupérer.Mason et moi avons ôté nos sacs à dos. Je me suis étirée pendant qu’il posait la chandelle en
équilibresuruneboîtedeconservevide.—Vas-y,assieds-toipendantquejefinisdepréparer.JemesuisassiseentailleuretMasonarecommencéàfouillerdanssonsac.—Jemedemandesic’estunebonneidéed’allumerunebougieici.Ellen’estpasvraimentstableet
j’aurais horreur de faire les gros titres, genre « Dîner aux chandelles tragique : deux cent millehectaresdeforêtbrûlés».—Oui,biensûr,a-t-ilrépondu,latêtemanifestementailleurs.J’aiessayéderegarderderrièrelui.—Qu’est-cequetufais?Ils’estassisàcôtédemoi.—Riendutout.—Jesuiscontentequetum’aiesdemandéderester.—Etmoi,jesuisraviquetuaiesaccepté.
Ilm’acaressélajoue.—Jeneteferaijamaisdemal.—C’estbizarrededireça.—Jen’aipaseubeaucoupderendez-vousgalants.Aveclesétudes,ettoutça.J’imaginequejesuis
unpeuunloserenlamatière.—Arrêtedediren’importequoi.Etpuissituesunloser,moi,jesuisquoi?—Ouais,pardon.Kayla,tusais,jet’aimebeaucoup.Puisils’estpenchéversmoietm’aembrassée.Maiscen’étaitnidouxnitendre.Celaneluiressemblaitpas.Jel’airepoussé.Ilm’apousséeàsontour.Fort.Jesuistombéeparterreetils’estassisàcalifourchonsurmoi.—Jesuisdésolé,a-t-ilmurmuré.Puisilarecommencéàm’embrasser,plusbrutalementencore.Lapaniquem’aenvahie.Qu’est-cequisepassait?Ilavaitétésisympajusque-là.Jel’aifrappé.Ila
attrapémespoignetsetlesamaintenusau-dessusdematête.—Laisse-toifaire,m’a-t-ilsusurréàl’oreille.—Non!Lâche-moi!Jemedébattais avec l’énergiedudésespoir et j’agitais la têtedans tous les sens. Il a attrapéma
mâchoirepouressayerdem’embrasserànouveau.Moncœurbattaitàunevitessedémente.Jamaisjen’avaiseuaussipeur.Jamaisjenem’étaissentie
aussivulnérable.Puis je l’ai entendu. Un grognement sourd, menaçant.Mason s’est immobilisé, ses lèvres à un
millimètredesmiennes.C’étaitbizarre:unairdesatisfactionestapparusursonvisage.J’airegardésurlecôtéetjel’aivu.Monloup.Ilavaitlesbabinesretroussées.Masonaroulésurleflancet,accroupi,amaladroitementreculépendantquejebondissaispourme
relever.Soudain,ilyaeuunedétonationétoufféeetleloupapousséunpetitcrientrébuchantenarrière.J’aitournélatête.Masontenaitunpistoletetvisaitleloup.—Non!ai-jecrié.J’aiplongéverslui,troptard.Leloupabondi,Masonatiréetleloups’esteffondré.
11
—T’esmalade!ai-jecriéenmeruantsurleloup.Jen’arrivaispasàycroire,leloup,etavant,cequis’étaitpassé…Jen’enrevenaispas.Leloupn’étaitpasmort,maissesbeauxyeuxargentésétaientvoiléset ilhaletait.Ilatentédese
lever, puis il est retombé lourdement. J’ai passé lesmains dans sa fourrure à la recherche de sesblessures. En découvrant deux petites taches de sang, j’ai compris que Mason avait utilisé desfléchettesanesthésiantes.—Jel’aieu!l’ai-jeentendubrailler.Je me suis rageusement tournée vers lui. Il brandissait un talkie-walkie. Il s’est approché pour
s’agenouilleràcôtédemoi.—Iln’estpasblessé,seulementdrogué.Jel’aifrappéàl’épaule,àlapoitrine.—Salemalade!—Hé!a-t-ilcriéenm’attrapantlesmains.Ducalme!Jen’allaispastefairedemaltoutàl’heure.
Maisj’avaisbesoinqueluilecroie.Jemesuisdégagéeetj’airecommencéàlefrapper.J’avaisenviedeluiarracherlesyeux.Ilareculé.—Arrête!J’allaisrientefaire.Jefaisaisjustesemblant.Ilfallaitqu’ilcroiequetuétaisendanger.—Qu’est-cequeturacontes?—Jesavaisqu’ilsemontreraits’iltecroyaitendanger.Est-ce qu’il était fou ? Imaginait-il réellement que ce loup n’était là que pour me protéger ?
D’accord,peut-êtrel’attaquedel’oursavait-ellecrééunesortedelienentreceloupetmoi,cependantc’étaitunanimalsauvage,pasunchiendomestiqué.Personnenepouvaitprévoirqu’ilnoussuivraitetqu’ilviendraitàmonsecoursdenouveau.C’étaitjusteuneénormecoïncidence.Maissil’apparitionduloupmestupéfiait,lecomportementdeMason,satrahison,mefaisaitenrager.—Alorstoutecettehistoirededînerauxchandelles,c’étaitqu’uncomplotpourattirerleloup?Je n’ai pas pris la peine de dissimuler ma colère. Son comportement était intolérable : me
terroriser,feindredemefairedumal…M’utilisercommeappât.M’utilisercommesijen’étaisqu’unsimpleobjet.—Nedispasça,cen’estpascommesijeneressentaisrienpourtoi,arépliquéMasonsurunton
cajoleur.Tumeplaisbeaucoup,Kayla.Maisnousavionsunemissionà accomplir et toiun rôle àjouerpourqueçamarche.J’étaistellementfurieusequejevoyaistrouble.Jemesentaishumiliée.Masons’étaitservidemoi
pourcapturerunloup,monloup.Mavoixtremblaitquandjeluiaidemandé:—Mason,qu’est-cequ’ilsepasse?Maisilnem’écoutaitpas.Ilétaitfascinéparleloup.—Regarde, il est immense.Et ses yeux sont si humains.Tout change, sauf les yeux qui restent
humains.Exactementcommeilm’avaitdit.—Qu’est-cequeturacontes?Avantqu’ilpuisseme répondre, j’aientenduunbruitdans lesbuissons.PuisEthanetTyler sont
apparus entre les arbres, ils portaient une cage enmétal.Elle était un peuplus petite que la caissequ’ilsavaienttransportéependantlevoyage.C’étaitdoncça.LePrKeanelessuivait.QuandilarejointMason,ill’afélicitéavecunetapedansledos.—Beauboulot,monfils.—Merci,Papa.
Quandilsluiontpasséunemuselière,leloupcourageuxatentédeseleverànouveau.—Jeluiaiinjectédeuxdosesdetranquillisant.Celaauraitdûsuffireàl’assommer,aditMason,
visiblementimpressionné.Jeluienfileuneautre?—Non,çaneserapasnécessaire.Ilesttrèsrésistant.C’estunebonnechose.PuislePrKeaneamurmuré:—Ilaurabesoindetoutessesforces.Jemesuisplantéedevantluietjemesuishausséesurlapointedespiedspourqu’ilvoiecombien
j’étaisencolère.—Qu’allez-vousluifaire?LePrKeanem’aregardéecommesijen’étaisqu’unpauvremoucheron.—Quellequestion!L’étudier,biensûr.
J’étaishorsdemoisurlecheminderetour.J’avaisl’impressiond’avoirtrahileloup.JepensaisàLucasquisesentaitsiresponsableetprotecteurenverslesanimauxdelaforêtettoutparticulièrementlesloups.J’espéraisqu’ilnedécou-vrirait jamaiscequivenaitdesepasser.Quantàmoi, jedevaistrouverunmoyendelibérerleloup.Ethan et Tyler ont installé la cage à l’extrémité du camp, près des bois. Le camp vibrait d’une
excitation malsaine. Tout le monde s’était massé près de la cage pour regarder le loup. Je nesupportais pas de le voir exposé comme au zoo. Jeme demandais si les animaux éprouvaient del’humiliation.Maismême si cen’était pas le cas, j’avaisde lapeinepour lui. Il semblait si fier. Ilméritaitmieuxqueça.Au bout d’unmoment, chacun est retourné à ses activités. SaufMason etmoi. Il éprouvait une
incroyablefascinationenversleloup.Commentpouvait-il infligercetraitementignobleàunsibelanimal?Jem’étaistrompéesursoncompte.J’auraisdûpartiravecLucasetlesautres.Qu’est-cequeje pouvais faire ?La cage était fermée avec un petit cadenas, ce n’était pas un problème.Mais ilsn’allaientcertainementpaslalaissersanssurveillance.—Ilestmagnifique,n’est-cepas?aditMasonsansquit-terleloupdesyeux.Monpsym’avaithypnotiséeune fois. Jedevaisavoireu lemêmeairqueMasondevant le loup,
commeaprèsavoirfuméuntrucillégal.J’étaisfurieusecontreMasonetcontremoi-même.J’avaismanquédediscernement.Raressontles
loupsavecunpelageaussisingulier,cemélangeuniquedecouleurs.C’étaitàcoupsûr le loupquim’avaitprotégéedel’ours.J’avaisunedetteenverslui!Etàcausedemoi,ilseretrouvaitprisonnierdecettecage.Leloupacommencéàbougerunpeuetaessayédeselever.Lacageétaitsipetitequ’ilnepouvait
pass’ytenirdebout,encoremoinssedéplacer.Mêmeseretournerluiauraitétédifficile.Dieumerci,ilsluiavaientenlevélamuselière.Encroisantsonregard,j’aisenticettemêmeconnexionqu’aprèsl’attaquedel’ours.Qu’est-cequelePrKeanepouvaitbienluivouloir?C’étaittrèscertainementundes descendants des loups qu’on avait réintroduits dans le parc vingt ans auparavant. J’avaisl’impressionquelepactedenon-agressionentrelesloupsetleshumainsn’étaitplusd’actualité.LePrKeaneetsongroupeétaiententraindedéclarerlaguerreàcetteespèce.Pourquoi?Mason s’est agenouillépourpasserunbâtonentre lesbarreauxde la cage et apiqué le loupau
flanc.Découvrantsescrocs,celui-ciaémisungrognementsourd.J’aiarrachélebâtondesmainsdeMasonetl’aijetéauloin.Jebouillaisdecolère.—Nefaispasça!Masons’estrelevé.—Tuasraison.S’ilestencolère,ilnevapassetransformer.—Setransformer?Dequoituparles?C’estunloup,etilestinterditdelescapturer.
Ilm’alancéunsourirecondescendant.—Cen’estpasunloup.Enfin,si,làtoutdesuite,c’estunloup,maisavantdesetransformer,c’était
unhumain.Etàcausedelacouleurdesafourrure,jesuissûrquec’estLucas.C’estl’évidencemême.Vucommentilteregardait,j’étaisconvaincuqu’ilnetelaisseraitpasseuleici.—T’escomplètementdingueouquoi?Ilaplissélesyeux.—Leslycanthropesexistent,Kayla.Icimême,danscetteforêt.Ilyatoutunvillage…—N’importequoi,l’ai-jeinterrompu.Pasdeloups-garousetencoremoinstoutunvillage.C’est
deslégendes,deshistoiresquelesgensracontentautourd’unfeudecamppoursefairepeur.Ilm’aconsidéréeavecunsourireprovocateur.—Jepeuxprouvercequej’avance.Ils’estpenchéverssonsacàdosd’oùilasortiunrevolver.Cen’étaitpasceluiquejel’avaisvu
utiliser.Celui-làressemblaitàl’armedeservicedemonpèreadoptif.—Qu’est-cequetu…Avantquej’aiepufinirmaphrase,ilavaitmisleloupenjoue.—Non!ai-jecriéenmeruantverslui.Mais,encoreunefois,troptard.Ilavaitappuyésurladétente.Leloupajappédedouleurets’estécroulé.Dusangs’estmisàcouler
desahanche.Lesautressontarrivésencourant.—Toutvabien.C’estunaccident.Lecoupestparticommeça.Riendegrave,aannoncéMason,en
faisantsignequ’iln’yavaitpasdequois’inquiéter.Riendegrave?Ilavaittirédesang-froidsurleloup!Jel’aisiviolemmentpousséqu’ilatitubéenarrière.—C’estquoi,tonproblème?ai-jehurlé.—Jeteprouvequej’airaison.—T’esmalade!Sij’avaiseuunrevolver,jel’auraistué.J’aisecouélecadenaspourexigerqu’ilm’ouvrelacage.
Lelouphaletaitetjelisaissasouffrancedanssesyeux.—Ouvre-moiça,quejepuissefairequelquechoseavantqu’ilneperdetropdesang.—Ilnevapasseviderdesonsang.Calme-toi.—Jen’aipasd’ordresàrecevoirdetoietjenetelaisseraiplusluifairedemal.Jeveuxvoirsa
blessure.Ilm’asouriaveccetairsupérieurquejecommençaisàdétester.—OK,a-t-ilditens’accroupissant.Regarde.Jemesuisagenouilléeetj’aisaisideuxdesbarreaux.—Regardesapattearrière,làoùjel’aitouché.Lesgrosbouillonsdesangs’étaientvitetransformésenunpetitépanchementquis’estrapidement
tari.Avecunautrebâton,Masonasoulevélafourrurepourexposerlaplaie.Elleserefermaitàunetellevitessequ’onauraitditunevidéopasséeenaccéléré.Sijenel’avaispasvudemespropresyeux,jen’yauraispascru.—Chez les loups cela guérit beaucoup plus vite. Imagine un peu les applicationsmédicales. Si
nousparvenonsàisolerlegèneresponsable,nouspourronsfabriquerunsérumdeguérisonrapide.Quelqu’unvientd’avoirunhorribleaccidentdevoiture,ilperdtoutsonsang.Avecuneinjectiondecesérum,ilestguériavantquel’ambulancearriveàl’hôpital.Etpuislesapplicationsmilitaires!Unearméedemétamorphes,auxsenssurdéveloppés,seraitpotentiellementinvincible.
Ilvoulaitmepersuaderqu’ilœuvraitpourlebiendel’humanité.Maconvictionqu’ilétaitimmorald’exploiter une espèce ainsi faisait-elle demoi une ennemie du genre humain ? Et puis commentcroireunesecondequec’étaitunloup-garouquej’avaisdevantmoi,quec’étaitLucas?Ilsepouvaitjustequeceloupait,lui,d’incroyablescapacitésdecicatrisation.Certainementunesortedemutationgénétique,unheureuxhasard,maisuncasisolé,pasuneespèceparticulièred’humainssechangeantenloupsoul’inverse.Masons’esttournéversmoi.—Celadit,lesvraisprofitsseferontdansledomainedesloisirs.S’ilyavaitunedroguecapable
detechangerenlouppourquelquesheures,tulaprendrais,non?Aumoinspourvoircommentc’est.Lessoiréesmétamorphesferaientfureur.Nousserionspropriétairesdubrevet.Etsinousn’obtenonspasd’autorisationdemisesurlemarché,tantpis.Onseferaencoreplusdebléaumarchénoir.Cen’étaitpaspourlebiendel’humanité,finalement.C’étaitpourl’argent.— Quel égoïsme de garder ça pour toi, Lucas ! Tu aurais dû te porter volontaire pour nos
expérimentations.Etaucontraire,ilnousafalluvenirtetraquerjusqu’icipourtefairetomberdansunpiège.Unjeud’enfantunefoisqu’onacomprisquetusurprotégeaisKayla.Masonl’adenouveaupiquéavecsonbâtonetleloupagrogné.—Cen’estpasLucas.Tudélires!—Si, c’est lui.Attends un peu.Bientôt, trop affaibli, il sera obligé de reprendre son apparence
humaine.—Onnetelaisserapassortirduparcavecunloupdanstesbagages.Ilm’aadresséunsouriredébordantd’assurance.— C’est là qu’est l’astuce. Demain matin, deux hélicoptères viennent nous chercher. Pourquoi
crois-tuqu’ontenaitàdresserlecampprèsd’unevalléeaussilarge?Tunousaccompagneras,etunefoisquetuaurasvutoutcequ’ons’apprêteàdécouvrir,tucomprendraslaportéedenotretravail.Jeveuxquetoiaussituparticipesàcetteaventure.Etonfêteranotresuccèsparundînerauxchandelles.Dansma tête, jecriais«Jamaisde lavie !»,mais j’étaisconscientequ’ilmefallait jouerserré.
Jusqu’à ce que j’aie trouvé un stratagème pour nous échapper, le loup et moi, je devrais feindred’adhéreràleurprojet,mentiretamasserlemaximumd’informations.—Vousallezlerameneràlafac?—MapauvreKayla, tuesvraimentnaïve!Ouvre lesyeux.Toutçan’étaitqu’unearnaque.Mon
pèren’estpasprof, il estdirecteurde recherchechezBio-Chrome.Tuconnais ?«Les secretsdeschromosomespourunfuturplusradieux»?Celamedisaitvaguementquelquechose,unepubdébileàlatélé.—Mais,sesétudiants…—Noussommessonéquipederecherche.Noussommescequ’onappelleentoutemodestiedes
génies.Ilariàgorgedéployée.—J’aieumondoctoratàdix-septans.Moncolocataireétaitducoin.C’est luiquim’aparlédes
rumeurs à propos de lycanthropes dans la région. Il m’a même recommandé de m’intéresser enparticulieràLucas.J’aifaitdesrecherches.Ilyavaitbientropd’indicespourquecenesoitpasvrai.Etmaintenant,onvanonseulementleprouver,maisenplus,onvaentirerprofit.Masons’esttournéversleloup.—Lucas,tuvasentrerdansl’Histoire.Ensuiteils’esttournéversmoi.—Tuprendslamesuredel’événement,Kayla?Turéalisescequenousallonsaccomplir?Jeveux
queturejoignesnotreéquipe.—Jesuisencoreaulycée,Mason,ai-jedit,enfeignantunintérêt.
Ilalevélesyeuxauciel.—C’estlachancedetavie,Kayla!Monpèrepeutt’obtenirundiplômed’équivalencedubac.Ettu
pourrassuivredescoursdefacparcorrespondancependantque tu travaillerassurnosrecherches.Onseraàlapointe.Etonseratousmillionnaires.Voilàcequ’ontepropose.J’aiavalémasaliveavecdifficulté.—Génial,ai-jementi.Marchéconclu.—Jesavaisquetuprendraislabonnedécision.Etnet’inquiètepaspourLucas,luiaussifinirapar
entendreraison.Masons’estlevé,puisilestpartienmelaissantplantéelà.J’avaistellementserrélesbarreauxdela
cagequemesmainsmefaisaientmal.J’aiobservéleloupdenouveau,soutenantsonregard.Encore une fois, je sentais ce lien particulier entre nous. Peut-être quemoi aussi j’étais un peu
dingue.Jesavaispertinemmentquelesloups-garous–lycanthropes,métamorphes,commeonveut–n’existaientqu’àlatéléetdanslesfilms.Etmalgrétout,jemesuispenchéeetj’aimurmuré:—Lucas?Leloupm’aléchélesdoigts.J’ai lâché les barreaux et j’ai titubé en arrière.C’était impossible.Les loups-garous n’existaient
pas.Etceloupn’étaitpasLucas.J’aisursautéenentendantquelqu’unapprocher.C’étaitEthanetiltenaitunfusilàlamain,àballes
réellesouàfléchettestranquillisantes,impossibledesavoir.Ilm’alancéunsourireemprunté.—Cool,hein?a-t-ilditavantdes’asseoircontreuntroncd’arbre,lefusilposésurlescuisses.—Tucroisqu’ilva tenteruneévasion?ai-jedemandé,aveccequiessayaitd’êtrede l’humour,
pourtenterdeparaîtreaussiinoffensivequepossible.Ilahaussélesépaules.—Avantdel’avoirétudiéàfond,onnepeutpassavoirdequoiilestcapable.Etpuis,iln’estpas
seul.Lesautrespourraientessayerdelelibérer.J’allaisdesurpriseensurprise.
FurieusecontreMasonetsonpère,terrifiéepourleloup,jemesuismiseàéchafauderdesplans.Maisrienn’atransparudansmonattitudecesoir-làautourdufeu,aprèsledîner.Masonfaisaitgrillerdesmarshmallows,commesiderienn’était.LePrKeaneétaitassissursonpetittabouretpliable.J’aicaresséuninstantl’idéededonneruncoupdepieddedanspourlevoirs’étalerparterre.Maisiln’envalaitpaslapeine.Ilfallaitquejemecomportenormalement,pourqu’ilsmefassentconfiance.Masonm’a donné sonmarshmallow et je l’ai remercié avec un sourire un peu coquin avant de
l’avaler.— Tu vois, Papa, a ditMason. Je t’avais dit qu’une fois qu’elle saurait tout, elle comprendrait
l’importancedenotretravail.Comme le Pr Keane me regardait avec une méfiance visible, je lui ai adressé mon plus beau
sourire.—Jepensequevousêtesungénieabsolu,ai-jemurmuré.Il a légèrement bombé le torse, puis il a soliloqué sur l’argent qu’ils allaient se faire grâce au
secretdelatransformationdesloups-garous.—Vouscroyezdoncqu’ilyad’autrescréaturescommecelle-ci?ai-jedemandé.—Oh,c’estévident,arépondulePrKeane.J’aijetéuncoupd’œilàlacage.C’étaitmaintenantTylerquimontaitlagarde.—Ilfaudraitlenourrir,non?Oudumoinsluidonneràboire.Celanerendraitserviceàpersonne
qu’ilmeuremaintenant,ai-jedéclaré.
— Il ne risque pas de mourir dans l’immédiat. Nous devons l’affaiblir pour qu’il reprenne saformehumaine. Il lui faut beaucoupd’énergiepour rester loup, a dit leSavantFou,monnouveaunompourlePrKeane.—Commentvoussavezça?—Parcequec’estlogique.—Etsi,aucontraire,leloupétaitsonapparencenaturelleetqueçaluidemandaitplusd’énergie
poursetransformerenhomme?J’essayaisjustedeparticiperàlaconversation,maisprononcercesmotsm’afaitfrémir.Etsileurs
théoriesdémentesétaientvraies,aufond?Est-cequeceseraitcooldepouvoirchangerdeformeouest-ce que ce serait un cauchemar ?Un cauchemar,me suis-je dit.Depuis lamort demes parents,j’avaisconsacrétoutemonénergieàm’intégrer.Êtreaussidifférentdesautresm’apparaissaitcommelecombledel’horreur.LeSavantFouaréfléchiàmaquestion,puism’aadresséunsouriremaléfique,àlaSavantFou.—Ehbien,nousprocéderonsàdesexpériencespourlesavoir.Qu’est-cequiestvenuenpremier?
L’hommeouleloup?J’auraismieux fait deme taire. Je ne voulais surtout pas quemon loup serve de cobaye. Jeme
sentaisdansl’obligationdeleprotéger.Masonm’aprislamain.—Net’inquiètepas.Nousnegagnerionsrienàluifairedumal.«Etluitirerdessus,c’étaittafaçonàtoid’êtresympaaveclui?»Jenel’aibiensûrpasditàhautevoix.Jemesuiscontentéedeplaquerunsouriresurmonvisage.—Tuesabsolumentmerveilleux,ai-jesusurré,lepetitcopainidéal.J’aitropdechance.—L’hélicosera làà l’aube,aannoncé lePrKeane. Ilnousfaudradoncdémonter lecampement
trèstôt.Allonsnouscoucher.Ilssesonttouslevésetsesontdirigésversleurstentes.Masonm’aattiréeunpeuàl’écart.—Jevoulaisquetusachesquesijet’aidemandéderester,c’estparcequetumeplais.Cen’était
passeulementpourt’utiliserafindecapturerleloup-garou.—Tuauraisdûmeledire,voilàtout.Jet’auraisaidé.—Ilfallaitquetaréactionsoitauthentique.(Ilm’acaressélajoue.)Tumeplaisvraiment,Kayla.Jeluiaisouri.—Toiaussi,tumeplaisbeaucoup.Lemensongem’estvenusanspeine.Il s’est penché avec l’intention de m’embrasser. J’ai posé ma main sur son torse pour l’en
empêcher.L’idéemêmedel’embrasserm’étaitintolérable.— Je suis désolée, je suis encore sous le choc. Même si maintenant je comprends ton
comportement,etàtaplace,j’auraisfaitpareil,j’aimeraisqu’onyailledoucement.—Tuasraison,çaaétéunejournéepleinedesurprises.Ouplutôtdetrahisons,selonmoi.Ilm’araccompagnéejusqu’àmatente,puism’asouhaitébonnenuit.Tesslisait,allongéedansson
sacdecouchage.—Maisalors,quandtuflirtaisavecLucas…Elleasouri.—Çafaisaitpartiedupiège.Maisjeletrouvesexy,çac’estvrai.Etsiceloup,c’estlui,iln’enest
queplussexy.Elleétaitmalade.Gravement.J’aisortimalimeàonglesdemonsacàdosetjel’aiglisséedansmapochedepyjama.J’allaisen
avoirbesoinpourfairesauterlecadenas.
Commemonpèreadoptifestflic,j’aifiniparmaîtriserquelquesastucesdecriminels.Je me suis couchée. De longues minutes ont passé avant que Tess n’éteigne la lumière. Je
réfléchissais.Enfin,j’aientendularespirationdeTessdevenirlenteetprofonde,signequ’elles’étaitendormie.
Jemesuisextraitesansunbruitdemonsacdecouchageetj’aicommencéàenfilermeschaussuresensurveillantTessdansmondos.Jelavoyaistrèsbiengrâceauclairdelune.Elleétaitparfaitementimmobile.J’aiattrapélalampetorchequejegardaistoujoursprèsdemoiaucasoù.Je me suis faufilée hors de la tente sans prendre mon sac à dos. Je n’avais pas l’intention de
m’enfuir, car je ne pensais pas être capable de retourner seule auVillage desRangers, je voulaislibérerleloup.QuandMasonetsonpèreledécouvriraient,ilsverraientrouge,maisilsn’allaientpasm’abattrepourautant.Dumoinsjel’espérais.Mêmes’ilsétaientpassésducôtéobscurdelaForce,ilsrestaientavanttoutdesscientifiques,pasdesmeurtriers.Unsilencesurnaturelrégnaitdanslecamp.Jemesuisredresséeetj’aiavancéfurtivementjusqu’à
lazoneunpeuexcentréeoùEthanétaitànouveaudegarde.Ilétaitassisentailleurdevantlacageetpiquaitleloupavecunbâtontailléenpointe.J’imaginaisqu’ils’étaitditceci:commeluin’avaitpasledroitdedormir,leloupnonplus.Oupeut-êtreétait-cetoujoursdansl’idéedefatiguerlelouppourqu’ilreprennesaformehumaine.J’airesserrémaprisesurlalampetorche.C’étaitunbelobjet,lourdetsolide.Sinécessaire,elle
pouvaitservirdematraque.Etlà,c’étaitnécessaire.Mon cœur battait si fort qu’Ethan aurait pu l’entendre. En fait, j’étais même surprise que son
vacarmeneréveillepastoutlecamp.J’aifaitunpasdepluset…Crac!J’avaismarchésurunebranchemorte.Ethans’estretourné…Jel’aialorsfrappédetoutesmesforces.Ils’esteffondré.Iln’avaitmêmepaseuletempsdeme
voir.Jemesuisagenouilléeprèsdeluipourprendresonpouls.Toutallaitbien,maisilseréveilleraitcertainementbientôt.Ilfallaitquejefassevite.Jemesuisapprochéedelaportedelacage, j’aiallumémalampeet l’aiplacéedefaçonqu’elle
éclaireletroudelaserrure.Riendecompliqué,çan’allaitpasfaireunpli.J’aisortilalimedemapocheetmesuismiseauboulot.—Jevaistesortirdelà,ai-jechuchotéauloup.J’étaisétonnéede le trouversiéveillé.Cessadiquesne luiavaientdonnéniàboireniàmanger
depuisqu’ilsl’avaientcapturé.Ilagrogné,commes’ilronronnait.Jel’aiignoré.Jenevoulaispasqu’ilessaiedecommuniquer
avecmoi,jevoulaisjustequ’ilpuisseficherlecamp.Ilyaeuundéclic.J’aienlevélecadenasetj’aiouvertlaporteengrandavantdemereculer.D’unmouvementleste,leloupabondihorsdelacageets’estapprochéd’Ethanpourlerenifler.Je
mesuisdemandés’ilenvisageaitdelemanger.Jemesuisapprochéedelui.—Non!ai-jesifflé.Tudoist’enaller.Va-t’en!Allez!Mais il ne partait pas. Il était immobile, d’une immobilité si peu naturelle que j’ai senti l’air se
chargerd’électricité.Jemesuisrelevéeetj’airegardéalentour.Nousavionsdelachance:personneenvue.Pourlemoment.Jemesuisditquesijetapaisleloupaveclalampetorche,ilseraitpeut-êtresuffisammenteffrayépours’enfuir.J’airamassélalampeetjemesuisretournée…Leloupétaitparti!Maisaulieudemesentirsoulagée,j’aicommencéàpaniquer.Lucas, totalement nu, était accroupi près d’Ethan. Un vertige m’a saisie.Mason et le Pr Keane
avaientraison,enfindecompte?Lucasétaitbeletbienunloup-garou?J’aifaillimemettreàcriercommeunehystérique.
Je le fixaipendantque,dosàmoi, il enlevait sonpantalon treillis àEthan. Iln’avait absolumentaucunemarquedebronzage.C’étaituneparfaiteidoledebronze.Àcetinstant, j’auraispucéderaudésirquej’éprouvaispourluisijen’avaispassuqueleprendre,c’étaitleprendreenentier,c’est-à-direpelageetcaninescompris.—Bonnechance,luiai-jedit.Mavoixtremblait.Jemesuiséloignée.—Attends,m’aordonnéLucasàvoixbasse.Jemesuistournéeverslui.Ilfinissaitdeboutonnerlepantalon.—Ilfautquej’yaille.Avantquej’aieeuletempsdebouger,ilsetrouvaitàcôtédemoietm’avaitattrapéeparlebras.D’unmouvementbrusque,jel’aicontraintàmelâcher.—Laisse-moitranquille.Tueslibre,va-t’en.—IlesthorsdequestionquejetelaisseiciavecMason.Surtoutaprèscequ’ilaessayédetefaire.—Ilfaisaitsemblant.Iln’avaitpasl’intentiondemebrutaliser.(J’aisecouélatête.)Ilsavaitquetu
étaisdanslecoin,ilvoulaitjustequetutemontres.Manifestement,çaamarché.Ilacontractélamâchoire.—Oui,jesuistombédanssonpiège.Quandilt’aattaquée,plusriend’autrenecomptaitquedelui
ouvrirlagorge.Ilpourraitrecommencer.—Non,jevoisclairdanssonjeu,maintenant.Jeneluiendonneraipasl’occasion.—Tudoisveniravecmoi,ainsistéLucas.—Çaira.—Non,çan’irapas,a-t-ilditavecunsérieuxterrifiant.Maisilétaittoutletempssérieux.Cetypeneriaitjamaisetsouriaittrèsrarement…etalors,quel
effetçamefaisait!—Ilsignorentquec’estmoiquit’ailibéré,ai-jedéclaré.—Peuimporte.Dansmoinsdequarante-huitheures,ceseralapleinelune.Lapremièredepuiston
anniversaire.Or la première transformation a lieu pendant la première pleine lunequi suit le dix-septièmeanniversaire.—Super,merci pour l’info,mais ce n’est pas franchement lemoment deme faire un cours de
«Loups-garouspourlesNuls».Ilfautquetupartes.Quandils’estrapprochédemoi,j’auraisdûm’enfuir.Maisjesuisrestéelààcontemplersesyeux
d’argentquimeretenaientprisonnière.Mueparuneétrangeimpulsion,j’avaisenviedem’enfouiràl’intérieur de lui, dem’enrouler tout autour de lui. Lui, Lucas, dont le contact faisait chaque foissurgir enmoi l’envie de sortir demon cocon de chair. Son regard était si grave.Mais il y avaitquelquechosed’autredanssesyeux,quelquechosedepossessif.Jevoulaisquecet instantsetransformeenunescèned’amourdefilmàl’eauderose.Jevoulais
qu’ilme prenne dans ses bras et qu’ilm’embrasse comme si plus rien d’autre n’existait que nousdeuxetcebaiser.Puisjevoulaisqu’ils’enfuiedanslesboisetqu’ilnereviennejamaisplus.Jevoulaisplusquetoutqu’ilsoitensécurité.Pourquoiétait-cesoudainsiimportantpourmoi?Il a posé lesmains surmes bras. J’ai pensé qu’il allaitm’attirer à lui pourme donner enfin ce
baiserquej’attendaissidésespérément.Aulieudeça,ilm’aditd’untongrave:—Kayla,tuesl’unedesnôtres.
12
Curieux de penser qu’une phrase aussi banale pouvait avoir un tas d’implications. Elle pouvaitvouloir dire « nous » au sens d’« espèce humaine ». Sauf qu’humain,Lucas ne l’était pas, ou pascomplètement.Oudumoins,pasàmesyeux.Ellepouvaitaussisignifierquecommejel’avaissecouru,jefaisaismaintenantpartiedesonclan,
que j’étais à présent destinée à le suivre partout où il irait.Dans certaines cultures, quelqu’un quisauvelavied’unautreluiestliéàjamais.J’avaisluçaquelquepart.Moncerveaufiévreuxcontinuaitàchercherd’autressignificationsàcettepetitephrase.Peut-êtrequecelasignifiait…MonDieu,quiest-cequej’essayaisdetromper, là?Cettepetitephrasenesignifiaitqu’uneseule
choseet jenevoulaispasquecesoitça.Quoiqu’ilpuissevouloirdire,ce«nous»signifiaitqueLucas m’incluait dans sa bizarrerie. Dans quelque chose qui n’était pas normal. Les gens ne setransformentpas en loups. J’avaisdéjà suffisammentde trucsbizarres àgérer, jenevoulaispasyajouteruneanormalitéphysiologique.Ethanacommencéàgeindre.Lucasaalorsprismamain.—Partonsavantqu’iln’alertetoutlecamp.J’aisecouélatête.—Jenesuispascommetoi.—Onenparleraplustard.Ilfautyaller.—Non.Jerefuse.— Kayla, dans moins de quarante-huit heures, ils sauront la vérité sur toi et c’est toi qui te
retrouverasdanslacage.Situsurvisàlatransformation.Ettuaurasbesoindemonaide…situveuxsurvivre.Demieuxenmieux.Ilm’annonçaitquenonseulementj’allaismetransformerenbouledepoils,
mais qu’en plus je pouvais enmourir s’il n’était pas là quand lamétamorphose aurait lieu !Moncerveauneparvenaitpasàassimiler toutescesinformations.J’étaishumaine.Jen’étaispascommelui.Etce«nous»?Combienétaient-ils?Toutcelaétaitabsurde.Jen’ycomprenaisrien.C’étaittrop.Il
existaitbeletbiendesgensquisetransformaientenloups?Etj’étaisl’uned’eux?Cetteidéeétaitdémente.Ethanagémiplusfortettentédeserelever.Bientôtilallaitnousvoir.Manifestement,Lucasétaitàboutdepatienceparcequ’ilm’aattrapée,soulevéeetchargéesurses
épaules. Quand j’ai retrouvé mon souffle pour protester, il courait déjà. Et vite. Comme à sonhabitude,sacourseétaitabsolumentsilencieuse.Commentpouvait-ilêtresi fort,si rapideetsisilencieuxalorsqu’ilmeportaitsursesépaules?
Quiétait-il?Supergarou?Jetenaistoujoursmalampetorche.Uninstant,j’aisongéàlaluibalancerentrelesjambes,cequi
auraiteupourrésultatàlafoisdel’arrêteretdemefaireretrouverlaterreferme.Maisjenel’aipasfaitetmesuisjustelaisséporter,tandisquelesarbresdéfilaientautourdemoi.Tuesl’unedesnôtres.Jesuisl’unedesleurs.J’ai repensé à cette peur étrange qui me tenaillait depuis quelque temps, cette peur dont je ne
connaissaispasl’origine.Etcessensationscurieuses,cetteimpressionquej’étaisentraindechangerd’unefaçonquejenecomprenaispas.
Je me suis dit que c’étaient les peurs normales de l’adolescence, les changements normaux del’adolescence.Jen’étaispasl’unedesleurs.Lucasavaittort.Peut-êtrequ’ilvoulaitquejesoiscommelui.Maisilsetrompait.Jen’étaispascommelui,j’étaisnormale.J’étaisKaylaMadison,uneadojuste
unpeupaumée.Jen’allaispasmetransformerenloup-garou.
J’ignoredepuiscombiendetempsLucascouraitquandj’aicrié:—Çasuffit!Arrête-toi!Ilafaitlasourdeoreille.Jel’aifrappéauxfessesaveclalampetorche.—Arrête!Arrêteouje…Oujequoi?Ilestplusgrand,plusfort,plusdur.Peut-êtrequequelquechosedansmavoixl’aalertéoupeut-êtrequ’ilétaittoutsimplementfatigué,
mais il a fait halte etm’a posée à terre.Quandmes pieds ont touché le sol,mes jambes étaient sifaiblesquejemesuiseffondrée.Ils’estaccroupiprèsdemoi.Sarespirationétaitsaccadée,commelamiennequandj’aimontéun
escalier quatre à quatre.Après sa course frénétique avecmoi sur ses épaules, il aurait dû haleter,suffoquer.Jen’auraisjamaisunetelleconditionphysique.Mêmepasenrêve.Le clair de lune nous éclairait au travers des branches,mais je voulais plus. Je voulais le plein
soleil.J’aiallumémalampetorche.—Tun’asmêmepastrébuché.Çam’étaitvenucommeça,sansypenser.Ilaeul’airsurpris.—J’aiuneexcellentevisionnocturne,a-t-ilfinalementrépondu.—C’estparcequetuesun…—Oui.Lavision,l’ouïe,l’odorat…toustessenss’aiguisentaprèslapremièretransformation.J’aifaitouidelatêteenavalantmasalive.—Alors,tuesquoi…aujuste?—Letermeexactestlycanthrope,maisentrenous,nousdisonsLycans.Etceuxquin’yconnaissent
riendisentloup-garou.(Ilaregardéautourdelui.)Ilfautqu’oncontinuepourmettrelaplusgrandedistancepossibleentrelesStatiquesetnous.—LesStatiques?—Ceuxquinesetransformentjamais.Iladitçaavecunepointedetristessedontj’ignoraissielleétait inspiréeparceuxquiavaientle
pouvoirdesetransformerouparlesautres.Ilm’aattrapélamainpourm’aideràmerelever.J’étaistellementvidéequesil’élannem’avaitpas
pousséecontrelui,jeseraisretombéeparterre.Ilm’aentouréedesesbrasetm’aregardéeaufonddesyeux.—Jesaisquetoutcequetuasappriscesoirestunchocpourtoi.J’aifaitnon,puisouidelatête.Jenesavaisplusoùj’enétais.Moncerveaufonctionnaitauralenti.—Qu’est-cequetuvoulaisdirepar«situveuxsurvivre»?Doucement,ilm’aeffleurélajoueduboutdesdoigts.Ilsétaientrêchesetcalleuxetjenevoulais
surtoutpaspenserqu’unpeuplustôtdanslasoirée,ilsseterminaientpardesgriffesquiauraientpulacérermonvisage.—Lapremièretransformationestdouloureuse,unpeucommeunenaissance.J’imaginequec’est
logique, tudonnesnaissanceau loupquiesten toi.Donc toncompagnondoitêtreà tescôtéspourcetteépreuve.
—Moncompagnon?Ilsefichaitdemoi?—Tunelasenspas?m’a-t-ildemandé.Cetteattiranceentrenous?Oui,cettechose.Cettechosequim’effrayaittant.J’aireculéd’unpas.—Jeneveuxpas ! (J’aicommencéà tourneren rondautourde lapetitezonedégagéeoùnous
nous trouvions.) Je n’ai rien demandé ! (Jeme suis brutalement immobilisée.) J’ai étémordue unjour,c’estça?—Non,c’estgénétique,commeKeanedisait.—Tuveuxdireque j’aihéritédecettecapacitéàme transformer?Demesparents?Euxaussi
étaient…(J’aihésitésurlesmots,puismesuistuependantquej’essayaisd’assimilercetteidée.)Ilsétaientdesloups-garous?Ils’estcontentédemeregarder.—C’estdingue!Ilsmel’auraientdit.(Uneimagem’estrevenueenflash:unsouveniravecdes
loups.Jel’aiignorée.)Tutetrompes.Jenesuispascommevous.Ilahaussélesépaules.—D’accord,tun’espascommenous.Maisnet’éloignepastrop,justeaucasoùj’auraisraison.En
plus,maintenant, le Savant Fou doit savoir que tum’as aidé àm’enfuir et il n’est pas du genre àpardonnerfacilement.J’aifroncélessourcils.—Commenttusaisquejel’appellecommeça?(J’aibondienarrière.)Oh,monDieu!Tupeux
liredanslespensées?Mavoixvibraitd’indignation.Iln’amêmepasprislapeinedenier.Avait-illutoutesmespensées?—Seulementsousmaformedeloup.(Ilaéteintlalampetorcheetmel’atendue.)Paslapeinede
nousfaireremarquer.Ilm’apriseparlamainetnousnoussommesenfoncésdanslaforêtànouveau.Jenevoulaispasy
aller,maisilavaitraison,malheureusement:j’étaiscoincéeavecluijusqu’àcequejepuisseyvoirplusclair.
Mesyeuxsesontpeuàpeuadaptésàlafaiblelueurdispenséeparlalune.JesuivaisLucasdetrèsprès,monpasréglésurlesienetmamainfermementserréedanslasienne.Ilétaitsigrand,silargeetsesdoigtsdégageaientunetelleforce.Jemesuisdemandés’ilétaitnaturellementcommeçaousicelaluiétaitvenuavecsapremièretransformationenloup.Biensûr,«naturellement»n’étaitpaslemot approprié. À ses yeux, la transformation était un phénomène naturel. C’était ne pas pouvoirchangerquiluisemblaitbizarre.Etsansl’avoirvoulu,jefaisaismaintenantpartiedecemondeàl’envers,dément.J’avaisdesmilliardsdequestionsàluiposer,maiscommenoustâchionsderesterdiscretsletemps
d’atteindrenotredestination–oùquecefûtd’ailleurs, jen’avaispasdemandéet iln’avait riendit,maissesgrandesenjambéesavaientvisiblementunbut–jegardaimesquestionspourmoi.Enplus,j’avaisdumalà tenir lerythme.Etmoiquiavaiscruêtreengrandeforme!Jehaletaiscommeunchienquiagalopéderrièreunfrisbee.Chien,loup,ilfallaitquej’arrêtedepenserauxanimaux.Je devais trouver une façon de ne pas me changer en animal sauvage, si c’était bien ce qui
m’attendait.J’avaisencoredesdoutessurlaquestion.N’aurais-jepasdûlesavoir,auplusprofonddemoi, si j’étais pour moitié loup, ou même seulement pour une faible part ? Cela semblaitinconcevable. Mais même si c’était en effet sur le point d’arriver, il devait exister un moyen del’empêcher. En résistant de toutes mes forces… Le pouvoir de l’esprit sur la matière. Ou, enl’occurrence,surleloup.Bref,jen’allaispasmerendresansrésister.
Et puis, fallait-il forcément que Lucas deviennemon compagnon ? N’aurais-je pas dû avoir lechoix?Ilm’avaitdemandésijeressentaisuneattirance.Impossibledelenier,maisçameterrifiait.Ce n’était pas juste une amourette, c’était viscéral, comme si c’était lui, le seul, l’unique, pour
toujours.Bonsang,jeleconnaissaisàpeine!Pourtant,jeneparvenaispasàmedébarrasserdel’idéequenousétionsfaitsl’unpourl’autre.Noustraversionsunezoneduparcquim’étaitinconnue.Lesbuissonsyétaientdensesetlesarbres
poussaient presque tronc contre tronc. L’épaisseur du feuillage masquait la lune en totalité, alorsLucasdevaitlittéralementmehisseràboutdebrasdanslesmontéeset,danslesdescentes,meretenirpourm’empêcherdelesdévaleràplatventre.J’étais à bout. Je n’avançais plus que par automatisme, comme un robot. Nous grimpions avec
difficulté vers le sommet d’une pente rocailleuse dont les arbres distribués au hasard entravaientnotreavancée.Soudain, j’airéaliséqueLucasauraitpuse transformeretque,danscecas, ilauraitdéjàétéloin.Siaccidentéfût-il,leterrainneluiauraitalorsposéaucunedifficulté.Aulieudeça,ilsecontentaitd’attendrepatiemmentquejelerattrapeavecdereprendrelamarche.—Parsdevant,ai-jedit,aprèsunechutequim’avaitfaitdévalerplusieursmètressurlesgenoux.—Pasquestion.—Maisc’esttoiquiesendanger.Moi,ilsnemeferontpasdemal.Ils’estarrêtéetm’aregardéeavecdureté.—Kayla,jenetelaisseraipasenarrière.Quelle tête demule ! J’ai rassemblé le peu de courage quime restait etme suis relancée dans
l’ascension.Quandjel’aienfinrejoint,iladit:—Tucontinues;moi,jeretourneeffacernostraces.J’enaipaspourlongtemps.Dansunmouvementdepanique,jel’aiattrapéparlebras.—Tun’arriveraspasàmeretrouver.—Si,grâceàtonodeur.Tusenssibon!Jeteretrouveraisn’importeoù.Était-cesafaçondedraguer?Entoutcas,j’étaisconquise.Maisavantquej’aiepudirequoiquece
soit,ilétaitdéjàparti.J’avaisenviedem’asseoirpourréfléchiràtoutça.Essayerd’ytrouverunsens.Aprèsl’épisodede
larivière,leschosesavaientcommencéàdéraper.Peut-être,enfait,quejem’étaisnoyéeetquej’étaisenenfer.Bon,n’importequoi.Parcontre, lapriorité,c’étaitLucas.Ilétaitendangeretsi jenemebougeaispaslesfesses,Keaneetsongrouperisquaientdenousrattraper.Jen’étaispasinquiètepourmoi.Jen’étaispascellequ’ilsvoulaientétudier.Maisjenevoulaispasqu’ilarrivequelquechoseàLucas.Cettecraintem’aredonnédel’énergie.Jenevoulaispasqu’ilretournedanscettecageàcausede
moi.Pouryservirdecobaye,commeunanimaldelaboratoire.Unanimal.Lemotrésonnaitdansmatête.Pourmoi,Lucasétaitunhommequisechangeaitenloup.Masonetsonpère,eux,voyaientunloup,etnonplusunêtrehumain,unepersonne.Àleursyeux,iln’étaitplusqu’unecréatureétrangedontl’existencedéfiaittoutelogique.Leurpointdevuejustifiaitqu’onlemettedansunecage.Lemienm’avaitimposédelelibérer.Uneglissadeévitéeinextremisgrâceàunpetitarbreauqueljemesuisraccrochéem’apermisde
m’arrêteruninstantpourreprendremonsouffleettâcherdetrouverparoùcontinueràgrimper.—Jesuissurpris,tuasbienavancé,asoudainditunevoixsortiedenullepart.J’ai failli en crier de surprise. Il fallait luimettre un collier avec des clochettes, ou un truc du
genre,pourquejepuissel’entendreapprocher.Ils’estassisàcôtédemoi.
—Çava?J’aiacquiescé.—Jereprendsjusteunpeumonsouffle.—Çavadevenirplusdifficileàpartird’ici.—Super.—Maisj’aiuneidée.Ils’estlevéetadisparuderrièreunfourré.—Qu’est-cequetu…(Quelquechoseaatterrisurmatête.C’étaitsonpantalon.)Euh,Lucas?—Toutvabien.Jevaismetransformer,c’estplussûr.Etpuistuvasmontersurmondos,comme
ça,onprogresseraplusvite.—Tun’espasuncheval,quandmême.—Fais-moiconfiance.C’estlaseulefaçond’yarriver.—Jetefais…Unloupvenaitd’apparaître.—Pourcespectacle,oncommenceralatournéeparLasVegas,ai-jemurmuré.Ilapousséunpetitgrondementquiressemblaitàunglous-sement.Lesloupspouvaientrire?Ils’estfrottécontremacuisse.—Jenecroispaspouvoirfaireça.Ilm’aléchélamain.—OK,OK,sic’estdemandégentiment…Jeme suis allongée sur son dos et j’ai confectionné une sorte de harnais grâce à son pantalon
enrouléautourdema tailleetnouésoussonventre. J’aiplié les jambesetposémespiedssursonarrière-trainpourqu’ilsnetraînentpasparterre.Enfin,j’aienfoncélesmainsdanssonpelageafindem’assurerunebonnepriseetils’estmisenroute.Jesentaissesmusclesroulersousmescuisses.Ilétaitsipuissant.Faisait-ildelamuscuouétait-cedûàsesgènes?Soncorpsétaitsi…J’ai immédiatementrefoulécettepenséeenmesouvenantque,souscetteforme, ilétait télépathe.
Ce pouvoir constituait une véritable atteinte à la vie privée, et il allait falloir très vite établir desrègles,maisenattendant,j’allaismeconsacreràréorganisermentalementleplacardàchaussuresdechezmamère.Elleétaitaccroauxchaussures,sibienquej’avaisaumoinsunecinquantainedepairesauxquellespenser pendant queLucas crapahutait.Aubout d’un certain temps, il s’est arrêté etm’asecouée.Jesuisdescenduepourqu’ilpuissepasserderrièreunbuisson.— Lance-moi mon pantalon, a-t-il dit en se relevant, si bien que je pouvais voir sa tête et ses
épaules.—Tufaisçahypervite,ai-jeditenm’exécutant.—Tuverras,toiaussiunefoisquetuteserashabituéeetquetuconnaîtraslestrucs.Un : je nem’y habituerais jamais.Deux : je n’étais pas encore persuadée que ça allait vraiment
m’arriver.Trois:jenevoulaispasconnaîtrelestrucs.Lucasestsortidederrièrelebuisson.—Tuasvraimentautantdechaussuresqueça?Monrireneparvenaitpasàcachermagêne.—Tupeuxt’enempêcher?D’envahirmespenséescommeça?—Ilyaunetechniquepourlesdissimuler.Jetemontrerai.—Tantmieux, parce que ce ne serait pas juste que tu aies accès à toutesmes pensées et que tu
barricadeslestiennes.—Jen’airienàtecacher.(Ilareprismamain.)Onn’estplustrèsloin.Nousavonscontinuéàdescendreunpeuetpuisnousavonsprisuntournant.Auloin,j’entendaisle
murmured’uncoursd’eau.
J’ai trébuché,perdu l’équilibre…Lucasm’a rattrapéeavantque jenem’étalede toutmon long.Commentfaisait-ilpourréagiraussivite?Est-cequeceseraitpareilpourmoi,dansl’éventualitéoùjemetransformeraisaussi?Est-cequej’enavaisenvie?—C’estlà,a-t-ilditenm’aidantàmeremettresurmespieds.—Oùça,là?—C’estuneplanque.Pourmoi, une « planque » évoquait un lieu exigu et sombre où il faut se tenir recroquevillé et
trembler. Je n’étais pas très impatiente dem’y trouver. Surtout que j’y serais forcément dans unepromiscuitéextrêmeavecLucas.Est-cequejepourraisrésisteràlatentation?Nous sommes sortisdesboispourentrerdansunepetite clairièrebaignéedeclairde lune.Une
cascadedévalaitcepandemontagne.Lucasm’alâchélamainetj’airéaliséavecstupeurquejemesentaiscommeprivéedequelquechose.J’aifaillirattrapersamain.Pasparcequej’avaispeur,maisparcequejenevoulaispasbriserlelien.—Ouah!C’estmagnifique!(Pendantunbrefinstant,j’aioubliéquenousétionspourchasséspar
leSavantFouetsonéquipe.)Jenesavaispasqu’unendroitpareilexistaitdanslecoin.—Nousenavonspleindanscetteforêt.—Àt’entendre,ondiraitqu’ellevousappartient.—C’estundomainenational,mais,envérité,oui,c’estlanôtre.— Quoi ? Tu veux dire qu’il y a vraiment un village caché dans la forêt comme l’a affirmé
Mason?Ilyenavraimentd’autrescommetoi?Ils’estfigé,commes’ilsedemandaitjusqu’àquelpointilpouvaitmefaireconfiance.Monrefus
de devenir comme lui devait forcément le faire douter dema sincérité. Jeme suis dit que si à unmomentouunautrejedevaisretrouverlegroupedeMason,ilvalaitmieuxquej’ensachelemoinspossible.—Vas-yetallume ta lampe torche,a-t-ilditen ignorantcomplètementmesquestions.Tuvasen
avoirbesoinlàoùnousallons.—C’est-à-direoù?—Danslacascade.
13
La cascade se déversait dans une très belle retenue d’eau qui, d’après Lucas, alimentait tout unréseauderuisseauxsouterrains.Etenamont,biensûr,unerivièredévalaitlapenteabrupteavantdedevenircettemagnifiquechuted’eau.J’espéraisquelelendemainnousaurionslapossibilitéd’allervoirçadeplusprès.Lucasm’avaitdenouveaupriseparlamainpourmeguiderautourdelamarescintillante.L’herbe
alaissélaplaceàdesgravierspuisàdesgaletsaussiglissantsqueduverremouillé.J’aidérapéetsiLucasnem’avaitpas retenue, je serais tombéedans l’eau.Au lieudeça, jemesuis retrouvée toutcontre lui, aucontactde sapeaudouceet tiède.Malgrémoi, jeme suis lovéecontre lui.C’était sibon!Sapeau,sesmuscles…Nousapprocherdelacascadeétaitcommeavancersurletonnerre.Levacarmedel’eaudéchaînée
se répercutait tout autourdenousetmasquait les autres sons. J’étaisdésorientée,presqueeffrayée.Unebrumedélicatesedéposaitsurmonvisage.Douceurtrompeuse,carlapuissancedecettecascadeauraitputuer.Lucasm’atiréederrièrelerideauliquidequidissimulaitunantred’unnoird’encre.Lucasm’alâchéeetj’aidûrassemblermoncourageafindenepaslaisseréchapperunlamentable
couinement de supplication pour qu’il ne m’abandonne pas. L’atmosphère y était plus calme. Lerugissementdelacascadenenousarrivaitplusqu’assourdi.J’aiexplorélacaverneaveclefaisceaudemalampetorche.Desgensétaientpassésiciavantnous.—C’estl’undenosrepaires,m’aexpliquéLucas,agenouillépourallumerunelanterneàpilesqui
setrouvaitlà.J’aiéteintmalampetorcheafindel’économiser.J’avaisbienl’intentiondelagarder;l’avoirme
sécurisait. Peut-être parce que c’était mon père adoptif qui me l’avait donnée. Soudain, j’aidésespérémentregrettéqu’ilnesoitpasmonvraipère.Riendetoutcelaneseraitarrivéalors.Maisdetoutefaçon,sic’étaitgénétique,ilauraitfalluquej’héritecedondemesparents.Or, ils
n’étaientàl’évidencepascommeLucas,étantdonnéqu’ilsn’avaientpasguéricommeluiaprèsqueMasonluiavaittirédessus.Euxétaientmorts.—Unpetitcreux?m’ademandéLucas,m’arrachantàmesréflexionsdéprimantes.—Non,maisparcontre,j’aisoif.Il m’a lancé une bouteille d’eau. Des containers en plastique transparent remplis de provisions
étaient alignés le long de la paroi. Lucas a dévoré une barre de céréales pendant qu’il sortait unecouverture. Il faisait fraisdans lagrotteet l’eau,omniprésente, accentuait encorecette fraîcheur. Ils’estapprochédemoietaenroulélacouvertureautourdemesépaules.—Tuenasplusbesoinquemoi.J’aiunt-shirt,pastoi,ai-jedit.—Ilyenad’autres.Etpuis,jepeuxtoujoursadopterlatechniquetout-fourrure.Ilaterminésaphraseavecunsouriresisexyqu’unfrissond’excitationm’aparcourulecorps.Commegênétoutàcoup,ilestretournéauxcontainers.Ilenasortiquelquescouverturesdepluset
deux sacs de couchage. Il a ouvert le premier pour l’étendre, entièrement déplié, au centre de lagrotte.— Jeme suis dit qu’on pourrait dormir côte à côte pour partager notre chaleur,m’a-t-il dit en
faisantungestequim’invitaitàm’allongersurlesacdecouchagedéplié.Iltenaittoujoursl’autredontilcomptaitcertainementnouscouvrir.Jen’avaisjamaisdormiavecungarçon.Etmêmesionnefaisaitquedormir,nousallionsquand
mêmeêtreensembledansunlit ;noscorpssetoucheraient.Jen’étaispassûred’êtreprêtepource
genred’intimitéaveclui.Celadit,l’idéedeprofiterdesachaleurdanscettecavernetropfraîchemeséduisaitbeaucoup.—Mais,euh,aprèstoutcequis’estpassé,commenttufaispourpouvoirneserait-cequepenserà
dormir?ai-jedit.—C’estquejevaism’écrouler,là.Avec tous les événements, j’avais relégué les épreuvesqu’il avait subies loindansmamémoire.
Peut-êtreparcequ’ilcachaittrèsbiensesdifficultés,ouparcequ’ilétaitpourdebonSuperloupgarou,depuisnotreévasion,jem’étaiscomplètementreposéesurlui.—Qu’est-cequejepeuxfairepourt’aider?ai-jedemandé.—Justevenirdormiravecmoi.J’aidenouveauregardélelitimprovisé.—Jenevaispast’agresser,commeMason.—Jesais,c’estjustequejen’aijamaisdormiavecungarçon.Ilaesquisséunsemblantdesourire.—C’estfacile,tuvasvoir.Tufermeslesyeuxetturêves,voilàtout.Jevoyaisbienlegenrederêvesquej’allaisfairecouchéeprèsdeLucas.Cependant,j’aiacquiescé
etmesuisétenduesurlesacdecouchage.Lucass’estallongéàsontour.Prudemment.C’étaitpeut-être à cause de son épuisement ou parce qu’il craignait que je panique. Il avait peut-être senti quej’étais tropraideet trop immobile.J’avaissouvent imaginécommentserait lapremièrefoisque jedormiraisavecungarçon.Jamaisjen’auraiscruqueceseraitdansunegrotteavecungarçonaussisombreetdangereuxqueLucas.Malgré ça,moncorps cherchait désespérément à échapper àmoncontrôlepourallersenichertoutcontrelui.—J’éteinsoutupréfèresqu’onlaisseallumé?m’a-t-ildemandé.—Éteins.À tous les coups, l’obscurité allait aggraver mon trouble, mais pas question pour moi de
reconnaîtrequecettesensationmefaisaitpeur.Ilyaeuundéclicetlalumières’estéteinte.Mesyeuxsesontviteaccommodésàlapénombre,si
bien que je pouvais admirer la cascade que le clair de lune transformait en un panneau de verreliquide.Curieusement,çam’arassuréeetj’aicommencéàmedétendre.—C’estmonrepairepréféré,achuchotéLucas.C’étaitcommes’ilavait ludansmespensées.Jemesuisdemandés’ilm’avaitmentiàproposde
sonpouvoir.Peut-êtreétait-iltélépathemêmesoussaformehumaine.—Cetendroitétaitprêtànousaccueillir,commesivousattendiezqu’ilyaitdugrabuge.—Noussommestoujoursprêtsàfairefaceaupire.Ils’estunpeurapprochédemoietj’aisentiqu’ilfrissonnait.—Tuasfroid.Jen’avaispasvoulumettrecettetonalitéaccusatricedansmavoix.—Non,c’estlecontrecoupdelapousséed’adrénaline.Maislachaleurmefaitdubien.IlavaitpristouslesrisquespourmeprotégerdeMason.Jepouvaisbienenprendrequelques-uns,
moiaussi,pourlui.Jesuisdoncalléemeblottircontrelui.Jeconnaissaiscegenredechoc.Quandmesparentsavaientététués,j’avaiscrunejamaispouvoir
arrêterdetrembler.Ilapassésonbrasautourdemoietjemesuiscolléeencoreplusprèsdelui,latêtenichéeaucreux
desonépaule.Lesacdecouchagequinousservaitdecouverturenoustenaitchaud.Jemesentaissibiencontrelui!Jesentaisl’odeurdesapeauetsachaleursousmesdoigts,contremajoue.—C’estcomparableàunemontéed’adrénaline?ai-jedemandédoucement.Devenirun loup, je
veuxdire?
—Non,jenevoispasçacommeça.C’estjusteaussicequejesuis.—Commentc’estarrivé?Jesaisquetum’asdéjàditquec’étaitgénétique,ettout.Maisqu’est-ce
quis’estpassé?Ilyabieneuunpremier,unlointainancêtrequiauraitétémorduparunloup?Sonrirearésonnéàtraverslagrotte.—C’estletrucdébilequ’onvoitdanslesfilms.Commentpeut-onnousfaireavalerqu’êtremordu
par une chose pourrait nous transformer en cette chose ? Pareil avec les vampires. C’est débile.Alors,non.Lalycanthropien’apascommencéparunemorsure.—Comment,alors?—Nousexistonsdepuisaussi longtempsquel’espècehumaine.Noussommesrestésdiscretssur
notreexistencepourd’évidentesraisonsdesécurité.Avant,nousvivionsparmilapopulation.Maisily a toujours un déclic de reconnaissance quand on rencontre quelqu’un de notre espèce. Ça t’estprobablement déjà arrivé, mais tu ne savais pas de quoi il s’agissait : deux êtres semblables quis’identifientcommetels.JemesuissouvenuedemapremièrerencontreavecLindseyl’annéeprécédente.C’étaitcommesi
nous étions instantanément devenues les meilleures amies dumonde. J’avais ressenti un lien, uneprofondeconnexion.Aussitôt,j’aiputoutluidire.—Lindseyaussiest…Impossibledeprononcerlemot.Çasemblaittropfou.—Oui,a-t-il répondu.Maisellen’apasencorefaitsapremière transformation.Ellen’auradix-
septansquedansunmois.—Maisonestamies,pourquoiellenem’ariendit?—Tul’auraiscrue?—Jenesaispas.Jenesuismêmepassûredetecroire,toi.Enfin,oui,j’aivuquetoi,tupouvaiste
transformer,maismoi,jenesuispasconvaincue.Ettudisqu’ilyenad’autrescommetoiquiviventparmilapopulation?—Biensûr.Partout,dans les lycées, les facs.Desdocteurs,desavocats,des flics.Noussommes
commetoutlemonde,exceptéquenousnoustransformons.—Pardon,maisçafaitquejustementvousn’êtespascommetoutlemonde.—D’accord.Et,oui,nousprenonsunrisqueenvivantparmilesStatiques.Toutefois,c’estquand
même plus simple que d’avoir notre propre pays ou un truc du genre. Nous avons parfois étédécouverts et alors on nous a brûlés comme sorciers ou traqués comme démons. Il y a plusieurssiècles,nosancêtresontcrééunesortedeconfrériede…J’imaginequ’onpourraitdiredechevaliers.De jeunes combattants, des guerriers que nous appelons les Gardiens de l’Ombre. Ils ont pourmissiondeprotégerlesautresLycans.J’aieuunpetitriremoqueur.—Jenesuispastrèsimpressionnéeparleurstalents.Jenelesaipasbeaucoupvuscettenuitquand
tuaseubesoind’eux.Ils’estéclaircilagorge.—Selonnotrecodedeconduite,siunGardienfaitlabêtised’êtredécouvert,ildoitsedébrouiller
seul.Nous risquonsnotreviepour les autres,maisnousne leurdemandonspasde risquer la leurpournous.Jemesuisunpeurelevéepourvoirsonvisage.—Attends!TuesentraindemedirequetuesundecesGardiens?Uneespècedechevalier?—Exact.C’estmonboulotdeteprotéger.C’estpourçaquej’airenvoyélesautresetquejesuis
resté.Etaussipourêtreavectoiquandceseraitlapleinelune.J’étaissamissionetilétaitmonangegardien?Celaexpliquaitbeaucoupdechoses,etnotamment
lafaçondontilmeregardait.
—Donctupeuxmourir.—Biensûr.Parlefeu,ouparballe.—Maisj’aivucommenttuguéris.— Impressionnant, hein ? (Il y avait de la fierté dans sa voix.) J’ai eu du pot que cet abruti de
Masonnesachepasquel’argentestnotretalond’Achille.Detouslesmythesd’Hollywood,c’estleseulquisoitvrai.Jenesaispaspourquoi,uneblessureinfligéeavecdel’argentneguéritpascommeuneblessurenormale.Çamarchepourlesépées,lescouteaux,lesballes.S’ilssontenargent,onestdansdesalesdraps.J’ai soudain réalisé qu’il me confiait le secret de la technique pour le détruire. Mais peut-être
n’était-ce pas unemarque de confiance de sa part, juste une information vitale quime concernaitaussi.—Est-cequ’ilyaunmoyendenepasdevenirun…Leseulmotquimevenaitétait«monstre»…Jenepouvaispasdireça.— Non, a-t-il répondu doucement. (Il m’a attirée à lui, comme pour me protéger contre les
implicationsdecenon.)Toutirabien.Fais-moiconfiance.Jesuisépuisé,Kayla.Laisse-moidormirunpeuetjerépondraiàtoutestesquestionsdemain.—OK.Àl’instantoùsarespirations’estralentieetàlafaçondontsontorsemontaitetdescendaitsousma
joue,j’aisuqu’ils’étaitendormi.J’aicontemplélestrombesd’eaudelacascade.J’aipenséàmeleverpourallermemettredessous.
Laisserlecourantm’emporter.Jenevoulaispasdevenirunloup.Masontrouvaitpeut-êtrequec’étaitsupercooletquedesmilliersdegensachèteraientvolontiersunedroguequi les transformeraitenloupspourquelquesheures,maismoi,jen’enauraispasvoulu,mêmegratuitement.J’espéraisqueLucassetrompait.Quecelienentrenousn’étaitpascequ’ilcroyait.Sesfacultésde
perceptionétaientpeut-êtrefausséesetilavaitvuquelquechoseenmoiquin’yétaitpas.JenepouvaispasêtreuneLycan.
Accroupieà l’entréede lagrotte, j’écoutais lacascadeenétudiantmesongles.Jem’étaisglisséehorsdulitoùLucasdormaitencore.J’avaisterriblementenviedem’enfuiraupasdecourse.Lucass’étaitapprochésisilencieusementquej’aifaillim’évanouirquandils’estagenouilléprès
demoi.Maisj’étaisfièred’êtreparvenueàcachermasurprise.—Tut’eslevéetôt.Çavabien?m’a-t-ildemandé.Toutmonunivers,toutemavien’étaientpeut-êtrepascequejecroyais,alorsnon,çan’allaitpas.
Cependant,j’aipum’enteniràunsoupir.—Jeréfléchis.Jen’aijamaisréussiàmelaisserpousserlesongles.J’imaginequeçavachanger.Ilarigolé.Oudumoinsj’aipenséqu’il l’avaitfait.Lefracasdel’eaunousforçaitàparlerfort,
alors il était difficiled’entendreunpetit rire.En tout cas, il souriait.Etpuis, commes’il craignaitqu’onnes’abîmelavoix,ilm’aindiquélagrotted’unpetitsignedetête.Jel’aisuiviàl’intérieur.—Est-cequemesparentssavent…àmonsujet?Jeveuxdire,cequejesuis?Ouplutôt,cequeje
vaisdevenir?—Jenecroispas.Quandtesparentsontététués,tuasétéévacuéed’urgenceavantqu’unGardien
nesoitenvoyépourtechercher.Unefoisquelesautoritéss’enmêlent,ilestdifficilederécupérerlesnôtres.Ilaouvertundescontainersenplastiqueetm’alancéunecannettedejusdetomate.—Jecroyaisquelesloupsétaientcarnivores,ai-jedit.—Lesloups,oui.LesLycans,non.
À la sécheresse de son ton, j’ai senti que je l’avais blessé. Il m’a ensuite tendu une barre decéréales.—Ilfautrestaurertesforces.—Tuneteconsidèrespascommeunloup.—Jenesuispasunloup,c’estjusteuneformequejeprends.—Engénéral, lesgensnesecouvrentpasdepoilspourallergaloperdanslaforêtengrognant.
Sanscompterlesallumésquitepourchassentpourt’étudier.—Cequecestypes–ettoiaussi–considérezcommeanormalmeparaîtàmoitoutàfaitnormal.
J’aitoujourssuquej’avaisçadansmonADN.J’étaistrèsimpatientd’avoirdix-huitans.Moncœuramanquéunbattement.—Jecroyaisquec’étaitdix-sept.—Dix-sept pour les filles, dix-huit pour les garçons.À cause de cette histoire commequoi les
fillessontmûresplustôt.—Oh,j’avaisespéréavoirunpetitsursis.Labarredecéréalessetransformaitensciuredansmabouche.Ilm’a tenduunpaquetdegâteauxauchocolat. J’enavaispresque les larmesauxyeux.C’étaient
mespréférés.—Celaaussi,tuasdûleliredansmespensées.Etmoi,jepourraiégalementêtretélépathe?—Oui.Audébut,tun’entendsqu’unbrouhahaincompréhensible.Ilfautapprendreàtrierlesvoix.—Ilyaunlycéepourloups-garousouuntrucéquivalentoùonpourram’enseignerlesbases?— On préfère ne pas utiliser le terme « loup-garou », qui a des connotations beaucoup trop
négatives.NoussommesdesLycans.Etnon,iln’yapasd’école,enrevanche,unentraî-nementalieudanscetteforêt.J’aifinimesbiscuitsetj’airelevémesgenouxpourpassermesbrasautour.—Çafaitmal?Il savait de quoi je voulais parler, et ce n’était pas de l’entraînement. Il est venu s’agenouiller
devantmoi, toujourspiedset torsenus.N’yavait-il pasd’habitsdans tousces containers ? J’avaisterriblementenviedepasser lesdoigtssursapoitrineetsesépaules.Jemesuisconcentréesursonregardd’argent.—Passitumefaisconfiance,a-t-ilditd’unevoixdouce.—Tuessûr?Parrapportàmoi,tunetetrompespas?Lucass’estsoudainrelevéetm’atendulamain.—Allez, viens.Onva faire un tour de surveillancede la zone.Après, onpourra se détendre et
profiterdecettebellejournée.Onn’estpasdesvampires,aprèstout.
Ilatrouvéunt-shirt.Soitcen’étaitpaslesien,soitc’étaitavantqu’ilneprennetoussesmuscles,maisillemoulaitcommes’ilavaitétécousuàmêmelapeau.Jel’aisuividanslapetiteclairièrequientouraitnotrerefuge.Ilétaitextrêmementgracieux,touten
muscles,légeretagile.Soncôtéprédateurnem’apparaissaitquemaintenant.JedoutaisquelePrKeaneetsabandepuissentlesurprendredenouveau.Et,s’ilsnousrattrapaient,
ceseraitluilevainqueur.Commeunloup-garoudeHollywood.Lafaçondontlesfilmsdécrivaientsonespèceneluiplaisaitpeut-êtrepas,maissadéterminationàmedéfendreétaitpresqueeffrayante,bienqu’excitante.Serait-ilprêtàmourirpourmoi?Est-cequejelevoulais?Biensûrquenon,mêmesijetrouvaiscraquantqu’ilsesoucietantdemasécurité.Parcontre,jene
savaispas tropquoipenserducôté«compagnonpour lavie». Impossibledenierqu’ilm’attirait
depuisledébut,avecuneintensitétellequej’avaispréférél’oublier,pourmeconcentrersurMason.J’arrivaisàgérermessentimentspourMason.AvecLucas,non.Àplusieursreprises,Lucass’est immobiliséet ilareniflé l’air. Imaginerquemoiaussi, j’aurais
dessensàcepointdéveloppésmeplaisaitbien–sij’étaisvraimentuneLycan.J’aurais dû observer la façon dont il s’y prenait, pour essayer d’apprendre ces trucs que j’étais
supposée acquérir. Au lieu de quoi, je pensais aux habits. Me transformer allait créer une bellepaniquedansmagarde-robe.Est-cequej’allaisdevoirplanquerdesfringuesdanstouslescoins?—Oui,a-t-ilmurmuré.—Tupeuxliremespensées,mêmesoustaformehumaine,ai-jerétorqué.Ilapassélamaindanssescheveuxmagnifiques.—Seulementquandjesuisconcentrésurtoi.—Etlà,tul’es?—Commentfaireautrement?Tusenssibon…—Arrêtedediren’importequoi.Jesuissalecommeuncochon.—Mais en dessous, il y a le parfum de ta peau, et c’est ça que je sens. (Il s’est dirigé vers la
cascade.)Viens.Onvapiquerunetête.—Ilyadesmaillotsdebain,danslagrotte?Ilm’alancéunsourireespiègle.—Desmaillotsdebain?Pourquoifaire?Jeluiaidemandédeseretournerpendantquejemedéshabillaisetquejeplongeaisdanslebassin.
L’eau était fraîche, revigorante, transparente. Quand j’ai refait surface, Lucas nageait à plusieursmètresdemoi.Commequoiiln’étaitpeut-êtrepassiàl’aisequeçaaveclanudité.Ennageantsurplace,jeluiaidemandé:—Aufait,letatouage,surtonépaule,çaveutdirequoi?—Touslesgarçonssefontce typedetatouagequandilspensentsedéclarerà lafillequ’ilsont
choisiepourcompagne.C’estsonnomécritdanslalangueanciennedenotretribu.—Tuaschoisiqui?Ilm’ajetéunregardquisemblaits’interrogersurmondegréd’abrutissement.—Oh.J’aiavalémasalive.J’étaisstupéfaitequ’ilaitpuressentirquelquechosed’aussifortsansenavoir
rienlaisséparaître.Commentavait-ilpuselivrerauxmainsd’untatoueursansmêmesavoirsimessentimentsétaientréciproques?—Jecroyaisquetunem’avaismêmepasremarquéel’étédernier.—Ohsi.Çam’afaitbamdanslestripes.—Maistunem’asriendit.—Tuvenaisjusted’avoirseizeansettuétaisencoreaulycéealorsquemoi,jepartaisàlafac.—Jesuisencoreaulycéeettoitoujoursàlafac.—Oui,maistuesplusâgée.Etl’annéeprochaine,tuserasàlafac.Tupourraist’inscriredansla
mêmequemoi.—Doncjepourrairevoirmesparentsadoptifs.—Biensûr.Àlafindel’été,tuvasretournercheztoi,justeunpeudifférente.Unpeu?Mêmesijenemetransformaispas,jamaisjenepourraisoubliercequej’avaisvuetje
passeraismavieàessayerderepérerdesLycans.—Nousfaisonspartiedelasociété,nousvivonsparmilesStatiques.Commedesgensnormaux,
oupresque,danslamesureoùnousportonslefardeaudusecretdenotreexistence.J’étaisencoresouslechocdel’histoiredutatouage.—Maisparrapportàtadécisionnousconcernant.Etsinousnenousétionsjamaisrevus?
—Jesaisoùtuhabites,Kayla.Jeseraisvenutechercher,siLindseynet’avaitpasconvaincuedereveniricicetété.Jenet’auraispaslaisséedécouvrirseulelavéritésurtanaturevéritable.—DoncLindseyconnaissaittessentiments.—Oui,maisilyauncode.Personnenedoitrévéleràunefillequ’elleaétéchoisie.Personne,à
partlegarçonquil’achoisie.J’étaisflattée.Etunbrinpaniquée.Etpuisilacommencéàfairedeslongueursdanslebassin.Lesmusclesdesondosroulaientsous
sa peau cuivréemarquée par le tatouage, mon nom en langue ancienne, qui semblait émettre despulsations.Il s’était lié à moi sans même savoir si j’allais l’accepter. J’étais flattée, mais aussi totalement
dépassée.J’aicrawlésurledosavantdemerendrecomptequej’exposaisunpeutropmonanatomie.Jeme
suisremiseànagerenchien,ouenl’occurrence,pourmoi,enloup.Ilestrevenuversmoiets’estarrêtéàunmètre.—Letatouage.Rafeenaunpresquepareil,ai-jedit.—Oui.Mesyeuxsesontagrandis.—Luiaussiestunloup-ga…unLycan?—Oui.—Quia-t-ilchoisie?—Jenepeuxpasteledire.J’aipromis.Ça,c’étaiténervant.Sansêtrefollederagots,j’étaisquandmêmetrèscurieuse.—Etqu’est-cequi sepasse si tunechoisispas labonnepersonne?Si la fillene ressentpas la
mêmechosepourtoi?—Danscecas,tupassestavieavecsurtonépaulelenomd’unenanaquin’apasvouludetoi,et
aucuneautrenes’intéresseraàtoiparcequetut’esdéjàengagéàvie.—Dur.—Conclusion:onnechoisitpasàlalégère.—Maistumeconnaissaisàpeine…—J’en savais assez,Kayla.Chez nous, quand tu rencontres l’âme sœur, tu le sais. Tu n’as rien
ressentiquandtum’asrencontré?—De la flippe,ai-je reconnu. J’étais…dépassée. Je t’ai évidemment remarqué,mais jen’aipas
penséqu’ilpuisseyavoirun«nous».Enfin,regarde-toi!Tuesplusvieux,sexy,canon…Etmoi,jesuisunerouquinecouvertedetachesdeson!Ilm’asouri.—Moi,j’aimebien.Etj’aimebienaussicetteforceintérieurequetuassanslesavoir.Parexemple,
tuasprisdegrosrisquesenmesortantdecettecage.Etpuis,quandtuasfrappéMason…J’aiadoré!Jemesuissentierougir.—Jen’enrevienspasqu’ilaitréussiàm’embobinercommeça.—Tun’espaslaseuleàt’êtrefaitavoir.—Peut-être,maispastoi.—J’avaisdessoupçons,riendeplus.Jeviensd’unecommunautéquiaétépersécutéependantdes
sièclespourdesmotifsdesorcellerie.Jen’accusepassanspreuve.Mêmesisesscrupulesavaientfailliluicoûterlalibertéetpeut-êtrelavie.—EtConnor?Brittany?Euxaussisontdes…?J’avaislatêtequicommençaitàtourner.
—Oui,commelaplupartdessherpas.C’estdecettefaçonquenouscontrôlonslacirculationdesStatiques dans le parc. Nous les emmenons là où nous voulons bien qu’ils aillent et nous lesempêchonsd’allerailleurs.—Masonditqu’ilyaunvillagecachédanslaforêt.Son visage a soudain pris une expression dure et ses yeux se sont transformés en pierres
tranchantes.—Jemedemandecommentilenaentenduparler.Biensûr,ilyadeslégendes,maisilavaitl’air
d’enêtretellementcertain.Àcemoment-là,etàmaplusgrandesurprise,j’aicoulé.J’avaistoutsimplementarrêtédefairedu
surplacesansm’enrendrecompte.J’aijusteeuletempsdefermerlabouche.J’auraisaimééviterdemecouvrirderidicule.Maisbon.Jesuis remontéeà lasurfacepourmeretrouvernezànezavecunLucasmédusé.J’aipoursuivi
commesiderienn’était.—Ilyadoncvraimentunvillage?—Wolford.C’est làquevivent lesSages.Quantànous,nousnousyréunissonspour lesolstice
d’été.L’endroitesttrèsbiencaché.AucunrisquequeDocteurMabouletsessbiresletrouvent.Jerepensaiàquelquechosequ’ilm’avaitditetquim’avaitintriguée.— Pourquoi cherches-tu à savoir comment Mason en a entendu parler ? Tu aimes juste les
mystèresouc’estparcequec’esttoilestratègedelabande?—Tun’aspasencorecompris?C’estmoilechefdemeute,lemâlealpha,situveux.J’aurais dû m’en douter, en effet, à la façon, par exemple, qu’avaient Rafe et Connor de s’en
remettreàsesdécisions.Jecroyaisquec’étaitsimplementparcequ’ilétaitresponsabledessherpas.—Etça,çamarchecomment?CesontcesSagesdonttuparlesquivotent?—Non,ilfautsebattre.Soussaformedeloup.Ilfautdéfierlechefetl’emporter.Commelesanimauxsauvages?Qu’est-cequeçafaisaitdelui,unhommeouunebête?—Etc’estcequetuasfait?Tuluiascassélagueule?Ilaplantésesyeuxdanslesmienspourjugerdemaréaction.—C’estuncombatàmort.Cettefois,quandj’aicessédenageretquej’aicoulé,jen’étaispassûred’avoirenviederemonter
àlasurface.CertaineschosesdecettesociétéàlaquelleappartenaitLucasnemedonnaientpasenvied’enfairepartie.
14
—Avantmoi,c’étaitDevlin,lechefdemeute.Lucasetmoinousétionsrhabillésetprenionsunbaindesoleil,allongéssurunecouverture,assez
loindubassinpourquelacascadenecouvrepasnotreconversation.L’endroitsemblaittroppaisiblepourcequeLucasétaitentraindemerévélersurlui.Leciel,d’unbleuincroyable,étaitparcourudepetitsnuages cotonneux.Quand lanuit tomberait, ce serait ladernière avant lapleine lune.Àcettepensée,j’avaisfrissonnédetoutmoncorps,commes’ilétaitimpatient.Maispsychologiquement,jen’étaispasprêtepourlatransformation.—Jen’aipaseul’occasiondeletuer,aditLucas,etj’aientenduunepointededéceptiondanssa
voix.Ils’estenfuicommeunlâche,sibienquemonaccessionautitredechefdemeutenes’estpasfaitedefaçonrégulière.J’aitournélatêteetobservésonbeauprofil.Sesyeuxnequittaientpasleciel.Ilavaitsansdoute
autantdemalàmeconfierseslourdssecretsquej’enavaiseuàluidévoilerlesmiens.Jen’arrivaispasàl’imaginertuerquelqu’un,etencoremoinsprendrelepouvoir…Jecherchaisàlecomprendre,maissonmondemesemblaitterriblementhostile.—Pourquoiconvoitais-tusaplace?ai-jedemandé.Ilm’aregardée.—Devlinétaituntrèsmauvaischef.Ilnecessaitdeprendredesrisquesinconsidérésquimettaient
des gens en danger et auraient pu révéler notre existence. Il fallait que quelqu’un l’arrête.Apparemment,j’aiéchoué…Leloupnoirquetuasvu,c’étaitsansdoutelui.—Doncquandtudisaisqu’ilavaitunloupdomestiqué…—Jem’arrangeaisunpeuaveclavérité.Nousysommesparfoisobligés.CommequandKeanea
commencéàparlerdeloups-garousetqu’ons’esttousfichusdelui.—Tucroisquec’estàcausedeluiquelePrKeaneaeuventdevotreexistence?Ilm’asourisombrement.—Denotreexistence.Tuesdesnôtres,toiaussi.—Ouais.Luienétaitconvaincu,moipas.Quelletuilepourluis’ilavaitchoisiuneStatique.Jemesuisassise
entailleur.—Jesaisqueçadevraitmetransporterdejoiemais…—C’estunenouvelledifficileàavaler.—Fautquejepréparequelquechose?Si jem’épile les jambessousformehumaine,mespattes
n’aurontpasdepoilsunefoisquejeseraitransforméeenloup?—Est-cequemoijen’avaispasdepoilssurlevisage?J’aieuunpetitrirenerveux.—Non.Enfait,tuétaisaussimagnifiqueenloupquetul’esen…J’ailaissémaphraseensuspens.Est-cequej’avaisvraimentenviedeluiavouerça?Ilm’alancéunsourireencoin.—Tumetrouvesmignon.—Mignon?Carrémentpas.Maisbeau,oui.Ils’estassisets’estpenchéversmoi.—Moiaussi,jetetrouvebelle.Depuisnotrepremièrerencontre.Jesentaisuneagréabletiédeurm’envahir.—C’estpourçaquetumeregardaistoutletemps?—Oui.Jemedisaisquetucomprendraiscequejeressentaissansavoirbesoindeteparler.
—Tun’aspasl’airtimide,pourtant.—Lapremièrefoisquejet’aivue,c’estcommesij’avaisreçuuncoupdepoingdansleventre.Je
nepensaispaspouvoirrecommenceràrespirernormalementunjour.Jenesavaispasquoitedire.Ilalevélamainpourmecaresserlajoueduboutdesdoigts.—Laveilledevotredépart,Rafeettoivousêtesengueulés.—Oui.Ilsavaitquetuétaisl’unedesnôtresetpensaitquej’étaisirresponsabledetelaisserseule.
Moi, jenevoulaispas te forceràpartir,etque tumedétestesàcausedeça.Etpuis, jen’avaispasencoretrouvécommentt’expliquercequetuétais.Et,bon,j’avoue,j’étaisjalouxquetut’intéressestellementàMason.—Jene saispas si jem’intéressais tantqueçaà lui. Je l’aimaisbienparcequeavec lui, c’était
simple, et qu’il ne provoquait pas enmoi tous ces trucs complètement dingues que toi, tume faisressentir.Cetteattirancedonttuparlais,qu’est-cequec’est?Uneattractionanimale?—Si on veut, sauf que tu ne peux pas l’éprouvermalgré toi.Nous avons ces envies primaires
parce que nous nous situons à la limite entre l’humain et l’animal, même si nous sommesfondamentalementhumains.Aveccettecapacitéenplusdepouvoirnoustransformer.—Tudisçacommesic’étaitnormal.—J’aigrandienvoyantdesgenssetransformeretseretransformeraussinaturellementques’ils
zappaientàlatélé.—Quit’aaccompagnépendanttapremièretransformation?—Lesmâles le font seuls. C’est une sorte de sélection naturelle : lesmâles les plus faibles ne
surviventpas.—Tuavaispeur?—J’étaismortd’impatience,mais,contrairementàtoi,jesavaisqueçaallaitarriver.Quandj’étais
petit,mesparentsm’emmenaientdanslaforêt,m’expliquaient,memontraient…—Oh,monDieu!—Quoi?Qu’est-cequ’ilya?Ils’étaitassisd’unbondetregardaitnerveusementautourdelui.—Mesparents…Leschasseursontditqu’ilsavaientvudesloups.(Jemesuiscachélevisagedans
les mains.) Et si c’étaient mes parents en train dememontrer ? On a couru.Mamanm’a cachéederrièreunbuisson.Jemesouviensdegrognements.(Desimagesquej’avaisrefouléesremontaientàmamémoire.)Ilyavaitdesloups.J’enavaisàprésentlacertitudeabsolue.J’ailaissétombermesmainsetcroiséleregarddeLucas,quejen’aipaslâché.—Lesloups.Ilsauraientpuêtremesparents?—Moi,çamesembleplausible.—Situmeurssoustaformedeloup,qu’est-cequisepasse?—Lesgensdenotreespècereprennentleurformehumainejusteavantdemourir.—Doncleschasseurspourraientavoirditlavéritéenaffirmantavoirtirésurdesloups?Ilaacquiescé.J’aisecouélatête.— Non, mes parents n’étaient pas nus. Et puisqu’on leur a tiré dessus, pourquoi n’ont-ils pas
guéri?—Sinoussommestouchésàlatêteouaucœur,çanemarchepas.—Danscecas,ilsauraientdûêtrenus,ai-jeconclu.Etilsnel’étaientpas.Oudumoins,pasdansmonsouvenir.L’étédernier,jen’avaispasvoulualleràl’endroitoùilsavaienttrouvélamort.Àcetinstant,j’ai
comprisque j’avaisbesoind’y retournersi jedésiraisaffrontermonpasséetma transformationà
venir.Maiscommentleretrouver?
Danslasoirée, jemesuismiseàfairelescentpasdanslagrotte.Avoirpassél’après-midiseuleavec Lucas m’avait rendue encore plus sensible à son charme. Là, dans notre refuge, j’avaisl’impressionque l’odeurde sapeauplanait autourdemoi. Il allait être trèsdifficiledepasseruneautrenuitdanssesbras.Je me suis avancée vers l’entrée de la caverne pour écouter le déluge de la cascade, les yeux
fermés.Jevoulaisfairelevidedansmonesprit,maisunepenséedemeurait:sijenemetransformaispas,est-cequejeperdraisLucas?Malgré le vacarme de la chute d’eau etmes yeux clos, j’ai perçu l’exactmoment où Lucas est
apparuderrièremoi.—Kayla?J’adoraissavoixdebasseetlesonqu’avaitmonprénomdanssabouche.Jemesuistournéevers
lui.—Rienn’achangéentrenous,a-t-ildit.—Si,toutachangé.Jeteconnaisbienmieuxmaintenant.C’estcommesij’étaisentréeencollision
avectoi,cequiaprovoquédeschosesenmoiquejen’avaisjamaisvécues.—Debonneschoses?—Deschoseseffrayantes.Intenses.Qu’est-cequisepasserasijenesuispascequetucrois?—Tuveuxdire,situn’espascourageuse?J’aisecouélatêteavecunpetitriregêné.—Cen’estpasceque…—Tuvastetransformer,Kayla.Maiscequejeressenspourtoin’estpasliéàcechangement.Au
contraire,c’estàcausedetoutcequinevapaschanger.—Oh.Jenesavaisquerépondre.C’étaitcertainementlaplusgrandedéclarationd’amourqu’ilmeferait
jamais.—Allez,viens.Ilm’aprislamainpourmeguiderverslessacsdecouchage.J’airessentiunétrangeréconfortcesoir-là,lovéedanslesbrasdeLucas.Jesentaissoncœurbattre
contremoietlachaleurdesoncorpsmepénétrer.Notrerelationavaitévolué.Iln’étaitplusLucas,monchefsherpa,maisLucas,monGardiendel’Ombre.—Est-cequelamétamorphosevaavoirlieudèsl’apparitiondelalune?—Non,seulementquandelleatteindrasonzénith.—Commentest-cequejelesaurai?—Tuvascommenceràtesentir…différente.Ilnefautpasquecelatefassepeur.Jesaisquetune
l’asapprisquetrèsrécemment,maispournous,cettetransformationestunprocessusnaturel,commelapuberté.—Saufqu’àlapuberté,j’aipasséunsalequartd’heure.Ilm’aembrasséesurlefront.—Ehbien,là,ceseralamêmechose,maisçapasseraplusvite.Pluslemomentapprochait,plusj’avaisdequestions.—Quandtutetransformesenloup,tupensescommeunloup?—C’est encore toi,Kayla, à l’intérieur.Seule tonapparencechange.Une fois loup, je suisplus
agressif,pluspromptàmebattre.Jecoursplusviteaussi.—Jet’aitrouvétrèsrapidesoustaformehumaine.
—LaplupartdesLycanssontfortsetrapides.Ilyaunesortedeprédispositiongénétique.(Ilm’aeffleurélatempedeseslèvres.)Tuvastrèsbient’ensortir,Kayla.Savoixnichéecontremonoreilleadéclenchéunfrissonquim’aparcourutoutlecorps.Sontorse
étaitchaudsousmamain.—Tuasditquejeseraistacompagne.Est-cequeçaveutdirequ’ondoitsemarier?—Pas forcément.Laplupart semarient,maispas toujours.Onpeutpasserpar toutes les étapes
classiques:premierrendez-vous,sortirensembleettoutça,si tuveux.Riennet’obligeàêtreavecmoisitun’enaspasenvie.Savoixétaitdevenueétrangementcalme.—Etsijeneveuxpas,tutrouverasuneautrecompagne?—Non,jeresteraiseul.J’aieuunpincementaucœur.Jemesuisappuyéesurlecoudepourvoirsonvisage.Lalunebrillait
danslecielsansnuagesettransformaitlacascadeenvoileirisé.—C’estpasjuste.—Je trouveaussi.Cene sontpas lesLycansmâlesqui s’en tirent lemieux. Ilsproposent et les
femellesdisposent.—Est-cequ’ilscombattentparfoispourunefemelle?—Bien sûr. Il arrive qu’une fille veuille savoir qui est le plus fort, qui la désire le plus.Nous
sommeshumains,maisnotrepartanimaleestforte.Iladoucementcaressémajoueavantdepasserlesdoigtsdansmescheveux.—Çatefaitflipper,cequejesuis?Bizarrement, ce n’est pas chez lui que cette dimension m’inquiétait, mais chez moi. Je ne
réussissais pas à l’accepter pour moi. Lucas, lui, était ce qu’il était, je n’y voyais rien à redire.Allongéeàcôtédelui,çanemedérangeaitplus.—Non,ai-jerépondu,sincère.—Bien.(Ilarouléversmoietm’aentraînéeaveclui,sibienquejemesuisretrouvéesurledoset
luiau-dessusdemoi.)Bien,a-t-ilrépété.Et il m’a embrassée avec douceur, comme s’il n’était pas sûr que je sois d’accord. Pourtant,
commentaurais-jepunepasl’être?C’étaitlevœuquej’avaisfaitpourmonanniversaire.Ils’estreculéetm’alancéunregardintrigué.—Tusouristoujoursquandont’embrasse?Monsourires’estélargi.—Monsouhaitd’anniversairevientd’êtreexaucé.Ensoufflantmesbougies,j’aifaitlevœuquetu
m’embrasses.—Sérieux?—C’estcurieux,hein?Jenesavaismêmepassitumeplaisaisvraiment.Ilyavaitquelquechose
desiextrêmeentoi.(J’aicaressésescheveux.)Maintenantjesaispourquoi.J’avais enviede croirequ’il avait raison et que j’allaismemétamorphoser.Enviede croireque
j’étaissonâmesœur.Ilm’aserréedanssesbrasetadéposéunbaisersurmonépaule.—Ondevraitessayerdedormirunpeu.Tuvasavoirbesoindetoutestesforcesdemainsoir.Lucas!Toujoursterreàterre.Moi,j’avaisenviederesterdansl’ambianceromantique,j’auraispu
luidirequelquechosecomme:«Desforces?Jen’aipasbesoindeforcesijet’ai,toi.»Maisilavaitraison.Commetoujours.Lelendemain,toutallaitchanger.Moiycomprise.
—Kayla,debout.
Quelque chose dans le ton de Lucas m’a immédiatement réveillée. Une urgence. Je m’étaisendormiedansledouxcocondesesbrasetjenem’étaispasrenducomptequ’ils’étaitlevéavantdelevoirlà,accroupiprèsdemoi,entraindemesecouerl’épaule.—Qu’est-cequisepasse?—Jenesaispas.Maisilyauntrucquicloche,jelesens.Sesmotsm’ontgalvanisée.Etmoiaussi, je lesentais.C’était lamêmesensationquelapremière
nuit,cettepetitedémangeaison,commesiquelqu’unmesurveillait.—Mason.Ilsnousontretrouvés,ai-jedit.—C’estimpossible.Iln’yavaitpasdepisteurdansleurgroupe.Etcettezoneesttrèsàl’écart.—Oncroyaitpasnonplusquec’étaientdesscientifiques,etpourtant…—Unpointpourtoi.Ilm’amisunsacàdosdanslesbras.—Tiens,tut’encharges.Moi,ilvapeut-êtrefalloirquejemetransforme.J’aicommencéàenfilermeschaussures.—Qu’est-cequ’onvafaire?—Évaluerlasituationet,sinécessaire,décamperenvitesse.Il s’est levé à sa façon féline quim’électrisait tant.Main dans lamain, nous avons avancé vers
l’entréedelagrotte.—Attends-moilàletempsque…Commedansunmauvais téléfilm,unhommeestapparu,brandissantunpistolet.Àsavue,Lucas
s’estfigéetm’adissimuléederrièrelui.Ils’estencoreunpeurapprochédelacascadeetaessayédemepousserverslasortie.—Vadel’autrecôté.—Oh!Lucas!Tunevoudraispasqu’elleratelespectacle?Etpuis,nesoispassimalélevé.Tu
pourraisquandmêmeprésentertonfrèreàtapetiteamie.Devlin?C’étaitDevlin?Jemesuispenchéepourmieuxlevoir.Sanscettehainequiluidévorait
les yeux, il aurait pu être beau. Il avait certainement dû l’être,mais quelque chose l’avait à jamaisabîmé.Lucas,immobilecommeunestatue,s’estmisàgrogner.—N’ypensemêmepas.Situtetransformes,jevaistetirerlaballeenargentquej’aichargéedans
cepistoletettun’aurasaucunechance.Tumourras.—Qu’est-cequetuveux?—Pourcommencer,récupérerlaplacequim’estdueentantquechefdemeute.—Le chef demeute est automatiquement chef desGardiens de l’Ombre, c’est-à-dire qu’il doit
protégerlessiens.Alorsquetoi,tunousaslivrésàKeane.—Ça,tun’ensaisrien,maisc’estexact,eneffet.—Tulesasvraimentconduitsici?—Lesimbéciles.Jemesuisdésintéresséd’euxquandj’aivuqu’ilsn’allaientpastetuer.Ilssont
partisdansleurshélicos,maisj’imaginebienqu’ilsreviendront.Jem’enfousmaintenant.Ilsétaientcensésfairedesexpérimentationssurtoi,t’autopsier.Aulieudeça,ilsavaientl’intentiondeprocéderàdesanalysesdesangetdesalive.Pasdrôle.—Tuasmisnotreexistenceàtousendanger.Devlinalâchéunprofondsoupir.—Notreexistenceétaitdéjàmenacée.NoussommessipeunombreuxetaucunStatiquenevoudra
jamaisdenous.Jedétestetellementcequenoussommes.—Cen’estpasparcequ’ilyaeuunefillequi…
—Elleétaittoutpourmoi.Etmaproprefamillen’apasvoulud’elle.Pasplusqu’elledemoi.Jemesuistransformépourluivenirenaideunenuit,parcequedestypesl’ontattaquée.Etqu’est-cequej’y ai gagné ? Je lui ai fait horreur. Tu sais ce que ça veut dire de choisir une fille et de ne pasl’avoir ?Decomprendreque tuvaspasser tavie seul ?D’êtrevide,d’unvidequ’aucunamourneviendrajamaiscombler?—Jesaisqueçaaétédur…—Non,tunesaispas!Maistuvasledécouvrir.Avantlapleinelune.Tuvascomprendreceque
c’estdedétestercequetues.JesuisallévoirKeaneparcequejevoulaisqu’iltrouveunremède,qu’ilmefassedevenirnormal.Aulieudeça,ilavouluquenousdevenionstousdesmonstres.—Donctun’espasdemècheaveceux?ai-jedemandé.Denouveau,j’aisentiLucassecrisper.Jelevoyais,ilvoulaitquejemefassediscrèteaupointde
disparaître,maissonfrèreétaittropdangereux.Devlinnem’apasrépondu.IlacontinuéàparleràLucas.—Situn’espasavecelleaumomentdesapremièretransformation,turisquesbiendelaperdre.
Toncœursebriseraettusaurasenfincequejeressens.—Jeseraiavecelle.—Onverraça.Devlins’estlentementavancédanslacaverne.Jenesaispasàquoijem’attendais.Peut-êtreallaient-ilssetransformerpours’affronter?Alors,
quand l’explosiona retenti etqueLucasest tombéenarrièredans lachuted’eau, j’étais stupéfaite.Maismoninstinctavitereprisledessusetmoncrid’horreurs’estnoyédanslefracasdelacascadedèsquej’aiplongéàsasuite.
Êtrebonnenageuseconstitueunavantagecertainquanddestonnesd’eaus’abattentsurvous.Etdescoursdesauvetagesontassezutilesaussi.End’autrescirconstances,j’auraispum’émerveillerdelatransparencedel’eauquisemblaitluire
souslesrayonsdelalune,maisenl’occurrencejenepensaisqu’àrécupérerLucas.J’aienroulémonbrasautourdesapoitrineavantdememettreànagerverslasurface.Puisj’aitraversélebassinpourm’éloignerdelacascade.—Aide-moi,Lucas,luiai-jeordonné.Ilagémietj’aisentiqu’iltremblaitpendantquesonsangsedéversaitsurmoi.J’aiessayé,envain,
delehissersurlarive.—Lucas,uneffort.Iladenouveaugémi,puisilaréussiàsortirsuffisammentsontorsedel’eaupoursemettreàplat
ventresurlaberge.Jel’aipousséjusqu’àcequ’ilsoittoutàfaitausecetj’aiémergéàmontourpourm’agenouillerprèsdelui.—C’estgrave?—Oui,a-t-ilrépondu,lamâchoireserrée.J’ai soulevé son t-shirt, révélant une plaie béante au flanc. J’ai enlevémon t-shirt pour essayer
d’enrayerl’hémorragie.Jeneportaisplusqu’undébardeuretjel’auraisaussiôtésibesoin.—Tuessûrquetunepeuxpastetransformer?luiai-jedemandé.Mêmepourquelquessecondes?—Danscecas,ilmourra.Devlin.Jenel’avaispasentenduarriver.J’auraisdûdevinerqu’ilviendraitadmirerlerésultatde
sontravail.—Ilsentdéjàlabrûluredel’argent…Etilsaitquejen’aipasmentiàproposdelaballe,a-t-ildit,
la voix débordant de satisfaction. Je ne veux pas qu’il meure. Je veux juste qu’il ne puisse pascontrecarrermesplans.
—Quelsplans?Avant que je puisse protester, ilm’avait relevée de force pourm’attacher les poignets avec une
corde.—Mesplansdekidnapping,a-t-ilditenmetirantviolemmentverslui.—Tuesmalade!—SelonNietzsche,«ilyatoujoursunpeudefoliedansl’amour».(Unsourirecruelbarraitson
visage.)J’étudiaislaphiloàlafac.—Lucasafaitcequ’ildevaitpourprotégerlessiens.Tunepeuxpasluienvouloirpourça.—Biensûrquesi,jepeux.Jesuisseuljugedemesactions,ellesn’ontdesensquepourmoi.C’est
cequ’ilyadebeaudanslafolie.Bon.Etpuisçasertàrienderésister, j’aiencorequelquesballesdanscepistolet.Sijetetue,jamaisvousnevousreverrez.—Jevaismourir,detoutefaçon.Lucasm’aditquejenesurvivraispassijen’étaispasaveclui.—Ehbien,onvavoir.Il a tiré sur la corde pourm’entraîner à sa suite. Je ne voulais pas abandonner Lucas, mais je
n’avaispaslechoix.J’aijetéunregardenarrière.Àgrand-peineLucassemettaitàgenoux.«Surtoutnenoussuispas,ai-jepensé.Sauve-toietattends-moi.»J’espéraispouvoirm’échapperettrouverdel’aidepourLucas.L’ascensiondelafalaiseenvahied’arbresquedévalaitlacascadeaétépassablementardue,surtout
aveclesmainsattachées.Quandnousavonsenfinatteintnotredestination,j’étaisépuisée.Uneteinterougeorangédélavait
leciel,annonçantl’arrivéedujour.Del’endroitoùnousnoustrouvions,onapercevaitlarivièrequidonnaitnaissanceàlacascade;jen’avaisniletempsnil’envied’enadmirerlabeauté.Larespirationlaborieuse,jemesuislaisséetomberàgenoux.—Donne-moiuneminute,s’ilteplaît.—J’avaisoubliécombienl’imminencedelapremièretransformationdrainetouteslesforces.Iltenaittoujourslacordequimeliaitlesmainsetjemedemandaisi,entirantdessusdetoutesmes
forces,j’avaisunechancedelefairebasculerpar-dessuslafalaise.—Lucasesttonfrère,ai-jeremarqué.—Etalors?—Commentpeux-tuluifaireça?Ils’estaccroupidevantmoi.—Ilm’adéfié!Etilaprismaplacedechefdemeute.OK,peut-êtrequej’étaisunpeulimiteàce
moment-là,maisjevenaisdeperdreJenny.Ilsauraientpumefoutrelapaix.—Masonm’aditquesoncolocàlafac…—Oui,c’étaitmoi.C’étaitunpauvremôme, intellodebase, fascinéparsonpère.Quand ilm’a
parlédeBio-Chrome,jemesuisditquec’étaitledestin.—Situvoulaisaussidésespérémenttrouverunremède,pourquoinepasavoirdemandéàKeane
demenersesexpérimentationssurtoi?—Parcequejeneluifaisaispasassezconfiance.(Ilahaussélesépaules.)Etpuisj’étaisd’humeur
revancharde.(Ils’estrelevéetatirésurlacorde.)Onyva.Soudain,j’aientenduungrognementsourd.Ildevaityavoirunebonnecentainedeloupsdanscette
forêtetuncertainnombredeLycans.Maisavantmêmedemeretournerpourvoirlepelagefamilierdecouleursmélangées,jesavaisquec’étaitLucassoussaformedeloup,babinesretroussées.—Putain,Lucas,tuasretirélaballetoi-même?Tuveuxvraimentprouverquelquechose,hein?
Hélas, jen’aipasd’autreballeenargent.Tun’enreviendraispas,duprixqu’ellescoûtent. (Devlinm’abalancéeparterreetj’aiatterrilourdement.)Doncj’imaginequ’ilvafalloirréglerçaàlafaçondenotreespèce.
Delàoùjemetenais,jevoyaisleflancdeLucasquicontinuaitdesaigner.Mêmesilaballen’étaitplus à l’intérieur, j’ai compris que la blessure ne guérissait pas comme elle aurait dû, à cause del’argent.Ilétaitaffaibli,troppeut-êtrepour…Unt-shirtm’esttombésurlevisageetletempsquejem’endébarrasse,Devlinmétamorphosése
tenaitàcôtédemoisous l’apparenced’unloupnoir.Celui-làmêmequej’avaisvudans laforêt. IlétaitplusgrandqueLucasetsescrocssemblaientpluslongs,plusdangereux.Masonavaitditquelquechoseàproposdesyeuxquinechangeaientpas.Àprésent,jecomprenais
cequ’ilavaitvouludire.LesLycansconservaient leursyeuxhumains.JereconnaissaisLucasàsesyeuxargentésetjepercevaisladémencedanslesyeuxternesdeDevlin.
Ceseraitunelutteàmort,commecelaauraitdûl’êtrequandLucasavaitdéfiéDevlinpourlaplacedechefdemeute.LucasétaitaffaiblialorsqueDevlinétaitenpleine formeet sa foliedécuplait saforce.EtpuisLucasavaittoutàperdre,alorsqueDevlinavaitdéjàtoutperdu.CelafaisaitdeDevlinleplusdangereuxdesadversaires.Devlin avait toutes les chancesde son côté etmoi, je savais que je risquaisdeperdreLucas, de
perdrecequejevenaisjustedecomprendre.«Jet’aime.»J’avais à peine murmuré ces mots dans mon esprit. Mais cela avait suffi pour que Lucas les
entende.Ilavivementtournélatêteversmoi.Erreurtactique.AlorsqueDevlinseruaitsurLucas,jemesuisrenducomptequej’avaispeut-être
condamnéàmortLucas.
15
Avecungrognementdedéfi,LucasabondiversDevlin.Les crocs à nu, les deux frères se sont heurtés avec une sorte de rugissement. Leurs puissantes
mâchoiresclaquaientfurieusementetleursgriffeslabouraientleursépaissesfourrures.Ilsonttouchélesol,avantdecommenceràtourner,àpascomptés,enuncerclequiserétrécissait
toujoursplus.Chacunguettaituninstantdefaiblesse,unsignedevulnérabilité.Lucasattendait,etjesavaisqu’iltâchaitderassemblerlepeudeforcesqu’illuirestait.Devlinaplongéenavant,Lucasl’aesquivéd’unmouvementsurlecôtépuiss’estjetésursondos
etluiasauvagementmordul’épaule.Devlinaglapidedouleuretaussidesurprise.Ilnes’attendaitcertespasqueLucassemontreaussiagressif.Devlins’estdébattupoursedébarrasserdeLucas,quil’amordudenouveau.Après une roulade, ils se sont séparés et ont recommencé à tourner avant de se jeter l’un sur
l’autre.Encoreetencore.JevoyaislesforcesdeLucasl’abandonnerpeuàpeu.Jenelequittaispasdesyeux,cherchantquelquechosepour l’aidermaisconsciente,dansmondésarroi,qu’iln’yavaitrienàfaire.Unjourplustard,leschosesauraientpuêtredifférentes.J’auraispuluiêtreutile,aprèsmapremièretransformation.Maislà,Lucasdevaitcombattreseul.JesavaisaussiqueDevlinnemontreraitaucunepitié.S’ilenavait l’occasion, il l’attaqueraitàla
gorge.Ils continuaient à se battre. À force de roulades et d’écarts, ils se rapprochaient sans cesse
davantageduborddelafalaise.J’essayaisdefairetairemespenséesparcequejenevoulaispasqueLucassenteàquelpointj’étaisterrifiéepourlui.Ilétaithorsdequestionderéitérermonerreurenledistrayantdenouveau.Ilétaitdéjàpantelantetsonflancétaitmaculédesang.Jetrituraislet-shirtdeDevlinparcequeçamefaisaitquelquechoseàquoimeraccrocher.J’aijeté
unœilverslepantalonqu’ilavaitabandonnéetj’aivulepistolet.J’airampédanssadirectionetm’ensuissaisie.C’étaitdifficile,aveclesmainsattachées.Monpèreadoptifm’avaitemmenéem’entraînerdans sonclubde tir denombreuses fois, si bienque jemedébrouillaispasmal.Même si, jusqu’àprésent,jen’avaistiréquesurdesfeuillesdepapier.J’aimisDevlinen joue,maisLucasétaitdansma lignedemire.Est-cequec’était soncombat?
M’envoudrait-ilsijetuaissonfrère?Lesballesn’étaientpasenargent,doncjenerisquaispasdeletuer. Par contre, ça pourrait donner une chance à Lucas. Jeme suis déplacée à la recherche d’unmeilleurangle.DevlinabondidenouveauetLucasasautéàsarencontre.Ilssesontpercutésenl’airetleurélan
lesafaitpasserpar-dessusleborddelafalaise.Monhurlementaaccompagnéleurchute.Lepistoletinutiletoujoursenmain,jemesuisruéeverslegouffre.Devlin,àmi-pente,étaitempalé
surlabranchebassed’unarbre.Immobile,ilavaitreprissaformehumaine.J’enaidéduitqu’ilétaitmort.Moncœurbattaitdouloureusementdansmapoitrine.OùétaitLucas?Puisjel’aivu,encoresoussaformedeloup,entrainderemonterlapenteavecpeine.—Non!ai-jecrié.Redescends!J’arrive.Mais il a continué à grimper jusqu’à ce qu’ilm’ait rejointe. Il a trotté versmoi etm’a léché le
menton.J’aipassémesbrasautourde lui,enfouimonvisagedanssonpelageet jemesuismiseàpleurer.Unefoismacrisedesanglotsapaisée,jemesuisreculéepourregarderLucasdanssesbeauxyeux
d’argent,lesmêmespourleloupetpourl’homme.
—J’aieusipeur.C’étaittonfrère,jesais.Etjesaisaussiquetunevoulaispaslecombattre,maisilnet’apasdonnélechoix.Cen’estpastafautes’ilestmort.Il a rejeté la tête en arrière et poussé un hurlement. C’était le cri le plus triste que j’aie jamais
entendu.Quandleséchosdesapeineetdesadouleursesontéteints,ils’esteffondrédansmesbras.Jenesavaispasquoifaire,maissijen’arrêtaispasl’hémorragiedesonflanc,ilallaitmourir.
Sonhurlementn’avaitpasserviqu’àexprimersapeine.C’étaitaussiunappel.Dansl’heure,unedouzainedeloupsavaientdébarqué.J’étais parvenue à enrayer l’écoulement du sang avec le t-shirt deDevlin,mais Lucas était trop
lourdpourquejepuisseledéplacer,etilétaittropépuisépourlefaireseul.Ungrandloupnoirauxyeuxmarrons’estapprochéavecprécaution.Lucasalégèrementrelevéla
têteetj’aisentiqu’ilcommuniquaitaveclui.J’avaisaussimonidéesursonidentité:Rafe,quiétaitlelieutenant attitré deLucas.Puis le loupnoir est descendu le longde la falaise et a disparudans lagrotte.Ilaréapparuquelquesminutesplustard.Entre-temps,ilavaitréintégrésaformehumaineets’étaithabillé.Ilaalorsprisleschosesenmain.Nous avons ramené Lucas dans la grotte. Une fois bien installé et emmailloté sous toutes les
couverturesquenousavionstrouvées,ils’estànouveautransformé.Rafeaexaminélablessure.—Elleneguéritquetrèslentement,ondirait.—Oui,mais si je redeviens loup durant quelques heures, je guérirai assez pour ne pas être un
poidsmort.—Maisalorspourquoiavoirreprisformehumaine?ai-jedemandéenluitenantlamain.Ilm’aadresséunsourirefatigué.—Parcequejevoulaispouvoirteparler,êtrelàpourtoi.(Ilm’acaressélajoue.)Moi,jesaisce
quetupenses,maiscen’estpaslecaspourtoi,pasencoredumoins.J’auraisaiméqueRafeetConnorsortentdelagrottepourquejepuissem’allongercontreLucas.
Jenesouhaitaisqu’unechose,êtreseuleaveclui.—Jevaistebanderavecdelagazepourralentirlesaignement,aditRafe,puisilaajouté,avecun
regardaccusateur:Tuauraisdûnousappelerplustôt.Tun’avaispasàaffronterçatoutseul.—Tucroispasquetupourraislelâcherunpeu?ai-jedit.Ilasoncomptepouraujourd’hui.—Tuveuxqu’onramèneDevlinauvillage?ademandéConnor.Lucasahochédelatête.—Oui.Pournosparents.—Ons’enoccupe.RafeetConnorsontsortis.J’aitouchésescôtes,làoùlaballel’avaitatteint.—Jen’arrivepasàcroirequetul’aiesretiréetoi-même.—C’étaitrien.Aucunorganevitaln’étaittouché.Jesuismêmesurprisqu’ellenesoitpasressortie
d’elle-même.—Doncçavaguérir,maintenant?—Çavaprendretoute la journéeetfaireunmaldechien,maisd’icicesoir, jedevraisêtresur
pied.Justeàtempspourmasupposéetransformation.—Nousdevrionsdormir, tous lesdeux, a-t-il dit.Onadéjà traverséune rudeépreuve,mais ce
soir,çavaêtrecostaudaussi.Jeme suispenchéeet l’ai embrassé.Que jeme transformeoupas, j’avais craquépourLucas…
complètement.
Puisjemesuisredresséeetluiaisouri.Jemesuistournéepourenlevermeschaussuresetquandjeluiaifaitfacedenouveau,unloupétaitallongéàcôtédemoi.Jemesuislovéecontresonpelage.Dormirmesemblaittoutsimplementimpossible,sachantcequi
m’attendaitlesoir.Sansmêmem’enrendrecompte,j’aisombrédanslesommeil.
16
Jemesuisréveilléepeuavantlatombéedelanuit.Lucasdormaitencorequandjemesuisglisséehors de la grotte.C’était une de ces nuits bizarres où la lune et le soleil étaient visibles enmêmetemps.J’avaistoujourstrouvélaluneapaisante,maispascettefois-là.Ellemesemblaitmenaçanteetincarnaitunchangementquejen’étaispassûredevouloiraffronter.J’aijetéuncoupd’œilalentour:aucunsignedesloupsquinousavaientrejointsplustôt,toutefois
jedevinaisqu’ils étaient toujours là,qu’ilsmontaient lagarde. Ils savaientcequidevait avoir lieucettenuit-là.Jemedisaisquej’auraisdûmesentirdifférenteetaulieudeça,jem’inquiétaispourmaterminalesij’avaisunpetitcopainquiallaitàlafacdansunautreÉtat.Jepensaisauxfringues,auxchaussuresetauxnotes.Lestrucsdel’adotypique.Àpartquejenesavaispassijeseraisencoreuneadotypiqueàl’aube.J’aiperçulaprésencedeLucasavantdel’entendreoudelevoir.Ilavaitreprissaformehumaineet
se tenait debout à côté de moi. Même s’il était encore en train de récupérer de sa blessure, ilrayonnait.—Lesautressontencorelà?ai-jedemandé.—Oui.DevlinaditquelesKeaneétaientpartis,maisilspourraientréapparaîtrecettenuit.Orla
premièretransformationsepassebienmieuxs’iln’yapasd’élémentperturbateur.—Commenttutesens?—Passimalpourquelqu’unquis’estfaittirerdessus.Jemesuistellementhabituéàlaguérison
rapidedesLycansquejesupportemallalenteurdecelle-ci.Maisçaira.—Ilauraitputetuer.—Orilnel’apasfait,etmaintenantc’estsurtasurviequenousdevonsnousconcentrer.Soudain,maboucheétaitterriblementsèche.Àcetinstant,j’avaispresqueaussipeurquependantle
combat.—Situasraisonquantàcequidevraitsepassercettenuit,j’imaginequejeneseraiplusjamais
unefillenormale.Ilm’alancéunsouriretriste.—Tunel’asjamaisété,Kayla.J’aihochélatête.—Jesaisqueçavaparaîtredébile,cen’estpascommesionallaitsemarier,maisjemesenscrade
etj’aimeraisbienm’arrangerunpeu.—Pleindemecsamènentleurscopinesicipourleurpremièretransformation.Ilyauneboîteavec
untasdetrucsdenanasdedans.Jevaistemontrer.Etpuismoiaussi,j’aidespréparatifsàfaire.J’ai trouvétoutcedont j’avaisbesoindans lagrotte.C’étaitclair,d’autresfillesquemoiavaient
ressenti ce besoin d’être sur leur trente et un pour leur première transformation. Il y avait deséchantillonsde tout,commedans leshôtels.Enmemettant sous lapartie lapluscalmede lachuted’eau,jemesuisdouchéeetshampouinée.Puisjemesuispassédulaithydratantsurlecorps,mesuispeignéeetj’aiséchémescheveuxaveclesdoigts.Pendantuninstant,jemesuisdemandédequoimonpelageallaitavoirl’air,avantderéprimercettepensée.Jen’avaisguèreenviedepenseràcequiallaitbientôtsepasser.J’aimismeshabitsenbouleprèsdessacsdecouchagepourenfiler,surlesconseilsdeLucas,une
sortededrapquimepermettraitderestercouverte jusqu’àmatransformationcomplètesansgênermesmouvements.C’était une toile blanche aussi douce que de la soie, idéalement adaptée à une première
transformation. Je me suis enroulée dans ses grands plis qui m’épargnaient d’avoir à m’y
cramponner pour l’empêcher de tomber. Après plusieurs centaines d’années, je trouvais plutôtnormalquelesLycansaientaboutiàl’accessoirevestimentaireleplusadaptépourcemoment-là.J’étaismoinsassuréequeLucasàproposdel’imminencedematransformation.Maismêmesije
redoutaislamanièredontellesedéroulerait,j’étaisencorepluseffrayéeàl’idéequ’ellen’aitpaslieuetque,malgrésesaffirmations,jeperdeLucas.
Lucasetmoiavonsdînéauclairdelune.Nousétionsinstalléssuruntissunoirsemblableaublancquejeportais.C’étaittrèscertainementceluideLucasetjemesuisétonnéequ’ilnel’aitpasencoreenfilé.Bref,çadevaitsemble-t-ilfairepartied’unritueldontj’ignoraistout.Lucasm’a conseillé de bienmanger pour avoir des forces. J’ai avalé plusieurs sandwichs sous
plastiqueetdesbarresdecéréales.Ensirotantmabouteilled’eau,j’aiobservélalunemonterdansleciel.— Alors, après ma première transformation, je pourrai me métamorphoser à volonté ? ai-je
demandé,désireused’ensavoirlepluspossibleaucasoùelleauraitréellementlieu.Lucasétaitoccupéàfourrernosdéchetsdansundessacsàdos.L’environnementavanttout!Ila
levélesyeuxversmoi.—Oui.—Etalors,jefaiscomment?—Tun’arriveras pas à contrôler ta première transformation.Ton corps fera ce qu’il faut pour
apprendre à changer. Ensuite, quand tu seras prête à reprendre ta forme humaine, il te suffira defermerlesyeuxetdetevisualiserdanstoncorpshumain.Là,toncorpsprendralerelais.—Etsijen’yarrivepas?Sijerestecoincéeenloup?Çal’aamusé.—Jen’aijamaisentenduparlerdequelqu’unquiseraitrestécoincé.Sijamaistupaniques,dis-le-
moi.Etpuisn’oubliepasquejepourrailiretespensées…ettoilesmiennes.—Oncommuniquerapartélépathie?—Oui.—Çavamefairecarrémentbizarre…Etàquelleheuretoutçaest-ilcenséavoirlieu?Quandla
luneatteint-ellesonzénith?—Autourdeminuit.J’aihochélatête.—Ettoi,tufaisquoi?—Situveuxdemoi…—Attends,qu’est-cequetuveuxdireparlà?—Tudoism’acceptercommecompagnon.—Etcommentjem’yprends?—Enm’embrassant,a-t-ilditdoucement,unsourireàl’appui.Jeluiairendusonsourireavantderedevenirsérieuse,àlaperspectivedesévénementsimminents.—Doncc’estunrituelcombinanttransformationetaccouplement?Ilenarougi.—Çanevapasplusloinqu’unbaiser…àmoinsquelesdeuxpersonnesconcernéesenaientenvie
etsoientd’accord.—Tul’asdéjàfait?Jeveuxdire,enloup?Ilaexploséderire.Unrireprofond,sincère,unrirevéritablequejeneluiavaisjamaisentendu.
Çam’afaitbeaucoupdebienetm’apermisderelâcherunpeulatension.—T’asdecesquestions!a-t-ildit.—Quoi?Tuasbiendûypenser…
Ilm’asouri,l’airsagace.—Non,jenel’aijamaisfaitenloup.—Et,heu…Enhumain?Ilaattrapémamainetasecouélatête.—Lesloupschoisissentleurcompagnonpourlavie.J’aiavalémasalive.—Alors,c’estcommesi,heu,tum’avaisattendue?—Toutemavie.PasétonnantqueDevlinsoitdevenufou.Maisjen’avaispasenviedepenseràDevlinouàtoutce
queLucasdevaitgérerparrapportàcettehistoire.Ilfallaitquejem’ensortepourpouvoirl’aideràaffronter ça.Monpsy allait prendre sonpied au coursdenotreprochaine séance àmon retourdevacances.—Cetructoutdouxsurlequelonestassis,tuvasleporter?Ilahochélatête.—Ettuvasrestersoustaformehumainejusqu’àceque…—Nousallonschangerenmêmetemps.—Ettumeguideras?Unautrehochementdetête.—Écoute, ne leprendspasmal,mais j’ai besoind’aller faireun tour.Seule.Pourmepréparer
psychologiquement.—OK.J’auraisdûêtresoulagéequ’iln’essaiepasdediscuter.Etpuis,ilavaitbesoinderepos.Ilmerestait
encoreàpeuprèsdeuxheuresavantlezénith.Jemesuislevéeetj’aicommencéàmarcherlelongdelaclairière.Lecalmedelanuitmesurprenait.Jemeseraisattendueàunetempêteavecdutonnerre,deséclairs.
Commesilemondeavaitdûvibreràl’unissondel’oragequim’habitait.J’avaisditàLucasquejel’aimais.Illuirestaitencoreàmefairesadéclaration.Compagnonspourlavie…Lesmotsd’amourauraientdûluiveniraisément.Peut-êtrequ’aprèscettesoiréenouscommencerionsànousvoir,ànousfréquenterdefaçonplus
classique, pour permettre à la partie humaine de rattraper celle du loup. Même si ça me donnaitl’impressiondem’yprendreàl’envers.Detoutefaçon,jen’avaispaslechoix.J’aimarchéjusqu’àl’épuisement.Affrontetespeurs,avaitditleDrBrandon.Ah!Ilétaitloind’avoirlamoindreidéedespeursquim’assaillaient.Je me suis arrêtée à l’extrémité de la clairière pour y attendre l’heure fatidique. La lune était
maintenanthautedansleciel.Jel’avaistoujoursconsidéréecommeunastrepaisible.Etpourtant,elleavaitlepouvoirdechangerlesmaréesetcesoir,peut-êtremêmemavie.Lucass’estenfinlevéetm’arejointe.Mesjambes,faiblestoutàcoup,nemeportaientplus,jeme
suis appuyée avec soulagement contre le tronc d’un arbre. Arrivé près demoi, Lucas a posé sonavant-brascontrel’écorce,au-dessusdematête,commesiluiaussiavaitbesoindesoutien.Ilétaitsiprèsdemoiquejesentaislachaleurdesoncorpsirradierlemien.Uncorpsquej’avaisenlacésoussaformehumaineetsoussaformedeloup.Uncorpsquinemefaisaitpaspeur.Ilabaissélatête,sibienqueseslèvrestouchaientpresquelesmiennes.—Kayla,a-t-ilmurmuré,latiédeurdesonhaleinecaressantmajoue,c’estl’heure.Deslarmesmepiquaientlesyeux.J’aisecouélatête.Jenevoulaispasmetransformerenloup.—Jenesuispasprête.
J’aientenduungrognementsourd.Lucas,quil’avaitentenduluiaussi,s’estraidi.Ilareculéd’unpasetregardéderrièrelui.Lesloupsétaientrevenusetilsrôdaientmaintenantdanslaclairière.Lucasm’aregardéedenouveau,sesbeauxyeuxd’argentbrillantdedéception.—Danscecas,choisis-enunautre,tunepeuxaffrontercetteépreuveseule.Puisilm’atournéledosets’estrésolumentdirigéverslesloups.—Attends!luiai-jecrié.Maisilétaitdéjàtroptard.Ilacommencéàsedéshabillertoutenaccélérantlepas,s’estmisàcourir,afaitunbond…Etc’estunloupquiatouchélesol.Jen’avaisjamaisassistéàsamétamorphose.Jem’attendaisque
ce soit laid, commedans les films, son corps se rebellant contre la transformation.Au lieu de ça,c’étaitunesortedescintillementsoudain,puissantetbeau.Quelquechosede…naturel.Ilarejetélatêteenarrièreetahurléàlalune.Sonappelarésonnéenmoi.J’aivoulurésisterà
l’envie d’y répondre,mais l’animal au fond demoi était trop fort, trop déterminé pour se laisserdompter.J’aicouruvers lui.Sousmespiedsnus, l’herbeétaitdouceet fraîche. Ilavait faillimourirpour
moi,jepouvaisvivresansl’entendremedirequ’ilm’aimait,maisjenepouvaispasvivresanslui.Dansmacourse,j’airamasséletissunoirquej’aidrapéautourdeluienlerejoignant.—C’esttoiquejechoisis.Un nouveau scintillement, le temps d’une seconde, et Lucas se tenait devantmoi, drapé dans le
voilenoir.Jeluiaisouri.C’étaitunguerrier,unGardien.Qu’ilapparaissesousuneformehumaineousouscelled’unloup,c’étaittoujoursLucas.Unhommecourageuxqui,unanplustôt,avaitposélesyeux surmoi et avait su ceque j’avais si peurde reconnaître : quenous étions faits l’unpourl’autre.Monnomgravésursonépauleenétaitlapreuveindélébile.Ilaprismamainetm’aguidéejusqu’aucentredelaclairière.Enmeretournant,j’aidécouvertque
touslesloupsavaientdiscrètementquittéleslieux.Ilsn’avaientdoncétélàquepourm’offrird’autresoptions, pourme contraindre à choisir.Nous étions seuls de nouveau et j’en étais soulagée. Je nesouhaitaispasdepublicpourcequiallaitarriver.Lucas s’est arrêté etm’a enlacée. Puis il a attendu.Attenduque je l’accepte pour de bon, que je
l’embrasse.D’unecertainefaçon,cet instantétaitpresqueplusimportantquecequiallaitsuivre.Jemesuishausséesurlapointedespieds.Ilneluienfallaitpasplus.Ilaposéseslèvressurlesmiennes.Cebaiser,douxettendre,bienqu’ilressemblâtauxprécédents,neressemblaitenfaitàaucunautre.
Ilétaitsauvageetaffamé.En un clin d’œil – enfin, façon de parler, parce que j’avais fermé les yeux dès que ses lèvres
avaient touché lesmiennes–, nous étionspassésdu«Nous sommes amis et nous tâtons le terrainpourpeut-êtreautrechose»à«Noussommescompagnonspourlavie,nosdestinsmêlésàjamais».Affrontetespeurs,avaitditleDrBrandon.Maiscommentaffronterça?Commentaffrontertoutce
quejeressentaisdéjàpourlui,affronterl’idéeques’illuiarrivaitquelquechose,mavieseraitfinie?Compagnons.Destin.Pourtoujours.Lesmotstournaientenboucledansmatête.Biensûr,j’avaislechoix.Jepouvaisencorem’enaller.
Pourtant,moncœuretmonâmeresteraientlà,avecLucas.Aprèsunlongmoment,iladétachéseslèvresdesmiennesetm’aserréeplusfortencoredansses
bras. Puis son visage s’est frayé un chemin vers mon cou et il a inspiré profondément pours’imprégnerdemonodeur.Àmontourj’airespirélasienne,mâleetgrisante.Puisj’aiattendu.Attenduquelaluneatteignesonzénith,quemoncorpsrépondeàsonappel,qu’ilréagisseparune
douleurinsoutenable.
Auxpremièrescaressesdelaluneàsonzénith,mapeauacommencéàmepiquer.Nerveuse,jemesuisraidie.Àvoixbasse,Lucasacherchéàmerassurer.—Détends-toi,neluttepas.Maisresteavecmoi.J’ai senti comme des milliers de minuscules piqûres d’aiguilles sur et sous ma peau. L’odeur
lourde des boism’enveloppait et celle, si sexy, de Lucas,m’envahissait.Mon cœur battait à toutevitesse,jusqu’àmestempes.Mesorteilsserecroquevillaient,meschevillestressautaient…—Jet’aime,Kayla.J’airelevélatêtepourcroisersonregardd’argent.—Jenepouvaispasteledireavant.Avantquetumechoisisses.Jet’aime.Entermesdediversion,ilsavaityfaire.Etilm’aembrasséedenouveau.Unbaisermerveilleuxetterrifiant.Libérateuretpossessif.Unecolonnedefeuaremontémacolonnevertébrale.—Pasencore,m’aordonnéLucas.Resteavecmoi.Accroche-toiàmoi.Concentre-toisurmavoix.Ilm’aembrasséedanslecou.J’avaisdéjàeudefortesfièvres,avecdescrampesdanstoutlecorps,maisriendecomparableàça.
Moncorpsentierétaitcommesouspression.Çamontait,montaitencore…—Maintenant,amurmuréLucas.Laisse-toialler.Une explosion de blanc, un flash de couleur, suivis d’une déflagration silencieuse et pourtant
assourdissante.Puisànouveau,lesyeuxargentésdeLucasdevantmoi,plantésdanssonvisagedeloup.J’aibaissé
latêtepourregardermespattes,mesjambes.Etlepelagerouxquimerecouvrait.Çava?C’étaitLucasquimeposaitlaquestion,maissansutiliserdemots.Oui.Ilacaressémonmuseauaveclesien,puiss’estfrottéàmoncouetàmonépaule.Mêmeenloup,il
sentaitLucas,cetteodeurquiétaitsaquintessencesoussaformehumaine.Tuesbelle.Seulementenlouve?ai-jepensé,dansunaccèssubitdevanité.Toujours.C’estjusteplusfacileàpenserqu’àdire.Jenemesenspasdifférente.Cen’estqu’uneforme.J’avais envie de rire, après toute l’angoisse qui avait précédéma transformation. Ç’avait été si
facile!GrâceàlaprésencedeLucasàmescôtés,ç’avaitétédugâteau!Est-cequejevaisavoirdescourbaturesdemain?Unpeu.Etmaintenant,qu’est-cequ’onfait?Ons’amuse.Ettablessure?Elleestpresqueguérie.Ilm’apousséesurleflanc,doucement,justepourmeprovoquer.Nousavonsroulél’unsurl’autre
puis,remissurnospattes,nousavonsrecommencéànousbousculer.Attrape-moi, ai-je pensé juste avant de partir au trot à travers la clairière. Il m’a laissé un peu
d’avance.J’aiadorélasensationduventdansmafourrure.Maisjenepouvaispasledistancer.Ilm’arattrapéesanseffort.Alorsnoussommespartisensemble
galoperauclairdelune.
17
Cettenuit-là,j’aidormidanslesbrasdeLucas,emmitoufléedansletissublanc.J’avaisreprismaformehumainesanslamoindredifficulté.—C’estcommesitufaisaisçadepuistoujours,avait-ildit,unepointedefiertédanslavoix.Nousnoussommesembrassésetnousavonsparlélongtempsavantdenousendormir.Jemesuisréveilléelapremière.Lafaiblelumièrequipénétraitdanslacavernemepermettaitde
voirLucasquidormaitencore.Êtrelàaveclui,dormiràsescôtés,sitoutcelaétaitàcepointnaturel,c’étaitparcequej’étaislàoùjedevaisêtre.La veille, quand jem’étais changée en louve, tout ce que j’avais jamais été, tout ce que j’avais
jamaispensédeveniravaitchangé.Jen’étaispascellequej’avaiscruêtre,orcurieusement,jesavaisenfinvraimentquij’étais.Cespeursquimetiraillaient, je lesavaisenfin identifiées :c’était la louveenmoiquivoulaitse
révéler.J’avaissentiauplusprofonddemonêtrequ’unchangementétaitimminent,maisjen’avaispascompriscequec’étaitetn’avaispassuquoifaire.Ce matin-là, la peur avait disparu. Concernant mon passé et mon avenir. J’avais découvert ma
véritableidentitélaveilleetcettedécouverteavaitdissipétoutesmespeurs.Etpuisj’avaisLucas.J’étaiscellequ’ilavaittoujoursvoulue,toujoursattendue.Luiétaitaussitout
cequej’avaistoujoursvoulu.Leplussilencieusementpossible,jemesuislevéepourm’approcherdelacascade.Jemedemandaissimamèreavaitelleaussivécusapremièretransformationicimême.Monpère
l’avait-ilguidéecommeLucasl’avaitfaitpourmoi?J’essayaidemerappelersimonpèreportaituntatouagesurl’épaule.Maisj’étaissipetitequandilsétaientmortsqu’unefoulededétailsm’avaientéchappé.Enfin, jem’étais réconciliée avecmes souvenirsdu jouroù ils étaientmorts.La transformation
avait débloqué ma mémoire. Je me souvenais clairement de nos derniers moments ensemble. Ilsessayaientdem’expliquerceque j’étais, cequenousétions. Jemesouvenaisde leursyeuxemplisd’amourquandilsseregardaientoumeregardaient,moi.Aucunepeurdansceregard,carpoureuxlatransformationétaitunecélébrationdecequ’ilsétaient,decequenousétions.Obnubilésparl’idéedenepasm’effrayer,ilsn’avaientpasentenduleschasseurs.S’ilsnem’avaientpasmanquédepuislongtemps,àprésentilsmemanquaientterriblement.Sans l’avoirentenduapprocher, j’ai suqueLucasétait làavantqu’ilnepassesesbrasautourde
moietm’attirecontrelui.Messens,exacerbésdepuislatransformation,neluipermettaientplusdemejouerlesmêmestoursqu’avant.—Toutvabien?m’a-t-ildemandé.— Je pensais à mes parents. L’année dernière, je n’étais pas suffisamment prête pour aller à
l’endroitoùilssontmorts.(Jemesuistournéepourluifairefaceetplantermesyeuxdanslessiens.)Jepensequej’aibesoind’yaller,maisjenesaispasoùc’est.Ilareplacéunemècherebellederrièremonoreille.—Ilyaurabienquelqu’unàWolfordquipourranousledire.Tesparentsfaisaientpartiedenotre
communauté.Wolford: l’endroitqueLucasdéfendaitdesavie, lesanctuaire,unefoisl’an,deceuxquiétaient
commenous.J’ai acquiescé. Si j’avais eu du mal à y croire, avant, j’en étais maintenant convaincue.
Curieusement,lenœudaucreuxduventrequiaccompagnaittoujoursl’évocationdelamortdemesparentsavaitdisparu.Aprèstoutcetemps,j’étaisenfinprêteàaffrontermonpassé.
—Onfaitlarouteenloups?ai-jedemandé.—Oui,maisjevaisquandmêmeprendrelessacsàdospourqu’onaitquelquechoseàsemettreen
arrivant.— Très bonne idée. (J’ai froncé les sourcils.) Comment tu te débrouilles, d’ailleurs, pour les
habits?—Onadesplanquesunpeupartout.Ont’enferaàtoiaussi.Etpuissinon,tulaissetesfringuesà
unendroitoùtupeuxlesretrouver.Tut’yferas.
Letrajetjusqu’àWolfordnousaprisunjouretdemi.Jamaisjen’auraisputrouvercetendroitsansguide.Noussommesarrivésauvillageàlatombéedelanuit;letermedevillagenem’apassembléparticulièrementadapté.C’étaituneforteresse,entouréeparunehauteenceintequesurmontaientdespiquessournoisesen
ferforgé,oùveillaientdessentinelles.Pourtant,malgrésasingulièreapparence,elleparvenaitàsefondredanslepaysage,sibienquejenel’airemarquéequ’unefoisarrivéedevant.Lucas s’est approché du monumental portail pour entrer une longue suite de chiffres dans un
digicodedissimulésurlecôté:mélangedemoderneetd’ancien…Lelourdpanneaus’estlentementrelevé, et Lucas, qui m’avait pris la main, m’a conduite par un chemin de terre vers une grandestructure de pierre et de brique. Deux petits scottish-terriers ont déboulé en aboyant. Lucas s’estaccroupipourlescaresser.—C’estdesvraischiens?ai-jedemandé.Ilaexploséderire.—Biensûr.—Est-cequ’onpeutcommuniqueravecleschiens?—Oui.Tudis«assis»,«ici»,«vachercher».Jet’apprendrai,situveux.Enrigolant,jeluiaidonnéunetapesurlebras.—Trèsdrôle.Tum’aseue!—Plussérieusement,non,nousnepouvonspaslireleurspensées,a-t-ilditenserelevantpendant
quelespetitschiensgalopaientailleurs.Jenesuismêmepascertainqu’ilsenaient.—Ilvafalloirquej’arrêtedefantasmersurnoscapacités,j’imagine…—Peut-être,oui.Pendantqu’ilmerépondait,jeregardaiautourdemoi.—Bon,alors,c’estquoi,cedrôledevillage?—Ilyaencorequelquesconstructionsautour,maispasgrand-choseàpartcebâtimentprincipal.—Ondiraitunesortedemanoiroud’hôteldeluxe.—Ilsertàhébergerlesgensquiseréunissenticipourlesolsticed’été.SeulslesSagesyvivent
toute l’année.Etcommenoussommesencoreàquinze joursdusolstice, ilnedevraitpasencoreyavoirlafoule.—Pasdeproblème.J’yseraicommeunpoissondans l’eau.Ou,plutôt,commeun loupdanssa
tanière…Nous avons grimpé lesmarchesmonumentales quimenaient à la porte d’entrée que Lucasm’a
galammenttenueouverte.C’était ni plus ni moins gigantesque. Sur le côté du hall d’entrée, un magnifique escalier en
colimaçon s’enroulait jusqu’au premier étage. Une rangée de portraits à l’huile brillait sous lalumièrechatoyanted’unénormelustreencristal.Onseseraitcrudansunpalaceprincier.—Pasvraimentunecabanedanslesbois,hein?ai-jedit.Lucasrigolait.—Non,pasvraiment.
—Ettoi,tuvisdansuntrucdecegenre?—Moi,j’habitesurlecampus.—Ouais,ouais…Tuvoiscequejeveuxdire.Maquestionc’est:est-cequetuasgrandidansun
endroitquiressemblaitàça?—Non,dansunemaisontoutcequ’ilyadeplusnormal.J’avaisencoredumalàconsidérerquelesLycanspouvaientprétendreàlanormalité.—Lucas!Unevoixforteetprofondevenaitderésonner,précédantunhommeàl’épaissecheveluregrise.D’unseulcoup,Lucass’estassombri.—Papa.LepèredeLucas!Ilavaitl’air…Ehbien,pourêtrefranche,ilavaitl’aird’unpoliticien.Ilapris
Lucasdanssesbrasàlafaçond’ungrosours.Unefinepelliculedelarmesvoilaitsesyeux,argentéscommeceuxdeLucas.PuisilaécartéLucas,lesmainstoujoursfermementagrippéesauxbrasdesonfils.—JesuisdésolépourDevlin,aditLucas.Jen’aipaseulechoix.— C’est difficile, mais il y a longtemps que nous l’avions perdu. Bien que notre peine soit
immense,samortnousapporteaussiunecertainepaix.—Maman?—Ellecomprend.Ildevaitenêtreainsi.Devlinnousatrahisetils’esttrahilui-même.(Ilatapoté
l’épauledeLucasavecsagrossepatte.)Tuauraistortdet’envouloir.Lesparolesréconfortantesdesonpèrenechangeaientrienausentimentdeculpabilitéquiaccablait
Lucas.Commentaurait-ilpuenêtreautrement?Jen’auraispasputomberamoureusedequelqu’unquin’auraitpaseuderemordsdansunesituationpareille.Puissonpères’esttournéversmoi.—TudoisêtreKayla.—Oui,monsieur.UnfaiblesourireestapparusurlevisagedeM.Wilde.—Turessemblesàtamère.J’enaieulesoufflecoupé.—Vousl’avezconnue?—Oui.Ettonpèreaussi.Desgensbien.—J’aimeraisbeaucoupquevousmeparliezd’eux,àl’occasion.J’aisipeudesouvenirs.—Oui,onenparleraplustard.—Oh,Lucas!Unetrèsbellefemmed’âgemûrs’estprécipitéeversnousetaprisLucasdanssesbras.Deslarmes
roulaientsursesjoues.—JesaisquetuesunGardien,maisturestesmonpetitgarçonetj’aieusipeurpourtoi.—Maman,jesuisdésolé.—Chut.Tun’aspasàt’excuser.Tuasprêtélesermentdenousprotégercoûtequecoûte.Parfois,
leprixàpayerestélevé,maisnouslesavons.Ellel’aembrassédenouveauetj’aisentiqueLucassedétendaitunpeu.Ils’estdégagédesonétreintepourvenirmeprendreparlamainetmeconduireàelle.—Maman,voiciKayla.MmeWildem’asouri.—Bienvenueparminous.Deretouraubercail.—Merci,jesuisheureused’êtreici.
— C’est ici qu’est ta place. (Elle m’a prise dans ses bras pour m’embrasser.) Mais nousbavarderonsplustard.LesSagesvousattendent.Lucasetmoi,seulsdenouveau,avonstraversélegigantesquemanoirvibrantdel’échodenospas
jusqu’àuneporteencadréepardeuxstatuesdeloupsgrandeurnature.Lucass’estarrêtéets’esttournéversmoi.—C’estlasalleduConseil.SeulslesSagesetlesGardienspeuventyentrer.—Ilfautquejet’attendedehors?—C’esttoiquivois,Kayla.Tun’espasobligéededevenirGardienne,maissic’estcequetuveux,
j’appuieraitacandidature.Jetefaisuneconfianceaveugle.—Ilfaudraquejemebattepourêtreadmise?—Non,tudevrasseulementprêterlesermentdeserviretdeprotégernotrecommunauté.Jen’aipaspum’empêcherderire.—Quoi?m’ademandéLucas.—Tusaisquemonpèreadoptifestflic.Deplus, j’avaisl’intentiondem’inscrireendroitpénal.
Doncj’imaginequec’estplutôtdansmescordes.Parcontre,jen’aiaucuneformationenlamatière.—Ça,jem’encharge.Ilnedoutaitpasdemescapacitésetdèslors,moinonplus.—Danscecas,jesuisd’accord.Ilaalorsprismamainavantd’ouvrirlaportepournousfairepénétrerdansunesallegigantesque
oùtrônaitunemassivetableronde.—NemedispasqueleroiArthur…—Peut-êtrebien…Unesortedepetitcouinementm’afaitmeretourner.—Lindsey!mesuis-jeexclamée.Elleapassésesbrasautourdemoipourmeserrerfortcontreelle.—Jesuissicontentedetevoir.Danssondos,j’aiaperçuBrittany.—Tuauraisputoutmedire,tusais,Lindsey,ai-jedéclaré.Touscescoupsdefil,textosetautres
chatssurMessengerettunem’enasjamaisparlé?—Turisquaisdepaniqueretalors,vasavoircequiauraitpusepasser.—Brittanyettoi,vousêtesaussidesGardiennes?—Apprentiesseulement.Nousn’avonspasencoreaccomplinotrepremièretransformation.Maisà
laprochainepleinelune…(Elleasoupiré.)J’aihâted’yêtre.Uncouparésonnésurlatablepournousappelerànosplaces.Jemesuisinstalléesurunechaise
vide.Pasdedoute,ilsm’attendaient.IlétaittrèsfacilededistinguerlesGardiensdesSages.LesSagesétaient,ehbien,vieux,alorsque
lesGardiensétaienttousjeunesavecquelquechosedeguerrierdansleurattitude.UnSages’estlevé.Sonvisageétaittoutridéetsescheveuxblancsluitombaientauxépaules.—Est-ellel’unedesnôtres?—Oui,Grand-Père,ellel’est,aditLucas.Elleestaussimacompagneetjelasuivrailàoùelleira.J’étais un peu surprise que cet homme soit le grand-père de Lucas, mais enmême temps, cela
semblaitlogique:chefsdepèreenfils.Legrand-pèredeLucasahochélatêtecommepourdonnersonconsentement.Ilm’afixéedeses
yeuxargentclair.—Souhaites-tuprêterserment?—Oui.Ilacontournélatablepourseplacerdevantmoi.
—Àgenoux.Ça m’a semblé un peu archaïque, mais j’ai quand même mis un genou à terre. Lucas s’est
agenouilléàcôtédemoietm’aprislamain.—Tuessûrqu’onn’estpasentraindesemarier,là?ai-jemurmuré.—Oui,jesuissûr.— Jures-tu, Kayla Madison, de protéger nos secrets et d’écarter le mal et les dangers qui
pourraientnousmenacer?—Jelejure.—SoisdonclabienvenuedanslesrangsdesGardiensdel’Ombre,agravementconclulegrand-
pèredeLucas.Desapplaudissementsontrésonnédanslasalle,Lucasetmoinoussommesrelevés,puisLucasm’a
présentéeauxautresSages.LesprésentationssesontpoursuiviesaveclesGardiens.IlyavaitRafe,Connor, ainsi quequatregarçons et deux filles.Une fois l’apprentissagedeLindsey et deBrittanyachevé,nous serionsdouzeGardiens.Nousallions avoir amplement le tempsde lier connaissanceparlasuite.Aprèslesprésentations,nousnoussommestousrassisautourdelatable.Legrand-pèredeLucas,leSageWilde,adenouveauprislaparole.—C’estavecuneimmensetristessequ’ilnousfautaujourd’huifairefaceauxdégâtsoccasionnés
par laconduitedeDevlin.Lesscientifiquesqu’ila lancésànos troussesnevontpassedécourageraussifacilement.Nousdevonsnouspréparerauxdifficultésàvenir.Lucass’estlevé.—C’estengrandepartiemafautesinoussommesaujourd’huiconfrontésàdetellesdifficultéscar
j’aihésitéàtuermonfrèrequandj’auraisdûlefaire.J’aiconsciencequecelaentachelalégitimitédemapositionentantquechefdemeute,doncjesuisprêtàaffronterquiconquesouhaitemedéfierpourcetitre.—Quoi?Non!(Jem’étaisrelevéesivitequej’avaispresquerenversémachaise.)Siquelqu’unte
défie,ilfaudraqu’ilmepassed’abordsurlecorps.—Kayla…—Ceneseraitpasjuste.Pastantquetablessureneserapastoutàfaitguérie.Etpuisjenevoispas
pourquoituseraisresponsabledesméfaitsdeDevlin.Ilyaeuplusieursraclementsdegorge,quivoulaientcertainementdirequejen’avaispasrespecté
unesortedeprotocole,decode,quejeneconnaissaispas.—Ellearaison,aditleSageWilde.Etpuisjenecroispasquequiconquedésiretedéfier.LeSageavaitraison,personnen’adéfiéLucas.Ils ont continué à discuter pendant un moment. La majorité préférait une approche prudente,
attentiste.IlétaitpossiblequelesKeanebaissentlesbras,maisc’étaitunvainespoir,selonmoi.Enfin,onnousaautorisésàpartir.Plustard,aprèsledîner,nousnoussommesassis,Lucasetmoi,prèsd’unegigantesquecheminée,
faceàsesparents.—Tun’imaginespasàquelpointnousavonsétésoulagésquandtesparentsadoptifst’ontamenée
icil’annéedernière,m’adéclaréMmeWilde.Etpuis,quandLindseyettoiêtesdevenuesamies,nousnoussommesréjouis,certainsqu’ellearriveraitàteconvaincrederevenircetété.—Maispourquoinem’avoirrienditl’annéedernière?ai-jedemandé.C’estM.Wildequiarépondu.—Pourêtrehonnête,nousnesavionspasvraimentquoifaire.Tuesuncasunique,Kayla.Aucun
desnôtresn’ajamaisétéélevépardesétrangers.Desvisiteursquisetrouvaientdanslaforêtlejouroù tes parents ont été tués ont prévenu la police avant que nous puissions te récupérer. Tu as été
confiée aux autorités et malgré toutes nos recherches, nous n’avons pas pu te retrouver. Notreinfluenceaseslimites.Jen’osaisimaginercequiseseraitpassésijen’étaispasrevenueauparcl’étéprécédent.Mêmeen
yétantpréparée,mapremièretransformationavaitétéuneépreuve.Queserait-ilarrivésijen’avaisriensu?—Enparlantdemesparentsadoptifs,qu’est-cequejedoisfaire?Retourneràlamaisonetfaire
commesiderienn’était?—C’estcequetuveux?m’ademandéMmeWilde.Sinon,nouspourrionsleurparler,prétendre
êtretafamilleéloignéeetteprendreavecnous.J’aisecouélatête.—Ilsm’aiment.Jeneveuxpasleslaisseravantdepartiràlafac.Ceseraitinjusteenverseux.Je
veuxquecettedernièreannéeàleurscôtéssedéroulecommeilsl’avaientprévue.(Mamèreadoptiveavaitdéjàunefouled’idéespourfêtermonbac.J’étaisleurfille,aprèstout.)Maisilscomprendrontquejesoistombéeamoureusependantl’étéetquejeveuillealleràlamêmefacqueLucas.Deplus,ilvatefalloirleurconsentement.Lucasagrimacéàcetteidée.—Çadevraitaller,l’ai-jerassuré.Monpèreettoi,vousservezetprotégezvotrecommunauté.Ça
vousferaquelquechoseencommun.—Àpartquejenepeuxpasluidire.—Maisillesentira.Monpèreavaitundonpourjaugerlesgens.J’aidenouveautournémonattentionverslesparentsdeLucas.—Vousconnaissezl’endroitoùmesparentssontmorts?M.Wildeahochélatête.—J’expliqueraiàLucascommentvousyrendre.Avantdenouscoucher,Lucasetmoisommesallésnouspromener.L’enfermement,mêmedansun
endroitaussigrand,merendaitnerveuse.J’avaistoujoursaiméêtredehors,maisdepuispeu,c’étaitencoreplusimportantpourmoi,c’étaitcequimecorrespondait.—Tunetesenspastropsubmergée?m’ademandéLucas.—Non,tesparentssonttrèsgentils.Maisqueseserait-ilpassésiLindseyn’étaitpasarrivéeàme
convaincrederevenir?—Jeseraisvenutechercher,Kayla.Jemesuisserréecontrelui.—Jem’attendaisqueleschoseschangentàpartirdemondix-septièmeanniversaire,maispasàce
point.(J’ailevélesyeuxverslui.)Jenepensaispastrouverunpetitami.—Tuastrouvéplusqueça.(Ils’estarrêtéets’estcampédevantmoi.)Moncœur,monâme,ma
vie…Toutcelaestpourtoi.Deslarmesmepiquaientlesyeux.—Jet’aime,Lucas.Ilm’aprisedans sesbrasetembrassée.Commechaque fois, c’étaitmagnifiqueet tendre.Àson
image.Surlecheminduretour,ilm’ademandésij’étaisnerveuseausujetdulendemain,carnousavions
prévudenousrendrelàoùmesparentsavaienttrouvélamort,surlesindicationsdesonpère.—Oui,unpeu,ai-jeavoué.Etj’auraisaimépouvoirdormiravectoicettenuit.IlétaitprévuquejepartageunechambreavecLindseyetBrittany.Aprèstoutcequenousavions
traversé, il paraissait bizarre de ne pas dormir ensemble.Manifestement, sur ce point, les LycansétaientaussivieuxjeuquelesStatiques.
—LesGardiens sont là augrand complet à cause de l’incident avecMason et songroupe,m’aexpliquéLucas,mais nous repartons tous au parc demainmatin.D’autres groupes attendent d’êtreaccompagnés.Lanuitprochaine,toietmoidormironsàlabelleétoile.—Super!Maisonreviendraicipourlesolstice.—Oui,d’iciunequinzainedejours.—Qu’arrivera-t-ilsiMasonetlesautresdécouvrentlevillage?—Ons’occuperad’eux.Pendantquenousretournions lentementvers lemanoir, j’espéraide toutcœurque la journéedu
lendemainmeguériraitenfindemonpassé.
Le lendemainmatin,Lucas etmoi sommespartis avant l’aube aprèsnous être transforméspourallerplusvite.J’appréciaistoujoursdavantagelatransformation.Messensnecessaientdes’aiguiseretrestaientplusfinsmêmequandjereprenaismaformehumaine.Etj’étaisstupéfiéeparlafacilitéaveclaquellejepassaisd’humaineàlouveetinversement,grâceàunesimplepensée.Aprèsavoir couruuncertain tempsdans la forêt, j’ai su intuitivementquenousétionsarrivésà
destination.J’airalentilerythme,puisjemesuisarrêtée.Jerespiraisavecpeine,j’avaisconsciencequec’étaitàcausedustress.Cependantjen’avaispaspeurdecequejepourraisdécouvrir,parcequejeconnaissaisdéjàtous
lessecrets.C’étaitplusintense,voilà:mesparentsétaientmortsàcetendroit.Lucasa remarquéque jene le suivaisplus. Il est revenuenarrière, toujoursen loup,et a laissé
tomberlesacàdosdevantmoi.Ils’estéloigné,l’airderien,pourmepermettredemetransformeretdem’habiller.Puisjeluiailancélesacet,quelquesminutesplustard,ilm’arejointesoussaformehumaine,ent-shirtetenjean.—C’estparlà,a-t-ilditenmeprenantparlamain.—Jesais.—Tureconnaisquelquechose?s’est-ilétonné.Pasvraiment,maisleslieuxmeparaissentfamiliers.—Monpèrem’afaitunplan.Ilditquelesrapportsdepolicesurl’affairesonttrèsprécis.Nousnoussommesapprochésd’unroncieretj’aiétéprisedefrissons.Jesavaisquedepuisdouze
ans,leschosesauraientchangé,quedesarbresseraientmorts,d’autresauraientpoussé.Unélémentpourtantétaitdemeuréinchangé:unefalaisetapisséedeplantes.Je me suis agenouillée et j’ai écarté la végétation pour faire apparaître une petite caverne
dissimulée.Toutàcoup,desimagesm’ontassaillie.Secacher.«Soissage,Kayla.»Mesparents…Lesoufflecoupé,jemesuisvivementrelevéepourregarderautourdemoi.—Qu’est-cequisepasse,Kayla?m’ademandéLucas.— Jeme souviens,maintenant.Mes parentsm’avaient emmenée ici. Ils voulaient… (Jeme suis
laisséeglisseràterreetj’aicachémonvisagedansmesmains.)Ilssesonttransformés,ilsétaientsibeaux…Ensuite,onaentendudescris,deschasseursquiparlaientdeloups…Puisdescoupsdefeu.Assourdissants.Jeluttaispourmesouvenir.Lucass’estassisàcôtédemoietaposélamainsurmongenou.—Vas-ydoucement,m’a-t-ildit.—Mamèrem’apousséedanscettecachette,elleareprissaformehumaineets’esthabillée.Les
chasseursétaientivres.Ilscontinuaientàtirerdansladirectionoùilsavaientvudesloups.C’étaitlechaos.Jemesouviensd’avoirattenduensilence,terrifiée.Puisj’aientendudespas.C’étaitl’undeschasseurs.Ilm’atrouvéeetm’aemportée.J’imaginequejeneconnaîtraijamaistouteslesréponses.(JemesuisretournéepourregarderLucasenface.)Jecroisqu’ilsdésiraientmemontrercequenous
étions,pourquejen’aiepaspeur.Maisàcausedudrame,c’esttoutlecontrairequis’estpassé.Parcequejen’avaispascomprisdequoiilsrefusaientquej’aiepeur.—Tuasencorepeuraujourd’hui?—Non,maintenant,jet’ai,toi,ai-jeditenluicaressantlajoue.—Etpourtoujours.Lanuitvenue,nousavonsdressélecampprèsd’uneenfiladedepetitescascades.Deboutsousl’immensecielnoir,Lucasetmoicontemplionslesremousdel’eau.Jemesuislaissée
allerenarrièrepourappuyermondoscontresontorse.Ilm’aenlacéeetaenfouisonvisagedanslecreuxdemoncou.Ilétaitmoncompagnon.Pourtoujours.Ou,dumoins,pouraussilongtempsqu’ilnousresteraitunsouffledevie.J’ai levé la tête vers la lune. Elle décroissait déjà. Pour le solstice, il n’en resterait qu’un éclat
argenté.De nombreux dangers nous guettaient. Je sentais leur présence menaçante autour de nous. Le
momentvenu,j’allaislesaffronterauxcôtésdesGardiensdel’Ombre,carj’étaisl’uned’eux.Maispourl’instant,nousétionsensécurité.JemesuisretournéedanslesbrasdeLucas.Ilabaissésonvisageverslemienetm’aembrassée
passionnément. Son goût, son odeur m’ont confirmé que nous étions vivants. Voilà tout ce quicomptait!
L’auteur
RachelHawthorneestnéeenAngleterre,maisagrandiauTexas.Petite,ellerêvaitdéjàdedevenirécrivain,maiscen’estqu’aprèsdesétudesdepsychologie,quiluiserontd’unegrandeutilitépourlaconstructiondesespersonnages,qu’ellesetourneenfinversl’écriture.Elleareçudenombreuxprixetsesromanssontapparusplusieursfoisdansleslistesdebest-sellers.
Prologue
Lapleineluneestdevenuemonennemie.Abritéedansunecaverne,jemeprépareàvivrelanuitlaplusimportantedetoutemonexistence.Il
yaquelquesjoursquej’aifêtémesdix-septansetcesoirunepleineluneselèveradansleciel.Jemebaigneraialorsdanssalumièreetmoi,LindseyLancaster,jemetransformerai…Enloup.Je suis une Métamorphe, espèce qui possède depuis des milliers d’années la capacité de se
transformerenanimal.PourlesLycans,leclanauquelj’appartiens,c’estleloup.D’aussi loin que jeme rappelle, j’ai toujours impatiemment attendu cette fameuse nuit,mais au
coursdesdernières semaines, j’ai commencéàcraindre sonapproche,parcequemavieaprisuntourconfusetcompliqué.Mesémotionsetmessentimentssontdanstousleursétats.Moncœurmeconseilledansunsensetmatêtel’inverse.Connoretmoisommeslesmeilleursamisdumondedepuistoujours.Danslemondeextérieur,là
oùnousprétendonsnepaspossédercepouvoirextraordinaire,oùnousprétendonsêtredesStatiques(ceuxquisontdépourvusdelacapacitédesetransformer),nosfamillesrespectivessontinséparables.EtnosparentssontconvaincusqueConnoretmoisommesdestinésl’unàl’autre.Parfois,j’aipeurquenoussoyonstouslesdeuxprisonniersdurêvequ’ilsnourrissentpournous
aupointdel’avoirfaitnôtre.Unsoir,devantnosdeuxfamillesréunies,Connorm’adéclaréesienne.J’étaisfolledejoiedelesavoirsiéprisdemoi,parcequejecroyaisressentirlamêmechosepourlui.Nous avons organisé une grande fête et, comme le veut la tradition de notre clan, il s’est faittatouermonnom, sous formede runeceltique, sur l’épaulegauche, cérémoniequi constituenotreéquivalentdesfiançailles.Notredestinétaitscellé.PuisRafeestrevenuaprèssapremièreannéedefac,etj’aicommencéàm’intéresseràlui,cequi
nem’étaitjamaisarrivéauparavant.Quandilparle,savoixgravedevientparfoislégèrementrâpeuseetsisexy.Maisilneparlepasbeaucoup,saufs’ilaquelquechosed’importantàdire,cequidéclencheimmanquablement des fourmillements dans mes doigts de pieds. Ses yeux noirs me captivent etdéclenchentdestempêtesdansmoncœur.Etquandsonregardsauvageseportesurmeslèvres,j’aienviedemefondredanssesbraspourportermaboucheàlasiennedansunavant-goûtd’interdit.Ilaimevivredangereusementetrepoussertoutesleslimites.Ilestlegrandméchantloup,oserais-
jedire,pourfaireunmauvaisjeudemots.Salibertéradicaleéveilleenmoiunetentationàlaquellejen’aipasledroitdesuccomber.JesuisdestinéeàConnor.
De deux ans mon aîné, Connor a déjà vécu sa première transformation et, cette nuit, il vam’accompagnertoutaulongdelamienne.J’essaiedemeconcentrersurConnor,avecsescheveuxblonds, ses beaux yeux bleus et ce sourire en coin qui nemanque jamais deme faire rire. En cemomentmême, ilm’attend pour partager avecmoi la nuit la plus importante dema vie. Il vameguiderautraversdematransitionets’assurerquej’ysurvive.Cetteexpériencepartagéenousuniraprofondémentetàjamais.Dumoins,c’estlescénarioprévu.J’observemonrefletdans lemiroir.Mesyeux,généralementdecouleurnoisette,ont tendanceà
varierde teinteen fonctiondemonhumeur.Cesoir, ilsvirentunpeuvers lebleuetdégagentunetristesse déplacée quand au contraire ils devraient déborder d’excitation, un peu comme pour unpremierrendez-vous.Mes cheveux, blonds au point d’en être presque blancs, tombent librement sur le grand drap de
veloursblancquejeporteetlanervositém’envahitàl’idéeducontactimminentaveclesrayonsdelalune–etlesbrasdeConnor.Jemedétournedumiroiretm’avanceversl’entréedelagrottedissimuléederrièreunecascadequi
protègenotrerepairedelacuriositédeceuxquienignorentl’existence,etsurtoutnotreexistence.Jemeglissederrièrelerideauliquideetcontournelebassinoùlalunesereflèterabientôt.J’observeConnorquiattendpatiemmentmonarrivée.Enveloppédansunhabitnoir,ilmetendla
main.Seslongsdoigtsrassurantsserefermentsurlamienne,quisemblesoudaintropdélicateettropfragilepourcequiestsurlepointdecommencer.Commeconscientdemonappréhension,ilm’attireàlui.Soncontact,sifamilier,meréconforteimmédiatement.C’estluiqu’ilmefaut,ilestmonâmesœuretl’atoujoursété.Il se penche et ses lèvres effleurent ma bouche. Un instant, mon cœur cesse de battre devant
l’énormitédecequiseprépare.Maindanslamain,nousnousdirigeonsverslaclairière,verslalunequiattendetversunavenir
partagépourtoujours.Etjenepeuxqu’espérernepasavoirfaitlemauvaischoix.Sinon,jesuisentraindecommettrela
plusgrosseerreurdemavie.
1
Onditque les rêvesserventà révélernospeurscachéesetnosdésirssecrets,quiexigentparcebiaisqu’onleurprêteattention.Monrêvedelaveilleavaitétésiintensequesasimpleévocation,lelendemainsoir,enpleineséanceduConseil,mefaisaitencoretressaillir.Assisedosaumurdanslagrandesalle,j’assistaisàladiscussionentrelesSagesetlesGardiensdel’Ombre–ceuxd’entrenouschargés de protéger notre espèce – sur la meilleure façon d’assurer notre survie. Du fait que jen’avais pas encore vécu ma première transformation, je conservais un statut de novice quim’empêchait de siéger avec eux autour de la grande table ronde. Cette situation me convenaitparfaitementcarellemepermettaitdelaissermonespritdivaguersansquel’onpuissemereprochermoninattention.Dansmonrêve,jemetenaisdansuneclairièreavecConnor,officiellementmoncompagnonàvie,
et nous nous enlacions si fort que nous pouvions à peine respirer. Puis soudain de grands nuagesnoirs recouvraient la lune, notre seule source de lumière, et une profonde obscurité s’abattait surnous.SerréetoutcontreConnor,jeprenaisconsciencequesesmusclesetmêmesesoscommençaientà onduler sous sa peau. Il grandissait, s’élargissait. Sous mes doigts, ses cheveux se mettaient àpousseretàépaissir.Ilm’embrassait,maisseslèvresmesemblaientpluscharnuesqu’àl’accoutuméeet son baiser plus sauvage que tous ceux que nous avions partagés. Une vague de chaleur m’aparcouruedespiedsàlatête,etj’aieulasensationdecomprendrecequec’étaitd’êtreunechandellequi fond sous l’intensité d’une flamme. Je savais que j’aurais dûm’écarter,mais, au contraire, jem’accrochaisàluicommesijerisquaisdemenoyerdansunemerdedoutesijem’éloignais.Lesnuagesontdérivéetlalunenouséclairaitànouveau,saufquejenemetrouvaisplusdansles
bras de Connor. À la place, c’était contre le corps de Rafe que je me lovais, c’était lui quej’embrassais,sesmainsquimefaisaientfrémir…Jemesuismiseàremuerinconfortablementdansmachaiseausouvenirdel’intensitédemondésir
pourRafe. C’était enversConnor que j’étais supposée ressentir cet élan.Mais jem’étais réveilléeemmêléedansledésordredemesdraps,gémissantepouruneautrecaressedeRafe…Toujoursentraindegigoter,j’aisentiuncoudes’enfoncerentremescôtes.—Tiens-toitranquille,m’achuchotéBrittanyReedquiétaitassiseàcôtédemoi.Commemoi,elleétaitenpassed’avoirdix-septans,etsatransformationauraitlieuàlaprochaine
pleinelune.JeconnaissaisBrittanydepuis lamaternelle.Nousétionsamies,mais jenem’étais jamais sentie
aussiproched’ellequedeKayla,que jen’avaispourtant rencontréeque l’étéprécédent,quandsesparents adoptifs l’avaient ramenée dans notreParc pour qu’elle y affronte sonpassé.Notre amitié
avaitétéaussiimmédiatequeprofondeetnousavionspassél’annéesuivanteànousraconternosviespartéléphone,mailettexto.Elleavaitrécemmentdécouvertqu’elleétaitl’unedesnôtresetétaitdevenuelacompagnedeLucas
Wildeaucoursdeladernièrepleinelune.Avecsipeudetempspours’ypréparer,l’expérienceavaitdû être absolument terrifiante. Nous, les Lycans, ne pouvons pas contrôler notre premièretransformation.Quandlapleineluneselèvedansleciel,notrecorpsréagitàsonappel.MaisKaylaétaitàprésentassiseàlagrandetableaveclesautres.À l’occasiondu solsticed’été, le jour leplus longde l’année,nous aimons tousnous retrouver
pour fêter notre existence. Mais cette année-là, une menace planait sur le rassemblement qui sedéroulait,commechaqueannée,àWolford,unpetitvillageperdudansl’immenseParcNationalquiborde la frontière canadienne.De ce qui avait autrefois été une communauté vibrante de vie, il nerestaitquequelquespetitsbâtimentsannexeset lastructuremassivequiressemblaitàunmanoiroùhabitaient les Sages, responsables de notre petite communauté. Cemanoir faisait également officed’aubergepourlaplupartd’entrenous.Nousavonstoujoursvécudanslesecret.Mêmesinousnousmêlonsaurestedumonde,nousne
levons jamais le voile sur notre véritable nature. Peu de temps auparavant, nous avions cependantapprisquelefrèreaînédeLucasnousavaittrahisenrévélantnotreexistenceàdesscientifiquesd’unlaboratoirederecherchemédicaleappeléBio-Chromebiendécidésàcapturercertainsd’entrenouspour découvrir notre secret. Ils cherchaient à déposer un brevet autour de cette découverte ets’enrichirgrâceàelle.Maisnousnecomptionspaspasserlesgrandesvacancesàjouerlescobayessurleurtablededissection.Même si nous n’avions plus de nouvelles de Bio-Chrome depuis que Kayla et Lucas étaient
parvenus à échapper à leurs griffes, il aurait été illusoire de croire qu’ils avaient abandonné leurprojetaussifacilement.Nousétionstoussurlesdentsàl’idéed’unenouvelleconfrontationquenoussentions imminente, à la façon dont les animaux pressentent la tempête. La nature nous a rendussensiblesàlaprésencedudanger,raisonpourlaquellenousn’avonspassubilesortdesdinosaures.Brittanyavaitraison,ilfallaitquejerestecalme,quej’arrêtedepenseràcerêvetotalementfouet
que jemeconcentresur laconversation.Malheureusement,comme je laissaismesyeuxcourir surl’assistance,ilsontrencontréceuxdeRafe.L’intensitéaveclaquelleilmeregardaitm’afaitcraindrequ’ilnesoitaucourantàproposdemonrêve.Sonregardportaitunesortededéfi,mepressaitdenepasmedétourneretdeprendrelerisqued’êtresurpriseentraindelefixerquandj’auraisdûêtreentrainderéfléchiràunesolutioncontrelamenacedeBio-Chrome.Surlemoment,Rafem’asemblébienplusdangereuxpourmoiquen’importequelscientifiquenepourraitjamaisl’être.Je pouvais presque sentir le contact de son regard résolu sur ma peau. J’étais incapable de
détournerlesyeux,incapabledemepriverdel’intensitéducourantquipassaitentrenous.Jen’avaisjamaisrienexpérimentéd’aussipuissant.Toutacommencéàdevenirflouautourdemoi,lesmotsneme parvenaient plus que déformés, comme prononcés sous l’eau. Les battements de mon cœuraccéléraienttoutàcoup,puisralentissaientaussitôttantj’étaistroublée.J’avaisaussibienenviedemeleverpourallerversluiquedem’enfuirencourant.Rafeneparlaitpasbeaucoupaucoursdecesréunions.Mais,encoreunefois,iln’étaitpasdugenre
bavard. Ilassumait le rôlede lieutenantdeLucas,plusversédans l’actionque lesparoles.Commed’habitude, une ombre de barbe accentuait le côté sexy de son visage, autant que ses beaux yeuxmarron foncéet l’épaissechevelure lissede lacouleurd’unenuit sans lunequi lui tombait sur lesépaules.Quandilsetransformait,ilétaitsplendide…etfatal.L’étéprécédent,jel’avaisvuterrasserunpumaquil’avaitattaqué.Rafes’étaittransforméetj’avais
alorspuvoirdemesyeuxdequoiceuxdemonespècesontcapablesquandilssontmenacés.Nousdevenonsalorsagressifsetparfoismortels.
Mêmesoussonapparencehumaine,lapuissancequisommeillaitenRafemeterrifiait.Jenesavaispas pourquoi je n’avais que récemment commencé à m’intéresser à lui, pour employer uneuphémisme, parce que cinq secondes ne se passaient plus sans que je pense à lui. Jem’inquiétaisconstamment de savoir où il se trouvait et je débordais d’une curiosité envers lui que je n’avaisjamais éprouvée à propos d’aucun autre garçon, pasmêmeConnor. Je voulais connaître les filmsqu’il aimait, les livres qu’il lisait. J’avais envie d’écouter son iPod pour découvrir ses chansonspréférées.Mais,par-dessustout,jebrûlaisdesavoircequejeressentiraiss’ilm’enlaçaitcommedansmonrêveetcombiensesbaisersmeconsumeraient.—Plus que quinze jours à attendre et, nous aussi, nous jouerons dans la cour des grands,m’a
susurréBrittany,brisantlecharmequimemaintenaitprisonnièredesyeuxdeRafe.Avait-elleremarquéqu’ilaccaparaittoutemonattention?—Tun’aspaspeur?Vuquepersonnenes’estencoredéclarépourtoi…Lalégendeveutquelesfillesnesurviventpasàleurpremièretransformationsiellesl’affrontent
seules.Maisàpeinel’avais-jeprononcéequej’aiimmédiatementregrettécettephrase.BiensûrqueBrittanydevaitsefaireunsangd’encre,sansavoirbesoinquejeleluirappelle.Elle a pourtant simplement levé les yeux au ciel en secouant énergiquement la tête, balançant sa
longuetressecouleurcharbon.—C’estcomplètementvieux-jeu.Jenedevraispasavoiràattendrequ’untypesedécideàvenirme
voir.Jedevraispouvoirallerlevoir,moi.Onestquandmêmeauvingtetunièmesiècle!—Alorstuiraisvoirqui,sic’étaitautorisé?Elle a hésité, et, pendant un instant, j’ai cru qu’elle allait lâcher un nom. Elle s’est finalement
contentéedehausserlesépaules,commesiellen’étaitpasencoredécidée.—Pasquelqu’unchoisiparmesparentsàmaplace,entoutcas.Aïe !L’allusionà la façondontmesparentsetceuxdeConnoravaientencouragénotre relation
étaitplusqu’évidente.—CenesontpasmesparentsquiontchoisiConnor.—Regardeunpeu les choses en face.Lesvacances, les coursde sport, les anniversaires…Vos
parentsvousontfaitpassertoutvotretempsensembledepuisquevousêtesnés.Impossibledelenier.Connoravaitparticipéàtouslesmomentsimportantsdemavie.J’avaisdes
photosdenousdeuxàDisneyWorld,àHawaï,auski…Lalisteétaitlongue.Jenecomptaispluslesétéspassésànouséclaterlàoùnosparentsnousemmenaientenvacances.Jemesouvenaisaussidel’horrible sensation de solitude quand il avait commencé à travailler comme guide pour le ParcNationalaulieudevenirenvacancesavecmoi,l’annéedemesquinzeans.L’étésuivant,j’avaismoiaussirejointlegroupedesguidespouryassumerlerôledesherpa,quiconsisteàaccompagnerlescampeursdanslaforêtetàs’assurerqu’ilsnes’approchentpasdenosrepaires.—Ons’esttoujoursbienamusésensemble.Onest…compatibles.—Compatibles?Ondiraitquetuneparlespasdecequiconstituecertainementladécisionlaplus
importantedetoutetavie:lechoixdetoncompagnon.—Pourquoiest-cequetutesensobligéedemettremadécisionendoute?Cequiapourconséquencedemefairedouter,mesuis-jedit.Ouétait-ceàcausedurêve?—Parcequecen’estpasjusteenversConnor,situnel’aimespasvraiment.—Etenquoiçateregarde?Elle a pincé les lèvres.Cela faisait desmois qu’elleme harcelait à propos dema relation avec
Connor,insinuantqu’entantquepetiteamie,jen’étaispasàlahauteur.—OhmonDieu.Mais…tuesamoureusedelui?
[…]
Titreoriginal:Moonlight,aDarkGuardianNovel
Directeurdecollection:Xavierd’Almeida
Publiépourlapremièrefoisen2009parHarperTeen,NewYork.
Textcopyright©RachelHawthorne,2009.
Couverture:photos©VettaCollection/istocketPhotosani/Fotolia
© 2012, éditions Pocket Jeunesse, département d’Univers Poche, pour la traductionfrançaiseetlaprésenteédition.
ISBN978-2-266-22594-6
Cetteœuvreestprotégéeparledroitd’auteuretstrictementréservéeàl’usageprivéduclient.Toutereproductionoudiffusionauprofitdetiers,àtitregratuitouonéreux,detoutoupartiedecetteœuvre,eststrictementinterditeetconstitueunecontrefaçonprévuepar lesarticlesL335-2etsuivantsduCodede laPropriétéIntellectuelle.L’éditeurseréserve ledroitdepoursuivretouteatteinteàsesdroitsdepropriétéintellectuelledevantlesjuridictionscivilesoupénales
Loino49-956du16juillet1949surlespublicationsdestinéesàlajeunesse:mai2012.