Les Habits Noirs III - framabookin.org Habits Noirs III... · Le regard de Paul Labre, triste et chargé de rêverie, se tourna vers l’échappée qui montrait un coin du grand paysage

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    PAUL FVAL

    LES HABITS NOIRSTome III

    La Rue de Jrusalem

  • PAUL FVAL

    LES HABITS NOIRSTome III

    La Rue de Jrusalem

    1863-1875

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-0559-0

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    Sources : Bibliothque lectronique duQubec

    Ont contribu cette dition : Association de Promotion de lEcriture et de la

    Lecture

    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

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    http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/fr/

  • Envoi madame la R. de C

    C , , qui mavez fait connatre cette vivante minedanecdotes o jai puis les deux premires sries des HabitsNoirs. Cest vous encore qui mavez racont ltonnement desmaons dmolisseurs quand ils dcouvrirent, dans lpaisseur dune paroide la tour Tardieu, au coin de lancienne rue de Jrusalem, un trou deforme sinistre le moule dun homme.

    Jai essay de ne rien inventer dans cette histoire dont notre vieil amia rassembl les lments. Il et t facile de lui donner lunit dramatique,mais jaurais renonc lcrire, sil mavait fallu supprimer lpisode duroi Habit-Noir et de sa Maintenon--barbe.

    Veuillez accepter ce livre o vous trouverez tant demprunts faits nos causeries. et croyez mes respectueux sentiments daffection.

    P. F.

    n

    1

  • Premire partie

    Clampin dit Pistolet

    2

  • CHAPITRE I

    Meurtre dun chat

    C daspect misrable, mais assez spacieux, clairden haut par un tout petit carreau dormant que la poussirerendait presque opaque. Trois portes dlabres donnaient surce palier o lon arrivait par un escalier tournant, viss pic et dontlarbre mdial suait lhumidit. Les trois portes taient disposes semi-circulairement.

    droite et gauche de lescalier troit, il y avait en outre deux recoins,contenant quelques dbris de bois de dmolition, des mottes et des fagots.

    Le jour allait baissant. On entendait aux tages infrieurs qui taientau nombre de trois, y compris le rez-de-chausse, des bruits confus, odominaient les cliquetis de verres et dassiettes. Une violente odeur decabaret montait lescalier en spirale et navait point dissue.

    Sur le carr de ce dernier tage tout tait relativement silencieux. Parla porte de droite, sous laquelle il y avait une large fente, un murmurede discrte conversation sortait avec une bonne odeur de soupe frache.

    3

  • Les Habits Noirs III Chapitre I

    Derrire la porte du milieu, ctait un silence absolu. Ce quon entendaitderrire la porte de gauche naurait point pu tre dfini, et mme loreillela plus sre aurait hsit sur la question de savoir si le martlement p-riodique et sourd qui faisait vibrer la cage de lescalier venait de l ou deplus loin.

    Il semblait venir de l, mais ctait comme voil et comme affaibli parune large distance. Nanmoins, chaque coup, la cage de lescalier subis-sait une profonde secousse.

    Dans le recoin main gauche de lescalier, on ne voyait rien, sinonlamas confus des pauvres combustibles, jets l au hasard. Dans le recoinde gauche, un rayon ple, pntrant au travers des fagots, clairait unsuperbe chat de gouttire, pelotonn, commodment occup se lisser lepoil.

    La premire porte en montant gauche portait le n 7 et ctait saseule enseigne.

    La porte du milieu, outre son n 8, avait une carte colle laide dequatre pains cacheter et sur laquelle tait un nom, crit la plume :Paul Labre.

    La troisime porte, celle do semblait venir le bruit priodique et in-explicable, tait marque du n 9.

    En bas, un coucou sonna cinq heures ; il se fit un imperceptible mou-vement dans le recoin de gauche ; droite, le chat dressa loreille dans sonnid, derrire les fagots.

    La conversation devint plus distincte lintrieur de la chambre n 7et le bruit des voix qui causaient se rapprocha.

    La porte souvrit, laissant chapper cette franche odeur de soupe dontnous avons dj parl. La chambre tait grande et beaucoup plus vivementclaire que le carr. On y voyait une table ronde avec sa nappe mise,et, au fond, une chemine, entoure dustensiles de cuisine, pendus lamuraille. Un homme et une femme qui continuaient une conversationcommence se montrrent sur le seuil.

    La femme, qui ntait plus jeune, portait un costume douvrire fortpropre o se retrouvait je ne sais quel reflet dhabitudes et de gots cam-pagnards. Elle avait d tre trs belle, et lexpression de son visage inspi-rait la confiance. Il y avait en elle de la gravit et de la bont.

    4

  • Les Habits Noirs III Chapitre I

    Son compagnon tait un homme de trente-cinq quarante ans, petit,mais bien pris dans sa courte taille. Sa figure nergique avait quelquechose de dbonnaire et de mfiant la fois, comme il peut arriver pourles gens dont la fonction contrarie le caractre. Sa joue rase tait bleue debarbe, ses yeux trs noirs et abrits sous des sourcils touffus regardaientdroit, mais regardaient trop. Il avait le sourire honnte. Ses vtementstaient ceux dun petit-bourgeois.

    Comme a, dit la femme, aprs avoir interrog le palier du regardet en parlant trs bas, le gnral est Paris ? Ne me cachez rien, monsieurBadot, ajouta-t-elle en voyant que son compagnon hsitait. Vous savezbien que je ne suis pas bavarde.

    Je sais que vous tes la meilleure des bonnes, maman Soulas, r-pondit M. Badot, mais a brle, voyez-vous, et il y a l-dessous une ma-nigance faire dresser les cheveux ! Je sens Toulonnais-lAmiti unelieue la ronde, moi.

    M. Lecoq ! Les Habits Noirs ! murmuraThrse Soulas avec plus decuriosit encore que de crainte.

    Elle ajouta doucement : Mou ! mou ! mou ! Ce minet devient presque aussi mauvais sujet

    que M. Mgaigne. Viens, trsor !Badot lui tendit la main. tout lheure, dit-il. Je serai l pour le potage, six heures tapant

    Cest drle tout de mme que les dames ont gnralement des ides pourles mauvais sujets.

    Il y avait l-dedans un reproche. Thrse Soulas se mit rire bonne-ment et retint la main quon lui donnait.

    Savez-vous pour qui jai une ide ? murmura-t-elle, cest pour lepauvre grand garon qui est si ple. Jai jai eu une fille qui auraitpresque cet ge-l.

    Elle regardait dun air triste la porte du milieu, marque du n 8. Ah ! Ah ! rpliqua Badot avec bonne humeur, je ne suis pas jaloux

    de M. Paul ! Sil avait du got pour lclat, celui-l, il irait loin. Son affaireavec le gnral lavait plant du premier coupmais a se ronge de honteet de prjugs. vous revoir, madame Soulas ; je suis sur une piste, et jaiun diable dans le corps !

    5

  • Les Habits Noirs III Chapitre I

    Il descendit lentement lescalier. M Soulas resta un instant pensivesur le pas de sa porte.

    Le gnral ! se dit-elle. Ma fille est heureuse dans sa maison. Je saisquil laime autant que son autre fille. Cest singulier ; moi, je ne connaispas son autre enfant, et je laime presque autant que ma fille !

    Elle fit sa voix toute douce pour appeler encore : Mou, mou ! mou ! libertin ! mou ! mou !Mais lobstin matou se gobergeait sous ses fagots et faisait la sourde

    oreille.M Soulas rentra et referma sa porte. Pendant tout le temps quelle

    avait t sur le palier, le bruit rgulier et sourd avait cess dans la chambren 9. Aussitt que M Soulas eut disparu, le bruit recommena.

    Elle tait maintenant assise auprs de sa chemine, regardant fixe-ment une grande marmite de cuivre, o bouillait le pot-au-feu.

    Moi, pensait-elle, il ne sait plus que jexiste, et quimporte ? Je nelui ai jamais rien demand pour moi.

    Elle avait pris sous le revers de son fichu une petite bote quelle ou-vrit. La bote contenait le portrait dun fort beau cavalier portant le cos-tume de lancier et les insignes de chef descadron. Sous le portrait, onpouvait lire ces mots : Thrse.

    M Soulas le regarda. Il et t malais de traduire lmotion de sonsourire. Ce ntait en aucune faon de lamour.

    Ils disent que les rvolutions ont chang le monde, murmura-t-elle.Un homme beau, riche, puissant, passe dans un pauvre pays ; il trouve unefemme belle, il lui prend sa conscience et son repos : il sen va heureux,elle reste misrable. Quand mettront-ils autre chose la place de cela ?Ah ! jai eu bien de la tendresse et bien de la colre ! Mais je nai plus rien,sinon la pense de ma fille. Ysole est heureuse chez lui ; tout ce que jepourrais faire pour lui, je le ferais de bon cur.

    La marmite bouillait copieusement, jetant profusion ces effluves quioffensent les estomacs rassasis et ravissent jusqu lextase lhumble ap-ptit du pote.

    M Soulas se leva pour mettre en ordre le couvert : une demi-douzaine dassiettes dont chacune avait sa bouteille coiffe dune servietteen turban.

    6

  • Les Habits Noirs III Chapitre I

    Nous sommes ici dans une table dhte.On frappa : deux habitus entrrent. M. Mgaigne, le mauvais sujet,

    et M. Chopand, un homme rang.Il faut bien arriver vous le dire, depuis le commencement de ce rcit,

    vous navez encore vu que des agents de police. M Soulas tenait gargotepour messieurs les inspecteurs. Badot tait un inspecteur ; M. Mgaigne,ce brillant viveur, tait un inspecteur ; cest un inspecteur aussi que ceChopand, tournure de rentier, cur de comptable.

    Paul Labre lui-mme, linconnu, lunique brin dherbe par o nouspuissions nous rattraper la posie, hlas !

    Ce palier mystrieux appartenait une maison historique, dont nousvous ferons bientt la monographie. Nous sommes rue de Jrusalem, enplein cur de la sret publique. Les bruits et les parfums de cabaret quimontaient par lescalier vis appartenaient ltablissement du pre Boi-vin qui avait deux maisons et la tour du bord de leau, dite aussi la tourTardieu ou la tour du crime.

    La chambre n 9, do sortait ce bruit nigmatique qui se prolongeaitpatiemment et semblait venir de si loin, occupait prcisment le derniertage de la tour.

    M.Mgaigne avait un habit bleu boutons noirs. Ctait don Juan avecun arrire-got demploy des pompes funbres ; M. Chopand portait uneredingote demi-solde et peu de linge ; il tait petit, maigre, jaune-gris, rid sec et brillait surtout par son flegme et sa voix de basse-taille.

    Belle dame, dit Mgaigne, en saluant de son chapeau luisant, agitgracieusement deux pieds au-dessus de sa tte, jignore pourquoi vousdaignez vous intresser au gnral comte de Champmas, mais jai lavan-tage de vous annoncer quon la extrait duMont-Saint-Michel pour lame-ner Paris o il doit tmoigner dans une affaire de complot politique.

    O il tmoigne, rectifia Chopand. Laffaire se juge en ce momentmme.

    Le gnral a t bon pour ma famille, dit simplement M Soulas.Elle ajouta : Quest-ce que cest donc que cette fameuse histoire qui vous met

    tous en rumeur ?

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  • Les Habits Noirs III Chapitre I

    Bon ! scria Mgaigne, le Badot a parl ?Quel bavard ! Il ny a pasdaffaire. Ce nest quun mot qui na ni queue ni tte, et entendu par ungendarme, encore ! Les gendarmes entendent toujours de travers, cest lerglement.

    Chopand se mit rire. Entre gendarmes et inspecteurs la sainte amitine rgne pas.

    Pendant le voyage du Mont-Saint-Michel Paris, reprit Mgaigne, je ne sais plus quel relais, un homme a pu sapprocher du gnral, unhomme en blouse, et lui a dit quelque chose, dont le brave gendarme naattrap quun petit morceau. Gautron la craie jaune.

    Devine, devinaille ! interrompit Chopand. Voil tous les finauds dela sret en qute ! Gautron la craie jaune ! hein ! qu rbus !

    Gautron la craie jaune ! rpta M. Mgaigne en haussant lespaules. Est-ce une enseigne ?

    Ou une manire daccommoder Gautron ? risqua M. Chopand :comme qui dirait Gautron la pure ?

    Et l-dessus, poursuivit M. Mgaigne, voil mon Badot parti ! Ilveut toujours mieux faire que les autres ! Sa mouche, le petit Pistolet, quitue les chats et va-t-en ville, a rd toute la matine autour du Palais.Cherche ! moi, je dis : Gautron la craie jaune ou Gautron la sauceblanche, on en donne au gouvernement pour son argent, et cest bte degter le mtier. Pas de bile ! voil mon opinion.

    Quand six heures sonnrent, cinq convives sassirent autour de latable ; deux places restrent vides, celle de M. Badot et celle du voisindu n 8, Paul Labre, quon avait dj appel plusieurs fois.

    En ce moment, et quoique le jour et encore baiss sur le palier, onaurait pu voir quelque chose dinforme sagiter dans le recoin, droite delescalier ; dans le trou de gauche, le chat cessa de lustrer son museau etprit une attitude inquite.

    Quoi ! dit une voix de tnor aigu, trs enroue, je ne peux pas enfaire, moi, des matous, pas vrai ? Et M. Badot ne me donnera rien pouravoir entendu cogner ici prs ou plus loin, car du diable si je sais o onpioche. Il nest pas mont un seul minet et jai besoin de mes vingt sous :Mche, mon Andalouse, mattend Bobino avec toutes ces demoiselles ;faut que lamour de mamanThrse y passe ! Je me rangerai quelque jour,

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  • Les Habits Noirs III Chapitre I

    cest dit ; mais jusqu ce que je maie rang en grand, cest encore lgedu plaisir et de la folie !

    Une forme humaine, grle et dgingande, sortit lentement du noir.Aux lueurs qui tombaient du jour de souffrance, on aurait pu distinguerdes os pointus sous un bourgeron bleu dteint et une tte troite, coiffedune norme toison couleur de filasse.

    Cela fit un pas et stira. Ctait Clampin, dit Pistolet, jeune hommelibre, mais non sans profession, puisquil travaillait pour M. Badot, pourles gargotiers de la Cit et pour bien dautres.

    Le chat se renfona sous les fagots ; il sentait un ennemi.Pistolet, qui semblait marcher pieds nus, tant son pas tait muet,

    tourna la cage de lescalier. Il avait la main un tout petit crochet dechiffonnier, vritable joujou denfant quil avait d fabriquer lui-mmeavec un brin de fagot et un clou.

    Mou, mou, mou ! appela-t-il en contrefaisant bien doucement lavoix de M Soulas.

    Les fagots bruirent par leffort que faisait le matou pour pntrer plusavant sous le tas, reculons.

    Innocent, lui dit Pistolet, ne fais donc pas de manires : tu ne tenapercevras seulement pas. Et tu ne peux pas dire que je nai pas attendu.Maman Soulas a bon cur ; sil tait venu le moindre lapin de gouttireMais non, quoi ! Il y a des jours comme a.Quand on arrive tard Bobino,tu sais, cest la grle Bouge pas !

    Les yeux du matou luisaient comme deux charbons et indiquaientexactement la place de sa tte.

    Il y a de grands chasseurs, et presque tous les grands chasseurs sontun peu chirurgiens. Clampin, dit Pistolet, visa avec soin et piqua. Les deuxcharbons steignirent.

    L ! fit-il, ctait donc la mer boire !Ce dernier mot ntait pas encore prononc, quun grincement se fit

    entendre derrire la porte n 9. Depuis quelques secondes, le bruit dumar-tlement avait cess.

    Pistolet se laissa choir sur les fagots sans respect pour le cadavre tidede sa victime, et demeura immobile.

    La porte n 9 souvrit, et Pistolet vit quelque chose de singulier.

    9

  • Les Habits Noirs III Chapitre I

    Il faisait jour encore lintrieur de la chambre. La porte qui souvraiten dehors montra son revers. Elle tait double dun matelas.

    Pour quon nentende pas les coups de pioche, pensa Pistolet. Pasbte !

    Un homme de taille herculenne, que la lumire prenait rebours,se montra sur le seuil. Il couta et regarda. Puis il sortit et promena unmorceau de craie sur les planches de la porte.

    Il met son nom, pensa Pistolet. On va voir.Ce fut tout. Lhomme rentra et poussa le verrou de la porte en dedans,

    mais pour rentrer, il avait mis en lumire son profil perdu, et Pistolet mur-mura dun ton de surprise profonde, o il y avait bien quelque frayeur :

    M. Coyatier ! le marchef ! Mais voyons voir ltiquette quil a colle sur sa boutique ! ajouta-

    t-il.Une allumette chimique grina et fit feu. Pistolet lapprocha toute

    flambante de la porte du n 9 et put lire ce nom : Gautron.Ce nom tait trac avec de la craie jaune.

    n

    10

  • CHAPITRE II

    Un coin du vieux Paris

    C, P, souffla sur son allumette chimique et se mit rflchir. a doit tre crnement bon pour M. Badot, cette histoire-l,pensa-t-il.

    Le bruit sourd avait repris ; Pistolet savait maintenant pourquoi leschocs rpts de la pioche ou du marteau semblaient si lointains : il yavait le matelas.

    Pistolet pensa encore : Il ne faut pas plaisanter avec le marchef. Il a une manire pour tuer

    le monde comme moi pour les chats, sans les faire miauler ; mais quest-ce quil peut fabriquer coups de pic ? La maison tremble. Cest drlequon ne lentend pas ici dessous dans les cabinets de socit. Aprs a,on entend peut-tre ; quand ils montent. une machine, ceux-l, cest bienajust ! On aura mis des amis dans les cabinets.

    Il avait attach son petit crochet de chiffonnier un lambeau de bre-

    11

  • Les Habits Noirs III Chapitre II

    telle qui retenait son pantalon sous sa blouse ; ctait un engin de chassequi ne cotait point de port darmes.

    Pistolet, cependant, restait songeur.Quant me passer de Bobino, ce soir, et de Mche, mon Albanaise,

    bernique ! dit-il en prenant sous les fagots le cadavre de linfortunmatou.Jai mes vingt sous assurs sur la planche.

    Il tta le corps du dlit en connaisseur et ajouta : Vingt-cinq sous ! cest unmonument que ce bijou-l et tendre ! Au

    Lapin-Blanc ils le feront sauter pour les milords. Et il sera toujours bientemps de dire la chose M. Badot demain matin : la chose de M. Coyatieret du nom quil a marqu sur la porte matelasse. Cest un nomVoyons !Ah ! la mmoire ! Goudron Gautron ! Du diable si je suis capable degarder a jusqu demain.Me faudrait un portefeuille avec crayon. Jemencollerais un, sils ne cotaient pas quarante centimes, sans boire ni man-ger, ni rien payer Mche.

    Ces vtements du gamin de Paris, qui semblent si lmentaires, onttoujours un nombre suffisant de poches. Dans ces poches, il y a toutessortes de choses dont la vente ne produirait pas de quoi prendre lomni-bus. Pistolet fouilla ses poches pour trouver un lambeau de papier ; parhasard, le papier manquait, Pistolet chercha sur le carr ; pas le moindrechiffon.

    Javais pourtant mis la main sur une miette de charbon qui auraitfait un joli crayon, grommela-t-il ; tiens, je suis bte, la carte de M. Paulsennuie l, depuis le temps ; je vais la mener au spectacle.

    De son pas furtif, qui ne produisait aucun bruit, il sapprocha de laporte dumilieu et enleva la carte de Paul Labre, au dos de laquelle il crivit ttons ce nom de Gautron.

    Tranquille dsormais au sujet des tours que pourrait lui jouer sa m-moire, il dissimula le matou mort sous sa blouse et descendit lescalier.

    Lheure du plaisir avait sonn. Pistolet, libr de son bureau, allaitdans la rue tte haute et nez au vent.

    Quand il eut vendu minet au cours du jour lindustriel honorablequi devait en faire une gibelotte, Pistolet acheta pour deux sous de pain etdeux sous de couenne cuite la pole quil mangea en gagnant le thtredu Luxembourg. Sans appartenir la jeunesse dore, il avait quelque r-

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  • Les Habits Noirs III Chapitre II

    putation au contrle comme effront claqueur.Ma femme est-elle au paradis ? demanda-t-il : M Mche, sentend ?Sa femme tait au paradis. Il ymonta. Pendant toute la soire, il tonna

    la haute galerie par son faste, payant tour tour de la bire deux sous,de lorgeat amidonn, des pommes, de la galette et des noisettes.

    Il avait pourtant dans sa poche de quoi sauver la vie dun homme quiallait mourir, ce chevalier dguenill de M Mche. Mais il ntait pasencore rang et ne songeait quau plaisir.

    Aprs son dpart, le palier o le meurtre avait eu lieu tait rest d-sert. Chez M Soulas, on dnait bien paisiblement ; tout se taisait dans lamansarde de Paul Labre ; le bruit produit par le travail mystrieux qui sefaisait dans la chambre n 9 sentendait seul et plus distinctement.

    Dans la nuit presque complte du carr, un rayon vif se dessina tout coup en ventail, clairant la fois les deux recoins et la cage de lescaliertournant.

    Ctait la porte du milieu qui souvrait.Paul Labre se montra debout sur le seuil. Il couta.Le martlement sourd prit fin aussitt.Il parat que, malgr le matelas, dispos pour amortir le son, celui ou

    ceux qui travaillaient dans la chambre n 9 gardaient un moyen de savoirce qui se passait au-dehors.

    Un instant, la haute stature et la tte harmonieuse de Paul se dcou-prent en silhouette sur la baie cintre dune fentre qui souvrait au fondde sa chambre, juste en face de lentre. On ne pouvait distinguer sestraits parce que la lumire le frappait en plein dos et mettait son visage contre-jour, mais llgance flexible de sa taille et la puret de ses profilslaissaient deviner un homme trs jeune et trs beau.

    Manifestement, ctait le bruit du marteau qui lavait appel, car lesilence parut ltonner au plus haut point.

    Manifestement aussi, le bruit lavait arrach quelque occupation exi-geant du calme. Un pote a cette pose inquite, quand un son importunvient tout coup troubler son recueillement.

    Mais Paul Labre ntait pas un pote.Il jeta dabord un regard du ct de la chambre tranquille o les htes

    de M Soulas prenaient leur ordinaire ; ensuite, son il interrogea la

    13

  • Les Habits Noirs III Chapitre II

    porte du n 9 qui restait dans lombre, et o le nom trac la craie nap-paraissait point.

    Il murmura en se touchant le front : On nest plus soi-mme, ces heures. Je me croyais fort, mais jai

    la fivre, cest certain, puisque jentends des bruits qui nexistent pas.Il prta loreille encore, attentivement, et ajouta : Rien ! Jaurais jur quil y avait l des maons en train dabattre un

    pan de muraille. Ma tte dmnage.Il rentra.La chambre o nous pntrons avec lui tait petite et de forme irr-

    gulire. Dans un plan darchitecte, elle aurait eu lapparence dune demi-lune lgrement crase. La fentre lucarne tait au centre de larc decercle. Il ny avait point de chemine. Les deux angles taient ferms enpans coups par deux troites armoires dattache dont la section auraitfourni une sorte de triangle.

    La chambre tait meuble dun lit de sangles, de trois chaises, dunecommode et dun secrtaire. Les chaises taient bonnes et semblaient ve-nir dun jardin public ou dune glise, la commode tombait en ruine, lesecrtaire en cerisier, noirci par lge et les malheurs, avait nanmoins,parmi toute cette pauvret, une apparence luxueuse. La tablette reinteet soutenue par surcrot laide dune canne, plante debout, comme lescharretiers font pour empcher leurs tombereaux de basculer, supportaitquelques papiers, un petit verre liqueurs plein dencre et une plume.

    Un chapeau noir tait sur lune des chaises. Sur le pied du lit, il y avaitun pantalon noir assez neuf, un gilet noir et une redingote noire.

    La fentre basse, cintre et coiffe par lavance du toit qui sabaissaitcomme la visire dune casquette, donnait sur un grand jardin, au-delduquel diverses constructions monumentales se groupaient.

    Paul Labre, au lieu de se rasseoir devant la tablette du secrtaire quilvenait videmment de quitter, car lencre de la page commence brillaitencore, marcha dun pas incertain vers la fentre et regarda au-dehors.Outre ces corps de btiments qui bordaient le jardin sur la droite, onvoyait au fond une ligne de maisons rgulirement alignes et qui de-vaient former le revers dune rue tire au cordeau.

    Sur la gauche, le mur bordait le quai, laissant voir, de ltage o se

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  • Les Habits Noirs III Chapitre II

    trouvait Paul, une chappe de paysage parisien : la Seine et au-del, lequai des Augustins termin par la descente du Pont-Neuf, par-dessus le-quel la Monnaie se profilait au-devant de lInstitut.

    Unemaison assez haute et daspect svre laquelle sappuyait le murdu jardin coupait ici le tableau comme la ligne droite dun cadre.

    Nous en avons assez dit pour donner peu prs la situation topo-graphique de cette lucarne, clairant lindigent garni de Paul Labre. Ellesouvrait sur les derrires de la rue de Jrusalem, langle form par lequai des Orvres ; le jardin quon voyait au-dessous tait celui de la Pr-fecture, dont les btiments stendaient sur la droite, rejoignant la Sainte-Chapelle.

    La ligne des maisons rgulires tait le revers de la rue Harlay-du-Palais. La chambre de Paul Labre elle-mme tait lintrieur du tourjonaccol la fameuse tourelle qui faisait le coin de la rue de Jrusalem et duquai des Orvres : un des plus curieux du vieux Paris.

    Tout cela est mort. Vous ne sauriez plus voir la bizarre physionomiede ce lieu que dans la collection photographique, tire par ordre de M.Boittelle, et dont les meilleures preuves sont conserves par le savant ettrs obligeant archiviste de la Prfecture.

    En 1834, poque laquelle commence notre histoire, la tour, le tour-jon et la maison contigu, portant le n 3 de la rue de Jrusalem, taientpossds par le traiteur Boivin, nom qui nest pas sans quelque clbritparmi les sans-gne de la basse vie parisienne.

    Le pre Boivin, sans tre prcisment un archologue, se montrait trsfier de lantiquit de sa tour, ouvrage avanc des anciennes fortificationsdu palais.

    Il exhibait avec orgueil les traces dun boulet bourguignon qui avaitcorn sa muraille, il ne savait pas trop en quel sicle.

    Ce quil savait trs bien cest que Boileau-Despraux tait n dans lamaison voisine de la sienne : la maison du chanoine. Boileau, Boivin,disait-il, a rime !

    Il savait aussi que lenfance de Voltaire stait passe non loin de chezlui dans le btiment o est maintenant le bureau de limprimerie. Que depotes dans cette rue qui navait pas quinze toises de longueur !

    Il savait surtout que sa propre tour avait t habite par le lieutenant

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  • Les Habits Noirs III Chapitre II

    criminel Tardieu et sa femme, ces deux avares, illustrs par une satire dece mme Boileau ; quils y avaient t assassins et que la tte de linfor-tun magistrat avait pendu la petite fentre du premier tage, donnantsur le quai. On disait encore cause de cela : la Tour Tardieu ou la Tourdu crime.

    Mais Boivin naimait pas beaucoup ces gens qui, comme le lieutenantcriminel Tardieu, surveillent et gnent les bons drilles. Sil avait bu sonsac au lieu de lempailler, disait-il souvent, jamais on ne lui aurait fait duchagrin, mme du temps de la Saint-Barthlemy !

    Outre la maison du chanoine, oncle de Boileau, et lhtel des protec-teurs de Voltaire, Boivin avait autour de lui plusieurs choses dont il tiraitgloire : larcade de Jean Goujon, sa voisine, et surtout la Sainte-Chapelledonnaient, selon lui, bon air son tablissement. Il expliquait volontierscomme quoi le nom de la rue de Jrusalem et le nom de la rue de Naza-reth venaient des plerins qui avaient coutume de sassembler autour dela chapelle de saint Louis, en partant ou en revenant de la Terre-Sainte.Il ajoutait : a avait soif, ces fainants, rapport laridit du dsert ; ademandait rafrachir. En foi de quoi, ma buvette date de la croisade.

    Quant aux btiments de la Prfecture eux-mmes, Boivin ne les res-pectait pas.

    Ce sont des parvenus qui sortirent de terre aux environs de lan 1610.La maison Boivin tait un cabaret assez vaste et frquent, comme

    vous pouvez le penser, par des gens compltement trangers ltiquettedes cours. Sa principale clientle tait compose de ces hommes hardis etchevaleresques qui, ddaignant le travail manuel et les professions lib-rales, vivent de la protection quils accordent aux belles. Ils ne jouissentpas de lestime publique.

    ce fonds, hlas ! considrable, se joignaient quelques gendarmes,des inspecteurs, des garons de bureau, des pompiers et des rats de Palais,brlsdans les autres gargotes de la Cit.

    La tour, ou plutt les tours, reprsentaient la partie galante de lta-blissement.

    Jai le frisson en touchant cela. Vnus pudique, dans les petits ora-toires octogones qui formaient les divers tages de la tour principale, seserait voil la face jusquaux genoux.

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  • Les Habits Noirs III Chapitre II

    Nanmoins, il y venait des cuisinires de marchands dustensiles depche, pour frquenter des gendarmes en tout bien tout honneur.

    Dans ces botes on tenait aisment deux preux et deux demoiselles.Le pre Boivin, ce faiseur de mots, disait : En bourrant, on en met huit !Et a tient !

    Au 3 tage les cabinets sarrtaient. Les combles taient lous engarni.

    Le garni se composait en tout de trois chambres : celles de Paul Labre,celle de Thrse Soulas, qui couronnait la maison n 3, et celle de Gau-tron, la craie jaune , qui occupait le fate de la Tour Tardieu.

    Il nest pas inutile de noter quen 1834, la maison contigu la gargoteBoivin et marque du n 5 venait dtre loue par ladministration, qui yreconstituait le service de sret, aprs la destitution du fameux Vidocq.

    Le regard de Paul Labre, triste et charg de rverie, se tourna verslchappe qui montrait un coin du grand paysage de la Seine ; ainsiclair par les rayons du couchant, son visage sortait, mle et net commeun mdaillon de David, hors de lombre qui tait derrire lui. Ctait unjeune homme aux traits nobles et fiers. Dans lexpression de ses grandsyeux vous eussiez devin je ne sais quelle hardiesse vaincue et lclairteint dune gaiet qui ntait plus.

    Il avait d souffrir cruellement et longtemps, aprs avoir joui avecpassion de quelques jours heureux.

    Il tait trs ple. Son front, couronn de cheveux bruns, court bou-cls, avait de la distinction et aussi de lampleur. Les lignes de sa bouchefaisaient natre lide dune fermet douce, mais brise par le malheur.

    En somme, quiconque let remarqu, vtu quil tait dune blouse delaine grise, la fentre de ce misrable taudis, aurait pens quil navaitl ni son vrai costume, ni sa vraie place.

    Le mur du jardin, donnant sur le quai, confinait une srie de maisonsen retour, formant angle droit avec la cour du Harlay. Presque toutes cesmaisons existent encore, except la premire, la plus grande : celle qui,par consquent, masquait les autres en ce temps-l.

    Elle navait que deux tages, tous deux trs haut, surmonts de man-sardes semi-circulaires, perant un toit pic. Elle devait avoir t habitenoblement.

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  • Les Habits Noirs III Chapitre II

    chaque tage, une fentre balcon ouvrait sur le jardin.Ce jour-l, celle du premier tage sabritait derrire ses persiennes

    fermes, celle du second restait entrouverte.Un foulard de couleur rouge flottait au vent, nou lun des barreaux

    du balcon.Ce fut vers la fentre ferme du premier tage que le regard de Paul

    Labre sabaissa. Un sourire mlancolique vint ses lvres. Ysole ! murmura-t-il.Quy a-t-il donc dans un nom ? Je lai entrevue

    de loin ; den bas je lai adore. Elle va tre le dernier battement de moncur !

    Sa main sapprocha de ses lvres comme sil et voulu envoyer unbaiser.

    Mais sa main retomba. Ses yeux venaient de rencontrer le foulardrouge qui flottait comme un drapeau au balcon de ltage suprieur.

    Un clair de curiosit salluma dans son regard. Voil trois fois, murmura-t-il, trois fois que je remarque pareille

    chose. Est-ce un signal ?Il nacheva point ; sonil steignit, et ces quatre mots vinrent mourir

    sur ses lvres : Dsormais, que mimporte !

    n

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  • CHAPITRE III

    La mansarde

    P L chapper un grand soupir, et son dernier re-gard fut pour les persiennes closes derrire lesquelles tait sonrve.Il poussa les battants de la croise, qui, en se fermant, firent presque lanuit dans la mansarde. Il alluma une pauvre petite lampe bec qui taitsur la commode, et revint sasseoir devant la tablette du secrtaire.

    Non, ce ntait pas un pote. Du moins, il ne faisait pas de vers. Leslignes serres qui couvraient demi son papier taient gales et allaientjusquau bout de la page.

    Ysole ! rpta-t-il, comme si la musique de ce nom let charm.Heureuse fille ! charmant sourire ! Ma-t-elle jamais vu quand je marr-tais sur son chemin ? Elle doit tre bonne, jen suis sr, bonne commeles anges. Si javais gard le pauvre bien de mon pre, jaurais pu map-procher delle ; si jtais un mendiant, elle me ferait laumne Mais toutest bien. Si ma main avait seulement effleur la sienne, je naurais pas le

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  • Les Habits Noirs III Chapitre III

    courage de mourir !Un larifla, fla, fla, chant faux et en chur par des accents alsacien et

    marseillais runismonta des tages infrieurs. On dnait dans les cabinets.Quelques jurons auvergnats o chaque R valait un tour entier de crcelleponctuaient la mlodie. La cloison droite en entrant laissa passer troispetits coups frapps discrtement, et une voix douce cria :

    la soupe, monsieur Paul, sil vous plat ! La vtre est au chaud. M.Badot arrive.

    Paul Labre venait de tremper sa plume dans lencre. Je nai pas faim, ma bonne madame Soulas, rpondit-il. Dnez sans

    moi. Quest-ce que cest que toutes ces affaires-l ! gronda la bonne

    grosse voix de Badot ; ce chrubin-l me fait de la peine. Je parie quenous allons le voir malade !

    Allons, monsieur Paul, reprit M Soulas, un peu de courage ! Voussavez bien que lapptit vient en mangeant.

    La plume de Paul courait dj sur le papier.Nous avons dit la cloison en parlant du mur qui sparait Paul

    Labre de ses interlocuteurs. Ctait, en effet, cause de la conformationdes lieux, un simple pan de briques, poses debout et fermant le ct droitde la chambre, partir de lendroit o la courbe cessait.

    Au contraire, le pan oppos, lgrement renfl, avait toute lpaisseurdes pierres de taille, btissant la tour du coin.

    Cependant, au moment o Paul Labre commenait crire, ce bruitsourd et continu que nous avons entendu tant de fois et qui dj lavaitarrach son travail se fit our de nouveau.

    Il semblait que des mineurs fussent occups pratiquer une sape delautre ct de la muraille, massive comme un rempart.

    La plume de Paul resta un instant suspendue. Il couta. Puis il mur-mura, comme il avait fait pour le foulard rouge :

    Que mimporte dsormais ?Et il se reprit crire.Dans la chambre o tait M Soulas on continuait de causer tran-

    quillement, et lon causait de Paul, car son nom prononc revenait chaque instant. Mais il nentendait plus. Sa plume allait et traait la suite

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  • Les Habits Noirs III Chapitre III

    dune longue lettre.Ce quil crivait tait ainsi : Jarrive laveu terrible et que je ne pouvais te faire quau dernier

    moment. Ce M. Charles, chez qui M. Lecoq mavait plac, sappelait Vde son vritable nom. Je lignorais.

    Tu as bon cur, Jean, tu naccuseras pas notre mre qui avait solli-cit elle-mme lappui de ce Lecoq, dont je tai dj parl, dont je te par-lerai encore. La misre tait dans la maison, la vraie misre, et ma mrecontinuait de jouer toujours.

    Ctait pour moi quelle tentait ainsi la fortune ; elle maimait bien. Tu ntais plus l, toi qui laurais guide. Mais je tai dit ces choses

    vingt fois dj : ma mre tait sans ressources, malade, et son tat mentalmpouvantait. Pour lui donner, moi, son dernier morceau de pain, javaisaccompli un sacrifice dont la terrible porte mtait tout fait inconnue.

    Bientt, je vous mettrai lpreuve. Ce soir-l, qui dcida dema vie et demamort, le chef de la 2 division

    de la prfecture vint voir M. V dans son cabinet. Il lui donna un ordre,et M. V qui obissait quand il voulait, rpondit :

    Moi, je ne me charge pas de cela ; je suis pour les voleurs. Dans lapolitique, on attrape des coups de pistolet, et je naime pas a. Mais jaiun petit bonhomme qui a le diable au corps : un vrai casse-cou !

    Va pour le petit bonhomme, rpliqua le fonctionnaire, pourvu quele gnral soit arrt ce soir, sans bruit et proprement.

    Le petit bonhomme, ctait moi. Notre mre croyait, elle la cru jusqu sa dernire heure, que javais

    un petit emploi dans un bureau de commerce. Et Dieu sait que javais fait de mon mieux pour me placer ! Mais

    je savais tout ce quon apprend aux enfants riches ; jignorais, jignoreencore tout ce quil faut connatre pour gagner honntement sa vie.

    Notre pauvre mre se croyait toujours sur le point de faire une im-mense fortune. La fivre lui donnait des rves ; la nuit, elle parlait touthaut ; elle disait souvent :

    Voil quarante-sept tirages que je nourris ce quaterne ! Il sortira.Dieu nest pas mchant : pourquoi nexaucerait-il pas un jour ou lautremes neuvaines ? M. Lecoq sait tout et voit tout ; il guette pour moi une

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  • Les Habits Noirs III Chapitre III

    hausse sur les fonds espagnols, et si javais eu le capital ncessaire pourpousser bout sa grande martingale, nous roulerions sur lor !

    Ctait moi quelle disait tout cela dun ton persuasif et doux,comme si elle et rpondu des reproches que jamais, Dieu merci, jene lui ai adresss.

    Le jeu ntait plus pour elle une passion, mais bien sa vie mme. Ilny avait plus rien en elle que le jeu et la tendresse profonde dont ellementourait ; mais cette tendresse elle-mme, gare et empoisonne parsa manie, la sollicitait jouer.

    son sens, jtais fait pour tre un grand seigneur ; elle madmiraitpar la pense dans mon rle dhomme puissamment riche : cavalier ac-compli, homme du monde blouissant, chasseur sans rival, que sais-je ?Elle ma dit une fois : Ma premire vraie larme fut quand on remit desparements neufs ton habit du dernier hiver. Cest l que je vis toutelhorreur de notre misre !

    Manger du pain sec ntait rien. Mais navoir pas un habit irrpro-chable et la mode exacte du moment, moi le futur matre des salonsparisiens !

    Je ne sais pas pourquoi je te dis cela, Jean, mon frre. Jtais bienenfant quand tu quittas la France.Quand jappelle ton souvenir, je vois ungrand jeune homme souriant et hardi, avec des cheveux chtains boucls.Cest tout. Les traits de ton visage mchappent, et je ne tai retrouvparfois quen me regardant dans une glace aux heures si rares de mesgaiets dadolescent.

    Je voulais tcrire seulement quelques lignes : un testament, pour tedire avec une brve franchise comment jai vcu et pourquoi je meurs.

    Et voil dj de longues pages ! Je ne crois pas que ce soit frayeur du grand moment : je ne cherche

    pas un prtexte pour retarder lheure. Non. Notre pre tait un soldat ;notre mre est morte en souriant ; nous sommes braves.

    Jai prouv que jtais brave. Mais je ressens un indicible plaisir causer ainsi avec toi, mon frre,

    la dernire goutte de sang vivant qui reste de notre famille, mon uniqueami, mon seul parent.

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  • Les Habits Noirs III Chapitre III

    Et quimporte une heure de plus ou de moins, puisque ce sera ladernire ?

    Jen tais te dire comme quoi M. Charles me proposa au chef de ladeuxime division pour arrter le gnral comte de Champmas, conspi-rateur despce particulire qui voulait runir en un seul corps de batailleles rpublicains, les carlistes et les bonapartistes. Paris ne parlait que debarricades, les pavs de la rue Saint-Merri ntaient pas encore remis enplace ; il y avait dans toutes les classes sociales une bruyante et ardentefermentation. Le pouvoir comptait peu damis.

    Quest-ce que cest que ce petit bonhomme ? demanda le fonction-naire.

    Un gentilhomme ruin, rpondit M. V, le jeune Labre un petitlion !

    Qui lui donnerez-vous pour le soutenir ? Personne. Et que fera-t-on pour lui, sil russit, comme nous le voulons, sans

    scandale et sans bruit ? Rien. Cest un instrument, ni plus ni moins, rpliquaM. VQuand

    je prte un instrument, je veux bien quon sen serve, mais je ne veux pasquon me le gte.

    Cette conversation ma t rpte textuellement par le gnral quejallai voir dans sa prison, et dont je suis devenu lami. Cela mtonne,car tu sais dj que je larrtai et quil est encore prisonnier cette heure.Sois tranquille : je meurs homme de cur et dhonneur.

    Il y avait juste cinq mois que M. V, ou M. Charles, me comptaitdeux louis par semaine pour ne rien faire. Je lavais vu rarement.

    M. Lecoq, qui mavait adress lui, et qui a exerc une si grande in-fluence sur la destine de ma mre, mtait totalement inconnu. Notremre tait mystrieusede caractre, et je crois quelle avait vaguementconscience de ce fait que M. Lecoq tait lauteur de sa ruine, mais ellese confiait lui tout de mme. Seulement, elle avait honte.

    Pour moi, M. Lecoq et M. Charles taient deux hommes daf-faires , tenant chacun une agence de renseignements pour le commerce.

    Il mest venu lide, depuis, que M. Lecoq et M. V taient peut-tre le mme homme.

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  • Les Habits Noirs III Chapitre III

    Je naurai pas le temps de vrifier ce soupon. M. Vme dit son nom, ce soir-l, et jeus froid jusque dans la moelle

    de mes os. Tout ignorant que jtais, javais dix-neuf ans, et les petitsenfants, Paris, savent quel est le mtier de M. V

    Il me fit appeler dix heures du soir. Il avait un habit de bal, une cravate blanche et plusieurs crachats

    dordres trangers. Cette splendide toilette avait t faite mon inten-tion. La question de savoir comment je le jugerais au lendemain de cettemascarade lui importait peu ; il voulait mblouir, ce soir, et il mblouit.

    Jai t agent de police, mon frre, et cest pour cela que je me tue.Je tai promis de te raconter lacte unique, accompli par moi dans cesfonctions douloureuses et taxes dinfamie. Jhsite.

    La mort de notre mre ma dcharg du devoir de vivre. La vue dYsole ma enseign la honte et le dsespoir. Jai compris

    quil fallait mourir seulement lorsque le souffle damour a veill moncur.

    Je me suis demand : Puis-je tre aim ? Ma raison a rpondu : Non,cest impossible.

    Mon parti a t pris. Ysole ne saura jamais que le rve dun malheureux tel que moi a

    outrag sa noble et souriante jeunesse. Jhsite. Jai peur que tu ne me comprennes point. Au premier as-

    pect, le plan de M. V pour mamener ses fins doit paratre puril etabsurde. Il ltait en effet. Cet homme vritablement habile, ce jugeur deconsciences avait choisi une voie absurde parce que je ne savais rien dumonde, et purile, parce que jtais un enfant.

    Il me dit : Ici Paul Labre crivit successivement une douzaine de mots quil raya

    tour tour.Quelque chose larrtait dans son rcit qui tait une plaidoirie.Il sentait la vrit si invraisemblable quil nosait lexprimer.

    Tous ceux qui ont crit non pas seulement des livres, mais des lettresimportantes, savent cela.

    Tant que la plume court, il est facile disoler sa pense.Aussitt que la plume sarrte, la voix des choses extrieures est de

    nouveau entendue et redouble ses importunits.

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  • Les Habits Noirs III Chapitre III

    Le bruit dumarteau de dmolisseur revint aux oreilles de Paul et sem-para de lui tyranniquement. Il lui parut que la vieille masure tremblaitsous ces chocs rpts.

    Dans ce pauvre monde o vivait Paul, dans ce cercle troit dhumblesconnaissances qui lempchait dtre tout fait solitaire, on racontait sou-vent dtranges et lugubres drames. La posie de ces couches sociales nestpas gaie, et les lgendes du coin du feu, l-bas, ont presque toujours odeurde sang.

    La proximit de la Prfecture de police ntait pas, comme on pour-rait le croire, un motif de scurit. Les Anglais, qui sont ports par tem-prament vers le calcul des probables et le travail de dduction ont, lespremiers, dcouvert que le crime, dans son ternel jeu de cache-cache,aime se rapprocher du regard qui lobserve. Au moral et au physique,on ne voit pas bien de trop prs. Lil de lesprit et lil du corps ont leurpointcomme les lorgnettes.

    Les environs immdiats de la prfecture, Paris, comme ceux dumetropolitan-police, Londres, ne jouissent pas dune bonne rputation.

    Il y a des courants pour les sinistres vogues aussi bien que pour lessuccs dart. Au temps dont nous parlons, la monstruosit la mode taitlemmurementde la rue Pierre Lescot, o unmalheureux provincial venaitdtre maonn derrire les lambris dune Cythre de bas tage.

    Le mot se disait : emmur . La chose, renouvele du Moyen ge,effrayait et divertissait les imaginations, avides de brutal moi.

    Paul Labre se prit couter.Lide dun homme emmurdans les paisses parois de la tour voisine

    naquit en lui, malgr lui.Aussitt ne, cette ide sempara de son cerveau. Il se leva et courut

    vers la porte du carr quil ouvrit pour la seconde fois. Sur le carr, lesbruits de la gargote montaient par lescalier en colimaon comme dansun entonnoir acoustique. Les cabinets particuliers de tous les tages en-voyaient leur contingent de fracas confus, mls de vhmentes odeursde victuaille. Les couteaux et les fourchettes grinaient, les assiettes cla-quaient, les dames glapissaient ou hurlaient, les hommes riaient ou ju-raient : par-dessus le tout, des chants rauques clataient. LtablissementBoivin allait bien. Ctait lheure.

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  • Les Habits Noirs III Chapitre III

    Impossible dentendre autre chose que ltablissement Boivin.Paul Labre jeta un regard la porte de droite : la porte de la tour.

    Elle ne laissait rien deviner. Tout semblait calme au-del de ce seuil, ose dressait une mince raie lumineuse.

    Il rentra. Ds quil fut dans sa chambre et que la porte en fut close, lebruit du marteau recommena. Paul se dirigea vers la croise.

    En louvrant, sa main tremblait.Comme il mettait la tte au-dehors, son regard se tourna malgr lui

    vers la maison deux tages qui confinait au mur du jardin de la Pr-fecture et dont la faade donnait sur le quai des Orvres. La nuit taitvenue. Au second tage de cette maison, une lumire, place lintrieur,envoyait ses rayons sur le balcon, prcisment de manire clairer lefoulard rouge qui flottait aux barreaux.

    Les persiennes du premier tage avaient t ouvertes. Derrire les ri-deaux de mousseline, dans un salon faiblement clair, on voyait la sil-houette dune jeune femme debout et dont le regard semblait pier le quai,par-dessus la clture du jardin.

    Ysole ! pronona encore Paul Labre.Et tout le profond amour que grandissent la souffrance et la solitude

    tait dans ce seul nom, murmur plaintivement.Vous leussiez affirme belle, cette jeune femme dont on ne voyait

    point les traits. Sa pose avait la grce hardie et souveraine de celles qui ontle droit dtre admires. La lumire brillantait en se jouant les contoursde sa coiffure et dessinait dun trait prcis les lgances juvniles de sataille ; elle attendait ou elle rvait. Parfois, son front, qui brlait peut-tre,se collait la fracheur des carreaux.

    Lme de Paul tait dans ses yeux. Il ne savait plus pourquoi il avaitquitt son travail.

    Tout coup, la belle jeune fille eut un grand tressaillement et se re-tourna. Elle bondit en avant comme si la joie let souleve. Ses deux brassouvrirent en un geste de folle tendresse. travers la mousseline, Paul,dont le cur se brisait, crut distinguer lombre dun homme.

    Ce fut tout. La mousseline transparente cessa de donner accs au re-gard. La nuit stait faite dans le salon du premier tage.

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  • Les Habits Noirs III Chapitre III

    Mais, au mme instant un homme parut au balcon du second. Uneallumette phosphorique brilla, le temps de mettre le feu un cigare, puislhomme se retira.

    Le foulard rouge ne flottait plus aux barreaux.Paul voyait cela comme en un rve. deux pieds de son oreille, un coup de marteau fut donn si violem-

    ment lintrieur de la tour, dont il aurait pu toucher la paroi renfle entendant la main, quun fragment de maonnerie extrieure, arrach parle contrecoup, tomba avec bruit dans le jardin de la Prfecture.

    Paul couta machinalement, sans dtacher son regard de cette maisono tait son cur.

    Ce violent choc tait apparemment le dernier. Lintrieur de la tourdevint silencieux.

    n

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  • CHAPITRE IV

    Ordinaire de MM. lesinspecteurs

    Allons ! allons ! monsieur Paul ! cria encore M Soulas, qui avaitquitt la table pour venir frapper la cloison, ces messieurs sont au com-plet, il ne manque plus que vous. Venez causer, si vous ne voulez pasdner ; a vous tirera de vos ides noires.

    Comme M. Paul ne rpondait point, M Soulas se dcouragea et vintreprendre sa place.

    Sans la compter, il y avait maintenant six convives autour de la table :tous inspecteurs, tous gens modestes et rangs, lexception du fameuxM. Mgaigne, qui tait assez rang, malgr sa qualit de mauvais sujet,mais qui ntait pas modeste.

    Sauf M. Mgaigne, aucun des habitus de lordinairetenu par mamanSoulas navait lambition de passer ministre de la police. Mgaigne taitle personnage blouissant de cet obscur cnacle. Il excitait des jalousies.

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  • Les Habits Noirs III Chapitre IV

    Thrse Soulas tait oblige de ladmirer en secret pour ne point mcon-tenter le reste de ses pratiques.

    M. Badot avait du zle et de lacquis, M. Chopand connaissait lesfortes traditions, M. Martineau flattait ses chefs, mais Mgaigne avaitpour lui les femmes et il tait de la nouvelle cole.

    Le dimanche, quand il mettait son chapeau flamme denfer surloreille et quil nouait sa cravate en chou, bien des gens, Belleville et Mnilmontant, le prenaient pour un artiste du thtre Beaumarchais. Ilportait, ces jours-l, une lvite, pince la taille militairement, une badineet des gants de filoselle. Les bals du Delta, des Montagnes-Franaises etde lle-dAmour taient pleins de ses victimes.

    Il tait grand et lourdement bti ; il avait cette laideur noire, luisanteet contente des mridionaux dodus. On prtend quelle vaut la beaut. Iltait hardi, fluent de paroles et riche daccent : en somme, un inspecteurremarquable.

    Chopand ne laimait pas, mais il le considrait.Je ne sais pas comment vous vous reprsentez unmessdagents de po-

    lice, mais chezM Soulas, tout tait calme et dcent ; on ny faisait jamaisde bruit, et les rapports des habitus entre eux taient dune rigoureusepolitesse. Cest une chose bien remarquable : ces couches excentriquesde notre socit auxquelles la considration est refuse vivent dans uncontinuel besoin de considration.

    La passion de tenir son rang y survit toutes les humiliations, y rsiste toutes les misres.

    Il y a souvent un dcav de la grande roulette du monde sous la re-dingote rpe de ces proscrits, et cela est si vrai que ceux qui ne sont pasrellement des vaincus se parent de dfaites imaginaires.

    La mode est ici davoir eu des malheurs .Ce sont des pays peu connus, malgr lnorme curiosit quils ins-

    pirent et malgr les livres soi-disant rvlateurs qui glissent dans leur titrece mot la fois dtest et friand : Police.La portion calme de ce peuple sou-terrain vgte et na point lide dcrire ses mmoires ; rien nest difficile,au fond, comme de confesser ces natures dfiantes. Ceux qui prennent laplume sont gnralement des rvolts ; ils ont deux besoins : pcher deslecteurs et se venger : aussi, plaident-ils sans cesse la cause de leur ran-

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  • Les Habits Noirs III Chapitre IV

    cune.Leurs pamphlets sont souvent intressants, mais ils ne restent point

    aux talages des librairies. La prtentionmme quils affichent de dvoilercertains secrets les rend suspects, et on les supprime.

    Moi, je le dis bien haut et tout dabord, je ne dvoile rien, pour laraison excellente que je nai jamais rien pu dcouvrir.

    Jai voyag pendant de longues semaines dans ces sombres latitudes,regardant, espionnant, qutant ; jai fait des bassesses auprs des em-ploys, grands et petits ; jai nourri, jai abreuv des transfuges qui mepromettaient monts et merveilles.

    Nant. Les transfuges mentaient, les fidles gardaient le secret.Mais, en dfinitive, je nai pas perdu mon temps dans ces bizarres et

    giboyeuses contres, puisquun jour je my suis trouv face face avec lemme drame le plus curieux qui me soit tomb sous la main depuis queje tiens une plume.

    Revenons ce drame, dont les comparses sont en scne, spars duhros par une mince cloison de briques.

    M Soulas planta son couteau dcouper dans le bon morceau debuf qui avait fait la soupe.

    Ce jeune homme-l minquite, dit-elle avec une vritable tristesse.Il a du chagrin, bien sr !

    Chagrin damour dure toute la vie chanta Mgaigne.Cela ne fit pas rire, parce que Paul inspirait de lintrt tout lemonde.

    M. Badot reprit : Depuis quil a perdu sa dfunte mre, il na plus got rien.Thrse ajouta en servant les tranches de buf la ronde : Cest tendre comme du poulet ! Le petit Labre ? demanda M. Mgaigne. Non, le bouilli ne vous

    fchez pas, chre dame, quand on travaille de tte, on a besoin de plai-santer un peu pour se reposer. Sil faut donner un gage, voil mon rondde serviette, et je rachte avec une nouvelle : on sest encore adress M.Vidocq, pour laffaire du marchef.

    Est-ce possible ! scriaM. Chopand ; ils le renvoient, ils le prennent ;a fait piti de voir les chefs aller ainsi ttons.

    M. Vidocq est si adroit ! dit M Soulas.

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  • Les Habits Noirs III Chapitre IV

    Autour de la table, tout le monde haussa les paules.M Soulas reprit : Sait-on au juste la chose du marchef ? On la sait, rpondit M. Mgaigne ; cest moi qui lai trouve du haut

    en bas, et je peux bien la dire, puisque mon rapport est dj au bureau.Jean-Franois Coyatier, dit le marchef des Habits Noirs, tait renvoy de-vant la Cour dassises de la Seine pour assassinat suivi de vol. Les petitsruisseaux font les grandes rivires : dans linstruction on avait cueilli toutun bouquet de crimes et dlits, anciens, modernes et autres : de quoi fairecondamner une douzaine de coquins. Le marchef devait passer tout desuite aprs laffaire politique o le gnral de Champmas est tmoin et,par parenthse, on dit que laudience daujourdhui ne sera pas finie minuit ; le gnral est au Palais, je lai vu

    Est-il bien chang ? demanda Thrse Soulas, qui tcha de mettrede lindiffrence dans son accent.

    Assez Mais sil svade, celui-l, il sera sorcier ! Il est gard lapapa, rapport lhistoire de Gautron la craie jaune . MonsieurBadot, Pistolet, votre chien basset, a-t-il t en chasse aujourdhui ?

    Je dirai ce que je sais, rpondit Badot, puisque vous dites ce quevous savez. Allez

    Et les autres ! interrogea Mgaigne.Chopand, Martineau et le restant des convives rpliqurent : Nous dirons ce que nous savons.Badot ajouta : Il y a anguille sous roche, et ce ne sera pas trop de nous mettre tous

    ensemble. Alors, cartes sur table ! poursuivit Mgaigne. Ce serait drle si le

    Vidocq avait un pied de nez ! Je reprends mon histoire : Le marchef savaitque son compte tait rgl davance. Il a annonc des rvlations, maisl bouche que veux-tu. Sil avait pu faire mettre dans les journaux quilvoulait vendre tout un paquet demches, il aurait pay pour a vingt-cinqsous la ligne. Il le disait aux gens de service, aux dtenus, aux gendarmes,et il finissait toujours par ces mots : Les coquins me laissent en souffranceici, comme un billet quon ne veut pas payer, cest bon ; mais si je vasjusqu laudience, je donne ladresse du Pre--tous ou grandHabit-Noir,

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  • Les Habits Noirs III Chapitre IV

    je fournis les moyens de pincer Toulonnais-lAmiti, et le prince, et lesautres Ah ! ah ! on en verra de drles !

    Compris ! dit Chopand. Il a parl si haut que la chose est arrivejusquaux Habits Noirs.

    En deux temps. Ils ont partout des oreilles ouvertes. Avant-hier, lemarchef avait lair tout content ; il a rpondu au greffier qui lui deman-dait pour quand ses fameuses rvlations : Il fera jour demain, matrePeuvrel et, le lendemain, loiseau tait envol.

    Et il ne svade jamais la douce, celui-l, fit observer Chopand. Unguichetier sur le carreau et deux gendarmes lhpital !

    Quest-ce qui prend du caf ? demanda ici M Soulas. On nattra-pera donc jamais ce Toulonnais-lAmiti !

    Tant quon sadressera M. Vidocq pour prendre Toulonnais-lAmiti commena Badot vivement.

    Mais il nacheva point sa phrase et dit : Je prends du caf.Tout le monde fit la mme rponse. On mit le feu aux pipes. Ctait

    un conseil de guerre. Pendant que M Soulas soufflait les charbons sousla bouilloire, Badot reprit en baissant la voix :

    Pour quant a, quil y a quelque chose, cest sr ; et M. Vidocq naquune paire dyeux comme vous et moi. Je nai pas vu Pistolet ce soir,cest grand dommage. Riez si vous voulez ; il vit avec les chats, capablede guetter la nuit, quand les autres ny voient goutte. La veille du jouro Coyatier, le marchef, sest vad, Pistolet avait remarqu un foulardrouge

    Cest vrai, interrompit Mgaigne, javais oubli le foulard rouge. Ilest dans mon rapport. Du cachot o tait le marchef on pouvait voir lefoulard rouge une fentre de la rue Sainte-Anne-du-Palais. On penseque ctait un signal. Je me prsentai moi-mme le lendemain soir pourvisiter cette maison. La chambre laquelle appartenait la fentre o lefoulard rouge avait t signal navait point de locataire.

    Eh bien ! dit Badot, je suis entr tantt chez Paul Labre. Je laime,moi, cet enfant-l. Vis--vis de sa fentre, sur le quai, il y a une maison.

    Celle o habite la fille du gnral ! linterrompit-on de toutes parts la fois.

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  • Les Habits Noirs III Chapitre IV

    La fille du gnral, ou plutt les filles, car on dit que la cadette est laussi maintenant, demeurant au premier. Cest au second, sur un balcondsert, que jai vu un foulard rouge, flottant comme un drapeau

    Et cest tout ? interrogea Chopand. Jai t command, rpondit Badot, pour fouiller le cabaret des

    Reines-de-Babylone, rue des Marmouzets, o M. Vidocq pensait trou-ver Coyatier. En revenant des Reines-de-Babylone, o nous navons rientrouv, jai visit, pour mon compte, tous les garnis des environs. Javaismon ide : je cherchais le nom de Gautron crit la craie jaune.

    Tiens ! tiens ! scrirent les convives ; pas mal ! Rien, et pourtant, le marchef ne doit pas tre loin ! Je le flaire, je le

    sens. Demain matin, mes petits, dit Mgaigne, la premire heure,

    rendez-vous la maison des filles du gnral. Je me charge du mandatde perquisition. Nous la retournerons comme un gant, cette baraque-l.Est-ce dit ?

    Cest dit ! fut-il rpondu lunanimit.M Soulas frappait pour la dixime fois la cloison et criait : Pour le caf, monsieur Paul ! Venez prendre au moins votre demi-

    tasse.Un merci bref et impatient fut la seule rponse du jeune homme.Il tait toujours assis sa petite table, et sa plume courait sur le papier ;

    longtemps arrte par la difficult dnoncer un fait pnible et dexprimerune douloureuse vrit, elle avait franchi enfin lobstacle et courait main-tenant sans hsitation.

    Mon frre, crivait Paul, quoi bon plaider une cause perdue ouchoisir laborieusement le meilleur moyen de prsenter ma misrable his-toire ? Je vais tre vrai, cela suffit. Je suis content que tu sois mon juge.

    M. V commena parme parler demamre, de sa sant chancelante,de son ge et de la grande position quelle regrettait. Il mapprit quelleavait des dettes ; il ne me cacha point que les engagements souscrits parelle taient de lespce la plus dangereuse, et il ajouta :

    Cest une excellente personne, trs impressionnable et qui a maldirig sa vie. Nous laimons tous ; je dirai plus, nous la respectons ; maisses amis ont fait tout le possible. Cest vous maintenant, monsieur Paul,

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  • Les Habits Noirs III Chapitre IV

    de donner un coup de collier. Je suis prt tout, rpondis-je. tout ? rpta-t-il en me regardant fixement. Puis il reprit : Cest bien Dautant quavec sa pauvre tte, un malheur de les-

    pce que je redoute la tuerait tout net. Quel malheur redoutez-vous, monsieur, au nom du ciel ! mcriai-

    je. Il ouvrit la bouche pour me rpondre ; mais au lieu de parler, il se

    mit ranger des papiers sur son bureau. Votre pre tait un vrai gentilhomme, dit-il brusquement. tes-

    vous carliste comme lui ? Mes affections et mes croyances importent peu, rpliquai-je. Au-

    cun engagement ne mempche de servir le gouvernement du roi Louis-Philippe.

    Cest bien, fit-il pour la seconde fois, mais ce nest pas assez. Avez-vous lu lhistoire de Georges Cadoudal sattaquant au Premier consul ?

    Oui, monsieur. Eh bien ! rpondez franchement : Georges Cadoudal est-il pour

    vous un hros ou un assassin ? Je ne mattendais pas cette question, qui me troubla. Encore cette

    heure je ny saurais point rpondre par un seul mot, parce que Cadoudalnest pour moi ni un assassin, ni un hros. Je gardai le silence.

    Auriez-vous dfendu le Premier consul contre Georges Cadoudal ?interrogea encore M. V

    Cette fois, je rpliquai sans hsiter : Oui. la bonne heure ! scria-t-il en me tendant sa main, dont le

    contact me donna un frmissement. Il sen aperut, sourit et reprit : Quand vous aurez plus dge, vous saurez que les gens utiles et

    forts sont presque toujours calomnis. Les partisans du mal me dtestentparce quils me redoutent. Ils mont fait la rputation quils ont voulu mefaire, car le public se met invariablement du ct de ceux qui accusent.Du reste, il y avait bien des choses dire sur moi : je ne suis pas un petit

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  • Les Habits Noirs III Chapitre IV

    saint, et je fais le bien par des moyens que les casuistes napprouveraientpas. Je me moque des casuistes, h ! lenfant !

    Il eut un gros rire qui essayait dtre rond, mais qui tait brutal. Tu as dj devin le vrai nom de M. V, mon frre, ce nom qui

    arrte ma plume chaque fois que jai besoin de lcrire. Tu as beau treloin de la France, les journaux te portent sa lugubre renomme. Peut-tre, car le monde marche et les pouvoirs se moralisent, peut-tre est-il ledernier exemple de cet trange compromis entre le bien et le mal, entre lasocit qui se dfend et le crime qui lattaque. Ce personnage populaire,presque lgendaire, publie en ce moment ses Mmoires, qui sont lus parlEurope entire. Il appartient au crime par son pass ; on dit que sonprsent nest pas une expiation, mais une industrie, et que la socit nelemploie quaux dpens de son honneur.

    Cest un loup, tratre aux autres loups, quon a dress chasser sesfrres.

    La mthode est vieille. Dj deux fois le gouvernement a eu honte,et M. V a t destitu. Mais quand il ne sert pas, il nuit, et ladministra-tion, qui sest li les mains en acceptant deux fois son aide, le reprend parbesoin ou par frayeur.

    Eh bien ! mon jeune ami, poursuivit-il, voil lembarras o noussommes : nous avons Paris un Georges Cadoudal, ennemi personnel duroi, qui veut tuer le roi.

    Jtais fort attentif et fort mu. Lide de me mettre aux cts dunroi pour le dfendre mattirait et me plaisait. Je croyais quon allait meproposer cela.

    Je suis prt, dis-je. Pour arriver au roi, il faudra me passer sur lecorps !

    Il y eut un peu de commisration dans le bon gros rire de M. V,qui grommela :

    Bravo, champion du roi, chevauchant la portire du carrosseavec une lance et un bouclier, prt dfier tous les chevaliers flons quivoudraient le percer dun dard ou dune javeline ! Mon cher monsieurPaul, cela ne se fait plus ainsi, depuis quon a invent la poudre. Les che-valiers flons ont des moyens diaboliques de tuer les rois. Il ne faut pasattendre leur rencontre. On va les trouver chez eux, on les ficelle comme

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  • Les Habits Noirs III Chapitre IV

    des paquets et on les met au roulage pour quelque endroit o sont lescages bonnes garder de pareils oiseaux.

    Monsieur, repartis-je vivement, je ne vaux rien pour un pareilmtier.

    Savoir, mon jeune gars, savoir. On ne se connat pas soi-mme. votre place, moi, jaimerais mieux faire un peu violence mes gots quede voir ma mre malade, arrte et conduite en prison.

    En prison ! ma mre ! mcriai-je. Point dclat, sil vous plat, me rpondit M. V Je vous ai choisi

    pour vous pargner une grande peine. Nous allons causer tous deuxAllez, il faut bien que les Georges Cadoudal soient arrts par quelquun,et ce nest pas la mer boire.

    n

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  • CHAPITRE V

    Les mmoires de Paul

    M. V consulta une trs belle montre que sa grosse main caressaitavec complaisance.

    Jai dix minutes encore vous donner, reprit-il pendant que je gar-dais le silence. Aprs a, je monte en voiture pour aller Neuilly, souperavec le roi en garons , la reine est Saint-Cloud. Ils me font rire avecleur mpris, voyez-vous, mon jeune coq, tous ces gens-l. Je suis lami duroi, voil, ni plus, ni moins : est-ce que a dshonore ? Jtais lami du ducdOrlans avant 1830. Decazes pourrait vous dire comment nous lavonsmene, cette comdie de quinze ans ! Il y avait bien Angls, Delavau etdautres, mais quand je suis quelque part dans le troisime dessous, lesprfets de police ny voient plus que du feu. Faut-il dire au roi, ce soir,que vous refusez de le servir ?

    Je navais pas dix-neuf ans, mon frre, et pourtant, cet argument neme toucha point.

    Il faut dire au roi ce que vous voudrez, monsieur, rpliquai-je.

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  • Les Habits Noirs III Chapitre V

    Je suis le fils dun homme qui, aprs un pareil acte, maurait dfendu deporter son nom !

    Vous tes le fils dune femme, aussi, monsieur Paul, me dit M.V froidement. Votre pre est mort, de profundis,mais votre mre vit etsouffre !

    Il choisit sur son bureau trois petits papiers quil tint entre lindexet le pouce pour me les montrer. Ctaient trois lettres de change au basdesquelles je pus lire la signature de ma mre.

    Elles sont chues, me dit M. V ; elles ont t prsentes, ellesnont pas t payes ; on les a protestes ; il y a jugement et prise decorps.

    Je navais pas dix-neuf ans ; limage de notre mre quon emmenaiten prison passa devant mes yeux, et je courbai la tte.

    Mais pourquoi me choisir ? demandai-je pourtant, pendant quedeux larmes roulaient sur ma joue.

    Ah ! voil ! repartit M. V dun air bon enfant. Raison dtat,mon fils. Nous marchons sur des charbons ardents. Notre royaut cha-peau gris et parapluie a cess dtre populaire. Les agents ordinairesne nous vaudraient rien ! Un esclandre nous ferait un tort incalculable :nous navons pas lombre dune preuve. Notre Cadoudal, voyez-vous, estun peu plus malin que lautre

    Qui est-il ? demandai-je. Le gnral comte de Champmas. Cet homme bienfaisant Beau mrite ! Il est riche comme un puits. Quaurai-je faire ? Je murmurai cette dernire question dun air sombre. Je dfaillais

    sous le poids du dcouragement. M. V consulta sa montre. Le roi va mattendre ! murmura-t-il. Bah ! Il attendra. Vous aurez

    frapper, entrer et dire : Je viens chercher les dpches de la part deM. Vital. M. Vital est un ami du Cadoudal-Champmas.

    Je larrtai dun geste et mon indignation glaa le rire sur ses lvres. Oh ! oh ! fit-il, allons-nous dcidment btiser ?Il faut que la chose

    soit dans le sac ce soir. Et aprs tout, monsieur Labre, vous avez reu

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  • Les Habits Noirs III Chapitre V

    dassez jolis appointements provisoires ! taient-ce les appointements dun agent de police ? demandai-je,

    frmissant de tous mes membres. Hlas ! oui, mon fils, rpliqua-t-il, en service extraordinaire, avec le

    boni spcial : ci : cent soixante francs par mois, car ces dignitaires ne sontpas si convenablement rtribus que les receveurs gnraux des finances.

    Monsieur, dis-je, sil ne sagit que darrter loyalement le gnralcomte de Champmas, je men charge.

    Pour arrter quelquun lgalement, sinon loyalement, dit-il avecun ricanement sinistre, il faut un mandat et une carte.

    Quon me donne une carte et un mandat ! mcriai-je. Je sentais que mon cur sen allait. M. V rflchit un instant. La carte, cest possible, dit-il. Jai la vtre qui est signe depuis

    bien longtemps Chacun de ces mots tait dsormais un coup de poignard. Ma carte tait signe depuis bien longtemps. Depuis bien long-

    temps mon nom, le nom de notre pre, le tien, Jean, ah ! pardonne-moi !tait inscrit au registre de la police de Paris !

    M. V poursuivit : Quant au mandat, cest diffrent, nous navons pas de mandat.

    Notre intrt est de donner laffaire un caractre tout fortuit. Rsumons-nous. Je vous ai fourni les moyens daccomplir votre devoir aisment. Lenom de Vital vous servira de passeport : Vital est tout bonnement le ducdE Vous me rapporterez les dpches quon vous donnera, et tout seradit. Moi, en change, je vous rendrai les signatures de la bonne dame et jevous ferai un gentil cadeau pour entretenir lamiti qui nous lie. Mais, ensomme, des gots et des couleurs, moi, je ne dispute jamais. Sil vous platdaller comme une corneille qui abat des noix et de procder tout de suite larrestation, marchez. On vous brlera vraisemblablement la cervelle ;cela mme nous donnera le droit de perquisition, et vous serez veng,mon fils. Voici votre carte. Ladresse du gnral est rue des Prouvaires,11, M. Tuault et je dis que cest stupide de vivre dans un trou pareil,quand on a le plus bel htel de la capitale !

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  • Les Habits Noirs III Chapitre V

    Il mavait tendu successivement une carte dinspecteur qui tait, eneffet, remplie davance, mon nom, et ladresse du faux M. Tuault.

    Je sortis sans prononcer une parole. Javais la mort dans le cur. En descendant lescalier, jentendis retentir la sonnette de M. V Et comme je montais la rue de la Monnaie, aprs avoir franchi le

    Pont-Neuf, je crus mapercevoir que jtais suivi distance. Ceux qui me suivaient sarrtrent au coin de la rue Saint-Honor

    et jentrai seul dans la rue des Prouvaires. Jabordai dun temps le n 11, et je frappai. Ctait une porte btarde, donnant dans une alle trs obscure, et

    contigu lentre dun restaurant de pauvre apparence. Au premier coupde marteau, elle souvrit. Le concierge demeurait lentresol. Quand jedemandai M. Tuault, il dit, au lieu de me rpondre :

    Que fait-il, ce monsieur-l ? Je nen sais rien, rpliquai-je, je viens dans son intrt. De la part de qui venez-vous ? Le nom prononc par M. V me revint, et je repartis au hasard : Je viens de la part de M. Vital. Montez au premier droite, me dit le concierge, et sonnez fort. Je suivis son indication. Au troisime ou quatrime coup de son-

    nette, la porte devant laquelle je me trouvais souvrit. Je vis un homme degrande taille qui, dans lobscurit de lantichambre, me sembla vtu duneblouse douvrier.

    Je ne lui laissai pas le temps de minterroger et je lui dis : Je viens de la part de M. Vital. Il seffaa, jentrai. Ds que la porte fut referme sur moi, ce fut une

    nuit complte. Avez-vous un message crit ? me demanda lhomme en blouse. Non, rpondis-je, est-ce vous qui tes le gnral comte de Champ-

    mas ? Vous tes ici chez M. Tuault, rentier, me fut-il rpondu. Sortez, si

    vous vous tes tromp de porte. Jtais profondment mu, mais non point troubl.

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  • Les Habits Noirs III Chapitre V

    Je ne me suis tromp ni de porte ni de nom, rpliquai-je ; je veuxparler au gnral comte de Champmas.

    De la part de M. Vital ? De la part de M. Vital. Alors, attendez. Lhomme en blouse me laissa seul. Linstant daprs, un domestique

    entra avec une lampe quil dposa sur la table et se retira aussitt. Jtaisen pleine lumire. Jentendis quon disait tout bas dans la pice voisine ;

    Duc, regardez. Est-ce vous qui avez envoy ce jeune homme ? Non, fut-il rpondu. Je ne le connais pas. Lhomme en blouse parut au seuil de la chambre o lon avait parl.

    Ctait un militaire, on le voyait. Sa mine imposante et noble me frappa.Il me regarda un instant ; il avait lair soucieux.

    Je vous prviens que je suis arm, me dit-il. Moi aussi, rpondis-je, mais je ne ferai pas usage de mes armes. M. V avait, en effet, gliss deux pistolets dans mes poches. Lhomme en blouse reprit : Je suis le gnral de Champmas, que me voulez-vous ? Il se fit un mouvement dans la chambre voisine et une draperie de

    serge tomba au-devant de la porte. Je rpondis : Je viens vous arrter, parce que vous voulez assassiner le roi. Je rpte textuellement les paroles que je prononai et qui le firent

    sourire, malgr la gravit du moment. Dans la chambre voisine, javais entendu distinctement le bruit de

    plusieurs armes feu dont on relevait les batteries. Le sourire du gnral rayonnait la bont et lhonneur. M. Vmavait

    menti. Cet homme-l ne pouvait pas tre un assassin. Vous tes bien jeune, murmura-t-il. Et bien malheureux, ajoutai-je. Je pense que nos paroles ntaient pas entendues dans la chambre

    voisine, o une voix sleva pour commander : Allez ! Trois coups de feu retentirent, et je fus bless trois fois. Quavez-vous fait ! scria le gnral qui me reut dans ses bras.

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  • Les Habits Noirs III Chapitre V

    Maintenant, sauve-qui-peut ! dit-on encore de lautre ct de laportire de serge.

    Je me sentais faiblir, mais je restais debout. Je me souviens que monpremier mot fut :

    Ma mre na plus que moi. Le gnral me serrait dans ses bras. Jajoutai : Les maisons o lon conspire ont toujours plusieurs issues. Si vous

    voulez fuir, ne prenez pas par la rue des Prouvaires et donnez-moi votreparole dhonneur que vous nassassinerez pas le roi !

    Il essaya de me dpouiller de mes habits pour visiter mes blessures. En cemoment, il se fit un grand bruit du ct de lescalier. Le gnral

    demanda : Y a-t-il encore quelquun ici ? Il neut point de rponse. Je lentendis murmurer avec dpit : Quels soldats ! Ils ont perdu la tte la vue dun enfant ! On frappa la porte au nom de la loi ; les trois sommations, faites

    prcipitamment et coup sur coup, ne prirent pas la moiti dune minute,et la porte, attaque par un levier, fut jete en dedans.

    Ce fut une vritable cohue qui entra : une demi-douzaine dagentset autant de sergents de ville en uniforme. Les mesures de M. V taientprises. Il avait compt sur les pistolets glisss dans mes poches, sur majeunesse, sur mon trouble. Il lui fallait au moins un coup de feu pour jeterbas la porte de cette maison quil nosait fouiller sans prtexte. On lui enavait donn trois, mais je navais pas brl une amorce.

    Je ne le vis point dabord ; il tait l, pourtant, derrire tous lesautres, en habit de bal et avec de larges lunettes vertes sur les yeux. Onse rua sur le gnral. Un inspecteur mit la main sous le revers de ma re-dingote et trouva ma carte du premier coup.

    On a tent ici un meurtre, sur un agent de lautorit, dit-il. Jordonne une perquisition, ajouta M. V, que je reconnus seule-

    ment alors. Ce furent les dernires paroles que jentendis ; je perdais beaucoup

    de sang, une syncope menleva le sentiment. Mes mmoires nont que cette pauvre page, Jean, mon frre bien-

    aim ; je lai crite pour toi. Tu es jeune encore, tu vivras longtemps, je

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  • Les Habits Noirs III Chapitre V

    lespre, tu reverras la France. Jai voulu te laisser de quoi me dfendre,quand on attaquera devant toi mon souvenir.

    Et si tu as besoin dun tmoin, va droit au comte de Champmas,lui-mme.

    Je nai plus que deux circonstances noter. On trouva dans lamaisonde la rue des Prouvaires ce quil fallait de papiers pour donner un corps la conspiration carlo-rpublicaine (ce fut le nom quon lui appliqua) etle gnral est au Mont-Saint-Michel.

    Quand je voulus, aprs ma gurison qui ne se fit pas attendre, rendrema carte M. V, je ne la trouvai plus. On moffrit de largent que jerefusai. Jai nourri ma mre jusqu son dernier jour en copiant des ex-pditions dans les bureaux. Et pourtant, je suis rest jusqu prsent lecommensal de quelques pauvres gens, employs dans la police active. Lafemme qui tient notre table dhte avait t bonne pour ma mre.

    Ai-je tout dit ? Tu devines bien que non. Ma plume est l qui hsiteavec une joie douloureuse. Jaurais aim te parler delle et te dire que jela vis un soir un soir de dimanche o mon dsespoir mavait poussjusquau pied dun autel.

    Ctait le lendemain de la mort de notre mre. Si tu savais comme elle est belle et comme un seul regard de ses

    grands yeux noirs veilla mon cur ! Ah ! ce furent de dlicieux, de terribles rves. Jai bien souffert dans

    cette chambre, do je vois ses croises : souffert jusqu vouloir mourir ! Elle aime quelquun. Tai-je dit quelle est la fille ane du gnral

    de Champmas ? Tai-je dit ? Ah ! le rve a pris fin ; je suis veill Folie ! pauvre folie ! Ici Paul Labre sarrta. La plume schappa de ses doigts. Il appuya ses

    deux mains contre son cur, et deux larmes roulrent sur sa joue. Folie ! rpta-t-il dune voix brise. Mortelle folie ! Son nom, le nom

    dYsole, viendra le dernier sur ma lvre. Ma prire senvolera vers elle, aulieu de monter aux pieds de Dieu !

    Quand il reprit sa plume, ce fut pour effacer les dernires lignes de salettre, depuis les mots : Ai-je tout dit ?

    la place, il crivit :

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  • Les Habits Noirs III Chapitre V

    Jai tout dit ; adieu, mon frre chri, nous nous serions bien aimstous deux.

    Et il signa : Paul Labre dArcis. Sur ladresse il mit : monsieur Jean Labre, baron dArcis, secrtaire

    du consul gnral de France, Montevideo (Uruguay). Il cacheta et se leva. Son regard fit le tour de la chambre. Je noublie rien, dit-il avec un triste sourire.Il sortit, tourna la clef en dehors et frappa la porte de M Soulas qui

    vint ouvrir elle-mme.Elle tait seule ; tous les habitus de la table dhte, retirs depuis long-

    temps, taient leurs affaires ou leurs plaisirs. Venez-vous pour manger un morceau ? demanda la bonne dame. Non, rpondit Paul, je nai pas faim.Il mit dans la main de M Soulas sa lettre et quelque monnaie. Pour affranchir demain matin, sil vous plat, dit-il. Tiens, scriaThrse, jen ai une pour vous, depuis tantt, tourdie

    que je suis !Paul prit la lettre et la mit dans sa poche sans la regarder. Vous ntes pas curieux, fit M Soulas. Je sais ce que cest, murmura Paul machinalement. Jai besoin de

    faire un tour, ce soir. Au revoir, maman Soulas.Il ajouta et sa voix tremblait : Je ne vous ai jamais assez remercie de ce que vous avez fait pour

    ma mre, savez-vous ? Bon ! dit Thrse, encore ces ides ! Je donnerais mon petit doigt

    pour vous voir heureux et content, monsieur Paul. Cela viendra, maman Soulas. vous revoir. vous revoir et ne nous faites pas faux bond demain djeuner,

    dites donc ! cest comme a quon sabme lestomac.Paul descendait lescalier tournant. la hauteur du premier tage, il se rencontra avec un homme qui

    montait. Cet homme portait sous le bras un objet assez volumineux quiheurta la poitrine de Paul.

    Ah ! dit lhomme, pardon ; il fait noir comme dans un four, ici. Parhasard, ne seriez-vous pas M. Paul Labre ?

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  • Les Habits Noirs III Chapitre V

    Le premier mouvement de Paul fut de rpondre affirmativement, maisil se ravisa.

    Je nai plus daffaires avec personne, pensa-t-il.Et il ajouta : Non, monsieur. Le connaissez-vous, au moins ? Non.Et il continua de descendre.Lautre continua de monter.

    n

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  • CHAPITRE VI

    La chambre n 9

    L venons de rencontrer dans lescalier quittaitle cabaret du pre Boivin o il tait entr pour demander PaulLabre. Les habitus du pre Boivin ntaient pas, en gnral, desraffins, sous le rapport de la politesse.

    Ltranger tait un fort beau garon dune trentaine dannes, portantun lgant costume de voyageur. Il avait une valise main sous le bras.

    Il arrivait rarement que des gens de cette sorte sgarassent dans lerez-de-chausse du pre Boivin. On ne les y aimait pas.

    La partie la plus grossire de lassemble accueillit sa question par desrires et des murmures ; le moins brutal de la bande rpondit :

    Mon prince, ici, nous nappartenons pas la chose de ce bureau-l.Lautorit a oubli de nous donner garder loiseau en question.

    Un garon qui passait charg de chopes et de demi-setiers dit : Troisime tage, porte en face.Ltranger navait aucune envie de prolonger son sjour dans lta-

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  • Les Habits Noirs III Chapitre VI

    blissement du pre Boivin. Il remercia et sortit.La rencontre de Paul dans le noir escalier en colimaon et sa rponse

    brusque ne contriburent pas donner au voyageur une haute ide de lacourtoisie qui rgnait dans ces latitudes.

    Il a fallu le besoin pour le pousser dans ce quartier ! pensa-t-il. Lapauvre mre aura tout perdu la loterie.

    Il se prit la rampe et poursuivit son ascension.Paul, en atteignant le bas des degrs, navait dj plus conscience de

    stre rencontr avec quelquun.Et pourtant, comme il tournait langle de la tour pour prendre le quai

    des Orvres, un vague ressouvenir lui vint. Il se dit : Cest quelque camarade denfance. Jai bien fait demenfuir. Il mau-

    rait demand : Ques-tu devenu ? Que fais-tu ? Pourquoi vis-tu dans cethorrible trou ? Je ny vis pas, jy meurs.

    Il fit encore quelques pas et ajouta : Cest singulier cette voix-l me reste dans loreille ; je suis bien

    sr de lavoir entendue autrefois.Ce fut tout.Ltranger la valise arrivait, en ce moment, sur le palier o notre

    histoire a jusqu prsent lu son domicile.La lune tait cache sous les nuages, et cest peine si une lueur insai-

    sissable filtrait travers la poussire qui aveuglait le carreau du jour desouffrance. La nuit tait complte. M Soulas venait dteindre sa lampeen se mettant au lit. Il ny avait rien dallum dans la chambrette de Paul :seule, la chambre n 9, celle o un mystrieux personnage avait crit lenom de Gautron, la craie jaune, gardait une raie lumineuse sous lesplanches de sa porte.

    Ltranger essaya de sorienter. Son regard interrogea tout autour delui, et comme il arrive invariablement quand un point isol luit dans lobs-curit, il se dit, au bout dune seconde dexamen : ceci est le milieu.

    Le point lumineux est toujours le milieu.Or, on lui avait dit : porte du milieu.Il marcha droit la porte n 9 et y frappa coups de poing.Aucun bruit, aucun mouvement ne suivirent cet appel.

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  • Les Habits Noirs III Chapitre VI

    Ltranger redoubla, et il lui sembla entendre des chuchotements lintrieur.

    Morbleu ! dit-il, je suis las. Jai besoin de manger et de dormir. Paul,mon frre, ouvre, cest moi !

    La porte souvrit en effet, mais, pralablement, la raie lumineuse avaitcess de briller au ras du sol.

    Eh bien ! petit frre, commena le voyageur, es-tu seul ? La mre nedemeure-t-elle pas avec toi ? O es-tu, quon tembrasse !

    Ce dernier mot ne fut pas achev, et Jean Labre, car ctait lui, neutpas le temps de stonner du bizarre silence qui accueillait sa venue.

    Dans la nuit, il avait cru voir une ombre se glisser entre la porte et lui.Au moment o il se retournait, il reut par-derrire un coup de couteaudans la rgion du cur.

    Il poussa un cri faible et tomba foudroy. Ah ! dit une grosse voix, quest-ce quil raconte avec son petit

    frre, sa mre et ses embrassades ! Allume, Landerneau, quon voie cequon a fait.

    Une autre voix demanda : As-tu des phosphoriques, Coterie ?Une allumette frmit et prit feu, clairant un rduit rond, trs bas

    dtage et perc de deux fentres. La tradition affirme que cest lune descroises de ce rduit que les paysans virent pendre, un matin doctobre,en lan 1655, la tte chauve du lieutenant criminel Tardieu, assassin avecsa femme, la nuit prcdente. Ils taient morts tous deux par avarice, etfaute davoir voulu nourrir un chien ou un valet.

    droite de la fentre qui regardait le sud-ouest, un trou considrablesouvrait, pratiqu dans la maonnerie mme de la tour, et encore entourde ses dblais.

    Auprs du monceau de pierres casses et de pltras, il y avait un fortpic de mineur, plus une auge pltre, des sacs de chaux, un seau deau etune truelle.

    Sur lappui mme de la croise, un panneau de boiserie, dsarticulavec soin et enlev de la place o tait le trou, semblait attendre quon lepost de nouveau en son lieu.

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  • Les Habits Noirs III Chapitre VI

    Prs de la porte, quatre hommes taient groups : trois debout, le qua-trime tendu sans mouvement sur le carreau.

    Nous eussions reconnu du premier coup dil, la pesante vigueur desa carrure, celui qui paraissait tre le chef : M. Coyatier, comme lappelaitPistolet, lhomme qui avait trac le nom de Gautron, au revers de la porte.Il dpassait les deux autres de la tte.

    Ctait un coquin face nergique et brutale. Ses petits yeux dispa-raissaient presque sous lpaisseur de ses sourcils roux. Il avait un tic dansla bouche, dont les coins rvolts relevaient chaque instant la lourde etple bouffissure de ses joues.

    Le hasard donne parfois au crime le dguisement de la beaut. Coya-tier, dit le marchef, ntait pas beau, mais il devait tre terrible la be-sogne. Landerneau, dit Trente-troisime, avait la tournure dun ouvriercharpentier.

    Coterie tait un maon.Ils se penchaient tous les trois au-dessus de Jean Labre, qui tait mort

    sur le coup, foudroy, et gardait la pose que lui avait donne sa chute.Ils tressaillirent tous les trois, parce que la porte de M Soulas grina

    de lautre ct du carr. Motus ! fit le marchef qui ta ses souliers et alla soulever le matelas

    pour mettre son il une fente.Thrse, en dshabill de nuit, tait sur le seuil de sa chambre, une

    chandelle la main : Mou ! mou ! mou ! appela-t-elle doucement. Faudra-t-il que je ral-

    lume, maintenant, pour te chercher, mauvais sujet !Linfortun matou navait garde de rpondre ou de venir.M Soulas appela encore, puis fltrissant du nom de libertin la pauvre

    bte assassine, elle referma sa porte en lui promettant une correction.Coyatier revint et remit ses souliers. Il navait rien perdu de son sang-

    froid obtus. Pour avoir t fait ttons, dit-il tranquillement, a y est. a y est, rpta Coterie, dans le cinq-cents !Mais Landerneau ajouta : Seulement, ce nest pas le gnral. Bon ! fit Coterie, es-tu sr ?

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  • Les Habits Noirs III Chapitre VI

    Sr et certain.Coyatier ptrissait un norme bout de tabac pour en faire une chique.

    Il resta un instant dconcert. Cest sr aussi que les finauds de l-bas sont plus btes que des

    dindons avec tout leur esprit, dit-il ; quoi a sert dcrire un nom surune porte quand il fait nuit ?

    On ne pouvait pas pendre une girandole sur le carr de la gargotedes inspecteurs ! ajouta Landerneau. Il ny a pas de notre faute.

    Avec a, conclut Coterie, que le gnral est peut-tre venu. Voilplus dune heure quon a rentr le foulard rouge.

    Et que nous croquons le marmot larme au bras ! gronda le marchef.Louvrage est fait, il faut le ramasser. Il ny a place que pour un l-dedans.On nous a dit quun homme viendrait, lhomme est venu ; nous lui avonsfait ce quon nous avait dit de lui faire. Ceux qui ne seront pas contentsiront le dire au parquet. Largent est gagn, nous allons passer au bureau.Donnez-moi un coup de main pour le mnage.

    Tout fut bientt en mouvement, et le mnage se fit avec une mi-raculeuse rapidit. Le marchef soccupa du cadavre quon plaa dans letrou. Coterie maonna, Landerneau menuisa.

    Puis on lava le carreau et lon inventoria la valise.Une demi-heure aprs, les trois malfaiteurs se glissaient hors de lalle

    noire qui tait lentre de la maison Boivin.Coterie et Landerneau entrrent au cabaret, Coyatier prit le quai des

    Orvres en descendant vers le Pont-Neuf. Il avait djet sa robuste taillede faon paratre souffreteux ; il marchait en boitant, et lun de ses bras,tordu par la paralysie, pendait inerte le long de son flanc.

    Il sarrta un peu avant langle de la rue Harlay-du-Palais, et aprsavoir regard tout autour de lui, pour voir sil ntait point suivi, il soulevale marteau de la seule porte bourgeoise qui souvrait sur le quai.

    Cette porte appartenait la maison deux tages que nous avonsobserve dj par la fentre de Paul Labre : la maison o nous avons vule foulard rouge pendu au balcon du second, et, au premier, travers lescarreaux dune belle et haute croise, la gracieuse silhouette dune