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.. Chercheurs à l'INED. Les parents favorisent-ils également l'émancipation des garçons et des filles? Michel Bozon * et Catherine Vllleneuve-Gokalp * Même si les garçons et les filles se trouvent, à la fin de l'adolescence, dans des situations voisines des différences demeurent dans leurs processus d'éman- cipation. Ainsi, les filles sont-elles, avec des nuances selon les milieux sociaux, plus contrôlées dans leurs fréquentations et leurs sorties. De même, pour obtenir de l'argent de poche, les filles s'orientent majoritairement vers les activités liées aux enfants et le commerce, tandis que les garçons vont plus souvent vers les travaux agricoles et les petits services rémunérés. Dans tous les milieux, les parents aident davantage les filles que les garçons la première année de leur indépendance résidentielle, mais ils parviennent plus difficilement qu'avec leurs fils à rendre cette aide efficace dans la recherche d'un emploi. 1 ommes et femmes se trouvent, à la fin de l'adolescence, dans des situations apparemment très proches. Ils sont encore très majoritairement dans le système scolaire (près de quatre jeunes sur cinq à l'âge de 18ans)etviventchezleurs parents. Le pas- sage à l'âge adulte comprend une double transition, une transition de l'école à l'activité professionnelle, une transition de la famille d'origine à la famille de procréation. L'entrée dans la vie active est encore lointaine, même si légèrement plus nombreux sont les garçons (bien minoritaires, il est vrai) qui ont déjà franchi le pas. Les rapprochements entre les sexes dans les trajectoires scolaires et professionnelles ne doiventpourtantpasmasquerdesdifférences persistantes dans les trajectoires familiales. Ainsi, les femmes continuent à quitter leurs parents plus tôt (Bozon, 1994) et dans des conditions différentes. Si l'on remonte à la fin de l'adolescence, on note que les différences de traitement des garçons et des filles par leurs parents sont déjà spectaculaires, en dé- pit de similitudes dans certains domaines. L'analyse précise des arrangements entre gé- nérations, différents d'un sexe à l'autre et d'un milieu social à l'autre, éclaire sur les enjeux, les modes et les rythmes d'accès à l'autonomie pour la jeune génération. L'enquête«Passageàl'âgeadulte)) (voirenca- dré), réalisée à l'Institut national d'études démographiques (INED) par Michel Bozon et Catherine Villeneuve-Gokalp en 1993, avec le concours de la CNAF, a été menée auprès de jeunes adultes âgés de 25 à 34 ans, invités à revenir sur leur jeunesse. Elle permet de dé- crire de façon assez précise les débuts de l'émancipationetl'évolutiondesrelationsdes jeunes avec leurs parents, à la fin de l'adoles- cence et au début de la jeunesse. Dans un premier temps, sont présentées les conditions d'émergence de l'autonomie 65 RECHERCHES ET PREVISIONS n• 40 1995

Les parents favorisent-ils également l'émancipation des … · indépendance résidentielle, mais ils parviennent plus difficilement qu'avec leurs fils à rendre cette aide efficace

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Page 1: Les parents favorisent-ils également l'émancipation des … · indépendance résidentielle, mais ils parviennent plus difficilement qu'avec leurs fils à rendre cette aide efficace

.. Chercheurs à l'INED.

Les parents favorisent-ils également l'émancipation des garçons et des filles?

Michel Bozon * et Catherine Vllleneuve-Gokalp *

Même si les garçons et les filles se trouvent, à la fin de l'adolescence, dans des situations voisines des différences demeurent dans leurs processus d'éman­cipation. Ainsi, les filles sont-elles, avec des nuances selon les milieux sociaux, plus contrôlées dans leurs fréquentations et leurs sorties. De même, pour obtenir de l'argent de poche, les filles s'orientent majoritairement vers les activités liées aux enfants et le commerce, tandis que les garçons vont plus souvent vers les travaux agricoles et les petits services rémunérés. Dans tous les milieux, les parents aident davantage les filles que les garçons la première année de leur indépendance résidentielle, mais ils parviennent plus difficilement qu'avec leurs fils à rendre cette aide efficace dans la recherche d'un emploi.

1 ommes et femmes se trouvent, à la fin de l'adolescence, dans des situations apparemment très proches. Ils sont

encore très majoritairement dans le système scolaire (près de quatre jeunes sur cinq à l'âge de 18ans)etviventchezleurs parents. Le pas­sage à l'âge adulte comprend une double transition, une transition de l'école à l'activité professionnelle, une transition de la famille d'origine à la famille de procréation. L'entrée dans la vie active est encore lointaine, même si légèrement plus nombreux sont les garçons (bien minoritaires, il est vrai) qui ont déjà franchi le pas.

Les rapprochements entre les sexes dans les trajectoires scolaires et professionnelles ne doiventpourtantpasmasquerdesdifférences persistantes dans les trajectoires familiales. Ainsi, les femmes continuent à quitter leurs parents plus tôt (Bozon, 1994) et dans des conditions différentes. Si l'on remonte à la fin de l'adolescence, on note que les différences

de traitement des garçons et des filles par leurs parents sont déjà spectaculaires, en dé­pit de similitudes dans certains domaines. L'analyse précise des arrangements entre gé­nérations, différents d'un sexe à l'autre et d'un milieu social à l'autre, éclaire sur les enjeux, les modes et les rythmes d'accès à l'autonomie pour la jeune génération.

L'enquête«Passageàl'âgeadulte)) (voirenca­dré), réalisée à l'Institut national d'études démographiques (INED) par Michel Bozon et Catherine Villeneuve-Gokalp en 1993, avec le concours de la CNAF, a été menée auprès de jeunes adultes âgés de 25 à 34 ans, invités à revenir sur leur jeunesse. Elle permet de dé­crire de façon assez précise les débuts de l'émancipationetl'évolutiondesrelationsdes jeunes avec leurs parents, à la fin de l'adoles­cence et au début de la jeunesse.

Dans un premier temps, sont présentées les conditions d'émergence de l'autonomie

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(1) Les conflits sont plus nombreux éga­lement avec la mère qu'avec le père.

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juvénile à la fin de l'adolescence, et en second lieu, le rôle joué par les parents dans le proces­sus d'émancipation ultérieur.

Fin de l'adolescence: les filles plus surveillées

A la fin de l'adolescence, les jeunes vivent une liberté sous le contrôle et la responsabilité de la génération antérieure. Les «sorties» sont une des occasions où ils expérimentent l'a ut~ nomie vis-à-vis de leur famille. ns l'acquièrent aussi progressivement lorsqu'ils se mettent à disposer, en propre, de ressources dont ils n'ont pas à rendre compte à leurs parents.

Trois femmes sur cinq déclarent qu'elles n'avaient pas le droit de sortir le soir avant 18 ans ou qu'elles n'avaient qu'un droit ré­vocable, parce qu'assorti de l'obligation de demander l'autorisation à chaque fois. Ce contrôle strict est deux fois moins souvent appliqué aux hommes. Pour eux la situation la plus fréquente (46 %) est celle du contrôle souple (limité à une information à donner sur les horaires et le lieu de sortie). Très rares sont les femmes qui rapportent qu'elles pouvaient sortir le soir sans être tenues de prévenir de l'endroit où elles allaient et de l'heure de leur retour (5 %), alors que c'est le cas de 19 %des hommes (tableau 1).

Cette différence spectaculaire de traitement entre hommes et femmes illustre une repré­sentation dichotomique traditionnelle du de­hors et du dedans, pensés comme homol~ guesdumasculinetduféminin.Onsedeman­derasi(etcomment)cedoublecomportement des parents peut coexister avec une norme d'égalité de traitement des enfants, quel que soit leur sexe.

L'intensitéducontrôlen'estpaslamêmedans tous les milieux sociaux. Les enfants d'agri­culteurs, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, bénéficient d'une plus grande li­berté, quel que soit leur sexe : les «sorties» semblent assez bien intégrées au mode de vie de la jeunesse rurale. Parmi les hommes, les fils d'ouvriers jouissent également d'une im­portante liberté de sortie (26% des fils d'ou­vriers non qualifiés déclarent qu'ils avaient une liberté totale avant 18 ans). Les fils des milieux aisés sont beaucoup plus contrôlés : 38 %des fils de cadres, et 35 %des fils d'arti-

RECHERCHES ET PREVISIONS n• 40- 1996

sans et de commerçants n'ont pas le droit de sortir ou subissent un contrôle très strict.

Les femmes, elles aussi, tendent à être traitées de manière différenciée selon leur milieu ~ cial. Mais ce sont les filles de cadres qui, outre les filles d'agriculteurs, bénéficient le plus d'un contrôle souple, alors que les filles de milieu populaire et de classes moyennes sala­riées tendent à être les plus strictement con­trôlées. Si on observe un double standard selon le sexe en milieu populaire, et également dans les classes moyennes, le traitement des gar­çons et des filles en milieu aisé tend à se rapprocher, autour d'une norme de contrôle indirect des sorties.

La crainte des parents

En contrôlant les sorties de leurs filles, les parents manifestent une crainte, qui peut com­prendre plusieurs facettes. S'agit-il de limiter strictement l'activité sexuelle des filles, afin de préserver éventuellement leur «réputa­tion» ? Cherche-t-on à les protéger face à un risque de violence sexuelle 7 Ou bien est-ce un moyen de bien contrôler la personnalité des partenaires de sorties des filles et de censurer les «indésirables» ? Selon cette dernière hyp~ thèse, les parents continueraient à vouloir pesersurlechoixduconjointdeleursfilles,les hommes fréquentés à l'occasion des sorties préfigurant les conjoints futurs.

Dans l'enquête, une question avait été posée sur les thèmes de conflits fréquents, aux alen­toursde18ans,entrelesenquêtésetchacunde leurs parents (tableau 2). Parmi les thèmes proposés apparaissaient «vos fréquentations, vos amis» et «vos relations amoureuses». Sur ces sujets, les disputes ou tensions entre pa­rents et enfants sont plus nombreuses avec les filles qu'avec les garçons (1). Dans tous les milieux sociaux, une femme sur deux déclare avoir vécu des conflits plutôt fréquents avec l'un ou l'autre de ses parents à propos de ses fréquentations ;seuleslesfillesd'agriculteurs en ont connu un peu moins (40 %).

Les fréquentationsdesgarçonsfontnettement moins souvent l'enjeu de conflits (une fois sur trois seulement). Les fils de cadres cependant sont bien plus souvent en conflit que les fils d'ouvriers non qualifiés ou de membres des professions intermédiaires, visiblement peu

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. ' t•enq_uite d'assage à l'ige ~ulte~

'

L'enquête de l'INED sur Je passage à l'âgeadulœ estuneenquêtebiographiquerétrosp~live,menée auprès de jeunes aduJtelô âgés de 25 à 34 al'$ {au 31 décembre 1993), Elle a bénéfid' pow $a

réalisation du concoW'$ de la Clù&e :ttationalé d'allocationsfamiliales(CNAF).Lequestionnaire éOl'nprend $ept &ecti<ms. (Caraètéril!ltiques générales de l'enquêté(e) .. Famille d'Qri.gine " ~partdechezlesparents- Études- Des premier& gains aux premiers emplois-Histoire conjugale,, Histoiré~UtJOuteuSé· É.~o11ttiondumodedeviè) ~ la durée depassatiQn duq~tiOm'laireaaitd'liUU! heure quinze environ, '

Constitué par la méthodedesquotJstà partir des résultats. de l'enquêté- ((EmplOi» de l'INSEE, Ji échantillon comprend des indtvidus des deux sexes, vivant en couple-, seuls oo chez leurs parents, français ou étrangers. L'échantillon a été stratifiépattégtonetpartyped'unitéurbainé.La réalùation sur le tèrtafn a été ~a~ SéfV:i<:e des Enquêtes de l'lNiiO et à son r&eau d_f enquêteurs. Pour cetteenquête. 243 enquêteurs ont été employés1 et 2 988 personnes émt été intetmgées, entrois vaguesrdemai 1993à Janvier 1994. '

censurés dans leurs fréquentations. Mais le contrôle subi par les premiers rejoint presque celui que connaissent leurs soeurs, alors que les filles d'ouvriers ou de membres des pro­fessions intermédiaires sont plus surveillées queleursfrères,etplussouventenconflitavec leurs parents sur les personnes qu'elles ren­contrent.

Pour le contrôle des personnes fréquentées, avant 18 ans, il tend à y avoir une double norme parentale, selon le sexe de l'enfant, en milieu ouvrier ou intermédiaire. L'écart entre garçons et filles ne tend à·s' atténuer que dans les classes supérieures.

Il est peu vraisemblable, aujourd'hui, que les parents cherchent à éviter absolument le pas­sage de leur fille à une sexualité adulte. En censurant leurs partenaires de sortie, ils vi­sent probablement un autre objectif, en fonc­tion d'une représentation bien établie du sens et des risques de la sexualité pour les filles. Les expériences sexuelles adolescentes des gar·

,,

Void le détaildetq_UQfà$detnal'\dél> et dé$ qnctas obtenus:

Quotas Quotas demandés obtenus

Age . 25-29 50,0% 50,0% . 30-34 50,0% 50,0%

Sexe-Activité . Homme sans emploi (1) 7,0% 7,6% . Homme avec emploi 42,5% 41,8% . Femme sans emploi (1) 17,2% 17,8% . Femme avec emploi 33,2% 32,8%

Couple-Non en couple .En couple 72,0% 71,5% . Non en couple 28,0% 28,5%

Profession de la personne de référence . Agriculteur 3,3% 3,3% . Artisan , commerçant 6,4% 6,7% .Cadre 11,1% 11,0% . Profession intermédiaire 20,4% 21,6% . Employé 15,1% 15,1% .Ouvrier 38,5% 38,9% . lnacllf n'ayant JéliiiaiS travaillé 5,1% 3,4%

m ëtudilmt$, 1Ùt11#~ l'~ploi,

çons ont valeur d'apprentissage. Celles des filles sont censées comporter le risque d'un passageàuneviedecouple,danslamesureoù ces dernières s'engagent toujours plus dans leurs relations: les parents envisagent donc tout partenaire comme un conjoint potentiel, et cherchent à protéger leurs filles des mau­vaises fréquentations.

La. sollicitude inquiète pour les filles tient peut-être également à la place que ces derniè­res occupent dans le cycle des échanges entre les générations : en fonction d'une attente relationnelle et affective plus grande à leur égard, les parents craignent de les voir s'éloi­gner, trop vite ou trop loin, du domicile fami­lial.

L'argent de poche et les petits travaux rémunérés

Dès l'adolescence, les jeunes ont des dépenses régulières, plus ou moins élevées selon leurs ressources. D s'agit d'une part de ressources

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Tableau 1 - Droit de sortir avant 18 ans selon le sexe et l'origine sociale

Interdiction Contrôle Li bert~ ou contrôle souple très strict (1) (2)

Hommes (ensemble) 31 46 dont

- fils d'agriculteurs 27 48

-fils d'artisans-commerçants 35 41

- fils de cadres 38 52

- fils de professions intermé-di aires 32 47

- fils d'employés 29 50

- fils d'ouvriers qualifiés 29 47

-fils d'ouvriers non qualifiés 28 42

Femmes(ensemble) 62 29 dont

- filles d'agriculteurs 49 37

-filles d'artisans-commerçants 60 29

- filles de cadres 57 35

- filles de professions intermé-di aires 70 24

-filles d'employés 61 29

- filles d'ouvriers qualifiés 62 27

-filles d'ouvriers qualifiés 64 25

(1) PAS le droit tù sortir, ou autorislllion Il demander dwfue fois. (2) PAS d'autorislltion Il demander, mais "'DOUS disiez où "DOUSIIUitz et Il quelle heure vous rmtria". (3) Droit de sortir SIJns restriction : "vous n 'a'Ditz pas besoin de d&re ce que 'DOU5 faisiez •.

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totale (3)

19

21

19

8

18

17

21

26

s

7

5

6

3

3

7

7

Pas Effectif d'occasions (ensemble)

3 1478

4 125

5 155

1 190

4 278

4 143

2 379

4 152

4 1510

6 130

5 172

2 213

2 266

6 150

3 358

4 169

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(1) M. Bozon, «Voler de ses propres ailes. Comment l'on part de chez ses parents dans les années 1980», Communica­tion au Séminaire International de I'AIDELF, Aranjuez, septembre 1994.

octroyées par la famille, d'autre part de reve­nus acquis par de petits travaux rémunérés.

Les ressources des jeunes vivant chez leurs parents vers 18ansreposentd'autantplussur la contribution de ces derniers que leurs reve­nus sont élevés (tableau 3). Plus de la moitié des enfants decadresreçoiventrégulièrement de l'argent de poche, contre un tiers environ des enfants d'employés et des membres de professions intermédiaires, et seulement un cinquième des enfants d'ouvriers. Les diffé­rences entre garçons et filles sont minimes : une règle d'égalité formelle de traitement en­tre les sexes semble ici prévaloir, sauf dans les professions indépendantes (agriculteurs, ar­tisans-commerçants) où les filles sont un peu plus mal loties que leurs frères. Une personne sur trois déclare qu'elle ne recevait pas d'ar­gent de poche, proportion plus élevée qu'on n'aurait pu le penser: ce sont les enfants d'ouvriers qui se trouvent le plus souvent dans ce cas (deux sur cinq), mais un certain nombre d'enfants de cadres sont aussi concer­nés (près de un sur cinq).

Aux ressources fournies éventuellement par les parents, s'ajoutent celles qui proviennent de petits travaux rémunérés, effectués soit

pendant les vacances soit pendant l'année. Les deux tiers des personnesinterrogées(64 % des hommes, 65 % des femmes) ont gagné de l'argent avant 18 ans, en faisant un ou plu­sieurs petits travaux rémunérés (1). Globa­lement, les proportions diffèrent peu d'un milieu social à l'autre, en dépit des différences de montants octroyés par les parents, mais les filles de cadres, professions intermédiaires et artisans-commerçants travaillent un peu plus que les garçons, alors qu'inversement les filles d'ouvriers sont moins actives que les fils.

Pour se procurer un peu d'argent, garçons et fillesn'effectuentpaslemêmetypedetravaux (tableau 4). Il y a une prééminence féminine dans toutes les activités liées aux enfants, en particulier pour le baby-sitting, pratiqué par une femme sur deux dans sa jeunesse (49 % des femmes, mais seulement 11 % des hom­mes). Ce sont les filles de cadres qui prati­quent le plus cette activité (63 %), et les filles d'agriculteurs qui en ont le moins la possibi­lité (38 %), les filles d'ouvriers se situant entre lesdeux(environ50 %). Uneforteminoritéde femmes effectuent le baby-sitting comme une pseudo-profession: 15% déclarent en effet que leur pratique était régulière et avait duré au moins deux ans.

Tableau 2 - Conflits avec le père ou avec la mère sur les fréquentations amicales ou les relations amoureuses, selon le sexe et l'origine sociale

en%

Conflits sur amis ou Hommes Femmes relations amoureuses (''')

CSP du père

Agriculteur 32 40 Artisan commerçant 34 49 Cadre 44 52 Profession intermédiaire 29 52 Employé 36 55 Ouvrier qualifié 35 52 Ouvrier non qualifié 30 47

Ensemble 34 50

(•) n s'11git de conflits lorsque l11 personne mtenogte tnJait 18 11ns environ. A Ill question« Vous 11rri011it-il d'etre en conflit 11-œc oos parents Sllr les sujets sui011nts 7» L'enquêté(e) a répondu «oui, de temps en temps» ou «SSUvent» ou «nous évitions de parler de ce sujet» pour les modalités «VOS fréquentations, vos amis» ou «vos relations amoureuses».

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Tableau 3 - Argent de poche vers 18 ans, selon le sexe et l'origine sociale

Argent de poche reçu vers 18 ans

Oui, Oui, mais pas régulièrement régulièrement

Non

Hommes (ensemble) dont

- fils d'agriculteurs -fils d'artisans-commerçants - fils de cadres - fils de professions intermédiaires - fils d'employés - fils d'ouvriers qualifiés - fils d'ouvriers non qualifiés

Femmes (ensemble) dont

-filles d'agriculteurs -filles d'artisans-commerçcants - filles de cadres - filles de professions intermédiaires -filles d'employés -filles d'ouvriers qualifiés -filles d'ouvriers non qualifiés

Pratique «naturellement>) confiée aux jeunes filles, la garde d'enfants, effectuée souvent sans doute pour des personnes qu'elles connaissent, est commencée assez tôt, vers 16 ansenmoyenne :ce«travail))nereprésente pas pour les filles, ni pour leurs parents, une rupture avec l'univers domestique. Il en va autrement pour les tâches d'encadrement et d'animation d'enfants, souvent dans le cadre de centres aérés ou de colonies de vacances, qui impliquent des contacts avec un groupe de pairs généralement mixteetpeuventmême inclure une formation spécifique : c'est une activitéquiestcommencéeplustard(à 17,6 ans pour les filles en moyenne), et où les garçons sontrelativementnombreux (18 %contre 25 % de filles). On note également une prééminence féminine assez nette pour les extra dans un commerce (37 % des filles contre 26 %). En revanche, aussi nombreux sont les garçons et les filles (30% et 28 %) qui ont travaillé en usine ou dans un bureau (dans deux cas sur

31 36 33

26 47 27 31 39 30 55 30 15 36 36 28 34 28 38 22 39 39 20 37 43

30 36 33

20 45 35 28 36 35 54 27 19 37 36 27 32 31 37 22 41 37 17 39 44

cinq, une personne de leur famille travaillait déjà dans l'établissement).

Les cc jobs» de jeunes: une affaire d'hommes

La prééminence masculine s'observe pour toute une série de tâches ou de services ma­nuels ou techniques. Les travaux agricoles, pratiqués dès un âge précoce par les garçons (15 ans en moyenne), souvent mais pas uni­quement pendant les vacances, concernent les garçons de tous les groupes sociaux, en parti­culier les enfants d'agriculteurs, mais égale­mentlesenfantsd' ouvriers. Aider un proche ou unamidanssontravailestuneactivitédéclarée plus souvent par les enfants dont les parents ont une profession indépendante (agricul­teurs, artisans ou commerçants), plus par les garçons que par les filles. Enfin, les petits services rémunérés, prototype des «jobs)) de

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(1) Le «premier em­ploi» devait avoir duré plusd'Wl mois, au moins à mi-temps et en dehors des va­cances. Le «premier emploi stable» de­valtavolrétéoccupé pendant plus de six mois consécutifs, au moins à mi-temps, et avolrdonnélieuà Wl contrat à durée indé­terminée.

jeunes, sont clairement une affaire d'hommes (20 % contre 7 % des femmes déclarent avoir eu ce type d'activité).

La dichotomie assez nette entre activités fémi­nines (baby-sitting, commerce) et activités masculines (travaux agricoles, petits services rémunérés) peut être considérée comme an­nonçant par avance des spécialisations pro­fessionnelles futures. Mais il faut y voir aussi un effet des représentations des parents qui les poussent tout naturellement à proposer aux filles les activités d'intérieur, voire do­mestiques, plus «rassurantes» peut-être, et aux garçons les activités ouvertes sur l'exté­rieur.

Emancipation des jeunes : le rôle des parents

La véritable indépendance des jeunes n'est acquise qu'une fois qu'ils ont quitté le foyer parental et qu'ils subviennent eux-mêmes à leurs besoins financiers. Les parents pous­sent-ils leurs enfants à devenir indépendants en les aidant à franchir ces étapes, font-ils au contraire pression pour les garder près deux,

Tableau 4- Premiers "Jobs" (1) selon le sexe

Hommes

ou bien encore le désir de les garder va-t-il de pair avec le désir de les aider ?

Les parents interviennent de différentes ma­nières pour aider leurs enfants à prendre cette double indépendance. En particulier, ils peu­vent les aider à accéder à l'autonomie finan­cière en apportant leur concours lors de la recherche dun emploi, et à accéder à l'autono­mie résidentielle par une contribution finan­cière. L'enquête a permis d'évaluer le nombre de jeunes qui trou vent un premier emploi ou (et) un premier emploi stable (1) grâce à leurs parents, le nombre de ceux qui sont aidés matériellement par leurs parents la première année de leur départ et l'importance de l'aide qu'ils reçoivent.

Les agriculteurs, les artisans et les commer­çants sont les mieux placés pour trouver un emploi à leurs enfants lorsque ces derniers ne sont pas opposés à reprendre le métier de leurs parents. C'est assez souvent le cas pour les garçons, beaucoup moins pour les filles qui sontplutôtinvitéesà faire des études. Pour les salariés, le problème se pose différemment : le bagage scolaire des enfants constitue leur principal atout dans la recherche d'un

Femmes

Premiers "jobs" (1) A quel âge 7 (2) A quel âge 7 (2)

% % (Moyenne) (Moyenne)

Baby-sitting 11 17,5 49 16,2 Cours particuliers 11 19,2 17 18,6 Encadrement d'enfants 18 18,0 25 17,6 Travail dans un commerce 26 17,2 37 17,4 Travail en usine ou dans un bureau 30 17,9 28 18,3 Travaux agricoles 36 15,2 21 16,1 Aider un proche dans son travail (3) 16 16,0 11 17,0 Services rémunérés à des particuliers (4) 20 16,5 7 17,7 Autres petits travaux 11 18,1 13 18,3

(l)lA question est introduite ainsi: «AD1111t de parler de ootre premier emploi, nous allons troquer les premitres actitlitts, meme tr~s ocœsionnelles, qui rous ont permiS de gagner de l'argent. Parmi les petits traoaux su1oants, lesquels atle%-oous pratiquis 7» (2) lA question itait : •A partir de quel Age 7» (3) «Aider un ami ou une personne de rotre {rlmüle dans son trlWilÜ (a-oec rbnuniration)>. (4) •Rendre des sertJices (rbnuntris) Il des particul~ers. peintures, jardinage, IIZ11er des roitures ... etc.»

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Tabaleau 5 ·Proportion de jeunes qui ont trouvé leur premier emploi ou (et) leur premier emploi stable (1) grâce à leur famille, selon la CS de leur père

Premier emploi Premier emploi stable L'un ou l'autre

Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes

CS du Père

Agriculteur 43 20 40 9 47 20 Artisan, commerçant 28 15 28 13 32 16 Cadre, profession intellectuelle supérieure 16 12 16 7 20 14 Profession intermédiaire 17 14 14 20 20 15 Employé 14 20 13 13 18 21 Ouvrier qualifié 20 15 18 12 24 16 Ouvrier non qualifié 19 16 18 13 22 18

Ensemble 20 15· 19 11 24 17

(1) Le premier emploi stiÙ1le peut etre le mtme que le premier emploi.

Tableau 6 ·Aide des parents aux enfants pendant l'année suivant le départ, selon la cause du départ, la CS du père et le sexe de l'enfant

HOMMES FEMMES

Totalltt Meaaualltt Qqua Alde Pu TOfAL Tollllltt Meaauallt6 Qqua Alde Pu TOfAL clépenaes partielle clépenaes enaatwe cl' alde dépenla partielle clépenaes en IUdule cl' alde

Ensemble 8 10 8 26 48 100 10 11 9 29 41 100

Cause du départ

Etudes 33 24 14 10 19 100 37 24 18 10 11 100 Travail 3 5 10 33 49 100 3 4 6 43 44 100 Vivre en couple 1 6 5 31 57 100 2 7 6 35 50 100 Désir d'indépendance (1) 1 6 7 35 51 lOO 3 12 10 37 38 100

CS du Pêre -

Agriculteur 5 11 8 24 52 100 9 7 9 31 44 100 Artisan commerçant 7 11 7 34 41 100 12 14 9 32 33 100 Cadre 25 21 11 24 19 100 18 25 12 21 24 100 Profession intermédiaire 10 15 7 29 39 100 14 14 13 30 29 100 Employé 5 11 8 28 48 100 7 11 5 33 44 100 Ouvrier qualifié 4 5 8 24 59 100 5 6 8 30 51 100 Ouvrier non qualifié 1 2 5 28 64 lOO 3 1 7 28 61 100

(1) DisiT d'indtpmdtmce,quand il n'y a p45 d'autre raison diclarte au dipart.

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Page 9: Les parents favorisent-ils également l'émancipation des … · indépendance résidentielle, mais ils parviennent plus difficilement qu'avec leurs fils à rendre cette aide efficace

(1) M. Bozon, C Vil­leni:.'UVe-Cokalp, «Les enjeux des relabons entre générations à la fin de l'adoles­cence», Population, lNED, n• 6, 1994, p. 1527-1556.

emploi, mais lorsqu'il est insuffisant les rela­tions des parents sont souvent requises. Les ouvriers trouvent plus facilement du travail pour leurs fils, les employés pour leurs filles (tableau 5).

Parmi les salariés, les différences selon le milieu social restent toutefois assez faibles; elles sont plus marquées entre garçons et filles :celles-ci sont moins nombreuses que les garçons à avoir trouvé un emploi grâce à leur famille, sauf les filles d'employés. Cette ex­ception semble indiquer que les parents ne se montrent pas moins prêts à aider leurs filles que leurs fils, mais seulement qu'il est plus facile de trouver du travail à un homme qu'à

une femme.

Le départ de chez les parents et t:obtention d'un emploi sont rarement simultanés: un homme sur deux et une femme sur trois ont déjà une situation professionnelle stable plu­sieurs mois, voire plusieurs années, avant de quitter le domicile de leurs parents ; à l'in­verse, un homme sur quatre et quatre femmes sur dix n'ont jamais travaillé en dehors des vacances, lorsqu'ils les quittent (1). Le désir des parents d'aider leurs enfants à s'insérer dans la vie active n'est donc pas incompatible avec celui de les garder près deux. En revan­che, en leur accordant une aide financière, les parents permettent à leurs enfants de partir

Tableau 7 - Aide reçue la première année suivant le départ, selon le nombre d'enfants, et le rang dans la fratrie

AIDERECUE

Totalité Mensualité Qques Aide Pas TOTAL dépenses partielle dépenses en nature d'aide

Ensemble 9 11 8 28 44 100

Situation familiale au départ: - VIVatt avec ses 2 parents 10 tt 9 29 41 100 -vivait en famille monoparentalE 5 8 10 22 55 100 - v1vait en fam1lle recomposée 6 15 2 24 53 100

Nombre d'enfants : -un enfant 12 13 10 36 29 100 -deux enfants 12 15 11 28 34 100 - trois enfants 9 tt 9 29 42 100 - quatre et plus 6 7 6 24 57 100

Père : Cadre ou profession intermédiaire - Enfant un~que 17 18 11 31 23 100

- Ainéde2 19 25 10 25 21 100 - Cadetde2 19 16 16 26 23 100

- Ainé de 3 ou plus 17 16 11 22 34 100 - Dernier de 3 ou plus 9 17 10 33 31 100 - Ni aîné, ni dernier 15 15 9 25 36 100

Ensemble 16 18 11 26 29 100

Père : Employé ou ouvrier - enfant unique 10 7 10 41 32 100

- Aînéde2 6 9 10 28 47 100 -Cadetde2 4 8 12 34 42 100

- Ainé de 3 ou plus 4 b 5 23 62 100 - Dernier de 3 ou plus 5 7 9 31 48 100 - Ni aîné, m derruer 3 3 4 25 65 100

Ensemble 4 6 7 28 55 100

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Tableau 8- Aide reçue l'année suivant le départ, selon le sexe et la fréquence des rencontres entre parents et enfants les premiers mois suivant le départ

HOMMES FEMMES

Mensualité Qques Mensualité Qques totale dépenses Pas TOTAL RépartiUon totale dépenses Pas TOTAL IUpartiUon

oa oa alde d'alde oa alde oa alde d'alde partielle eanataœ partielle ennataœ

L'ENFANT" .

• o. rentrait week-ends 40 30 30 100 16 44 35 21 100 18

000 voyait ses parents o au moins une fols par semainE 10 39 51 100 47 11 46 43 100 47 o au moins une fois par mois 18 35 47 100 20 21 36 43 100 18 o moins souvent 23 22 55 100 17 21 24 55 100 17

Ensemble 18 34 48 100 100 21 38 41 100 100

Tabaleau 9 - «Lorsque vous êtes parti(e), avez-vous le sentiment que ... »

HOMMES FEMMES

Moins 21ans Moins 21ans de et Ensemble de et Ensemble

21ans plus 21ans plus

Votre père -aurait aimé que vous restiez plus longtemps 24 20 22 42 36 35 - trouvait qu'il était temps que vous partiez 11 15 13 7 10 9 -n'était ni content, ni mécontent 37 39 38 25 28 29 -vous n'en savez rien 13 12 12 13 11 13 -autre réponse et non réponse 2 2 2 2 3 2 - père absent ou décédé 13 12 13 11 12 12

TOTAL 100 100 100 100 100 100

Votre mère -aurait aimé que vous restiez plus longtemps 48 39 43 52 45 50 - trouvait qu'il était temps que vous partiez 8 11 10 9 11 10 -n'était ni content, ni mécontent 27 38 33 22 28 24 -vous n'en savez rien 10 7 8 9 8 8 -autre réponse et non réponse 2 1 2 3 4 3 - mère absente ou décédée 5 4 4 5 4 5

TOTAL 100 100 100 100 100 100

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(1) M. Bozon, C Vil­leneuve-Gokalp, «Les enjeux des relations entre générations à la fin de l'adoles­cence», Population, INED, n• 6, 1994, p. 1527-1556.

alors même qu'ils souhaiteraient les voir res­ter.

Les filles plus aidées au moment de l'indépendance

résidentielle

La première année d'indépendance résiden­tielle se passe, un peu plus d'une fois sur deux avec l'aide matérielle des parents. Celle-ci dépend à la fois des besoins des enfants et des possibilités des parents. Ceux qui partent pour leurs études ont particulièrement besoin de leur concours parmi eux, un sur trois reste totalement à la charge de ses parents et un sur quatre reçoit une mensualité régulière. Les jeunes qui partent en raison de leur travail, pour se mettre en couple ou plus simplement pour être indépendants, ont déjà un emploi, ou leur conjoint en a un, et un soutien familial est moins nécessaire. Cependant, environ la moitié d'entre eux reçoit au moins quelques «cadeaux» (équipement, aide en nature ... ) (tableau 6).

Quant aux possibilités des parents, elles va­rient avec le milieu sodal : plus de quatre

enfants de cadres sur dix reçoivent au moins la première année une mensualité qui couvre la totalité ou une partie de leurs dépenses, mais seulement un enfant d'ouvrier qualifié sur dix. Les enfants des classes supérieures font souvent des études longues et leurs pa­rents ont des revenus qui les autorisent plus facilement à rester à leur charge, même après leur départ.

Ainsi, parmi les enfants de cadres ou de pro­fessions intermédiaires, trois enfants sur dix quittent leurs parents pour leurs études et dans ce cas ils reçoivent une mensualité (sept foissurdix).Enrevanche,seulement13 %des enfantsd 'employés ou d'ouvriers partent pour leurs études et ils sont beaucoup moins aidés que les enfants des classes supérieures (quatre fois sur dix) (1).

A voir des parents séparés (ou un parent dé­cédé) constitue une autre situation peu favo­rable pour obtenir d'eux une contribution matérielle après les avoir quittés. Ce résultat était prévisible pour les enfants qui quittent une famille monoparentale; il l'était moins pour ceux qui partent d'une famille recompo­sée où deux revenus sont presque la règle

Tableau 10- Proportions de parents qui auraient aimé que leurs enfants restent plus longtemps selon la cause du départ, la situation familiale au départ et le sexe de l'enfant

Père Mère

Hommes Fèmmes Hommes Femmes

Cause du départ Etudes 23 39 48 51 Travail 21 33 42 44 Couple 22 42 43 51 Indépendance (1) 23 43 46 51 Autre raison 19 35 31 44

Situation familiale Vivait avec ses deux parents - - 44 52

Vivait avec sa mère seule - - 51 55

Vivait avec sa mère en famille recomposée - - 47 50

Enfant unique 18 48 44 55 Deux enfants ou plus 23 41 43 49

(l)Dtsir d'111dtpendsmce, qwmd il n'y a pAS d'autre raison dtclarte au dtpart.

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(1) S. Thave , «Fa­milles nombreuses. Un monde ouvrier», Données Sociales, INSEE,1990, p. 306-309. (2) 37% contte 46 %, œquin'estpaslecas dans les auttes mi­lieux sociaux. (3) M. Bozon, C. Vil­leneuve-Gokalp, «L'art et la manière de quitter ses pa­rents», Population et Sod~s. n• 297, janvier 1995.

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(plus encore que dans les familles où les deux parents vi vent ensemble) (tableau 7). Il se peut que l'aide aux enfants soit moins fréquente dans les familles recomposées uniquement parce que celles-ci sont plus souvent que les autres des familles nombreuses (1).

Moins les parents ont d'enfants, plus ils peu­vent les aider. Les enfants uniques sont plus aidés que les enfants ayant un frère ou une soeur,eux-mêmeslesontplusqueceuxquien ont deux, etc. Les enfants qui n'ont ni frères ni soeurs ont deux fois plus de «chances» que ceux qui en ont trois. Non seulement l'aide est plus fréquente, mais elle est aussi plus impor­tante : 25% restent totalement à la charge de leurs parents ou reçoivent une mensualité partielle contre 13% des enfants ayant au moins trois frères ou soeurs.

Les familles nombreuses étant plus fréquen­tes dans les milieux populaires, il convient de comparer des enfants appartenant à des mi­lieux proches. Lorsque le père est cadre ou profession intermédiaire, avoir un frère ou une soeur ne diminue pas les chances de recevoir une contribution des parents, mais en avoir plusieurs constitue un léger handi­cap : même chez les cadres et les professions intermédiaires, un enfant sur trois n'est pas du tout aidé dans les familles nombreuses, contre moins de un sur quatre dans les familles de un ou deux enfants. Lorsque le père est employé ou ouvrier, les enfants uniques ont un avan­tage même sur les enfants d'une famille de deux.

Un principe d'égalité entre les enfants

Quel que soit le milieu, les parents semblent avoir pour principe de ne pas favoriser un enfant au détriment d'un autre et les aînés bénéficient des mêmes avantages que les ca­dets. Seuls les derniers enfants des familles nombreuses dans les catégories les moins fa­vorisées sont un peu privilégiés par rapport à leurs aînés: la moitié d'entre eux reçoivent une aide, ce qui n'est le cas que d'un peu plus du tiers de leurs frères ou soeurs plus âgés. L'avantagedesbenjaminsprovientdecequ'ils partent à un moment où leurs parents n'ont plus d'enfants à charge et ont pu connaître une promotion professionnelle depuis le départ des aînés (tableau 7).

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Ce principe d'égalité entre les enfants souffre cependant une exception généralisée en fa­veur des filles. La différence de traitement entre filles et garçons est de faible importance (48 % des garçons ne reçoivent aucune aide, 41 %des filles), mais elle existe dans tous les milieux (sauf chez les cadres où les filles sont moins aidées que leurs frères parce qu'elles partent moins souvent qu'eux pour faire des études (2). Cette différence pourrait être attri­buée au départ plus précoce des filles.

Cependant, à âge au départ égal, les filles sont toujours plus aidées que les garçons et l'écart tend à s'élever avec l'âge. Si les femmes quit­tent leurs parents plus tôt, c'est uniquement parce qu'elles se mettent en couple plus jeu­nes: plus d'une sur trois est en couple ou l'a déjàétéà21 ans,contreunhommesurcinqau même âge. Lorsqu'elles partentpouruneautre raison, les femmes le font au même âge que les hommes (3). Dans tous les milieux sociaux, quand la cause du départ est la même, les filles sont toujours plus aidées que les garçons.

Les avantages accordées aux filles sont-ils suscités par le maintien de relations plus étroi­tes avec les filles, qui se traduirait, après leur départ, par des rencontres entre parents et filles plus fréquentes ? Les résultats de l'en­quête ne permettent pas de confirmer cette hypothèse : le rythme de visites des filles est identique à celui des garçons et à rythme des visites égal, les filles restent toujours un peu avantagéesparrapportauxgarçons,sauflors­que les enfants voient leurs parents moins d'une fois par mois (tableau 8).

Les parents auraient ils donc tendance à «cou­ver» leurs filles et à pousser leurs fils à devenir indépendants ? Cette différence de traitement entre garçons et filles se retrouve-t-elle dans l'attitude des parents au moment du départ?

Les parents regrettent plus le départ des filles

Nous avons demandé aux jeunes partis de chez leurs parents s'ils avaient le sentiment qu'au moment de leur départ leur père et leur mère auraient aimé qu'ils restent plus long­temps, ou bien s'ils n'étaient ni contents ni mécontents ou bien encore si leurs parents trouvaient qu'il était temps qu'ils partent.

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(1) Seulement un en­fant sur dix déclare que son père ou (et) sa mère «trouvait qu'il était temps qu'il parte». La tendance naturelle des parents est bien de garder leurs enfants près d'eux.

Le plus souvent, les enfants pensent que leur mèresouhaitaitqu'ilsrestentpluslongtemps: 50% des filles sont de cet avis, 43% des garçons. En revanche, les pères se seraient montrés moins contrariés par leur départ : seulement 35 % des filles et 22 % des garçons pensent que leur père aurait aimé que leur cohabitation se prolonge (tableau 9). Comme il s'agit de «l'impression» que les enfants ont des souhaits de leurs parents, on ne saurait dire si les parents manifestent effectivement plus de regrets de voir partir leur fille que leur fils ou si le regret des parents est identique maisqu'ilestmieuxperçu parlesfillesquepar les garçons.

Quelle que soit la réponse à cette question, une attitude différente entre le père et la mère est toujours signalée, aussi bien par les filles que par les garçons. Celle-ci traduit sans doute le plus grand investissement des mères dans l'éducation de leurs enfants et un sentiment de <<perte» plus fort lorsque ceux-ci s'en vont. En d'autrestermes,lasensibilitédesmères,autant que des filles, à la séparation traduit bien l'investissement spécifique des femmes dans les relations intergénérationnelles.

Supposons que le souhait des parents de gar­der chez eux leur fille plus que leur fils soit réel, ou tout au moins qu'il ne s'explique pas seulement par des perceptions différentes des enfants selon leur sexe. Ce désir de ne pas voir sa fille s'éloigner est-il dicté par une vague crainte de ce qui peut lui arriver «dehors»? Nous avions déjà fait cette hypothèse pour expliquer le contrôle plus strict sur les sorties etlesfréquentationsdesfillesquedesgarçons à l'adolescence. Cette inquiétude des parents pourrait également expliquer, au moins en partie, qu'ils aident plus leurs filles que leurs fils lorsqu'ils quittent leur foyer. Cependant, elle devrait disparaître lorsque le départ a lieu pour vivre en couple, ce qui n'est pas le cas (tableau 10).

Plusqu'uneinquiétudedesparentspourleurs filles, il se pourrait que les parents redoutent la solitude après le départ de leurs enfants et qu'ils aient une attente plus forte à l'égard de leurs filles que de leurs fils : le départ des

premières les affecterait alors plus que celui desseconds.Deuxindicessemblentallerdans ce sens : dans les familles où la mère vit seule avec ses enfants, leur départ est toujours un peu plus regretté que dans les familles où la mère vit en couple et les filles uniques sont les enfants dont les parents supportent le plus difficilement d'être séparés (tableau 10).

Des sentiments plus ccmêléS» au départ des garçons

Mais, ne devrait on pas plutôt expliquer pour­quoi les parents «n'étaient ni contents, ni mé­contents» au moment du départ de leur fils (38 %despères,33 %desmères)plussouvent qu'audépartdeleurfille(29 %et24 %),plutôt que de tenter de savoir pourquoi ils aime­raient que leurs enfants restent avec eux (1) ? (tableau 9). On pourrait alors suggérer que le regret de voir ses enfants s'éloigner est com­pensé par la satisfaction de savoir qu'ils ont «réussi» à devenir indépendants. L'indé­pendance étant perçue comme une <<qualité» plus masculine que féminine, les sentiments des parents au départ des garçons seraient plus «mêlés» qu'ils ne le sont au départ des filles (ce qui expliquerait, en outre, que les pères soient plus sensibles à cette qualité que les mères). Dailleurs, plus les enfants sont âgés, moins les parents souhaitent que la cohabitation se prolonge. Vient un âge où ne pas être indépendant est assimilé à un échec.

Il n'est pas possible de dire que les parents cherchent à retenir leurs enfants auprès deux. Tous les parents s'attendent à voir un jour leurs garçons et leurs filles «quitter le nid». Mais il semble que les attentes à l'égard des uns et des autres soient bien différenciées. Des garçons, on attend avant tout qu'ils manifes­tent leur capacité à être indépendants. Des filles, on attend en outre quelles occupent la place qui leur est assignée dans la trame inter­générationnelle. L'inquiétudedes parents pour leurs filles, qui les pousse à contrôler leurs sorties d'adolescentes mais aussi à les aider matériellement au moment de leurémandpa­tion résidentielle, s'explique sans doute ainsi.

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