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Spectacle : LES AMANTESSaison : 2018-2019 REVUE DE PRESSE
LES TROIS COUPSL E J O U R N A L D U S P E C T A C L E V I V A N T
Les Trois Coups / 20 avril 2018 / Bretagne, Critiques, les Trois Coups
« les Amantes », d’Elfriede Jelinek, Théâtre du Cercle, à Rennes
De l’ironie mordante à la satire grinçante Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
En cette période où la question des rapports entre hommes et femmes connaît un
regain d’actualité brûlant, la compagnie KF association a choisi un texte
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brigitte et paula (les deux prénoms ne portent pas de majuscule dans le roman
d’Elfriede Jelinek, sans doute pour ne pas individualiser les personnages) sont les deux
protagonistes de la pièce. brigitte, interprétée par Camille Kerdellant (le « bonexemple ») est une fille de la ville, couturière dans une fabrique de lingerie féminine.paula (Rozenn Fournier), fille de la campagne et « mauvais exemple », voudrait devenircaissière à la supérette du village.
« Les femmes se marient, ou périssent d’une autre façon »
Toutes deux veulent « s’en sortir ». Pour cela, quand on est femme, il vous faut unhomme. Et pour capturer un homme, il faut se faire faire un enfant. Elfriede Jelinek
dénonce de façon violente l’illusion du salut par le mariage : « Les femmes se marient,ou périssent d’une autre façon ». Les deux actrices donnent une vie saisissante à ceparcours de la combattante à l’issue incertaine.
Jelinek a une vision très sombre de la condition féminine, placée sous l’égide du
rapport entre maître et esclave – le maître étant de surcroît bestial, centré sur ses seuls
désirs. Pour elle, c’est la haine qui domine dans le cœur humain. Une telle noirceur
pourrait s’avérer lassante si elle n’était exprimée avec un certain humour, féroce, il
faut le dire, et allégée par les choix de la metteuse en scène : rythme rapide et ton
dépourvu de tout pathos, clinique parfois.
Sombre mais léger
Autre facteur de légèreté, la mobilité des actrices orchestrée par le chorégraphe
David Monceau. Il les fait beaucoup se déplacer avec une gestuelle légèrement décalée.
Il arrive même que les interprètes dansent sur des rythmes et des pas qui empruntent
au folklore autrichien.
Une utilisation judicieuse de la toile peinte par Juliette Philippe, élément central de la
scénographie, permet parfois de ne voir que les jambes qui semblent « tricoter » à la
manière des couturières sur leur machine. Les lumières créées par Gweltas Chauviré
et pilotées par Thibault Galmiche magnifient cette toile, soit par des éclairages rasants
permettant des effets de transparence, soit par des effets de couleur qui semblent
créer un décor changeant, plus ample.
La création sonore de Jacques-Yves Lafontaine amplifie, voire hyperbolise, les effets de
réel, de même qu’elle accentue les différences de tessiture entre les deux actrices,
contribuant à cet effet de partition musicale.
Reste que la palme revient aux deux comédiennes qui tiennent la scène une heure
trente durant sans le moindre fléchissement. Leur investissement, chacune dans son
registre (plus intériorisé pour Rozenn Fournier, plus expressionniste pour
Camille Kerdellant) fait non seulement vivre les deux protagonistes, mais aussi leur
environnement, au point qu’on a du mal à s’imaginer qu’elles sont seules sur le
plateau. Ce théâtre militant qui ne transige en rien avec les exigences artistiques
mérite de retenir l’attention.
Jean-François Picaut