15
LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT TRANSACTIONNEL Manon HÉBERT, Université de Montréal, Canada INTRODUCTION Le modèle d’enseignement transactionnel que nous avons tenté de mettre en place au début du secondaire accorde une large place au dialogue pour la construction progressive des interprétations, mais aussi à l’enseignement explicite des stratégies de lecture et d’écriture critiques (Brown et al., 1995). En situation de « dévolution » ou de problématisation autonome du texte, et en classe multiethnique plus qu’ailleurs, la qualité de la réflexion et des dialogues entre pairs dépend grandement de la possibilité de partager un bagage culturel commun, tout autant textuel que procédural. Sur un plan culturel, l’enseignant doit planifier des groupements et des mises en réseau de textes (Tauveron, 1999) qui, le temps d’une année scolaire au moins, pourront tisser une certaine communauté de lecteurs, facilitant les échanges et la comparaison des œuvres. Sur un plan socio-affectif, cela suppose que l’enseignant instaure en classe un climat de confiance permettant un partage de l’autorité interprétative. Et ce, en encourageant et en accueillant les réactions de lecture de tous types qui sont révélatrices des représentations initiales des élèves, de leur culture « première ». Enfin, sur un plan cognitif et textuel, l’enseignant doit enseigner d’une manière très explicite et transparente un ensemble de stratégies utiles à l’appréciation des textes afin d’outiller l’étayage par les pairs en situation de collaboration (Hébert, 2006a et b). Car, comme le soulignent Gilly, Fraisse et Roux (1988), pour que les échanges entre pairs soient réellement fructueux, il faudrait qu’ils portent tout autant sur les processus de résolution de problèmes employés que sur les contenus des textes lus. L’objectif de la présente communication consiste à montrer comment se sont articulées sur un plan macro cinq phases d’enseignement et d’usage des textes au cours de l’année scolaire qui a servi de cadre à notre expérimentation doctorale (voir annexe 1); et jusqu’à quel point ces phases ont pu mener, sur un plan micro, à ouvrir des espaces culturels communs afin de soutenir les échanges entre pairs lors des cercles littéraires autonomes. CADRE CONCEPTUEL La lecture littéraire : définition et finalités pédagogiques Il est convenu que la lecture littéraire est un objet d’enseignement multiple et complexe et qu’elle fait simultanément appel à plusieurs modes ou postures de lecture, dont lire pour comprendre et interpréter; lire pour le plaisir de s’évader et de vivre une expérience imaginaire de langage et lire pour évaluer, critiquer un objet d’art, de culture (Leenhardt, 1980; Langer, 1990; Dufays. Gemenne et Ledur, 1996 ; Canvat, 1999). Ainsi, selon Dufays et al. (1996), « le premier souci de ceux qui ont pour tâche d’enseigner la lecture devrait donc être de veiller constamment à préserver cet équilibre » (p.100). Selon les théories socio-culturelles de l’apprentissage, l’acquisition des outils culturels ou des habiletés de pensée de haut niveau, et sur lesquels repose en grande partie la lecture littéraire, se ferait par imitation et intériorisation progressive grâce à la verbalisation, au soutien et au modelage des pairs (Vygotski, 1985/1934). Les discussions entre pairs, en permettant aux élèves de générer, verbaliser et confronter leurs propres opinions et questions, favoriseraient la compréhension-interprétation des textes littéraires (Daniels 2002 ; Terwagne, Lafontaine et Vanhulle, 2000; Fall, Webb et Chudowsky, 2000 ; Almasi, 1995). Pourtant, une

LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT TRANSACTIONNEL

Manon HÉBERT, Université de Montréal, Canada

INTRODUCTION

Le modèle d’enseignement transactionnel que nous avons tenté de mettre en place au début du secondaire accorde une large place au dialogue pour la construction progressive des interprétations, mais aussi à l’enseignement explicite des stratégies de lecture et d’écriture critiques (Brown et al., 1995). En situation de « dévolution » ou de problématisation autonome du texte, et en classe multiethnique plus qu’ailleurs, la qualité de la réflexion et des dialogues entre pairs dépend grandement de la possibilité de partager un bagage culturel commun, tout autant textuel que procédural.

Sur un plan culturel, l’enseignant doit planifier des groupements et des mises en réseau de textes (Tauveron, 1999) qui, le temps d’une année scolaire au moins, pourront tisser une certaine communauté de lecteurs, facilitant les échanges et la comparaison des œuvres. Sur un plan socio-affectif, cela suppose que l’enseignant instaure en classe un climat de confiance permettant un partage de l’autorité interprétative. Et ce, en encourageant et en accueillant les réactions de lecture de tous types qui sont révélatrices des représentations initiales des élèves, de leur culture « première ». Enfin, sur un plan cognitif et textuel, l’enseignant doit enseigner d’une manière très explicite et transparente un ensemble de stratégies utiles à l’appréciation des textes afin d’outiller l’étayage par les pairs en situation de collaboration (Hébert, 2006a et b). Car, comme le soulignent Gilly, Fraisse et Roux (1988), pour que les échanges entre pairs soient réellement fructueux, il faudrait qu’ils portent tout autant sur les processus de résolution de problèmes employés que sur les contenus des textes lus.

L’objectif de la présente communication consiste à montrer comment se sont articulées sur un plan macro cinq phases d’enseignement et d’usage des textes au cours de l’année scolaire qui a servi de cadre à notre expérimentation doctorale (voir annexe 1); et jusqu’à quel point ces phases ont pu mener, sur un plan micro, à ouvrir des espaces culturels communs afin de soutenir les échanges entre pairs lors des cercles littéraires autonomes.

CADRE CONCEPTUEL

La lecture littéraire : définition et finalités pédagogiques

Il est convenu que la lecture littéraire est un objet d’enseignement multiple et complexe et qu’elle fait simultanément appel à plusieurs modes ou postures de lecture, dont lire pour comprendre et interpréter; lire pour le plaisir de s’évader et de vivre une expérience imaginaire de langage et lire pour évaluer, critiquer un objet d’art, de culture (Leenhardt, 1980; Langer, 1990; Dufays. Gemenne et Ledur, 1996 ; Canvat, 1999). Ainsi, selon Dufays et al. (1996), « le premier souci de ceux qui ont pour tâche d’enseigner la lecture devrait donc être de veiller constamment à préserver cet équilibre » (p.100).

Selon les théories socio-culturelles de l’apprentissage, l’acquisition des outils culturels ou des habiletés de pensée de haut niveau, et sur lesquels repose en grande partie la lecture littéraire, se ferait par imitation et intériorisation progressive grâce à la verbalisation, au soutien et au modelage des pairs (Vygotski, 1985/1934). Les discussions entre pairs, en permettant aux élèves de générer, verbaliser et confronter leurs propres opinions et questions, favoriseraient la compréhension-interprétation des textes littéraires (Daniels 2002 ; Terwagne, Lafontaine et Vanhulle, 2000; Fall, Webb et Chudowsky, 2000 ; Almasi, 1995). Pourtant, une

Page 2: LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

2

majorité d’enseignants américains, notamment ceux du secondaire, disent avoir très peu expérimenté de tels dispositifs (Commeyras et Degroff, 1998 ; Baribeau, 2004).

Il faut dire que ce dispositif d’enseignement remet fondamentalement en cause la question de l’autorité interprétative. Aux États-Unis, dans la majorité des discussions observées en classe, l’enseignant monopoliserait environ 60% du temps de parole et 90% des questions (Marshall, Smagorinsky et Smith, 1995; Almasi, 1996), sans parler du fait que les discussions authentiques seraient à peu près inexistantes dans les classes plus faibles (Nystrand, 1999). En France, Nonnon a observé le même phénomène au lycée (1995 :132) et souligne que, dans ce type d’échange frontal, les élèves ne prennent en charge aucune des conduites discursives qu’ils devraient apprendre à maîtriser dans une situation d’interaction naturelle et tout le travail de validation et de cohérence est assumé par l’enseignant.

Vers un modèle transactionnel

Dans une perspective socioculturelle, et dans la lignée des travaux de Charlot (1997), la lecture littéraire à l’école devrait être entendue non pas seulement comme une activité d’acquisition d’un bagage textuel consacré, mais surtout comme une occasion de développer un rapport avec soi-même, la langue, les autres et le monde (Falardeau et Simard, 2005). Selon nous, l’une des conditions essentielles pour que se développe un tel rapport à la littérature réside dans un partage plus équilibré de l’autorité interprétative en classe.

C’est à partir de cette volonté que nous nous sommes intéressée au modèle d’enseignement transactionnel développé par l’équipe de Brown et Pressley (Transactional Strategy Instruction) (Brown et al., 1995a et b; Pressley et al., 1992). Ce modèle tente de faire la jonction entre les théories cognitive et expérientielle de la lecture. Les stratégies de lecture y sont enseignées de manière explicite, ce qui n’est pas sans intérêt puisque, selon Chevalier (1985), « sans aide spécifique, la capacité de lecture évolue peu à partir de onze-douze ans (...) il est nécessaire de poursuivre l’apprentissage de la lecture au-delà de l’école primaire » (p.3). La compréhension d’un texte littéraire y est considérée comme une construction de sens qui se négocie à partir des multiples interactions qui surgissent in situ entre les acteurs (texte/lecteur/contexte). Le mot « transactionnel » est emprunté à la théorie de Rosenblatt (1994), selon laquelle le préfixe « trans- » suggérerait l’idée d’une traversée, d’une réciprocité, d’une transformation progressive du sens que le mot « interaction » n’aurait pas (Hébert, 2004b).

En conséquence, nous avons adapté et développé un modèle pour le secondaire qui comporte cinq phases d’enseignement (voir détails en annexe 1 et 2). Y sont exploités des dispositifs transactionnels (journal dialogué, cercles littéraires, discussions en grands groupes) par l’entremise de diverses méthodes d’enseignement (explicite, différenciée et par les pairs) qui conditionnant différents usages des textes (Hébert, 2003a, 2006a et b).

MÉTHODOLOGIE

Type de recherche

Les principes méthodologiques qui guident la présente recherche s’appuient sur les approches de type constructiviste et ethnographique, lesquelles considèrent l’apprentissage comme un processus de construction de l’apprenant, à la fois social et individuel, profondément imbriqué dans le contexte socio-culturel de l’activité d’apprentissage observée (Maykut et Morehouse, 1994; Denzin et Lincoln, 1994). Il s’agit d’une recherche de type qualitatif, à visée descriptive et dont la taille réduite de l’échantillon n’autorise aucune généralisation. Les données ont été traitées de manière mixte, par analyse de contenu (ou méthode de réduction des données) à l’aide de grilles issues de notre cadre théorique, ensuite

Page 3: LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

3

soutenue par des analyses statistiques de fréquence, de variance et de corrélation (Pourtois et Desmet, 1985).

Population, déroulement et échantillon

L’expérience a eu lieu dans une école secondaire privée située à Montréal et dont la population issue de la classe moyenne est d’origine très multiethnique (75% de nos élèves n’avait pas le français comme langue maternelle). L’expérimentation s’est déroulée à l’aveugle dans deux des quatre classes de l’enseignante-chercheure, en première secondaire (11-13 ans). Le groupe dit « enrichi » comptait 31 élèves moyens-forts (qui avaient eu 80% et plus de moyenne générale à la fin de leur primaire); le groupe régulier, 26 élèves moyens-faibles. Une fois l’année scolaire terminée, quatre équipes d’élèves (n=20, dont 8 filles et 12 garçons) ont été sélectionnées en guise d’échantillon1.

Les présentes données d’analyse « micro » proviennent des transcriptions des 20 journaux d’élèves (n=177 commentaires analysés) et de huit discussions (n=116 épisodes). Pour des raisons techniques, nous n’avons pu analyser que les deux premières discussions, pour un total de huit (4 équipes x 2). L’expérimentation s’est déroulée en mai-juin, les élèves devaient lire par eux-mêmes en classe le roman Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier. Une pré-expérimentation avait eu lieu en mars-avril avec le roman L’appel de la forêt de Jack London.

Instruments pour l’analyse des commentaires des élèves (micro)

La taille modeste de l’échantillon s’explique en fonction de la grande complexité de ce type d’analyse de contenu (commentaires littéraires élaborés en groupe à l’oral et individuellement à l’écrit). Ajouté au fait que ces données ont été codées et analysées à un triple niveau, soit celui a) des modes de collaboration dans les interactions entre pairs, b) des modes de lecture et types de sujets discutés et c) du degré d’élaboration de la réflexion. Et cela dans une perspective comparative (groupes enrichis vs réguliers).

Nous avons construit notre grille d’analyse pour la variable « modes de lecture » en faisant une synthèse des principaux modèles de compréhension en lecture et en lecture littéraire (voir annexe 3). Pour analyser le degré d’élaboration des commentaires, nous avons construit une grille à partir des critères utilisés pour évaluer les élèves pendant l’année (voir annexe 4). Nous avons testé la validité du codage sur 10% des données et atteint un degré d’accord inter-juges satisfaisant pour ces deux variables (83%, à trois juges dont le chercheur).

DÉMARCHE PÉDAGOGIQUE ET RÉSULTATS

1) Phase d’enseignement explicite : enseigner des stratégies de lecture ET des notions d’analyse littéraire

Dans une première phase d’enseignement explicite, stratégique et frontal, l’enseignant fournit dans un même mouvement des outils pour mieux lire (un ensemble de stratégies de lecture) et mieux analyser (ensemble de concepts littéraires) les œuvres2. Pour ce qui est des notions d’analyse littéraire vues dans l’année, la plupart se rapportaient aux caractéristiques du récit et de la séquence descriptive (voir annexe 2). Cet enseignement magistral s’appuyait idéalement sur des extraits tirés d’œuvres classiques jugés souvent trop difficiles à lire en lecture autonome. Par exemple, pendant que les élèves avaient à lire une adaptation de l’Iliade

1 Les critères de sélection étaient la qualité technique des enregistrements audio, la présence de tous les membres et les documents de travail

post-discussion complets. 2 Nous renvoyons à nos articles pour des démonstrations plus détaillées de ce que peut être une leçon d’enseignement explicite d’un concept

littéraire et d’une stratégie de lecture (Hébert, 2006 a et b).

Page 4: LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

4

et l’Odyssée (grand format illustré3), nous travaillions avec eux des passages beaucoup plus difficiles tirés de la traduction de Victor Bérard et qui figuraient dans leur manuel de classe4.

En revisitant nos données dans le but de mieux comprendre comment les différents « textes » et phases d’enseignent s’articulent et quels types de liens se tissent, nous avons tenté d’observer jusqu’à quel point les élèves réutilisaient de manière autonome dans leurs journaux et discussions les notions textuelles enseignées. Le pourcentage est relativement peu élevé. Environ 6% de l’ensemble des commentaires à l’écrit et à l’oral (n=19 sur 293) font explicitement référence aux notions « savantes » vues en classe, et cela est davantage fait par les élèves plus forts et à l’écrit (voir un exemple dans le tableau 2).

Cela ne doit pas nous étonner. D’abord, un roman s’avère une « jungle » par rapport aux extraits des manuels scolaire, ce qui rend difficile pour un apprenti l’utilisation d’outils d’analyse tout juste acquis. Ensuite, dans ce modèle, les journaux et discussions doivent être considérés comme des tâches « d’apprentissage » et de découverte, tant pour l’élève que pour l’enseignant. Elles doivent permettre au premier d’exprimer ses réactions premières et personnelles et au second de les écouter. Par conséquent, l’enseignante doit s’empêcher d’imposer toute question ou consignes d’analyse. Comme le souligne fort à propos Chabanne, « Il faut accepter qu’il y ait une genèse de la lecture (…). C’est-à-dire un temps de maturation qui passe (…) par des fausses routes et des naïvetés » (1998 :30).

2) Les phases d’enseignement différencié : comment évaluer un commentaire

Cette phase consiste à soutenir individuellement les élèves à l’écrit en imposant des règles minimales de cohésion et d’élaboration du commentaire. Chaque commentaire doit refléter l’application d’une seule stratégie de lecture, et par conséquent ne porter que sur un seul sujet. En fonction des règles élémentaires de l’argumentation, il faut que l’élève amène son sujet (soit brièvement résumer la scène et nommer la stratégie utilisée); appuie son commentaire à l’aide d’exemples et de citations précises, puis fournisse des éléments d’explications pertinents en fonction de la posture de lecture choisie. Par exemple, voici quelques-unes des stratégies de lecture et règles minimales d’écriture telles qu’elles ont été formalisées pour des élèves de première secondaire (Hébert, 2003a) :

Tableau 1: quelques stratégies de lecture littéraire et outils d’écriture pour commenter

Critiquer • Résumer et

citer • Donner son

opinion et ses raisons

• Trouver des raisons adverses, des explications

Se questionner

• Résumer et citer

• Questionner • Formuler une

hypothèse fondée

Visualiser • Résumer et

citer • Nommer sa

réaction • Analyser les

sensations, les procédés textuels

Revoir son opinion • Résumer et

citer • Décrire ses

premières réactions

• Décrire ce qui a changé

Un dialogue pédagogique interindividuel s’établit entre l’élève lecteur et l’enseignant – un enseignant-lecteur qui partage parfois ses réactions (d’où l’expression « journal dialogué »), mais qui fournit aussi un étayage formel (voir exemple en annexe 5). En accord avec les propos de Caillier sur le débat philosophique, nous rappelons que l’objectif à cette étape-ci et à la suivante n’est « pas de construire des savoirs disciplinaires mais de favoriser la prise de conscience de leur besoin. » (2002 : 57).

3 Éditions Tormont (1991), 152 p. 4 Achard, A.-M., J.-J. Besson et C.Caron (1996). Littérature et expression 6e, Paris : Hachette Éducation, pp.46-49.

Page 5: LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

5

3) Phase d’enseignement par les pairs5

La « rentabilité » des cercles littéraires sur le plan de l’apprentissage dépendrait largement du degré d’autonomie laissé aux élèves (Nystrand, Gamoran et Heck, 1993). Nous avons donc adopté une formule libre de discussions entre pairs dans cette troisième phase du modèle. Chaque élève avait une responsabilité d’ordre technique (identifier la cassette, contrôler la durée, etc.). Le seul rôle important était celui de l’animateur, octroyé à l’élève faisant preuve du meilleur leadership. Celui-ci devait avant tout veiller à une juste répartition des tours de parole et à l’enchaînement des sujets. Avant de participer à la discussion6, chaque élève devait lire seul un tiers du roman et noter des sujets potentiels pour la discussion (mini-commentaires). La consigne pour le travail entre pairs était simple : partager les réflexions préliminaires et s’entraider à les approfondir comme tous avaient appris à le faire dans leurs journaux sous le guidage de l’enseignant (phase 2).

Quels sont les modes et les stratégies de lecture les plus utilisées dans les commentaires ? Nous avons pu observer que, dans ces activités transactionnelles où les élèves sont invités à prendre en charge le questionnement de l’œuvre et les types de stratégie à appliquer, ils utilisent une variété de stratégies et intègrent toutes les postures de lecture. Ainsi, dans les commentaires écrit et oraux confondus (n=233), 40% relèvent d’un mode de lecture littéral ; 26%, engagement personnel; 18%, analyse textuelle et 16%, évaluation-critique. Ce qui confirme que nous avons affaire à des lecteurs apprentis ayant encore besoin de clarifier des aspects factuels; puis que le mode de l’évaluation-critique reste difficile à atteindre pour des élèves de cet âge, faute de connaissances conceptuelles. Par contre, les résultats statistiques relatifs à la variable « degré d’élaboration » révèlent que c’est lorsqu’ils adoptent les modes personnel ou analytique que les élèves élaborent le mieux leurs commentaires.

Parmi les stratégies de lecture les plus utilisées, c’est la stratégie «S’identifier, juger moralement» qui a dominé, et ce, tant à l’oral qu’à l’écrit, mais davantage dans le groupe régulier que le groupe enrichi (21% contre 14%). Cette stratégie consiste à «vivre» avec les personnages de l’histoire, à ressentir leurs émotions et à juger leurs gestes et attitudes comme s’ils étaient des personnes réelles (se rappeler des moments de solitude comparables à ceux vécus par Robinson, admirer son ingéniosité, critiquer son attitude envers Vendredi, etc.).

Quant aux différences entre les groupes, les élèves des groupes réguliers font plus de résumés (17% contre 4%). Quant aux élèves plus forts, ils utilisent beaucoup plus la stratégie Découvrir que les élèves réguliers et plus faibles (20% contre 6%). Ils ont en effet manifesté une curiosité marquée pour tous les procédés techniques associés au champ référentiel de ce récit de survie (fabriquer une clepsydre, de l’encre, de la colle, des explosifs, etc.). On ne peut donc ici ignorer l’influence du genre de roman sur les modes et stratégies de lecture (Galda, 1990).

4) Phase d’intégration à l’écrit : interprétation située et interdiscursivité

C’est après chaque discussion, dans une quatrième phase d’intériorisation que chacun doit élaborer à l’écrit les commentaires qu’il juge les plus intéressants. Il s’agit d’une phase de structuration qui exige des élèves un effort de mise à distance, une volonté de commencer à structurer l’expérience sensible par la production d’un discours de type réflexif. Nous entendons le sens du mot « réflexif » à la manière dont Chabannes et Boucheton, soit « Réfléchir la parole des autres ». Cette réflexivité se développant « par la capacité à reprendre-transformer (François, 1993) des formes discursives dans un chantier continu » (2002 : 10).

5 Nous renvoyons à nos articles précédents pour l’analyse des interactions entre pairs (Hébert, 2003 a et b, 2004a). 6 Les équipes formées par l’enseignant regroupaient 5 élèves hétérogènes. Les discussions avaient lieu une fois par semaine (pendant les trois

semaines que prennent la lecture d’un roman en classe) et duraient autour de 30 minutes (audio-enregistrées).

Page 6: LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

6

Dans une perspective plus sémiotique et post-moderne, cela renvoie aux notions d’intertextualité et d’interdiscursivité et à la définition même de l’objet « texte », considéré depuis les travaux de Bakhtine et Kristeva comme une superposition de discours et un objet ouvert. Dans le contexte d’une pédagogie transactionnelle, commenter un texte littéraire relève donc sans qu’il n’y paraisse à première vue d’un haut degré d’interdiscursivité. En effet, l’élève sera amené, plus ou moins consciemment, à solidifier sa réflexion en « réfléchissant » et en superposant de nombreux discours : d’abord le discours de sa propre expérience subjective de lecture; puis le discours du texte qu’il lit et cite; puis le discours des autres textes qui lui font écho; ensuite ceux de l’enseignant, entendus tout au long de l’année dans les cours magistraux, et ceux des pairs partagés pendant les cercles littéraires (Hébert, 2007).

L’exemple ci-dessous illustre un commentaire de ce type. Il a été rédigé par un élève du groupe enrichi (moyen lecteur) après une première discussion entre pairs. Le commentaire vise à critiquer le style descriptif de l’auteur, une caractéristique relevant de l’art du récit. Nous l’avons ainsi codé comme appartenant au mode textuel. Pour ce qui est du degré d’élaboration du propos, nous avons attribué un 3 ou un C selon notre grille.

Tableau 2 : Commentaire écrit d’un élève (FA) après un cercle littéraire

Commentaire sur le roman Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier

Notre analyse des indices d’interdiscursivité

Je trouve que Michel Tournier ne décrit pas les objets qu’il utilise lorsque qu’il construit la maison et plusieurs autres objets.

Quand il décrit quelque chose, ce n’est pas comme on l’a vu en français.

En comparant ce livre à l’Iliade, il n’y a presque rien de décrit.

Car je me suis habitué à cela. Mais CH m’a dit que l’auteur décrivait peu à peu.

(65 mots)

� L’élève fait référence au discours de l’auteur en critiquant un aspect de la mise-en-texte, du récit.

� Il fait référence aux cours magistraux, au discours de l’enseignant

� Il fait référence à d’autres œuvres

� Il fait référence à ses habitudes de lecture

� Il fait référence à l’opinion d’un pair

5) Phase de synthèse et de mise en réseau des textes

S’agissant de cet exemple ci-dessus où l’élève FA critique le manque de descriptions dans le roman de Tournier, on pourrait penser que dans une dernière phase subséquente de travail dirigé par l’enseignant, une révision du concept littéraire de point de vue pourrait être utile pour résoudre une partie du problème soulevé par l’élève. La différence avec un enseignement traditionnel axé sur le texte réside ici dans le fait que le maître considère et prévoit les réactions et les besoins de l’élève pour aborder un point du programme.

Enfin, ce retour en grand groupe devrait surtout permettre à l’enseignant d’effectuer une synthèse qui, en cohérence avec le modèle interactif de compréhension en lecture, établirait la jonction lecteur-texte-contexte (Giasson, 1990). Par exemple, dans le cas de notre expérimentation, nous avons vu que les élèves avaient eu à étudier des extraits de l’Iliade et de l’Odyssée et le roman L’Appel de la forêt de Jack London. Ainsi, dans notre séance de synthèse, il aurait été pertinent de procéder à une analyse comparative de ces œuvres, car la déception de l’élève qui « s’attendait » à retrouver dans le roman de Tournier d’amples descriptions autorisées par un narrateur omniscient peut en partie s’expliquer par ces expériences de lectures antérieures.

Page 7: LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

7

CONCLUSION

Nous avons pu observer dans la présentation des phases de ce modèle transactionnel de nombreux usages des textes en classe, allant de l’étude d’extraits en groupe à la lecture individuelle et entre pairs de classiques jeunesse. Chacune des phases faisant ainsi s’alterner les types de support (extraits de classiques, œuvres intégrales au choix et imposées à tous) de même que les types de polarités pédagogiques (enseignant/classe, enseignant/élève, élèves/élèves) et accordant tantôt la priorité au texte ou à l’interprétation de l’enseignant, tantôt à celles des élèves et de la classe.

Il apparaît également que les cercles littéraires entre pairs et le journal de lecture constituent des dispositifs didactiques ayant le mérite de faire naître des questions et une motivation authentiques chez l’élève. En privilégiant des stratégies de lecture telles que « S’identifier aux personnages » ou « Découvrir », les élèves ont montré en quoi l’appréciation des œuvres intégrales en classe peut les conduire à construire et à exprimer un rapport à soi, aux autres et au monde (Simard, 2001). Cependant, ces pratiques collaboratives ébranlent les conceptions traditionnelles d’une pédagogie de la « bonne réponse », non seulement parce qu’elles entraînent un nouveau partage de l’autorité interprétative en classe, mais aussi un nouveau type de discours « collectif et situé» qui aurait intérêt à être pris en considération dans les planifications, les interventions et les évaluations de l’enseignant.

Dans une perspective socioculturelle, nous aimerions ainsi conclure en rappelant la nécessité pour les recherches en didactique d’examiner la compréhension en lecture comme un apprentissage situé, lequel se définit dans l’interaction entre les différents espaces culturels et acteurs (lecteurs, textes, contexte) qui sont en jeu au sein de cette communauté discursive qu’est la classe. Nous croyons que des approches de type transactionnel permettent de faire entrer l’espace culturel des élèves en classe, et cette condition nous paraît essentielle pour qu’un rapport authentique à la lecture et aux œuvres littéraires puisse naître, et pour que des ponts puissent ensuite se créer (Zakartouch, 1999).

BIBLIOGRAPHIE

Almasi, J. F. (1995). The Nature of Fourth Graders’ Sociocognitive Conflicts in Peer-led and Teacher-led Discussions of Literature. Reading Research Quarterly, 30 (3), 314-351.

Almasi, J. F. (1996). A New View of Discussion. In L. B. Gambrell (éd.), Lively Discussions: Fostering Engaged Reading (pp. 2-24). Newark:DE: IRA.

Baribeau, C. (2004). Les habitudes de lecture. In M. Lebrun (dir.), Les pratiques de lecture des adolescents québécois (pp. 25-44). Sainte-Foy: Éditions Multimonde.

Brown, R., El-Dinary, P.B., Pressley, P.B. et Coy-Ogan, L. (1995). A transactional strategies approach to reading instruction. The Reading Teacher, 49 (3), 256-258.

Brown, R., M. Pressley, P. Van Meter et T. Schuder (1995). A Quasi-Experimental Validation of Transactional Strategies Instruction with Previouly Low-Achieving, Second-Grade Readers. Report No. 33. Illinois: National Reading Research Center.

Caillier, J. (2002). Traces de réflexivité dans la classe: développement d’une socialité cognitive par le biais de pratiques langagières scolaires. In J.-C. Chabanne et D. Bucheton (dir.), Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire. L’écrit et l’oral réflexifs (pp.53-72). Paris : PUF.

Canvat, K. (1999). Comprendre, interpréter, expliquer, décrire les textes littéraires. Postures de lecture et opérations métacognitives. Enjeux, 46, 93-111.

Chabanne, J.-C. (1998). La lecture avant la lecture. Le français aujourd’hui, 121, 28-36. Chabanne, J.-C. et Bucheton, D. (2002). L’activité réflexive dans les écrits intermédiaires:

quels indicateurs? In J.-C Chabanne et D. Bucheton (dir.), Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire. L’écrit et l’oral réflexifs (pp.25-51). Paris : PUF.

Page 8: LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

8

Chevalier, B. (1985). Bien lire au collège, niveau 1. Paris: Nathan. Commeyras, M. et Degroff, L. (1998). Literacy professionals’ perspectives on professional

development and pedagogy: A national survey. Reading Research Quarterly, 33, 434-472. Daniels, H. (2002). Literature Circles. Voice and Choice in the Student-Centered Classroom.

Ontario: Pembroke Plublishers Limited. Denzin, N. K. et. Lincoln, Y.S. (1994). Handbook of Qualitative Research. Thousand Oaks,

CA: Sage. Dufays, J.-L., L.Gemenne et Ledur, D. (1996). Pour une lecture littéraire 2. Bilan et

confrontations. Actes du colloque de Louvain-la-Neuve (3-5 mai 1995). Bruxelles: De Boeck-Duculot.

Falardeau, É. et Simard, D. (2005). Articuler la didactique du français au développement d’une compétence culturelle par des élèves du secondaire. In Actes du 9e colloque de l’AIRDF, Québec, août 2004. Québec : AIRDF.

Fall, R., Webb, M.N. et Chudowsky, N. (2000). Group Discussion and Large-Scale Language Arts Assessment : Effects on Students’ Comprehension. American Educational Research Journal, 37(4), 911-941.

Galda, L. (1990). A Longitudinal Study of the Spectator Stance as a Function of Age and Genre. Research in the Teaching of English, 24 (3), 261-278.

Giasson, J. (1990). La compréhension en lecture. Bruxelles : De Boeck Université ; Boucherville : G. Morin.

Gilly, M., J. Fraisse et J.-P. Roux (1988). Résolution de problèmes en dyades et progrès cognitifs chez des enfants de 11 à 13 ans: dynamiques interactives et socio-cognitives. In A-N. Perret-Clermont et M. Nicolet (dir.), Interagir et connaître. Enjeux et régulations sociales dans le développement cognitif (pp. 73-92). Fribourg: DelVal.

Hébert, M. (2003a). Co-élaboration du sens dans les cercles littéraires entre pairs en première secondaire: étude des relations entre les modalités de lecture et de collaboration. Thèse de doctorat non-publiée : Université de Montréal (353p). (www.theses.umontreal.ca/theses/nouv/hebert_m/these.pdf)

Hébert, M. (2003b). Co-élaboration du sens entre pairs en première secondaire: étude de la dynamique interactionnelle dans les cercles littéraires. Enjeux, 58, 95-117.

Hébert, M. (2004a). Les cercles littéraires entre pairs en première secondaire: études des relations entre les modalités de lecture et de collaboration. Revue des sciences de l’éducation, 30 (3), 605-630. (http://www.erudit.org/revue/rse/2004/v30/n3/012084ar.html)

Hébert, M. (2004b). Pour une intégration des familles de situation en lecture littéraire. Principes d’une approche transactionnelle. Québec Français, 135, 82-84.

Hébert, M. (2006a). Cercles littéraires en classes hétérogènes: quelles conditions pour une interprétation partagée. In J.-L. Dumortier et M. Lebrun (dir.), Une formation littéraire malgré tout. Enseigner la littérature dans les classes «difficiles» (pp.39-59). Namur : Presses de l’Université de Namur.

Hébert, M. (2006b). Cahier pratique : exemple d’une séquence d’enseignement explicite pour l’appréciation des œuvres. Québec Français, 143, 89-92.

Hébert, M. (2007). Oral et écrit réflexifs: quelle interrelation pour le développement du commentaire littéraire? In G. Plessis-Bélair, L. Lafontaine et R. Bergeron (dir.), La didactique du français oral au Québec. Recherches actuelles et applications dans les classes (pp.91-117). Québec : Presses de l’Université du Québec.

Langer, J. A. (1990). The Process of Understanding: Reading for Literary and Informative Purposes. Research in the Teaching of English, 24 (3), 229-257.

Leenhardt, J. (1980). Introduction à la sociologie de la lecture. Revue des Sciences Humaines, XLIX (177), 39-55.

Page 9: LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

9

Marshall, J. D., Smagorinsky, P. et Smith, N.W. (1995). The Language Of Interpretation: Patterns of Discourse in Discussions of Literature. Urbana, Ill.: National Council of Teachers of English.

Maukut, P. et Morehouse, R. (1994). Beginning Qualitative Research. A Philosophic and Pratical Guide. Washington, D.C.: The Falmer Press.

Nonnon, É. (1995). Prise de parole autour des textes et travail sur l’oral au lycée. Recherches, 22, 101-150.

Nystrand, M. (1999). The contexts of learning: Foundations of academic achievement. English Update: A Newsletter From the Center on English Learning and Achievement, 8, 2-3.

Nystrand, M, Gamoran, A. et Heck, M.J. (1993). Using small groups for response to and thinking about literature. English Journal (High School Edition), 82(1), 14-22.

Pourtois, J.-P., et Desmet, H. (1988). Épistémologie et instrumentation en sciences humaines. Liège, Bruxelles: Pierre Mardaga.

Pressley, M., Brown, R., El-Dinary, P. B. et Afflerbach, P. (1995). The Comprehension Instruction That Students Need: Instruction Fostering Constructively Responsive Reading. Learning Disabilities Research & Practice, 10 (4), 215-224.

Pressley, M., Schuder, T., Bergman, J.L. et El-Dinary, P.B. (1992). A Researcher-Educator Collaborative Interview Study of Transactional Comprehension Strategies Instruction. Journal of Educational Psychology, 84 (2), 231-246.

Rosenblatt, L. (1994). The Reader, the Text, the Poem: the Transactional Theory of the Literary Work. Carbondale: Southern Illinois University Press.

Simard, D. (2001). L’approche par compétences marque-t-elle le naufrage de l’approche culturelle dans l’enseignement ?. Vie Pédagogique, 19-22.

Tauveron, C. (1999). Comprendre et interpréter le littéraire à l’école: du texte réticent au texte proliférant. Repères, 19, 9-36.

Terwagne, S., Lafontaine, A., et Vanhulle, S. (1999). Les cercles de lecture. Bruxelles : DeBoeck.

Van der Maren, J.-M. (1995). Méthodes de recherche pour l’éducation. Montréal: Les Presses de l’Université de Montréal/De Boeck.

Vygotsky, L. (1985/1934). Pensée et langage. Paris: Messidor/Éditions Sociales. Zakartouch, M. (1999). L’enseignant, un passeur culturel. Paris : ESF.

ANNEXE 1

Étapes du modèle transactionnel développé pendant l’expérimentation

a) Dans la première phase d’enseignement explicite, stratégique et frontal,

l’enseignant fournit des outils pour mieux lire, soit un ensemble de stratégies de compréhension7, de lecture esthétique8 et critique9, de même que des concepts littéraires, et ce, idéalement à partir d’extraits tirés

7 Parmi les principales stratégies de compréhension: identifier les idées principales; résumer; repérer la structure du texte; prédire, émettre

des hypothèses; visualiser; faire des liens avec ses connaissances antérieures; faire des inférences, raisonner; identifier, réparer ses pertes de compréhension (Boyer,1995).

8 Parmi les principales stratégies de lecture esthétique: faire des liens avec sa propre vie; retrouver en soi des souvenirs ; décrire son expérience; ressentir de l’empathie pour les personnages; s’identifier à eux; évoquer des sensations ressenties ou visualisées grâce au langage de l’auteur; imaginer d’autres mondes (Lebrun, 1996 : Hébert, 2003).

9 Parmi les principales stratégies de lecture critique : soutenir son raisonnement en s’appuyant sur la recherche d’indices textuels ou élargir l’empan de son analyse à d’autres contextes en s’appuyant sur des savoirs savants; questionner, émettre des hypothèses; interpréter; revoir son point de vue, en considérer l’évolution (Dufays, 1997; Jouve, 2001); être conscient de ses propres idéologies et de celles de son milieu.

Page 10: LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

10

d’œuvres classiques jugés souvent trop difficiles à lire en lecture autonome (Hébert, 2006 a et b).

b) Dans la deuxième phase d’enseignement différencié, l’élève expérimente les stratégies apprises en écrivant dans un journal de lecture de courts commentaires (minimum 60 mots) reflétant sa compréhension d’une œuvre de jeunesse intégrale qu’il lit de manière autonome. Un dialogue pédagogique interindividuel s’établit cette fois, par le truchement du journal, entre l’élève lecteur et l’enseignant – un enseignant-lecteur qui partage ses réactions (d’où l’expression « journal dialogué »), apprend des élèves et qui fournit aussi un étayage formel.

c) Dans la troisième phase d’enseignement par les pairs, et rarement en début d’année, ces réflexions individuelles colligées dans le journal serviront de point de départ à un travail d’interprétation partagée, cette fois à l’oral et entre pairs, sous forme de cercles littéraires (forme libre, durée d’environ 45 minutes pour chaque tiers du roman).

d) Dans la quatrième phase ce travail oral en petits groupes devrait permettre à l’élève de revenir à son journal afin d’approfondir et d’intérioriser le dialogue. Il s’agit d’une phase de structuration et d’intégration des compétences (oral, écrit).

e) Enfin, dans une cinquième et dernière phase, l’ensemble de ces interactions lecteur-texte-lecteurs devrait devenir matière à discussions en grand groupe pour faire le point sur les stratégies enseignées et sur les concepts littéraires clés, pour mettre en relation les œuvres lues et les opinions partagées en classe, pour envisager des projets de création inspirés par les lectures.

Page 11: LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

11

ANNEXE 2

Page 12: LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

12

ANNEXE 3

Modalités de la lecture littéraire (Hébert 2003a)

MODES DE LECTURE (variable)

L’objet ou l’empan de la stratégie

19 stratégies (Indicateurs d’opérations mentales)

Activer ses connaissances Décoder (micro-processus) Résumer Inférer, questionner, prédire

Mode 1 (Compréhension littérale)

Les aspects référentiels et factuels de l’histoire, de la mimésis, du paratexte, le code Découvrir des aspects factuels

Associer avec soi-même S’identifier, juger moralement Évoquer, visualiser

Mode 2 (Engagement personnel, esthétique)

Soi-même, les personnages, la fiction, la mimesis

Méditer sur soi-même Questionner la logique du récit Généraliser, interpréter Analyser les procédés

Mode 3 (Analyse)

Le récit et la mise-en-discours, c’est-à-dire un objet construit par un auteur

Jouer avec les possibles du récit

Modifier son interprétation Apprécier l’œuvre dans son

ensemble en tant qu’objet d’art Critiquer l’œuvre dans son ensemble

en tant qu’objet d’art S’ouvrir aux autres interprétations Comparer avec d’autres œuvres

Mode 4 (Évaluation

critique)

L’œuvre et les

autres œuvres, soi-même lecteur et les autres lecteurs

S’évaluer en tant que lecteur

Page 13: LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

13

ANNEXE 4

Barème pour les degrés d’élaboration (instrument d’analyse no2) (Hébert, 2003a)

Élaborer son commentaire de lecture Facteurs à

considérer DEGRÉ

D’ÉLABORATION (variable 2)

Échelle (= Un sujet posé +)

A - A+ (excellent)

6 éléments d’élaboration et +

(variés, pertinents et solides)

B - B+ (très bien)

4-5 éléments d’élaboration (variés, pertinents et solides)

C - C+ (correct)

2-3 éléments d’élaboration (variés, pertinents et solides)

Cohésion Pertinence Justesse Variété Solidité

D (insuffisant)

0-1 éléments d’élaboration (variés, pertinents et solides)

Page 14: LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

14

ANNEXE 5

COMMENTER, ÉVALUER UN JOURNAL

Commentaire de l’élève Réponses possibles de l’enseignant Stratégie utilisée: Jugement critique « L’animal jaillit d’un buisson en gémissant et en

tordant l’échine, faisant ainsi une vraie fête à ce maître d’autrefois. Robinson ne sut jamais comment le chien avait passé tout ce temps dans l’île, ni pourquoi il n’était pas venu plus tôt à lui. » (p.34) ����

Je trouve tout à fait ridicule ���� l’apparition du

chien dans l’histoire����. C’est impossible que ce chien ait survécu tout seul sur cette île ����. De plus, on dirait que l’auteur manquait de texte et qu’il a décidé de rajouter environ trois phrases sur l’apparition du chien x. Pourquoi il ne nous a pas expliqué comment Tenn a survécu, pourquoi il n’est pas revenu plus tôt? ���� J’aurais aimé en savoir davantage. (67 mots)

(+) C’est très bien de critiquer les aspects

« exagérés » ou un peu invraisemblables d’un texte!

(?) Penses-tu vraiment?!? Essaie de

comprendre l’intention de l’auteur si tu le critiques.

(à) Quelle est ton hypothèse personnelle à

ce sujet? P.S. Revois les leçons sur les types de

narrateur Mode le lecture : textuel Stratégie : jugement critique Degré d’élaboration : B+ (la citation est pertinente, le tout est

cohérent, le sujet est posé, l’intention claire, il développe son argumentation, mais il pourrait envisager davantage le point de vue de l’auteur, se référer à ce qui a été vu dans le cours)

Page 15: LES USAGES DU TEXTE DANS UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT

15