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L'ETHIQUE POUR LE XXIe SIECLE 21-22 septembre 2001 Maison de l'UNESCO, Paris Organisé par la Division des sciences humaines, de la philosophie et de l'éthique des sciences et des technologies RAPPORT

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L'ETHIQUE POUR LE XXIe SIECLE

21-22 septembre 2001 Maison de l'UNESCO, Paris

Organisé par la Division des sciences humaines, de la philosophie et de l'éthique des sciences et des technologies

RAPPORT

(i)

Rapport

L'ETHIQUE POUR LE XXIe SIECLE

21-22 septembre 2001 Siège de l'UNESCO, Paris

Table des matières

1. Introduction et séance inaugurale

2. Séance I : Un cadre commun pour l'éthique du XXIe siècle : point de départ d'un dialogue éthique - Commentaires et critique

3. Séance II : Le rôle de l'éthique au XXIe siècle

4. Séance III : Les différentes approches de l'éthique

5. Séance IV : L'avenir de l'éthique

Annexe I : Programme de la réunion

Annexe II : Liste des participants

Annexe III : Discours inaugural du Sous-Directeur général pour les sciences sociales et humaines

(SHS-2001/WS/14)

L'éthique pour le XXIe siècle Réunion d'experts

Siège de l'UNESCO 21-22 septembre 2001

1. Introduction et séance inaugurale

Les défis soulevés par le monde du XXIe siècle, avec un ensemble de problèmes et de situations nouveaux, sont de plus en plus complexes dans leur nature et multiples dans leurs dimensions. La menace qui pèse sur l'environnement, la diminution constante des ressources, le fossé toujours plus profond entre riches et pauvres, les changements sociétaux liés au progrès scientifique, le processus de mondialisation économique, culturel et politique, toutes ces caractéristiques de la société contemporaine ont en commun leur portée planétaire.

Ce contexte, associé au degré sans précédent d'interrelations et d'interdépendance entre habitants de toutes les régions, est qualifié d'état "d'incertitude" ou de "crise" dans les croyances et les valeurs qui fondaient jusque là nos sociétés. L'humanité est loin d'avoir trouvé les réponses aux problèmes transfrontières qui accompagnent l'apparition d'une communauté planétaire. Il est certain toutefois que l'existence d'une telle communauté appelle une réflexion sur les bases qui lui permettront de rester pacifique et productive.

Comme dans toute communauté, un minimum de compréhension et d'accord est nécessaire sur les politiques ou les normes qui régissent l'ordre planétaire, et celles-ci doivent s'appuyer sur un ensemble de principes fondamentaux susceptibles de guider un tel processus. A la différence cependant d'autres collectivités, la communauté planétaire ne possède ni constitution, ni tradition pour lui servir de référence. Elle manque d'une part de structures de gouvernance, d'autre part d'un cadre éthique auquel se référer. Ce lien entre éthique et gouvernance à l'échelle planétaire trouve une forte résonance à l'Organisation des Nations Unies. Selon les mots de leur Secrétaire général, M. Kofi Annan, sous la pression des événements actuels, "plus que jamais, nous avons ressenti les douleurs de la mondialisation et la nécessité de sous-tendre le marché mondial par l'acceptation du monde entier"1. Or, comment mener la quête de telles valeurs, et comment assurer son efficacité au regard de la gouvernance planétaire ?

Une chose est claire. S'il doit y avoir quête par la communauté internationale d'un terrain d'entente, il lui faut un espace pour engager un dialogue interculturel sur l'éthique. La communauté internationale doit s'employer activement à ouvrir ce processus de dialogue et de compréhension et à offrir un tel espace au sein duquel puissent s'opérer des échanges entre civilisations.

La nécessité d'une coopération et d'une action internationales sur les réponses éthiques appelées par les problèmes actuels transparaît dans les divers projets menés en matière d'éthique par les grandes institutions internationales. Des efforts sans précédent sont déployés aujourd'hui dans le monde pour promouvoir la réflexion sur les dimensions éthiques de la société contemporaine. Ces efforts, conduits au sein et à l'extérieur du système des Nations Unies, invitent la communauté internationale à se responsabiliser et à réfléchir ensemble sur des valeurs communes.

1 Discours prononcé à l'Organisation des Nations Unies le 14 décembre 1999.

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La grande majorité de ces efforts portent sur des domaines spécifiques et spécialisés, de la biologie, des affaires et de l'environnement à l'informatique, à l'économie et au développement. Ils abordent les problèmes d'éthique dans un contexte particulier. Ils se préoccupent des profondes ramifications sociétales et éthiques des mutations et des progrès qui se produisent notamment dans le secteur des sciences et des technologies, et qui nécessitent des penseurs pour chercher des solutions à des problèmes et des situations jusqu'alors inconnus. Mais ils ne sont pas forcément prévus pour couvrir dans son ensemble le champ de l'éthique. De fait, on imagine mal qu'une éthique sectorielle puisse servir de parapluie à d'autres branches de l'éthique, ni jeter les bases d'une réponse aux problèmes d'éthique planétaires auxquels est confrontée la société contemporaine.

Ce qui fait défaut aux différents appels à la réflexion éthique, c'est de poser des questions fondamentales : qu'est-ce que la responsabilité ? qu'est-ce qui constitue des valeurs ? qu'est-ce que la notion de communauté ? qu'entraînent, supposent et projettent ces notions ? Il manque un organisme coordonnateur qui offre un lieu où résoudre les difficultés conceptuelles sous-jacentes à ces appels. Il faut un agent capable d'instituer un dialogue et une interaction fructueux entre les intéressés et d'amener les différents groupes concernés à aborder et débattre les aspects fondamentaux de l'éthique. A cet égard, l'UNESCO doit jouer un rôle de premier plan.

Le but de cette réunion d'experts était d'achever le Projet d'éthique universel en abordant certains problèmes et en analysant la contribution qu'un tel projet peut apporter au discours international sur l'éthique (Annexe I - Programme de la réunion). De par son mandat, l'UNESCO doit être le point de convergence de tous les efforts entrepris en matière d'éthique à l'échelon national et international, avec la participation de penseurs, de décideurs et de représentants de la société civile (Annexe II - Liste des participants).

Au nom du Directeur général, le Sous-Directeur général de l'UNESCO pour les sciences sociales et humaines a prononcé un discours de bienvenue dans lequel il a souligné l'importance de la réflexion éthique dans la sphère internationale (Annexe III). S. E. M. R. Carazo Odio, ancien président du Costa Rica, a pris la parole ensuite pour affirmer la nécessité de l'éthique sur le chemin de la paix mondiale. Il a insisté sur le fait que le désarmement ne suffit pas pour construire la paix. Une société pacifique repose sur des valeurs telles que le respect et la tolérance et doit être motivée par un sens de la responsabilité partagé par la communauté mondiale. "L'ère planétaire" a besoin d'une "foi commune" édifiée sur la solidarité et le pluralisme.

Un message du Secrétaire général du HCR a été lu, dans lequel le professeur Lubbers soulignait la nécessité d'un dialogue sur l'éthique au regard de l'avenir de la démocratie mondiale et d'une société durable et participative, et présentait la Charte de la Terre comme la volonté de réaliser "une vision commune de valeurs fondamentales qui donneront une base éthique à la nouvelle communauté planétaire".

Le Dr Muller, président honoraire de l'Université pour la Paix au Costa Rica, a fait observer la portée de la réflexion éthique dans la résolution de différentes "catégories de problèmes humains" affrontées par le monde du XXIe siècle. Il a évoqué sa propre expérience de la guerre et de la violence, ainsi que sa croyance dans la capacité de l'être humain à trouver des voies pour la paix et la solidarité.

Le Dr Eide, ancien président de la Commission nationale norvégienne pour l'UNESCO, a mis l'accent sur l'importance d'un dialogue libre et ouvert en matière d'éthique et sur la

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nécessité d'un lieu où échanger librement ses points de vue dans un esprit de diversité culturelle.

Séance I Un cadre commun pour l'éthique au XXIe siècle :

point de départ d'un dialogue éthique

La première séance était présidée par le professeur F. Dallmayr. La parole a été donnée tout d'abord au professeur Y. Kim, ancien directeur principal de la Division de la philosophie et de l'éthique de l'UNESCO et actuel secrétaire général de la Commission nationale coréenne pour l'UNESCO. Le professeur Kim a rappelé que la société contemporaine soulève des problèmes communs, tels que les questions environnementales liées au progrès technologique et scientifique. Devant ces problèmes communs, les solutions traditionnelles échouent à donner des réponses valables. Les solutions aux problèmes contemporains doivent passer par l'éthique ou, plus exactement, par une "éthique civile planétaire". L'orateur a expliqué que telle était la raison initiale pour laquelle il avait, en tant que Directeur principal de la Division de la philosophie et de l'éthique, lancé le "Projet d'éthique universel" et publié le Cadre commun pour l'éthique au XXIe siècle, marquant le début des activités de l'UNESCO pour la promotion du dialogue international sur des valeurs communes.

Table ronde

Les participants ont admis en nombre la nécessité d'une éthique à l'échelle planétaire, tout en posant diverses questions sur l'autorité dont pourrait se réclamer un document comme le "Cadre commun". Un tel document peut-il changer quelque chose dans le monde ? Certains jugent déjà problématique en soi la "définition" de valeurs générales communes. Définir des valeurs est un processus de longue haleine qui ne peut se borner à leur simple sélection. La façon de procéder la plus raisonnable semble être la démarche empirique, c'est-à-dire la résolution de problèmes dans un contexte donné. S'il peut y avoir divergence d'opinions et d'interprétations sur une valeur générale, il peut également se produire une forte convergence entre diverses valeurs. Il est nécessaire que ce document intègre la place des religions. Il importe de faire participer les populations du monde entier au dialogue sur l'éthique, car on ne peut imposer des doctrines en la matière.

De façon générale, deux grands problèmes ont été notés concernant ce document. L'un porte sur ses prémisses, l'autre sur son application. Le second point se révèle particulièrement important, et il convient d'en distinguer les différents aspects. Le premier a trait à la "traduction". Comment traduire des valeurs ou des normes dans la langue de cultures différentes ? Le deuxième concerne la nature des principes normatifs. Quelle est la signification de tels principes au regard de problèmes spécifiques ? Le troisième, enfin, est celui de la dimension pratique du document. Comment l'éducation à l'éthique peut-elle aider à résoudre des questions de comportement liées aux responsabilités ?

Un autre problème relatif au "Cadre commun" concerne la distinction à faire entre morale, éthique et droit. Ce point appelle une analyse non seulement du fondement des normes éthiques, mais aussi de leur spécificité épistémologique et axiologique. Aucun texte d'éthique ne devrait être définitif. Il devrait constituer un "travail en cours" susceptible d'intégrer les fruits de la discussion ouverte et de la réflexion. Par ailleurs, la question des destinataires d'un tel document n'est pas claire. En conclusion, il a été pris acte avec satisfaction du rôle de l'UNESCO dans la promotion de la réflexion éthique.

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Séance II Le rôle de l'éthique au XXIe siècle

La perspective des transformations scientifiques et technologiques

La deuxième séance, présidée par le professeur A. Honneth, a débuté par un exposé du professeur H. Atlan. Le monde témoigne aujourd'hui, a déclaré M. Atlan, des limitations de domaines scientifiques et technologiques confrontés à des problèmes présentant des ramifications éthiques auxquelles ils ne peuvent répondre par eux-mêmes. Ces problèmes spécifiques aux sciences et aux technologies appellent une réflexion éthique sur le comportement des chercheurs et l'orientation de la recherche elle-même (don et brevetage de gènes, etc.). Pour le professeur Atlan, une double approche de la réflexion éthique est nécessaire face aux transformations de la science et de la technologie. Tout d'abord, cette réflexion devrait être axée sur la résolution de problèmes dans des situations particulières ; ensuite, elle exige ce qu'il appelle une "distanciation". Celle-ci se rapporte à la nécessité d'être ouvert à d'autres traditions culturelles. Pour parvenir à des solutions éthiques dans des situations particulières, il faut se référer à la tradition mondiale de pensée et de sagesse. Selon le professeur Atlan, la philosophie peut être le pont qui permettra de donner des solutions éthiques aux problèmes spécifiques affrontés aujourd'hui par les sciences et les technologies. Toutefois, ce résultat ne sera pas obtenu en catégorisant des impératifs moraux, mais en considérant ce qui définit l'accomplissement humain en relation avec la nature.

La perspective de la mondialisation

L'orateur suivant était le professeur N. Dower, qui a opéré une distinction entre différents types de mondialisation : économique, politique, sociale et liée au changement technologique. Au sein de ces différents types de mondialisation, a affirmé M. Dower, la communauté mondiale doit prêter sérieusement attention à l'importance des valeurs en jeu, intrinsèques ou émergentes. En ce sens, deux sortes d'éthique ont rapport à la mondialisation. La première concerne les structures du pouvoir, à la base de la mondialisation économique, fondées sur l'éthique du marché libéral et de la souveraineté des Etats. La seconde est davantage orientée vers la société civile et ses responsabilités sociales. Ces deux formes d'éthique et la dynamique qui les unit illustrent la situation de l'éthique aujourd'hui. Le XXIe siècle et le processus de mondialisation ouvrent la voie à une éthique appuyée sur un haut degré de consensus entre ceux qui réfléchissent à l'échelle planétaire. L'apparition d'une société civile planétaire, du plaidoyer pour une démocratie planétaire, de modèles planétaires de gouvernance et de citoyenneté, tout cela mène à l'avènement d'une "mondialisation de l'éthique".

La perspective des transformations socioculturelles

Le troisième exposé a été présenté par le professeur P. Caws. Comparant la théorie morale à la théorie naturelle ou scientifique, celui-ci s'est interrogé sur la possibilité de principes éthiques sans lien culturel, mais appartenant à chaque individu "en deçà des déterminations culturelles", à l'exemple des théories des sciences naturelles. Ce type d'universalité constituerait l'idéal. Pour M. Caws, l'enjeu est de savoir si l'éthique du XXIe siècle peut contribuer à la paix et à la qualité de la vie. L'éthique reste lettre morte tant qu'elle ne touche pas l'individu qui agit. S'il n'est pas de valeurs universelles définitives, on peut néanmoins affirmer qu'il existe des valeurs déterminantes universellement nécessaires, et qui sont liées simplement à la liberté d'action individuelle. La liberté est une valeur nécessaire quelle que soit sa fin. Il en découle une règle morale : aucun acte ne devrait être accompli s'il

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a pour conséquence prévisible de diminuer la liberté d'un membre quel qu'il soit de la communauté morale. Si l'on recherche dans la loi la moralité, alors l'éthique est un intermédiaire utile. Il reste à répondre à une question fondamentale : quels sont les membres de la communauté morale dont la liberté doit être garantie (fœtus, personnes dans un coma dépassé, etc.) ?

Rôle de l'éthique et rencontres transculturelles

Dans la communication qui a suivi, le professeur F. Dallmayr a présenté l'éthique comme une victoire sur l'égocentrisme. A ce niveau intuitif, différentes traditions, religions ou cultures se rejoignent. Une condition indispensable de l'éthique est donc l'ouverture à "l'autre" : individus, cultures, voire l'altérité du divin. L'éthique suppose que l'on accepte d'être mis en question, d'être "décentré", de sortir de son égocentrisme. On peut dire avec Ricœur, Heidegger et Saint Augustin que le moi est toujours "autre" à lui-même. D'où la notion que l'éthique est liée au "dialogue" avec autrui. Dialogue sans doute d'abord intérieur, mais qui ne peut le rester. A l'ère de la mondialisation, cette dimension de coexistence est primordiale. Les interactions entre cultures donnent un élan entièrement neuf à un nouveau type de transcendance, de décentration, personnelles. La notion coutumière d'identité, sur le plan sociétal et culturel, est mise en cause. Toutefois, on constate aujourd'hui que cette ouverture à l'autre s'accompagne aussi de formes rigides de repli sur soi ou d'épisodes de néotribalisme, évidents dans les cas de "nettoyage ethnique" ou de xénophobie. Dans un tel contexte, l'éducation est plus que jamais indispensable à la survie de l'humanité. Il s'agit d'éduquer à autrui, aux autres cultures, ce qui n'exclut pas d'apprendre sa propre tradition. Si éthique mondiale signifie dialogue, chaque partie a sa contribution à apporter. Cet universalisme ne sera pas fait de principes absolus, mais d'un espoir ou d'une "promesse". C'est là une tâche pour l'UNESCO, dont la mission est d'éduquer à l'avenir de notre société planétaire en visant à prévenir les conflits.

Discussion

Plusieurs points ont été débattus lors de la discussion :

(i) Consensus commun. L'idée de Charles Taylor que l'on ne peut se mettre d'accord sur des valeurs, mais seulement sur des arrangements, a été examinée. Cette position peut-elle fonder une éthique commune ? Pour certains, elle ne fournit pas le point de départ d'une attitude philosophique, puisque les conséquences changent avec les contextes. Pour d'autres, il ne s'agit pas de valeurs différentes et d'arrangements communs, mais d'un ensemble de valeurs communes et des différentes théories qui s'y rattachent. Il ne faut pas rechercher le plus petit dénominateur commun, mais un espace de convergence de valeurs.

(ii) Dialogue. Les participants ont convenu que le dialogue et l'échange sont la clé de la compréhension internationale.

(iii) Différence et diversité. Les valeurs universelles ne peuvent ignorer la diversité. Il n'y a pas d'incompatibilité entre cultures. L'UNESCO doit jouer le premier rôle dans l'échange de positions éthiques et réfléchir sur différentes approches dans le monde.

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(iv) Approche axée sur la personne. Le débat sur l'éthique doit réfléchir la réalité quotidienne. Une "éthique universelle" doit s'appliquer à chaque individu. D'où peut-être pour chacun des questions à se poser sur ses actes et leurs conséquences.

(v) L'universel en tant que "promesse". Si l'universalité n'est pas perçue comme une possibilité, alors le monde fonctionnerait sur des principes darwiniens. La notion de "promesse" ne doit pas être entendue au sens d'un contrat social, mais comme celle que chacun se fait à soi-même, ou comme l'annonce d'une chose à venir.

(vi) Importance de la connaissance des cultures. Le rôle capital de l'éducation, même au niveau du primaire, a été souligné. Elle doit faire appel au sens de l'intégrité, à la vision et à la perception des jeunes. Si l'enseignement des traditions d'autres cultures et nécessaire, il est tout aussi important de connaître sa propre culture, et l'éducation doit tendre également à l'autonomisation de chaque être humain.

(vii) Distinction entre éthique universelle et éthique mondiale. Cette distinction s'avère importante pour certains. Une éthique universelle suppose la recherche de règles morales valables pour tous, avec pour chacun les droits et les obligations résultant de cette moralité universelle. Une éthique mondiale se rapporte davantage aux relations entre Etats et à la citoyenneté. Cependant, ont fait observer certains participants, l'important ne réside pas dans ce que nous appelons éthique, qu'elle soit mondiale ou universelle. L'aspiration à une valeur morale concerne tous les êtres humains. La fin de la torture, par exemple, n'est pas une revendication "occidentale", mais vaut pour tout un chacun. Un problème demeure : dans certaines parties du globe, le terme "mondial" n'a pas d'acception générale. Il devrait désigner ce qui est déterminé par chacun dans le monde, et non par une poignée de pays ou d'organismes. Par ailleurs, il a été souligné que les instruments internationaux sont certes importants, mais toujours établis et convenus par les gouvernements. La population n'y a pas pris part et ils n'ont pas, par conséquent, de poids en termes éthiques, puisqu'ils ne sont pas "mondiaux" au sens véritable du mot.

(viii) La question de "l'autre". L'idée "d'ouverture à autrui" implique-t-elle des normes morales ? Si aucune norme substantielle n'est introduite dans cette "ouverture", celle-ci ne saurait être considérée comme une théorie morale ni comme une forme de moralité universelle. Des principes moraux certains doivent être tirés d'un tel point de départ.

Rôle de l'éthique et démocratie

La seconde partie de la séance de l'après-midi a été consacrée tout d'abord à la communication du professeur A. Etzioni. Celui-ci a expliqué que tant que nous ne proposerons pas de concepts nouveaux pour aborder la tension entre identité, Etat-nation et communauté mondiale au regard de la notion de souveraineté, nous n'avancerons pas d'un pas sur certains des problèmes les plus cruciaux qui se posent aujourd'hui. La modernité a été marquée en essence par des forces techniques et économiques, laissant en arrière les institutions morales. Il faut maintenant trouver des moyens pour les institutions morales et politiques de rattraper la réalité mondiale. Sans institutions qui accompagnent en portée la technologie et l'économie mondiales, il n'y aura pas de solution valable pour le futur. Aujourd'hui, le sentiment le plus profond de l'identité nationale est mis en cause par la mondialisation. Nous devons réfléchir aux dynamiques qui sous-tendent la séparation entre

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identité et nationalité, afin de voir comment nous pouvons préserver cultures, langues, traditions et identités sans en rester sur le plan conceptuel aux vieilles institutions de l'Etat-nation. Pour l'orateur, ce point est lié à la notion de "diversité dans l'unité" ou de "pluralisme au sein de l'unité". Bien que nous ayons aujourd'hui perdu de vue qu'une communauté doit reposer sur certaines valeurs communes de portée universelle, la diversité doit être liée par un élément unificateur. Dans le dialogue transculturel, par exemple, la diversité des points de vue et opinions exprimés recouvre certains éléments d'unité. Certains droits, tels que la liberté de parole, ne sont pas conditionnels, mais universels. Il existe au sein de la société des facteurs qui unifient les différences ou divergences. Il ne peut y avoir de communauté sans certaines valeurs communes et, par conséquent, tout dialogue devra à l'avenir tracer une ligne entre diversité et droits universels. Selon le professeur Etzioni, le dialogue interculturel doit avoir pour point final la convergence des droits et des responsabilités, de la liberté et de la communauté. La beauté du dialogue des civilisations tient à ce que chaque participant y apporte un concept profond.

Droits de l'homme et éthique mondiale

Le professeur I. Kuçuradi a ensuite développé l'idée que les problèmes éthiques sont directement liés à la vie de l'individu. Aucune décision, attitude ou action n'est étrangère à l'éthique ou aux valeurs. Pour le professeur Kuçuradi, il faut distinguer entre les problèmes éthiques que l'individu rencontre dans les situations quotidiennes et ceux dont s'occupe le philosophe. Leurs particularités épistémologiques ne sont pas les mêmes et ne doivent pas prêter à confusion. Demander : "qu'est-il juste de faire ?" ou "qu'est-il juste de faire maintenant dans cette situation ?" ne revient pas au même. On peut répondre à la première question en conceptualisant le terme "juste", tandis que la seconde doit être résolue par l'individu dans un contexte précis. Cette deuxième interrogation n'a rien à voir avec la philosophie. Tout autres encore sont les questions d'éthique professionnelle, qui appellent des normes de conduite et d'action. Il existe donc différents types d'éthique, entre lesquels la société contemporaine fait peu de distinction. Dans les efforts récents pour parvenir à une "éthique universelle", deux problèmes semblent se poser : d'une part, une confusion dans l'emploi des expressions "normes éthiques" et "valeurs éthiques", d'autre part la confusion entre "universelle" et "mondiale".

Pour Mme Kuçuradi, il faut développer à l'avenir le rôle de l'éthique en relation avec les droits de l'homme, c'est-à-dire faire entrer les préoccupations d'éthique dans les affaires publiques et politiques, tant au niveau national qu'international. Pour que l'éthique joue un rôle légitime dans la sphère internationale, les décideurs doivent être sincèrement désireux de protéger la dignité humaine. L'intérêt récent pour l'éthique ou les droits de l'homme doit se nourrir de la connaissance des valeurs éthiques et des droits humains, ainsi que de celle de l'histoire politique. Et pour que l'éthique joue un rôle important, il faut des personnes capables d'agir conformément à l'éthique. Si nos actes et nos décisions doivent être inspirés par l'éthique, nous devons la connaître, afin de progresser vers une existence conforme à elle, faite de la contribution de chacun à la protection des droits d'autrui, donc de sa propre dignité humaine. C'est pourquoi nous avons besoin d'une éducation à l'éthique.

Vers l'universalité des droits de l'homme

Pour le professeur D. Bell, il faudra plus d'un "document" pour résoudre les problèmes sociaux et politiques de la planète. Beaucoup de dialogues et de documents seront nécessaires. La conviction de nombreux militants et théoriciens des droits de l'homme selon laquelle la

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Déclaration universelle de ces droits est le seul instrument nécessaire pour l'humanité, et que nous devrions nous consacrer uniquement aux moyens de la mettre en œuvre, ne nous est pas d'un grand secours. Une pluralité d'approches est nécessaire. A cet égard, le professeur Bell a posé la question de savoir quelles idées pourraient aider l'humanité à avancer vers un consensus sur des valeurs mondiales. Il faut tout d'abord développer le dialogue et, si l'on veut aboutir à un résultat constructif, il est souhaitable, avant de convenir de ce qui doit être dit, de se mettre d'accord sur certaines contraintes. Le second point est celui de la participation : qui doit prendre part à ce dialogue ? Il devrait être davantage intégrateur. Or, il semble souvent y avoir dans nombre de dialogues de ce type une limitation implicite (les intervenants doivent être anglophones, ou politiquement à gauche, non fondamentalistes). La plus grosse difficulté, pour M. Bell, réside dans le fait que nous devons tous nous mettre d'accord sur des documents éthiques sans résultat pratique. Comment améliorer cet état de choses ? De nombreux mécanismes d'application devraient être mis en place ; on ne devrait pas s'en tenir strictement aux moyens traditionnels comme seuls légitimes. Si d'autres voies, comme la médiation ou l'enseignement public, sont susceptibles de donner de bons résultats, il faut les explorer. Si le langage des droits et responsabilités peut servir le même but ou protéger des valeurs planétaires, il serait dogmatique d'insister sur celui des droits. Il convient donc de réfléchir à d'autres modalités de mise en œuvre.

Universalisme de l'éthique et pluralisme culturel

L'universalisme en éthique, a expliqué le professeur G. Bexell, signifie que celle-ci n'est pas tributaire de frontières culturelles, nationales ou religieuses, mais peut trouver des horizons interculturels, interreligieux et internationaux. Cela suppose également un ensemble de valeurs communes et d'accords sur des normes et des vertus morales. Le concept d'éthique mondiale doit être confronté à celui d'éthique universelle, mais le terme "mondial" présente dans sa connotation actuelle des incidences spécifiques. Certaines ont trait à l'Etat et au citoyen, d'autres à des problèmes internationaux. Par ailleurs, il importe de distinguer entre significations descriptives et normatives de l'universalisme. L'universalisme en éthique, dans un sens descriptif, laisse entendre qu'ils existe des accords d'ordre moral, comme dans les recherches empiriques. L'universalisme dans des revendications méta-éthiques, par exemple, peut comporter cette dimension. De même, il convient de faire le départ entre un universalisme abstrait et contextuel. Le premier implique que l'universalisme est entendu, au-delà d'une culture ou d'une religion donnée, sous forme de principes abstraits généralisés. "Contextuel" signifie qu'il est considéré comme un ensemble de valeurs communes au sein d'une culture et d'une moralité. L'important est qu'il puisse exister en éthique des éléments communs, avec des divergences dans le paysage moral global entraînant divers motifs et justifications. Le professeur Bexell estime, avec Charles Taylor, que la moralité est toujours en quelque sorte "dense". Mais nous pouvons accepter que ces justifications diffèrent et que nous soyons d'accord sur un plan moral. Il y a deux risques à écarter pour l'avenir de l'éthique. L'un est celui de la diversité, l'autre celui de l'universalisme. Il nous faut rechercher un point d'équilibre qui allie un universalisme éthique renouvelé à la diversité culturelle exprimant des différences morales mais non des désaccords fondamentaux. Nous devons trouver la diversité dans l'unité.

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Discussion

Les points suivants ont été abordés lors de la discussion :

(i) Rôle actif de l'éthique dans la société. L'éthique doit s'inscrire dans la marche de la société et non attendre que les choses se fassent. De nombreux participants ont mentionné l'urgence de solutions éthiques pour l'amélioration la société humaine.

(ii) Question de la dignité humaine. Pour beaucoup, le concept de dignité humaine est à la base de l'éthique. Ce concept recouvre des interrogations sur la notion d'être humain et la signification de la vie à la lumière de la technologie moderne. Autrement dit, il nous faut construire ou reconstruire la notion de dignité humaine, plutôt que d'en accepter une idée toute faite.

(iii) Consensus commun. Certains participants, dont le professeur Kuçuradi, ont mis en question la notion de consensus commun ressortant des propos des professeurs Bell et Bexell. Pour Mme Kuçuradi, un consensus ne fait pas une norme universelle ni éthique. Il y a, par exemple, un large consensus sur la règle d'or (ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'il te fasse) ; mais ce n'est pas une norme éthique. C'est une règle pragmatique, dont nous pouvons nous servir pour protéger nos intérêts, mais non pour protéger la dignité humaine, aussi large soit le consensus. Le professeur Etzioni a relevé la nuance entre moralement satisfaisant et moralement suffisant. On doit se rendre compte qu'un consensus commun est moralement insuffisant. Il n'y a guère de différence entre consensus et consensus commun. C'est une notion très pratique, mais pas nécessairement éthique. Il faut à l'éthique une autre base, ontologique. Il est certaines vérités évidentes, mais elles ne reposent pas sur un vote. Pour d'autres participants, notamment le professeur Atlan, ce "consensus commun", quoique trompeur, est la base de ce qu'il appelle "un universalisme édifié peu à peu". Dans le domaine biomédical, des problèmes concrets doivent trouver une solution. Le meilleur moyen d'aborder ces problèmes est d'analyser cas par cas et de trouver un point de convergence entre arrangements pratiques et décisions locales, en dépit de convictions différentes. Mais cet effort de convergence ne doit pas être élevé au rang de principe éthique. C'est un point de départ pragmatique pour engager le dialogue sur des convictions divergentes. De plus, a déclaré le professeur Atlan, un consensus ne s'obtient pas par un simple vote, il suppose l'existence de valeurs communes qui ne sont pas nécessairement explicites ni conscientes.

(iv) Relativisme. Les participants ont débattu de la possibilité d'éviter le relativisme en éthique. Pour certains, on peut le faire sur un plan théorique, en distinguant entre normes, jugements moraux et valeurs. En opérant cette distinction et en clarifiant les concepts, on peut dépasser le relativisme et le dogmatisme.

(v) Droits et valeurs. Pour certains, des normes communes doivent être exprimées sous forme de droits afin de donner un poids concret à des règles d'éthique qui seraient sinon abandonnées au profit de la liberté individuelle.

(vi) Possibilité de valeurs communes. Les participants ont convenu qu'un minimum de valeurs doit être reconnu par tous, et que la diversité n'est pas un obstacle à cela. Ils ont également admis que la recherche de valeurs qui donnent aux collectivités

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leur cohésion sur divers plans doit débuter dans la sphère de la communauté internationale.

(vii) Pragmatisme. Certains participants ont fait observer le danger de s'en tenir à une notion puriste de l'éthique et de se limiter à des discours théoriques abstraits. La pertinence et l'importance pragmatique doivent être prises en compte.

(viii) Force positive des valeurs "négatives". Pour certains participants, les valeurs négatives constituent une base très forte pour une éthique mondiale responsable et solide.

(ix) Position idéale de l'UNESCO pour concrétiser la "promesse" de valeurs communes. Plutôt que de se concentrer exclusivement sur des distinctions théoriques, la poursuite de l'éthique doit être envisagée à la lumière de questions concrètes, telles que la façon de prévenir les crimes contre l'humanité ou de contribuer à la lutte contre la torture, à l'éradication de la pauvreté et à l'abolition de la guerre.

(x) Education à l'éthique. Il a été souligné que l'éducation à l'éthique est capitale pour préparer l'être humain à devenir un acteur indépendant de la communauté morale. Tel est le défi posé à l'UNESCO.

Séance III Les différentes approches de l'éthique

Valeurs mondiales et éthiques

Le Dr R. Kidder s'est intéressé dans sa présentation à la manière de passer de la théorie à la "praxis". L'un des défis qui se posent aujourd'hui est de donner à l'éthique une plus haute priorité sur l'agenda public. Or, cela ne se produira pas si la population ne se sent pas concernée. A l'Institute for Global Ethics, on s'est efforcé d'ouvrir un forum au débat public sur l'éthique. Des exemples comme celui de Tchernobyl peuvent contribuer à une prise de conscience ; due à une décision d'ingénieurs contraire à l'éthique, cette catastrophe n'aurait pas eu 50 ans plus tôt les mêmes conséquences. A cet égard, la technologie influe sur notre sens de l'éthique de façons qui n'auraient pas été possibles autrefois, causant à la société un préjudice sans précédent. Nous en sommes à un point où nous ne passerons pas le XXIe siècle avec l'éthique du vingtième. Nous avons besoin d'un discours public qui nous permette de parler librement de l'éthique. Pour le Dr Kidder, les valeurs essentielles qui ressortent chaque fois des recherches menées à l'institut sont l'honnêteté, la responsabilité, le respect, la justice et la compassion. Cet ensemble de valeurs nous fournit une mesure et un outil de réflexion sur l'éthique. Les personnes peuvent commencer à réfléchir sur leurs propres valeurs éthiques, ce qui est le premier pas vers un comportement éthique de l'individu ou de la collectivité. Cependant, un sérieux effort de communication autour de l'idée de l'éthique est nécessaire afin d'en expliquer les avantages au grand public. Il faut aussi promouvoir l'éducation à l'éthique, qui peut avoir des effets concrets et amener certains changements à la base. Si elle ne le fait pas, l'UNESCO aura perdu une occasion importante.

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Analyse comparative d'approches de l'éthique

Le Dr P. Morales a analysé et comparé différents documents mondiaux : Charte de la Terre, Our Global Neighborhood, Notre diversité créatrice, Pacte mondial et Déclaration du millénaire. Travaillant en collaboration avec le Dr. Ruud Lubbers, elle a retenu des documents de deux groupes : organisations internationales et société mondiale. Ces documents sont tous de nature éthique, et visent à réaliser un projet pour l'humanité et la nature. Si nous comparons l'historique des documents des Nations Unies sur l'éthique et les droits de l'homme, nous pouvons constater une évolution. Par exemple, les documents éthiques ne se réfèrent plus simplement aux droits de l'homme, mais à ceux-ci au regard de la génération à venir. Auparavant, la responsabilité des droits de l'homme incombait à l'Etat-nation. Aujourd'hui, les documents éthiques ne s'appuient plus seulement sur cette responsabilité, mais aussi sur celle de la société civile et des milieux d'affaires. Il faut une forte collaboration entre tous les efforts internationaux relatifs à l'éthique. Les documents cités servent un objectif commun, celui d'une société durable et participative. Si l'on regarde les deux rapports Our Global Neighborhood et Notre diversité créatrice, il apparaît que tous deux poursuivent la notion d'éthique mondiale. Divers acteurs - milieux d'affaires, responsables politiques, société civile et ONG, s'efforcent de réaliser un projet en matière de droits de l'homme, non seulement pour la génération présente mais pour celles à venir. D'autres initiatives, telles que la Déclaration du millénaire, affirment la nécessité d'une éthique mondiale. Nous devrions inviter différents groupes (ceux qui travaillent sur la Charte de la Terre, les déclarations de l'ONU, etc.) à œuvrer auprès de l'UNESCO dans le cadre de sa mission éthique au sein du système des Nations Unies et de ses responsabilités dans l'éducation, la communication et la culture. Il faut explorer la possibilité de créer un forum accueillant un dialogue continu sur l'éthique, et de soutenir la coordination de tous les efforts accomplis dans le domaine l'éthique, ainsi que de tous les efforts éducatifs ayant trait à l'éthique et aux droits de l'homme.

Rationalisme et éthique

Le professeur A. Honneth a présenté une suggestion d'éthique universelle posant des prémisses anthropologiques, qui ne seraient normalement pas admises dans une éthique procédurale ni une éthique kantienne. Il a proposé une "éthique de la reconnaissance", arguant que toute norme morale est liée à la reconnaissance par l'être humain. Il a examiné tout d'abord cette éthique de la reconnaissance a contrario, en interrogeant la notion de préjudice moral. Pour lui, tout préjudice moral contient une forme d'irrespect et de dénégation de la reconnaissance du "concept propre" de la personne. Posant la question de savoir quels sont les types de rapport à soi que dénie le préjudice moral, il a distingué trois niveaux : (1) la confiance en soi, (2) le respect de soi et (3) l'estime de soi. Ce qu'il appelle une "éthique de la reconnaissance" repose sur trois attitudes morales reconnaissant ces trois niveaux : (1) l'attention et l'amour, sources de confiance et d'assurance, niveau inhérent aux religions ; (2) le respect de l'autonomie morale, propre à l'éthique moderne et kantienne, et (3) la considération sociale, développant l'aptitude aux rapports sociaux. Cette "éthique de la reconnaissance" est fondée sur le bien-être de l'individu, qui lui permet de construire son intégrité personnelle en intégrant ces trois niveaux de rapport à soi. Les trois attitudes morales forment ensemble un point de vue moral et désignent différents types de droits et d'obligations pour l'individu. Une telle reconnaissance morale de l'individu suppose un lien moral avec la sphère sociale au sein de laquelle il existe avec tous ses semblables. Ce type d'éthique n'est pas procédural mais substantiel, car il valorise un bien humain, le bien-être individuel.

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Une approche intercivilisationnelle de l'éthique mondiale

Le professeur Y. Onuma a précisé vouloir introduire dans les débats une certaine correction politique, et a souligné les problèmes liés aux termes "universel" et "mondial". "Universalité", a-t-il déclaré, a été utilisé à travers l'histoire pour désigner la validité sur l'ensemble du globe, et "mondial" est employé éviter l'association négative avec "universel". M. Onuma a proposé ce qu'il appelle une "approche intercivilisationnelle", autorisant l'analyse des problèmes mondiaux avec un haut degré de légitimité pour les personnes, au-delà des frontières raciales, ethniques, culturelles et nationales. Le fondement d'une telle démarche est historique. Au XIXe siècle, le monde était divisé entre différentes civilisations ayant chacune leur propre cosmologie. Au XXe, l'influence de l'Occident a grandi, jusqu'à arriver à la fin de ce siècle à un état "exceptionnel" de prolifération de "l'american way of life" avec la diffusion de la culture de masse états-unienne, basée sur l'économie capitaliste. C'est là une avancée sans précédent vers une culture commune, une hégémonie mondiale, et qui s'accompagne d'un certaine hostilité de la part de cultures qui ont été colonisées et opprimées. Dans une situation aussi complexe, qui semble peu favorable à la possibilité d'une éthique commune, des instruments internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l'homme, les Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme (1966), la Déclaration de Vienne sur les droits de l'homme (1993) et les grands traités pour la protection de l'environnement de la planète sont des ouvertures vers une telle éthique car susceptibles de transcender les limites nationales, régionales et civilisationnelles. Pour le professeur Onuma, ces instruments possèdent une légitimité mondiale que n'ont pas des documents éthiques ou religieux. Le rôle de l'éthique et des religions, dans ce contexte, est d'interpréter ces instruments internationaux. Deux valeurs, selon l'orateur, devraient être ajoutées aux instruments existants : la vertu de la modestie, et celle de savoir se satisfaire de son existence.

Discussion

Les points suivants ont été débattus :

(i) Importance d'un langage éthique. On a fait observer que pour toucher la population, il faut le faire là où elle est et dans sa propre langue. Le professeur Dallmayr a souligné la nécessité d'une égale représentation dans le dialogue sur l'éthique des cultures et des régions, sous peine de fausser ce dialogue. En Occident, par exemple, les valeurs sont étroitement associées à la propriété, et considérées comme une façon de se projeter dans le monde. Ce discours particulier sur les valeurs va de pair avec l'égocentrisme inhérent à la mentalité occidentale. Dans la tradition bouddhiste, par contre, l'éthique commence avec le détachement du moi, le "non-moi". Il faut donc être prudent dans le choix du langage utilisé.

(ii) Le moi en éthique. Le professeur Honneth a fait remarquer que dans certains pays, le "moi" au sens occidental du mot ne saurait servir de référence pour une théorie éthique. Néanmoins, "moi" et "rapport à soi" peuvent être traduits par le terme "autonomie". On peut se demander alors si un moine bouddhiste n'a pas à être "autonome" pour parvenir à sa conclusion sur le "non-moi".

(iii) Civilisations. Le professeur Onuma a spécifié qu'il employait le terme "civilisationnel" en tant que concept fonctionnel et non substantiel. Pour lui, les civilisations se chevauchent toujours. Il faudrait éviter de faire de la notion de civilisation un concept substantiel, ce qui mène à des idées comme celles de "choc

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des civilisations". Le professeur Onuma a expliqué utiliser le terme de civilisation dans une perspective transculturelle, et insisté sur la nécessité d'un dialogue inter et intracivilisationnel.

Réalisme politique et éthique

Le professeur Njoh-Mouelle a mis l'accent sur l'absence de l'éthique dans la sphère de la politique internationale. Pour lui, cette sphère est dominée par les principes d'efficacité, de réussite, de "volonté de pouvoir" et de domination. Il a suggéré en conséquence certaines possibilités pour introduire dans le réalisme politique des valeurs éthiques. Pour "moraliser" à l'échelle internationale la vie politique, il ne sert à rien d'annoncer des principes et des règles de conduite si on laisse à chacun le soin de les respecter. Il faut d'urgence un minimum d'engagements contractuels ou de conventions, prévoyant de même un minimum de sanctions, a déclaré le professeur Njoh-Mouelle, faisant référence au concept kantien de relation contractuelle entre nations : la "communauté des citoyens du monde". Nous devons admettre que c'est au système judiciaire international de faire respecter les principes d'éthique. En ce sens, la création de structures judiciaires avec l'adoption en 1948 par les Nations Unies de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ou l'institution en 1945 du Tribunal international de Nuremberg, ont suscité des espoirs pour l'avenir de l'éthique en politique internationale. D'autre part, le travail accompli par des organisations internationales telles que l'UNESCO pour l'élaboration de la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme, qui promeut la vie en tant que valeur, devrait être encouragé. Toutefois, a ajouté le professeur Njoh-Mouelle, les déclarations de principe ne suffisent pas. Il nous faut un code de conduite, adopté par les parlements du monde, pour promouvoir ces valeurs. En conclusion, le monde a besoin d'une organisation, au sein du système des Nations Unies, assez forte pour entreprendre une "réforme de l'ordre moral international".

La tradition chrétienne

Le professeur J. Taylor s'est attaché dans sa contribution au point de vue du "chrétien pratiquant ordinaire", pour analyser la façon dont la tradition chrétienne, ainsi que celle d'autres religions dans le monde, se sont efforcées d'offrir des valeurs et d'inspirer des styles de vie d'une portée et d'une pertinence éthiques universelles, par la coopération et le dialogue interreligieux. Pour lui, toute tradition religieuse et culturelle doit relever les défis du présent en harmonie avec les principes d'amour, de compassion, de justice et de responsabilité. Les défis qui se posent aujourd'hui à l'humanité en termes d'éthique concernent l'environnement, les droits de l'homme et la promotion de la paix et de la justice. Pour l'aider à les relever, les religions doivent se tourner vers des valeurs inhérentes à leur tradition. Les enjeux et les responsabilités éthiques étant de plus en plus perçus comme universels ou planétaires dans leur étendue et leur solution potentielle, le dialogue et la coopération entre représentants de diverses religions et traditions culturelles peuvent fournir une base commune pour aborder l'injustice et inviter à un nouvel ordre et une nouvelle justice. Plusieurs efforts et initiatives ont visé récemment à organiser et promouvoir cette coopération et ce dialogue interreligieux à l'échelon local, national ou régional. En 1999, le Parlement mondial des religions a réuni des personnalités religieuses du monde entier. La coopération entre religions s'est inscrite dans diverses initiatives relatives au dialogue et à la réflexion éthiques, telles que la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement en 1992, le Sommet de la Terre ou le sommet mondial des chefs religieux et spirituels tenu pour le millénaire en 2000. Ces exemples de collaboration interreligieuse attestent d'une volonté de se rassembler pour affirmer une unité dans la diversité, d'écouter au lieu de seulement parler, et d'apporter, par le

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dialogue et la coopération, une contribution éthique en réponse aux besoins mondiaux. Les efforts de l'UNESCO en matière de dialogue sur l'éthique, en particulier dans le cadre du Projet d'éthique universel, peuvent renforcer non seulement la compréhension théorique mais l'application pédagogique et la mise en œuvre éthique de visions et de responsabilités vitales pour la dignité humaine et la survie de l'humanité.

La tradition islamique

Le professeur S.H. Nasr a proposé une approche islamique de l'éthique et de l'éthique mondiale. Il a tout d'abord souligné que la plupart des dialogues sur l'éthique ont été en fait des monologues dictés par une culture dominante. Pour comprendre l'éthique dans la tradition islamique, il importe de considérer le contexte dans lequel l'envisage le monde islamique. La pensée islamique possède une longue tradition d'éthique et il existe pour les penseurs islamiques une distinction importante entre éthique, moralité et loi. La loi est inséparable de l'éthique ; c'est la loi divine, et elle est tenue pour la source de l'éthique. L'affirmation de la primauté de la loi divine observée aujourd'hui dans le monde islamique ne relève pas seulement d'un fondamentalisme aveugle, mais exprime l'importance accordée à cette loi qui a des implications éthiques pour la société. Pour les membres du monde islamique, en majorité croyants, la loi divine s'applique dans les règles d'éthique. Pour eux, la source de l'éthique réside dans le mot "Allah" en arabe, qui décrit un caractère et constitue un modèle éthiques. Pour la plupart des Musulmans, la norme éthique est déterminée par l'utilisation du modèle du prophète. Les documents internationaux doivent en tenir compte. Comment ces éléments de la tradition islamique peuvent-ils être universalisés en éthique ? La réponse comporte deux aspects. En premier lieu, dans la pensée islamique, l'éthique, qui résulte de la révélation divine, n'est pas limitée au monde islamique. En second lieu, la conception de l'être humain de l'islam est celle d'une bonté innée en tous ; c'est par la connaissance et l'intelligence que l'on parvient à la compréhension du bien et du mal. C'est pourquoi l'éthique était enseignée dans la tradition islamique avant toute autre discipline. Ces deux aspects forment la base philosophique et théologique d'une éthique universelle ou du moins mondiale. La difficulté pour la pensée islamique n'est pas aujourd'hui d'affronter d'autres systèmes religieux possédant des normes éthiques, mais plutôt de s'entendre avec d'autres êtres humains ne partageant pas la même vision du monde, c'est-à-dire avec d'autres formes d'éthique laïques n'admettant pas son origine transcendante. Tel est le défi posé aujourd'hui au dialogue entre les civilisations.

La tradition confucéenne

Le professeur K.H. Pol a abordé l'éthique dans le cadre de la tradition confucéenne. Dans la pensée confucéenne, il n'y a pas d'équivalent à la notion occidentale moderne de moi et d'individu. Le "moi" confucéen est un moi relationnel, défini par des institutions et des relations sociales, caractérisé par l'interdépendance entre famille, amis, communautés, pays et l'univers, et marqué par le sens de la réciprocité, de la responsabilité et du devoir. Le processus de mûrissement de ce moi est axé sur l'acquisition d'une identité éthique et suppose un développement moral personnel vers un "grand moi" ou "moi authentique". Par ce processus de développement, l'individu dépasse son "moi" limité pour atteindre au sens profond de l'humanité. La notion de "milieu" est ici primordiale tant dans les relations interpersonnelles que dans le développement personnel, la recherche d'un équilibre entre les émotions devant conduire à l'harmonie sociale et à la paix universelle. Progrès moral personnel et responsabilités sociales et politiques dans la collectivité sont inséparables et constituent la clé d'une coexistence harmonieuse. En transcendant ses intérêts personnels,

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voire ses vues anthropocentriques, pour une vision plus globale, en jouant un rôle responsable dans le fonctionnement d'un mécanisme de transformation créatif de l'univers tout entier, l'individu ne fait plus qu'un avec celui-ci et avec le paradis. La vertu confucéenne centrale est le ren (amour, bienveillance, humanité), qui va de l'amour de la famille à celui non seulement de tous les êtres humains mais de toutes les créatures, et mène à la compréhension de l'unité de l'être humain et du paradis. Cette vertu sociale possède un noyau psychologique concret avec l'amour entre parents et enfants au sein de la famille. Cette expérience élémentaire et universelle peut être élargie au monde entier, mais le lien d'amour entre parents et enfants reste essentiel. Ce concept confucéen d'ordre universel repose sur l'idéal du milieu, permis par le consensus, l'équilibre, la réciprocité et la complémentarité, et forme une éthique basée sur des notions telles que le dépassement de soi, la responsabilité mutuelle, les valeurs familiales, les liens de parenté et le juste milieu.

L'univers contemporain mondialisé est marqué par la domination de la pensée occidentale et de sa notion abstraite de l'individu garantissant son propre intérêt par des voies litigieuses dans un cadre légal ou contractuel. La rencontre avec le confucianisme pourrait nous faire prendre conscience de concepts fondamentaux mais universels oubliés par le modèle occidental, et nous offrir la vision d'une autre modernité, moins axée sur les intérêts, mais propice à une nouvelle conceptualisation de la valeur des relations humaines, notamment au sein de la famille et de la communauté, au dépassement de l'intérêt personnel et à la découverte d'autres voies pour parvenir à l'harmonie sociale.

Discussion

Les points suivants ont été discutés :

(i) Reconnaissance et liberté. Le professeur Caws a repris pour parler de la liberté le concept de reconnaissance énoncé par le professeur Honneth. Tout ce qui apparaît comme un préjudice moral par refus de reconnaissance peut être interprété, a-t-il dit, comme un préjudice moral par entrave à la liberté.

(ii) Langage des valeurs et de l'éthique. Plusieurs participants ont fait observer qu'un effort doit être entrepris pour traduire les concepts éthiques en langage ordinaire compréhensible par tout un chacun. L'importance a été soulignée de toucher les habitants de la planète dans la langue de leur propre culture. Il faut trouver pour l'éthique d'autres langages qui conviennent à toutes les cultures ; modération et respect mutuel dans le dialogue éthique doivent aller de pair avec la reconnaissance d'autres manières de mener le débat. D'autre part, le discours religieux ne doit pas être abandonné dans le dialogue éthique, la plus grande partie de la population mondiale employant le langage de la religion. Il faut reconstruire la réflexion morale ordinaire. Le lien entre théorie morale et conscience morale ordinaire est important : le fait que la première n'offre pas une reconstruction herméneutique de la seconde constitue un échec. Il a été souligné également que le dialogue et l'interprétation créative de textes connus pour étendre le dialogue éthique sont essentiels pour comprendre celle-ci aujourd'hui.

(iii) Dialogue entre les civilisations. Certains participants ont souligné que le dialogue entre les civilisations doit être désintéressé, sans intention préalable d'atteindre un but spécifique. Un tel dialogue doit être avant tout un moyen de se connaître l'un l'autre.

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(iv) Approche axée sur les problèmes. Pour certains participants, l'éthique devrait traiter de problèmes pratiques ; un accord sur la conduite à suivre devrait être recherché dans différents secteurs et domaines.

(v) Education philosophique. Une importance particulière devrait être accordée à l'éducation aux droits de l'homme et à l'enseignement philosophique dans le but de développer la réflexion éthique dans le monde.

Séance IV L'avenir de l'éthique

La dernière séance a débuté par un résumé du professeur Bell, suivi d'une table ronde sur l'avenir de l'éthique et le rôle de l'UNESCO axée sur les suggestions des participants. Plutôt que d'adopter une série de recommandations, Mme Fournier a demandé à chacun de proposer les siennes, afin que l'UNESCO les prenne en considération dans son futur programme sur l'éthique.

Résumé

Le professeur Bell a dressé un bref résumé de la réunion, en relevant certains points essentiels. Tout d'abord, communications et discussions ont mis en évidence un consensus sur la nécessité concrète d'une éthique mondiale pour répondre aux problèmes planétaires du monde contemporain. En deuxième lieu, il est apparu que cette éthique devrait reposer sur un dialogue transculturel et, à l'issue d'un tel dialogue, intégrer la diversité existante. Par ailleurs, le dialogue sur l'éthique doit respecter les droits de l'homme, mais ne pas s'arrêter là. Le langage des droits ne devrait pas, en effet, poser des limites au discours éthique, et le dialogue sur l'éthique doit être ouvert à d'autres argumentations, dès lors qu'elles ne font pas entrave à celle des droits. Enfin, le dialogue éthique ne doit pas constituer le but ultime ; la réflexion sur l'éthique doit être traduite en mesures concrètes.

Le professeur Bell a conclu en formulant quelques recommandations : (1) l'UNESCO devrait créer une plate-forme sur laquelle soit possible un dialogue interculturel ; (2) l'UNESCO devrait prendre l'initiative de la coordination de projets relatifs à un dialogue mondial sur l'éthique ; (3) la recherche d'une "éthique mondiale" ne devrait pas se faire "de haut en bas", comme dans un document consensuel, mais selon une démarche de règlement de problèmes axée sur des questions ou des domaines spécifiques ; (4) l'UNESCO devrait se doter d'un conseil consultatif pour faciliter la coordination des projets.

Suggestions pour l'action future

Les participants ont souhaité présenter les suggestions suivantes concernant l'action future de l'UNESCO dans le domaine de l'éthique. Ces suggestions n'ont pas été débattues au cours de la réunion, et ne sont ni exhaustives ni systématiques. Elles figurent dans le présent rapport pour illustrer l'orientation possible de l'action future de l'Organisation.

Création d'un centre de documentation pour les projets sur le dialogue éthique.

Ferme engagement de l'UNESCO à promouvoir la réflexion sur l'éthique et les valeurs communes.

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Etablissement d'une "liste de priorité" relative aux problèmes urgents auxquels est confrontée la communauté mondiale et appelant des réponses éthiques.

Promotion par l'UNESCO de l'éducation à l'éthique et étude des méthodes et du contenu d'une telle éducation. Il ne s'agit pas seulement d'enseigner des normes éthiques, mais d'encourager la réflexion philosophique sur des valeurs éthiques qui vont au-delà des normes. Un programme d'enseignement modèle sur l'éthique devrait être créé, et une étude de faisabilité sur l'enseignement de l'éthique aux enfants entreprise. L'enseignement de la philosophie et de l'éthique devrait utiliser les nouveaux outils de communication pour l'apprentissage comme pour la diffusion de l'information. Il devrait également viser à abolir la dichotomie entre le mondial et le local dans la réflexion éthique, et intégrer les ressources culturelles locales.

Mise en route d'une étude comparative sur l'éthique. Une telle étude devrait nourrir l'enseignement de la philosophie et de l'éthique, en mettant l'accent sur l'importance de la diversité de la pensée éthique dans le monde.

Création d'un forum ouvert pour un dialogue interculturel sur l'éthique entre les civilisations. L'objet ne devrait pas en être seulement le dialogue éthique, mais aussi des problèmes éthiques concrets (approche axée sur les problèmes). Ce forum servirait également de réseau consultatif pour la coordination de projets sur l'éthique ainsi que celle des documents relatifs au dialogue éthique.

Création d'un glossaire de termes éthique.

Organisation de séminaires sur l'éthique dans différentes cultures (l'éthique dans la pensée islamique, dans la pensée confucéenne, etc.).

Création d'un conseil consultatif ou d'un comité consultatif.

Il a été souligné que l'UNESCO devrait prendre l'initiative du travail préparatoire pour une coexistence harmonieuse dans le monde, travail préventif pour la paix. D'autre part, l'UNESCO occupe une position unique pour lancer au monde un appel à l'éthique, afin de rappeler aux responsables politiques, à la société civile et à la communauté mondiale l'importance de la réflexion éthique pour l'avenir de l'humanité.

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ANNEXE I

L'éthique pour le XXIe siècle Maison de l'UNESCO, Salle 16

21-22 septembre 2001

Programme

21 septembre 2000

Séance inaugurale

9 heures Discours d'ouverture du Sous-Directeur général de l'UNESCO pour les sciences sociales et humaines

9 h.15 Allocution de S. E. R. Carazo Odio, ancien président du Costa Rica 9 h.30 Message du professeur R. Lubbers, secrétaire général du HCR 9 h.45 Allocution du Dr R. Muller, président honoraire de l'Université des

Nations Unies pour la paix 10 heures Allocution du Dr I. Eide, ancien président de la Commission nationale

norvégienne pour l'UNESCO

Séance I Un cadre commun pour l'éthique du XXIe siècle

Président : professeur F. Dallmayr 10 h.30 Y. Kim : Un cadre commun, une base de dialogue 10 h.50-12 heures Table ronde

Séance II Le rôle de l'éthique au XXIe siècle

Président : professeur A. Honneth 14 heures H. Atlan : La perspective des transformations scientifiques et

technologiques 14 h.20 N. Dower : La perspective de la mondialisation 14 h.40 P. Caws : La perspective des transformations socioculturelles 15 heures F. Dallmayr : Rôle de l'éthique et rencontres transculturelles 15 h.40 Discussion 16 heures A. Etzioni : Rôle de l'éthique et démocratie 16 h.20 I. Kuçuradi : Droits de l'homme et éthique mondiale 17 heures D. Bell : Vers l'universalité des droits de l'homme 17 h.20 G. Bexell : Universalisme de l'éthique et pluralisme culturel 17 h.20-18 h.30 Discussion 18 h.30 Réception

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22 septembre 2000

Séance III Les différentes approches de l'éthique

Président : professeur A. Etzioni 9 heures R. Kidder : Valeurs mondiales et éthiques 9 h.20 P. Morales : Analyse comparative d'approches de l'éthique 9 h.40 A. Honneth : Rationalisme et éthique 10 heures Y. Onuma : Une approche intercivilisationnelle de l'éthique mondiale 10 h.20 Discussion 11 heures E. Njoh-Mouelle : Réalisme politique et éthique 11 h.20 J. Taylor : La tradition chrétienne 11 h.40 H. Nasr : La tradition islamique 12 heures K.-H. Pohl : La tradition confucéenne 12 h.20 Discussion

Séance IV L'avenir de l'éthique

Président : Sous-Directeur général pour les sciences sociales et humaines 14 heures Résumé/Discussions 15 heures Recommandations 17 h.45 Discours de clôture

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ANNEXE II

L'éthique pour le XXIe siècle Maison de l'UNESCO, Salle 16

21-22 septembre 2001

Liste des participants

I. Orateurs

H. Atlan (France/Israël), directeur du Centre de recherches en biologie humaine et boursier résident en philosophie et éthique de la biologie au centre hospitalier universitaire Hadassah à Jérusalem.

D.A. Bell (Canada), professeur associé de philosophie à l'Université de Hong Kong.

G. Bexell (Suède), professeur d'éthique et président du Conseil des facultés de lettres et de théologie de l'Université de Lund.

S. E. R. Carazo Odio (Costa Rica), ancien président du Costa Rica (1978-1982).

P. Caws (EUA), professeur de philosophie à l'Université George Washington.

F. Dallmayr (Etats-Unis d'Amérique), Packey Dee Professor of Government, University of Notre Dame.

N. Dower (Royaume-Uni), chef du département de philosophie, Kings College, Université d'Aberdeen.

I. Eide (Norvège), ancien président de la Commission nationale norvégienne pour l'UNESCO.

A. Etzioni (Etats-Unis d'Amérique), professeur à l'Université George Washington.

A. Honneth (Allemagne), professeur de philosophie sociale à l'Université Goethe, Francfort-sur-le-Main.

R.M. Kidder (Etats-Unis d'Amérique), fondateur et président de l'Institute for Global Ethics.

Y. Kim (Corée), professeur de philosophie, Academy of Korean Studies, secrétaire général de la Commission nationale coréenne pour l'UNESCO.

I. Kuçuradi (Turquie), professeur de philosophie à l'Université Hacettepe d'Ankara. Présidente de la Fédération internationale des sociétés de philosophie.

P. Morales (Pays-Bas/Argentine), coordonnatrice académique et responsable des affaires européennes au comité de pilotage de la Charte de la Terre.

R. Muller (Costa Rica), président honoraire de l'Université pour la paix au Costa Rica.

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S.H. Nasr (Etats-Unis d'Amérique), professeur d'études islamiques à l'Université George Washington.

E. Njoh-Mouelle (Cameroun), professeur de philosophie et conseiller du Président de la République du Cameroun.

Y. Onuma (Japon), professeur de droit international à la Graduate School of Law and Politics de l'Université de Tokyo.

K.-H. Pohl (Allemagne), président de la section d'études chinoises à l'Université de Trier.

J.B. Taylor (Royaume-Uni), théologien. Secrétaire du groupe de travail des Eglises européennes sur l'asile et les réfugiés (ECWGAR) à la Conférence des Eglises européennes (CEC).

II. Secrétariat de l'UNESCO

F. Fournier, ADG/SHS G. Glaser, ADG/SC p.i. D.D. Diene, DIR/CLT/ICP A. Kazancigil, DIR/SHS/SRP L. Lazarev, SHS/PHD M. Shino, SHS/HPE J. Blom, SHS/HPE H. Plinckert, SHS/HPE V. Aldebert, SHS/HPE A. Boundy, SHS/HPE

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Discours d'ouverture du Sous-Directeur général pour les sciences sociales et humaines

En cinquante ans, le monde a radicalement changé. La société postmoderne, avec la fin de la guerre froide et de l'isolement qu'elle faisait peser sur les échanges et les communications, a frayé la voie à de nouveaux enjeux politiques. L'affaiblissement de l'Etat-nation et l'institution de mécanismes et d'instruments internationaux, la mondialisation de l'économie, le développement des multinationales et la consolidation de groupes puissants transforment les structures mondiales du pouvoir.

Nous avons vu la "révolution" de l'informatique ouvrir de nouveaux chemins et des possibilités inouïes aux communications à l'échelle mondiale. L'accès à l'enseignement et au savoir offert par ces nouvelles possibilités est source d'espoir pour l'éducation future de l'humanité. Simultanément, les nouvelles données politiques rendent possible l'avènement d'une société ouverte fondée sur une bonne gouvernance mondiale.

Néanmoins, si certains aspects du monde actuel suscitent de grands espoirs pour l'avenir, nous ne pouvons en ignorer la face négative. Nous voyons que le fossé se creuse entre riches et pauvres, non seulement au regard des biens matériels mais des connaissances ; qu'il n'y a ni dialogue ni compréhension entre les cultures et en leur sein ; que des divergences irréparables, nées de l'absence de tolérance et d'accord, continuent à semer la violence et la guerre. Pour ce qui est de la répartition de la richesse mais aussi de la justice, de l'égalité et des chances, le monde doit encore se débarrasser de l'injustice et des conflits violents.

Aujourd'hui plus que jamais, les problèmes auxquels est confrontée l'humanité obligent la communauté internationale à interroger et à revoir les conditions actuelles et les solutions traditionnelles. Dans bien des domaines de la créativité et des compétences humaines, les seuils normatifs sont mis à l'épreuve et contestés, et l'accélération des progrès et des innovations détermine une série de problématiques nouvelles. Dans le secteur de l'information et des communications, la question de la liberté se heurte à celle de la réglementation. La recherche scientifique, illustrée au plus haut point par la biotechnologie, présente au monde des possibilités inédites pour l'avenir de l'espèce humaine. De façon générale, dans le champ du développement scientifique du siècle passé, les conséquences éthiques sont prises en compte. La définition de principes directeurs d'éthique à cet égard montre le besoin de protéger des intérêts sociaux, alors que la tension entre recherche scientifique et impératifs éthiques continue de soulever des problèmes.

La communauté mondiale doit prendre ces problèmes en main. Mais l'innovation technologique n'est pas le seul domaine à poser des interrogations planétaires. L'un des problèmes auxquels le monde doit faire face est apparu pendant les crises écologiques des années 1970. Le réchauffement de la planète et la nécessité de protéger l'environnement sur tout le globe impliquent que si le taux de croissance démographique, le niveau d'industrialisation, de pollution, de production alimentaire et le rythme d'épuisement des ressources étaient maintenus, la terre ne pourrait conserver un écosystème sain. Un autre problème planétaire est celui du sida, qui a pris à la fin du vingtième siècle l'ampleur d'un fléau universel.

Dans les années 1970 et 1980, la communauté mondiale a commencé à mobiliser ses efforts pour rendre compte ce qui était reconnu comme une crise commune. Des commissions ont été mises sur pied par les Nations Unies, telles que la commission indépendante sur les problèmes de développement internationaux, dite Commission Brandt, en 1977, la

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commission indépendante sur le désarmement et les questions sécuritaires, dite Commission Palme, en 1980, et la Commission Brundtland sur l'environnement et le développement.

Ces problèmes mondiaux caractéristiques de notre époque éclairent notre perception globale de la société contemporaine et de l'inéluctable nécessité d'affronter le caractère toujours plus planétaire de l'existence humaine. Aussi popularisée soit la notion de crise humaine mondiale, avec ses conséquences et ramifications, il reste à identifier et à comprendre pleinement les inconnues du processus complexe de coexistence internationale. A l'évidence, il existe de multiples problèmes et questions transfrontières. Un véritable effort est donc nécessaire pour trouver des réponses appropriées. Un tel effort doit s'appuyer sur le dialogue et l'action transnationaux. Du reste, la multitude de facteurs planétaires influant sur nos vies nous mène à une conclusion similaire : sans réflexion et action concertées de la part de la communauté mondiale, toute possibilité de cohésion et de coexistence digne de ce nom semble chose difficile. Il s'agit pour le monde, par conséquent, de se penser lui-même en tant que communauté. Communauté mondiale.

De fait, il semble que la société du XXIe siècle prenne conscience du niveau d'interaction sans précédent du monde et d'un degré d'interdépendance qui n'avait pas été prévu. Avec cette prise de conscience, l'incertitude flotte haut face à un choix infini de possibilités. Parmi les multiples questions sur l'avenir d'un monde devenu "village" planétaire, une apparaît primordiale : comment organiser une coexistence pacifique dans une communauté comptant d'innombrables cultures, religions, traditions et coutumes ? Question qui à son tour en amène une foule d'autres : que faut-il pour qu'une telle communauté fonctionne dans un environnement fécond ? sur quel terrain d'entente le débat, la réflexion et la compréhension interculturels pourront-ils prospérer ? comment parvenir au niveau de consensus nécessaire dans la société ? Bref, les conditions d'existence d'un village planétaire appellent une réflexion sur les bases nécessaires pour conserver une communauté d'êtres pacifique et productive.

Comme dans toute communauté, il faut un minimum de compréhension et d'accord sur les politiques ou les normes qui régissent l'ordre planétaire, et celles-ci doivent s'appuyer sur un ensemble de principes fondamentaux susceptibles de guider un tel processus. A la différence cependant d'autres collectivités, la communauté planétaire ne possède ni constitution, ni tradition pour lui servir de référence. Il lui manque, en quelques mots, un dialogue ouvert sur les éléments d'éthique propres à la société d'aujourd'hui et à ses problèmes.

Ainsi, il semble clair que la société contemporaine exige de nous de réfléchir sur l'éthique, non seulement pour aujourd'hui mais pour demain.

Le rôle de l'UNESCO est d'encourager tous les pays et les peuples à trouver les moyens d'instaurer une coexistence pacifique. Son mandat intellectuel et éthique au sein du système des Nations Unies la place en position unique pour prendre la direction du dialogue sur l'éthique en coordonnant et en facilitant les différentes initiatives à cet égard.

Par le truchement de sa Division de la philosophie et de l'éthique, l'UNESCO a mené des recherches approfondies sur l'éthique et son importance dans la société actuelle. Le Projet d'éthique universel a réuni des penseurs du monde entier autour d'une réflexion sur les possibilités d'identifier des valeurs et des principes communs. Les fruits de cette réflexion ont été exposés dans le document "Cadre commun pour l'éthique du XXIe siècle". La présente réunion marquera la phase finale du Projet d'éthique universel. Par ailleurs, la Division de

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l'éthique des sciences et des technologies de l'UNESCO a déployé des efforts importants dans le domaine de la bioéthique et de l'éthique des sciences et des technologies. Ces efforts ont abouti à la création du Comité international de bioéthique et de la Commission mondiale de l'éthique des connaissances scientifiques et des technologies, ainsi qu'à l'adoption en 1997 par la 29e session de la Conférence générale de l'UNESCO et le 9 décembre 1998 à la cinquante-troisième session de l'Assemblée générale des Nations unies de la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme.

Cette réunion témoigne de nos efforts pour promouvoir et favoriser un dialogue interculturel sur l'éthique. Dans cette entreprise, cependant, il importe de garder à l'esprit la diversité des acteurs concernés. Dans la deuxième édition de son ouvrage A Short History of Ethics, Alasdir MacIntyre disait son erreur dans le choix de ce titre, ajoutant qu'il avait écrit en fait une brève histoire de l'éthique occidentale.

Nous devons nous souvenir qu'il n'existe pas, selon l'expression de Thomas Nagel, de "vue de nulle part". Mais de là vient justement la profonde richesse de la condition humaine. Ce qu'il faut, ce n'est pas refuser le point de vue particulier d'un acteur. C'est reconnaître non seulement les références et conceptions culturelles des autres, mais aussi les nôtres propres. Il serait sans doute intéressant de réfléchir à une attitude éthique face au discours éthique : autrement dit, à une éthique des éthiciens.

Ce n'est pas contradictoire avec ce que K.O Appel nomme "fondation pragmatique transcendantale du discours éthique", posant les principes procéduraux du discours. Mais ce dont je parle est beaucoup moins abstrait. Nous tous, concernés par le dialogue sur l'éthique, devons être conscients de nos propres références et racines culturelles ; nous ne devons pas revendiquer l'universalité, ni prétendre aveuglément à la "neutralité" culturelle. Notre espoir est de sensibiliser à l'héritage mondial profond de la sagesse éthique, et de promouvoir l'apprentissage et la compréhension mutuels pour un dialogue "authentique" sur les valeurs qui guideront l'évolution du XXIe siècle.

La présente réunion sur "L'éthique pour le XXIe siècle" est une contribution importante en ce sens. Je souhaite qu'elle fasse la lumière sur les espérances et les difficultés inhérentes à cette tâche de promotion du dialogue interculturel sur l'éthique.

Je saisis cette occasion pour remercier le Sous-Directeur général de l'UNESCO chargé des sciences naturelles, dont la présence ici aujourd'hui est un gage de la future coopération entre ces sciences et la communauté des penseurs des sciences humaines. Il est temps de resserrer les liens entre philosophes et scientifiques pour réfléchir sur les questions fondamentales. Je me félicite de l'enthousiasme et de l'esprit de collaboration témoignés par le Secteur des sciences de l'UNESCO à l'égard de nos efforts. C'est en effet une mission importante que d'amener chacun à la table ouverte du dialogue et de l'échange.

Je vous remercie.