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Listériose : une zoonose grave Épidémie récente en Suisse La listériose peut survenir par épidémies, comme ce fut le cas dans 3 cantons de Suisse récemment à la suite de la consommation de jambon cuit. Deux échantillons de ce jam- bon contenaient respectivement 470 et 4 800 CFU/gramme (colony forming unit) de Listeria monocytogenes de sérotype 1/2a. En 1983, une épidémie avait atteint 12 personnes à la suite de la consommation de Vacherin Mont-d’Or (figure 1). La prévalence de la listériose en Suisse a évolué de 0,3 cas pour 100 000 habitants en 1990 à 1 cas pour 100 000 habitants en 2006, les sérotypes concernés ayant été 1/2a, 1/b et 4b. De 1990 à 2008, la Suisse a recensé 222 cas de listériose, dont un certain nombre ont été suivis de complications (tableau I). Une zoonose cosmopolite Listeria monocytogenes a été mise en évidence pour la première fois en 1926 chez le lapin. Listeria est un petit bacille gram positif, intracellulaire facultatif, qui se reproduit à +4 °C et est résistant à de nombreux agents physiques et chimiques. Cette affection s’est vite répandue car le mode de conservation des aliments au réfrigérateur favorise la survie et la multiplication de cet agent pathogène. Ce germe est cosmopolite et il semble plus fréquemment diagnostiqué en Europe et en Amérique du Nord, mais il est probablement très sous diagnostiqué dans les pays du Tiers-Monde. De très nombreux animaux (ruminants, rongeurs, porcs, chevaux, volailles) sont sensibles à la Listeria. Le réservoir est très vaste, car il comprend les animaux, l’homme, les produits laitiers, la viande mais aussi le sol, les végétaux, l’eau et l’ensilage du maïs, utilisé pour l’alimentation du bétail. La contamination est essentiellement digestive et parfois hématogène (listériose congénitale) ou respiratoire au moment de la naissance par aspiration au moment du passage génital. Le germe traverse les différentes barrières (intestinale, hémato-encéphalique, placentaire) grâce à une interaction entre une protéine de la Listeria, l’internaline, et son récepteur cellulaire, la E-cadhérine. La maladie animale : avortements à répétition S’agissant d’une zoonose, les animaux peuvent être sévère- ment atteints. Les oiseaux sont prostrés et amaigris avec des tremblements et des mouvements incoordonnés. Les ruminants peuvent présenter une forme septicémique rapidement mor- telle, une forme génitale avec un avortement puis une métrite et une forme nerveuse avec des troubles oculaires, une paralysie synthèse | formation faciale, des troubles de l’équilibre, une somnolence, voire un coma. Chez les rongeurs, une forme neurologique avec des convulsions et des troubles de l’équilibre peut évoluer rapi- dement vers la mort. Lors de l’autopsie de ces animaux, les lésions les plus fréquentes sont celles du myocarde, de la rate (splénomégalie), un œdème du poumon avec des microabcès sur le foie, la rate ou le cerveau. Le diagnostic doit être évoqué devant une succession d’avorte- ments chez les ruminants et est confirmé par l’analyse du sang et des produits de l’avortement (placenta, lochies). Sur l’animal mort, les prélèvements sont effectués au niveau du cerveau, de la moelle épinière, de la rate, du foie et du cœur. Parallèlement, sont prélevés des échantillons de sol, de fumier et d’ensilage. Ces prélèvements sont traités par un examen direct (possible en cas de présence de nombreuses bactéries) et par mise en culture qui pousse en 2 jours, pour identifier et typer les Listeria. Les animaux sont traités par des cyclines ou des β-lactamines. | Figure 1. Vacherin. OptionBio | mardi 24 septembre 2013 | n° 495 15 La listériose est une zoonose bactérienne due à Listeria monocytogenes, dont la transmission s’effectue essentiellement par l’alimentation. Elle se manifeste le plus souvent par une forme septicémique, mais il y a aussi des formes neurologiques et génitales, responsables d’avortement. La prévention repose sur un respect strict de l’hygiène. Cette maladie est dans la liste des maladies à déclaration obligatoire. Tableau I. Complications de la listériose en Suisse. Femmes enceintes (n = 28) Nouveau-nés (n = 20) Adultes (n = 174) Avortement 8 Septicémie 11 Méningite 70 Endométrite 2 Méningite 3 Diarrhée 31 Septicémie 1 Pneumonie 3 Septicémie 25 Infection amniotique 1 Pneumonie 19 Arthrite 5 Endocardite 4 Péritonite 3

Listériose : une zoonose grave

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Page 1: Listériose : une zoonose grave

Listériose : une zoonose grave

Épidémie récente en SuisseLa listériose peut survenir par épidémies, comme ce fut le cas dans 3 cantons de Suisse récemment à la suite de la consommation de jambon cuit. Deux échantillons de ce jam-bon contenaient respectivement 470 et 4 800 CFU/gramme (colony forming unit) de Listeria monocytogenes de sérotype 1/2a. En 1983, une épidémie avait atteint 12 personnes à la suite de la consommation de Vacherin Mont-d’Or (figure 1). La prévalence de la listériose en Suisse a évolué de 0,3 cas pour 100 000 habitants en 1990 à 1 cas pour 100 000 habitants en 2006, les sérotypes concernés ayant été 1/2a, 1/b et 4b. De 1990 à 2008, la Suisse a recensé 222 cas de listériose, dont un certain nombre ont été suivis de complications (tableau I).

Une zoonose cosmopoliteListeria monocytogenes a été mise en évidence pour la première fois en 1926 chez le lapin. Listeria est un petit bacille gram positif, intracellulaire facultatif, qui se reproduit à +4 °C et est résistant à de nombreux agents physiques et chimiques. Cette affection s’est vite répandue car le mode de conservation des aliments au réfrigérateur favorise la survie et la multiplication de cet agent pathogène. Ce germe est cosmopolite et il semble plus fréquemment diagnostiqué en Europe et en Amérique du Nord, mais il est probablement très sous diagnostiqué dans les pays du Tiers-Monde. De très nombreux animaux (ruminants, rongeurs, porcs, chevaux, volailles) sont sensibles à la Listeria.Le réservoir est très vaste, car il comprend les animaux, l’homme, les produits laitiers, la viande mais aussi le sol, les végétaux, l’eau et l’ensilage du maïs, utilisé pour l’alimentation du bétail. La contamination est essentiellement digestive et parfois hématogène (listériose congénitale) ou respiratoire au moment de la naissance par aspiration au moment du passage génital. Le germe traverse les différentes barrières (intestinale, hémato-encéphalique, placentaire) grâce à une interaction entre une protéine de la Listeria, l’internaline, et son récepteur cellulaire, la E-cadhérine.

La maladie animale : avortements à répétitionS’agissant d’une zoonose, les animaux peuvent être sévère-ment atteints. Les oiseaux sont prostrés et amaigris avec des tremblements et des mouvements incoordonnés. Les ruminants peuvent présenter une forme septicémique rapidement mor-telle, une forme génitale avec un avortement puis une métrite et une forme nerveuse avec des troubles oculaires, une paralysie

synthèse | formation

faciale, des troubles de l’équilibre, une somnolence, voire un coma. Chez les rongeurs, une forme neurologique avec des convulsions et des troubles de l’équilibre peut évoluer rapi-dement vers la mort. Lors de l’autopsie de ces animaux, les lésions les plus fréquentes sont celles du myocarde, de la rate (splénomégalie), un œdème du poumon avec des microabcès sur le foie, la rate ou le cerveau.Le diagnostic doit être évoqué devant une succession d’avorte-ments chez les ruminants et est confirmé par l’analyse du sang et des produits de l’avortement (placenta, lochies). Sur l’animal mort, les prélèvements sont effectués au niveau du cerveau, de la moelle épinière, de la rate, du foie et du cœur. Parallèlement, sont prélevés des échantillons de sol, de fumier et d’ensilage. Ces prélèvements sont traités par un examen direct (possible en cas de présence de nombreuses bactéries) et par mise en culture qui pousse en 2 jours, pour identifier et typer les Listeria. Les animaux sont traités par des cyclines ou des β-lactamines.

| Figure 1. Vacherin.

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La listériose est une zoonose bactérienne due à Listeria monocytogenes, dont la transmission s’effectue essentiellement par l’alimentation. Elle se manifeste le plus souvent par une forme septicémique, mais il y a aussi des formes neurologiques et génitales, responsables d’avortement. La prévention repose sur un respect strict de l’hygiène. Cette maladie est dans la liste des maladies à déclaration obligatoire.

Tableau I. Complications de la listériose en Suisse.

Femmes enceintes(n = 28)

Nouveau-nés(n = 20)

Adultes(n = 174)

Avortement 8 Septicémie 11 Méningite 70

Endométrite 2 Méningite 3 Diarrhée 31

Septicémie 1 Pneumonie 3 Septicémie 25

Infection amniotique 1 Pneumonie 19

Arthrite 5

Endocardite 4

Péritonite 3

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formation | synthèse

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de l’accouchement est très évocateur de listériose. En cas de naissance, peut survenir une septicémie du nouveau-né dans les jours suivant la naissance, avec un risque élevé de mortalité (environ 75 %) ou un syndrome méningé dans le courant du premier mois, de meilleur pronostic.

Laitages, langue de porc, rillettes : responsables d’épidémiesDans les pays industrialisés, la listériose survient soit par cas sporadiques soit par petites épidémies suite à une intoxication alimentaire (figure 5). Aux États-Unis, plusieurs épidémies sont survenues comme en 1985 avec du lait et du fromage (figure 6) (142 cas dont 48 décès) ou plus récemment après consom-mation de melon canteloupe (85 cas dont 15 décès) (figure 7).En France, il y avait 750 cas déclarés en 1992, dont 279 dus à la consommation de langue de porc en gelée et 350 cas en 2012. Plusieurs épidémies ont été dues à la consommation de langue de porc en gelée, comme celle de 1992 (ayant entraîné 63 décès et 22 avortements) ou celle de 2000 (32 cas dont 9

La prophylaxie consiste à dépister et traiter (ou éliminer) les animaux malades, détruire les cadavres et nettoyer les locaux (désinfection, désinsectisation, dératisation) et contrôler l’ensilage.

La maladie humaine : grave chez l’immunodépriméAprès ingestion, la Listeria traverse l’intestin, par les plaques de Peyer, se multiplie et dissémine par voie sanguine avec les cellules mononucléées vers les viscères ou le système nerveux. En cas de grossesse, la Listeria va se fixer préférentiellement sur le placenta, grâce à des récepteurs spécifiques et provo-quer la formation de granulomes au niveau des villosités, puis va infester le fœtus.Chez le sujet immunocompétent, la listériose peut rester asymp-tomatique ou ne provoquer qu’une gastro-entérite fébrile pas-sagère. Cette affection est plus fréquente chez l’adulte, entre 50 et 70 ans (figure 2). Chez les patients à risque (pathologie hépatique, cancer, sujets gastrectomisés, greffés ou hémodia-lysés, nouveau-nés, femmes enceintes), l’affection se manifeste par une forme septicémique ou une forme neuro-méningée. La thrombencéphalite isolée est plus rare : paralysies des nerfs

crâniens, hémiplégie mais syndrome infectieux minime et LCR normal.

Le jeune adulte et l’enfant développent une forme méningo-encéphalitique fébrile avec des troubles nerveux (convulsions, paraly-

sie faciale). La durée moyenne d’incubation varie selon la forme clinique : 2 jours pour la

forme septicémique, 9 jours pour la forme neurologique et 27 jours pour la femme enceinte (figure 3).

La femme enceinte présente soit une fièvre isolée, soit un syndrome pseudo-grip-

pal avec des troubles digestifs et urinaires (figure 4) et cette affection peut provoquer

un avortement (27 %) ou un accouchement prématuré (54 %). Un accès fébrile au moment

| Figure 2. Listériose : plus fréquente chez l’adulte.

| Figure 3. Incubation de la listériose, selon la forme clinique (V. Goulet, 2013).

| Figure 4. Femme enceinte avec des troubles digestifs.

| Figure 5. Cas groupés d’une épidémie de listériose (CDC).

| Figure 6. Produits laitiers.

| Figure 7. Melon canteloupe.

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synthèse | formation

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décès) ou à la consommation de rillettes en 1993 (38 cas dont 10 décès) ou de 1999 (10 cas dont 3 décès), la majorité des décès étant des personnes ayant une comorbidité ou des enfants prématurés. L’analyse microbio-logique des rillettes (figure 8) a retrouvé plus de 10 000 CFU/g de Listeria ! Ces épidémies étaient dues à la souche 4b. Les souches

sont adressées au Centre national de référence et au Centre collaborateur OMS à l’Institut Pasteur.Le diagnostic est basé sur la mise en évidence de Listeria monocy-togenes, par examen direct (figure 9) et culture, qui se positive en 2 à 4 jours (figure 10). La bactérie doit être recherchée dans diffé-rents prélèvements, avec une recherche éventuelle complémentaire par PCR, non effectuée en routine. En cas d’atteinte neuroméningée, une IRM cérébrale visualise de multiples abcès du tronc cérébral.

Hémocultures, à effectuer systématiquement chez toute femme enceinte ayant une fièvre inexpliquée. Le LCR : liquide souvent opalescent avec des polynucléaires neutrophiles, une hypoglycorachie et une hyperprotidémie, mais parfois clair avec une faible cellularité. Le liquide de ponction articulaire ou d’abcès. Le placenta (figure 11) (nodules ou abcès déjà visibles à l’œil nu). Le nouveau-né : méconium, liquide gastrique, conduit auditif. La mortalité dépend surtout du terrain et le pronostic est assez sombre chez le sujet immunodéprimé Le traitement est basé sur les associations β-lactames-aminosides (amoxicilline-gentamicine) ou co-trimoxazole, pendant 3 semaines.

Prévention : éviter les produits laitiersLa prévention est basée sur une hygiène rigoureuse après la manipulation d’animaux morts. La femme enceinte doit éviter de manipuler des animaux morts mais surtout de consommer

| Figure 10. Culture de Listeria.

| Figure 8. Rillettes.

| Figure 9. Listeria monocytogenes.

des fromages au lait cru, des coquillages crus, des graines germées crues (soja), du poisson fumé et de la charcuterie. La viande et les poissons doivent être biens cuits, la pas-teurisation et la cuisson détruisant la bactérie. Les aliments crus doivent être consommés séparément des aliments cuits. Le réfrigérateur doit être nettoyé régulièrement avec de l’eau javellisée. Par ailleurs, devant toute fièvre inexpliquée chez la femme enceinte, il faut demander une hémoculture et commencer une antibiothérapie. |

Déclaration d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

PATRICE BOUREEa, ALIREZA ENSAFb

a. Consultation des maladies tropicalesInstitut Alfred- Fournier, Paris.

b. HSF – Kremlin-Bicêtre

Sources- Hächler H, et al. Outbreak of listeriosis due to imported cooked ham, Switzerland. Eurosurv 2013;18:ID20469.- Poulsen KP, Czuprynski CJ. Pathogenesis of listeriosis during pregnancy. Anim Health Res Rev 2013;25:1-10.- Goulet V, et al. What is the incubation period for listeriosis? BMC Infect Dis 2013;13:11. doi: 10.1186/1471-2334-13-11.

| Figure 11. Abcès au niveau du placenta.