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L’occupation américaine et les larmes de sang prédites par Hannibal Price (3 de 5) Par Leslie Péan, 26 juillet 1915 L’intervention américaine a été décidée plus d’un an avant le 28 juillet 1915. La correspondance entre Roger Farnham, vice- président de la City Bank et le secrétaire d’État américain Williams Jennings Bryan en date du 22 janvier 1914 en atteste 1 . D’ailleurs, au cours des échanges de Farnham avec Bryan, ce dernier devait s’esclaffer d’entendre que la langue officielle d’Haïti est le français. Il dira alors choqué « Quoi, des nègres qui parlent français 2 » (What, niggers speaking french !). L’occupation américaine s’attachera à faire la promotion du créole car c’en était trop pour les racistes blancs de se retrouver en face de nègres parlant français ! Le formatage des subjectivités racistes demandait autre chose. Roger Farnham était incontournable sur le marché financier haïtien depuis l’imposition de la participation de la City Bank à hauteur de 50% dans l’emprunt de 1910. Un emprunt dont les échos continuent depuis lors. La kyrielle de dettes inaugurée avec la dette de l’indépendance a continué avec la dette de 1922 de 40 millions de dollars contractée sous l’occupation américaine. Ruses et maquillages ne peuvent masquer reniements et abandons qui accompagnent ce qu’il faut bien appeler notre méchanceté. En effet, malgré l’occupation étrangère, nous n’arrivons pas à remettre en question notre étrange trajectoire de peuple et à prendre les actions qui s’imposent pour redresser la situation. Le message de corruption parle à la classe politique à travers l’emprunt de 1910. Ce n’est plus le collier de fausses perles ne valant pas cinq dollars, offert par l’Américain James McDonald à Célestina Simon, la fille du président Antoine Simon, pour convaincre son père de signer le contrat de chemins de fer. La corruption des Américains continue d’être personnalisée mais avec des sommes qui interpellent. Le plein est fait avec 175 000 dollars de pots-de-vin distribués aux dirigeants du pays pour les porter à approuver l’emprunt de 1910. Les bénéficiaires sont le président Antoine Simon, son fils Antonier, ses ministres, des 1 Roger L. Farnham to William Jennings Bryan, January 22, 1914, Records of the Department of State referring to the Internal Affairs of Haiti, US National Archives and Record Administration, College Park, Maryland. 2 Hans Schmidt, The United States Occupation of Haïti, 1915-1934, Rutgers University Press, 1971, p. 48.

L'Occupation Américaine Et Les Larmes de Sang Prédites Par Hannibal Price-3 de 5

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L’intervention américaine a été décidée plus d’un an avant le 28 juillet 1915. La correspondance entre Roger Farnham, vice-président de la City Bank et le secrétaire d’État américain Williams Jennings Bryan en date du 22 janvier 1914 en atteste. D’ailleurs, au cours des échanges de Farnham avec Bryan, ce dernier devait s’esclaffer d’entendre que la langue officielle d’Haïti est le français. Il dira alors choqué « Quoi, des nègres qui parlent français » (What, niggers speaking french !). L’occupation américaine s’attachera à faire la promotion du créole car c’en était trop pour les racistes blancs de se retrouver en face de nègres parlant français ! Le formatage des subjectivités racistes demandait autre chose.

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Loccupation amricaine et les larmes de sang prdites par Hannibal Price (3 de 5)

Loccupation amricaine et les larmes de sang prdites par Hannibal Price (3 de 5)Par Leslie Pan, 26 juillet 1915

Lintervention amricaine a t dcide plus dun an avant le 28 juillet 1915. La correspondance entre Roger Farnham, vice-prsident de la City Bank et le secrtaire dtat amricain Williams Jennings Bryan en date du 22 janvier 1914 en atteste. Dailleurs, au cours des changes de Farnham avec Bryan, ce dernier devait sesclaffer dentendre que la langue officielle dHati est le franais. Il dira alors choqu Quoi, des ngres qui parlent franais (What, niggers speaking french!). Loccupation amricaine sattachera faire la promotion du crole car cen tait trop pour les racistes blancs de se retrouver en face de ngres parlant franais! Le formatage des subjectivits racistes demandait autre chose.

Roger Farnham tait incontournable sur le march financier hatien depuis limposition de la participation de la City Bank hauteur de 50% dans lemprunt de 1910. Un emprunt dont les chos continuent depuis lors. La kyrielle de dettes inaugure avec la dette de lindpendance a continu avec la dette de 1922 de 40 millions de dollars contracte sous loccupation amricaine. Ruses et maquillages ne peuvent masquer reniements et abandons qui accompagnent ce quil faut bien appeler notre mchancet. En effet, malgr loccupation trangre, nous narrivons pas remettre en question notre trange trajectoire de peuple et prendre les actions qui simposent pour redresser la situation. Le message de corruption parle la classe politique travers lemprunt de 1910. Ce nest plus le collier de fausses perles ne valant pas cinq dollars, offert par lAmricain James McDonald Clestina Simon, la fille du prsident Antoine Simon, pour convaincre son pre de signer le contrat de chemins de fer. La corruption des Amricains continue dtre personnalise mais avec des sommes qui interpellent. Le plein est fait avec 175 000 dollars de pots-de-vin distribus aux dirigeants du pays pour les porter approuver lemprunt de 1910. Les bnficiaires sont le prsident Antoine Simon, son fils Antonier, ses ministres, des snateurs, des dputs et ambassadeurs. Les rivalits qui ont merg lors de la sparation du pactole ont permis au public de connatre la ralit et les montants reus par chacun de ceux qui ont souscrit cette imposture. La corruption financire sous loccupation

Loccupation amricaine de 1915-1934 commence par imposer la loi martiale le 3 septembre 1915. Le pays vit sous ltat de sige durant loccupation avec des pratiques qui rivalisent de cruaut avec celles de lholocauste nazi en Allemagne hitlrienne. Le journal Le Courrier hatien du 26 fvrier 1921 relate la mort de 5,475 prisonniers au camp de concentration de Chabert dans le Nord et la mort de plus de 4,000 prisonniers dans les prisons du Cap-Haitien de 1918 1920. Une situation excrable dnonce par lUnion Patriotique dirige par Georges Sylvain lors de la prsentation de son Mmoire laudition au Snat amricain le 5 aot 1921.

La rpression affecte spcialement les paysans hatiens qui sont dpossds. Plus de 30 mille hectares des meilleures terres sont accapares par les compagnies amricaines pour cultiver des denres exportables, rduisant ainsi lespace agraire consacr la production vivrire. Les paysans sont aux abois et protestent contre la corve tablie par les Marines pour les obliger travailler gratuitement dans la construction des routes. Au cours de loccupation, 300,000 paysans hatiens vont migrer pour aller travailler comme coupeurs de canne dabord Cuba puis en Rpublique Dominicaine. Ces paysans hatiens reprsentant plus dun tiers de la population active (plus de 15 ans) sont vendus comme du btail par des ngriers hatiens.qui renouvellent leur faon les pratiques esclavagistes des petits rois africains. Ce mouvement dbordera dintensit au rythme de la demande de main duvre des compagnies amricaines tablies en Rpublique Dominicaine.

Dans louvrage intitul Le saccage, qui est le tome 3 de la srie conomie politique de la corruption en Hati 1915-1956, jai voqu le point de dpart de la corruption sous loccupation en ces termes:

Les Amricains ne vont ni interdire, ni interrompre la corruption financire. Au contraire, ils en profiteront. Cest dans son compte priv quelamiral Caperton dposa les fonds du gouvernement squestrs en aot 1915. Ce qui fit dire quil sappropria la rondelette somme de US$ 216.000 du saccage du trsor public. [.] Selon Franois Dalencour, "au cours de lexercice 1919-1920, le quartier-matre amricain de la gendarmerie dpensa irrgulirement une valeur de 96.000 dollars; aucune punition ne fut inflige, le Dpartement dEtat ayant sollicitle silence." [.] Les forces doccupation amricaine laisseront dautres images fortes dans limaginaire collectif des Hatiens. Par exemple, William Cumberland, le conseiller financier amricain, qui imposa la taxe dmigration sur les travailleurs hatiens se rendant Cuba, sappropriera galement une partie de ces fonds. Selon Georges Sjourn, Cumberland "se lana dans laugmentation exagre des taxes, puis fit, par une loi dite dEmigration, une organisation qui rappelait exactement lune des formes de traite des ngres interdite par la Socit des Nations, sous le couvert de laquelle le paysan hatien devint une denre dexportation vers Cuba et la Dominicanie, un moyen fiscal reprsentant US$21 par tte(le pourcentage du Dr Cumberland reprsentant $1.05). " William Cumberland prendra dautres liberts grce son rle de conseiller financier. Il opra des investissements dans lachat de titres de la dette hatienne quil revendit avec de juteux profits. Egalement, il investit dans une plantation de sisal plus dun million de dollars en 1923 qui lui rapporta de gros dividendes au point que le Dpartement dEtat dcida dinterdire les investissements privs aux officiels amricains. Ctait trop tard, Cumberland avait dj outrepass les rgles dusage en matire de conflits dintrts. Depuis lors, les Hatiens qui lobservaient dans ces multiples combines, utiliseront le terme "cumberland" en crole toutes les fois quils voudront faire un dtournement, organiser une forfaiture, commettre un dlit diniti ou encore favoriser une concussion. Les "cumberland" sont donc toutes sortes de malversations, descroqueries et de prvarications qui margent au registre de la corruption financire. Aprs tout, William Cumberland navait fait que se conformer la politique dabsence de contraintes administratives qui semblait tre celle des autorits de loccupation. Un de ses successeurs, Arthur Millspaugh, conseiller financier de 1927 1929, ne sera-t-il pas dmissionn par le Haut Commissaire amricain JohnRussell ? Sa faute avait t de vouloir contrler les dpenses et les comptes de ses collgues dont le Haut Commissaire amricain, le receveur amricain des Douanes, le directeur amricain des Contributions, le chef amricain de la Gendarmerie, le chef amricain du Service dHygine, le chef amricain des Travaux Publics, le directeur amricain du Service Technique dAgriculture, etc..On retrouve lunivers des "cumberland" sur le plan lectoral. Cest l quon voit aussi que llment tranger nest pas toujours irresponsable dans les malheurs dHati. Ce qui avait conduit Hannibal Price crire: quand les Hatiens se font la guerre, cest pour obir aux injonctions rivales de deux ou trois puissances qui se partagent linfluence dans la direction de nos affaires et qui sont reprsentes mme comme lobjectif exclusif du vote que nous donnons dans nos lections de toute sorte!!! ( suivre)

Roger L. Farnham to William Jennings Bryan, January 22, 1914, Records of the Department of State referring to the Internal Affairs of Haiti, US National Archives and Record Administration, College Park, Maryland.

Hans Schmidt, The United States Occupation of Hati, 1915-1934, Rutgers University Press, 1971, p. 48.

Leslie Pan, Hati Economie Politique de la Corruption, Tome 2, LEtat marron (1870-1915), Paris, Editions Maisonneuve et Larose, 2005, p. p. 277-278.

Inquiry Into Occupationand Administration ofHatiand Santo Domingo,United StatesCongress, Senate Select Committee onHatiandDominican Republic, Washington, D.C., volume 1, 1922, p. 32.

Lire Heinl et Heinl, Written in Blood, Houghton Mifflin Company, Boston, 1978, p. 409.

Franois Dalencour, Prcis Mthodique dHistoire dHati, Chez lAuteur, P-a-P, 1935, p. 152.

Georges Sjourn, Petite Proprit, P-a-P, Hati, 1938, p. 13.

Gayle Plummer, Haiti and the United States, op. cit., p. 114.

Dants Bellegarde, LOccupation amricaine dHati ses Consquences Morales et Economiques, Imprimerie Chraquit, P-a-P, Hati, 1929, p. 31.

Leslie Pan, conomie Politique de la Corruption, Tome III, Le saccage 1915-1956, Paris, Maisonneuve et Larose, 2006, p. 99-100.

Hannibal Price, De la rhabilitation de la race noire par la Rpublique d'Hati, Port-au-Prince, Imprimerie Verrollot, 1900, p. 702.