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"Lucina sine concubitu", ou la Génération solitaire... avec une introduction... de J. Assézat Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

lucina sine concubitu

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lucina sine concubitu ap saint-colombe

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"Lucina sine concubitu",ou la Génération

solitaire... avec uneintroduction... de J.

Assézat

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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Hill, John. "Lucina sine concubitu", ou la Génération solitaire... avec une introduction... de J. Assézat. 1865.

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SINGULARITE

PHYSIOLOGIQUES

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INTRODUCTION

LElivret que nous réimprimons aujourd'hui

€st une de ces vives plaisanteries comme en savait

faire notre dix-huitième siècle tant honni par les pe-sants spiritualistes de nos jours ennuyés. Il est louable

pourbien des raisons. Il a été loué par des gens graves,séduits"par son but moral qui ne se peut nier; il l'aété par d'autres critiques simplement attirés par l'in-géniosité de son invention et par l'originalité de sespreuves, en même temps que par la tenue de son iro-nie. H nous vient d'Angleterre et une partie de sesqualités sent le terroir, mais il a été remanié enFrance et il a pris à ce remaniement un vêtement

nouveau qui ne lui sied point mal et qui atténue à lafois etla cruauté de la satire et le sérieux des raisons.

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Pour certains, cette atténuation serait un amoindris-

sement. Nous y voyons, nous, une de ces greffes heu-

reuses qui diminuent, il est vrai, lavigueur du sau-vageon mais qui lui permettent de porter des fruitsplus doux et, si l'on peut ainsi parler, plus civilisés.Le rire est devenu du sourire. Encore était-ce biendu rire?

L'Angleterre a un rire particulier. Ce n'est pas dutout celui de la France et il s'acclimatera difficilement

en ce pays, malgré l'anglomanie qui persiste depuisplusieurs siècles et que nous entendons toujours atta-quer comme une nouveauté par les prétendus gardiensdu véritable et vieux génie français. Ce rire est pro-voqué par une qualité spéciale de l'esprit chez l'écri-vain comme chez l'auteur. Nous avons voulu, plusd'une fois, depuis cent ans, franciser le mot humourqui indique cette qualité, nous n'y sommes point par-venus: il faut toujours le souligner. C'est que lachose n'existe pas en France. Le Français a toujours

eu peur du trop. Trop d'esprit lui déplaît, trop debon sens lui fait honte, trop de sagesse l'ennuie, tropde facilité le dégoûte. Il a un sentiment si profond dela vivacité de ses perceptions qu'il lui semble qu'on

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lui fait l'injure d'en douter lorsqu'on ose déduire d'unpriicipe toutes ses conséquences. Les écrivains quicroient que ce qui n'est pas écrit dans un livre n'y

est pas, ont tort. Les lecteurs français prétendent quecela y est et le prouvent en dédaignaut les livres oùles opinions fortement étayées appellent géomélrique-

ment les conclusions,pour se ruer sur ceux où la con-clusion est laissée à leur imaginative et où les opi-nions ne sont pas choquantes parce quVlks ne sontpas des convielions.C'est considérer l'auteur comme unprotégé d'un rang inférieur auquel on veut bien fairel'honneur de lire son manuscrit à la condition qu'il lecorrigera suivant sos indications et qu'il ne tirera pasavantage de cette condescendance pour croire qu'il a

pu se hausser jusqu'à vous et changer une seule de

vos idées. C'est encore une façon de prendre un livre

comme un de ces motifs que les éerivaii.s religieuxintitulent: sujet de méditation et les musi-ciens: thème à variations.Aussi, quels résul-tats! Je n'en veux rien10[dire. Je suis en société gaie

et ne voudrais point attrister mes voisins ni m'atirislermoi-même en faisant ici le relevé des mécomptes quiattendent l'homme de lettres, je ressaute donc brus-

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quement hors de ce cercle en disant que l'humourest le plus souvent ce trop qui nous effraie. Dans

notre petit volume, de Sainte-Colombe a su corriger

ce qu'avait de trop nu la facétie de John Hill et nous-même, croyons-nous, ce qu'avait de trop languissantlaparaphrase de Sainte-Colombe.

John Hill (c'est le nom que cache le pseudonymeAbraham Johnson) était un personnage assez remuantqui a occupé les badauds de la ville de Londres pen-dant un quart de siècle. Insinuant et ambitieux, puisinsolent et vain, tour à tour frivole et sérieux, riche

et pauvre, il s'est heurté à bien des choses et à biendes gens. Il a eu de grands protecteurs et il a reçupubliquement des coups de canne, il a publié des

ouvrages importants par leur étendue et leur mérite

et beaucoup de brochures oubliées; il a vendu long-

temps un remède contre la goutte et il est mort de la

goutte. Voilà en quelques mots sa biographie. Si desdétails paraissent nécessaires, nous ajouterons à cequi précède que John Hill naquit eu 1716. Il futd'abord destiné à la profession d'apothicaire, qu'ilquitta pour celle de jardinier, qu'il quitta pour celle

d'auteur dramatique. Ses pièces eurent peu de succès

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et ne produisirent d'autre effet du^ljle que d'inspirerà Garrick de cruelles épigrammes qui nous ont étéconservées. Hill abandonna le théâtre qui lui réussis-sait si peu et traduisit le Traité des pierres pré-cieuses de Théophraste. Cela lui fit une réputation.Il continuapar une Histoire naturelle des Tioisrègnes de la natureen3volumesin-fol.,s'adjoignitdes collaborateurspour un Supplément a l'En-cyclopédie de Chambers, qu'allait refaire Diderot,joignit à cette entreprise celle duBritish magazineet publia en même temps une feuille quotidienne denouvelles et d'anecdotes intitulée: l'Inspecteur,qui fut la cause de plusieurs de ses mésaventures. Ilavait équipage, il se crut fort et attaqua la Sociétéroyale de Londres, notamment parle livret quenousréimpIimons. Cela et ses autres satires lui aliénèrent

ses amis et lui firent perdre sa fortune. Il la refit enrevenant à sa pharmacie et en vendant un remède quiguérissait, ou au moins devait guérir quelquefois, la

goutte. Le comte de Bute, qui était goutteux, l'aida,

en reconnaissance de son remède, à publier un grand

ouvrage de botanique intitulé:Système végétal.Cet ouvrage en 26 volumes in-fol. avec 1542 planches

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coloriées H7.1G-75) lui valut du roi de Suède une dé-coration qui lui permit de prendre le titre de Sir. Ilmourut en 1775 laissant une réputation d'esprit vifvmais un souvenir Irès-peu vivace 1. Dans le très-grandnombre de ses romans, on ne cite comme ayant ététraduit en français (par M. Eidous) qu'une Histoirede Lowel (1765) qui est, dit-on, une sorte d'auto-biographie. Les autres, les Aventures d'unecréole, la Vie de Lady Fragile, etc., ne sontplus connus, même en Angleterre. C'est assez le sortdes romans, il en est peu qui surnagent *.

<Il y a: An account oftheliCeandwritingsofthe iate sir John Hill, M. D. Edimbourg, 1779.

2 On trouve dans leBibliographersManual,deLowndes, une Pst.- détaillée de divers ouvrages de J.Hill.Mais cette liste ne contient guère que ses publications.scientifiques, du moins dans l'édition que nous avonsseule pu consulter, celle de 1834. Peut-être dans l'éditionnouvelle de 185-, aurions-nous trouvé d'autres renseigne-ments, nous n'avons pu nous la procurer. Cependant,d'après une note de M. Gustave Brunet, que nous a com-muniquée M. Quérard, elle contiendrait un fait bien im-portant, sur lequel nous aurions aimé à être éclairé. Ilparaîtrait en effet que l'opinion qui attribue la Lucinaà Hill ne serait pas universelle et qu'il serait possibleque le véritable auteur fût un autre écrivain, le Rév.

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Ce qui a surnagé, de ces choses légères, plus en-core chez nous qu'en Angleterre, c'est le pamphlet

qui nous occupe spécialement. Il fut bientôt traduit,

et Clément, dans ses Années littéraires, sous la

date du 30 août 1750, l'analyse avec l'agrément qu'ilmettait a expliquer ces sortes d'ouvrages à son cor-respondant. On attribua cette traduction à Moët,

un écrivain fécond mais inconnu, mort à Versailles,

au commencement du siècle (1806), à 86 ans etqui, ayant commencé par un Code de Cythère,assez pauvre, a fini par une traduction des rêveriesde Swedenborg, imprimée après sa mort. Mais ici

se présente une difficulté bibliographique que jevais essayerde discuter. Cette attribution à Moët ac-ceptée par Brunet, comme par Quérard, qui ont suivi

tousdeux l'ancienne France littéraire, est-ellefondée? C'est ce qu'il nous faut examiner.

D'après les auteurs que nous venons de citer, cette

Richard Coventry. Pour discuter cette assertion nousavouons manquer de temps et surtout de savoir. Nousnous bornons donc, jusqu'à plus ample informé, à con-lerver la paternité du livret à J. Hill. Laissons quelquechose à faire à nos neveux: cela n'est pas un si mauvaisprincipe.

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première traduction seule serait de Moët et une autrequi parut en1786 serait de E.-G. Cotombe dit deSainte-Colombe qui aurait remanié la première etyaurait ajouté diverses choses.Cependant, si on lit avecquelque attention l'Avertissement de cette nouvelleédition, avertissement qui porte ce titre: le Mariconfiant, etqu'on trouvera plus loin, on verra quel'éditeur de 1786 se donne comme ayant été d^jàcelui de 1750. Est-ce là une deces supercheries quedémasque avec tant de savoir et souvent de cou*-

rage notre maître à tous en bibliographie, M. Qué-rard? - Je ne le pense pas. Je suis, au contraire,très-disposé à croire que cette revendication par deSainte-Colombe d'une publication antérieure du livrequ'il réimprimait est fondée et ce qui jettequelquejour pour moi sur cette affaire, c'est que dès 1750, iL

y avait eu deux traductions françaises de l'ouvrage deHill et que si Moët a été l'unde ces traducteurs, deSainte-Colombe a très-bien pu être l'autre.

La Bibliothèque impériale possède, réunies dans lemême volume ces deux traductions de 1750* EUes

sont accompagnées d'une Notice assez étendue et qui

paraît mériter toute confiance. Cette Notice, quoique

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il m'ait été impossible d'en connaitre avec certitudel'auteur,pourrait bien être l'ouvragemême dedeSainte-Colombe. C'est, dans tous les cas, l'œuvre d'un hommequi a su très au long l'histoire des vicissitudes de l'ou-

vrage et qui a dû en connaître l'éditeur. Il rejette bienloin l'opinion qui donne à Moët une part dans ce tra-vail Il n'indique pas, il est vrai, quel aurait été l'au-

teur de la première traduction parue à Londres dansles derniers mois de 1749 sous la date de 1750, chez

J. Wilcox, mais il n'a pas la prétention de tout savoir,il ne sait bien que ce qui regarde de Sainte-Colombe

et il affirme que c'est par suite de l'insuffisance et dumauvais langage de la première traduction, que cethomme de lettres aurait entrepris la sienne, devenue

le type de celle qu'il a donnée en 1786, corrigée etaugmentée.

Dès lors, donc, si l'on ne veut pas écarter tout-à-fait

Moët du débat, il faut le réduire à cette première ver-sion (1749-50, in-12, 48 pages) mais il faut laisserl'autre (MDCCL, in-8°, X et57 p. avec ce nouveau sous-titre: LUCINE AFFRANCHIE DES LOIS DU CONCOURS) 1 à

1 Nous avons vu une troisième édition sous la même

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de Sainte-Colombe qui débutaitalors, à vi«gt-cinç ams,dans une carrière qu'il a peu illustrée, mais dans la-quelle il a semé, quoique avec parcimonie, d'autres ou-vrages qui ne s'éloignent pas trop, pour le genre etpour les dimensions, de celui par lequel il s'essayait.

Cette édition de 1750 (je suis la Notice manuscritedont j'ai parlé) parut avec une permission tacite àParis avec la fausse indication: Londres. L'éditions'épuisa et malgré trois ou quatre contrefaçons tant esSuisse qu'en Hollande 1, les exemplaires atteignirent

un assez haut prix dans les ventes, on les vit monterjusqu'à 15 fr. 1. De Sainte-Colombe se résolmt à endonner une nouvelle édition. Il revit son travail et leprésenta à la censure afin d'en obtenir, selon l'usage,

une nouvelle permission. C'était dans les premiersmois de 1786. « L'ancien titre qu'on avait conservédéplut au garde des sceaux qui refusa constamment

date, x et 72 page3. Elles ont toutes deux, pour carac-tère distinctif, une épigraphe tirée d& Milton, au versodu titre.

! On a de plus des traductioDi en allemand et en ita-lien.

2 Encore aujourd'hui ce prix reparait pour certainsexemplaires bien conservés et à grandes marges.

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son attache, malgré l'approbation d'un censeur homme

d'âge et sévère sur l'article des mœurs. » De Sainte-Colombe changea dès-lors ce titre compromettant encelui-ci: LA FEMME COMME ON N'EN CONNAIT POINT.

Le garde des sceaux raya de nouveau l'ouvrage de laliste des permis. Un nouveau censeur plus rigoristemais aussi honnête que le premier accueillit l'ouvrage

et lui donna l'approbation la plus formelle. Cependantle garde des sceaux persistaitsans alléguer aucunmotif

« mais, à la fin, sur les instances de personnes aux-quelles il ne pouvait raisonnablement se refuser, ilconsentit,le 30 août, à donner une permission verbale,

non registrable aux chambres syndicales, en sorte, ditnotre Note, que cette minutie ne peut être annoncéedans aucun papier public, ce qui nuira nécessairementà sa circulation. »

L'ouvrage parut le 2 septembre 1786 avec tout sonluxe de titres, car, en outre des précédents, il avait

encore celui-ci: DE LA PRIMAUTÉ DE LA FEMME SUR

L'HOMME, et ce dernier: AUTANT EN EMPORTE LE

VENT. Mercier de Compiègnel'a réimprimé en 1799.Il en a reparu des exemplaires en 1802 et en 1810,

avec un frontispice gravé. Ces exemplaires sont très-

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probablement d'anciens volumes rajeunis par un titre

nouveau.Voila à peu près l'historique de ce petit volume dans

le dernier siècle. Il est depuis redevenu peu commun,et il nous a paru mériter d'ouvrir la série de ces SIN-GULARITÉS PHYSIOLOGIQUES que nouscommençons etqui n'auront pas, nous l'espérons du moins, d'aussilongs démêlés que lui avec le garde des sceaux.

Si, maintenant, nous ouvrons le livre et étudionsl'idée qu'il défend, nous serons surpris de voir qu'ilpeut encore aujourd'hui avoir une valeur satirique

autre que celle qui résulte des plaisanteries adressées

à la Société royale de Londres, à Wollaston, à War-burton, etc. Il y a, en effet, de nos jours une sectescientifique très-nombreuse, qui professe sérieuse-

ment les doctrines de Johnson à l'égard de la dissé-mination dans l'air des animalcules reproducteurs dediverses espèces. Il faut, pour ne pas être taxé de tropd'exagération, dire que ces savants réduisent à un pe-tit nombre les espèces qui ont le don d'éternité àl'état sec, et qu'ils arrêlent ce royaume d'êtres vaga-bonds, attendant une occasion favorable pour éclore,

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aux seuls infusoires, plantes et animaux, dont ils nepeuvent parvenir à comprendre la genèse. Certes,

c'est un moyen facile d'expliquer cette genèse et qui

ne compromet personne. On ne se brouille pas, dèslors, avec son curé, et on calme toutes les ardeurs dela recherche avec ce mot: Tout a été créé au début.Ce mot création me rappelle qu'un jour où M. Flou-

rens, le père, le prononçait devant Cuvier, le grand

savant l'arrêta en lui disant: « Jeune homme, vous

vous servez là d'un mot bien peu scientifique. »M. Flourens, qui tire d'expériences très-matérialistesdes conclusions très-spiritualistes, ne se rappelle pro-bablement ce mot-là que rarement. Il a tort. Quant à

ceux qui, comme lui, répondent qu'il ne naît pasun être sans parents de son espèce, et qui sont forcés,

pour soutenir cette thèse, de peupler, bien mieux, de

saturer l'air de germes voyageurs, ils deviennent lesjusticiables de ce petit ouvrage.*

Il ne fait, en effet, que pousser à l'extrêmeles con-séquences de leur raisonnement, et c'est le vrai

moyen de juger de la valeur d'un raisonnement quede ne pas laisser dans l'ombre et le vague ses derniersrésultats. En quoi serait-il singulier de trouver dans

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l'air des embryons humains si l'on y trouve des em-bryons de kolpodes et de vorticelles? Les uns ne sontguèreplus compliqués que les autres, et, s'ils sont plusdélicats, c'est tout simplement affaire de circonstan-

ces et de milieux à rencontrer. Je ne veux pas direici, à l'avance, ce que diront plus loin et Johnson etde Sainte-Colombe, mais j'appuie fortement avec euxsur ce point que, pour des gens assurés que des mo-lécules organiques, ouplutôt desanimalcules, peuventvivre étant morts, ou conserver après une mort réelle,mais qualifiée d'apparentepour les besoins de la cause,lafaculté derevenirà lavie, l'impossibilité decontinua-tion de vie ou de résurrection n'existe pas plus pourles uns que pour les autres de ces germes, et l'hommen'a pas le droit de se croire exempt de la singulière etinaccoutumée génération qui va être étudiée.

Un savant, très-savant, me dira sans doute que jedéplace la questioa. Je ne le nie pas. Etjustement, ce

que je reproche aux savants officiels qui se sont occu-pés de cette grosse affaire de la génération spontanée,qui vient, malgré moi, prendre sa place dans cette no-tice, c'est de n'avoir pas su, quand il le fallait, dépla-

cer la question. C'est d'avoir voulu, malgré Minerve,

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ne pas sortir de leurs spéculationsmétaphysiques. Ju-

rer par la Bible en cette occurrence vaut ce que vautmaintenant dans la plupart des cas le serment par Aris-

lote. La docte cabale de l'un et de l'autre camp esttrop sujette à ne pasvoir les choses telles qu'elles sontet souvent a ne pas les voir. Cela serait déjà mal; cequi est pis, et ce qui est, c'est, lorsqu'onvoit, de cacher

ce qu'on voit, sous le prétexte que les profanes entireraientdes conclusionshasardéesetendésaccord aveclessains principes de morale et de religion publiques.

Et cependant ce qui est, est. Les boisseaux ne font

pas que la lumière ne soit pas, et ils ne sont jamaissi hermétiquement clos qu'elle ne filtre à travers lesjoints, et qu'on ne la soupçonne là où elle est cachée.C'est ce filet d'une lumière éclatante, cachée jusqu'ici

sous tous les boisseaux dont pouvait disposer la reli-gion et qu'emploie maintenant la science officielle,

que nous fait entrevoir la question des générationsspontanées. Elle devrait être, dans l'état actuel dessciences, résolue à priori; elle n'est douteuse quepourceuxqui sont plus catholiques que saint Augustin

ou saint Thomas, et aussi spiritualistes que ce drôlede spiritualiste qui a nom Voltaire.

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A priori, en effet, et sans mêler à cette causerie,

un peu à bâtons rompus, soit des plaisanteries qu'ormemanquerait pas de trouver de mauvais goût, soit deschoses graves et des noms honorables qu'on aurait,je le sais, la pudeur de trouver eu mauvaise compa-gnie ici, n'est-il pas de toute évidence que le systèmedes panspermistes doit, en fin de compte, aboutir à ce-lui de l'emboîtement des germes, et à l'affirma-tion qu'à un jour donné, tous ceux nés ou à naitre sontsortis de l'action d'une volonté agissant sur le néant.On ne niera pas que ceux-là au moins soient nés sansparents. Mais la difficulté reparait dès la générationsuivante. D'où viennent ces seconds germes? Les pre-miers existent, comment ont-ils produit les seconds ?

Je sais bien qu'on invoquera ici une certainefacultéreproductive danslegenredela vertu dormi-tive de l'opium. Ce n'est pas répondre. Ou ces se-conds germes existaient dans les premiers, ou ils peu-vent se former de matériaux différents. Qu'il faille

comme laboratoire à ces matériaux, pour prendre unecertaine forme, un être de même forme, c'est certai-

nement la condition la plus favorable. S'ensuit-ilqu'elle soit la seule? Un être doué de vie travaillera

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plus probablement suivant son propre modèle que sui-Tant tout autre, mais il n'enest pas moins vrai ques'il n'a pas en lui, tout fait, ce germe qu'il va mettreautour, ille fera avec ce qu'il aura sous la main, si

l'on peut ainsi parler, avec la matière plastique quecette force multiple qui est la vie, modifie suivant sesexigences les plus variées. Est-il donc obligatoire de

penser que cette force existe seulement dans la ma-tière vivante? Ne peut-elle exister dans la matière

ayant eu vie? Et est-ee autre chose que ce que disentles hétérogénistes? Est-il même interdit de croirequetoute la matière peut, à un moment donné, devenir su-jette de la vie? Et est-ce autre chose que ce que com-battent les panspermistes?

Il me resterait, si je voulais discuter un peu pluscomplètement ce point de doctrine, à amasser quel-

ques raisons pour démontrer l'impuissance et la non-valeur de la théorie de l'emboîtement desgermes. T1 me semble qu'elle a subi depuis long-temps le sort qu'elle méritait. Personne ne la défendplus. Malpighi, Swammerdam, Bonnet, Baller, Spal-lanzani, étaient, certes, de bons observateurs, maiscela ne suffit pas. Ils ont fait de curieuses expériences,

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cela ne suffit pas encore. Ils appartenaient à cette racede savants, dont je parlais tout à l'heure, qui voientMoïse au commencementde toutes les sciences et qui,s'en tenant à la lettre, laissent fuir l'esprit. Et cepen-dant, de combien peu l'erreur s'éloigne de la vérité!Combien peu loin il y a de cette croyance en des

germes de plus en plus petits, contenus les uns dansles autres à celle-ci: la molécule, l'atôme de matière

est un germe; toute partie infiniment divisée de lamatière est propre à entrer dans le circulus vital

sous une forme infiniment variable. Il n'y a pascréation: il n'y a que métamorphoses!

Mais je ne puis ni ne veux m'appesantir plus long-

temps sur ce sujet qui a des défenseurs bien mieuxarmés que moi. Je laisse à M. Pouchet et à ses collabo-

rateurs le grand rôle d'expérimentateurs et de démons-

trateurs, et je me borne à cette simple escarmouche,d'autant plus qu'il est temps de dire quelques motsde Buffon qu'on a considéré, jusqu'ici, comme ayant été

surtout le point de mire des traits lancés par l'auteurde la LUCINA.

Nous croyons que Buffon a été un peu légèrement

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mis en cause. Il l'a été surtout dans les éditions fran-çaises, et c'est l'œuvre dede Sainte-Colombe. Mais cen'est pas parce qu'il a pu avoir, sur les germes, les

idées que ridiculise Johnson; c'est parce qu'il a cru,comme bien des savants le croyaient à son époque,

que la fécondation avait besoin pour se produire dumélange des deux semences de l'homme et de lafemme. On sait maintenant que la femme n'apportepoint à la génération un concours aussi actif, et qu'elle

se borne à livrer à l'excitation de l'animalcule sper-matique un ovule qui se forme spontanément chezelle. Mais au temps de Buuon, les idées de Venetteétaient encore prédominantes, c'est-à-dire, en grandepartie, les idées d'Aristote. Il en résultait qu'on croyait

à la possibilité pour la femme, non pas de produireseule un être complet, mais de produire dans certains

cas un être quelconque, une masse de chair, un môle.C'est là à peu près tout ce qui, dansBuffon, a pu prê-

ter le flanc à la critique, et il nous paraît qu'elles'est assez égayée à ce sujet, sans que nous soyonsobligé de continuer la plaisanterie.

*Laissons donc Buffon, laissons Maupertuis, qui au-

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rait pu prendre aussi sa part de la critique, et voyonss'il n'y a pas encore quelques autres justiciables deJohnson soit parmi nos ancêtres, soit parmi nos con-temporains? Hélas! oui, il y en a encore d'autres.Ceux-là, il faudrait peut-être, pour ajouter encore auplaisant de cet ouvrage, citer leurs opinions commepièces justificatives. Nous avons longtemps hésité etnous ne le ferons pas. Nous nous bornerons à signaler

aux amis du fou-rire leurs œuvres, dites sérieuses,

tout en leur faisant bien observer qu'elles ne con-tiennent rien de nouveau, et que si le soleil voit unjour sur notre terre quelque chose de vraiment non-veau, ce sera le règne absolu du bon sens.

Rien ne se perd des anciennes idées, bonnes oumauvaises, saines ou malades, toutes durent, et c'est

à croire à une éternelle stagnation de l'humanité. Les

sorcières de Thessalie n'ont pas abdiqué, elles ontseulement changé de nom. Apollonius de Tyane con-tinue ses prophéties et ses miracles, et ceux qui ontl'habitude de croire aux miracles croient à ceuxd'Apollonius. Tout un peuple se presse à ces conci-

liabules où l'on abdique tout droit d'enquête et où,

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pour être admis à juger, il faut croire, c'est-à-direavoir jugé d'avance. Sur ce peuple soumis règne unsénat d'hommes en bonnet pointu et en robe à flammes

rouges, qui ont tout droit de prendre ici leur place:Ce sont les magiciens!

Réfugiés sur les hauteurs, ils y font descendre,quand ils le veulent, les bons et les mauvais esprits.Non-seulement ils appellent les morts, mais il estcertain qu'ils peuvent, a leur commandement, faire

nattre des vivants. Spirites, magnétiseurs, voilà

les noms sous lesquels ils se déguisent. Ce sontd'aussi grands magiciens que l'enchanteur Merlin, fils

d'une vierge, et d'aussi abominables hérésiarques queLuther, fils du diable. Ils ont le diable à leur service,

et rien n'est si facile au diable que de transporter dansle sein4e la femme coupable qu'il a su séduirelegerme

qu'il a dérobé ici ou là. Nous sommes sous la domi-nation de cette race impie de médiums qui ne sontque les instruments de Satan, et l'heure est procheoù, grâce à leurs œuvres de ténèbres, une race nou-velle apparaîtra sur la terre.

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Cette race ce sera celle née des accouplements im-mondes des femmes insensées qui auront commerceavec les incubesi. L'incube, parait-il, n'a jamais étéaussi fréquent que de nos jours, quoiqu'il ait tou-jours été très-fréquent. L'incube etle vampire,cesdeuxfrères, sont les deux plus grands ennemis de notrehumanité, et ils préparent tout doucement les voies àl'avènement de l'Antéchrist.

Voilà ce qu'il faut croire, et il faut le croire non-seulement parce que Sprenger, parce que Del Rio,

parce que Bodin, parce que De Lancre l'ont écrit, mais

1 L'incube ou éphialte est le démon se présen-tant sous forme mâle, le succube ou hyphialte estle démon sous forme femelle. La médecine range aujour-d'hui les visions de ces deux genres sous le titre caté-gorique de cauchemar. Cela ne fait pas l'affairedesgens pleins de foi. Il n'est malheureusementplus l'heurede discuter leurs assertions avec le sérieux qu'ils dési-reraient, mais comme leurs idées sont vieilles, ilsonttrouvé en leur temps bien des réfutateurs aussi pleinsde gravité qu'eux-mêmes. Parmi ces bons livres dessiècles passés, destinés à servir d'antidote aux rêvesmystiques de tous les siècles, nous signalerons seulementcelui de Balthasar Bekker : le Monde enchanté,entre beaucoup d'autres.

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surtout parce qu'il faut croire au diable. C'est le motde passe, le schibboleth. Vous croyez au diable, ilfaut être conséquent: croyez aux incubes, croyez auxsuccubes, croyez aux vampires, croyez aux sorciers,

aux loups-garous, aux lutins, aux farfadets, aux sorts,

au nouement de l'aiguillette, etc., etc. Votre raison

vous l'ordonne, puisque c'est votre foi qui l'éclairé etdoit la conduire.

Mais quel avenir nous prépare une pareille ingé-

rence de Satan dans nos affaires! Il ne faut pas, pournous rassurer, regarder ce qu'a produit cette ingé-

rence dans le passé. Cela n'a rien été, un essai duMalin seulement. Maintenant, il va d'un pied assuré,

et c'est l'avenir surtout qu'il faut craindre!Pleurez sur cet avenir, grandes et bonnes âmes

des défenseurs des saints canons, descendants etchevaliers des exorcistes, ennemis farouches des sor-ciers, ô de Mirville, ô Bizouard, ô Goguenot desMousseaux, l'avant-garde et aussi l'arrière-garde 1

Continuez à condenser en des livres bien gros et bienappuyés d'autorités, les belles choses que nou sonttransmis les siècles, avant et depuis la confession, surces sujets scabreux. Quant à moi, je ne regrette

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qu'une chose: c'est de ne pouvoir, à peine de grossirdémesurément cetopuscule, ajouter toutes vos preuvesà celles déjà ramassées par Johnson pour faire de cettebagatelle une œuvre d'érudition, comme elle est déjà

une œuvre d'esprit. Cette union ferait decette édi-tion nouvelle le plus beau livre qu'ait jamais lu lemonde étonné.

Mais ce serait vous dérober une part de votre gloire,

et je veux vous la laisser tout entière. Combattez Sa-

tan, combattez-le ferme l Consolez ces pauvres femmesqui se rappellent en des rêves érotiques les erreurs deleur jeunesse, etviennent se plaindre à leurdirecteurdesobsessions du malin esprit 1 Détrompezces pauvresmariaqui neveulentpas croire aux incubes, parce qu'ils n'ontjamais pu obtenir de faveurs des succubes! Épaississez

ces nuages déjà si épais qui s'interposent entre l'espritde l'homme et lavérité, et quand vous aurez réussi àréunir autour de votre bannière une armée bien com-pacte, regardez-la avec amour, électrisez-la par debeaux mandements, et conduisez-la aux Petites-Mai-

sons. C'est un siège qu'elle sera apte à faire, et où elle

pourra conquérir ses quartiers d'hiver et se reposersur ses lauriers.

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Je crois qu'il est temps de finir sur ce sujet, etde laisser la place à ceux que j'ai seulement charged'introduire. Je ne dirai plus qu'un mot, au sujet del'opuscule qui suit celui de Johnson dans la plupartdes éditions et que nous avons reproduit dans celle-ci

pour-nous conformer à l'usage? Cet opuscule parutpresque immédiatementaprès la LUCINA sous la mêmeforme de lettre. Il fut traduit aussi immédiatement.L'auteur de l'ouvrage original ne parait pas avoir été

connu. Le nom de Richard Roë est une énigme quenous ne pouvons, non plus que bien d'antres, deviner.Cependant, si nous en croyons la Note que nous avonscitée à propos du premier de ces deux ouvrages, il yaurait au moins une rectification à faire, quant au nomdu traducteur. Les dictionnaires font hommage de

cette traduction à De Combes. Or, De Combes ne s'enest pas vanté et, de plus, il n'a jamais donné de preu-ves d'une tournure d'esprit à ce point satirique. Cequi a pu porter les idées sur lui, c'est qu'il a traduitquelques ouvrages anglais; mais il y a loin d'une ViedeSocrate au Concubitus sine Lucina.Or, c'est là le fond du bagage de De Combes, avec desVies d'Épicure, de PlatonetdePythagore,

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et surtout, ce qui a été la grande préoccupation de

toute sa vie, des ouvrages de jardinage qui ont eud'assez nombreuses éditions. Son Ecole du jardinpotager s'est réimprimée, pourla sixième fois, en1822. Elle est précédée d'une Notice biographique surl'auteur. Il ya d'autres détails sur lui émanant de lui-même dans un Traité delà culture despê-chers, qui a été édité trois fois. Il n'y est pas davan-

tage question de l'ouvrage qu'on lui attribue. Tout cela

nous pousse à croire, comme nous le disions, que cen'est pas lui le traducteur de Richard Roë, et que cetraducteur est, très-probablement, ainsi que nousl'enseigne notre Note, M. de Querlon.

Ce n'est pas de celui-là qu'on pourra dire qu'il étaitincapable de faire une pareille plaisanterie 1 Si elle estdans la gamme de quelqu'un des contemporains, c'estassurément dans celle de Meusuier de Querlon, qui lui

a donné depuis bien des pendants!Si nous osions, nous irions même plus loin, et nous

dirions qu'il est bien possible que de Querlon ait étéplus qu'un simpletraducteur. Dans tous les cas, il y adans sa traductionune vie et un mouvementqui sententl'originalité, et une tournure cavalière toute française.

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Il n'est pas empêtré comme l'est trop souvent deSainte-Colombe dans les filets qui l'attachent à sonmodèle, et sans baguenauder en chemin, il va droit à

son but.Mais il serait long, difficile et, pour beaucoup de

lecteurs, oiseux de discuter ces questions d'attribu-tion, nous nous contenteronsdonc de donner l'ouvrage,

en disant simplement que c'est une critique des re-cherches de M. de Réaumur sur l'éclosion des œufs

au moyen de fours, à l'instar des anciens Égyptiens, et

que, par conséquent, c'est une satire peu méritée,puisque les fours ont fait leurs preuves.

Mais c'est pour celui-là surtout de ces deux ouvra-ges, que nous prions le lecteur d'écarter toute idéepréconçue, et de se bien rappeler qu'il a affaire à unsimple badinage.

J. A.

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ADRESSE GENERALE1

Cur ego desperem fieri, sine conjuge,mater,Etparere intacto, dummodo casta, viro J?

OVIDE, Fastes, liv. v,v.241.

LEPETIT OUVRAGE que nous offrons ici

n'est que le développement de ce distique,d'où l'on doit juger que Vidée n'est pasnouvelle, ayant été entrevue par les anciensphilosophes et si bien connue au siècle d'Au-

1 De l'éditeur de 1786.2 Plaintes de Junon à Flore. Après la naissance, sans

mère, de Minerve, Junon obtint de Flore d'engendrerMars, sans père, par le seul attouchementd'une fleur.

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guste, que Virgile Va consignée dans sesGéorgiques, et qu'Ovide s'est récrié sur sapossibilité!

0 vous, esprits lourds, cerveaux épais,

censeurs atrabilaires, faux dévôts, gensdurs et rigoristes, qui voyez tout en noir,et qui jugez toujours le crime où les autresne trouvent qu'un léger badinage, je n'écrispoint pour vous!

Ames timorées et scrupuleuses, qui, sanslire un seulmot,jugez un ouvragesursasimple couverture, le titre seul de celui-ci

vous révoltera t. Vous crierez haro sur Fau-

teur, sans même savoir si vos inculpationssont vraisemblables. Je le répète, ce n'estpointpour vous que je consens à le publier.

Laissez cette bagatelle à la classe pourlaquelle elle est cornposée, à qui elle appar-

i Voir l'Introduction.

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tient de plein droit, et à qui je me fais undevoirdelaprésenter. Si cette belle portionde notre être est par vous taxée de folie etdelé(/(]reté, on préfèreavecraisonsafrivo-litéétvotre trop cruel et injuste rigorisme.

Néanmoins, avant de rejeter totalement

ce badi/tage, souffrez que je vous protesteici de toute ïhonnêtetéde mes vues.Jamaisje ne trempai ma plume dans une encreimpie,irréligieuse, orduriêre ou capable deblesserdes jeux chastes et pudiques.

Loin que cet écritpuisse alarmer les

JÍIU'IlI'S, son but est de concourir à leur ré-formation par un imblême à portée de

tout le monde. Les gens sages et raisonna-blesng verront contrelesvices qui nous dégradent et une ironieper-pétuelle desabus que nous avons consacrés

et qui, en nous e/féminanl, nous font dé-

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roger à la vertu et à la vraie valeur de nosancêtres.

Et vous, mères honnêtes et estimables,loin d'écouter des dires en l'air et controu-vés, lisez sans défiance; vous aurez Vagré-

ment de voir par vous-mêmes que cette ba-gatelle est faite autant à l'appui des bon-

nes mœurs que pour vous amuser.Et quant à ceux qui se retrancheront

toujours dans leurs idées pédagogiques, je

ne souhaite contre eux d'autre vengeanceque d'être tellement en butte aux tour-ments de la jalousie, que d'en perdre leur

repos, sans trouver aucune consolation, nefût-ce que par la lecture de ce badinage.

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LE MARI CONFIANT

PRÉSERVATIF OU REMÈIE CONTRE LA JALOUSIE

AVEUX INTÉRESSANTS DU PREMIER ÉDITEUR 1

ILy avait au juste quatorze mois et dix-sept

jours que j'étais à Londres, pour affaire de moncommerce, sans en être jamais sorti que pourme promener à Greenwich ou à Chelsea, lors-

que, par une lettre de Bordeaux, datée du 20

mars, j'appris que ma chère épouse était heu-reusement accouchée d'un gros garçon qui

1 Ces Areux sont, comme nous l'avons expliquédans l'Introduction, pour ainsi dire la prise de posses-sion de l'ouvrage par de Sainte-Colombe, et sa marquede fabrique.

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promettait bien de vivre. Cet événement qui,

en France, m'eût comblé de joie, d'autant quela fécondité de ma femme (dont Dieu soit loué!)

ne m'avait encore procuré que des filles (j'enai cinq vivantes et il m'en est mort deux); cetévénement, dis-je, qui m'eût dû causer toutela satisfaction possible, fut pour moi un vrai

coup de poignard. Je suis naturellement gai,point bilieux, et par conséquent d'une com-plexion fort éloignéede la jalousie. Jepuismêmedire, avec vérité, que jusqu'à cette annonce, jen'avais jamais pu comprendre comment onpouvait être attaqué de cette maladie, et je l'i-gnorerais sans doute encore, sans les mauditscompliments qui me vinrent de toutes partssur le nouvel héritier dont la Providence megratifiait si bénignement. Je fus donc accabléde cette nouvelle; le poison de la jalousie couladans mes veines et j'en éprouvai toutes les hor-

reurs.Je cherchai à terminer le plus tôt possible ce

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qui nie retenait encore à Londres pour pouvoiraller assouvir ma vengeance. J'en formais mille

projets vagues, et ces idées seules pouvaientapporter quelquesadoucissements momentanésà la cruauté de mes peines. Enfin j'étais con-sumé par une fièvre ardente où l'amour, le dé-pit et la haine, en se combattant, faisaientsuccéder dans mon âme leurs feux, leurs tem-pêtes et quelquefois, comme tour à Lour, leursfrissons et leurs glaces. A peine sortais-je de

ma chambre:il me semblait que tout le mondeétait informé de ma honte, que chacun se riaitde ma peine et me montrait au doigt. Quelplus cruel tourment que de se sentir la fable etla risée de ce même public, dont on cherchetoujours à capter le suffrage par une conduitenoble et exempte de reproche!

J'avais déjà passé huitjours en cet état deperplexité et de désespoir, sans me montrerdans les cafés ni dans les tavernes, ni dans lesjardins publics, ni même à la Bourse, lorsqu'un

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matin qu'uneaffaire indispensablem'y appelait,je voulus prendre unetassede punch (je n'enavais point fait usage depuis la fatale lettre deBordeaux); j'entrai au hasard dans un de cesscientifiques cafés où se débitent les papers etles autres nouveautés de Londres. Un garçonme présenta un pamflet dont le titre piquamacuriosité; jedonnaimon scbeling, et jemis l'écrit dans ma poche.

Retiré dans ma chambre après le dîner, je

me ressouvins de la brochure: c'était la LUCINE

de Johnson. Je me mis à en couper les feuillets

et à en commencer la lecture; je l'eus bientôtdévorée. Au même instant je me sentis un peusoulagé; peu à peu ma tête ne se trouva plusaussi bourrelée; mon esprit devint plus calme;

mon sang fut comme rafraîchi; je dormis troisheures la nuit suivante (je n'avais pas fermé

l'œil depuis quinzaine).A mon réveil, je repris l'écrit de mon grand

médecin, cet heureux baume qui avait réussi à

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me procurer ma première tranquillité. L'ayantrelu de nouveau avec toute l'attention dontj'étais susceptible, je fus presque aussitôt con-vaincu de la réalité d'une découverte aussi in-téressante pour l'humanité, et à laquelle ilm'importait tant d'applaudir.

C'était assurément bien malgré moi quej'avais soupçonné la vertu de ma digne épouse,et il avait fallu une circonstance aussi grave,et où toutes les apparences étaient contre elle,

comme étaient une séparation de près dequinze mois et un éloignement de trois centslieues, pour avoir pu élever dans mon esprit leplus léger doute contre la conduite de ma femme.

Voilà donc les heureux fruits que je sus tirerde la lecture de Johnson. Le calme succédatout à coup aux troubles et aux orages de moncœur; aussi j'eus bientôt recouvré toute laliberté d'esprit nécessaire pour mettre tran-quillement fin à mes affaires et me disposer à

repasser en France. Je profitai du premier

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bâtiment qui se trouva chargé pour Bordeauxet je m'y embarquai avec mon livre conso-lateur.

Je fus reçu chez moi comme un bon maridoit l'être après une longue absence. Je nevoulus point troubler la joie domestique, etj'affectai le maintien le plus débonnaire, aupoint que je fis naître la sérénité sur tous lesvisages. Cependant, malgré mes réflexions surla découverte anglaise, le nouveau né me tra-cassait fort, et je me résolus d'en avoir le cœurnet par une explication ferme et sérieuse entrema femme et moi.

Ce fut le matin du lendemain de mon ar-rivée que se passa cette conférence, que jeredoutais, s'il se peut, encore plus que monépouse. Elle ne me répondit d'abord que parun torrent de larmes; je m'endurcis, et j'exi-geai d'elle l'aveu d'une faute dont je vou-lais bien d'avance l'assurer du pardon. Elle

.protesta constamment de son innocence, et

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m'avoua seulement qu'un jour un armateurnantais lui ayant donné, ainsi qu'à plu-sieurs autres dames, une fête sur son bord,le bâtiment était un peu écarté en mer pour les

promener à la fraîcheur le long de la rade;qu'elles'était sentie indisposée, et qu'on l'avaitfait passer avec sa sœur dans la chambre du ca-pitaine pour s'y reposer; qu'à son réveil elleavait rejoint la compagnie, plus fraîche et mieuxportante; qu'elle n'avait pas été un instantseule; et que cependant ce jour-là même étaitl'époque décidée d'un événement auquel elle

ne comprenait rien.Plein de mon auteur et dès lors plus tran-

quille, je le lui témoignai par un œil plus doux

et un air où ne régnait plus aucune agitation;mais j'insistai pour qu'elle m'expliquât lesplus petites circonstancesde cette étrange pro-menade. Je voulus savoir jusqu'au rhumb duvent qui régnait alors, quel degré de chaud oude froid elle avait senti; enfin quelles sen-

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sations le contact de l'air lui avait fait éprou-ver. Les plus petits détails, loin de me paraîtreminutieux, me devenaient de moments en mo-ments des plus intéressants; en sorte qu'il n'yeut sortes de questions que je ne lui fis. Elleme répondait à toutes avec la plus grande in-génuité, et comme une personne nullement aufait des particularités physiques que je lui de-mandais. Néanmoins, en résumé dé ses répon-

ses et par l'idée que j'en pus prendre sur lesdispositions du ciel en ce jour, vraiment parti-culier pour moi, je crus, ou pour mieux direj'aimai à me persuader, que les vents avaientété pour lors au sud-ouest1; d'où je conjecturai

que l'air au dessus de la mer étant ce jour-là dû-ment imprégné des molécules organiquessi bien décrites par notre Pline moderne 2, ma

1 C'est le zéphyr (vent d'Ouest) qui, d'après Vir-gile, féconde les cavales.- 2 De Sainte-Colombe substitue ici et dans la suite

les molécules organiques de Buffon aux animal-

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femme en avait d'autant plus abondammentrespiré qu'elle s'était trouvée dans un état d'a-néantissement bien propre au relâchementdes organes, et qu'ainsi il était très naturelqu'elle fût devenue mère sans s'en être aucu-nement aperçue.

Je dus tout mon repos à cet éclaircissement,à la suite duquel je lui fis le plus d'amitiés pos-sible, de manière à lui faire oublier même quej'eusse eu quelques motifs de douter de son at-tachement pour moi. Aussi ne saurait-on êtrevraiment plus tranquille que je le suis depuiscette explication sur son compte; en sorte que,sur le point où je me trouve de partir pour lesGrandes-Indes, j'attendrai paisiblement et sansla moindre inquiétude tous les présents de

cette nature qu'il pourra plaire au ciel dem'envoyer; mais cependant avec grand soin

eules de l'auteur anglais. Nous ne signalons ce faitque pour faire remarquer que la mise en cause de Buffon,lui appartient tout entière.

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d'engager ma femme, crainte de trop augmen-ter ma famille, de se défier de ces promenades

au trop grand air, surtout lorsque le vent setrouve constamment dans la direction qui,cette fois, a été, contre son gré, si fatale à matranquillité.

Ami lecteur, telle est au vrai mon histoire;tel est le remède que j'ai eu le bonheur d'yemployer. Je me fais un devoir de vous l'of-frir; puisse-t-il en pareil cas vous tranquilli-

ser. Dans cette vue j'ai cru devoir, en bon ci-toyen, traduire et publier dans ma patrie l'é-crit d'Abraham Johnson. En vous éclairant

sur une vérité physique inconnue jusqu'à nosjours, elle opérera sans doute, comme elle l'afait à mon égard, et dès lors elle deviendra latranquillité des maris et la consolation des

pères de famille. Que de ménages en dissen-sion, que d'époux en divorce, que de jalouxavant comme après le mariage, verront naîtreparmi eux la concorde, la confiance et l'estime

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réciproques! Que d'innocentes persécutées,sacrifiées, méprisées, vont imposer silence auxbrocards et aux calomnies!

Une femme éloignée de son mari le fait-ellejouir des droits de la paternité? A examinerles choses de près, on verra que c'est le fruitde quelque promenade au grand air, par terreou par eau. Cette femme se sera trouvée en-veloppée, saisie par quelque courant d'air, etles molécules organiques dont il était chargéet qui y circulaient abondamment, n'atten-daient qu'un souffle, une aspiration, un petitrhumb de vent particulier, pour aller se logerchez elle, et s'y développer à son insu, et sansqu'il y ait pu avoir le moindre concours de savolonté.

Une veuve a des enfants dont la calomnie

se plaît à nous nommer les pères; pourquoi leschercher si loin? Pourquoi inculper la conduiteréservée de cette dame? Elle aura pris l'air, etles molécules organiques qu'il charriait en cet

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instant se seront glissées de ce fluide dans lesein de notre veuve.

Une fille deviendra mère avant l'hyménée;pourquoi la taxer de quelque faiblesse? Il n'y arien de plus simple et mieux dans la nature:son état n'est dû qu'à l'air qu'elle aura respiré.

Eh! pourquoi en effet l'espèce humaineserait-elle de pire condition que ces vils insec-tes qui, selon les meilleurs naturalistes, semultipliene sans accouplement? S'il est desgraines de pucerons, si l'air où elles circulentles voit éclore et périr peu après leur nais-

sance; si ces légions ailées se succèdent pres-que chaque jour, sans qu'on leur connaissed'autre origine que ce grand véhicule où elles

sont ballottées, entraînées et sans cesse en ac-tion, pourquoi n'y aurait-il point aussi dans cemême air des graines de toutes espèces d'ani-maux? Et, pour mieux particulariser le pro-blème, pourquoi n'y aurait-il pas dans ce fluide

de petits alômes propres à la reproduction de

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notre espèce, et qui n'attendent qu'un certaincourant d'air pour aller se loger dans l'espace

propre à leur développement et à leur organi-sation, sans d'ailleurs rien déranger dans lamarche la plus apparente de la nature?

Enfin n'a-t-on pas découvert des animaux,qui, comme certaines plantes, viennent deboutures? Tel est le polype d'eau douce, dontchaque partie séparée du tronc se reproduitbientôt, prend forme, s'anime et detfent à nosyeux un être complet, exactement semblableà celui auquel il était uni. Qui donc peut savoirtous les moyens que la Providence peut em-ployer pour la multiplication de notre espèce?

En Perse, les femmes stériles croient ferme-ment qu'il leur suffit, pour devenir fécondes,de passer sous le corps d'un homme mort de-puis peu de temps, et que les esprits animauxet volatils qui émanent de ce corps inanimé

kinfluent tellement, même de très-loin, sur elles,qu'ils ont la vertu de les revivifier "et de les

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mettre en état de devenir mères. Quelle sortede raisonnement pourrait infirmer cette opi-nion, ou plutôt que pourrait-on opposer à l'ex-périence accréditée en ce pays?

D'autres encore recherchent constamment les

canaux des eaux qui s'écoulentdesbainsparticu-liers à l'autre sexe, etelles attendentpour lestra-verser à plusieurs reprises qu'il y ait un grandnombre d'hommes'. Alors elles s'empressentde remonter plusieurs fois ces eaux à l'endroitle plus proche de leur sortie; et Tavernier,célèbre voyageur et témoin oculaire deces faits,prétend que rarement la stérilité tient contrecette singulière expérience.

t Aristote, dans ses Problèmes, rapporte qu'unefemme fut fécondée pour s'être baignée dans une cuved'où venaitde sortir un homme. Albert le Grand, Dese-cretis mulierumne met pas en doutelaréalitédufait et il l'explique. D'atnres auteurs plus modernes sontmoins persuadés, mais n'osent cependant en nier tout-à-fait la possibilité. Aristote! Albert-le-GrandI renforts.auxquels notre auteur n'avait pas pensé!

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Or, si les corpuscules qui émanent en ces casdes mâles vifs ou morts, ont la vertu de pro-duire des effets aussi merveilleux, les germesaériens, les atômes organiques une fois sup-posés en action dans le vague des airs, leurréaction dans le sein des femmes n'est pas plusdifficile à comprendre. Ainsi la fécondité sanscopulation ou la génération solitaire, loin d'êtreun pur amusement ou une chimèrephilosophi-que et une rêverie de simple combinaison, estla découverte la plus utile et la plus importante

comme la plus sérieuse dont notre siècle puisseet doive s'honorer.

Quant à moi, déterminé que je suis à faireparticiper mes concitoyens au bonheur que m'aprocuré la lecture réfléchie de l'ouvrage deJohnson, et pour rendre compte de ce qui meconcerne spécialement dans cette merveilleusedécouverte, je n'ai que mon simple travail à yreveIdiquer, et encore se réduit-il à bien peude chose, ne devant prendre sur moi que la

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seule traduction de ce charmant ouvrage. Aureste, j'ai pris à tâche de rendre le plus fidèle-ment possible le texte de mon divin auteur,laissant même subsister quelques anglicismes,qu'un écrivain plus difficile ou plus au fait quemoi du génie des deux langues, n'eût peut-être

pas conservés. D'ailleurs j'ai ajouté quelquesnotes à celles de l'auteur, plus parce qu'ellesm'ont paru nécessaires pour le commun deslecteurs, que pour me parer d'une érudition

que j'ai abjurée par état.L'arrêt du Parlement de Grenoble, couché

tout au long à la fin de l'ouvrage, est une pièceauthentique devenue très-rare; elle est tiréedu cabinet d'un curieux qui en conserve pré-cieusement la minute et qui ayant bien voulu

me la communiquer, me permit d'en faire em-ploi lors de la première édition de cette tra-duction, en 1750, et j'estime qu'on me sauragré de ne l'avoir pas omise dans cette seconde;d'ailleurs cette pièce est indiquée dans la Pra-

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tique de Ferrière, d'où l'on doit juger, d'aprèsl'attache de cet auteur, que ce n'est point unêtre deraison.y

Enfin, dans la première édition, j'avais laissésubsister le titre latin de l'ouvrage, tel qu'il sevoyait sans aucune traduction dans l'originalanglais. J'avais même cherché à en rendre enfrançais toute l'énergie. Mais aujourd'hui, d'a-près diverses invitations de gens sages et esti-mables, et d'ailleurs pour moins alarmer lesâmes les plus timorées et les plus scrupuleuses1qui ne veulent plus ouvrir un livre qui leuraura déplu dans le titre, je me suis rendu àcette faiblesse en réformant l'inscription sail-lante et vraiment caractéristique que j'avaisd'abord adoptée. Toutefois on n'en reconnaîtrapas moins l'analogie ou plutôt la conformité

1 Voilà pour le garde des sceaux. Il nous paraît biendifficile après la lecture de ces derniers paragraphes dediviser la paternité des deux éditions de 1750 et de 1786entre Moët et de Sainte-Colombe.

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de l'édition actuelle avecles précédentes, quel-

que refonte que nous ayons faite au systèmegénéral. Au surplus, libre à nos lecteurs desupprimer totalement notre nouveau titre etd'y substituer l'ancien ou plutôt cette expres-sion familière et proverbiale:Autant enemporte le vent, ou toute autre qu'il leurplaira.

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LUCINA SINE CONCUBITU

LETTRE adressée à Messieurs de la Société royalede Londres, dans laquelle on démontre

que la femme est un être plus parfait que l'hommeet bien supérieur à lui,

quant à la reproduction de notre espèce.

MESSIEURS,

LEzèle ardent qui vous a toujours animés à

faire tant de nouvelles et savantes découvertes,

et les encouragements multipliés que vous necessez de prodiguer à ceux qui marchent survos traces et qui vous aident dans vos excel-

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lentes recherches, (ce dont ces excellents mé-moires que vous publiez chaque année dans

vos célèbres Transactions philosophi-ques sont une preuve sans réplique), m'enhar-dissent à vous offrir une découverte extraordi-naire, qui m'est tellement personnelle, que qui

que ce soit n'oserait sûrement me la contester;elle joint d'ailleurs au mérite essentiel de lanouveauté, l'avantage d'être en même tempsla plus intéressante pour toutes les sociétés lesmieux policées; aussi ne pourra-t-on certaine-ment pas lui refuser la palme sur toutes lesconnaissances dont le monde a été enrichi,depuis que la Philosophie est universellement

reconnue comme une des premières sciences

et comme celle qui fait le plus d'honneur àl'humanité.

Cependant, MESSIEURS, ne m'accusez pointde trop de présomption sur ce que je dis ici à

mon avantage; mais suspendez votre censurejusqu'à ce que je vous aie mis au courant de

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ma découverte, par le détail que je me pro-pose de vous en faire, Si j'ai eu le bonheur dela conduire à son entière perfection, c'est parle travaille plus constant et le plus assidu.En effet, il m'en a coûté plus de quinze ansd'une vie très - laborieuse pour porter cegrand œuvre à sa maturité, et lorsque la théo-rie la plus éclairée eut concouru avec la pra-tique pour m'en confirmer la certitude, mapremière idée fut de passer en France, à l'effetd'offrir à l'Académie royale des Sciences lesrésultats de mes opérations, ou du moins de

me mettre sur les rangs pour concourir auxprixde l'Académie de Bordeaux. En effet, c'estdans ces lycées que les philosophes s'empres-sent davantage d'entrer en concours les unscontre les autres, en y présentant autant de

nouveauxproblèmes que les fleuristes les plus

en renom, et qui cherchent naturellement à

se surpasser, s'étudient le jour de leur fête àétaler un plus grand nombre de nuances dans

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leurs œillets ou leurs tulipes, aux yeux des

amateurs, pour faire mieux juger de l'éclat etde la beauté de leurs couleurs.

Mais, faisant aussitôt réflexion que votre il-lustre Société pourrait peut-être se croire of-fensée si je ne lui offrais pas de préférence,

comme un tribut digne de sa juste célébrité, lafleur et les prémices de mon secret, et qued'ailleurs vous pourriez dédaigner d'être mis

en parallèle avec cette basse espèce de préten-dus philosophes, qui se croient tels uniquement

pour travailler journellement sur le flux et le

reflux de la mer, sur la figure de la terre, surles éclipses, ou sur les lois de la gravitation,amusement frivole des spéculatifs désœuvrés

et des faiseurs d'almanachs, j'ai pris plus vo-lontiers la résolution, toutefois avec le respectdû à un Corps aussi illustre que le vôtre, mais

non sans quelque degré de présomption et d'a-

mour-propre de m'en rapporter pour cette fois

au Public, tout en m'adressant néanmoins di-

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rectement à Vous, comme à ses plus illustresinterprêtes.

Ainsi, MESSIEURS, pour ne vous pas tenirplus longtemps en suspens, et ne vous pas dé-

tourner inutilement de vos grandes occupa-tions, je consacre dans vos Registres, que j'aidécouvert, et je vous prouverai d'ailleurs parles raisonnements les plus incontestables, réu-nis à l'évidence de la pratique la plus suivie,

que les femmes sont l'être le plus parfait sortides mains du Créateur, en un mot, qu'ellessont l'Être de préférence, d'autant plus supé-rieur au nôtre, que nous leur sommes totale-ment inutiles pour notre reproduction; ensorte qu'ellespeuventconcevoir, mener à termeleur fruit et accoucher, sans avoir eu aucunesorte de commerce avec les hommes. Cette dé-couverte est sans doute la plus admirable et laplus merveilleuse de toutes celles que l'on aitjamais soumises à votre examen, je puis avecraison me flatter que vous en conviendrez.

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Pour satisfaire à l'avance ceux qui ont le

coup dloeil aussi pénétrant que vous surlesouvrages les plus secrets de la Nature, il mesuffirait sans doute de tracer ici l'histoire pu-rement physique des vaisseaux contenantlasemence de l'homme, et l'anatomie un peudétaillée des parties naturelles de la femme, etd'en tirer les inductions des principales bran-ches de mon système. Mais comme j'ai à com-battre, tant la simplicité des ignorants que lespréjugés des demi-savants, ainsi que l'opiniâ-treté des jaloux et des malintentionnés, je pré-fère décrire ici tous les développements decette grande découverte en vous expliquant,dans toutes ses circonstances, ce qui m'en fit

naître la première idée, et par quelle progres-sion et quels enchaînements de faits je suis

parvenu, après bien des tentatives, à passerdes conjectures à une entière démonstration.

Les lots de la divine Providence dans ladistribution des divers états de la vie, sont fort

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différents. C'est à chacun de nous à remplirde son mieux, et avec la plus parfaite résigna-tion, celui qui lui est échu dans l'ordre poli-tique du pays où il vit. Mon destin, dans lepartage de ces lots, me fixa à l'exercice de laprofession de médecin dans une petite ville deprovince. Pour rendre mon sort plus fortunéet mon état moins borné, j'ai cru devoir join-dre à ce premier talent la connaissance desmaladies particulières aux femmes et surtoutla pratique des accouchements.

Quoiqu'il ne convienne à personne de vanterson propre mérite, cependant j'estime qu'onpeut, sans crainte de me trop enorgueillir, mepermettre d'avancer à mon honneur que, parl'emploi du second de ces deux talents, j'ai enquelque sorte compensé les pertes que l'huma-nité pouvait faire en mes mains par l'exercicehabituel du premier. Mon bonheur même mevalut un certain nom auprès des femmes de

mon canton; en sorte que ma réputation s'é-

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tendit si bien dans la profession d'accoucheur,

que j'eus la pratique de la majeure partie desfemmes enceintes dans le fertile comté deMiddlesex.

Mais pour ne point vous ennuyer de monhistoire particulière, qui assurément ne mé-rite point l'avantage de vous intéresser, je vousdirai qu'étant un jour assis tout seul près de

ma porte, après mon dîner, hâtant suivant monusage journalier ma digestion par le secoursd'une pipe (et j'ai l'expérience des bons effets

de cette habitude), le domestique d'un gen-tilhomme de mon voisinage vint me chercherde sa part pour sa propre fille, me disait-on,très-dangereusement malade, et souhaitantimpatiemment maprésenceet mon secours,m'invitant ainsi à quitter tout pour me rendresur-le-champ à leur château.

Rien ne s'opposait pour le moment à cettevisite, mais cependant, après avoir allégué biendes prétextes pour la remettre à un autre jour,

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et ainsi après m'être fait beaucoup prier,

comme si j'étais accablé de malades, je suivisl'envoyé du gentilhomme. Arrivé auprès de lajeune demoiselle, j'écoute ses plaintes, je l'in-terroge sur ses dires, et combinant à part moi

toutes ses réponses, quelle fut ma surprise d'ytrouver tous les symptômes, ou plutôt les

preuves constantes d'une grossesse plus qu'a-vancée et même fort proche de son terme.Néanmoins, comme la jeune personne paraissaitbien éloignée de me faire cet aveu, connaissantd'ailleurs tous les ménagements dûs aux fem-

mes dans cet état, et en outre sachant très-bien quelle tendre délicatesse les dames ontpour leur propre réputation, même après luiavoir fait courir les plus grands risques, jepris le parti avant tout de faire passer le pèredans une autre pièce pour lui parler en parti-culier et sous le sceau du secret. Là je lui dis

ce que mon devoir m'ordonnait de ne lui pascéler dans une circonstance aussi critique, en

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lui découvrant ainsi: que sa fille, non-seule-ment était enceinte, mais encore que, selontoutes les apparences, elle. était fort près dumoment de sa délivrance.

Peu s'en fallut, à cette annonce, que le vieuxbaronnet ne me dévisageât; cependant, se re-mettant peu à peu pour ce qui me concernait,mais frappé d'horreur de l'inconduite de safille, et en rejetant toute la faute sur le peud'attention et de surveillance de sa femme, iltourna, avec plus de raison, son courroux con-tre la mère et la fille; et dans l'ardeur de sondéplaisir, ne ménageant plus rien, il rentradans la chambre de la jeune personne, et l'ac-cablant des reproches les plus vifs et les plus

amers, il se plaignit dans les termes les plusforts et les plus sanglants, qu'on lui eût caché

un secret d'une aussi grande importance pourl'honneur de sa maison, et qu'on eût par unetelle inconséquence couvert son nom d'un dés-honneur trop mérité. Malgré la vivacité des

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clameurs et la rigueur outrageante des plaintes

et des menaces d'un père si justement irrité,il était facile de remarquer sur le visage de lamalade tous les caractères de l'ingénuité et de

l'innocence. Pleine d'étonnement et de sur-prise, et paraissant d'abord ne se point décon-

tenancer, elle se tourna vers moi, la bouchebéante, comme pour se plaindre d'une aussifausse et aussi odieuse accusation; puis, soncœur suffoqué par la violence de son chagrin,elle tomba bientôt évanouie dans les bras de samère.

C'est une remarque générale que, depuis lemédecin jusqu'au boucher, tous les états quivoient de près la souffrance et la mort, et quisont sans cesse occupés à débarrasser la naturedu nombre de ses productions, de crainte que lemonde ne soit trop peuplé; c'est, dis-je, uneremarque certaine que tous les états qui viventle plus habituellement dans le sang, s'endur-cissent à peu près également et renoncent en

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quelque sorte à tout sentiment d'humanité etde compassion; en sorte qu'ils sont commeépuisés dans leur âme et que leur cœur s'ou-

vre difficilement à la pitié. Cependant, quoiqueaccoutumé depuis longtemps, par une habitudejournalière, à voir de près les maux et la tris-tesse ; quoique formé par l'usage à une cou-tume inflexible qui m'empêche de laisser pa-raître sur mon visage les émotions dont moncœur se peut trouver quelquefois susceptible,il y avait sans doute dans cette scène quelquechose de trop particulier et de trop intéressant

pour ne me pas sentir affecté par l'état violentoù je voyais que mon rapport avait jeté lajeune personne; en sorte que je me trouvaitouché, comme malgré moi, et que je me susmauvais gré de la confidence que je m'étais

cru obligé de faire au père dans un cas aussicritique.

Mais la mère fit bientôt diversion à ces re-tours d'une pitié si extraordinaire de ma part

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et à des mouvements si involontaires d'unetendresse compatissante. Elle commença parm'accabler des termes les plus insultants etdes outrages les plus piquants. Comment avais-je, disait-elle, osé noircir la réputation de safille d'une façon aussi grossière et aussi indi-gnement controuvée; elle qui, à bon droit,pouvait être garante de la sagesse de son en-fant, qu'elle n'avait jamais perdue de vue; qui,sûre de ses moindres démarches, était cautionqu'elle n'avait jamais pu dire deux mots enparticulier à qui que ce fût, ayant toujours étéauprès d'elle l'Argus le plus surveillant? Enconséquence elle affirmait, dans les termes lesplus forts et les plus cruels pour moi, que monpronostic était de ma part l'invention la plusinfernale et le mensonge le plus diabolique.Elle ajoutait qu'elle ne pouvait imaginer com-ment son mari, qui savait jusqu'à quel pointelle avait poussé la sévérité de sa vigilance,pouvait néanmoins m'avoir écouté avec tant

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de patience, sans colère et sans horreur; et serécriant toujours sur la vertu et l'innocenceincorruptible de sa fille, elle soutenait qu'ellene pouvait être annoncée dans l'état où je l'ex-pliquais que par un homme de mauvaise vo-lonté, un ennemi ou un parfait ignorant. Re-venant ainsi à chaque instant contre l'atrocitéde mon inculpation, elle ne promettait pasmoins que de chercher partout à me décréditeret à tirer de ma lâcheté la plus juste comme laplus cruelle vengeance.

A mon tour je mis aussi de l'aigreur dans

mes répliques, disant au père et à la mère quej'étais bien éloigné d'avoir mérité tant de re-proches et tant d'injures; que je n'avais pasaccoutumé d'être traité de la sorte; que je savaistrès-bien à quel point semblables vérités étaientdures à l'oreille d'un père et d'une mère; mais

que l'amour de mon devoir et l'obligation ab-solue de ma profession m'avaient forcé à unedéclaration dont ils verraient bientôt l'urgente

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nécessité; et puisque ma retenue (d'autantqu'eux seuls se rendaient coupables de l'éclat

que j'aurais voulu empêcher) et mon zèle pourleur propre satisfaction étaient si mal récom-pensés, et n'avaient pu me mettre à l'abri d'untraitement aussi injurieux, quoique d'autantmoins mérité, que l'état de grossesse était tropbien constaté pour qu'on pût élever aucundoute à ce sujet, mon humeur et ma délicatessepersonnelle m'obligaient de me retirer, leurlaissant le loisir de penser combien gratuitesavaient été tant d'incartades. Aussi pris-jecongé, et laissai-je cette famille désolée re-prendre à loisir ses sens, ne doutant pas qu'onserait trop heureux de me rappeler aussitôt

que le calme aurait succédé à un tel orage, etdès qu'ils auraient eu le temps de raisonnerentre eux avec quelque réflexion.

Je ne me trompais pas. Désole lendemainmatin un équipage était à ma porte. A mon ar-rivée chez le bon gentilhomme# malgré les fu-

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reurs de lamère, qu'elle pouvait à peine conte-nir, plus alors contre sa fille que contre moi,et quoique lajeune personne protestât toujoursde son innocence, les affaires se trouvèrentbien-tôt trop avancées pour qu'il restât le moindredoute sur la justesse de mes indications. Eneffet, vers les cinq heures de la même après-midi, j'amenai au monde le malin petit té-moin, dont l'arrivée était si fatale à la réputa-tion de la jeune fille et si nécessaire à lamienne.

Néanmoins, malgré cette conviction, quin'était que trop concluante en ma faveur et qui

tout en assurant ma propre justification fer-mait si bien la bouche à la mère, la nouvelleaccouchée persistait toujours dans ses premiersdires; et attestant le ciel de son innocence elle

continuait à faire les mêmes protestations à

tous ceux

quirapprochaient;en sorte que sans

l'évidence qui résultait de la venue du petit

poupon, on aurait eu bien de la peine à ne pas

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ajouter foi à des déclarations aussi invariables;mais ce témoin irréprochable démentait tous

ces dires et déconcertait avec raison toute cettefamille.

La jeune personne relevée et ainsi mon mi-nistère fini, je perdis de vue cette pucelle denouvelle étoffe ainsi que ses père et mère. Jecroyais même n'être plus dans le cas de m'en

occuper précisément. Mais un jour j'eus occa-sion d'aller dans cette maison pour quelqueautre objet relatif à mon état; me trouvantseul avec cette jeune personne, elle en profita

pour avoiravec moi uneexplication particulière.Elle ouvrit la conversation en me prenant lesmains et les serrant avec transport; son visages'inonda d'un torrent de larmes, et me répé-tant avec. force les mêmes assurances de savertu et de son innocence, elle priait le ciel del'accabler de ses foudres, si jamais elle s'étaitprêtée aux approches d'aucun homme et si elleavait le moindre reproche à se faire sur cet

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objet, et ne pouvant imaginer comment un pa-reil fait avait pu lui arriver.

Des protestations aussi soutenues, exprimées

avec un si grand air de vérité et accompagnéesde larmes aussi touchantes, me causèrent laplus sensible émotion. Hélas! qu'une femmeest attendrissante en cet instant! Cette scène,

en un mot, fit en moi, je ne sais comment,

une si forte impression que je me trouvai,malgré la conviction de mes sens et les oppo-sitions de ma raison, comme porté à croire ceque cette jeune personne me disait.

Cette conversation me jeta dans la plus pro-fonde rêverie; en vain cherchais-je à me per-suader moi-même d'une innocence que toutconspirait à accuser; en vain cherchais-je dans

mon esprit quelques moyens de disculper cettejeune personne. Tout s'accordait pour la con-damner. Cependant, elle m'était devenue siintéressante, que je me retirai tout pensif, etje rentrai chez moi la tête tout occupée de

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cette affaire et réfléchissant à sa nouveauté,mais sans pouvoir trouver aucun moyen deconcilier des déclarations aussi singulières

avec un fait qui les démentait entièrement.Enfin, cette belle enfant m'avait, je l'avoue,

tellement intéressé, que j'aurai voulu, pour tou-tes choses, me pouvoir déguiser la vérité desfaits et la croire sur sa parole de la vertu laplus intacte. Je fus longtemps dans cette in-quiétude et cet embarras; mais un jour, tenantenmain la Religion démontrée deWollas-ton1, je tombai par hasard sur un passage quime frappa subitement d'une telle lumière, queje commençai à lever dans mon esprit quel-

ques doutes sur la certitude apparente d'uncas semblable.

t. Wollaston (1659-1724), savant et moraliste anglais.L'ouvrage cité ici a été traduit en français sous le titrede Tableau de la religion naturelle (1726).Wollaston est l'aïeul du célèbre physicien du même nomauquel, entre autres découvertes, nous devons la cham-bre claire, une pile électrique, etc.

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Ce passage est si intéressant et si concluantque vous me permettrez sans doute, MESSIEURS,de le rapporter ici en son entier, d'autant queje le regarde comme la base et l'appui fonda-mental de tout mon système.

On trouve effectivement dans la cinquièmesection de l'incomparable ouvrage de ce grandphilosophe, un article remarquable touchant lafameuse et importante question de savoir siles âmes des pères sont transmises par sim-ple émanation dans leurs enfants, ou si elles

entrent dans le fœtus d'une manière toute sur-naturelle, au moment de leur naissance, sujet

comme l'on sait bien digne de toutes les recher-ches des philosophes; mais par malheur, il seratoujours impossible de résoudre un problèmeaussi embarrassant et qui ressemble beaucoupà cette autre ancienne et savante question: Quel

a été créé le premier de l'œuf ou du poulett?

1 Au rapport de Censorin, divers anciens philoso-

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Voici donc le fameux raisonnement de monauteur :

« Si la semence dont tous les animaux sontproduits, » ce sont les propres termes dugrand et savant Wollaston; «si cette semenceest, comme je n'en doute pas, composée d'ani-malcules déjà formés, et qui, distribués dansdes endroits convenables, sont pris avec lesaliments et peut-être même avec l'airt., puis

phes prouvaientl'éternité du monde par ce raisonnementdesplus concluants: non potest omnino repeririavesneante ova,velovaante aves generatasint, cumet ovum sine ave et avis sine ovogigni nonpossit. Cette intéressante question a étévivement agitée par d'autres anciens philosophes, commeon peut voir dans Macrobe en ses Saturnales, liv. vu,ch. 16, et dans Plutarque, qui l'appelle: TOâîïopovxai

prjov, chose douteuse et problème énigmatique, bon seu-lement à donner à deviner aux curieux. » — Note deJohnson.

i Les homogénistes sont en effet obligés de croire à cettedissémination des animalcules tout formés ou au moinsde leurs germes dans l'air; sans cela il leur serait assezdifficile d'expliquer comment, dans cet endroit clos, qui

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séparés dans le corps des mâles, par des espè-

ces de couloirs ou vaisseaux sécrétoires propresà chaque espèce, et ensuite logés dans lesvaisseaux séminaires, où ils sont dans le casde recevoir quelques additions et quelque in-fluence particulière, et si, passant de là dans lamatrice des femelles, ils y sont nourris plusabondamment et y prennent ainsi une crois-

sance qui devient bientôt beaucoup trop forte

pour qu'ils y puissent rester plus longtempsgênés et resserrés; je dis que si c'est là le

cas ordinaire de la génération des différentsêtres, etc. » -

Peu après Wollaston ajoute: «Je ne puis

reste généralement une quinzaine d'années vide de tousmicrozoaires, il s'yeu trouve tout d'un coup une innom-brable quantité II est vrai que, même dans l'hypothèsede la panspermie, il reste encore assez de difficultés pourexpliquer comment il se fait que c'est à cette époqueseulement que les couloirs dont parle Wollaston sontaptes à conduire les germes dans le lieu qui leur est des-tiné.

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m'empècher d'en conclure qu'il y a des petitsanimalcules de toute espèce formés dèsie com-mencement du monde par le Tout-Puissant,

pour être la semence de toutes les générationsfutures; et il est certain que l'analogie de lanature dans d'autres exemples, ainsi que lesobservations faites à l'aide du microscope favo-risent justement et même confirment totale-ment cette assertion. »

La lecture de ce passage me fit faire les plussérieuses réflexions sur la grossesse de la filledu gentilhomme, dont je vous ai tracé l'his-toire. Je commençai par me dire à moi-même:si d'aussi petits embryons, vrais animaux, déjàformas et dispersés çà et là dans la nature,sont dans le cas de passer dans les corps par labouche avec l'air et les aliments, s'il ne leurfaut qu'un receptacle d'un certain degré de cha-leur pour les dilater et les développer jusqu'aupoint où, devenus trop grands, ils ne puissentplus rester gênés et renfermés plus longtemps,

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à peu près de même qu'il en arrive pour lesconcombres, qui sont forcés de s'entr'ouvrirlorsque les grains qu'ils renferment sont de-venus trop forts pour être contenus davantagedans les loges qui leur étaient destinées; si,enfin, c'est là tout le mystère de la génération(et l'expérience m'a depuis pleinement con-vaincu qu'il en est ainsi), pourquoi, dis-je,l'embryon humain ne pourrait-il pas êtreporté par le véhicule de l'air de suite dans labouche de la femme et s'aller loger dans sesvaisseaux séminaires et dans sa matrice, yéclore et prendre croissance, aussi bien quelorsqu'il y passe par le concours des organesde l'un et de l'autre sexe? Pourquoi d'ailleurs

ce petit animalcule serait-il indispensablementassujetti à faire un aussi long circuit et aurait-il un progrès si tardif, en dépendant nécessai-

rement de la voie usitée et plus connue, tan-dis qu'il pourrait prendre une voie bien pluscourte pour venir au jour?

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Quant aux ta mi s ou couloirs que notre grandphilosophe place dans le corps des mâles, ilfaut pardonner cette idée à son défaut de con-naissance en anatomie. Aussi le seul doutequi me restât après la lecture de ce sublime

passage, fut de savoir si les animalcules étaientréellement portés et comme nageant dans l'air,et s'ils étaient vraiment dans la possibilité de

se glisser dans le gosier par la voie de la res-piration, comme cet auteur le prétend, car j'é-tais accoutumé à croire qu'ils étaient tous lo-gés sans exception dans les lombes des mâles.En effet, il paraissait évident que l'hypothèsede Wollaston une fois prouvée, dès lors laconséquence serait incontestable et des plus fa-ciles à lirer.

Ici s'élevait un nouvel ordre de choses dans

mon esprit; nouvelle difficulté qui me parais-sait insoluble; nouvel embarras: tout me de-vint doutes et ténèbres. Dans le fait, je n'étais

pas absolument sûr de l'existence de ces petits

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animalcules; j'ignorais s'ils étaient réellementrépandus dans la nature ou s'il n'en existaitpoint; et quand ils auraient existé, je les sup-posais trop petits pour pouvoir jamais être dé-couverts à l'œil nu; et même dans la supposi-tion qu'ils pourraient être aperçus à l'aide d'unbon microscope, je ne savais pas où trouverces endroits qui leurs sont convenables, où ilssont comme nageant et flottant, et d'où ils sontdans le cas de passer, avec l'air et les aliments,dans les corps auxquels ils sont homogènes,selon que nous l'assure notre illustre compa-triote.

J'étais dans une perplexité si décourageantelorsque, très-près de renoncer à ce nouveau sys-tème, le hasard vint encore à mon secours et

me tira d'embarras. Le voile tomba tout d'un

coup, les ténèbres se dissipèrent, je crus voir

un nouveau jour; en un mot tous mes doutesfurent éclaircis à la lecture d'un passage desGéorgiques, que j'eus le bonheur de me rap-

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peler et que je saisis avec avidité. Virgile ydit, avec les grâces ordinaires de sa poésie,

que a les juments portent quelquefois la tête auvent, et s'arrêtant sur les montagnes, elles yrespirent le zéphyr ou vent du couchant; d'oùil arrive souvent, par un effet qui tient du pro-dige, que sans s'être accouplées, elles conçoi-

vent par la seule influence de ce vent; elles

courent ensuite à travers les vallons et les

montagnes, sans jamais se tourner vers l'o-rient, mais toujours vers le septentrion ou versle midi 1. »

Or, personne ne doute que Virgile ne futaussi grand physicien qu'excellent poëte et

1Ore omnes versœ in zephirum, stant rupibus altis,Exceptantque leves auras; et saepe, sine ullisConjugiis,vento gravidas, mirabile dictu,Saxa per et scopulos et depressas convallesDiffugiunt. (Non, Eure, tuos, neque solis ad ortus),In Boream Caurumque, autun de nigerrimus AusterNascitur, et pluvio contristat frigore cœlutn.

Géorgiq., m, v. 273.

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habile écuyer t. Ainsi, me dis-je à moi-même, ce n'est pas une idée hasardée de sapart que ce qu'il assure en cet endroit: qu'on avu plus d'une fois des cavales devenir fécondes

sans étalon, et seulement pour s'être tournées

vers l'occident et avoir aspiré le vent soufflantde ce côté-là.

D'ailleurs, tous les naturalistes conviennentqu'il y a une analogie parfaite et même uneentière conformité dans les procédés de la na-ture, et surtout dans celui qui tend à la perpé-tuelle reproduction, au moyen de la générationdes différentes espèces d'animaux bipèdes ouquadrupèdes répandus sur la surface de laterre; il me vint donc dans l'esprit que ce que

1La première traduction dit maréchal. Écuyerestplus poétique, mais n'indique peut-être pas aussi bienque maréchal l'omniscience accordée, même de nosjours, au poête. Suivant bien des amoureux de l'antiquité,Virgile, comme Homère, a fait, sans s'en douter, nonpas des poëmes, mais des encyclopédies. L'éloignementproduit de ces mirages.

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Virgile avait si clairement expliqué au sujet desjuments, d'après sa propre connaissance, pou-vait avoir également et par les mêmes voies sonapplication aux femelles de l'espèce humaine.

Ainsi les beaux vers de ce grand poëte mefirent faire heureusement deux pas vers madécouverte.

Je devais au grand Wollaston l'idée que lesanimalcules reproductifs de chaque espèce d'ê-tres étaient dispersés çà et là dans des endroitsà eux convenables, pour être la semence de

toutes les générations futures et qu'ils n'atten-daient qu'un véhicule qui leur fût assorti, pouraller se loger dans la place à eux destinée chezles femelles à l'effet de s'y développer et d'yprendre leur premier accroissement;

D'un autre côté, Virgile, s'expliquant bienplus clairement sur ce procédé général dela na-ture, venait de m'apprendre qu'à sa connais-

sance diverses juments avaient été fécondées

par un vent d'occident. Il était ainsi naturel

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que je tirasse de cette instruction la conséquence

que le côté d'où souffle le vent d'occidentdevaitêtre regardé comme un de ces endroits conve-nables à rassembler ces petits animalcules dontparlait Wollaston et que ce vent d'ouest étaitd'ailleurs le véhicule propre à charrier cespetits embryons jusque dans le sein des fe-

melles de chaque espèce.Mais comme je suis bien éloigné de me fier

à de simples hypothèses, et que je sais d'ailleursqu'il ne suffit point de s'appuyer sur de grands

noms, surtout dans un siècle aussi éclairé, où laphilosophie expérimentale nous a rendus si dif-ficiles qu'aucun fait n'est accepté, s'il n'est rendusensible et palpable, je me déterminai à cher-cher des preuves évidentes et bien démonstra-tives de ce système avant de me hasarder àlivrer mes idées au public.

Au reste, je n'ignore pas qu'il y a des gensqui ne doutent de rien, et assez singuliers pourse croire en droit de publier à tort et à travers

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toutes les rêveries et tous les mensonges qu'ils

se plaisent à forger, et qui en même tempssont toujours prêts à attaquer avec hardiesseet arrogance ceux qu'ils voient n'être pas leursdapes, comme ne voulant point ajouter foi àleurs dires. Mais pour moi, qui ne suis animé

que par l'amour du vrai et qui ne cherche quel'avantage de mes concitoyens, je me croiraisle plus iidigne des êtres, si, de plein gré, jeteatais de les amuser par des fables et lestromper par des illusions.

D'après ces principes qui ont toujours été

mes guides dans toutes les actions de ma vie,je ckerchai quels moyens il me serait possibled'employer pour intercepter, recueillir et avoirainsi en ma possession quelques-uns de cespetits animalcules ballotés dans l'air du côté ducouchant. -

L'habitua où j'étais d'imaginer de nouvellesaachines pour tous les objets de physique parlesquels j'amusais mes loisirs, me fit me livrer

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avec ardeur à cette recherche. Après une infi-nité d'épreuves et de tentatives inutiles, je par-vins d'abord à obtenir une sorte de micro-

scope particulier qui me mit à portée de démê-ler ces petits atômes flottants dans le fluide del'air; ce qui, comme on peut croire, m'encou-

raga merveilleusementà la poursuite de mes re-cherches. Enfin je vins à bout de fabriquer unemachine cylindrico-catoptrico-rotun-do-concavo-convexe dont je meproposede donner incessamment la figure principale

avec tousses développements, pour la satisfac-tion des curieux; elle est même déjà dessinée

par Heymann et je la ferai graver par Vertue..Cette machine étant hermétiquement scellée

par l'un de ses bouts avec une terre sigillée,dûment lutée selon les lois les plus exactes del'électricité, à la fin je réussis à trouver uneposition convenable vers l'occident, dans la-quelle je plaçai l'embouchure de cette espèce

de trappe, de manière à saisir un certain

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nombre de ces petits animalcules nageant pourlors dans cette partie prolifique du ciel.

L'événement répondit à mon attente; etlorsque je fus en possession d'une quantité suf-fisante de ces germes, originaux d'existence,vrais atômes non encore déployés et les pluspetits êtres de la nature, ce fut encore pourmoi une opération bien difficile et à laquelle jene parvins qu'après bien des tentatives infruc-tueuses, que de les pouvoir prendre et fixer de-

vant moi, de manière à pouvoir démêler leursespèces, n'ayantdessein principal que de m'occu-

per de ceux spécialement destinés à notre proprereproduction. Enfin, je parvins à faire ce triage;et mettant à part ceux qui me parurent vrai-ment formés pour ce but particulier de la na-ture, je les répandis avec le plus grand soin,

comme des œufs de vers à soie, sur du papierblanc, sous un bocal du grain le plus fin; pré-caution d'autant plus nécessaire que le moin-dre courant d'air pouvait les emporter.

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Prenant alors mon meilleur microscope, jedistinguai clairement que ces petits animal-cules étaient de petits êtres humains de l'un etde l'autre sexe, exacts dans tous leurs mem-bres, dans tous leurs traits caractéristiques etdans toutes leurs proportions; en un mot jeles voyais comme des candidats aspirants à lavie et n'attendant pour y arriver que le mo-ment où ils pourraient être suffisamment im-bihés d'air et ensuite d'une nourriture à euxconvenable, lorsqu'ils auraient passé par lesvaisseaux homogènes de la génération.

Après ce premier succès, bien proprecomme vous devez le penser à m'encourager àsuivre mon entreprise, je continuai de fairenombre d'expériences de toute nature, maisqui seraient trop longues et trop ennuyeusespour que j'ose vous les détailler. Tout ce queje veux vous en dire est qu'elles me coûtèrent

une année entière d'un travail d'autant pluspénible qu'il m'y fallait apporter l'attention la

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plus sérieuse; mais, à la fin, j'eus l'inexpri-mable satisfaction d'établir solidement toutes

mes idées sur la doctrine des embryons et surcelle de l'air qui les contient et des vents qui

en sont le premier véhicule.Je trouvai donc en résultats, que comme la

génération des insectes est pour l'ordinaireamenée par un vent d'Est, les animalcules des-tinés à la reproduction des êtres humainsviennent toujours par un vent opposé, à sa-voir par celui du couchant; mais ce que les

uns et les autres de ces deux sortes d'essaimsont entre eux de commun, est qu'il paraissentà l'œil nu encore plus petits que des mites, etqu'ils semblent tous uniquement destinés à lamême fin d'existence, fruges consumerenati, n'ayant d'autre but que de consumerles fruits de la terre.

Souvent, tandis que j'examinais ces petitsatômes avec mon microscope, mes idées s'exal-taient, mon imagination se montait et devenait

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toute romanesque. Je me représentais la diver-sité des états et des conditions par lesquels cespetits embryons pourraient passer lorsqueleur arriverait un jour d'être appelés à Inexis-

tence humaine, à laquelle ils tendent tous. Ce

petit reptile, me figurais-je, pourra quelquejour devenir un Alexandre; cet autre uneFaustine;celui-ci peut-être un Cicéron, et ce-lui-là un danseur de corde, ou moins encores'il est possible t. D'autres fois, je me frap-pais d'admiration en considérant combien debons citoyens, combien de héros, de législa-

teurs, de monarques même, étaient peut-être

en ce moment sur ma feuille de papier, euxdont les grandes âmes dans l'âge futur trou-veraient le monde entier un théâtre trop res-

1 Les danseurs de corde ont bien augmenté de va-leur depuis Abraham Johnson. Je ne sais si aujourd'huiils ne sont pas mieux payés que ne le serait uu Cicéron,et s'ils ne font pas beaucoup plus de conquêtes qu'unAlexandre.

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serré pour leur vaste ambition. Ces idées, tropdans le cas de se confirmer, me rappelaient avecémotion ce fameux sarcasme de Juvenal dontl'application est aussi juste avant la.vie qu'a-près la mort1, et je proférai avec enthou-siasme ces excellents vers du merveilleuxpoëme du docteur Garth 2, intitulé leDispen-sary :

1 Expende Annibalem : quot libras in duce summoInvenies? Hic est quem non capit Africa mauroPerfusaOceanoNiloque admota tepeuti!

Juv., sat. x, v. 147.Unus. Pellseo juveni non sufficit orbis:Æstuat infelix angusto limite mundi,Ut Gyarse clausus scopulis parvaque Scripho.Quum tamen a figulis munitam intraverit urbem,Sarcophago contentus erit. Mors sola fateturQuantulasint hominum corpuscula.

Juv., sat. x, v. 168.2 Le Dr Samuel Garth, médecin, poëte, philantrope, né

en 1671, mort en 1718. Son poëme, le Dispensary,aété souventréimprimé. C'est une satire contre les mé-decins et les apothicaires de Londres, qui s'opposaientaux consultations gratuites qu'il avait fondées en faveurdes pauvres.

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«Voici donc que la nature me dévoile cesatômes enfantins, brûlant de marcher à la vie!Je ne les vois que comme un misérable pointd'entité qui commence à étendre sa forme nou-velle et à devenir homme. A quelle mince ori-gine devons-nous le jeune Ammon, César et legrand Nassau?»

Enfin, MESSIEURS, pour ne pas abuser pluslongtemps de votre patience par une tropample digression, je reviens directement auxprocédés de ma découverte.

Cette dernière expérience, par laquelle j'a-vais réussi à me rendre maître d'un certainnombre de ces petits animalcules avait bien,il est vrai, confirmé tout mon système; mais ilm'en restait encore une à faire, assurémentla plus importante et bien capable, je pense,d'embarrasser un collége entier de médecins,

et qui certes aurait mis en défaut tous les con-sultants de Warwik-Lane.

En effet, les points préliminaires de ma pre-

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nière hypothèse se trouvaient établis à monentière satisfaction; mais il me restait encoreà faire dans ma découverte deux pas presqued'une aussi grande importance que les pre-miers, et sans doute encore plus difficiles.

D'abord il me fallait savoir si ces animal-cules, dontje pouvais me mettre en possession,pourraient acquérir la maturité nécessaire àleur existence, en passant seulement dans lesvaisseaux séminaires et dans la matrice de lafemme. Cependant, comme cette première dif-ficulté semblait être levée par l'observation dupoëte d'Auguste, au sujet des juments, elle nem'affectait pas essentiellement; mais il fallaittoujours que je m'en assurasse par l'expérience,et que je trouvasse occasion de la faire aveccertitude: or, hoc opus, hic labor est.

Il était effectivement très-difficile de savoir

au juste quand une femme aurait imbibé toutela semence nécessaire pour qu'un de ces ani-malcules de notre espèce pût parvenir par les

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vaisseaux séminaires jusqu'à la matrice, s'y;établir et en quelque sorte y prendre racine,

,à l'effet de s'y développer, et au bout du terme,convenable d'en sortir à ma satisfaction.

Il y avait encore pour le moins autant de dif-ficultés à m'assurer que la femme sur laquelleje ferais mon épreuve, n'eût aucune sorte de

commerce avec les hommes, jusqu'à ce quel'expérience eût eu le temps de produire soneffet, et que j'eusse pu le constater bien évi-demment. Le sexe est si fragile que je ne pou-vais ni ne devais me fier à ses promesses.Ainsi j'avais tout à craindre, si je mettais cettefemme dans ma confidence, ce qui d'ailleurseût été de la plus haute imprudence dans le

cas actuel. Il fallait donc que le sujet que j'yemploierais n'en eût aucune connaissance, etaussi que je le préservasse comme malgré lui dela moindre habitude avec quelque être de notre

sexe. Jugez quel devait être mon embarras. Si

je choisis une femme mariée, me disais-je, que

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d'inconvénients de toutes parts. Les difficultésdeviennent innombrables. Si je prends une fille

dans sa première jeunesse, serai-jeplus sûr de

sa virginité? De tout temps cette marchandise

a passé pour bien équivoque et bien fragile; etsi je ne me trompe, elle n'a pas beaucoupchangé de nature en se rapprochant de notreâge.

Quelquefois il me venait dans l'esprit d'é-

pouser une femme dont je ferais tout le bien-être, et sur laquelle j'aurais pu m'arroger uneautorité absolue, et ainsi la tenir dûmentrenfermée jusqu'au moment de ses couches.Mais m'objectais-je ensuite, elle me désespé-

rera quand elle verra que je ne l'ai épouséeque pour faire librement quelque expérience

sur elle; d'ailleurs elle ne cherchera qu'à mecontre-carrer, et précisément parce qu'elleaura reconnu qu'il m'importe qu'elle soit

comme une vraie recluse, ainsi elle fera tout cequi sera en elle pour jouir du commerce des

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hommes, et quand il serait vrai, que ce seraitle plus innocemment du monde, en devrai-jeêtre bien convaincu, et dès lors serai-je assuréde mon expérience?

Je veux même, pour un moment, que cettefemme ait assez de complaisance pour se prê-

ter sans murmure au régime de vie qu'il m'estindispensable de lui faire tenir, le lien quej'aurai contracté avecelle est indissoluble. Qui

me répondra donc de son attachement pourmoi? Ne se défiera-t-elle pas de la continuationde ma tendresse? Moi-même, puis-je me flatterd'en avoir pour elle quand je serai parvenu à

mes fins? Ainsi je rebutai un projet si hasardé,et après mille incertitudes je me décidai à touttenter sur une simple soubrette. La grande dif-ficulté était d'en trouver une qui eût encore lasimplicité, et si l'on peut s'exprimer ainsi l'in-

nocence de son premier état: (nos jeunes villa-geoises, par la fréquentation des militaires, s'é-

tant défaites depuis longtemps de cette réserve

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et de cette ingénuité qui les rendaient autre-fois si estimables) j'eus donc bien de la peineà me décider. Cependant, à la fin, mon choixfait, je fis venir chez moi le sujet, et sous di-

vers prétextes je trouvai moyen de l'y tenirexactement renfermée pendant près d'une an-née. Après un laps de temps aussi long, pen-dant lequel j'avais tout lieu d'être persuadéqu'elle gavait pas même aperçu d'autrehomme que moi, je me déterminai à commen-cer sur elle mon expérience. Dans cette vueje lui persuadai qu'elle était malade; ce qui

ne fut d'autant moins difficile que l'état d'inac-tion et de clôture où je l'avais réduite, luiavait donné une sorte de mélancolie.

Alors je lus cinq fois de suite mon JacobBœhm d'un bout à l'autre; puis mêlant quel-ques animalcules dans une préparation chi-mique jela,fis prendre à cette fille commeuiiemédecine. J'avais déjà eu, commebienvouspensez, la précaution de renvoyer mon valet

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et je ne permis dans mon voisinage à aucunêtre mâle de forme humaine d'aborder seule-ment mon logis. Je poussai même le scrupulçjusqu'au point de soustraire de chez moi touttableau ou gravure qui pût en faire naître lamoindre idée.

En six mois ma potion avait fait un effet très-visible sur le sujet que j'avais employé. Que lelecteur s'imagine, s'il se peut, la joie que jeressentis lorsque je m'aperçus pour la premièrefois d'un symptôme réel d'une grossesse dé-cidée. Ce fut bien plus, quelques jours après,quand une petite circonstance vint mettre lecomble à ma satisfaction et me rendit cetteespèce de conception hors de toute possibilitéde doute.

Un matin que j'étais seul dans mon cabinet,réfléchissant sur ce grand événement, cettefille vint m'y trouver les larmes aux yeux; etn'ayant demandé la permission de me faire

une question, elle me pria instamment de lui

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dire s'il était possible d'enfanter aubout de trois ans? Il m'était aisé de com-prendre sur le champ quel était le vrai but de

cette demande; cependant, affectant un aird'ignorance et prenant la gravité de ma pro-fession, je lui enjoignis de s'expliquer plusclairement. Pour lors, interrompue sans cessepardes sanglots, elle me bégaya: « qu'elle étaitétonnée de certains symptômes; que le cielétait témoin de sa sagesse; qu'elle ne savait cequi se passait chez elle, mais qu'elle avait toutlieu de se croire enceinte; cependant qu'ellepouvait jurer sur ce qu'elle avait de plus sacréde n'avoir pas été. été. été touchée paraucun homme depuis trois ans. »

«Ainsi donc, lui dis-je d'un ton mêlé de dou-

ceur et de sévérité, vous avouez que vous vousêtes renduecoupable d'incontinence il y a envi-rontrois ans?—Hélas! oui, Monsieur, merépon-dit-elle. Ce serait folie de ma part de vouloirle nier à un homme de votre savoir et aussi

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pénétrant que vous. Ainsi j'aime mieux toutvous découvrir sans aucun déguisement.Vous saurez donc, Monsieur. qu'il ya effec-tivement environ trois ans, que.à, la vérité,Monsieur, je n'ai pas toujours été aussi simple

que j'aurais dû l'être. Hélas si j'avais, été aussi

sage que je le suis depuis ce temps! mais,Monsieur!. mon dernier maître, Monsieur,qui était. un ministret. que le bon Dieu luipardonne et à moi aussi!. Je suis biensûre dem'en être repentie plus de cent fois, et je pensequ'il en a fait de même.»Voilà toutcequejepus tirer d'elle.

-

Je me flatte, MESSIEURS, que vous me par-donnerez de m'être arrêté sur des particula-rités qui paraîtraient peu intéressantes à des

yeux moins clairvoyants que les vôtres. Ellessont,il estvrai, au-dessous deladignité d'unphi-losophe,maisellesm'étaientbienessentielles.Ea

1 VAR*: un prêtre.

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effet, comme il m'importe absolument, dans

une affaire de la conséquence de celle-ci etaussi intéressante pour le genre humain, defaire voir avec quelle précaution et quel scru-pule j'ai suivi tous mes procédés, il m'étaitnécessaire de peindre la naïveté et la simpli-cité de cette fille, qui m'étaient un sûr garant et

une preuve sans réplique de sa bonne foi. Ceuxqui n'écrivent que pour l'amusement de leurssemblables peuvent, à leur gré, choisir et re-trancher telles circonstances que bon leursemble, selon qu'elles leur paraissent avanta-geuses ou inutiles, fondés sur l'exemple d'Ho-mère, qui, selon Horace, abandonne et sacrifietout ce qu'il ne juge pas pouvoir s'embellirentre ses mains1. Mais nous qui, par état,sommes nécessairement attachés à la vérité,

t QuœDesperat tractata nitescere posse, relinquit :Atqueita mentitur, sic vcris falsa remiscet.

HORAT., De Arte poet., v. 150.

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nous devons écrire comme si elle nous tenaità la chaîne, et comme ses vrais esclaves; en'sorte que nous devons toujours aller notredroit chemin, sans jamais nous détournerdecôté ou d'autre pour jouir des différents coupsd'oeil qui pourraient nous flatter. Aussi, -vousai-je rapporté ce fait intéressant, précisémenttel qu'il s'est passé, sans y avoir rien-ajoutéetsans en avoir retranché la moindre particula-rité, sauf que j'ai cru devoii omettre tout ce quele débat de cette fille m'avait occasionné delui dire, et qui me donna d'autant plus d'agré-ment que j'y trouvais les marques les mieuxcaractérisées d'une simplicité et d'une bonnefoi à toute épreuve; en sorte que je vis bien

que jamais je n'aurais pu trouver un meilleursujet pour faire avec succès l'essai de ma dé-couverte.

'-' Au surplus, et c'est par où je finirai ce quijconcerne cette fille, qu'il me suffise de vousdire que je la tranquillisai sur son état, en lui

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donnant à croire que, par quelque cause parti-culière et inconnue, la nature avait été chezelle en défaut, ce qui avait occasionné un re-tard aussi singulier; en sorte qu'elle se retirabien persuadée que sa grossesse actuelle de-vait remonterjusqu'au temps où elle s'avouaitcoupable d'une faiblesse, il est vrai, passagère,mais qui n'en avait pas moins été suivie del'effet qu'elle était dans le cas de produire.

Pour remettre son esprit dans la plus parfaitetranquillité et lui faciliter de plus en plus uneheureuse délivrance, il n'y eut sortes d'atten-tions et mêmede complaisances que je ne misse

en usage, au point que je parvins à lui faire re-prendre sa première gaîté, et qu'au boutdesneufmois à dater de mon essai sur elle, elle mit. aumonde un gros garçon qui promit bien de vivre,et que j'ai élevé sous mes yeux comme monpropre enfant, malgré les caquets et les calom-nies du voisinage; et je ne doute aucunementqu'avec le temps il ne parvienne au grade ho-

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norable de juge ou d'alderman, et peut être àquelque autre dignité plus éminente. En effet,

que ne puis-je pas espérer d'un sujet vraimentneuf dans notre espèce, comme n'étant pointdans le cas de tenir, en aucune manière, desvices et de l'inconduite de ses auteurs?

D'après tout ce que je vous ai expliqué de

mes divers procédés, je présume, MESSIEURS,

vous avoir prouvé de la manière la plus incon-testable toute l'étendue et la certitude de monsystème; en sorte qu'il vous doit, ainsi qu'àmoi, demeurer pour constant qu'une femme

est dans le cas de concevoir et de faire des en-fants, sans avoir commerce avec aucun homme.Le monde a donc été pendant six à sept mille

ans dans la plus grande erreur, et probable-ment il aurait continué d'y demeurer pendantsix mille autres années et davantage, si je n'é-tais pas né tout exprès pour dissiper les préju-gés ridicules dans lesquels nous avons tous étéélevés, et pour détromper le genre humain sur

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en point aussi essentiel et aussi intéressant.En effet, ma découverte n'est-elle pas bien au-dessus de celles d'Isaac Newton et de tous leseutresastronomes systématiques?Toutes cellesdece grand lorgneur d'étoiles n'aboutissentqu'à

une simple spéculation, au lieu que ma décou-verte est de la pratique la plus assurée, commeen quelque sorte de la plus facile, toutefois,moyennant les sages précautions que je mesuis cru obligé de prendre et que j'ai si scru-puleusement indiquées. D'ailleurs, celles deNewton ne sont que des calculspropres à amu-ser quelques pédants de collège; mais la mienneintéresse tout le monde en général et est faite

pour son bonheur et sa tranquillité. Aussi meproposé-je de publier incessamment un ou-vrage étendu, dont l'objet principal sera de dé-montrer que la manière la plus naturelle, etbien supérieure à celle jusqu'ici en usage pourla reproduction de notre espèce, est, sans con-tredit, celle que je viens d'expliquer, et, pour

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vous en donner dès à présent quelque idée, ladémonstration de mon système sera spéciale-ment fondée sur un argument infaillible, au-quel je me suis plu à donner la forme syllogis-tique, comme la plus concluante, et en mêmetemps la plus propre à donner des preuves sansréplique de mes talents singuliers et rares enmatière de logique; et comme c'est la méthodela plus ordinaire de raisonner du savant War-burton, je suppose d'autant mieux, par cetteraison, sa grande habileté dans cette belle par-tie de la philosophie.. 6",

Tel est donc en abrégé mon raisonnement.La nature, disent certains auteurs d'une

grande érudition, est une vieille dame desplus ménagères et bonne économe; elle sedonne le moins de peine qu'il lui est possible,

et elle est attentive à faire tout avec le moinsde dépenses, prenant toujours la voie la plus

courte et la plus facile pour parvenir au butqu'elle se propose. -

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Or, les animalcules peuvent être aussi faci-lement fécondés et éclore parfaitement en pas-sant uniquement dans la matrice des femelles,

qu'en prenant une route bien plus longue parles lombes des mâles.

Donc, celui-là est le vrai chemin pour arri-

ver à la vie, qui est la route la plus courte;donc, la voie que j'ai employée est la meil-leure, et préférable à l'ancien usage qu'il seraitbon d'abandonner en faveur de notre pratiqueactuelle.

Voyons maintenantoù cet argument me con-duit. Il arrive souvent que l'usage et la prati-

que d'une chose sont bien connus avant quela théorie en soit découverte. Par exemple, lesvaisseaux de guerre pouvaient foudroyer desvilles avec les bombes, longtemps avant qu'ilfût démontré que les projectiles décrivent deslignes paraboliques. Des enfants s'étaient amu-sés avec des ombres, bien avant l'invention dela lanterne magique, et longtemps avant que

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quelque grand philosophe se fût avisé d'expli:quer lesmystères de cettesurprenantemachine.Des écoliers et la plus tueulente jeunesse ontenlevé de tout temps dans les airs et conduità leur gré des cerfs-volants, bienavant la té-méraire invention des Montgolfier et des Blan-chard, et aussi bien avant qu'on nous en donnequelque explication satisfaisante, et tendantàfaire sentir ses avantages et son utilité, ainsi

que de se mettre en garde contre les risques àcourir en montant ces machines incondui-sibles et toujours en butte au premier courantd'air qui les emporte.

Or, c'est précisément ce qui est arrivé quantà l'objet que jeme suis fait un devoir de vousmettre sous les yeux. L'histoire en avait, quoi-

que confusément, donné quelques exemples

dispersés çà et là, et fort obscurs. Quelquesphilosophes de l'antiquité, les plus versés dansles connaissances physiques, avaient effleuré cemême sujet, mais par accident et comme en

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Rasant, sans s'y trop arrêter, et comme s'ilsn'avaient fait simplement qu'entrevoir cettegrande vérité. Aussi, ai-je lieu de croire querien Me me peutlégitimementempêcher de re-vendiquer ici le mérite d'être le-véritable au-teur d'une première découverte et d'une in-tention originale. Eneifet, ne serait-il pasbien dur pour moi que des idées informes, se-mées au iasarddans de vieux auteurs dont àpeine sais-je les noms, et qu'assurément jen'avais jamais lus avant d'avoir établi la théo-ris de mon système, fussent capables de mefaire passer pour plagiaire, et ainsi de m'en-lever l'honneur d'une découverte aussi intéres-sante? En effet, il est, je ne le sais que trop,une alasse de lecteurs méchants et mal inten-tionnés, qui prennent plaisir à publier à quiveut les entendre, que, depuis un certain Or-phée, tous les auteurs se sont mutuellementvolé leurs ouvrages. Quand cela serait, ce qui

ne peut être, quel ne serait donc pas le bon

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heur de cet ancien poëte qu'on ignore le nomde ses prédécesseurs! Mais, pour soutenir leurdire injurieux, ces lecteurs inconsidérés ontrecours à ce reproche vague et usé, toutes lesfois qu'ils n'ont pas de prise sur un ouvrage,et qu'il ne leur est pas facile de détracter sadoctrine et le mérite de son auteur, et que,néanmoins, ils se sont proposé de le décrier,voulant, à quelque prix que ce soit, que l'au-teur porte de leurs marques; pour lors, ils at-taquent de front sa réputation: « Eh bon Dieu!s'écrient-ils, le grand mal qu'a eu cet auteur àrassembler tous ses matériaux! Le malheureux

a tout volé! il n'y a pas seulement une page,

une ligne, un mot, une syllabe, une lettre,

une virgule, qui lui appartienne en propre;nous sommes en état de vous montrer les

livres et l'endroit même où il a pillé toutes cesidées que vous regardez comme miraculeuses.»

Or, pour prévenir une aussi injuste et gra-tuite censure, et pour épargner à certains cri-

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tiques la peine de chercher dans les vieux au-teurs, (dont les mânes puissent reposer enpaix!) d'où l'on pourrait soupçonner que j'aipris ce petit traité, je me suis déterminé à pro-duire ici moi-même le peu de passages quej'ai trouvés par hasard sur cette matière; et,d'après cette explication, je laisserai décider,à qui le voudra, si c'est àtort que j'ambitionnele titre de seul et unique propriétaire de l'hy-pothèse singulière que je vous ai détaillée, et,

au contraire, si le peu de passages qu'on pour-rait trouver dans les auteurs qui ont vécu avantmoi, est dans le cas de me faire renoncer à laprimauté, ou plutôt à l'exclusif que je réclame.

Galien, dans son célèbre Traité de la rou-geole 1, voulant donner à connaître l'originede cette maladie, avance, comme un sentiment

* 1 Ce passage de Galien ne se trouve pas dans sonTraité de la rougeole, comme Johnson le dit ici,mais il se trouve dans son Commentaire sur lesdents du dragon de Cadmus,où il démontre qu'il

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reçu, que le genre humain en fut infecté parl'entremise d'une femme née sans le con-cours d'un père. Cependant, àbien prendre,il semble qu'il regarde cette idée comme unefable, qu'il traite même d'erreur ou vision po-pulaire.

Hippocrate veut nous faire entendre très-sé,rieusement que sa mère selon ce qu'elle avaitcoutume de lui dire souvent, « n'avait eu au-cun commerce charnel avec son père pendantprès de deux années avant sa naissance; mais

que, se promenantun soir dans son jardin, elle

se sentit tout à coup agitée d'une façon sur-prenante, telle qu'elle ne pouvait elle-mêmel'expliquer, et que c'était de ce moment qu'ellecomptait pour la naissance de son fils 1; que,

n'est point surprenant qu'une dent jetée en terre puisseproduire un

-

homme.— Note de de Sainte-Colombe.1 Ç'a été de tout temps le faible des grands hommes

d'ambitionner une naissance extraordinaire. L'émule duchantre d'Epicure,ce poëtede la Vérité, rival de celui dela Nature (M. le cardinal de Polignac, auteur de l'Anti-

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d'un autre côté, son mari, peu indulgent et secroyant déshonoré,'avait obtenu, d'après ce peud'explications, son divorce avec elle, ce qui la

fit tomber, mais bien mal à propos, dans le

mépris, et succomber sous les reproches de tous

ceux qui la connaissaient. » Quant à moi, j'es-père que cet écrit vengera la mémoire de la

mère d'Hippocrate de l'injuste infamie où elle

a vécu, et que la tradition a pu y attacher pen-dant tant de siècles.

Si nous remontons aux âges fabuleux dumonde, où tout s'embellissait,où même chaquechose paraissait comme s'agrandir par les or-nements de la poésie, nous voyons diversesbeautés de l'antiquité s'être trouvées mères par

Lucrèce), n'a pas été exempt de cette maladie. Il racon-tait souvent, et désirait qu'on le crût sur sa parole, que,comme un second Romulus, il avait été enlevé de sonberceau, peu après sa naissance, et allaité assez long-temps par une bêle fauve, jusqu'à ce que mille recher-ches l'eussent fait retrouver. — Note de de Sainte-Co-lombe.

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des moyens si étranges, que je ne doute pasqu'elles dussent leur fécondité à ceux que jeviens de décrire. D'où je me flatte qu'à l'ave-nir les commentateurs des anciens mytholo-gistes adopteront mon système et se rendrontà mes explications. En effet, comment une per-sonne de bon sens pourrait-elle se figurer queJunon devint enceinte en mangeant un mor-ceau de chou que Flore lui avait donné dansles plaines d'Olénie? En effet, il est bien plussimple d'imaginer que Junon, en cet instant,avait avalé quelques-uns de nos petits animal-cules, et que, par une suite nécessaire de cetévénement, elle devint mère de Mars t.

1 Johnson se trompe encore ici. Ce fut Hébé, et nonMars, qui dut sa naissance à des choux ou à des laitues.Junon devint mère de Mars par le seul attouchementd'une fleur que Flore elle-même lui indiqua.

L'endroit des Fastes d'Ovide auquel il fait allusionaurait dû le préserver de cette erreur:

« Protinus haerentem decerpsi pollice florem :

«Tangitur; et lacto concipit illasinu;

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Comtnent encore, sans l'aide de mon sys-tème, rendre compte de l'étrange conceptionde Danaé dans sa prison? Un ancien oracleavait prédit que son père devait avoir la gorgecoupée par -son petit-fils. Pour rendre vaine

« Jamque gravis Thracen et laeva Propontidos intrat;« Fitque potens voti; Marsque creatus erat. »

OVIDE, Fastes,1.v,v.255,JobnsoD aurait pu ajouter bien d'autres accouchements

merveilleux qui, sans doute, lui ont échappé.Vulcain, autrelih de Junon, dut le jour à un coup de

vent; Minerve sortit du cerveau de Jupiter à l'aide d'uncoup de hache qu'il se fit donner sur le front; Bacchussortit de sa cuisse. Ce dieu affamé avait dévoré Métis,mère de Minerve, et Sémélé, mère de Bacchus. Ixiondonna l'origine aux centaures pour avoir prodigué sescaresses à une légion de génieç succubes, que les my-thologistes ont jugé à propos de travestir en nuée. Lanaissance d'Orion fut accordée aux vœux d'un hommedebien, trop imbu des malheureux principes de l'Hip-polytus redivivus. Cet homme, appelé Hiérée, reçutchez lui, le mieux qu'il put, trois dieux qui voyageaientensemble. Ces djeuJ, pour récompenser leur hôte, luifirent à frais commun un héritier mâle, et trouvèrentpour cela le secret de se passer de femme:in pe11em-bovinam semen injecerunt. Ce dépôt fut cachépendant neuf mois dans du fumier, et, au bout de ceterme, Orion parut. — Note de de Sainte-Colombe.

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cette prédiction, Acrisius enferma sa fille uni-que dans une tour d'airain, sans portes ni fe-nêtres et ne prenant jour que par la terrasse.*Il était donc impossible que qui ce fût pût ap-'procher de cette lille infortunée. Le vent seulpouvait avoir accès auprès d'elle. Cependant,nonobstant tantde précautions, labelle devintenceinte du grand Persée, qui accomplit l'oracle

en mettant Acrisius à mort. Les poëtes, à lavérité, nous content sur ce fait une histoire

peu vraisemblable, prétendant que Jupiter sutse glisser dans cette tour en forme de pluied'or qui s'y introduisit par le toit. Or, on sentbien que ce n'est là qu'une fiction poétique in-ventée après coup, pour rendre raison d'un phé-nomène embarrassant, au lieu qu'il eût étébienplussimplede recourir, pourcette explica-tion, à notre agent naturel et universel.

L'histoire de Borée, qui enleva une jeune hé-

ritière par la fenêtre d'un grenier, et qui lui fit

un enfant, comme le décrit Ovide dans ses

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Métamorphoses, est plus conforme à notresystème et fixe absolument la manière dont

cette fille conçut. On sait d'ailleurs que le pri-vilége de la poésie est de personnifier tous lesobjets. Si donc une belle se trouva enceinte duvent, cet officieux agent méritait bien d'êtrediviniséf. J'avouerai néanmoins qu'il y aici, selon les expériences constatées de monsystème, sinon une erreur de fait par rapportau vent, du moins une méprise évidente sursa qualité. Ce qui vient sans doute ou des né-gligences échappées aux poëtes qui nous onttransmis ce fait important, négligences quel'on a consacrées sous le beau nom de libertéspoétiques;ou, ce qui est encore plus simple, de

* C'est dans ce même sens que l'on doit interpréterce qu'Ovide met dans la bouche de Flore, pour nous direqu'elle fut ravie par Zéphyr:« Ver erat, errabam ; Zephirum conspexit; abibam:a Insequitur; fugio : fortiorille fuii.t

OVIDE, Fast.,liv.v, v. 201.

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la faute de la dame même, qui put facilement

se tromper touchant le côté du vent en racon-tant son aventure. En effet, il était naturel quel'agrément qu'elle avait eu lui eût fait tournerla tête, de manière à ne se plus rappeler d'oùlui venait le vent.

Au surplus, nos principesbien établis, quand

on lit les aventures de quelques nymphes en-grossées par des fleuves, par des dragons, pardes cygnes, des taureaux, des pluies d'or, onpeut en conclure en général que ces faits n'é-taient provenus que par le vent, plus ou moinssingulièrement personnifié par les poètes, fauted'avoir bien connu les circonstances de chaqueévénement. Et, en effet, il est naturel de voir

que, souvent, dans l'ignorance où étaient cesfilles de la véritable cause de leur grossesse,elles en assignaient d'imaginaires, etles poëtes,saisissant de leur côté un merveilleux si propreà faire fortune, les ont surchargées de tant d'a-necdotes, ou menus de faits également dérai-

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sonnables, qu'à la fin on n'a plus regardé de

purs effets naturels que comme des fables etdes romans.

Si de ces âges allégoriques nous descendons

aux siècles suivants, où l'histoire avait pris unstyle plus simple et un ton plus raisonnable, secontentant de dire la vérité sans détour, noustrouvonsencore quelques autorités confirmantnotre découverte.

Diodore de Sicile rapporte, suivant un très-ancien exemplaire de ses ouvrages qui m'a étécommuniqué par le savant et laborieux doc-teur T., mon ami, qu'une certaine sorcièred'Égypte, parmi bien d'autres prestiges et opé-rations prétendues surnaturelles, se donnaitpouravoir eu la faculté de devenir enceinte

sans le secours d'aucun homme, et qu'à lafaveur de cette prétention, elle voulut se faire

passer pour la déesse Isis. Mais, malheureuse-ment pour cette femme, un prêtre de Tbol ouMercure fut trouvé couché avec elle; d'où le

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merveilleux s'évanouit et la sorcière disparut.Polybe rapporte une histoire qui revient

plus directement à notre sujet; niais comme iln'en parle qu'avec la plus grande défiance, jene veux point m'en prévaloir en faveur de

mon système, crainte de donner un air de ro-man à cet ouvrage1.

Enfin je terminerai cet article parun exemplepris dans les historiens romains. C'est Tite-Live qui me le fournit, concernant une femme

que l'on disait être accouchée de deux jumeauxdans une île déserte où elle avait fait naufrage,et où elle n'avait aperçuaucune trace d'hommependant l'espace de neuf ans avant sa déli-

vrance. Cette histoire nous apprend que cettefemme fut conduite à Rome, examinée par les

matrones, et interrogée en plein Sénat. Mais

comme les particularités de cette histoire sont

* Voir Polybe, liv. III, p, 230 : 8wpov ZI xextoq 8u?-

XEpcxlvoncxç. Voyant que les Celtes mêlaient avec pei-nes,etc.»

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trop longues et qu'elles pourraient paraître

ennuyeuses à une partie de mes lecteurs, j'aimemieux renvoyer à l'original, livre cinquièmede sa vaste histoire.

Il.Voilà tout ce que j'ai pu rencontrer dans le

cours de mes lectures et ce que j'ai jugé. le

plus digne d'être rapporté sur mon objet,

comme pouvant répandre quelques lumières

sur ma découverte et en confirmer d'autantl'hypothèse.

!

?Mais ma plus puissante et ma meilleure

ressource est l'illustre M. Warburton lui-même. C'est à ce grand génie qui décide avectant de sagacité les vieux problèmes ainsi queles plus modernes controverses, c'est à luique j'en appelle comme à un juge souverain,lui qui sait si bien jusqu'à quel point les au-teurs sont jaloux de faire passer leurs produc-tions pour originales. Je m'en rapporte donc àlui,et je me flatte qu'il décidera sans aucunepartialité, nonobstant les citations que j'ai eu

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la bonne foi de rapporter, si je ne dois pasêtre regardé comme le premier auteur de ladécouverte de ce procédé merveilleux de lanature; en un mot, si le mérite de cette in-vention ne m'appartient pas réellement et deplein droit.

C'est avec le plus profond respect que jenomme ici ce grand homme, auquel la nomen-clature des historiens britanniques se fait hon-neur de donner aujourd'hui l'une de ses pre-mières places. Quel service ne me rendrait-il

pas, s'il voulait discuter ce sujet dans le pre-mier volume de sa Légation divine, qu'ilaccordera au juste empressement du public,au

cas qu'il daigne enfin obliger ses compatriotes

en leur faisant part d'un ouvrage si fort atftendu! Si cependant, par la fatalité de monétoile, il ne lui restait plus de place pour moi, àraison des nombreuses digressions dont sonlivre sera rempli, (car enfin un volume ne peutpas tout contenir) j'ai la vanité de m'attendre

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à une lettre de sa part, par premier courrier,dans laquelle il me remerciera, suivant l'hon-nêteté de son usage de l'honorable mention

que j'ai faite de lui, et pour commencer à lierconnaissance entre nous, il me fera quelquescompliments sur mes découvertest.

Mais pour rentrer plus particulièrementdans

mon sujet principal, je crois devoir expliquerici, avant de finir, les grands avantages queproduira nécessairement la publication de cetécrit, et c'est aussi ce qui me doit mettre àl'abri du nom odieux d'homme systématiqueet de faiseur de projets, et placer mon nomavec celui de ces hommes illustres qui ont in-venté tant d'arts utiles à la vie pour l'agrémentet la commodité de leurs concitoyens2.

1 Warburton était le plus maussade des confrères,le plus acerbe des critiques et le plus hautain des juges.Johnson dut en être pour ses avances. Il s'y attendaitsans doute.

2 Inventas aut qui vitam excoluere per artes.VIRG., Æneid., liv. vi, v. 663.

Ce que je ne cite ici que pour avoir une citation de

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Et d'abord, je me flatte d'avoir mérité lare-connaissance de tout le beau sexe et ainsi d'enrecevoir à l'envi les plus vifs remercîments,comme ayant désabusé le genre humain surles fausses idées qu'on avait eues, en général,

sur la manière prétendue unique dont ons'imaginait jusqu'ici que les femmes pouvaientdevenir enceintes, et pour avoir révélé à toutela terre comment une fille peut se trouver encet état, sans avoir donné la plus légère at-teinte à la pureté de sa vertu. En effet, quipourrait empêcher dorénavant toute personnedu sexe de dire comme Junon: « Pourquoiperdrais-je l'espérance de devenir mère sansmari et d'enfanter chastement sans avoir eucommerce avec aucun homme?»",¥

Au lieu qu'avant cette sublime découverte,lorsque le monde était assez stupide pour sup-poser la conception une suite nécessaire d'un

plus et faire voir l'étendue et la sagesse de ma mé-moire. (Note du premier éditeur.)

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commerce charnel, combien de beautés n'ont-elles pas perdu bien innocemment leur réputa-ii6n?Combien d'infortunées victimes immoléesà la raillerie, au mépris, au courroux, à la ven-geance de leurs parents ou de leurs maris?Combien d'aimables femmes, pour cette baga-telle, exclues des visites, bannies du jeu, leursi essentielle occupation, et montrées au doigt

par des prudes laides, jalouses et ridicules,uniquement à raison du mince inconvénientd'être devenues enceintes avant le mariage?Mais cette découverte une foi répandue, (etcombien ne sommes-nous pas tous intéressés à

en étendre la publication!) il sera facile à toutejeune et belle fille de perdre ce qu'elle a deplus fragile, et ce semble de plus cher, sansperdre sa réputation et son honneur. Cet évé-nement ne la contraindra plus. Elle continueraà se montrer à son ordinaire dans les prome-nades et dans les cercles, sans craindre ni ca-lomnies ni reproches, pour avoir joui d'un plai-

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sir aussi innocent. Aussi, est-ce bien le cas de

se récrier avec le poëte romain: « Déjà l'inal-térable virginité, déjà l'âge heureux de Sa-turne, reviennent parmi nous; une race nou-velle nous est envoyée du ciel 1. »

Un second et non moins grand avantage*qui viendra sans doute bientôt à résulter de

ma découverte, est l'entière abolition du ma-riage, dont chez les peuples les mieux policéstout le monde se plaint depuis si longtemps*

comme d'un fardeau insupportable, et commed'un joug pesant opposé aux goûts variés de

nos plaisirs modernes, et qui n'est propre qu'àdétruire cette liberté que les gens de condi-tion ont tant de raisons de revendiquer, et quileur appartient de plein droit. C'est en effet àraison des entraves et des inconvénients simultipliés du mariage, que nous voyons tous

1 Jam redit et virgo: redeunt Saturnia regna ;

Jamnovaprogeniescœlodimittituralto.VIRG.,Egl,y.

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les jours notre première noblesse, les lords etles ladys, se livrer sans aucun frein à la dé-

bauche, afficher publiquement la discorde etla désunion qui règnent entre eux, se prostituermutuellement, faire des divorces déshonorants,employer le fer et le poison, chercher récipro-

quement à se faire mourir de faim, s'étrangleret mettre en œuvre mille autres sortes de gen-tillesses decette nature pour se délivrerde leursfers et se tirer d'un esclavage plus affreux poureux que celui de l'Egypte ne l'a été pour lepeuple hébreu. Or, moi qui suis l'un des plussincères admirateurs des grands, qui leursuis entièrement dévoué, qui suis toujoursprêt à regarder comme juste et légitime toutce qui vient de la bouche d'un homme de con-dition, je me regarde comme très-heureuxd'être l'auteur d'un système qui sympathise sinaturellement avecleursdésirs. En effet, à l'aidedes conséquences de mon nouveau système,ils se verront débarrassés de la plus perni-

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cieuse institution qui se puisse et qui n'est ap-puyée sur aucune autre autorité que celle deslivres saints; autorité aujourd'hui si surannéeet proscrite à bon titre parmi les gens du bonair i.

D'un autre côté, comme je suis sûr que lesfemmes n'hésiteront point à se prêter à la pro-pagation de notre espèce, suivant la méthodequej'ai tracée, de préférence àl'ancienne, quisansdoute sera bientôt hors de mode, je puis les as-surerqu'elles n'y perdront rien, et que le plaisirqu'elles recevront par la voie que j'indiquesera tout aussi grand pour elles qu'il pouvaitl'être par le commerce grossier de l'homme. Eneffet, je prie le beau sexe de remarquer, à l'a-

vance, le goût qu'il a de tout temps fait paraîtrepour le doux zéphyr. Jusqu'ici, les dames igno-raient la vraie cause de ce singulier attrait,

1 On sent assez la sage ironie de cette tirade pourqu'ilne soit pas besoin d'en avertir le lecteur. — Note dupremier éditeur

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tout en ressentant les impressions délicieusesde ce vent amoureux; que sera-ce donc lors-qu'elles se livreront à ses influences de plein

gré et en toute connaissance de cause?Mais il est encore un autre avantage bien

essentiel, sans doute le plus considérable de

tous pour le genre humain; pour le décrire lemoins mal possible, il me faut tremper maplume dans l'encre la plus forte comme laplus précieuse. Il me faut ennoblir mon styleet me servir quelques instants du flambeau deProméthée. Un ordre plus noble et plus relevéde choses vient s'offrir à mes yeux, je vais ma-nier un sujet de toute sublimité !

Major rerum enim nascitur ordo,Majusopusmoveo.

Il est une contagion plusqu'épidémique qui,dans ses ravages, a épuisé la spéculation et en-core plus la pratique de tous les empiriques,de toute la médecine et de tous ceux qui, par

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état, se sont le plus empressés de venir au se-cours du genre humain. Avec le médecin vousl'appelez lues venerea, avec les apothi-caires mal vénérien, avec nos dames anglai-

ses le mal français, pox ou tout simplementvérole, avec nos aimables petits-maîtres. Elleest généralement connue sous tous ces noms;mais on lui donne encore une infinité d'autrestitres et qualifications subalternes, qui dési-

gnent les divers degrés de ce venin destruc-teur. Il a, comme Alecton, mille noms, mille

moyens de nuire.

nominamilleMille nocendi artes.

Les uns nous disent que Christophe-Colombl'apporta de son Nouveau-Monde américaindans une boîte; ceux qui ne veulent pas allerchercher si loin la source originaire de cettesorte de peste, croient qu'elle appartient à la

France, et prétendent qu'elle a été apportée

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dans nos trois royaumes avec tous ces colifi-

chets, ces ajustements enfantins et ces modesdésastreuses qui nous ont endettés commenous le sommes, et nous rendent en quelquesorte tributaires de ce pays de luxe et de vainecoquetterie *.

Mais si la véritable origine de ce mal estobscure, ses effets sont trop évidents: que n'ai-je ici la plume de Fracastor 2 pour peindre lesfunestes ravages que cette sorte de peste faitdans le corps humain! Venez à mon secours,vous tous libertins usés, perdus de débauche,pendant qu'avec l'encre la plus noire j'essaiede peindre les dégâts de cette honorable ma-ladie dont sont morts tant de vos ancêtres, et

1DeSainte-Colombe discute ces diverses originesdans deux notes assez longues. Nous les supprimons pourne pas trop arrêter l'esprit de nos lecteurs sur uu sujetqui n'est gai que dans Rabelais Nous nous bornons àconstater son opinion sur le rôle de Nessus : Nés us donnala vérole à Déjanire, qui la rendit à Heicule. Cette opi-nion n'est p:is insoutenable.

2 On connaît son poëme, Syphilis.

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dont, par une vanité si bien entendue, vousfaites vous-mêmes aujourd'hui parade avectant d'ostentation dans les tavernes et lescafés,

pour le plus grand avantage de la vertu et delasaine morale.

Dites, illustres et perclus débauchés, carvous savez par expérience avec quelle rapiditéle fatal poison de cette infâme maladie se ré-pand dans le corps, diles-nôus comment ilmine les dents, ronge le nez, dévore les-chairs,pourrit les os et empoisonne jusqu'à la moellede l'épine. Instruisez-nous aussi, enfants duplaisir, vous à qui l'expérience a sans douteappris comment ce mal se répand de toutesparts par contagion, et comment il opère parcommunication. Quelques maris le donnent àleurs femmes; plus souvent les femmes enfont présent à leurs maris. Dans tous les cas,

,non-seulement il produit les plus mauvais. ef-

fets pendant la vie, mais il ne s'éteint pas à lamort des pères. Il revit encore dans leur pos-

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térité; il y prend des forces nouvelles, il des-cend aux héritiers des grandes maisons par ac-croissement de succession, et il n'est même

que trop souvent le seul héritage d'un sangnoble et ancien, mais corrompu et dépravé. De

là provient une race énervée, faible dans saconstitution, plus faible encore d'esprit que de

corps, race efféminée, chétive, difforme, im-potente, et qui porte tracée sur sa figure en ca-ractères bien lisibles et ineffaçables l'empreintedes crimes de ses aïeux et l'arrêt irrévocablede sa propre condamnation. Ces faibles avor-tons qu'on renverserait d'un souffle, ont néan-moins la sotte arrogance de marcher tête levéedans le Mail armés d'un fer oisif et virginal, etils se figurent être des hommes! Hélas! les

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qui a teint la mer du sang de nos ennemis*.En vain, pendant plusieurs siècles, les en-

fants d'Esculape ont-ils constamment attaquécette maladie si terrible dans ses effets et sipernicieuse dans ses suites. Mercurea a épuisé

sur elle tout son pouvoir. Ses divines influen-

ces n'ont pu surmonter celles de ce cruel poi-

son. Les salivations ont été sans effet, et Ward

avec ses fameuses pilules est à Whitehall clouétristement dans son fauteuil, au désespoir de

se trouver lui-même vaincu par ce mal invin-cible: InfelixTheseus sedet, aeternum-que sedebit. *

Mais ce que ni les efforts de la médecine, niles opérations des chirurgiens, ni les dragées,

* Nonhis juventusortaparentibusInfecit aequor sanguine Gallico,

HORAT.,liv.m,ode6.2 Depuis César, les Bretons: «Deum maxime Mer-

« curium coJunt.n-Cette divinité n'a donc pas perdu deson crédit chez leurs descendants.

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in les bols, ni les pilules des empiriques n'ont

pu faire jusqueprésent, ce que les plus célè-bres gradués de nos Facultés n'ont jamais puobtenir, je le ferai moi seul, d'une manière sûre,aisée, effective, sans contrainte, sans effort

(subsit superbia dicto); on peut m'en croire

sur parole. Rien, en effet, de plus facile, aumoyen de mes nouvelles expériences, que dechasser pour jamais cette infâme contagion desÉtats de Sa Majesté britannique. Pour peu quetout ce qui porte unefigure femelle, car je n'ose

pas donner à toutes les personnes de ce sexele beau nom de femmes, enfin si toutes cellesd'entre elles qui sont encore honnêtes, veu-lent consentir à se priver des caresses infectéesdes hommes, seulement pendant une année,ce que j'estime être une proposition d'autantplus modeste et plus raisonnable, que je leuroffre, en échange de ce qu'elles peuvent perdrepar cette privation, un dédommagement dontelles n'auront qu'à se louer, il est certain que

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cette infâme peste cessera bientôt parmi nous.Aussi demandé-je très-humblement et avec

toute la soumission possible aux très-hono-rables lords du Conseil privé et je laisse à leurprudence consommée et à leur jugement à

prononcer si ce ne serait pas ici le cas de fairerendre un Édit royal pour défendre tout com-merce charnel de l'un à l'autre sexe, dansl'étendue des trois Royaumes pendant le courtespace d'une année entière à commencer aupremier mai prochain, afin d'arrêter le pluspromptement possible les progrès et la simplecommunication d'une contagion plus fatale

que celle qui emporte nos bêtes à cornes etqui mérite également l'interposition de l'auto-rité suprême.

Quelques-uns de ces censeurs fertiles en ob-jections et déprimant à l'envi tout ce qui n'estpas de leurinvention, pourront vous inspirerquelques doutes sur la meilleure constitutionde la race future provenant par ma méthode.

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Ilsdemanderont si nos enfants deux fois distillés

en passant à l'ordinaire par les vaisseaux sé-minaires tant de l'homme que de la femme,suivant la voie actuelle de la génération, nedoijent pas être nécessairement plus forts etplusvigoureux, comme participant des deux

sex^s, que ne le seront les enfants qui ne se-ront distillés qu'une seule fois et qui ne pren-dront leur première nourriture que dans lamatrice de la femme dont le tempérament ettpute l'habitude du corps ont des caractères defaiblesse si bien reconnus.

Pour démontrer le faux d'un pareil raison-nement, ou plutôt d'un si sot préjugé, il meserait facile de produire nombre d'argumentsinvincibles tirés des profondeurs de la philo-sophie; mais je préfère répondre à cette ques-tion par une autre qui fera sentir tout le ri-dicule de cette objection de nos censeurs dés-œuvrés.

Je demande donc si la race actuelle des

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pères, surtout de ceux d'une condition élevée

ou qui ont une fortune assez considérable, enun mot, si la race énervée, dont j'ai, il y aquelques instants, ébauché les premiers traita,est bien en état d'avoir des enfants et de nousdonner une postérité plus saine et plus robuste

que celle de leurs propres pères?Au contraire, qu'on laisse les femmes en-

gendrer d'elles-mêmes. Que le mal contagieuxqui abâtardit notre racesoit entièrement extirpéd'entre nous, on verra que nous pouvons es-pérer des descendants sains et vigoureux; lavaleur britannique reprendra son ancien lustre.De nouvelles journées de Crécy, d'Azincourtet de Blenheim viendront encore orner nosannales et le grand Henri ne sera pas le der-nier conquérant qu'ait produit l'Angleterre.

Aussi comme je ne doute aucunement quemon système soit reçu avec empressement et

queje suis assuré du plus prompt succès, je mepropose de demander incessamment un privi-

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lége exclusif, pour m'assurer seul les avantagesd'une aussi précieuse découverte. Dans cette

vue, j'ai même déjà loué une maison vaste etcommode en Hay-Market. Là je me ferai unvrai plaisir de recevoir toute personne du sexequi sera curieuse d'engendrer seule et ainsid'avoir des enfants par elle-même sans l'aided'aucun homme. Pour la commodité du public,

et surtout pour favoriser celles de nos damesqui rougiraient de tenter des premières mesexpériences,je ne commencerai d'abord à ouvrir

mes séances 'que depuis sept à huit heures dusoir jusque vers les deux heures du matin; etsi celles qui me feront l'honneur de me venirtrouver veulent se soumettre avec docilité à

mes instructions,j'assureraileur grossesse pourle temps qu'elles désireront, en calculant de-puis l'heure qu'elles m'auront favorisé de leurconfiance.

Que nos femmes daignent donc une bonnefois réfléchir que l'honneur, la gloire et les vrais

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intérêts de la Grande Bretagne sont actuelle-ment entre leurs mains. Il ne tient qu'à ellesde relever notre ancienne vigueur, et de re-nouveler et améliorer la race anglaise!Qu'elles se livrent à l'envi à ce grand œuvre,ellesdeviendrontcélèbres dans l'histoirecommeles propagatrices du vrai héroïsme et les fon-datrices d'un nouveau peuple. Leur mémoire

passera à la postérité avec encore plus d'éclat

que celle de ces Spartiates et de ces Romainesdont les faits galants pour l'intérêt de leur pa-trie dans des temps malheureux, ont méritétant de louanges par les poëtes et les histo-riens.

C'est donc à vous, MESSIEURS, que j'ai crudevoir principalement m'adresser pour donnerfaveur à ma découverte, en la prenant plusparticulièrement sous votre puissante protec-tion. C'est sur l'illustre Société, dont vous êtesmembres, que tous les savants ont les yeux ou-verts, comme sur de justes appréciateurs du

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mérite des inventions vraiment utiles. C'estdonc avec confiance que je soumets cet ou-vrage à votre sagacité et à vos lumières. Sansdoute, il aura l'avantage de vous plaire, tant

par son but que par ses conséquences. Je meflatte que vous daignerez le consigner dans vosRegistres et l'annoncer au public avec toute lachaleur qui convient aux Promoteurs desSciences utiles, aux Patrons des Arts et auxArbitres de la Vérité.

Je suis, avec tout le respect possible, etc.

MESSIEURS,

Votre très-humble, très-obéissant et dévouéserviteur.

Abraham JOHNSON.

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PIÈCES JUSTIFICATIVES

i

ARRÊT NOTABLE

DE LA COUR DU PARLEMENT DE GRENOBLE

Donné au profit d'une demoiselle, sur la naissanced'un sien fils, arrivée quatre ans après l'absence de

son mari, et sans avoir eu connaissance d'aucunhomme suivant un rapport fait en ladite Cour parplusieurs médecins de Montpellier, sages-femmes,matrônes, et plusieurs autres personnes de qualitéconvenable.

Entre Adrien de Montléon, Seigneur de la Forge,etCharlesde Montléon, Écuyer, Seigneur de Bourglemont,

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Gentilhommeordinaire de la Chambre du Roi, Appel-lans et Demandeurs en requête du 26 octobre, ten-dante à ce qu'il fût dit que l'enfant duquel était alorsenceinte Magdeleine d'Auvermont, épouse de Jérômede Montléon, Seigneur d'Aiguemère, fût déclaréfilâillégitime d'icelui Seigneur son mari, et qu'en ce fai-sant, lesditsAppelans et Demandeurs seraient déclarésseuls héritiers et habiles à succéder audit sieur d'Ai-guemère,d'unepart; et ladite Magdeleined'Auvermont,Intimée et Défenderesse à l'intervention de ladite re-quête, d'autre part; et encore Claude d'Auvermont,Ëcuyer, Seigneur de Marsaigne, tuteur d'Emmanuel,jeune enfant depuis né, et ladite d'Auvermont sa mère,intervenant avec maître Gilbert Malmont, avocat encette cour, élu pour subrogé tuteur et curseur auditEmmanuel, d'autre part. Vu les pièces

onset sentence dont est appel, les requêtes

desditsBle la

Forge et Bourglemont,contenant, entré autres, choses,qu'il y a plus de quatre ans que ledit seigneur dAi-guemère n'a connu charnellement ladite dame Magde-

leine d'Auvermont son épouse, ayant icelui Sieur sonmari, en qualité de capitaine de chevau-légers, servi aurégimentde Cressensault. Défensesdeladitedamed'Au-

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vermont, au bas desquelles est son affirmation faite enjustice par devant Melinot, Greffier en cette cour,soutenant qu'encore que véritablement ledit sieur

d'Aiguemère n'ait été de retour d'Allemagne, et%e l'ait vue ni connue charnellement depuis quatre

ans, néanmoins que la vérité est telle, que ladite damed'Auvermomt s'étant imaginée en songe la personne et^attouchement, dudit sieur d'Aiguemère son mari, elle

reçit les mêmes sentiments de conception et de gros-sesse qu'elle eût pu recevoiren sa présence, affirmant,depuis l'absence de son mari pendant les quatre ans,n'avoir eu aucune compagnie d'hommes, et n'ayant

pourtant pas laissé de concevoir le dit Emmanuel; cequ'elle croit être advenu par la seule force de sonimagination, et partant demande réparationd'honneur

avec dépens, dommages et intérêts. Vu encore l'infor-mation, en laquelle ont déposé dame Elisabeth d'Ail-beriche, épouse du Sieur Louis de Pontrinal, Sieurde Boulogne; dame Louise de Nacard, épouse deCkarles d'Albret, Ecuyer, sieur de Vinage; Marie deSalles, veuve de Louis Grandsault, Écuyer, SeigneurdeVernouf, et Germaine d'Orgeval, veuvede feu Louisd'Aumont, vivant Conseiller du Roi, et Trésorier Gé-

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néral de la Chambre des Comptes de cette ville, parla déposition desquelles il résulte qu'au temps ordinairede la conception, avant la naissance dudit Emmanuel,ladite dame d'Auvermont, épouse du Sieur d'Aigue-mère, leur déclara qu'elle avait eu lesdits sentimentset signes de grossesse, sans avoir eu compagnied'hommes, mais après l'effort d'une forte imaginationde l'attouchement de son mari, qu'elle s'était formée

en songe; ladite déposition contenant, en outre, quetel accident peut arriver aux femmes, et qu'eu elles-

mêmes telles choses leur sont avenues, et qu'elles

ont conçu des enfants, dont elles sont heureusementaccouchées, lesquels provenaient de certaines con-jonctions imaginaires avec leurs maris absents, et

Don de véritable copulation. Vu l'attestation de Guil-lemette Garnier, Louise d'Artault, Perrette Chauffage

et Marie Laimant, matrônes et sages-femmes, conte-nant leurs avis et raisons sur le fait que dessus, etdont est question, lecture faite aussi du certificat etattestation de Denis Sardine, Pierre Meraupe, Jacques

Gafiié, Jérôme de Révisin, et Eléonor de BellevalS

i L' École de Montpellier s'est toujours distingnée parson dévouement à la doctrine animiste.

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médecmà en l'Université de Montpellier; informa-tions faites à la requête du Procureur général. Toutconsidère, LA COUR ayant égard aux affirmations,

certificats et attestations desdites femmes et Médecins

dénommés a débouté et déboute lesdits de la Forge

et Bourglemont de leur Requête, ordonne que leditEmmanuel est et sera déclaré fils légitime, vrai héri-tier du dit Seigneur d'Aiguemère; et, en ce faisant,

ladite Cour a condamné lesdits Sieurs de la Forge etBourglemont a tenir ladite d'Auvermont pour femme,de bien et d'honneur dont ils lui donneront acte,après la signification du présent Arrêt, nonobstantl'absence du Sieur d'Aiguemère, ni autre chose pro-posée au contraire par lesdits Sieurs de la Forge etBourglemont, dont ils sont déboutés, sans dépens des

causes principales et d'appel, attendu les qualités desparties. Fait en Parlement, le 13 février 1537.

il

Laissant à part la morale de cet écrit, examinons

un instant si le système de l'auteur a, je ne dis pasquelque sorte de vraisemblance, il serait facile de

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rapporter en sa faveur diverses autorités puisées dansles meilleurs ouvrages des savants de nos jours, etentre autres dans les Transactions philosophi-ques, dans les Acta Eruditorum, dans les Mé-moires de notre Académie Royale des Sciences, dansl'Histoire naturelle de M. de Buflon, etc., mais

comme cette sorte de discussion nous mènerait troploin, et d'ailleurs que les citatiqns qu'il serait néces-saires d'employer donneraient à ces dernières ré-flexions un air de prétention trop recherché, nousnous en tiendrons ici à une seule observation, maisbien capable, selon nous, d'assurer à ce système sinonle mérite de la nouveauté, du moins celui d'uneplus que vraisemblance.

M. Castet, chirurgien de réputation à Bordeaux,homme de lettres et secrétaire de l'Académie de

cette même ville, dans une lettre par lui directementadressée à MM. les auteurs du Journal des Sa-vants (décembre 1751), d'après un mémoire qu'ilavait lu dans une séance publique de son Académie,

rapporte un fait ayant le plus grand trait au systèmeactuel des animalcules. Il est vrai qu'il tente de luidonner une tout autre explication, peut-être faute

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d'avoir eu aucune notion de la décooverte de ce sys-tème physique. Nous laissons au lecteur impartial à

prononcer en faveur de l'une ou de l'autre solution

de ce problème.Il s'agit donc, dans le mémoire de cet Académicien

de Bordeaux, d'un kyste, ou enveloppe membraneuse,

renfermant un paquet de cheveux déjà assez longs, parlui trouvé comme adhérent à l'ovaire d'une femme,

ou plutôt n'y tenant plus que par une espèce de si--nus ou ramification, au moyen duquel il en tirait sanourriture. Ce kyste semble avec raison à l'auteur être

un reste de fœtus formé dans l'ovaire, et qui, aprèsavoir pris une vraie forme (puisque la tête était pour-vue de cheveux), est venu ensuite a avorter par quel-

que cause accidentelle inconnue et totalement étran-gère aux inductions qu'on eu peut tirer. Effectivement

M. Casiet conclut seulement de cette observation,qu'elle doit servir de preuve à la conjecture particu-lière de M. de Buffon, que l'on doit uniquement at-tribuer à la liqueur séminale dela femme tous les corpssinguliers qui se trouvent dans les ovaires, en sorte

,que cette liqueur a la vertu et l'efficacité de produired'elle seule des os et même des masses de chair, sans

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pouvoir néanmoins produire un corps complet et par-faitement organisé, que par le concours de l'homme.

On juge bien que ces dernières lignes sont plutôtl'expression de la timidité de l'auteur que de la pre-mière pensée qui doit être venue plus naturellement h

l'esprit, à l'ouverture de ce kyste singulier. En effet,n'était-il pas plus simple, en voyant un reste de fœtus

encore adhérent à l'ovaire, d'en tirer l'induction quela femme peut, par elle-même, donner naissance à uncorps complet. Mais comme cet aveu aurait trop fa-vorisé le système de la génération solitaire, M. Castet,ainsi que M. de Buffon ont invoqué l'admission du

concours de l'homme, comme seul capable de donnerla perfection d'existence, la respiration et la vie.

Si l'on prétendait que, dans le cas de l'existencede ces molécules organiques, elles seraient tout aumoins d'une structure de la plus grande délicatesse

et que leur frêle existence ne pourrait résister auximpressions des sucs dont les viscères sont imprégnés,

on serait bien forcé d'admettre que cette objection

n'est que spécieuse, et qu'elle s'anéantit d'elle-même

par un graud nombre d'observations particulières que

nous fournissent d'ailleurs les plus habiles scrutateurs

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de la nature. On y voit que non seulement des plantes

ont germé et poussé des tiges dans l'estomac de ceux-qui en avaient avalé des graines, mais encore que le

coin de divers insectes et même le frai des grenouillesint donné naissance dans les corps humains, aux ani-

maux qu'ils renfermaient et qui ont été rejetés toutmirants, A quoi d'ailleurs attribuer les veri auxquelsles enfants sont si sujets et surtout cethydre intérieur,

ee ver solitaife que nous rejetons presque tous, plus

ou moins proche du temps de notre pleine puberté, etquelquefois même beaucoup plus tard1.

III

Noiis ne discuterons pas ce surcroît de raisons

et de preuves données par de Sainte-Colombe, nous-nous bornerons à y ajouter un extrait d'un rapportque DOMSIROINHMS dans le Journal desDébatsetlois du pouvoiT législatif et des actes dupou-voirexécutif, du 26.vendémiaire, an XIII.

« M. Dupuytren, chef des travaux anatomiques del'École de médecine, a fait à la Société, au nom d'unecommission composée de MM. Cuvier, Richard, AI-

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phonse Leroy, Baudeloque et Jadelot, un rapport surle fœtus trouvé dans le ventre du jeune Bissieu, deVerneuil (département de l'Eure).

Amédée Bissieu s'était plaint, dès qu'il avait pubalbutier, d'une douleur au côté gauche: ce côté s'é-tait élevé et avait présenté une tumeur, dès les pre-mières années de sa vie. Cependant, ces symptômesavaient persisté sans empêcher le développement phy-sique et moral de cet enfant, et ce n'est qu'à l'âge detreize ans que la fièvre le saisit tout-à-coup. Dès lors,

sa tumeur devint volumineuse et très-douloureuse.Au bout de trois mois, une sorte de phthisie pulmo-naire se manifesta. Peu de temps après, le malade

rendit par les selles un peloton de poils, et, au bout

de six semaines, il mourut dans un état de consomp-tion des plus avancé.

A l'ouverture de son corps, faite par MM. Guérin

et Bertin des Mardelles, on trouva dans une poche

adossée au colon transverse, et communiquant alors

avec lui, quelques pelotons de poils et une masse or-ganisée, ayant plusieurs traits de ressemblance avec

un fœtus humain. Ce premier point établi, il était de

U plus haute importance de déterminer la position de

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la masse organisée et le lieu où elle s'était dévelop-

pée. L'examen des pièces remises à la Société, parM. Blanche, chirurgien à Rouen, ne laisse aucundoute qu'elle ne fût renfermée dans un kyste, situédans le mésocolon transverse, au voisinage de l'intes-tin celan et hors des voies de la digestion. A la vé-rité, ce kyste communiquait avec l'intestin; mais

cette communication était récente et en quelque sorteaccidentelle.

La dissection de cette masse, faite avec un soin

extraordinaire, y a fait découvrir la trace de quelques

organes des sens: un cerveau, une moelle épinière,des nerfs très-volumineux, des muscles dégénérés etune sorte de matière fibreuse; un squelette composéd'une colonne vertébrale, d'une tête, d'un bassin etde l'ébauche de presque tous les membres. L'exis-tence de ces organes suffit certainement pour établirl'indiviùualité de cette masse organisée, quoiqued'ailleurs elle fût dépourvue des organes de la diges-tion, de la respiration, de la secrétion des urines etde la génération; seulement, l'absence d'un grandnombre d'organes nécessaires à l'entretien de la viedoit le faire regarder comme un de ces fœtus mons-

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trueux destinés à périr au moment de leur naissance.Ce fœtus étant hors du canal alimentaire, on né

pouvait pas admettre qu'il eût été introduit dans le

corps du jeune Bissieu après sa naissance. Le sexe dujeune Bissieu, bien constaté par MM. Delzeuze etBiouard, sur l'invitation de M. le préfet de l'Eure,

ne permettait d'ailleurs ni de penser qu'il eût étéfécondé, ni qu'il eût pu se féconder lui-même.

Les faits qui servent de base au rapport condui-saient naturellement à des idées différentes de celles-là : l'indisposition à laquelle le jeune Bissieu étaitsujet depuis son enfance; la nature des symptômesqui la caractérisaient; ceux de la maladie qui lui asuccédé immédiatement, et les faits découverts à l'ou-

verture du corps sont tellement liés qu'il est impos-sible de ne pas voir entre eux une dépendance néces-saire, et de ne pas admettre que ce jeune infortuné

a porté en naissant la cause de la maladie à laquelle il

a succombé au bout de quatorze ans seulement.Mais en admettant que ce fœtus soit contemporain

de l'individu auquel il était attaché, il reste toujours

une grande difficulté à lever, celle de sa situation dansle mésocolon transverse. Il n'est pas rare de voir des

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jumeaux naîtreaccolés par le dos, etc. Une compres-sion plus ou moins forte, exercée par les-organes de la

rn^re sur des embryons extrêmement mous, peut pro-duire ces-monstruosités; dans d'autres cas, les ju-meaux sont tellement identifiés, que les organes sont

communs et servent a la fois à la vie des deux. Dans

le premier cas, la cause est mécanique; daus le se-cond, c'est un vice d'organisation des germes. Dansle cas du jeune Bissieu, ou bien des deux germesd'abord isolés l'un a pénétré l'autre par l'effet dequelque action mécanique, ou bien, par une disposi-tion primitive dont il serait aussi difficile de rendreraison que de tout ce qui a trait à la génération, ils

se sont trouvés entre eux dans les rapports où on les

a vus par la suite.

Ce fœtus a été nourri aussi longtemps qu'a- duréla vie de celui qu'on doit regarder comme son frère;l'absence de toute essence d'altération putride dans

son corps, et la perméabilité de ses organes de la cir-culation ne laissent aucun doute à cet égard; le dé-faut des organes de la digestion ne fournit point uneobjection contre la vie de ce fœtus, puisque ces or-

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ganes, simplement nourris dans les fœtus ordinaires,n'exercent leurs fonctions qu'après la naissance. Mais

cette vie a dû se composer d'un très-petit nombre defonctions, à cause de la structure particulière de cefoetus; les seuls organes de la circulation exerçaientchez lui une action nécessaire à la vie de tous les

autres; ils prenaient et donnaient nécessairement le

sang du mésocolon au fœtus et du fœtus au méso-colon.

La Société de l'École de Médecine a arrêté que le

rapport serait inséré en entier dans le premier vo-lume de ses œuvres, ainsi que les dessins faits surtoutes les parties du corps du fœtus par MM. Cuvier etJadelot. »

Nous laissons au lecteur, bien pénétré de la doc-

trine de Johnson le soin de trouver la véritable expli-

cation de ce phénomène.

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GONGUFFLTUS SINE LUCINA

Optat supremo collocare Sisyphus inmonte saxum.

HORAT.

MONSIEUR,

EN lisant la brochure dont il vous a plu derécréer le public, il y a quelques semaines, j'aiformé le dessein de vous faire part des ré-flexions que j'ai faites, et sur le fond de votreouvrage, et sur la façon dont vous l'avez traité.

N'appréhendez de ma part, MONSIEUR, ni mé-disance, ni jalousie : ces défauts n'entrentpour rien dans mon caractère; c'est l'amitié laplus sincère et la plus vraie, qui me détermine

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àvous écrire, et j'ose me flatter que vous en re-connaitrez les traits dans le cours de cet te lettre.

Quoique l'application que vous avez faite de

vos talents, dans cette occasion, dût m'en don-

ner une idée assez médiocre, je ne peux m'em-pêcher de les admirer; et pour vous prouverà quel point je les respecte, j'avouerai sincè-rement et sans flatterie que je vous en croisde suffisans pour devenir un digne membrede cette Société, que vous vous efforcez detourner en ridicule.

Vous avez, MONSIEUR, traité un sujet glorieux,mais vous avez échoué dans les conséquences

que vous en avez tirées. Vous avez fait briller

auxyeux du public une faible étincelle du degréde lumière, jusqu'auquel la raison et l'expé-rience peuvent être poussées en fait de géné-ration; mais vous avez laissé, pour ainsi dire,à un autre, le soin de donner une forme à

votre projet, de le rendre aussi agréable et ré-créatif, qu'utile et avantageux aux seules per-

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sonnes qui peuvent le mettre à exécution.Après tous vos soins et tous vos travaux, ce

n'est pas nous, mon cher docteur, ce sont lesdames, qui doivent mettre votre nouvelle mé-thode en pratique, et je suis bien aise de vousavertir que, quelque faveur qu'elle prenneparmi les savants, elles l'honoreront toujoursd'un souverain mépris. Elles sont convaincues

que la génération d'un enfant exécutée suivantl'ancien usage, (usage auquel on s'est con-formé jusqu'à ce jour, grâce à la stupidité du

genre humain, et à la privation où l'on a étéd'un aussi grand homme que vous) est indis-pensablement accompagnée de deux circon-stances qui en font la base. La première, del'aveu de toutes, est la merveille du mondela plus digne de leur curiosité; et la seconde,

.vous me dispenserezde vous la détailler; mais

vous m'entendez assez pour conclure que lesdames ne vous choisiront pas pour leur avocat.Auront-elles tort de ne pas applaudir à votre

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projet, et doivent-elles avoir bien de l'obliga-tion à un homme qui a trouvé le moyen deleur interdire la présence du dieu qui fait,

avec raison, le plus cher objet de leur cultedans cette opération, et de ne leur laisser queles désagréments de l'effet sans les faire par-ticiper aux plaisirs de la cause?

Elles ontà peu près, MONSIEUR, de vos zéphirsvoluptueux, destinés à remplir leurs momentsde récréation, la même opinion qu'un auteuraffamé peut avoir du vent de bise qu'il respiredans le Parc, lorsqu'il se sent tout l'appétitqu'on peut désirer pour faire honneur à unexcellent dîner, et que le mauvais succès de sadernière brochure le met hors d'état de s'en

procurer un, même fort frugal. Elles laissent,à ce qu'elles disent, ces ravissements aériens,à des esprits aussi légers que celui qui veut lesmettre en faveur, et elles sont déterminées, si,

par hasard, votre plan était accueilli des supé-rieurs, à mourir vierges, et à renoncer à la

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propagation de l'espèce humainet plutôt quede sacrifier le plus réel de tous les plaisirs à

vos espérances imaginaires.C'était avec un chagrin inexprimable que

j'entendis tous ces raisonnements, à l'assem-blée, chez Madame. J'avais d'abord conçu

pour votre système (tout imparfait qu'il est)l'amour que vous pouvez avoir ressenti vous-même, lorsque vous en avez eu la premièreidée. Mais je trouvais un obstacle insurmon-table à son exécution. Je ne pouvais m'empê-cher de conclure, qu'il nous était impossibled'avoir des enfants, si nous n'avions point demères, et que l'influence de tous vos zéphirsétait inutile, si les femmes s'obstinaient opiniâ-trement à ne point en respirer le souffle proli-fique.

Rempli de toute la mélancolie d'un hommequi voit échouer son projet, je m'en retournaichez moi, le cœur attendri sur votre sort. Centfois je réfléchis sur la gloire que vous auriez

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méritée, si ce système que vous proposez avait

pu être mis en pratique, et cent fois je maudisle sexe féminin, dont le goût invariable pourles plaisirs solides avait fait échouer votre dé-couverte. J'étais dans ma bibliothèque, enproie à ces tristes réflexions, lorsque, pousséd'un mouvement de colère, dont je ne fuspoint le maître, je me levai précipitammentde mon siège, et, donnant un vaillant coup depoing sur les livres qui se trouvèrent à maportée, j'en pris une douzaine, que je lançai

avec fureur dans le feu: Brûlez, leur dis-je,

et subissez le supplice que vous méritez! In-dignes et méprisables productions de l'espritdes hommes, soyez réduites en cendres!. J'al-lais continuer mes apostrophes contre la plu-part des écrits, lorsque j'aperçus que la pre-mière victime, qui, au milieu des flammes dé-

vorantes, présentait son titre à mes yeux, étaitl'ouvrage merveilleux d'un des membres de

notre illustre Société, dans lequel ce savant

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instruit le public d'un nouveau moyen de faireéclore les œufs.

-Tout ce qui portait l'image et le caractèrede génération avait acquis le droit d'affecter

mon esprit. Je me saisis du premier Tase queje trouvai sous ma main, je le répandis surce feu destructeur, et ayant précipitammentsaisiles débris embrasés de ce traité merveil-leux, j'en étendis soigneusement devant moiles feuillets l'un après l'autre, et je fus animéetransporté d'admiration et d'étonnement enlisant dans cet auteur, qu'un certain Diodorede Sicile « qui avait longtemps voyagé chez les

« Egyptiens, pour apprendre leurs secrets,

« avait découvert entr'autres curiosités, qu'ils« possédaient l'art de faire éclore, sans le con-«cours des poules, un si grand nombre de

« poulets, qu'ils les mesuraientet les vendaient

« au boisseau à très-bon compte. »J'avais à peine parcouru une partie de ce

-

livre, qu'une légère étincelle dequelque chose,

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que je ne peux pas bien définir, commença àpétiller dans mon âme: mon cœur palpitait dejoie, en lisant l'éloge qu'il fait des filles deFEnfant Jésus, et la description qu'il donnede l'utilité qu'on pourrait retirer des fours desboulangers et des pâtissiers; mais je sentisredoubler ce transport, lorsqu'il vint à parlerdes tonneaux et du fumier. Je donnai carrièreà mon imagination; je songeai que ce fumier,répandu dans nos campagnes, sert à fairecroître cette nourriture solide qui nous donne

une seconde vie, et, par un effort de raison-nement que bien peu de personnes possèdent,et dont je suis particulièrement redevable ausoin que j'ai de me trouver assidûment àtoutes les assemblées de la Société royale, jeparvins à conclure aussi sûrement que deux etdeux font quatre, qu'un tonneau pouvait par-faitement bien faire les fonctions de la matrice,

et qu'il était aussi facile de faire naître des hom-

mes que des poulets, par le secours du fumier.

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Préparez-vous MONSIEUR, à me suivre dans

mon système, système fondé sur une façon deraisonner trop brillante, pour être contestée

par les ignorants, et que vous conviendrez êtreautant supérieure à la vôtre que, pour me ser-vir des termes d'un fameux auteur, la lumièrel'est à l'obscurité.

Réjouissez-vous, habitantes de la Grande-Bretagne: oubliez pour toujours les Johnson,les Haymarket, etc. Venez à Cold-Bath-fields :demandez hardiment Richard Roë, et vousverrez un homme dont l'intention est de vousdispenser des inconvénients de la grossesse,et des douleurs de l'enfantement. C'est là quele plaisir revêtu de tous les traits de la réa-lité(et non pas un amusement frivole, l'ombred'un, bonheur imparfait), sera mis en usagepour satisfaire vos désirs; vous y verrez lesbosquets plantés de cet arbuste prolifique, dontles. dimensions et lespropriétés ont été si élé-gamment décrites dans un mémoire présenté

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il y a quelques années à notre Société. C'est là.

que l'Arbre de Vie fleurit éternellement; c'estlà que sans la moindre inquiétude sur votreréputation vous pouvez déposer le fruit indis-cret de vos plaisirs, sinon aussi agréablementdu moins aussi aisément que vous en avezreçu le principe; c'est chez moi que vous pou-vez jouir sans restriction du souverain bien, etcesser de souiller vos âmes du péché d'homi-cide, pour me servir du terme que le docteurShort a employé, pour caractériser les précau-tions criminelles que vous exigez de la plupartde vos amants.

C'est, en un mot, dans ma maison, que voustrouverez la solution de ce fameux problèmed'Erasme, adressé tant de fois à la divinité ter-restre qui chérit le premier point de cette opé-ration, aussi souverainement qu'elle en détestele second.

Ne rougissez point ôB.si l'utinam exirettam facile quam iniisset de cet auteur (en

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parlant de l'enfant dont la femme d'un ministreétait enceinte), a été pour vous un paradoxeinexplicable; c'était à moi qu'il était réservé de

mettre en pratique une chose que cet auteuravait regardée comme le souhait d'une imagi-nation déréglée. En un mot, MONSIEUR, j'ai dé-

couvert une méthode par laquelle ce petit em-bryon, qui existe en conséquence du plus sen-sible de tous les ravissements, peut sortir aussisainement et aussi aisément de ce cachot téné-breux, que le souffle amoureux de vos zéphyrspeut y pénétrer.

Rempli de la réussite certaine de mon pro-jet, et frappé de l'idée des avantages qui de-vaient en résulter pour ma patrie, je quittaimon logement de ville, et je me retirai dans

un quartier où les loyers sont à beaucoupmeilleur compte: je fis aplanir un terrain

assez spacieux, que je fis entourer de murailles,et je disposai de côté et d'autre des fours, ouplutôt des matrices artificielles, dont l'usage de-

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vait être de recevoir cette charge précieuse queles faveurs de l'amour accompagnent, et qui de-vait par conséquent rendre aux dames cet étatd'innocence dont elles jouissaient avant qu'elles

se fussent exposées à avoir besoin de mes con-seils. Pour m'expliquer en termes plus intel-ligibles, je disposai dans les allées de mon jar-din des couches de fumier, j'y ajustai des ba-rils, des tonneaux, des poinçons, des pipes etdes foudres; des récipiens, en un mot, de

toutes grandeurs, afin d'en avoir de propor-tionnés aux différentes tailles de mes cha-landes. Je plaçai dans chacune de ces étuves

un panier rempli de coton, et j'y suspendis unthermomètre pour m'assurer du degré de cha-leur nécessaire à mon opération. Je fis, àl'exemple du savant auteur de ce Traité, plu-sieurs trous ou registres, au couvercle de cesfours, je les garnis chacun de leurs bouchons,

jafin dy pouvoir faire entrer ou sortir l'air ex-térieur ou intérieur, et y conserver toujours

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par ce moyen un degré de chaleur égal à

celui du corps humain. Après une exacteobservation (que je fis dans la maison de Ma-

dame Douglas, en présence de plusieurs de

mes confrères) de la chaleur des parties des-tinées à la formation du fœtus, en y introdui-sant la balle de mon thermomètre, je trouvaiqu'elle était de trente-cinq degrés et un sei-zième; d'où je conclus que ce grand homme,

en prescrivant de mettre sous l'aisselle la balledu thermomètre ne connaissait pas la partie lapluschaude du corps humain, et qu'unefemme,quelque variation qu'il puisse y avoir dans los

tempéraments, est au moins de trois degrésplus chaude qu'une poule.

* C'est à vous, mon cher docteur, et à ce cé-lèbre académicien, que j'ai l'obligation d'avoir

su préparer, pour les fœtus, des fours conve-nables, où le degré de chaleur fût égal à celuiqui se fait sentir dans le lieu qu'ils ont cou-tume d'occuper. Je composai de plus une li-

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queur, analeptico-alexipharmaco-cor-diaco-nutritive, pour leur servir d'aliment,après qu'ils auraient été déposés dans mesétuves. J'imaginais qu'il ne me restait plus,après ces précautions, aucune appréhension

sur la réussite de mon système, quand il mevint dans l'esprit que j'avais encore à aplanirla principale difficulté, qui fait le malheur detoutes les filles qui suivent malheureusementles mouvements de la nature; je veux dire qu'il

me restait à trouver un moyen de faire déloger

ces petits embryons de leur séjour ordinaire.Je me rappelai que, dans le temps que j'étu-

diais à Oxford, la fille de mon tailleur étant ve-

nue m'apporter une robe de chambre, il s'étaitpassé entre nous une petite aventure, dont lessuites malheureuses prouvèrent indubitable-ment qu'un de ces petits embryons s'était nichédans un endroit d'où tous les secrets de médecine

que je possédaisnepurent le faire déloger qu'aubout de neuf mois, que cette ouvrière mit au

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monde unepetite fille, quej'ai été obligé defaireéleverà mes frais et dépens. Le souvenir de cettefâcheuse catastrophe m'interrompit au milieudémon travail: je sentis que mes matrices et

mes fours devenaient absolument inutiles, si je

ne trouvais pas un moyen de faire sortir cespetits embryons des habitations que la natureleur a assignées.

Lorsque quelque difficulté m'arrête en tra-vaillant, mon habitude est de m'enfermer dans

mon cabinet. Je sais qu'il est des savants qui,

en pareil cas, se contentent de faire deux outrois pirouettes, de prendre du tabac ou desiffler un air, mais j'avouerai que cette recettene m'a jamais été favorable; j'eus recours àmon ancienne façon d'agir, je me retirai dans

mon laboratoire, et m'étant assis dans monfauteuil, je me mis à rêver et à tâcher d'ima-giner un moyen de remédier à l'inconvénientqui suspendait l'accomplissement de mon pro-jet; je fis des efforts de mémoire incroyables,

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pour me rappeler si aucun auteur ancien oumoderne avait écrit quelque chose de relatifà ce sujet; enfin après bien des tourments,mes yeux se fixèrent sur un vieux in-douze,

sur le dos duquel le libraire, attentif et mé-nager, avait écrit sur un petit morceau depapier: Traité des pierres précieusespar Boëtius Ah! mon cher Boëtius, m'é-criai-je avec transport, que je donnerais volon-tiers une partie de mes richesses, si tu pouvaiséclaircir la difficulté qui m'arrête, hélas!.J'étais si fort livré à la mélancolie de mes ré-flexions, que je ne m'étais pas aperçu qu'aumoment de mon exclamation le livre de ce bonHollandais avait quitté sa place et était venus'ouvrir à mes pieds.

Il fallait un événement aussi merveilleux

1 Nom latinisé d'Anselme de Boot, qui, écrivant aucommencement du dix-septième siècle, n'était pas en-core débarrassé des préjugés qui durent encore au sujetde quelques pierres précieuses.

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pour suspendre le chagrin qui me dévorait; etquoique je n'eusse pas le moindre espoir detrouverlemoyen de faire accoucher les femmes,dans un livre qui ne traite que des pierresprécieuses, mes yeux s'occupèrent à parcourirla page qui s'était présentée à l'ouverture dulivre, et se fixèrent sur un chapitre, en tête du-

quel jelus le mot:aëtites f.Après beaucoup de verbiage et de prolixité,

l'auteur passe aux vertus et à l'usage de cefameux minéral qui n'est autre chose que lapierre d'aigle, généralement connue partoutes les vieilles femmes de la terre. Après

une énumération de toutes ses propriétés,

comme de faire disparaître les esprits, guérirle mal de dents, faire trouver les trésors, etc.,je parvins à un article dans lequel l'auteurnous apprend, d'après l'expérience qu'il en a

t L'aëtite ou pierre d'aigle est un tritoxyde de fersans vertus.

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faite, que si une femme enceinte la porte à sonbras,, elle n'aura jamais de fausses couches;que si, au contraire, elle l'attache à sa jambe, ouà telle autre partie du corps inférieure au siègede la conception, le fœtus, de tel âge, danstelle circonstance qu'il puisse être, sortira im-médiatement du ventre de sa mère.

Je me serais fait un scrupule d'ajoutermoins de foi à la seconde qu'à la premièrepartie de ce récit miraculeux. J'envoyai enconséquence chercher chez tous les joailliers, à

quelque prix que ce fut, toutes les pierresd'aigle qu'ils pouvaient avoir; j'en trouvaiheureusement une quantité suffisante pour lesbesoins actuels de mes pratiques, et pour at-tendre le retour des courriers que j'avais dé-

pêchés dans les pays étrangers, afin de m'en

procurer un plus grand nombre.Ce fut huit jours après la lecture de votre

livre, MONSIEUR, que je me vis absolumentétabli dans ma nouvelle habitation : mon jar-

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din était préparé, mes matrices artificiellesétaient disposées, mes pierres étaient en état;je n'attendais, en un mot, que le moment fa-vorable pour faire ma première épreuve.

Le lendemain je fis publier que toutes lesdames qui voudraient jouir du plaisir quecause ordinairement la façon d'un enfant, sansque leur honneur, ou du moins leur réputa-tion (ce qui est synonyme dans ce siècle), en-courût le moindre risque, n'avaient qu'à serendre chez moi, et qu'elles pouvaient êtresûres d'être délivrées du fruit de leurs amuse-ments, au bout de sept jours et trois heures,

sans douleur et sans danger, même sans qu'el-les s'en aperçussent.

Vous, vous imaginez aisément que je ne man-quai pas de visites. J'avais fixé le lendemaindu jour de ma publication, pour procurer auxdames cette satisfaction, et je n'étais pas en-core levé, quoique je sois assez matinal, quema salle et mon cabinet étaient remplis de

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femmes du voisinage, depuis l'âge de quatorze

ans jusqu'à soixante.Malgré le plaisir que me causa cette affluence

de dames occasionnée, sans doute, par une fer-

veur de zèle pour la propagation de l'espèce,jefus obligé, à mon grand regret, d'en renvoyerla plus grande partie, en les avertissant quelorsqu'elles reviendraient, elles eussent labontéd'ameneravec ellesleurs galants. Je ne réservai

pour subir ma première épreuve, qu'une jeunefille de l'âge de seize ans. Après quelques diffi-cultés, qui (ainsi que l'ont remarqué les plusgrands philosophes, etprincipalement M. De.)accompagnent indispensablement les premiè-

res expériences, je crus pouvoir me flatter quemon sujet était dans l'état que je désirais,

pour voir la preuve de mon système.Je la gardai pendant sept jours et trois heu-

res; (ce n'est pas que cet intervalle de tempssoit absolument nécessaire; quelques jours ouquelques semaines de plus, ne font pas le

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moindre changement, et l'expérience réussiratoujours, depuis le moment de la conceptionjusqu'au neuvième mois). A l'expiration de ceterme, je la menai dans mon jardin, et aprèsavoir préparé un de mes plus petits fours, danslequel, au moyen du fumier dont je l'entourai,j'introduisis le degré requis de chaleur, detrente-cinq degrés et un seizième, je pris unede mes pierres d'aigle que je lui attachai

avec un ruban, au-dessus de la cheville dupied.

Ainsi disposée pour ce grand œuvre, je la fis

entrer dans l'étuve, et je la plaçai verticale-ment sur le panier rempli de coton, qui de-vait recevoir l'enfant dont elle était enceinte.

Représentez-vous, maintenant, mon cherdocteur, avec quelle impatience j'attendais lafin de mon opération; mais redoublez je vousprie, votre attention; je n'avais pas encoreachevé deux tours de promenade, et mon espritinquiet travaillait encore à comprendre com-

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mentce miracle pouvait s'accomplir, que j'aper-çus ma jeune écolière bondissant, pour ainsidire, de l'excès du plaisir dont elle était saisie,qui me prenant par la main, me dit avec untransport qui égalait à peine celuiquejeressen-tais: C'en est fait,. mon cher ami, c'en estfait,. je suis accouchée.

Que l'on imagine (si cela est possible) lajoie dont je fus transporté à cette nouvelle.Je proférai mille actions de grâces en l'hon-

neur du vénérable Hollandais, dont les lumiè-

res avaient aplani mes difficultés, je fis moncompliment à la demoiselle, de ce qu'elle ve-nait de recouvrer l'état dontelle jouissaitavant

son entrée dans ma maison, et je volai vers lefour qu'elle venait de quitter: une faible voix

que je crus entendre sortir de l'étuve, et qui

en sortait effectivement, suspendit un moment

ma course. J'arrivai cependant, et mettant latête dans le tonneau, je vis, la postérité le

croira-t-elle? un petit garçon, bondissant sur

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le lit de duvet que je lui avais préparé; je fer-mai aussitôt le four, et courant promptementchercher chez moi un bassin rempli de l'ana-leptic que j'avais composé, j'y plongeai l'en-fant qui venait de naître.

Soit qu'il faille que le fœtus respire conti-nuellement, lorsqu'une fois il a commencé àle faire, soit que le conduit de la respiration

ne fût pas ouvert à celui qui venait d'éclore,dans un temps où, suivant les meilleurs au-teurs, il aurait dû l'être, j'eus le chagrin devoir noyer, en peu de secondes, mon fils uni-

que et mon héritier.Comme M. De. nous dit, que l'on ne doit

jamais se flatter de réussir dans les premièresépreuves que l'on fait d'une matière aussidélicate, je supportai la mort de mon enfantavec une constance vraiment philosophique, etl'espérance de la voir bientôt réparée, par lanaissance d'une infinité d'autres contribuabeaucoup à m'en consoler.

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Je donnai un second avis public, par lequelje fis savoir que les dames pouvaient serendre le lendemain, chez moi, pour essayerles fours les mieux proportionnés à leur taille,et travailler ensuite à la propagation du genrehumain, pourvu qu'elles se ressouvinssentponctuellement du quart d'heure, afin que jepusse calculer le terme de leur accouchement,et faire mes préparatifs en conséquence. ,

J'avais pris la précaution, avant d'affichercette invitation générale, de disposer trente-cinq étuves, capables, chacune, de recevoir de-puis cent jusqu'à cent cinquante embryons;malgré cette attention, le nombre des damesqui me firent l'honneur de me venir voir futsi considérable, qu'après en avoir laissé entrerpendant deux hèures, je fus obligé de refermer

ma porte, de crier par la fenêtre que ma mai-

son était pleine et qu'il m'était impossibled'en recevoir d'avantage.

Comme mon dessein était de suivre en tous

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points l'exemple de mon maître M. De. je meproposai de tenir une note exacte du jour dela formation de ces petits embryons, et, lors-qu'ils seraient éclos, d'en écrire soigneusementla date sur la partie la plus charnue de leurs

corps, afin de m'assurer du moment où ils se-raient parvenus au terme de neuf mois, et oùils pourraient par conséquent abandonner lesfours. Je fis savoir que toutes les dames quivoudraient se divertir chez elles, et m'envoyerexactement leurs noms, les circonstances,l'heure et le moment de leurs plaisirs, seraientégalement reçues chez moi au temps préfixe,et qu'elles y jouiraient des mêmes priviléges

que celles que je m'étais déterminé à garderdans ma maison, jusqu'au terme de leur ac-couchement.

Le nom des personnes m'était absolumentnécessaire à plusieurs égards; je craignais ce-pendant qu'on ne voulût pas y souscrire, etj'envisageais ce refus comme un très-grand

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obstacle à l'exécution de mon système. J'avaisgrand tort, et je demande mille pardons auxfemmes de mon pays de les avoir soupçonnéeid'une qualité qui n'est plus absolument demode, je veux dire de modestie. Je reçus unsi grand nombre de notes qu'on ne pouvaitsuffire à les enregistrer, et queje me vis forcé,

au bout de quarante heures, d'avertir qu'ilm'était impossible de faire honneur à un plus'grand nombre de billets, et queles dames quis'exposeraient jusqu'à nouvel ordre, agiraientà leurs risques, périls et fortunes.

Je m'enfermai chez moi, et je me livrai toutentier à l'étude des moyens de perfectionner

ma découverte, jusqu'à l'expiration du termeprescrit pour commencer mes expériences avecles dames que j'avais dans ma maison. Je vi-sitai tous les jours mes matrices artificielles,

etj'eus grand soin d'y entretenir le même degréde chaleur, soit en ouvrant ou fermant lesregistres, soit en étant ou ajoutant du fumier.

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Enfin le moment si ardemment désiré ar-riva: je fis passer mes pensionnaires dans

mon jardin, et dans l'Espace d'une heure, ellesMrenl toutes heureusement délivrées du fruitde leurs récréations; elles prirent congé demoi après de grands remerciements, et desprières instantes de leur faire savoir le jourauquel j. voudrais bien leur accorder de nou-veau l'entrée de ma maison.

Les dames externes, qui avaient pris date

pour les deux jours suivants, furent exactes

au rendez-vous et elles trouvèrent, toutes, lemême soulagement à leurs inquiétudes. En unmot,l'accouchement général fut si heureux, queje me trouvai, en trois jours, à la tête d'unearmée de plus de trois mille embryons. Je megardai bien de les plonger dans monana-leptic; la fatale expérience que j'en avais faite

sur mon fils ne m'avait malheureusement quetrop instruit sur ce sujet.

L'heureux succès que je venais d'éprouver

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en donnant l'être à un si grand nombre depetits hommes et de petites femmes, concou-rait à me persuader qu'il était possible de trou-ver un moyen de les faire parvenir jusqu'auterme de neuf mois, et que cette réussite dé-pendait de la composition ou de l'applicationd'une liqueur qui put leur servir de nourriture;c'est ce qui, dès ce moment, fit l'objet prin-cipal de mes recherches et de mes travaux.

Cependant, malgré cette persuasion, qui pou-vait être regardée comme fondée, je ne né-gligeai rien, et je fis diverses expériences

pour tâcher de parvenir par une autre voie, sicela était possible, à la perfection de ma dé-couverte. J'observai pour chaque étuve parti-culière une conduite différente, afin que sil'une venait à manquer et l'autre à réussir, jepusse constater une façon de les gouverner.J'ajoutai du fumier à l'une, j'en ôtai à l'autre,je couvris celle-ci d'une couverture, afin d'em-pêcher l'air extérieur d'y pénétrer; je laissai

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celle-là découverte, afin qu'elle y fût conti-nuellement exposée. Dans certains fours j'ou-vris tous les registres, dans d'autres je les fer-mai, Mais, hélas! est-il possible de songer à

tout dans un coup d'essai? Non sans doute, et

pour imiter la sincérité de notre grand maîtreHippocrate, qui, après un long détail de lamanière dont il traita une maladie, confesse

ingénuement que le malade en mourut, jedois, malgré le chagrin que j'en ressens encore,convenir ici, de bonne foi, que toutes mes es-pérances furent renversées par la mort suc-cessive de tous mes embryons : les unspérirent de l'excès du froid, les autres deJ'excès du chaud; le défaut d'air en étouffaplusieurs; sa trop grande abondance en fitmourir un aussi grand nombre; en un mot,de trois mille fœtus que je possédais, il me futimpossible d'en faire vivre un plus de quatrejours.

Je viens, MONSIEUR, de vous faire un exposé

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véridique de l'état où en est ce grand teuvre,et je suis persuadé que vous convenez inté-rieurement qu'il est possible de le conduire à

sa perfection, et detrouver un moyen d'élever

ces fœlus jusqu'au moment auquel on peut lesremettre entre les mains des nourrices.

Permettez-moi, maintenant, de vousdeman--t..der ce que vous pensez de l'obligation que doitm'avoir le monde entier pour une pareilledécouverte? De quelle récompense assez con-sidérable ma patrie peut-elle payer un secretqui va la rendre la plus riche et la plus puis-sante nation de l'Univers? Mon ambition ce-pendant sera satisfaite, quant à présent, sil'on veut m'accorder une souscription volon-taire parmi les dames, pour l'établissement de

mes nouveaux fours, et des patentes qui m'enassurent le revenu pendant quatre-vingt-dix-neuf ans, aux conditions que dans vingt et unans de leur date, je m'engage à fournir annuel-lement cent cinquante mille hommes en état

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de porter les armes et de défendre mon roi et

ma patrie.Laissons, MONSIEUR, aux Français le soin de

faire éclore des poulets, et travaillons à fairenaître des hommes. Quel est l'ennemi qui

pourra nous résister, lorsqu'un seul jardinsuffira pour mettre sur pied des armées con-sidérables? Que sont, en comparaison de monsystème, les différents plans de ces cerveauxbrûlés, qui nous étourdissent depuis vingt ansde leurs projets pour acquitter les dettes na-tionales ? Que ma découverte soit encouragée

comme elle le mérite, et il ne sera questionni d'inventer de nouveaux impôts ni de réduireles intérêts des emprunts publics.

La richesse d'un royaume consiste sans con-tredit dans le nombre de ses habitants; parconséquent, si la proposition qu'avance un de

mes compatriotes est vraie, c'est-à-dire, si toutsujet mâle existant rapporte au roi dix guinées

par an, combien de millions ne vais-je point

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mettre dans les coffres de ma patrie, par laquantité innombrable de citoyens dont je vaisla peupler?

Heureux le pays dans lequel est né RichardRoë; mais plus heureux encore Richard Roë,d'être né dans un pays qui mérite, à un si justetitre, un aussi grand bonheur! Je sais, moncher docteur, que vous et moi nous vivonsdans un siècle où l'usage est d'établir la théorie,et de forcer ensuite la pratique à y correspon-dre; mais moi, qui crois pouvoir, avec raison,

me distinguer du reste des hommes, je veuxêtre le fondateur d'une nouvelle méthode dephilosopher et, maintenant que j'ai fermementconstaté le fait, je vais en établir la théorie.

On m'objectera peut-être que mon système

ne tend à rien moins qu'à produire des enfants,et comment est-il possible, s'écriera le public,qu'un homme puisse produire son semblable?C'est une question à laquelle une jeune fille

de dix-neuf ans aurait bientôt répondu; mais

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ce n'est pas ce dont il s'agit maintenant: je

ne crée pas plus des hommes que M. De necrée des poulets; notre intention oommune estseulement de les faire naître et de les éleverjusqu'à un certain âge.

- Mais je suppose que mon but soit d'en pro-duire : où sont les raisons qui m'en démon-trent l'impossibilité? Les enfants sont du nom-bre des productions de la nature, pourquoidonc ne serait-il pas possible de faire ses fonc-tions dans une de ses productions aussi bien

que dans une autre. Combien de certitudesn'avons-nous pas aujourd'hui que l'on peutfaire de l'or, et combien de preuves avons-nousqu'on est parvenu à en faire! Il n'est pas dou-teux que l'on parviendraif égalementà produireles autres métaux, si l'on voulait s'y appliquer,

ou si le bénéfice qu'on en retirerait était suffi-

sant pour dédommager des peines qu'on auraitprises pour y réussir.

Des minéraux passons aux végétaux; pour-

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quoi ne serait-il pas aussi aisé de produire unenfant de son principe, dans un tonneau oudans un four, qu'il est facile de faire revivrede leurs cendres un lys ou une tulipe dans unrécipient.

Il est vrai que ces plantes ressuscitées n'ont

pas une plus longue durée que n'en ont eumalheureusement mes embryons, et qu'ellesretournent en cendres, aussitôt que l'air les afrappées; mais peut-être que le secret de lesrendre durables et celui de conserver mes pe-tits hommes, seront découverts en mêmetemps.

Si l'on veut se donner la peine de lire nosTransactions philosophiques, ouvrageauquel ce serait un aussi grand crime de ne pasajouter foi, que de révoquer en doute le con-tenu d'un livre que, par respect nous ne nom-mons jamais dans nos assemblées, on y trou-vera le détail d'un moyen de produire des

oranges aussi douces et aussi sucrées que celles

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que l'on va chercher dans les pays étrangers.Le profond génie auquel nous sommes re-

devables de cet art merveilleux nous assurel'avoir non-seulement inventé, mais mêmeéprouvé quelquefois.

Il ne faut, pour y parvenir, que mettredans une bouteille d'huile d'amandes doucesquelques fleurs d'orangers, les y laisser dis-soudre, et fermer ensuite la bouteille jusqu'àla saison suivante: alors on verra dans la bou-teille quantité de fleurs s'épanouir, se nouer,et produire enfin des oranges d'un goût et d'unparfum délicieux.

Mais c'est assez parler des productions in-animées : disons quelque chose des êtres vi-vants.

Tout l'univers a entendu parler de ce Fran-çais qui produisait des insectes, des minérauxet des végétaux, dans un peu de terre qu'ilavait séparée d'une eau distillée.

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Le fameux Kenelm Digby produisait desécrevisses, et il en fournissait journellement

sa table.Le grand Paracelse, dont les écrits ont au

moins autant de réputation que nos Transac-tions philosophiques, nous assure avoirfait plusieurs fois, dans une bouteille chimique,

une figure humaine qui remuait, qui parlaitet qui raisonnaitt.

Si Paracelse a opéré ce prodige sans le se-cours d'aucune matrice, à combien plus forteraison mon système doit-il paraître praticableà tout homme qui réfléchit, puisque je me sersd'un récipient qui, moyennant mes prépara-tions, fait les fonctions de celui de la femme,et que j'y dépose un fardeau qu'elles n'aurontplus l'incommodité de porter, que pendant latrente-cinquième partie du temps ordinaire.

1 C'est l'homunculus retrouvé par Wagner, le fa-mulus du docteur Faust.

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Mais, sans avoir recours aux chimistes et auxphilosophes, l'histoire nous fournit plusieursexemples qui concourent à confirmer la soli-dité de ma découverte.

Par quel moyen Bacchus est-il parvenu del'état d'embryon au terme ordinaire, si cen'est par l'effet de ceux dont je viens de don-ner le détail ?

Ç'aurait été un anachronisme grossier d'in;troduire l'usage des tonneaux dans le monde,avant que le Dieu du vin eût existé; aussi lehéros qui le conserva fût-il obligé d'avoir re-cours à la ruse dont s'est servi un voyageur,pour cacher un diamant qui avait été dérobé:il se fit une incision à la cuisse dans laquelle ille recéla.

On sait que l'usage des poëtes est de donnertoujours un air de prodige aux événements lesplus simples; mais, sans nous arrêter aux or-nements de la fiction, rapportons l'histoiretelle qu'elle est.

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Il régnait jadis en Crète un certain Jupiter,qui était, sans contredit, le plus débauché de

son royaume. Dans le nombre des dames quivenaient faire leur cour à la reine, il jeta les

yeux sur une brune fort piquante nommée Sé-mélé, qui était la fille d'un vieux officier de

son armée. Son rang lui facilita bientôt les

moyens de s'introduire auprès d'elle, et d'enobtenir des faveurs qu'on refuse rarement à

son roi; mais, comme c'était un libertin déter-miné, il avait à peine chaussé l'individu deBacchus qu'il abandonna sa conquête et voladans les bras d'une autre femme, qui lui joua

un fort vilain tour, et qui paya d'un retourtrès-cuisant les soins qu'il lui rendit pendantplusieurs jours.

Jupiter ne fut éclairci sur son infortune quelorsqu'il en eut communiqué les fruits amersà la reine son épouse.

Par un bonheur singulier, le roi n'avaitpoint eu, depuis cet accident, d'entrevues sé-

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rieuses avec Sémélé, et il ne lui avait rendu

que quelques visites de bienséance, par rap-port à l'enfant dont elle était enceinte.

Junon, dans la résolution de se venger desdouleurs qu'elle souffrait, prit le parti de sedéguiser, de parcourir son royaume, pour tâ-cher de découvrir la femme qui avait fait cefuneste présent à son mari. Elle se rendit chezSémélé; mais, à l'ingénuitéde sa conversation,elle reconnut aisément qu'elle était non-seule-ment innocente sur la cause de son désespoir,mais même que Jupiter ne lui avait point faitpart de la maladie dont il était atteint.

Cependant, comme elle savait qu'il n'y avait

pas longtemps que Jupiter l'était venue voir,elle fut si piquée de ce qu'il avait respecté sasanté, qu'elle forma sur-le-champ le desseinde l'associer à son malheur; elle entra dans ungrand délail sur les qualités de son mari, fitl'éloge avantageux de son mérite, de ses ta-lents, de sa vigueur et des agréments de sa

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personne. « Ma chère demoiselle, lui dit-elle,je connais Jupiter mieux que vous ne pensez;je vous veux du bien, et je ne puis m'empê-cher de vous donner un bon avis : je vois qu'ils'est contenté auprès de vous d'un badinage

assez superficiel; tâchez de l'engager à voustraiter de la même façon dont je sais qu'il enuse avec sa femme, et je vous garantis desplaisirs dont son amour ne vous a donné jus-qu'à présent qu'une idée très-imparfaite. »Sémélé, jeune, curieuse, et qui avait d'ailleursune inclination décidée pour le plaisir, fit sesréflexions sur les conseils qu'on venait de luidonner; elle se ressouvint qu'effectivement de-puis plusieurs jours son amant la traitait avecbeaucoup d'indifférence. A la première visitequ'elle en reçut, elle lui fit innocemment milleagaceries, pour éprouver si tout ce qu'on luiavait dit était vrai. Jupiter, se voyant ainsi pré-

venu, s'étourdit insensiblement sur les re-mords qui auraient dû le retenir, et, cédant

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enfin à l'attrait du plaisir qui lui était offert

de si bonne grâce, il se précipita dans les brasde sa maîtresse, et lui fit part de toute la vo-lupté dont on avait flatté son imagination, ains i

que de toute la subtilité du poison dont il étaitenrichi.

Un libertin honnête homme fait rarementd'affront de cette espèce à une femme, sans enavoir un sincère repentir. Jupiter devint mé-lancolique, et craignant pour la santé de Sé-mélé, comme pour celle de l'enfant dont elleétait enceinte, il la mit entre les mains d'uncertain Apollon, médecin à la mode de cetemps-là, qui, pour préserver Bacchus de cevenin contagieux, le fit sortir aussitôt du seinde sa mère. L'histoire ne nous dit pas si ce fut

avec la main, ou parle moyend'une pierre d'ai-gle, que l'opération fut faite; elle nous apprendseulement que Jupiter le renferma dans sacuisse, et qu'à l'expiration du terme ordinaire,il mit au monde ce Dieu de la gaîlé qui, par

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son amour pour les femmes, pour le Tin etpour la guerre, peut servir de modèle à tonsnos héros modernes.

On m'objectera peut-être que, lorsque Bac-chus subit cette transmigration, il était déjàâgé de cinq ou six mois, et que par conséquent,cette expériencene peut rien prouver en faveurde la mienne. Pour faire taire la critique, je vaisrapporter l'histoire d'Erichton, roi d'Athènes.

Il est absolument hors de doute que ceprince n'a jamais exité plus d'une demi-minutedans le ventre de sa mère, si même il est bienprouvé qu'il y ait existé. Voici l'histoire tellequ'elle est.

Une fille de ce temps-là, nommé Pallas, quiavait une inclination extraordinaire pour la

guerre, fut trouver un armurier boiteux de saconnaissance, et le pria de vouloir lui faire unearmure. L'ouvrier le lui promit, mais aux con-ditions que pour arrhes elle lui accorderaitcertaines faveurs: la belle y consentit, et il

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s'était à peine écoulé une demi-minute depuisla consommation du marché, qu'elle se res-souvint avoir fait vœu de chasteté. Que fit-elle? Elle délogea sur-le-champ le petit Erich-ton et, à l'imitation de Jupiter son père, ellele porta dans sa cuisse pendant neuf mois, àl'expiration desquels elle mit au monde cehéros, à qui l'univers est redevable de l'inven-tion des fiacres.

J'en appelle maintenant, MONSIEUR, à tousmes confrères, à vous même, et je demande sije n'ai pas suffisamment démontré le ridiculeet les inconvénients de votre système, et, si aucontraire, je n'ai pas fermement établi par des

preuves tirées de la raison, de l'expérience etde l'histoire, que le mien est sans comparaisonbeaucoup mieux imaginé, et pour l'utilité del'univers en général, et pour la satisfaction desdames en particulier.

Il me reste maintenant à vous détrompersur l'honorable Société dont j'ai l'honneur

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d'être, et dans laquelle je suis prêt à signer

que vous méritez d'être admis.La mauvaise opinion que vous en avez ne

vient que de l'ignorance où vous êtes de la na-ture de notre institution; et cette ignorance,permettez-moi de vous le dire, MONSIEUR, estinexcusable dans un homme de votre mérite.Ayez la bonté de nous rendre une visite, et

vous verrez que, pour peu que l'on ait degoût pour le plaisir de faire des brochures, lesystème entier de l'univers ne peut pas enfournir d'occasions et de sujets plus favorables

que nos assemblées.C'est nous, MONSIEUR, qui avons prouvé des

choses. que personne, excepté nous, n'au-rait jamais imaginé avoir besoin de preuves.Je pourrais, pour vous en convaincre, vousrapporter ici les utiles dissertations que nousavons faites sur la chaleur du feu, sur les in-sectes, sur la différence qu'il y a entre l'herbeet le foin, etc. Mais comme ce serait vouloir

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faire un volume de cette lettre, j'aime mieux

vous renvoyer à l'original, et je vous prie devouloir bien vous donner la peine de lire nosTransactions philosophiques.

J'ai l'honneur d'être, avec le désir le plussincère de vous voir de notre société,

MONSIEUR,

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TABLE

ERRATUM

Introduction, p. v, Gogueuot des Mousseaux,lisez : GougenotdesMousseaux.

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