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23 Éco-Emploi LUNDI 9 JANVIER 2017 Changement organisationnel : attention aux émotions ! U ne lecture dans les émotions suscitées chez les collabo- rateurs par un changement organisationnel peut être riche en enseignements. Comprendre les si- gnaux et mesurer leurs conséquences conditionneront la réussite du pro- cessus. La psychologue Mounia Nait Sibaha indique dans ce sens que «le changement peut exercer une fonction de catalyseur sur des pro- blèmes latents pour les mettre au jour, voire les exacerber. Ignorer ces problèmes serait une grande prise de risque de la part des agents du changement». C’est ainsi qu’elle met en garde contre «cette ignorance qui peut faire naître chez les collabora- teurs le sentiment que leurs besoins et leurs émotions ne sont pas entendus et, par conséquent, dégrader leur mo- tivation et leur loyauté envers l'en- treprise». En effet, comme le souligne Maria Ouazzani, responsable du Pôle d’ac- compagnement psychologique et so- cial du cabinet Psya, un changement entraine des réactions au niveau in- dividuel et collectif qui peuvent être souvent négligées par le manage- ment et les dirigeants d’une entre- prise alors même qu’ils sont ceux qui paradoxalement portent le processus de changement auprès de leurs col- laborateurs. À ce titre, les représen- tants d’une organisation «doivent avoir conscience de l’impact éventuel d’un changement sur les personnes qui la composent et d’en prévenir au maximum les effets délétères», prévient-elle. Les émotions, l'autrement dit ! La difficulté émotionnelle liée au changement peut s’exprimer de dif- férentes manières, notamment à tra- vers des sentiments d’incertitude, de stress, de mal-être, d’anxiété, de mé- fiance, d’indignation, de pessimisme, d’irritabilité ou encore de peur. Maria Ouazzani explique que l’organisation protège les individus par le biais de règles relationnelles qui la régissent, mais aussi par le sentiment d’appar- tenance à une communauté qui gé- nère un sentiment de solidarité, de sécurité et de partage. Le collaborateur développe alors un Management Le changement et les émotions sont étroitement liés : tous deux font par- tie intégrante de la vie des entre- prises. Le changement arrive inva- riablement avec son lot de difficultés et d’émotions négatives, mais aussi d’opportunités et d’émotions posi- tives. Et s’il est souvent mal accueilli par les collaborateurs, c’est que le management n’a pas su convaincre, rassurer et donner confiance en sa politique de changement à travers une communication claire et trans- parente. Les experts l’ont pourtant dit et redit : «réussir la gestion du changement organisationnel doit passer par une gestion réussie des émotions». Quand le changement organisation- nel est perçu comme im- posé par l'em- ployeur, les collaborateurs développent des senti- ments de colère et de peur, voire de trahison. Maria Ouazzani, responsable du Pôle d’accompagnement psychologique et social du cabinet Psya «Sur le plan individuel, l’impact du change- ment peut s’exprimer de différentes manières, en fonction des personnes, et peut relever aussi bien de la sphère cognitive (problèmes de mé- morisation, de concentration, prise de déci- sion...), physique (maux de tête, troubles du sommeil, malaises, maux de dos, problèmes der- matologiques, troubles digestifs, palpitations, somatisation...), comportementale (conduites à risque, addictions, agressivité, repli sur soi, surinvestissement, changement brutal de com- portement...) ou émotionnelle (sentiment de mal-être, sentiments d’injustice, pessimisme général, pensées anxieuses, perte d’objectivité, irritabilité excessive…). Sur le plan collectif, une restructuration vient remettre en question le fondement même du groupe. Cela peut se traduire par des phénomènes de rumeurs, de climat relationnel dégradé, voire conflictuel, de marginalisation de certains indi- vidus, de démobilisation ou de dysfonctionne- ments dans les modes de collaboration. Si une entreprise anticipe et répond à ces réac- tions qui vont affecter le travail et l’équipe, elle peut gérer ses répercussions négatives plus efficacement.» sentiment de protection alimenté par la reconnaissance de ses pairs et de sa hiérarchie. Avec le changement, cette fonc- tion protectrice peut être remise en question et générer des phénomènes comme une désorganisation du quo- tidien de travail ou un sentiment d’insécurité par rapport à l’avenir. Et quand le changement organisationnel est perçu comme imposé, voire in- fligé par l'employeur, on peut consta- ter chez les collaborateurs «des sen- timents de peur, de colère, voire de trahison face à ce qui peut être perçu comme une décision de l'employeur qu'ils doivent subir, surtout quand elle n'a pas été pensée en équipe», développe Mounia Nait Sibaha. Dans le même ordre d’idée, Mohamed El Walid, psychologue de travail et des organisations, indique que le chan- gement organisationnel représente une menace pour la zone de confort du collaborateur et «son bien-être n'étant plus assuré, il manifeste une résistance à ce changement. Ainsi, ses émotions qui sont au cœur de l'ac- tion vont finir par être un frein». Car sortir de sa zone de confort rime avec incertitude et peur de l’inconnu. Et l’incertitude est à son tour fortement liée à l’anxiété. Ceci s’explique par le fait que le changement, dans ce cas- là, constitue un risque potentiel de perdre certains acquis et implique la nécessite d'adopter de nouvelles fa- çons de travailler. Selon Mounia Nait Sibaha, «il s’agit aussi d’apprendre de nouveaux com- portements et d’adopter de nouvelles attitudes, mais surtout d’abandonner les habitudes qui faisaient partie inté- grante de son quotidien». Surgissent alors plusieurs interrogations : dans quelle mesure ce changement mettra- t-il en danger mon bien-être ? Dans quelle mesure serait-il possible de m’ajuster ? Quelles seront mes nouvelles respon- sabilités ? Serais-je capable de les en- dosser ? Y a-t-il un risque que je perde mon emploi ? «Car, ne l'oublions pas, un emploi fait partie d'un projet de vie et toutes ces interrogations peu- vent alors s'avérer stressantes, voire angoissantes», affirme Mounia Nait Sibaha. Il faut également noter que le chan- gement est souvent synonyme d'une Déclaration Le change- ment peut également être source d’enthou- siasme et d'espoir, car certains collaborateurs préfèrent y voir de nou- velles oppor- tunités de dé- veloppement et d’évolution. plus grande charge de travail qui engendre un stress plus élevé pour l’employé. Mais si le changement apporte son lot d’émotions néga- tives favorisant le mal-être au travail, il peut également être source d’enthousiasme et d'espoir. Certains collaborateurs préfèrent, en effet, l’appréhender comme un nou- vel horizon qui s’ouvre devant eux, avec de nouveaux challenges et de nouvelles opportunités de dévelop- pement et d’évolution. Dans la ma- jorité des cas, ces collaborateurs-là sont ceux qui ont le plus confiance en leurs capacités. Le Top management en première ligne Si l'organisation désire mener à bien le changement, le management doit inévitablement gérer les émotions, car elles sont influentes. «Les diri- geants gagneraient à se préoccuper davantage de gérer le changement sur un plan humain au lieu de se limi- ter à trouver la meilleure manière de l'introduire», conseille Mounia Nait Sibaha. Plus offensif, Mohamed El Walid déplore le fait qu’«au Maroc, les ma- nagers sont responsables de la résis- tance au changement, car ils ont du mal à comprendre que le monde du travail moderne exige un commande- ment sans conflits, et que les entre- prises ont besoin de leaders et non de chefs ou de directeurs, sachant qu'au- torité ne signifie rien d'autre qu’“ai- der les Hommes à grandir”». Le psychologue invite ainsi l'entre- prise à faciliter à son employé le pas- sage d'une phase (zone de confort) à une autre (nouvelle situation) en lui créant une zone intermédiaire (formation, séminaire, réunion....). Ceci lui permettra de réussir la tran- sition et facilitera l’instauration du changement. Mais avant, il faut lui expliquer les raisons du chan- gement et le motiver pour qu’il se l’approprie. .../... Si l'organisation désire mener à bien le changement, le management doit inévitablement gérer les émotions, car elles sont influentes. Ph. Fotolia

Management Changement organisationnel : attention … · LUNDI 9 JANVIER 2017 Éco-Emploi 23 Changement organisationnel : attention aux émotions ! Une lecture dans les émotions

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23Éco-EmploiLUNDI 9 JANVIER 2017

Changement organisationnel : attention aux émotions !

Une lecture dans les émotions suscitées chez les collabo-rateurs par un changement

organisationnel peut être riche en enseignements. Comprendre les si-gnaux et mesurer leurs conséquences conditionneront la réussite du pro-cessus. La psychologue Mounia Nait Sibaha indique dans ce sens que «le changement peut exercer une fonction de catalyseur sur des pro-blèmes latents pour les mettre au jour, voire les exacerber. Ignorer ces problèmes serait une grande prise de risque de la part des agents du changement». C’est ainsi qu’elle met en garde contre «cette ignorance qui peut faire naître chez les collabora-teurs le sentiment que leurs besoins et leurs émotions ne sont pas entendus et, par conséquent, dégrader leur mo-tivation et leur loyauté envers l'en-treprise».En effet, comme le souligne Maria Ouazzani, responsable du Pôle d’ac-compagnement psychologique et so-cial du cabinet Psya, un changement entraine des réactions au niveau in-dividuel et collectif qui peuvent être souvent négligées par le manage-ment et les dirigeants d’une entre-prise alors même qu’ils sont ceux qui paradoxalement portent le processus de changement auprès de leurs col-laborateurs. À ce titre, les représen-tants d’une organisation «doivent avoir conscience de l’impact éventuel d’un changement sur les personnes qui la composent et d’en prévenir au maximum les effets délétères», prévient-elle.

Les émotions, l'autrement dit !La difficulté émotionnelle liée au changement peut s’exprimer de dif-férentes manières, notamment à tra-vers des sentiments d’incertitude, de stress, de mal-être, d’anxiété, de mé-fiance, d’indignation, de pessimisme, d’irritabilité ou encore de peur. Maria Ouazzani explique que l’organisation protège les individus par le biais de règles relationnelles qui la régissent, mais aussi par le sentiment d’appar-tenance à une communauté qui gé-nère un sentiment de solidarité, de sécurité et de partage. Le collaborateur développe alors un

Management

Le changement et les émotions sont

étroitement liés : tous deux font par-

tie intégrante de la vie des entre-

prises. Le changement arrive inva-

riablement avec son lot de difficultés

et d’émotions négatives, mais aussi

d’opportunités et d’émotions posi-

tives. Et s’il est souvent mal accueilli

par les collaborateurs, c’est que le

management n’a pas su convaincre,

rassurer et donner confiance en sa

politique de changement à travers

une communication claire et trans-

parente. Les experts l’ont pourtant

dit et redit : «réussir la gestion du

changement organisationnel doit

passer par une gestion réussie des

émotions».

Quand le changement organisation-nel est perçu comme im-

posé par l'em-ployeur, les

collaborateurs développent

des senti-ments

de colère et de peur, voire de trahison.

Maria Ouazzani, responsable du Pôle d’accompagnement psychologique et social du cabinet Psya

«Sur le plan individuel, l’impact du change-

ment peut s’exprimer de différentes manières,

en fonction des personnes, et peut relever aussi

bien de la sphère cognitive (problèmes de mé-

morisation, de concentration, prise de déci-

sion...), physique (maux de tête, troubles du

sommeil, malaises, maux de dos, problèmes der-

matologiques, troubles digestifs, palpitations,

somatisation...), comportementale (conduites

à risque, addictions, agressivité, repli sur soi,

surinvestissement, changement brutal de com-

portement...) ou émotionnelle (sentiment de

mal-être, sentiments d’injustice, pessimisme

général, pensées anxieuses, perte d’objectivité,

irritabilité excessive…). Sur le plan collectif, une

restructuration vient remettre en question le

fondement même du groupe.

Cela peut se traduire par des phénomènes de

rumeurs, de climat relationnel dégradé, voire

conflictuel, de marginalisation de certains indi-

vidus, de démobilisation ou de dysfonctionne-

ments dans les modes de collaboration.

Si une entreprise anticipe et répond à ces réac-

tions qui vont affecter le travail et l’équipe, elle

peut gérer ses répercussions négatives plus

efficacement.»

sentiment de protection alimenté par la reconnaissance de ses pairs et de sa hiérarchie. Avec le changement, cette fonc-tion protectrice peut être remise en question et générer des phénomènes comme une désorganisation du quo-tidien de travail ou un sentiment d’insécurité par rapport à l’avenir. Et quand le changement organisationnel est perçu comme imposé, voire in-fligé par l'employeur, on peut consta-ter chez les collaborateurs «des sen-timents de peur, de colère, voire de trahison face à ce qui peut être perçu comme une décision de l'employeur qu'ils doivent subir, surtout quand elle n'a pas été pensée en équipe», développe Mounia Nait Sibaha. Dans le même ordre d’idée, Mohamed El Walid, psychologue de travail et des organisations, indique que le chan-gement organisationnel représente une menace pour la zone de confort du collaborateur et «son bien-être n'étant plus assuré, il manifeste une résistance à ce changement. Ainsi, ses émotions qui sont au cœur de l'ac-tion vont finir par être un frein». Car sortir de sa zone de confort rime avec

incertitude et peur de l’inconnu. Et l’incertitude est à son tour fortement liée à l’anxiété. Ceci s’explique par le fait que le changement, dans ce cas-là, constitue un risque potentiel de perdre certains acquis et implique la nécessite d'adopter de nouvelles fa-çons de travailler. Selon Mounia Nait Sibaha, «il s’agit aussi d’apprendre de nouveaux com-portements et d’adopter de nouvelles attitudes, mais surtout d’abandonner les habitudes qui faisaient partie inté-grante de son quotidien». Surgissent alors plusieurs interrogations : dans quelle mesure ce changement mettra-t-il en danger mon bien-être ? Dans quelle mesure serait-il possible de m’ajuster ? Quelles seront mes nouvelles respon-sabilités ? Serais-je capable de les en-dosser ? Y a-t-il un risque que je perde mon emploi ? «Car, ne l'oublions pas, un emploi fait partie d'un projet de vie et toutes ces interrogations peu-vent alors s'avérer stressantes, voire angoissantes», affirme Mounia Nait Sibaha. Il faut également noter que le chan-gement est souvent synonyme d'une

Déclaration

Le change-ment peut également être source d’enthou-siasme et d'espoir,

car certains collaborateurs

préfèrent y voir de nou-velles oppor-tunités de dé-veloppement et d’évolution.

plus grande charge de travail qui engendre un stress plus élevé pour l’employé. Mais si le changement apporte son lot d’émotions néga-tives favorisant le mal-être au travail, il peut également être source d’enthousiasme et d'espoir. Certains collaborateurs préfèrent, en effet, l’appréhender comme un nou-vel horizon qui s’ouvre devant eux, avec de nouveaux challenges et de nouvelles opportunités de dévelop-pement et d’évolution. Dans la ma-jorité des cas, ces collaborateurs-là sont ceux qui ont le plus confiance en leurs capacités.

Le Top management en première ligneSi l'organisation désire mener à bien le changement, le management doit inévitablement gérer les émotions, car elles sont influentes. «Les diri-geants gagneraient à se préoccuper davantage de gérer le changement sur un plan humain au lieu de se limi-ter à trouver la meilleure manière de l'introduire», conseille Mounia Nait Sibaha. Plus offensif, Mohamed El Walid déplore le fait qu’«au Maroc, les ma-nagers sont responsables de la résis-tance au changement, car ils ont du mal à comprendre que le monde du travail moderne exige un commande-ment sans conflits, et que les entre-prises ont besoin de leaders et non de chefs ou de directeurs, sachant qu'au-torité ne signifie rien d'autre qu’“ai-der les Hommes à grandir”». Le psychologue invite ainsi l'entre-prise à faciliter à son employé le pas-sage d'une phase (zone de confort) à une autre (nouvelle situation) en lui créant une zone intermédiaire (formation, séminaire, réunion....). Ceci lui permettra de réussir la tran-sition et facilitera l’instauration du changement. Mais avant, il faut lui expliquer les raisons du chan-gement et le motiver pour qu’il se l’approprie. .../...

Si l'organisation désire mener à bien le changement, le management doit inévitablement gérer les émotions, car elles sont influentes. Ph. Fotolia

Page 2: Management Changement organisationnel : attention … · LUNDI 9 JANVIER 2017 Éco-Emploi 23 Changement organisationnel : attention aux émotions ! Une lecture dans les émotions

Éco-Emploi24 LUNDI 9 JANVIER 2017

.../...Tous les experts se sont accordés à dire que la communication, l’écoute et la motivation sont les mots d’ordre pour qu’un changement puisse se faire dans les meilleures conditions. Pour contrer ou du moins atténuer les émotions négatives dans un contexte de changement, Maria Ouazzani pré-conise le renforcement de la fonction protectrice de l’organisation, notam-ment en expliquant au collaborateur les causes, la nature ainsi que les principaux objectifs du changement. Elle assure qu’«une communication des faits, la plus claire et neutre pos-sible, est fondamentale. Le changement étant expliqué prend du sens même s’il n’est pas partagé par les individus». En outre, elle recommande au ma-nagement d’accompagner ses équipes durant la phase de change-ment par la formation, de renforcer les liens et la cohésion entre les col-laborateurs, de favoriser le soutien social et l’engagement et de travailler sur la résilience individuelle et col-lective afin de permettre à chacun de faire face à toute situation d’inquiétude.

Mounia Senhaji

La difficulté émotionnelle liée au chan-gement peut s’exprimer de

différentes manières,

notamment à travers des sentiments

d’incertitude, de stress, de mal-être,

d’anxiété...

Pour contrer ou du moins atténuer les émotions négatives dans un contexte de changement, il faut renforcer la fonction protectrice de l’organisation,

notamment en expliquant au collaborateur les causes, la nature ainsi que les principaux objectifs du changement. Ph. Fotolia

«Chacun résistera à sa façon aux changements en fonction de son schéma

d’interprétation et de son vécu émotionnel ou de son état d’esprit du moment»

Éco-Emploi : D’abord, comment l'indi-vidu accueille-t-il tout changement ?Abderrahim Hajji : Il y a plusieurs réac-tions possibles face au changement dans les organisations. Notre façon de réagir au changement dépend de ce qui va changer. S’il s’agit de change-ment annonçant de bonnes nouvelles sans perte des acquis, la réaction des personnes concernées sera naturelle-ment favorable avec des sentiments de satisfaction. Dans le cas contraire, les réactions se-ront négatives face à un changement annonciateur de nouvelles formes de travail nécessitant l’abandon des ac-quis et habitudes. Face à l’altération brutale, à l’inconnu suscité par le changement, il y a natu-rellement des réactions de sidération, voire de désarroi et de stress en fonc-tion du contenu et du degré d’étran-geté de ce qui doit changer. Ceci dit, les réactions individuelles seront dif-férentes dans le temps en fonction des situations matérielles de chaque ac-teur, de son parcours ainsi que de ses capacités de résilience.

Quelle incidence un changement organisationnel peut-il avoir sur la psychologie des collaborateurs ?Il faut considérer que chaque indi-vidu, par son parcours personnel et professionnel, dispose d’un ensemble de connaissances expérientielles en rapport avec son environnement or-ganisationnel. Ces connaissances ex-périentielles constituent un référentiel mental qui permet à l’individu d’in-terpréter son environnement organi-sationnel et donner du sens à sa vie professionnelle.Lorsque les membres d’une même or-ganisation réagissent tous ensemble

Entretien avec Abderrahim Hajji, psychologue & coach consultant Atlas Coaching Maroc

Les réactions de l’individu au change-ment pour

pouvoir pro-gressivement l’«accepter» supposent qu’il puisse vivre et dé-ployer un

processus de «deuil» de l’ancienne situation.

de la même façon face à une nouvelle situation, cela signifie qu’ils disposent tous, collectivement et individuelle-ment, du même référentiel ou schéma cognitif pour décoder les messages et qu’émotionnellement ils ont un même vécu ou ressenti. C’est ce qui leur per-met de réagir ensemble et s’adapter collectivement à la nouvelle situation.L’inverse est également vrai : quand les membres d’une même organisation ne disposent pas des mêmes données en rapport avec les nécessités du chan-gement organisationnel pour adapter l’entreprise à son environnement, les réactions individuelles seront plu-rielles et diversifiées sur les plans des représentations cognitives et de l’af-fect qui s’exprime par les réactions émotionnelles. Chacun résistera à sa façon aux chan-gements en fonction de son schéma d’interprétation et de son vécu émo-tionnel ou de son état d’esprit dans le temps. Les réactions de l’individu au changement pour pouvoir progressi-vement l’«accepter» supposent qu’il puisse vivre et déployer un processus de «deuil» de l’ancienne situation. Ce processus de deuil se déploie naturel-lement par phases. Ces phases peuvent évoluer rapide-ment ou, à l’inverse, très lentement dans le temps qu’on appelle aussi schématiquement la courbe du deuil. On peut les diviser en sept phases qui peuvent se chevaucher selon le pro-cessus du changement et la façon de le conduire :

déstabilisé par l’annonce du change-ment auquel il ne s’attendait pas.

-dividu aura au début un comporte-ment de refus «Ce n’est pas possible…,

Abderrahim Hajji.

non…, ce n’est pas vrai…, cela ne peut pas arriver…», c’est une difficulté na-turelle à intégrer la nouvelle donne dans son schéma ou sa vision de la si-tuation et du futur.

exprimer son refus avec des attitudes de révolte à l’endroit des autres, des di-rigeants de l’organisation (accusations agressives («C’est de leur faute…») et aussi contre soi-même avec des senti-ments de culpabilité («Je n’ai rien vu venir, j’aurais dû m’en douter…»).

colère peut être suivie d’une phase d’abattement, de mélancolie ou de nostalgie du passé («on était bien, on était tranquille, tout allait bien»)

crainte du futur, au manque de visi-bilité sur ce qui doit ou va venir («où va-t-on ?, qu’est-ce qui nous attend ?, saurais-je m’adapter ?»).

conscient qu’il n’a plus le choix de garder l’ancienne situation et tout en essayant de sauvegarder ses acquis, l’individu commencera à négocier pour tenter de conforter sa situation déstabilisée.

positive, cette phase peut commencer par la résignation et l’acceptation de la perte des acquis de la situation précé-dente et l’émergence progressive d’un sentiment de confiance en soi avec une perception plus positive sur l’avenir. C’est avec le passage par ces phases de deuil que l’individu peut se sentir apte ou motivé pour aller de l’avant, à condition de disposer des moyens né-cessaires pour réussir dans la nouvelle situation.

Comment préparer les collaborateurs à assimiler le changement, sur le plan émotionnel s’entend ?L’émotion est l’expression mentale et physique de l’état d’esprit de la per-sonne. Elle devrait être parmi les pre-mières préoccupations des dirigeants dans leur gestion du changement pour réduire les tensions naturelles que peuvent susciter les exigences de l’évolution de l’entreprise. Dans la conduite du changement, nous sommes confrontés à un paradigme que je résume par la formule «Qui dit changement dit résistances au chan-gement et les problèmes tus tuent les organisations». Moins les problèmes liés au change-ment seront discutés dans les ren-contres formelles entre les parties concernées, plus les non-dits vont attiser le manque de confiance et la

suspicion à l’égard des dirigeants de l’organisation, et plus il y aura de ré-sistances au changement. Celles-ci peuvent prendre différentes formes : rumeurs, blocages, sabotages, agres-sivités, stress, démotivation, conflits sociaux… Il y a aussi différents degrés de résistances : la très forte opposition, l’opposition moyenne, l’hésitation à l’attitude légèrement favorable… Qui doit s'en charger ?C’est naturellement la première ins-tance de décision de l’organisation qui peut être, selon la configuration de l’organigramme, la direction générale avec le comité de direction ou le comi-té exécutif. C’est la nature du change-ment envisagé qui va indiquer les ins-tances directement concernées dans la conduite du processus du change-ment. Notons cependant que la DRH de par sa mission et sa fonction support est souvent associée dans la conduite du changement quand la probléma-tique du changement est transversale à l’organisation. Parfois aussi, le cas échéant, la direction de la communi-cation peut s’en charger selon les spé-cificités de l’entreprise.Pour simplifier, on peut considé-rer qu’il y a deux approches dans la conduite du changement. La première est de type curatif. Elle est très cou-rante, mais peu efficace : les managers réagissent au fur et à mesure de l’évo-lution des événements. C’est un processus de changement subi et non programmé.La deuxième approche est de type pré-ventif. Elle est plus efficace. Le mana-gement voit venir, il a intégré le chan-gement dans sa vision stratégique. Il anticipe l’évolution des événe-ments et les résistances naturelles, programme les actions d’explica-tion et d’accompagnement (impli-cation de tous les acteurs concernés, réunions d’informations et de sui-vis, formations, coaching, forums de discussion et de proposition, plan de communication…).Cette problématique de conduite du changement devient de plus en plus récurrente dans la vie des en-treprises. Elle est devenue une don-née quasi permanente, car l’environ-nement des organisations évolue en permanence et de plus en plus rapi-dement avec de nouvelles normes, de nouvelles politiques, sans ou-blier l’évolution exponentielle des nouvelles technologies qui im-pacte notre mode de vie et participe aux mutations des comportements sociaux et organisationnels.

Propos recueillis par M.Se.L’émotion est l’expression mentale et physique de l’état d’esprit de la personne. Ph. Fotolia