Manager Des Situations

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Manager Des Situations

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  • Managerdes situations

    complexes

    Pascale AUGER

    Quelles comptences dvelopperpour lentreprise de demain ?

  • Managerdes situations

    complexes

    AmINE

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    complexes

    Quelles comptences dvelopperpour lentreprise de demain ?

    Pascale AUGER

    AmINE

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  • Conseiller ditorial : Christian PinsonProfesseur lInsead

    Dunod, Paris, 2008ISBN 978-2-10-053598-9

  • III

    Table des matires

    Introduction 1

    CHAPITRE 1 Pourquoi la complexit concerne-t-elle les managers ? 3La transformation de lenvironnement conomique 7

    Linternationalisation accentue la recherche defficacit et de rentabilit 7

    La mondialisation concentre les entreprises et les marchs 8La globalisation questionne la moralit de lconomie capitaliste 9

    La transformation de lentreprise 11La remise en cause dun modle unique dentreprise 11La sensibilisation des rsultats 12La capitalisation des objectifs 14La fragilisation des comptences 15Le paradoxe crativit/scurit 17La pression des ressources humaines 18Le consommateur roi 20

    La transformation du rle des managers 21Rles et fonctions classiques du manager 21Les nouveaux rles et fonctions des managers 22

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  • MANAGER DES SITUATIONS COMPLEXES

    IV

    CHAPITRE 2 Pourquoi les entreprises ne parviennent-elles pas grer la complexit ? 27

    Les limites du management 28La simplification de la complexit 28Le dsir de contrle de la complexit 33

    La complexit exige de nouveaux rflexes de pense 36Les blocages psychologiques des individus et des groupes 36La ncessit de dvelopper de nouveaux rflexes de pense 40Les sept rflexes de la pense complexe 45

    CHAPITRE 3 Comment intgrer la complexit dans les processus de dcision ? 51

    Les modles classiques de dcisions ne sont pas adapts aux environnements complexes 52

    La dcision comme choix tranchant 53Les limites des choix tranchants 55Laveuglement des dcisions rationnelles 57

    Comment mettre en uvre un processus de dcision en situation complexe ? 62

    La nature de la dcision complexe 62Comment dcider en situation complexe 63Le rassemblement des informations 67Lanalyse des informations 71

    CHAPITRE 4 Comment encourager la crativit pour dpasser la complexit ? 81

    Quest-ce que la crativit ? 82Rupture dans lentreprise et son environnement 83Rupture dans les psychologies individuelles 84Rupture dans la mthode 88

    Comment manager la crativit ? 92Les collaborateurs ont-ils un profil plutt cratif ou plutt innovant ? 94Quelles pratiques inhibent actuellement la crativit

    au sein des entreprises ? 96Comment crer une culture encourageant la crativit

    au sein de lentreprise ? 100

  • TABLE DES MATIRES

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    CHAPITRE 5 Comment dvelopper la confiance dans la gestion des situations complexes ? 111

    Les dfis de la confiance 113La complexit exige un niveau lev de confiance 113

    Comment favoriser la confiance dans la capacit grer la complexit ? 122

    Comment favoriser la confiance en soi ? 124Comment favoriser la confiance interpersonnelle au sein des groupes ? 128La confiance, une volont et un pari au sein de lentreprise 131

    CHAPITRE 6 Comment intgrer la complexit dans les rgleset procdures de travail ? 137

    Lincapacit des rgles grer la complexit 138Laveuglement 139La pesanteur 143La complexification 143Lauto-rgulation du systme 145

    Repositionner la place des rgles au sein des entreprises 148Remplacer les rgles par les finalits 150Improviser 154

    CHAPITRE 7 Comment favoriser lapprentissage pour mieux voluer en situations complexes ? 163

    Lapprentissage du formel linformel 164Les informations disponibles 165Formaliser les connaissances communes 167Entretenir les connaissances tacites 170

    Comment intensifier lapprentissage 176Apprendre en double boucle 176Valoriser les connaissances personnelles 178Optimiser les ambiguts 180Entretenir la dynamique 181

    CONCLUSION Vers un nouveau mode de pense du management 187

    Des planificateurs aux hommes daction 189Des enqutes quantitatives aux tudes qualitatives 189

  • MANAGER DES SITUATIONS COMPLEXES

    VI

    De lexploitation lexploration 190De ltat au mouvement 191De la dpendance la responsabilit 192De la vrit universelle la vrit complexe 193De la directivit laccompagnement 195

    Bibliographie 197

  • 1Introduction

    ouvrage que vous tenez entre vos mains ne prtend pas livrer demthode toute faite ou de technique qui miraculeusement rsou-drait tous les dfis du management. Mais il vous livre les rsultats

    de nombreuses recherches que jai effectues sur le sujet.Pendant une dizaine dannes, jai exerc des fonctions managriales.

    Je travaillais pour le Groupe Promods, au sein de directions de ressour-ces humaines. Je suis passe dune filiale lautre, des premiers postesaux responsabilits managriales.

    Lopportunit et les alas de la vie professionnelle mont fait quitterlentreprise pour rejoindre les bancs de luniversit. La vie profession-nelle mavait pos de nombreuses questions auxquelles je voulais rpon-dre ou du moins rflchir.

    En 2004, jai soutenu une thse de doctorat sur le management de lacrativit. Je nai pas trouv toutes les rponses, mais il ma semblessentiel dentretenir les liens entre la rflexion scientifique et la viequotidienne de lentreprise.

    Lobjectif de cet ouvrage est dintgrer les enseignements issus de lafonction managriale et de la recherche scientifique. Il propose despistes de rflexion, des outils que les managers pourront adapter leurentreprise afin de mieux grer les situations complexes.

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    Sept chapitres et la conclusion abordent diffrents thmes : le pour-quoi de la complexit, la nature des difficults actuelles, le rle de laconfiance, lexigence de crativit, le poids des mthodes et procduresde travail, la dcision. Pour chacun dentre eux jutilise des sourcesthoriques et empiriques. Les clairages que je prsente sappuient surles rsultats dtudes dj consacres mais aussi et surtout sur les tmoi-gnages de managers.

    Toutes tudes confondues, cet ouvrage sappuie sur environ 300interviews de managers et doprationnels. Ils ont t recueillis auprsde managers de tout niveau et de tout secteur dactivit. Mais ilsnauraient pas t si nombreux si je navais bnfici de laide de mestudiants. Depuis quatre ans, les lves du cours Manager dans lacomplexit utilisent les mthodes proposes dans cet ouvrage, ils seconfrontent aux pratiques dentreprise et recueillent avec attentionlopinion des managers.

    Je vous livre les rsultats de ce travail et vous en souhaite bonnelecture.

    Pascale AUGER

  • 3C H A P I T R E 1

    Pourquoi la complexit concerne-t-elle les managers ?

    Il est de la sagesse et de la politique de faire ce que le destin ordonne etdaller o la marche irrsistible des vnements nous conduit.

    Napolon 1er, Lettre Alexandre 1er, 2 fvrier 1808.

    Lentreprise est aujourdhui soumise la complexit du monde cono-mique. Quels que soient sa taille et son secteur dactivit, les dirigeantsnen matrisent plus lvolution conomique et stratgique.

    Voyage des 4 Routes, une PME bouleverse par la drglementation duvoyage de loisir

    Cre en 1971, cette petite PME est compose de six personnes. Son acti-vit est essentiellement consacre la rservation et la vente de billets(avion, bateau, train) destination des entreprises et des particuliers. Sonchiffre daffaires est de 5,5 millions deuros en 1990, de 2,5 millionsdeuros en 2006. Depuis sa cration elle fait face aux nombreux remanie-ments du secteur touristique.En 1990, elle rejoint le rseau Slectour pour lutter contre le pouvoir gran-dissant de ses fournisseurs : tours oprateurs, compagnies ariennes, ferro-viaires. Avec quelque cinq cent cinquante autres entreprises du rseau, elle

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    gre collectivement les oprations de communication, linformatisation desrseaux dinformations, les relations et la ngociation avec les fournisseurs.La mise en place dun systme centralis de rservation, Amadeus, luipermet de traiter lensemble des activits de billetterie.Mais, paralllement la concentration du secteur, la drglementation desprix bouleverse le comportement du consommateur. En lien direct avec lesfournisseurs, il peut rserver et acheter ses billets sur Internet. Pour unemme destination, des offres de prix de cinquante mille euros sont propo-ses et des campagnes publicitaires marteles. La perte de repre sur les prixne lui permet plus didentifier la valeur des produits quil achte. Elle nepermet pas davantage aux agences de voyages de lgitimer le service et leconseil quelles proposent.Depuis 2004, la concentration et la drglementation du secteur dutourisme continuent de faire pression sur les agences indpendantes. Lasuppression des marges et des commissions est progressivement mise enplace. Aujourdhui, les agences de tourisme ne bnficient plus daucunermunration sur les billets quelles mettent et vendent. Elles devront fairepreuve de crativit pour survivre.

    Infogrames, de lhypercroissance la failliteInfogrames Entertainment SA est une socit franaise cre en 1983 entant quditeur de magazine informatique grand public, puis diteur etdistributeur de jeux vido.La croissance dInfogrames est surprenante ; ds 1990, lentreprise est coteau second march de la Bourse de Paris. Pour asseoir sa position sur lemarch du jeu vido, Infogrames dveloppe une stratgie de croissanceexterne. Elle acquiert plusieurs socits britanniques et amricaines, tellesquOcean Software et Gremlin, Accolade, GT Interactive, Paradigm,Hasbro Interactive, Shiny Entertainment, Atari. Neuf entreprises sontrachetes entre 1998 et 2001. En 2001, la dette totale du groupe dpasse450 millions deuros.Mais cette politique dacquisitions est mene dans un march satur par lasortie simultane de nombreux supports de jeux.Le jeu des spculations provoque la faillite de lentreprise tout juste floris-sante. Entre 2000 et 2002, le cours de laction baisse de 51,60 euros 0,80 euro. Les salaris sont deux mille deux cents en 2001, ils ne sont plusque neuf cent quatre-vingt-deux en 2006. Le chiffre daffaires de500 millions deuros en 2000 est tomb 300 millions en 2006.Les dirigeants sauvent le groupe de la faillite en vendant plusieurs de sesactifs. De nombreux plans de restructuration financire sont mis en uvre.Lentreprise reprend le nom de sa filiale Atari afin de bnficier de son

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    image forte. Le 15 novembre 2006, la direction dcide de raliser un plande restructuration avec une augmentation de capital de lordre de74 millions deuros et une offre publique sur les obligations.Lavenir dInfogrames est encore aujourdhui dpendant du jeu spculatif.

    Cade Idepe, de la fusion amicale aux dboires salariauxCADE IDEPE est une entreprise chilienne de consulting en ingnierie eten dveloppement de projets. Elle compte plus de six cents employs dontla plupart sont des ingnieurs. Lentreprise est surtout prsente au Chili,mais se dveloppe depuis quelques annes dans les autres pays dAmriquelatine, aux tats-Unis, en Thalande. CADE IDEPE est possde et dirigedepuis sa cration par la famille Crcamo. Lentreprise est actuellement encours de fusion avec la socit AMEC, une des plus grandes entreprises enAmrique du Nord (Canada et tats-Unis) en consulting et en dveloppe-ment de projets.Les deux socits ont lhabitude de travailler ensemble, elles possdent unefiliale commune, CADE AMEC et entretiennent depuis toujours denombreuses relations. Cette collaboration est, pour la famille Crcamo, ungage de respect, de bonne entente et de confiance pour le droulement de lafusion.Pourtant, les changements engendrs par la fusion bouleversent les mtho-des et les habitudes de travail de ses salaris : le renforcement des comptes rendus comptables (de deux fois par an une fois par mois) accrot considrablement le contrle exerc sur les acti-vits des filiales ; limposition dhoraires fixes de travail rduit considrablement linvestis-sement et lautonomie des salaris ; le changement de localisation des bureaux de CADE IDEPE augmenteles temps de trajet de la majorit des salaris, qui jusque-l habitaient proximit des locaux

    Ces trois entreprises, si diffrentes soient-elles, sont dpendantes desgrandes volutions du monde conomique. De la petite PME lamultinationale, toutes les socits sont influences par la pression sur lesprix, la concentration des structures, luniformisation des procds, lagnralisation des technologies dinformation, le pouvoir du capital etde lactionnariat.

    Ces influences sont multiples et incohrentes. Elles sentremlent, sejuxtaposent, se contredisent. voluant sans cesse, elles accentuent les

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    interactions et les paradoxes, rendant difficiles la prvision et la planifi-cation des actions long terme.

    Le XXe sicle tait marqu par le contrle de lentreprise sur lenviron-nement. Les entreprises taient les actrices principales dun marchconomique quelles utilisaient pour mieux crotre et se dvelopper. Lerapport est aujourdhui invers. Les entreprises ne contrlent plus leurenvironnement mais sont dtermines par lui.

    Dans ce contexte, il nexiste plus proprement parler de bonne dci-sion. Les dcisions sont fondes sur des quantits dinformations gigan-tesques. Elles peuvent se rvler valables court terme, mauvaises moyen terme, ou inversement. Adaptes un march, elles sontsouvent contre-productives, la fois bnfiques et nfastes. Dans ununivers en interaction multiple, elles ajoutent un paramtre de plus,une donne supplmentaire sans quil soit possible den mesurer exacte-ment linfluence.

    Pour les entreprises, la complexit illustre cet tat de fait : la confron-tation un environnement compos dinteractions si nombreuses etchangeantes quil est impossible de le contrler, et qui du mme couprend inefficaces les outils habituels de planification et de gestion(figure 1.1).

    Figure 1.1 Lentreprise dpendante de la complexitdu monde conomique

    Lobjectif de ce chapitre est de mieux comprendre comment lecontexte conomique a peu peu boulevers les entreprises, mais aussi

    Entreprise ouverte la complexit

    Changementsstructurels

    Questionsthiques

    Lgitimitsociale

    Rupturestechnologiques

    Pouvoir delactionnariat

    Standardisationdes mthodes

    Pressionsur les prix

    Pression surles marques

    Pression surla qualit

    Pression surles services

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    comment lvolution de lenvironnement a transform le rle desmanagers.

    La transformation de lenvironnement conomique

    Des transformations fondamentales ont lieu depuis quelques dcennies.Des bouleversements gopolitiques, technologiques et conomiquessoprent une vitesse jamais gale. La stratgie des entreprises estconstamment remise en cause, forant les managers revoir leurs choix,leurs processus de dcision, leur manire mme de concevoir et denvi-sager leur avenir.

    Les termes internationalisation, globalisation, mondialisation sontdevenus des leitmotive permettant dexpliquer et de justifier le durcisse-ment de la concurrence et des pratiques de gestion. Mais que sest-ilpass au juste ?

    Linternationalisation accentue la recherche defficacit et de rentabilit

    La stabilisation des prix et la monte en puissance des pays mergentsont oblig les dirigeants modifier leurs stratgies. Vers le milieu desannes quatre-vingt, la demande de consommation se relve, maiscontrairement aux logiques inflationnistes des dcennies prcdentes,linflation naccompagne plus la croissance. Les entreprises fixent desprix au regard du cot rel des produits et services et non en fonctionde prvisions inflationnistes. Par ailleurs, les pays dAsie et dAmriquelatine exportent de plus en plus de produits de qualit des prix extr-mement faibles. Leur concurrence devient redoutable.

    LEurope et les tats-Unis ont dans un premier temps cherch mettre en place des politiques protectionnistes, manipulant les taux dechange et valorisant les productions industrielles nationales. Mais peu peu linternationalisation a gagn toutes les conomies occidentales. Letaux dexportation des entreprises amricaines passe de 20 % au dbutdes annes quatre-vingt, 50 % en fin de dcennie. Les investissementsse font de plus en plus ltranger. Les sites de production sont dplacs

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    hors des frontires nationales. Tout est mis en uvre pour profiter de lafaiblesse des cots de production existant dans les pays mergents.

    Contraintes par la faiblesse des prix, les entreprises ont cherch stablir sur des marchs isols. Elles ont mis en uvre des mesures dras-tiques de gestion. Les politiques commerciales, rglementaires, doua-nires, scuritaires sont entres en concurrence les unes avec les autres.Les cots, les procds de fabrication, les organisations logistiques, lessupports administratifs ont t examins afin daugmenter leur effica-cit et leur rentabilit. Les politiques de marque se sont dveloppes,luttant contre la faiblesse des prix trangers par linstauration demarque possdant une puissante notorit.

    Depuis le dbut du XXe sicle et jusque dans les annes quatre-vingt,lconomie occidentale tait essentiellement fonde sur les mouvementsinflationnistes. Les taux dintrt taient faibles et dpasss par linfla-tion, rendant facilement accessible le capital. Les bnfices des entrepri-ses ne dpendaient pas de leur qualit de gestion, de leur efficacit grer les stocks ou les systmes de distribution, mais des taux dintrtet de linflation. La dflation et la concurrence trangre ont forc lesentreprises occidentales dfinir leurs stratgies en fonction de cots etde prix rels. Elles ont impos de nouvelles exigences de gestion, forantles directions rviser leurs outils et maximiser la recherche deffica-cit et de rentabilit.

    La mondialisation concentre les entreprises et les marchs

    Au dbut des annes quatre-vingt-dix, un mouvement gnral dunifor-misation des conomies se dveloppe.

    Au niveau politique, le modle dmocratique devient le pendantncessaire des conomies capitalistes. La dmocratie gagne denombreux tats dans le monde, notamment en Amrique latine, enEurope de lEst et en Union Sovitique.

    Au niveau conomique, le mouvement gnral de capitalisation et deprivatisation des intrts se gnralise. De grands marchs financierssont mis en place, donnant une large place aux investissements et auxpargnes privs. La plupart des entreprises de tlcommunication et denombreuses activits anciennement ddies au service public, sontprivatises. Les entreprises publiques ne produisent plus la majeure

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    partie des PIB nationaux, lavenir tant confi au systme conomiquepriv. On retrouve alors le mme souci qui avait marqu les dbuts delinternationalisation. La volont de rduire le gaspillage et la dette, larecherche de rentabilit et defficacit touchent alors les tats et lesgouvernements.

    Les volutions technologiques, et notamment le recours massif linformatique, ont facilit et amplifi le phnomne. Lchange desinformations et des capitaux nest plus limit par de quelconques barri-res rglementaires ou techniques. La mondialisation des conomies semet peu peu en place, fonde sur luniformisation des valeurs et desstratgies conomiques. Dans chacun des secteurs de production debiens ou de services, le nombre dacteurs susceptibles de participer lconomie mondiale ne cesse de diminuer. Les stratgies mondialessont dfinies en termes de conception, de fabrication et de distributiondes produits. Des stratgies de fusion, dacquisition sont mises enuvre afin daugmenter les seuils de taille critique. Le poids des entre-prises prives devient alors si considrable quil dpasse celui des tatset des gouvernements. La circulation des capitaux et les flux des inves-tissements sont dfinis en fonction des logiques dentreprise et de leursintrts propres. Les conomies nationales dpendent alors plus desimpratifs stratgiques et des choix des dirigeants dentreprises que dela volont des institutions conomiques.

    La globalisation questionne la moralit de lconomie capitaliste

    Depuis le milieu des annes quatre-vingt-dix, le phnomne na cessde samplifier. Relaye par les renouvellements technologiques et par lastandardisation des valeurs conomiques, la recherche de rentabilit etdefficacit a continu de stendre toutes les sphres de la vie : sphreconomique mais aussi politique, sociale, cologique et humaine.

    De nouvelles questions morales apparaissent, un niveau plantaire : dgradation de lenvironnement (rchauffement, couche dozone,

    pidmies, flux migratoires) ; ouverture mdiatique provoquant lopposition radicalise des cultu-

    res occidentale et mditerranenne ; rtrcissement de la plante aggravant les conflits culturels et

    religieux ;

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    commercialisation des dcouvertes gntiques pouvant termemodifier la nature mme de lhomme (lhomme fruit duhasard/homme produit limage de la volont de ses gniteurs) ;

    apparition dune pauvret, perte de sens et de represLa mondialisation de certains marchs, si elle cre pour certaines

    entreprises des bnfices dune ampleur jamais atteinte, provoque gale-ment la destruction dconomies locales, de populations et denviron-nements culturels.

    Le cas du march mondial agro-alimentaire est rvlateur de la capa-cit dautodestruction de la logique conomique : la gnralisation de lutilisation des semences striles OGM (comme

    des semences hybrides) provoque la dpendance des producteurs etdes pays aux producteurs de semences ;

    la massification de la production aboutit la destruction des produitsnon vendus ;

    la concurrence faite aux pays pauvres par les producteurs occidentauxdtruit les marchs et les conomies locales ;

    la migration des populations vers les zones de production occidentaledissout les structures sociales au niveau local et cre des zones demisre dans les pays occidentaux ;

    la spcialisation des productions bouleverse lquilibre cologiquedes pays et leur capacit dautosubsistance.

    La puissance destructrice du march du sojaLe Brsil est lun des pays les plus endetts du monde. En 2003, il prsen-tait lun des endettements les plus levs des cent vingt-deux pays du tiers-monde.Afin de rduire sa dette extrieure, le gouvernement brsilien a choisi dedvelopper la production de soja destination des pays occidentaux enversqui il est dbiteur. Les rentres massives de devises grce aux exportationsde soja permettraient ainsi de rduire la dette du pays. Malgr de nombreu-ses critiques, le prsident Lula autorise la destruction massive de la fortamazonienne. Dix-huit mille hectares sont dtruits en 2006 afin dtreconsacrs la culture du soja. Au cours des soixante dernires annes, lagri-culture du soja est passe de zro plus de vingt et un million dhectares deterres cultives. Grce la conversion du soja en aliments pour le btail etles poulets europens et amricains, ses exportations reprsentent 6 % du

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    PIB brsilien en 2003. Le Brsil est aujourdhui le plus grand producteur desoja du monde.Les consquences de cette politique sont dramatiques pour la population.Dans de nombreuses rgions brsiliennes, le rgime opaque de lattributiondes terres et larrive de la corruption sur le march du soja ont favorislexpulsion des peuples indignes et lextension de la culture du soja.40 millions de paysans ont t expulss, ces dernires annes.La disparition de lagriculture vivrire a favoris lapparition de la famine.22 millions de personnes sont aujourdhui gravement sous-alimentes.La massification et lintensification de la production ont boulevers etdtruit les systmes hydriques et climatiques du pays. La scheresse engen-dre en 2003-2004 atteint la production de soja elle-mme. Selon PhilipFearnside, coauteur dun rapport publi dans Science (21 mai 2004) etmembre de lInstitut national de recherche sur lAmazonie : Les produc-teurs de soja provoquent directement un certain degr de dboisement.Mais leur impact sur la dforestation est beaucoup plus grand dans lutili-sation des terres, des savanes et des forts de transition. Cela oblige lesleveurs de btail et les agriculteurs nomades pntrer plus encore dans lafort. La production de soja promeut aussi politiquement et conomique-ment la construction de projets dinfrastructure, qui acclrent ladforestation. En 2002 et en 2004, la SFI (Socit financire internationale, brancheprive de la Banque mondiale) a prt au groupe Amaggi 30 millions dedollars. Amaggi est la plus grande compagnie agro-industrielle de soja duBrsil. Le prt est destin la construction de nouveaux centres de stockagedu soja

    La transformation de lentreprise

    La remise en cause dun modle unique dentreprise

    Lenvironnement conomique, politique et technologique a donnnaissance de nouvelles formes dorganisation. Les cots de transactionont baiss, les techniques de transmission des informations se sontuniformises, les changes se sont scuriss. Multipliant les collabora-tions en rseau, les entreprises se sont allies, elles ont cr des franchi-ses, des districts industriels. Toutes sortes de partenariats ont t inities

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    avec des fournisseurs, des laboratoires de recherche, des entreprisesvoisines ou concurrentes. Elles ont remis en cause le modle classique etunique dentreprise en multipliant les formes de collaboration, enassouplissant les frontires entre lentreprise et son environnement, endveloppant de nouveaux modes de cration de valeur.

    Les logiciels libresDans les annes quatre-vingt sont apparus les logiciels libres. Dveloppspar des programmateurs indpendants et bnvoles, ils remettent en causela logique classique de proprit. Un nouveau type de licence est invent, laGNU-GPL (General Public Licence), par lequel le propritaire du codesource du logiciel accorde aux utilisateurs le droit de le copier, de le distri-buer et de le modifier. Les logiciels sont protgs par un copyleft interdi-sant la dissimulation du code source. Le systme dchange propos reposesur lamlioration constante des logiciels par les utilisateurs et la rcupra-tion du logiciel modifi par la collectivit. Le don de dpart du logiciel esten quelque sorte rmunr par le travail des utilisateurs.Les TIC sont le mode de communication prfr des dveloppeurs de logi-ciels libres. Sans se connatre ni se voir, ils forment une entreprise virtuelle,fonde sur la confiance et la logique du donnant-donnant.Le poids conomique et la capacit de ce nouveau type dentreprise sontimportants. De nombreuses socits commerciales ont vite compris lint-rt dinvestir dans les logiciels libres, ceux-ci tant capables doffrir unniveau lev de qualit et de prestation sur mesure . Dans un environne-ment marqu par luniformisation des produits et services, les logiciels libresoffrent un niveau dexpertise et dadaptation permanente exceptionnel.

    La sensibilisation des rsultats

    Les mouvements de concentration augmentent le poids des entreprisessur la plante. Le nombre de salaris, les montants de chiffre daffaires,lextension de la prsence internationale lgitiment le rle dcisionnairedes trs grandes entreprises. Cependant, la concentration du pouvoir dedcision comporte un risque majeur. Car si la taille des entreprises necesse daugmenter, les dcisions qui les gouvernent restent humaines etindividuelles. Dans ce contexte, la porte des erreurs est la mesure delentreprise et de son extension. La responsabilit des managers est lar-gie et il nest plus rare de grer des budgets de plusieurs millions deuros,de crer des procdures concernant des milliers de salaris ou de

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    communiquer des informations lensemble des collaborateurs de lasocit.

    Le lancement de Dasani en France, une erreur de politique marketing pour20 millions deuros

    En 2004, Coca-Cola souhaite sattaquer au march europen de leau enbouteille (Grande-Bretagne, France et Allemagne). Les ventes de soft drinksstagnant, leau est un nouveau relais de croissance. Aux tats-Unis, Dasaniest n 2 derrire Aquafina, leau en bouteille du concurrent new-yorkais,Pepsi-Cola.Une semaine aprs son lancement en Grande-Bretagne, le 19 mars 2004,leau Dasani est accuse de ne pas respecter les normes de qualit. Coca-Cola retire plus de cinq cent mille bouteilles des points de vente, le taux debromates tant suprieur aux normes britanniques autorises. Le retrait desbouteilles est extrmement mal peru par les Britanniques. Les enqutesdassociations de consommateurs se multiplient et dmontrent que Dasani(vendue 1,40 euro les 50 centilitres) est une simple eau du robinetretraite . Leau arrivait dans lusine Coca-Cola Sidcup (sud-est deLondres) via les tuyaux de Thames Water, une compagnie britannique dedistribution deau.Quelques mois plus tard, leau doit tre lance en France. Mais deux moisdes chances finales, seulement 50 % des grandes surfaces franaisesacceptent de rfrencer Danasi. La politique tarifaire est attrayante, les sixbouteilles de 1,5 litre sont vendues 2,60 euros, soit 20 % de moins que leprix des bouteilles dvian, leader sur le march franais, et la premirebouteille de Dasani est rembourse lors de lachat de la suivante. Pourtant,leau Dasani ne verra jamais le jour en France.Cest une perte importante pour Coca-Cola aux vues des campagnes demarketing, de communication et dun budget publicitaire slevant 20 millions deuros. Cet chec fut caus par des erreurs de dcision entermes de marketing, notamment la non prise en considration de param-tres marketing majeurs tels que : la saturation du march europen de leau embouteille : 110 marquesdeau plate, gazeuse ou aromatise ; la faible notorit de Coca-Cola dans les cultures europennes ; la composition du produit qui nen faisait pas une eau naturelle.Il est difficile aujourdhui dvaluer le montant des sommes perdues et lesconsquences commerciales lies cet chec.

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    La capitalisation des objectifs

    Les entreprises sont plus que jamais tournes vers la cration de valeurfinancire. La globalisation des systmes financiers, la concentration etla restructuration des groupes et de lactionnariat, limportance crois-sante des fonds de pension et des investisseurs institutionnels ont peu peu financiaris lconomie. Le poids accru des actionnaires dans lesprocessus de dcision, dans les choix dinvestissement et de stratgie agalement transform les pratiques managriales des entreprises. Lemanagement par la valeur financire (value based management) modifiela nature des objectifs en fonction du cours des actions et des possibili-ts de distribution de dividendes.

    Mais quen est-il des valeurs humaines, de la cration de produitstangibles, de linfluence des socits dans leur environnement conomi-que, social, politique et gographique ? Cette question est au cur desdbats actuels du management. Quel poids accorder aux actionnairesdans les dcisions et les choix de gestion ? Quelle place accorder laresponsabilit sociale des entreprises, lthique, lenvironnementcologique et humain ?

    La maximisation de la valeur financire modifie les rapports existantentre les actionnaires, les dirigeants et les salaris. La focalisation sur lesbilans annuels, laugmentation des dividendes ainsi que la rductiondes risques tend concentrer les choix de lentreprise sur les activits decourt terme et ce qui limite ses possibilits de dveloppement. Denombreux dirigeants ont multipli les restructurations, rduit les cotssalariaux et lemploi afin davantager les actionnaires dans le partage dela valeur.

    Valeur actionnariale : obsession amricaine ou dictature globale ?

    Certains affirment que la cration de valeur actionnariale comme prioritessentielle dune entreprise, est une obsession amricaine, qui nest paspartage par les entreprises implantes en dehors des tats-Unis. Il y a duvrai dans cette affirmation, bien que la rsistance soit plus forte en Asiequen Europe occidentale ou en Amrique latine. De nombreuses entrepri-

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    ses japonaises sattachent plutt proposer des produits de grande qualit, accrotre leur prestige et la reconnaissance de leur marque, qu augmenterleur valeur actionnariale. Ces priorits influencent le cours des actions desentreprises amricaines oprant lchelle mondiale au point de transformerle paysage concurrentiel. Les managers trangers de Baxter affirment parfoisque la priorit donne par la socit la valeur actionnariale lui confre undsavantage concurrentiel sur certains marchs trangers. Ils prtendentalors que Baxter est oblige doffrir ses actionnaires un rendement disonsde 15 %. De nombreuses entreprises implantes ltranger peuvent secontenter de gnrer un rendement de 3 % ou 4 %, pour satisfaire leursactionnaires, principalement des banques ou des fondations.En tant quentreprise implante aux tats-Unis et prsente linternational,Baxter est-elle dans lerreur en continuant de privilgier la valeuractionnariale ?NON, les marchs et les mouvements de capitaux mondiaux se dvelop-pent et toutes les entreprises finiront par se battre, lchelle mondiale, pourles capitaux.

    Harry M. Jansen Kraemer Jr, PDG de Baxter International Inc.La Science du PDG. Les plus grands chefs dentreprise

    face aux dfis prsents, op. cit., p. 154.

    Les entreprises pluricentenaires ont montr quil tait ncessaire devaloriser lensemble du capital (humain et financier) pour durer. Lascurisation des marchs financiers mais aussi la cration de mtiers, lerespect du milieu social et naturel, le soutien de valeurs culturelles, lacration de sens sont les dfis actuels du management. Les managersdoivent lier la cration de valeur financire la ralit humaine et mat-rielle. Ils doivent traduire les objectifs de cration de valeur financireen objectifs oprationnels.

    La fragilisation des comptences

    Les modles de management fonds sur la communication transversale,la multiplication des groupes de projets, la flexibilit et ladaptabilitpermanente exigent de renforcer et de dynamiser la gestion des comp-tences. Leur dveloppement et leur flexibilit sappuient sur le partagedes savoir-faire, lchange dinformations, lapprentissage, sur lesvaleurs et la culture dentreprise.

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    Au niveau collectif, les comptences peuvent tre considres commeune source davantage concurrentiel. Elles dpassent la simple additiondes comptences individuelles et donnent aux entreprises des caractris-tiques uniques, difficiles imiter.

    Au niveau individuel, elles sont essentielles au maintien del employabilit , le renouvellement des biens et services, des techno-logies et des procds de fabrication crant autant de dsutude quedinnovation. Lapprentissage permanent, la capacit de changer demtier, de renouveler ses savoirs et ses connaissances permettent alorsde sauvegarder lutilit des salaris.

    Dans ce contexte, la cration et la gestion des comptences revtentune importante toute particulire.

    Pour rpondre ces dfis, les salaris, les managers et les dirigeantsprivilgient le recours la polyvalence. Cette tendance est amplifie parle renouvellement des quipes, les plans de restructuration et la valori-sation des carrires managriales. Les managers se retrouvent donc face un paradoxe : le niveau dexigence des entreprises suppose de dvelop-per des comptences uniques, que les volutions remettent en causerapidement et continuellement tandis que la gnralisation de la poly-valence provoque la disparition des expertises et des savoir-faire.

    On ne sait plus crer davions Dans les usines aronautiques les choses ont chang Tout le mondeutilise quasiment les mmes logiciels. Cela canalise la pense, et lon produitaujourdhui des jets qui ont peu prs la mme forme, les mmes solutionstechnologiques et les mmes moyens de production.Maintenant on demande une polyvalence lextrme ce qui fait quun sala-ri qui commence dans la technique, et qui 15-20 ans plus tard nest pasdevenu directeur de site, est considr comme dpass. Sa carrire nest pasvalorise sil ne gravit pas les chelons de la hirarchie managriale. Du couppersonne ne veut sengager dans un mtier, tout le monde veut faire dumanagement.Il faut cinq ans de mcanique puis trois ans dapprentissage pratique pourtre capable de devenir un ingnieur aronautique. Pour tre bon il faut

    PAROLE DE MANAGER

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    travailler constamment sur les avions, sur diffrents avions, avec diffrentesinterventions. Un ingnieur cest un cratif, pour faire une pice il faut choi-sir les matriaux, la faon de les coordonner, de les assembler. Un ingnieurmet tout en uvre pour ce quil cre. Mais a, a a un peu disparu.Aujourdhui on nattend plus des salaris quils soient comptents. On a lesmachines, et tous les designs sont standardiss et automatiss.Cest extrmement difficile de trouver des gens de haute qualit et de hautecomptence. Dans ce secteur des pans entiers de connaissance ont disparu.On ne sait plus faire ce que lon savait faire il y a quelques annes. Lescomptences ont disparu. Par exemple le constructeur Pilatus ne connatpas bien lutilisation de son avion, il sait construire lavion mais il a perdulessentiel des connaissances. Les salaris sont partis, ils sont la retraite. Etpuis les mthodes ont volu, les jeunes ne sont pas prts consacrer desannes de travail pour apprendre. Avant il y avait des doigts dor dans lesusines, des gnies, tu pensais une pice ils te la faisaient, et maintenant cestfini. Cest perdu, a, cest sr.

    G. A., ingnieur aronautique, DGAC.

    Le paradoxe crativit/scurit

    La crativit est lorigine des processus de croissance. Dans uncontexte o lacclration du renouvellement des biens et des servicessimpose, elle permet de rpondre lexplosion des nouvelles technolo-gies, lattente des salaris, la primaut du design, aux besoins desconsommateurs et la multiplication des changements organisation-nels. Les salaris ne doivent plus seulement tre autonomes maisdoivent galement anticiper, devancer, produire des services et dessystmes cratifs.

    Paralllement au besoin de crativit, les entreprises scurisent leursactifs et leurs modes de gestion. Elles sont engages dans un processusmaximal de recherche defficacit et de rentabilit. Les procds defabrication sont standardiss, la concentration des filiales et des groupesuniformise les modes de gestion, la financiarisation des activitsinstaure un contrle comptable de lensemble des activits. Laversionau risque se dveloppe une vitesse grandissante, en mme temps queles discours ne cessent de clamer les bienfaits de la cration.

    Les managers sont pris en tenaille entre la recherche de scurit et ledsir dinnover.

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    La pression des ressources humaines

    Les pratiques de gestion des ressources humaines ont volu vers unmodle personnalis de management. Les individus : doivent dvelopper leur employabilit afin dassurer leur avenir dans

    lentreprise ; ont la responsabilit de projets transversaux dont ils sont les initia-

    teurs et les accompagnateurs ; grent diffrents niveaux de relations hirarchiques ou fonctionnels ;

    La pression conomique renforce la recherche de scurit

    Le contexte actuel renforce le recours aux solutions familires et prou-ves. Daprs la thorie de la threat-rigidity, menace de rigidit deStaw, Sandelands et Dutton (1981), les organisations dans des condi-tions de menace subissent un mechanistic shift, par lequel elles sontamenes centraliser le contrle, conserver les ressources, rduire lacirculation des informations et se concentrer sur des routines connueset familires.Les individus interprtent et agissent selon leur exprience. Par un effet de simple exposition , ils aiment davantage ce qui leur est fami-lier, ce quils connaissent dj. Plus ils sont confronts une ide, plusils lapprcient. Ils prfreront par consquent les options scurisantes,adopteront plus volontiers le point de vue de la majorit, des stratgiespeu risques, peu impliquantes.Lorganisation amplifie cette tendance gnrale crer des routinespuisque lhabitude est loutil premier de la coordination, de lappren-tissage et du contrle hirarchique. Les organisations crent des gn-rateurs daction, des comportements automatiques activs par desrepres fixes tels que les horaires, les calendriers, la rpartition destches.Ainsi, la pression conomique conduit les organisations unparadoxe : alors quelles devraient augmenter la varit de leurs rpon-ses et de leurs actions, elles se concentrent plus encore sur leurs actionshabituelles et routinires, et agissent comme si elles se situaient dansdes environnements stables et linaires.

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    sont censs dvelopper et solliciter leurs rseaux professionnels etpriv afin de rpondre leurs objectifs ;

    doivent devenir de vritables acteurs de lentreprise ; dmontrer leur capacit en augmenter lefficacit et la performance.

    Domins par la polyvalence, la responsabilit, lautonomie, cesnouveaux modes de gestion devaient desserrer les liens hirarchiques,valoriser lesprit dinitiative et lautonomie. Mais on constateaujourdhui, en France comme en Europe, quils ont dmultipli lapnibilit du travail. Les enqutes se multiplient cherchant compren-dre les diffrentes facettes du harclement moral, du stress, de la souf-france au travail.

    Il est dans cette situation difficile dencourager et de motiver les qui-pes. Quel sens nouveau donner au travail ? Comment grer laugmenta-tion permanente du niveau de responsabilit des managers ? Commentlgitimer la pression sociale quand les entreprises affichent des rsultatsjamais gals ? Les managers sont aujourdhui tiraills entre la ncessitdatteindre des objectifs toujours plus levs et la difficult doffrir leurs quipes des avantages et des conditions de travail attractives.

    La responsabilit totale Toutes les pices qui composent le puzzle du leadership sont importantes.Mais la plus importante est la responsabilit. Laissez-moi aborder ce conceptpar la situation particulire de notre entreprise.Texaco opre dans le secteur trs difficile des matires premires et elle esttrs sensible aux prix. Nous exigeons un engagement total de nos salaris raliser des performances maximales. Nous ne pouvons tolrer la mdio-crit. Pour obtenir ces performances surhumaines, nous devons permettre nos salaris daccder au savoir, lexprience, la formation et lautoritdans leur travail quotidien. Jai dit mes tops managers que nous devionstre la ressource utilise par le reste de la socit. Les managers oprationnelsdoivent venir nous voir si besoin est. Sinon il est prfrable que nous les lais-sions faire et leur donnions carte blanche, parce quils connaissent mieuxleur travail que nous. Mon style personnel cest de dire : Montre-moi quetu peux diriger et faire ce travail et il sera toi.

    PAROLE DE DIRIGEANT

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    Jai insist sur une svre responsabilisation pour souligner la responsabilitdes profits et des pertes. Si un manager me dit quil a un plan dinvestisse-ment et dexploitation pour ajouter de la valeur, il est responsable du rsul-tat, quels que soient les facteurs externes, y compris les catastrophesimprvues.

    Peter I. Bijur, PDG de Texaco Inc.La Science du PDG. Les plus grands chefs

    dentreprise face aux dfis prsents, op. cit., p. 208.

    Le consommateur roi

    Avant Internet, le commerce mettait en relation les entreprises entreelles. Fournisseurs, producteurs, fabricants, logisticiens dcidaient de cequi devait tre vendu, des modes de distribution et de consommation.

    La gnralisation dInternet a boulevers ces rapports business-to-business. Elle a fait du consommateur un acteur dterminant dumarch. Il est aujourdhui capable de naviguer sur les sites afin decomparer les produits et leurs prix. Les fiches techniques dcrivant lesproduits ne cessent de se complexifier. Les moteurs de recherchecomparant les prix, les lieux de vente, la qualit, les technologies serventde base larbitrage toujours plus exigeant des consommateurs.

    Ces changements ont des consquences majeures sur le fonctionne-ment des entreprises et sur le rle des managers. Le pouvoir est davan-tage donn aux consommateurs quaux institutions mdiatiques et auxcircuits de distribution classique. Plus que jamais, le manager doit trecapable dcouter le march, dtre proche des informations duterrain, de prendre des dcisions connectes avec la ralit concrte desclients.

    Du pouvoir des dirigeants au pouvoir des consommateurs Imaginons lenvironnement conomique des annes cinquante jusquaumilieu des annes quatre-vingt-dix comme une pyramide. Le pouvoircommercial coule du sommet vers la base. Tout en haut, trnent les direc-tions dentreprise et les marques. Les mdias remplissent avec efficacit leurfonction de diffusion des informations sur ces marques, et, paralllement,

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    une structure de canaux assez cohrente facilite la distribution physique desproduits. Au bas de la pyramide, on trouve une masse relativement homo-gne de consommateurs, cible des marques. Ils sont le plus souvent assimils des produits de base : indiffrencis, passifs, interchangeables, ils formentle tout dernier maillon de la chane de valeur.Internet a boulevers ce modle autrefois efficace, au point de lavoir missens dessus dessous, donnant aux consommateurs un pouvoirconsidrable.

    James J. Schiro, PDG de Pricewaterhouse Coopers.La Science du PDG. Les plus grands chefs dentreprise

    face aux dfis prsents, op. cit., p. 208.

    La transformation du rle des managers

    Rles et fonctions classiques du manager

    Le manager est un acteur de lentreprise ayant en charge la gestion et ledveloppement dquipes de travail en vue datteindre des objectifs deperformance et defficacit. Reprsentant la direction de lentreprise, ilrelie les objectifs stratgiques aux pratiques quotidiennes de travail. Sesfonctions dpassent les savoir-faire et les expertises de mtier. Plustransversales, elles dfinissent les modes de collaboration et dactioncollective, les modes de gestion des ressources et les mthodes permet-tant datteindre les objectifs.

    Le manager occupe traditionnellement trois types de rles. Les rlesdcisionnels ont trait la capacit de dcider, de prvoir, de planifier, decontrler. Les rles interpersonnels sont lis la capacit danimer et demotiver les quipes, de rpondre aux besoins des clients, de grer lesconflits individuels et collectifs. Les rles informationnels visent latransmission des informations, la gestion des rseaux, la communica-tion interne et institutionnelle. Selon la position occupe au sein delentreprise, la rpartition de ces rles se diffrencie et volue, attestantde lvolution au sein du systme hirarchique.

    Ces rles et fonctions ont t dfinis dans un environnement marqupar la stabilit. Les structures servaient de base au respect de la hirar-chie, la dfinition des normes et des procdures de travail.

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    Aujourdhui encore, la dfinition des postes de travail et la positionhirarchique dfinissent les missions et les modes de reconnaissance desmanagers.

    Figure 1.2 Rles et fonctions classiques du manager

    Les nouveaux rles et fonctions des managers

    Cette vision stabilise du rle de manager est bouleverse par latransformation de lenvironnement conomique et lapparition denouveaux enjeux managriaux. Le niveau dexigence des entreprises necesse de crotre. Les rythmes de travail sont de plus en plus soutenus etdiscontinus. Les managers doivent passer dun rle un autre, inter-rompre une tche pour en commencer une autre, alterner action etdcision, animation et contrle, action et corrections. Au service delentreprise, leurs actions sont davantage dtermines par les besoins desclients, les sollicitations de la hirarchie ou des collaborateurs, que parla planification et lorganisation. Lexercice de leurs fonctions tradition-nelles sest complexifi par la ncessit de les satisfaire toutes simultan-ment et un niveau lev.

    Plus rcemment, lvolution de lenvironnement a transform lesrles et fonctions classiques des managers. Lautorit traditionnellement

    1. Lgitimit rationnelle lgale autour dun systme dautorit hirarchique unique. Forte importance du statut.

    2. Communication hirarchique descendante organise sous forme de procdures.

    3. Planification et prvision, fort contrle des activits et faible dlgation.

    4. Lien troit entre la fonction de manager et la structure de lorganisation. Le manager se dfinit en fonction de son rle et de sa place dans lentreprise.

    5. Le manager est un acteur interne de lentreprise.

    STABILIT

    STRUCTURE

    NORMES

    PROCDURES

    CONTRLE

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    lie la position au sein de la structure sociale est dpasse par la multi-plication des collaborations fonctionnelles et transversales. La prvisionet la planification sont dsarmes devant lacclration des change-ments. La gestion des activits et des spcialits prend une dimensionglobale dans laquelle lefficacit des processus et des rseaux est essen-tielle.

    Figure 1.3 Les nouveaux rles et fonctions des managers

    Ainsi, linstabilit grandissante de lenvironnement exige des entre-prises et des managers de dvelopper de nouveaux savoirs et de nouvel-les comptences. La gestion des hommes revt une dimensionstratgique, lavenir de lentreprise tant directement li aux capacitsdvolution de ses salaris.

    Dans ce contexte les managers doivent tre capables dcouter leurenvironnement afin de crer des solutions adaptes au contexte danslequel ils se trouvent. La planification et la standardisation des mtho-des et des solutions tant insuffisantes, il devient essentiel pour lesmanagers de savoir se remettre en cause, de favoriser la confiance, lacrativit et lapprentissage de leurs collaborateurs. Ils doivent gale-ment tre capables de faire voluer leurs mthodes de travail et leursmodes de dcision afin de sadapter constamment aux changements quiles entourent.

    1. Lgitimit relationnelle et contributive : responsabilit sociale, cration de sens, combinaison des exigences.

    2. Direction participative et cooprative, communication horizontale, ajustements mutuels, capacit dcoute et dintgration des donnes de terrain.

    3. Rle danticipation, dexprimentation, de cration : adaptation permanente, dpassement des paradoxes.

    4. Sparation progressive entre la fonction de manager et la structure de lorganisation :rle dinitiateur ou daccompagnateur de projets.

    5. Le manager est une interface interne/externe :importance du rseau.

    COMPLEXIT

    REMISE EN CAUSE

    COUTE

    SUBJECTIVIT

    CONTEXTE

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    Votre mtier est-il plus ou moins marqupar la complexification de lenvironnement ?

    En remplissant les tableaux ci-aprs, vous pouvez vrifier si votremtier est fortement ou faiblement influenc par la complexificationde lenvironnement. Rpondez par oui ou non aux affirmationssuivantes afin de mesurer linfluence de la complexit sur votre travailquotidien.

    Mtiers fortement influencs par la complexit

    Auto-valuation

    Oui Non

    Ces dernires annes, les procdures et mthodes de travail nont cess de se multiplier

    Vous tes de plus en plus dans lobligation de renouveler vos connaissances et vos savoir-faire

    La pression sur les prix, lattention au client, la pression globale transforment votre travail

    Des changements technologiques ou informatiques ont influenc votre travail

    Votre implication dans les projets transversaux augmente

    Les exigences de crativit et dinnovation sont plus impor-tantes

    Il devient ncessaire davoir un rseau largi

    Vous vous posez maintenant des questions thiques et morales que vous ne posiez pas vraiment avant

    Vous avez le sentiment de faire face des demandes para-doxales

    Les exigences de vos hirarchies et relations fonctionnelles sont souvent contradictoires

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    Mtiers faiblement influencs par la complexit

    Oui Non

    Les mthodes de travail sont stables

    Vos connaissances et vos savoirs faire ne sont pas remis en cause

    Vous connaissez bien vos clients et vous rpondez sans trop de difficults leurs attentes

    La crativit et linnovation ne vous concernent pas vraiment

    Aucun changement technologique majeur ninfluence votre travail quotidien

    Vos relations de travail sont stables et routinires

    Vous ne vous inquitez pas pour lavenir de votre mtier

    Vous avez le sentiment de matriser vos dcisions et leurs consquences

    Les exigences de vos hirarchies et relations fonctionnelles sont souvent claires et complmentaires

    Vous travaillez avec des collaborateurs que vous connaissez toujours bien

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    En bref La complexit confronte lentreprise un environnement cono-mique, social et politique dont les interactions sont si nombreuseset changeantes quil est impossible de les contrler. La planification et la standardisation des mthodes et des solu-tions sont aujourdhui insuffisantes. La stratgie des entreprises estconstamment remise en cause, forant les managers revoir leurschoix, leurs processus de dcision, leur manire mme de concevoiret denvisager leurs pratiques quotidiennes. Pour favoriser lengagement dans les situations complexes, ildevient essentiel de savoir se remettre en cause, de favoriser laconfiance, la crativit et lapprentissage permanent. Mais il estgalement ncessaire de questionner la place des rgles au sein desentreprises et de faire voluer les modes de dcision afin de sadap-ter aux bouleversements de lenvironnement.

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    C H A P I T R E 2

    Pourquoi les entreprisesne parviennent-elles pas grer la complexit ?

    Ce qui mest difficile mest toujours nouveau. Valry.

    Dfinie comme une contrainte liminer, la complexit est un frein la standardisation et la performance des entreprises.

    Thomson, la diversit des mtiers engendre une complexit ingrableAprs trois ans de restructurations, et plus de 1 milliard de charges excep-tionnelles, le nouveau modle conomique de Thomson centr sur la vidonumrique na toujours pas convaincu les investisseurs. Depuis larrive deFrank Dangeard aux commandes du groupe, en septembre 2004, le coursde laction a plong de 63 % quand le CAC-40 progressait de 33 %. Selonles analystes de Goldman Sachs (une banque dinvestissement prestigieuse,unanimement reconnue dans le monde pour ses conseils financiers auprsdes plus grandes entreprises, des gouvernements), lentreprise souffre de labsence dconomies dchelle entre des mtiers disparates et de lacomplexit grer une telle varit de mtiers .

  • MANAGER DES SITUATIONS COMPLEXES

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    Il est particulirement dlicat de concevoir et de mettre en place desoutils tenant compte de la complexit. La culture managriale, les struc-tures organisationnelles, la prgnance des relations hirarchiques neparviennent pas intgrer les bouleversements de lenvironnement. Uncart consquent existe entre les nouvelles exigences conomiques et lesactions mises en uvre au sein des entreprises.

    Lobjectif de ce chapitre est de comprendre pourquoi les entreprisesne parviennent pas manager la complexit et quel type de pensemanagriale permettrait de mieux y faire face. Deux arguments sontprincipalement dvelopps. Dune part, le management est inefficaceparce quil traite la complexit comme un problme liminer. Dautrepart, les blocages psychologiques des individus et des groupes doiventtre dpasss et remplacs par de nouveaux rflexes de pense

    Les limites du management

    Faisant face des situations complexes, les entreprises ont tendance utiliser leurs outils traditionnels de management pour simplifier oucontrler la complexit. Leurs actions sont alors contre-productives,voire destructives.

    La simplification de la complexit

    Les exemples suivants illustrent les erreurs lies la simplification desituations complexes. La complexit nest pas prise en considration,elle est nie ou limine . Les faits montrent quau contraire, lesentreprises doivent tenir compte de la complexit des situations, celle-ci ne pouvant jamais tre compltement matrise ou nie.

    Le premier type derreur que lon peut rencontrer nie lexistence desdynamiques de la complexit et produit le plus souvent des gnralisa-tions excessives. Lexemple qui suit montre que les interactions entre lestablissements dune mme entreprise produisent autre chose que larptition de ce qui a t observ au niveau dun tablissement. Dans cecadre, la standardisation et luniformisation des procds inhibent ladiversit des contextes et lmergence des dynamiques collectives.

  • POURQUOI LES ENTREPRISES NE PARVIENNENT-ELLES PAS GRER LA COMPLEXIT ?

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    ABC intrim, la gnralisation excessive du succsAu sein de lagence dintrim ABC, linformatisation du traitement des CVa rduit considrablement le travail de tri et de saisie. Les gains defficacitsont particulirement importants et touche notamment : le traitement de mille cinq cents candidatures ; le tri des CV par mtier, secteur, selon la spcialisation des agences ; la prslection et la mise jour des CV ; la mise jour des CV, coordonnes et comptences ; le suivi contractuel des intrimaires embauchs.Aprs une premire phase de test, ce nouveau mode de traitement des CVfut gnralis au sein de lensemble des agences ABC.Mais linformatisation a transform les relations entre agences. Jusque-lcomplmentaires, les relations sont devenues concurrentes et conflictuelles.Certaines agences prfrent ne pas mettre jour leurs fichiers informati-ques afin de conserver la mainmise sur leurs candidats prfrs. Elles necoordonnent plus leur communication auprs des candidats, qui compren-nent mal pourquoi ils reoivent des propositions de diffrentes agencesappartenant pourtant la mme enseigne. Ce qui fut un succs au niveaulocal a donn lieu de nombreux comportements contre-productifs auniveau global.

    Le second type derreur montre que la simplification des informa-tions ne permet pas de rvler la complexit. La confiance aveugle dansles synthses chiffres, labsence de questionnement des mthodes deproduction des informations statistiques rduit la pertinence des dci-sions et des actions.

    La confiance aveugle dans les rsultats denqutesG. est directeur des ressources humaines dans une entreprise dlectroniquesuisse. En 1981, lentreprise mit en place une enqute trimestrielledopinion auprs des salaris de lentreprise, soit environ neuf cents person-nes. Lenqute est dirige par la direction du dveloppement social etmene par un institut de sondage externe. Lintention de dpart est derecueillir lopinion des salaris de lentreprise afin dadapter la politiquemanagriale de lentreprise. Les rsultats de cette enqute sont trs coutset lgitimes nombre de dcisions managriales.Un an aprs le dbut de lenqute, G. se rend compte que les sondages sontventils par filiales et quils sont donc rduits la taille des tablissementssoit une cinquantaine de salaris. Il stonne de la petitesse des chantillonssachant qu cette taille la fourchette derreur est de 14 % environ.

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    G. informe le directeur des affaires sociales de son inquitude. Ntant pasexpert en statistique, il ne parvient pas convaincre son suprieur hirar-chique. Six ans plus tard, un changement de direction lui donne loccasionde ritrer ses interrogations. Pendant quelque temps les rsultats delenqute sont utiliss avec plus de prudence. Mais la pression conomiquepousse la direction des ressources humaines justifier la pertinence de sesactions. Les rsultats de lenqute sont nouveau pris la lettre et utilisscomme base de dcision.En 1990, G. est nomm directeur des affaires sociales. Avec la collabora-tion du directeur des ressources humaines de la holding il parvient faireentendre quun problme existe peut-tre. Prs de dix ans aprs la mise enplace de lenqute, il finit par faire constater que les chantillons taientsans valeur.

    Le management a tendance nier la complexit des situations. Larecherche de cohrence et de clart, la volont dliminer les paradoxeset les ambiguts tendent liminer la complexit des situationsconomiques et humaines. Cette tendance nest pas seulement lie aumanagement mais certains grands principes de la pense occidentale(tableau 2.1).

    Tableau 2.1 Les principes conduisant au dni de la complexit

    Principes Dclinaison Consquence managriale

    Le scientisme

    Hypothse dune ralit ordonne, rgie par des lois, dcrite par des relations de cause effet.

    Les vnements sont stables ou voluent de manire prvisible (rythmes et directions) Ils peuvent tre expli-qus par des relations de cause effet Ils peuvent tre dcrits sous forme de thorie ou dquation mathmatique Les situations peuvent tre analyses dans les moindres dtails Leurs conclusions peuvent tre gnralises des cas similaires

    Lorsquun nouvel outil, une nouvelle procdure doit tre mise en place, celle-ci est teste sur une unit. En cas de succs elle est gnralise au sein de lensemble de lentre-prise.Ce qui est observ au niveau dun tablisse-ment est gnralis au niveau de lensemble.

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    Principes Dclinaison Consquence managriale

    Lutilitarisme conomique

    Hypothse dune ralit conditionne par sa seule dimension conomique

    La dimension cono-mique suffit expliquer les vnements Les dcisions et les actions sont choisies en fonction de lutilit conomique recherche Leurs valuations sont effectues en fonction de critres quantitatifs dopti-misation des bnfices

    Le contrle des entre-prises est opr en fonc-tion de lvolution des seuls paramtres cono-miques et financiers.

    Le contrle

    Hypothse de la domination de lhomme sur son envi-ronnement.

    Prvision et planifica-tion des plans dactions Fixation dobjectifs prcis et sanction de leur non atteinte laboration doutils de mesure, de procdures, de mthodes standardises

    Luniformisation et la standardisation des procds sont considres comme les sources essen-tielles de performance.

    La rationalit

    Hypothse rationnelle

    Lobjectivit rsulte dun raisonnement rationnel dont la supr-matie est admise par tous Lobjectivit reprsente la vrit La raison et lobjecti-vit peuvent seules guider les dcisions et les actions

    Face la croissance des informations disponibles, les entreprises ont de plus en plus recours la gestion informatise des supports de dcision. Les outils du dcisionnel, par exemple, proposent aux managers des informa-tions pr analyses et simplifis sous forme de synthse et les rsultats gnraliss.

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    Les principes de la pense occidentale

    Le scientisme

    Le scientisme repose sur lhypothse dune ralit ordonne, rgie pardes lois, dcrite par des relations de cause effet. Ainsi, toutes lesactions ont des effets prvisibles. Les consquences peuvent trevalues et comprises au regard de leur cause.Dans ce cadre, le savant ou celui qui applique la mthode scientifiquepeut expliquer lenvironnement, le prvoir, le calculer. Appliqu aumanagement, le scientisme implique que les managers puissent dcideret contrler les procdures de travail de manire exactement aboutiraux rsultats et aux objectifs fixs. Quel que soit leur secteur dinter-vention, leur domaine ou leur niveau daction, les managers peuventchoisir de transformer lenvironnement selon les objectifs quils se sontfixs lavance.

    Lorientation utilitaire et conomique

    Lutilitarisme est une doctrine qui prescrit dagir (ou de ne pas agir) demanire maximiser le rsultat recherch. Lutilitarisme value lesactions, les rgles, les ides uniquement en fonction de leurs cons-quences. La vision utilitariste conduit le management rechercher lamaximisation de la performance des entreprises. Mais ce principedutilit conomique na pas toujours t considr comme unevidence. Dans dautres cultures ou dautres poques, les actionspouvaient tre values au regard dautres critres tels que : la morale,ladquation des valeurs ou des croyances, le respect de traditions, decoutumes.

    La prgnance de la rationalit

    La rationalisation prne lextension de la rationalit lensemble dumonde social. Elle permet dadapter les moyens daction aux objectifsfixs en donnant un rle prpondrant aux calculs, aux prvisions, auxmthodes rigoureuses et aux techniques de gestion. La recherche derationalit conduit les managers se mfier des subjectivits et desindividus. Le management est ainsi fond sur la volont dobjectiverles comportements. Les outils de gestion dfinissent des mthodes, desprocdures applicables par tous. La formalisation des critres dvalua-tion, la codification des informations et des connaissances, la standar-disation des procdures en garantissent lobjectivit. Lobjectivit,synonyme de vrit est alors oppose la notion de subjectivit, nefaisant quillustrer des opinions et avis personnels.

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    Le dsir de contrle de la complexit

    Lorsque Taylor a rdig louvrage LOrganisation scientifique du travailen 1911, le contrle managrial pouvait effectivement tre appliqu : le but atteindre tait relativement simple : la cration dune voiture,

    modle unique ; le processus de fabrication (technologies, mthodes, techniques) tait

    matris ; lorganisation scientifique permettait damliorer et dintensifier la

    production ; la chane de production tait contrle dans son ensemble, du

    rassemblement des matriaux de fabrication jusqu la vente duproduit final.La quasi-totalit des ouvrages de management actuels reprennent

    cette logique de contrle et recommandent de faon plus ou moinslittrale, de suivre les tapes suivantes : information la plus exhaustive possible ; arbitrage des cots et des avantages entre les diffrentes dcisions

    possibles ; formalisme permettant de faciliter le contrle des intersubjectivits ; mise en uvre sans dfaillance ; contrle permanent en cours de travail ; rectification des dviations.

    Sur la base dune enqute mene par le ministre du Travail en 1996,la majorit des tablissements enquts fonctionnent encore sous cesprincipes tayloriens et fordiens dorganisation du travail.

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    Le management comme outil de contrle

    Le contrle des tches

    Au dbut du XXe sicle, le travail considr comme un devoir, lasoumission lautorit, lacceptation des contraintes par les salarisfont du contrle hirarchique linstrument managrial par excellence.Le contexte socio-conomique est favorable lindustrialisation dessystmes de production. La croissance conomique est en plein essor,la main-duvre exile des campagnes est abondante. La populationpeu scolarise et peu forme, est massivement utilise grce la simpli-fication extrme des tches. Employes de faon massive, la division dutravail et la concentration du pouvoir hirarchique permettent decontrler les temps et les cots de production.Les principaux outils invents au dbut du XXe sicle ont trait aucontrle des tches, des systmes de production et des rythmes detravail. Ils sont dvelopps par : lorganisation scientifique du travail (Taylor, 1911) ; la science administrative (Fayol, 1917) ; la gestion bureaucratique (Weber, 1922).

    Le contrle des comportements

    Le travail est devenu une source potentielle de satisfaction et daccom-plissement que lencadrement doit mieux comprendre afin de loptimi-ser. Les excs de la rationalisation, la politisation des conflits au travail,lavnement dune socit de consommation, lapparition de salarismieux forms, syndicaliss ont transform le rapport au travail.De nouvelles thories sont nes la suite dtudes ralises, aux tats-Unis, au sein de grandes socits telles que la Western Electric et BellTelephone & Co. Dans lensemble, elles montrent que les problmesde comportement sont lis des facteurs motionnels que les managersdoivent apprendre matriser. Elles sont dveloppes par : lenrichissement des tches (Friedman, 1956) ; la gestion de la motivation (Maslow, 1954 ; Herzberg, 1950 ;Vroom, 1964 ; Adams, 1961) ; le management participatif (Hermel, 1988) ; la dynamique des groupes (Lewin, 1947 ; Likert, 1981) ;

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    La recherche de performance a conduit les managers sinterrogersur toutes les dimensions de lorganisation du travail. Les dirigeants onttendu le contrle aux dimensions formelles de lentreprise, telles que lecontenu et la rpartition des tches, lorganisation des rythmes detravail et des processus de production, et aux dimensions plus intangi-bles comme les comportements, les relations informelles, les jeux depouvoir.

    Mais la complexit remet en cause la puissance du management contrler lentreprise dans son ensemble et ce malgr la sophisticationdes outils de gestion.

    SB Pharmaceutique, quand lorganisation matricielle devient ingrableLorganisation matricielle a t invente afin daugmenter lefficacit et lapertinence de lentreprise dans la gestion de ses activits commerciales. Ellea t mise en place au sein de lentreprise pharmaceutique SB qui emploiesix cent soixante-cinq salaris, pour la plupart des pharmaciens hautementqualifis et fournit prs de 40 % du march serbe de produit et matrielpharmaceutique.

    Le contrle des ressources informelles

    La gestion des ressources informelles apparat dans un contexte cono-mique boulevers par la mondialisation et la globalisation. Les salarisau niveau dtude lev adoptent des stratgies de carrire, fonction-nant en rseaux, sont moins mallables et plus difficiles contrler. Letravail devient une source de positionnement et didentit socialesouvent vcu comme des dfis personnels dans lesquels lengagementet limplication sont de rigueur.Dans ce contexte, les outils managriaux sorientent principalementvers la gestion des rseaux, la mise en place de structures souples, ladirection par objectif, la valorisation des projets dentreprise, des char-tes, des valeurs. La recherche de contrle des ressources est exacerbe.De nouvelles thories apparaissent, centres sur la gestion des ressour-ces intangibles de lentreprise, telles que : la gestion de la culture dentreprise (Thevenet, 1990) ; la gestion des connaissances (Nonaka, 1997 ; Argyris, 1967) ; la gestion des rseaux et du pouvoir (Crozier, Friedberg, 1977) ; le management par projet (Midler, 1990).

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    Au sein de SB, lorganisation matricielle est essentiellement tourne autourdes activits logistiques, de vente et des relations fournisseurs. Les servicesde lentreprise sont organiss en fonction de deux dimensions majeures :produit/service et consommateur/march.Aprs de nombreux audits visant rsoudre les problmes de managementde lentreprise, il fut finalement constat que la complexit de lorganisa-tion matricielle tait finalement devenue ingrable et contre-performante.Les principaux problmes concernaient : du point de vue du management des quipes : la multiplication des situa-tions double commandement, le faible degr de coordination et decommunication entre les quipes rgionales, la difficile identification desresponsabilits ; du point de vue des processus : la soumission des ingnieurs de produc-tion aux quipes commerciales, lincapacit des managers rgionaux contrler le travail de leurs quipes, les conflits entre les responsables logis-tiques et rgionaux, ces derniers tant responsables du cot des stocks sanscependant pouvoir en contrler la gestion, la visibilit de lincohrence etdes conflits vis--vis des clients et fournisseurs.

    La complexit exige de nouveaux rflexes de pense

    La complexit nest pas forcment un problme devant tre limin, ellepeut aussi tre une opportunit. Entendue comme un dfi, une poten-tialit exploiter, elle peut devenir une vritable source de profit. Utili-se comme une opportunit dapprentissage, elle peut accrotresensiblement la capacit des entreprises sadapter un monde enperptuel changement.

    Pour tous, la complexit initie un changement radical : elle exige dedpasser les blocages psychologiques individuels et collectifs et de dve-lopper de nouveaux rflexes de pense.

    Les blocages psychologiques des individus et des groupes

    Faisant face des situations complexes, les individus et les groupes sontconfronts certains blocages psychologiques. Le cas Mann Gulch prsent ci-dessous a suscit lintrt de nombreux chercheurs engestion. Il concerne la gestion dun feu de fort au dpart de faible

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    importance mais qui aprs quelques heures se transforma en un feuexplosif, tuant la quasi-totalit de lquipe envoye sur le terrain. Ce casest dautant plus marquant que le respect des consignes du responsablede lquipe permettait de sauvegarder la vie des quipiers.

    Le cas Mann Gulch, les blocages psychologiques face la complexit dessituations

    LquipeLquipe tait compose de seize pompiers effectuant leur service militaire.Ils avaient t slectionns en fonction de leur exprience et se dfinissaienteux-mmes comme des professionnels de laventure . Le groupe compor-tait un leader (analyse les situations et prend les dcisions), un adjoint (vri-fie que les membres du groupe suivent, coordonnent, soudent le groupe) etquatorze quipiers (teignent et nettoient les feux).Les relations au sein du groupe taient simples, la supervision directe, lastratgie planifie, les comportements peu formaliss. Lorganisation destches tait spontane. Les cadres de rfrences et daction, les procdures,les relations faisaient partie des habitudes de travail, de la collaborationquotidienne. Les rles de chacun taient interchangeables afin de ne pasrompre lefficacit des interventions.Les vnementsLe 04/08 16 heures, un orage dclenche un feu sur un vieil arbre. Le feuest dans un premier temps class en catgorie C correspondant aux feuxde faible importance. En deux heures il deviendra un feu explosif et mortel.Le 05/08 : 16 h 10 : seize parachutistes sont largus au sud du fleuve, le MannGulch. Les vents sont violents, le largage lieu 2 000 pieds au lieu de 1 200pieds, la radio est dtruite latterrissage. Sur place le garde-forestier lutteseul ; 17 h 10 : lquipe remonte le long du fleuve Mann Gulch afin dentou-rer le feu. Le garde-forestier et le leader de lquipe sinquitent et deman-dent ladjoint de remonter la crte avec le reste du groupe. Ils djeunentpendant ce temps ; 17 h 40 : le leader de lquipe se rend compte que le feu a travers larivire et que sa progression est trs rapide il ordonne de lcher tout lematriel puis fait un contre-feu et demande tout le monde de sy jeter. Unconflit apparat entre le leader et son adjoint. Les membres du groupenayant pas observ lavance du feu ne comprennent pas les ordres de leurleader. Ladjoint refuse dobir. Le groupe se dsagrge. La plupart fuientvers la crte de la colline surplombant le fleuve ; 17 h 56 : treize hommes sont morts.

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    Il faudra cinq jours et quatre cent cinquante hommes pour finalementteindre le feu.Les plaintes des parents des victimes sont toutes dboutes. Tous leshommes auraient survcu sils avaient suivi les ordres de leur leader.

    De nombreux psychologues ont cherch comprendre pourquoi lesquipiers avaient refus de se jeter dans le contre-feu. Cette techniquede sauvetage est courante et ne comportait pas de danger. Les rsultatsde lenqute quils ont mene auprs des survivants et des professionnelsdcrivent les blocages psychologiques engendrs par la gestion des situa-tions complexes.

    La situation laquelle les individus ont d faire face comportait denombreux facteurs inconnus et immatrisables. Laggravation du feutait improbable et imprvisible. La rapidit de son dveloppement nepermettait pas aux quipiers danalyser toutes les donnes de la situa-tion. Faisant face un contexte dont les dynamiques ne pouvaient trematrises, la plupart des individus ont fait preuve de blocages psycho-logiques majeurs.

    Le premier blocage dcrit par les psychologues est la rduction de lacapacit dattention. Les individus ne sont plus capables de recueillir lesinformations, ils ne savent plus distinguer les informations mineures decelles qui sont vitales. Leur capacit de jugement est considrablementrduite et concentre sur des schmas de pense connus et rassurants : ils recherchent des informations cohrentes et rejettent les

    contradictions ; ils utilisent des situations passes pour analyser et comprendre les

    situations prsentes ; ils recourent des interprtations simplifies ; ils privilgient les solutions uniques et connues.

    Le second blocage psychologique est la prdominance des comporte-ments rigides et figs. Les individus ne sont plus capables de flexibilitet dadaptation. Leurs jugements se figent et leurs actions ne sont plusmises en cause : ils dveloppent une forte intolrance lambigut ; ils se concentrent sur des visions uniques, des analyses strotypes ; certains traits de leur personnalit prennent une place dominante,

    tels que lanxit, la rbellion ;

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    ils ne sont plus capables danticiper les consquences de leurs actions.Par-del ce cas, les limites psychologiques des individus et des grou-

    pes faisant face des situations complexes peuvent tre synthtiss dansle tableau 2.2.

    Tableau 2.2 Les limites psychologiques des individus et des groupes

    Niveau Auteurs Limites psychologiques

    Entre-prise

    SimonHayekDownsVickersFoucaultJacksonArgyrisHeldbergAlbertsRivas

    Selon Simon, Downs, Jackson et Argyris, les entre-prises ne sont pas diriges par la raison mais par toutes sortes de motivations inavouables telles que ligno-rance, la susceptibilit, lutilisation de mthodes et de concepts injustifis. Les entreprises rationalisent leurs choix, elles crent des preuves dans le seul but de justi-fier leur existence.Foucault, Hayeck et Vikers renforcent lide quil existe des champs entiers de connaissance ne sappuyant sur aucune preuve.Alberts et Rivas, Hedburg montrent que la perfor-mance des entreprises est lie au niveau de qualit de leurs processus

    Groupe TuckmanJanisAllisonTeigenWarfield

    Tuckman montre que les groupes fonctionnent de manire squentielle : ils se forment, mrissent, crent des normes, produisent de la performance.Pour Janis, Allison et Teigen penser en groupe est pathologique.Selon Warfield, la complexit cre des comportements claniques au sein des groupes et rduit leur capacit rsoudre les problmes

    Individu OsborneBalesMillerSimonYntemaMueser

    Selon Osborn les individus mettent peu de temps condamner les ides cratives.Bales montre que les individus peuvent tre classs selon leurs tches prfres et leur type motionnel.Yntema et Mueser montrent que les individus ont des difficults intgrer des concepts multiples.Selon Miller et Simon, les individus souffrent de lacunes importantes dans la mmoire court termeWarfield montre que ces limites sont particulirement svres

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    Les managers doivent aider leurs quipes mieux vivre la complexit

    Le travail au sein des entreprises ne cesse dvoluer. Mais depuis quelquesannes les transformations sont de plus en plus rapides. Les comptencessont remises en cause, les relations hirarchiques voluent, les modes defabrication et de distribution sont sans cesse questionns et amliors.Jamais on a tant cherch rentabiliser le travail et la performance.Aujourdhui la principale difficult est de sadapter cette rapidit et cettemultiplicit de changements. Les managers doivent constamment ajusterleurs actions. Et il nest pas rare que des investissements de temps, dnergie,de travail soient remis en cause. On commence quelque chose, on le faitavec la pression du rsultat et dans la mme urgence on doit changer de capet recommencer. Cest particulirement prouvant et difficile pour les qui-pes, cest parfois dmotivant.Les managers doivent absolument accompagner les quipes, leur expliquerle pourquoi des volutions, les aider mieux sadapter cette complexit.Tous les individus ne peuvent pas accepter la complexit avec la mme faci-lit. Pour certains cest moins difficile que pour dautres, mais dans lensem-ble laction des managers est fondamentale. Ils doivent soutenir, expliquer,accompagner, donner du sens aux dcisions et aux actions. Ils doivent lefaire constamment afin daider les quipes mieux vivre les bouleversementset les changements, constamment parce quun projet peut chouer causedune seule personne ou cause de blocages personnels qui nauraient putre dpasss.

    P. A., directeur excutif dun grand groupe de distribution agroalimentaire.

    La ncessit de dvelopper de nouveaux rflexes de penseLa complexit exige des managers quils dveloppent une comprhen-sion globale et dynamique des situations.

    Comprendre les enjeux de lOPA Microsoft/Yahoo !Pour comprendre les enjeux lis au lancement de lOPA de Microsoft surYahoo !, il est ncessaire de tenir compte de la diversit des logiques, desdiffrents niveaux dinteraction, de lincertitude lie lvolution de lasituation, des multiples dimensions de lopration.

    PAROLE DE MANAGER

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    Au niveau managrial, Microsoft prend le risque de perdre une partie descomptences rares quil devra pourtant fidliser. Les relations entre les qui-pes managriales de Microsoft et Yahoo ! ne sont pas acquises, Microsoftdevra adapter sa politique managriale et tenir compte de la situationpsychologique des salaris de Yahoo !Au niveau concurrentiel, Microsoft entame une bataille ouvertement fron-tale avec son plus grand rival, Google. Selon une rumeur persistante,Google pourrait rpondre par le lancement dune OPA sur Apple. Par cetteopration Microsoft pourrait engager un mouvement gnral de concentra-tion du secteur.Au niveau de la chane de valeur dInternet, lOPA accrot la pression sur lesindustries de contenu (musique, cinma). Elle pourrait galement entranerdes fusions entre oprateurs tlcoms. Microsoft, Yahoo!, Google, Applesont diriges par des fondateurs emblmatiques et offrent quatre parcoursdentreprise incroyables. Mais Microsoft et Google ont tabli le constatindustriel quils ne pouvaient manquer la rvolution porte par un Internetaccessible en permanence partout. Microsoft doit rattraper Google danslunivers Internet, et Google doit sortir de lespace strict du Googlewarepour dvelopper sa surface logicielle et pntrer le monde des tlcoms (cesoprations bouleversent les rapports existant entre Microsoft/Google et lesindustries de la musique, du cinma et entre Microsoft/Google et lesacteurs des tlcoms).Au niveau gopolitique, les tats-Unis sont conscients du leadership delInternet chinois qui bnficie dune base locale de consommateurs etdutilisateurs inoue. De par son influence internationale, Google nest passeulement un acteur conomique mais galement politique et culturel.Au niveau conomique, ces mgafusions consacrent une chelle indite ladomination dun nouveau paradigme conomique, celui de lconomie rendements croissants, et plus prcisment pour les deux prdateurs quesont Microsoft et Google, celui de lconomie monopoles privs transitoi-res. En se rapprochant, ces gants vont crer des ensembles aux valorisa-tions suprieures 400 milliards de dollars. La mise en uvre de telles OPApourrait avoir une influence sur fonctionnement de lconomie mondiale.

    La complexit pose de nouvelles questions aux dirigeants et auxmanagers, par exemple : quel est limpact de la centralisation du pouvoir de direction dans des

    entreprises ayant un niveau de complexit interne et externe lev(ressources multiples, structures matricielles, organisation, environ-nement concurrentiel) ?

    quel est limpact des erreurs dans un environnement complexe ?

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    existe-t-il un modle dentreprise plus apte grer la complexit (entermes de taille, dorganisation, de fonctionnement, dengagementinternational) ?

    la stratgie a-t-elle un sens en situation complexe ? lexcs de complexit interne dune entreprise peut-il handicaper la

    performance ? dans quelle mesure le niveau de complexit peut-il tre utile pour les

    individus et les organisations ? comment les managers peuvent-ils continuer de travailler efficace-

    ment malgr le niveau de complexit ? comment adapter les outils managriaux la complexit des situa-

    tions quils sont censs grer ?

    Des chercheurs en management, en sociologie, en gestion, en philo-sophie se sont penchs sur ces questions. Les diffrentes coles depense sintressant la gestion des entreprises mettent en exergue lancessit de renouveler les traditions de pense managriale. Lacomplexit exige daccorder une attention particulire la gestion desconnaissances, lapprentissage permanent, ltude des interactions,des modes de dfinition de ce qui est dfini comme vrai et objectif.

    De la gestion du risque la gestion de lincertitude

    Lentreprise a de tout temps surmont de nombreuses difficults,concurrence, renouvellements technologiques, conflits salariaux, inter-nationalisation, changements structurels. Elle a fait face des risquesdivers et des challenges multiples. Mais la complexit apporte unequestion nouvelle : celle de lincertitude.Le risque dsigne un danger identifi et descriptible. Dans certains cas,des outils statistiques permettent de calculer la probabilit doccur-rence du risque. Le manager ne sait pas si la situation confirmera lasurvenance du risque, mais il es