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Mon voisin Totoro Hayao Miyazaki Fiche technique - Synopsis Biographie du réalisateur Interview de Hayao Miyazaki Propos recueillis à Kichijoji par Noriaki Ikeda Hors champ : éléments contextuels Par Pascal Vimenet Décrypter les images d’un film d’animation Par Pascal Vimenet Langage des décors et jeu des signes Par Pascal Vimenet Mon voisin Totoro et Le tombeau des lucioles: Deux films fondateurs du Studio Ghibli Par Hervé Joubert-Laurencin Point de vue Par Erwan Higuinen – Cahiers du cinéma – janvier 2000

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Mon voisin TotoroHayao Miyazaki

Fiche technique - Synopsis

Biographie du réalisateur

Interview de Hayao MiyazakiPropos recueillis à Kichijoji par Noriaki Ikeda

Hors champ : éléments contextuelsPar Pascal Vimenet

Décrypter les images d’un film d’animationPar Pascal Vimenet

Langage des décors et jeu des signesPar Pascal Vimenet

Mon voisin Totoro et Le tombeau des lucioles!:Deux films fondateurs du Studio Ghibli

Par Hervé! Joubert-Laurencin

Point de vuePar Erwan Higuinen – Cahiers du cinéma – janvier 2000

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FICHE TECHNIQUE – SYNOPSIS

Mon voisin TotoroHayao MiyazakiJapon, 198886 minutes, animation, couleur

Titre original!: onari no TotoroŒuvre originale, scénario, réalisation!:Hayao MiyazakiMusique originale!: Joe HisaishiDirecteur artistique, décors!: Kazuo OgaDirection de l’animation!: Yoshiharu SatoChef coloriste!: Michiyo YasudaPrises de vue!: Hisao ShiraiAssistant metteur en scène!: Tetsuaya EndoProduction!: Tokuma Publishing / Studio Ghibli

Dans les années 50 au Japon, en plein été, deuxfillettes, Mei, 4 ans, et Satsuki, 10 ans, s’installentavec leur père Tatsuo Kusakabe, dans une vieilledemeure à la campagne afin de se rapprocher del’hôpital où séjourne leur mère.La nature environnante se livre à elles sous decurieuses formes!: les noiraudes, espiègles petitesboules de poussière noire. Et c’est dans un trèsvieux camphrier que Mei découvre un énormeanimal qu’elle nomme Totoro. Peu à peu, au fildu quotidien, la présence des débonnaires espritsde la forêt s’affirme auprès des fillettes.A la manière des haïkus qui condensent en unéclair une sensation, Miyazaki intègre, dans ladescription de rêveries enfantines, un rapportmystérieux et profond à la nature, qui s’inscrit dansla tradition japonaise de l’épure, et lui donne uneperception magique.

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HAYAO MIYAZAKI

LA MAGIE DE L'ENVOLHayao Miyazaki est né à Tokyo en 1941. À la fin dela guerre, sa famille quitte la ville en proie auxbombardements américains et s'installe àUtsunomiya, à quelques dizaines de kilomètres dela capitale: nombre de souvenirs de cette époque,notamment la maison où il passe son enfance et lalongue maladie de sa mère, lui serviront de base,des années plus tard dans la construction de sonfilm Mon voisin Totoro. Habité dès l'enfance parune passion dévorante pour les engins volants (sonpère dirige une entreprise de constructionaéronautique), il en gardera un goût prononcé quiprend forme dans chacun de ses films de manièredifférente, au cours de séquences célébrantinvariablement la magie de l'envol.

ETUDIANT DILETTANTEAdmirateur inconditionnel des séries de bandesdessinées d'Osamu Tezuka, le pionnier de l'après-guerre, Hayao Miyazaki vise déjà à faire du dessinsa profession quand il découvre en 1958 le premierlong-métrage réalisé par le studio d'animation deTôei, Le Serpent blanc. À son entrée dans uneuniversité de Tokyo, l'année suivante, il opte pourla section économie, la plus à même de lui laisserpendant quatre ans le loisir de perfectionner sondessin par un travail acharné et de participer auxtravaux d'un cercle d'études sur la littérature pourenfants.

ACTIF ET MILITANTEn 1963, Hayao Miyazaki entre à la Tôei, où sonacharnement créatif et son volume de travail ledistinguent rapidement. Parallèlement aux longs-métrages de studio, le travail sur les sériestélévisées, apparues en cette même année 1963,prend peu à peu de l'importance, suscitant denombreux conflits et problèmes entre lesanimateurs et leur direction. Miyazaki, actif au seindu syndicat de la Tôei, y fait notamment larencontre de deux mentors qui deviendront lescompagnons d'une longue route commune : YasuoOtsuka et Isao Takahata, tous deux responsables

syndicalistes. En 1965, il se joint à titre volontaireau projet monté par les deux hommes dansl'hostilité grandissante de la direction de Tôei, etsous la direction technique de Yasuo Otsuka prendune part décisive à la première réalisation d'IsaoTakahata en long-métrage, Les Aventures de Hols,prince du soleil (1968).

LES DISSIDENTSAprès ce coup d'éclat et le départ forcé de YasuoOtsuka pour le studio concurrent A Production en1969, Hayao Miyazaki choisit de suivre IsaoTakahata dans son départ pour le même studio en1971. Leur projet d'adapter l'univers de FifiBrindacier d'Astrid Lindgren ne peut voir le jourpour cause de refus de l'auteur, et c'est en sebasant sur leurs travaux préparatoires pour ceprojet que les deux hommes réalisent avec l'aidede Yasuo Otsuka deux petits bijoux d'animation,les deux courts métrages Panda, petit panda(1972) et Panda, petit panda : le chapitre ducirque pluvieux (1973), dans lesquels on trouvedéjà de nombreux éléments dus à Miyazaki etouvertement annonciateurs de Mon voisinTotoro.

ŒUVRES CLASSIQUES DU MONDE ENTIERHayao Miyazaki et Isao Takahata se lancent ensuitedans un travail de plusieurs années pour le comptede la Société Nippon Animation, pour laquelle ilsinitient avec Heidi le principe de séries téléviséesannuelles sous la bannière des Œuvres classiquesdu monde entier, cycles d'adaptations animées desplus grands succès mondiaux de la littérature pourenfants. C'est au cours de cette période, qu'avec lesoutien technique de Yasuo Otsuka, HayaoMiyazaki fait ses débuts dans la mise en scène, en1978, avec une série qui fera date dans laproduction télévisée japonaise, Conan, le fils dufutur, la première série animée diffusée sur laprestigieuse chaîne de télévision nationale NHK :tous les thèmes chers au réalisateur y sont déjàréunis.

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GENTLEMAN CAMBRIOLEURQuittant alors Nippon Animation pour entrer auxstudios Telecom Animation Film, Hayao Miyazakiet Isao Takahata enchaînent presqueinstantanément sur un long-métrage déclinant lesaventures d'un personnage qu'ils ont déjà animéensemble en 1971 pour la télévision, Lupin III,dont le héros est l'héritier dénaturé du gentlemancambrioleur national Arsène Lupin, imaginé parl'écrivain français Maurice Leblanc. Premièreréalisation de Miyazaki au cinéma, le film, intituléLe Château de Cagliostro (1979), est un premierchef-d'œuvre, une réussite magistrale, un coupd'éclat qui intègre au surplus d'éclatantshommages au cinéma d'animation français et russe(dans lesquels le parcours de chacun des deuxhommes trouve une de ses sources…) et unclassique de l'animation japonaise qui suscite à sontour de nombreuses vocations. Après cet ouvragemajeur, Hayao Miyazaki poursuit sur sa lancée avecquelques nouvelles merveilles pour la télévision,signant d'un pseudonyme deux épisodesinoubliables de la série Edgar de la cambriole(1980), puis réalise quelques épisodes de laremarquable série télévisée, Meitantei Homuzu(1984), dont la production est interrompue untemps, faute d'un véritablement engagement ducôté italien de la co-production : leur qualitérestera inégalée par la suite, malgré les efforts deses successeurs…

UN VENT NOUVEAUAlors qu'il a abandonné en cours l'ambitieux projetde co-production américano-japonaise de LittleNemo (1983), et dans l'attente qu'un de sesnombreux projets de films, tous refusés depuis desannées (Mon voisin Totoro fait partie de cesprojets dont personne n'a voulu, tout commePrincesse Mononoke), trouve le chemin d'uneproduction grâce au soutien de l'éditeur YasuyoshiTokuma, Hayao Miyazaki se consacre à la création

de la bande dessinée qu'il a commencé de faireparaître en feuilleton, début 1982, dans lemagazine spécialisé "Animage" édité par Tokuma.Cette bande dessinée, c'est Nausicaä de la valléedu vent, vaste épopée, dont la parution nes'achèvera que douze ans plus tard, tandis que sonadaptation en animation, décidée dès 1983, sortsur les écrans l'année suivante et constitue untournant décisif dans la production japonaise. Lepersonnage principal de cette fable "écologique"inspirée de l'œuvre de Frank Herbert, marqueprofondément les imaginations et les consciencesjaponaises, au point que quinze ans après sonapparition, Nausicaä reste l'une des plus belleshéroïnes du cinéma d'animation nippon et estdevenue le symbole d'une œuvre novatriceporteuse d'un message d'appel à la préservation dela nature (le film porte le sceau de la World WildlifeAssociation).

INDEPENDANCE ET NOTORIETELe succès de Nausicaä de la vallée du ventpermet la fondation du Studio Ghibli en 1984. Letitre de son long-métrage suivant, Laputa, leChâteau dans le ciel (1986), est lui aussipassablement éloquent… Très différent de sesréalisations précédentes, le film, librement inspiréd'un chapitre des Voyages de Gulliver de JonathanSwift et de l'œuvre de Jules Verne, est un nouveausommet de réussite et de beauté. Mon voisinTotoro (1988) représente un nouveau défi, avecpour enjeu la représentation de son propre pays etle choix de laisser primer sur toute intrigue, toutcontenu narratif, la description lente et sereine duquotidien d'un monde, de la réalité du temps, au fildes petits riens de la vie de tous les jours. L'impactdu film au Japon dépasse de très loin le cadre ducinéma et représente aujourd'hui une référencefondamentale que nul Japonais, quel que soit sonâge ou son parcours, n'ignore plus désormais.

http://www.canalplus.fr/archives/cinema/dossier/miyazaki/monvoisin/biog.html

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ENTRETIEN AVEC HAYAO MIYAZAKIPropos recueillis à Kichijoji par Noriaki Ikeda

"Je n'ai pas fait Totoro par nostalgie"

Question : de quels lieux vous êtes-vousinspiré pour le décor de Mon voisin Totoro ?Miyazaki : En fait, j'ai été inspiré par beaucoupd'endroits différents. J'ai mélangé par exemple lesalentours de la Nippon Animation à SeisekiSakuragaoka, les berges du Kandagawa que jevoyais couler pendant mon enfance, le paysage deTokorozawa, la ville où j'habite à présent... De plus,Kazuo Oga, le directeur artistique, étant de larégion d'Akita, il y a aussi un peu de cet endroit(Rires). Je n'ai donc pas choisi de lieux précis.

Qu'en est-il de l'époque ? J'ai entendu direqu'elle se situait dans les années 1957,1958. Pourtant, en regardant le film, ilsemble que beaucoup de vos souvenirsd'enfance y soient représentés.Cette histoire ne se déroule pas pendant lesannées 1955-1960. Mais à une époque où il n'yavait pas encore la télévision. Au début, je pensaisfaire entendre une émission de radio de l'époquemais cela aurait été un peu trop prétentieux. J'aidonc éliminé ce genre de détails. On a droit à toutcela dans Le Tombeau des lucioles . Je n'en ai doncpas besoin dans Mon voisin Totoro.

Les bandes dessinées de Shigeru Sugiuragribouillées sur le cahier de Kanta sont-elles le seul indice de l'époque? (Rires).C'est une idée de Masako Shinohara, qui s'occupaitdes dessins originaux. Elle les a dessinées elle-même. Les gens qui les reconnaissent doivent êtreâgés. (Rires).

Il y avait en effet beaucoup d'espace sur lescahiers, une incitation au gribouillage ?En ce qui me concerne, j'ai utilisé presque tousmes cahiers pour gribouiller, rarement pour mescours (Rires). J'utilisais aussi beaucoup le verso demes copies d'examens. J'ai plein de souvenirscomme cela. Je suis très content d'avoir fait un filmavec certains de mes souvenirs, des visages croisés

au Japon, des scènes de mon enfance, etc., au lieud'aller chercher des paysages à l'étranger. Le grandcamphrier de Tsukamori n'est peut-être pas aussigrand dans la réalité, mais pour moi, il resteratoujours gigantesque. Si l'on cherche bien au fondde sa mémoire, il y a toujours durant notreenfance, un arbre que l'on regardait d'en bas en sedisant "qu'il est grand cet arbre, qu'il est beau". Jedessine cet arbre et vous avez vu le résultat. Je n'aijamais pensé mentir. Dans mon souvenir, cecamphrier est vraiment très haut. Dans la scène dudéménagement, on voit Satsuki et Mei courir danstoute la maison. Les maisons paraissent toujourstrès grandes quand il n'y a pas de meubles. Celame rappelle mon enfance. On allait au bord de lamer, dans une auberge où mon frère et moiouvrions les portes de toutes les chambres. Nousétions heureux. Si les chambres étaientétrangement grandes, c'est qu'il n'y avait pas demeubles. Nous avons tous fait ce genred'expérience au moins une ou deux fois. J'aimebien cette scène, pourtant insignifiante. On courtdans la maison, on ouvre les portes, on les refermeen criant " rien " ou l'on annonce "toilettes ". Onest de plus en plus excité et l'on éclate de rire... Ça,c’est vraiment les enfants. Bon, s'ils traînent dansvos pattes, c'est la pagaille (Rires). Je n'avais pasvraiment besoin d'utiliser cette fois-ci detechniques de mise en scène particulière. Il n'enexiste pas qui ne soit pas naturelle. Pas du tout.

Peut-on penser que la maison où ilss'installent a été choisie pour permettre à lamère de respirer l'air pur dont elle aurabesoin après son séjour à l'hôpital ?Exactement. C'est uniquement pour cette raison. Ily avait à l'époque beaucoup de maisons dans cestyle, avec un corps de bâtiment à la japonaise etune pièce à l'occidentale. En fait, c'est une maisonincomplète. Pareil pour le jardin. Je voulais faire unjardin bien propret, mais je n'en ai pas trouvé laraison... Pour résumer, disons que c'est unemaison dans laquelle une personne malade estdécédée. Je ne le savais pas. C'est une maison avecune pièce séparée pour le repos des malades

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tuberculeux. Après le décès de la personne, lamaison est devenue inutile et inoccupée depuis.C'est la face cachée de l'histoire. La grand-mère y atrès certainement travaillé comme domestique. Cequi explique pourquoi elle dit les choses siclairement. Cette partie cachée de l'histoire, je nel'ai pas révélée à mes collaborateurs. C'est la raisonpour laquelle la pièce séparée est bien exposée,pour obtenir le maximum de soleil.

Comment avez-vous obtenu ces couleursintermédiaires magnifiques ?Je le dois à la contribution artistique d'Oga. Si nousavons pu rendre cette ambiance, c'est grâce à lui. Ilne pensait même pas arriver à ce résultat. D'autrepart, à l'exception de Totoro, du Chat-Bus et desNoiraudes, j'ai fait ce film avec ce que j'ai vraimentvu, ce qui est très significatif. Je ne l'ai pas lu dansles livres, c'est ce dont je me souviens réellement.La maison, le terrain, l'eau, les arbres et les plantes.Voilà pourquoi j'ai été très heureux de réaliser cefilm (Rires). Si l'histoire s'était déroulée àl'étranger, je n'aurais pas su ce qu'il y avait derrièrela porte, quelles étaient les espèces des fleurs quel'on trouve au bord de la route. Il n'y aurait rien eude vrai... Cela dit, la réalité est mieux quel'imaginaire qui a l'air réel. C'est valable pour moimais aussi pour Oga. C'est ce que j'ai voulu faire,dans la mesure du possible. Transformer en imagesce sentiment de bonheur ou de surprise que l'onéprouve en découvrant toutes les espèces deplantes qu'il y a dans les champs. Une tâchedifficile qui m'a comblé sur le plan artistique. Ogaet moi, nous nous disions, par exemple, "le soleilne rentrera pas jusqu'ici au début de l'été, surtoutpendant le solstice", ou bien, "il est si haut que sesrayons ne peuvent y pénétrer. Comment fait-on ?".

J'ai pu voir certains dessins sur celluloïds.Vous les utilisez de multiples manières. Vousn'avez pas, par exemple, dessiné les herbesdans le décor mais devant. Puis, vous enavez ajouté quelques-unes pour harmoniserle tout, c'est cela ?Si j'ai fait ça, c'est pour améliorer le contour desarbres. Je procède ainsi depuis longtemps. J'ajoutequelques feuilles sur le transparent supérieur, dansla mesure où cela ne se voit pas, car je n’aime pasdessiner entièrement les champs. Si cela s'estremarqué, je pense que c'est à cause du grandnombre d'arbres. Je voulais faire quelque chose deplus classique. Par exemple j'ai également réduit

l'intensité de la lumière latérale. Tout estintentionnel.

Comme la caméra toujours placée àhauteur de regard ?C'est ce qu'il faut faire pour que cela ait l'airnaturel. D'autres angles ne conviendraient pas.

Et l'arrêt de bus ?Oui, c'est effectivement une vue à vol d'oiseau.

Pour annoncer l'apparition de Totoro ?(Rires).Non, à vrai dire, on ne pouvait pas prendre cettescène sous le même angle. Mais la pluie a vraimentbien marché. J'ai même eu envie de dessiner lesgouttes qui rebondissent sur le sol. Le résultat est,en tout cas, beaucoup plus naturel que nous nel'espérions. Quelqu'un m'a même déclaré que lanature japonaise était très belle et je me suis dit..."youpi !". Enfin, ce sont des paysages traditionnelscomme on peut encore en trouver aujourd'hui.

Aujourd’hui, le ciel sur Tokyo était superbe.Grâce à la neige d'hier ?Oui.

Tokyo n'est pas mal comme cela,contrairement à ce que l'on pense ?La végétation réapparaît. Cela me fait plaisir depouvoir dire que c'est très beau. Quand on esttoujours en train de courir, on n'y fait pasattention. Je crois qu'Oga a dû découvrir beaucoupde choses en travaillant sur ce film. Le plusamusant était que des herbes poussaient dans unpot que nous avions rempli avec de la terre priseici et là. Le résultat fit un petit champ d'herbes trèscurieux. Normal, quoi. Avec beaucoup d'espèces.Au début, c'était un pot avec de petits arbresfruitiers, mais les herbes qui poussaientm'intéressaient beaucoup plus que les fruits. J'airamassé un peu de terre dans la région de Shinshu,région montagneuse du centre du Japon, et j'ai vupousser de drôles de plantes. Enfin, riend'anormal...

Comment avez-vous trouvé les paysages ?En explorant les environs de la Nippon Animation.Nous étions trois, Oga, Yoshiharu Sato, animateuren chef, et moi. Cela dit, Oga y allait souvent seul.Il a beaucoup observé. Et ceux de l'équipe

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artistique ont dû travailler dur. Dessinercorrectement des herbes est très difficile.

D'autant qu'elles poussent n'importecomment ?Même les mauvaises herbes, si on les dessine unepar une, sont jolies. Mais on n'y prête guèreattention d'ordinaire. Nous, cela nous rendaitnostalgiques. Aujourd'hui encore je m’amuse àsiffler avec une herbe. Il existe aussi cette autrevariété, qui a été fournie aux fabricants de painaprès la Seconde Guerre mondiale, si je mesouviens bien. Elle est comestible en tout cas.Nous avons également mangé d'autres espèces.Elles nous donnent l'impression de vivre libres etavec courage. C'est pour cela que je les aime. Je merappelle aussi qu'il y avait une cavité dans un arbredu temple et que j'ai joué dedans. Le tronc ducamphrier est assez inégal et l'on peut facilementl'escalader. Mais ce n'est pas toujours le cas, àl'image de celui qui se trouve dans l'université deTokyo. Il existe pas mal de camphriers semblablesà celui du film Mon voisin Totoro. Il y en a unvisiblement très ancien près de la NipponAnimation. Le camphrier ne vit pas plusieursmilliers d'années, mais il devient un très bel arbreen un siècle. Malheureusement, il ne porte pas degland. Que des petits fruits noirs. Et donc, dans lejardin de Satsuki et Mei, il n'y a pas de camphrier.J'ai pensé que si l'on exagérait un peu trop lesdessins, il ne s'agirait plus du Japon.

Vous voulez dire que cela ressemblerait àune jungle ?Non, plutôt à l'Europe. Prenons l'exemple du Chat-Bus. Il arrive comme un coup de vent. Mais,inversement, un coup de vent ne signifie pasforcément l'arrivée du Chat-Bus, ce ne serait plusjaponais. Au Japon, nous n'avons pas de divinité duvent, mais nous en avons une qui souffle le vent,elle est représentée avec un grand sac à air portésur son dos. Alors, si on définit le Chat-Bus commeun esprit du vent, ce n'est plus japonais. Le Japonse modernise. Totoro et ses amis sont desfantômes de transition qui représentent ce Japonqui balance entre tradition et modernité. J'airessenti cela très fort en faisant ce travail. Parcontre, je n'ai jamais eu envie de revenir auxmonstres fantômes de Shigeru Mizuki, ils nem'inspirent pas beaucoup. Pour moi qui suis né en1941, je me sens plus proche du chat monstretransformé en bus. Réaliser une histoire se

déroulant à l'ère de Meiji, entre 1868 et 1912 meserait étranger. Si l'on me parle, par exemple,d'une ancienne auberge de Magome (un quartierdu sud de Tokyo) qui fut autrefois une ville étape,cela ne me rend pas nostalgique. Seuls lesbâtiments d'avant-guerre toujours là ou ceux dudébut de l'ère Showa (commencée en 1926) metouchent vraiment. Les vieux monstres d'Osoresan,volcan aujourd'hui éteint du nord du Japon, ne meconcernent pas. Dans ce sens, malheureusement,je suis quelqu'un qui s'est modernisé. J'ai faitTotoro honnêtement à partir de mes sentiments.Pourtant, je tiens à dire que je n'ai pas réalisé Monvoisin Totoro par nostalgie d'une époque. J'espèreque les enfants auront toujours envie de courirdans les champs, de ramasser des glands, de jouerderrière des temples qui malheureusement ontsouvent disparu, et d'être assez curieux pourregarder sous la véranda de la maison, après avoirvu mon film. C'est tout ce que je désire.

Depuis Nausicaa, vos œuvres abordentrégulièrement le thème du rapport entre«!l'homme et la nature!», «!l'homme et lesplantes!»... Depuis quand êtes-vous attirépar le végétal ?On apprécie rarement les plantes pendantl'adolescence, les filles étant beaucoup plusintéressantes. Je n'ai pas fait exception à cette règleet n'ai découvert ce monde que vers la trentaine. Jem'en souviens encore. Il y avait bien eu ce superbearbre quand j'étais en 3e année de collège, jedevais avoir alors quinze ans, mais je n'avais jamaisété particulièrement attiré par les arbres. Jetrouvais juste les jacinthes plus belles que les fleursdes champs, c'est tout. Lorsque je suis arrivé à latrentaine, j'ai commencé à trouver la nouvellefeuillaison des ormes extrêmement belle. À cetteépoque, je me suis mis à m'intéresser aux plantes.Les arbres aussi sont beaux, bien sûr, mais ce n'estpas pareil. Dans une grande forêt de la banlieue deSan Francisco, par exemple, le sol de la forêt estsec et rares sont les petites plantes. J'ail'impression qu'on pourrait y camper avec justeune couverture. Alors qu'au Japon, il y a toutessortes d'insectes partout dont les mille-pattes...Aux États-Unis, il n'y a ni insecte, ni mouche, nimoustique, rien. On dirait une forêt artificielle.

C'est une forêt artificielle ?Non, elle est naturelle. C'est à cause du climat, del'humidité, de la température. Par contre, au sud, la

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forêt est effrayante. J'ai réalisé que j'aime lesplantes auxquelles je suis habitué. Lors de monpremier voyage à l'étranger, en Suède, j'ai trouvéles arbres beaux mais monotones. Un jour, aumilieu de la semaine, je me suis retrouvé tout seul,marchant au hasard, sans rien faire, dans le parc deShakujii-Koen, au nord de Tokyo. Pourquoi étais-jelà à cette heure ? Pour passer le temps après avoirdéposé mon fils à la crèche en attendant d'aller austudio Toei Doga où il n'y a jamais personne lematin. J'ai trouvé ce parc splendide. En fait, leJapon est très beau lorsqu'il n'y a personne (Rires).Si le Japon s'est dégradé, c'est en raison del'augmentation de sa population. Je ne comprenaispas comment il était possible de dormir au creuxd'un arbre comme dans les vieux contes de Grimmcar, au Japon, il y aurait eu des insectes partout.Pour moi, les insectes, les arbres, les plantes, c'esttout cela la nature. Quand je l'ai compris, je mesuis dit que j'étais vraiment japonais. Je n'ai jamaisété très attiré par l'histoire du Japon, mais j'ai crucomprendre qu'il y avait là quelque chose departiculier.

Tout a donc commencé quand vous vousêtes senti attiré par les arbres et la naturedu Japon ?Connaissez-vous le terme de "culture des forêtsd'arbres à feuilles persistantes ", proposé parSasuke Nakao ? Il a présenté ce concept pour lapremière fois quand j'ai eu trente ans et il m'abeaucoup impressionné. Dans le monde, il y a peud'endroits où l'on mange le riz rond : le Japon, leYunnan, au sud-ouest de la Chine, le Népal et leBhoutan. Les Japonais appartiennent à cette zoneculturelle depuis longtemps, bien avant laformation du pays ou du peuple japonais. Onretrouve donc des aliments semblables au Yunnanou au Bhoutan. Je pensais que nous autres,Japonais étions coincés dans notre archipel etn'avions que notre petite histoire minable limitéepar le Dit du Genji ou Hideyoshi Toyotomi, alorsqu'en fait nous sommes liés au Grand Monde quise trouve au-delà de nos frontières. J'étais trèscontent de l'apprendre. "La culture des forêtsd'arbres à feuilles persistantes" raconte tout cela.Après, les Japonais ont certainement commisbeaucoup d'erreurs, mais je me suis dit qu'il n'yavait pas que cela. J'ai soudain été rassuré et depuisce moment, je peux regarder sans problèmesl'histoire du Japon. L'actualité, et les horreurscommises pendant les guerres...

Vous voulez dire que vous ne vous sentezplus enfermé ?Oui avant, je me sentais vraiment enfermé. Quandje vois les Japonais, je me vois. Mon nez doit êtrecelui des hommes de Jomon, entre quatre et huitmille ans avant Jésus-Christ. J'en ai beaucoupsouffert pendant mon adolescence (Rires). Enmême temps, j'ai grandi pendant la réactiondémocratique au militarisme japonais, alors quel'on disait que les Japonais étaient vraiment nuls.C'est pour cela que je me sentais très enfermé. Lanotion de "culture des forêts d'arbres à feuillespersistantes" m'a libéré de cette impression. J'aicompris pourquoi je préférais les ormes aux autresessences, c'est parce qu'ils appartiennent aux"arbres à feuilles persistantes" (Rires). Au-delà deshorreurs de ceux qui ont fait la guerre, deHideyoshi Toyotomi qui attaqua la Corée ou du Ditdu Genji que je déteste, tout ce qui est en moi estattaché à "la culture des forêts d'arbres à feuillespersistantes". Je me suis senti beaucoup plus àl'aise lorsque je l'ai compris. Et depuis ce moment-là, j'ai pris conscience de l'importance des planteset des problèmes liés à la nature. Si l'on détruisaitla nature, on perdrait la dernière fondation del'esprit japonais. Bien sûr, il faut conserver lesforêts de Shiretoko, au nord d'Hokkaido, et ne pasles couper, mais je ne m'en sens pas très proche.C'est une autre zone culturelle, semblable à la zoneeuropéenne ou sibérienne, qui ne m'attire pas. Jesouhaite vivement que l'on conserve ses forêts dehêtres et de chênes. Il ne reste plus beaucoup devéritable forêts d'arbres à "feuilles persistantes",alors qu'elles étaient nombreuses et respectéesauparavant. En fait, les forêts japonaises sont plutôtsombres et font un peu peur.

Est-ce pour cette raison que Totoro restedans une forêt plutôt sombre, même enpleine journée ? Est-ce un animal nocturnedormant le jour ?Il y a une certaine forme de pensée occidentale quioppose l'obscurité, symbolisant le mal, à lalumière, le bien. Je ne suis pas d'accord et,d'ailleurs, certains auteurs, comme dans DarkCrystal, pensent que c'est dans l'obscurité queréside la vraie force. Tout se retrouve divisé endeux. L'Union soviétique d'un côté et les Etats-Unisde l'autre. Je ne crois pas en ce type de dualisme.Pour les Japonais, les dieux préfèrent l'obscurité.Ils apparaissent bien à la lumière de temps en

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temps, mais se terrent généralement au fond de laforêt ou dans les montagnes. Comme dans larégion d'Okinawa, où il existe une sorte de templetrès primitif constitué d'un arbre et d'une roche àcôté desquels il y a une petite maison. C'esttoujours assez terne et situé dans la pénombre.Cela peut faire peur. J'y suis allé avec les enfants etils n'étaient pas rassurés. Pour les Japonais, cesentiment de crainte témoigne en fait du respectqu'ils portent aux forêts, aux religions primitives ouà l'animisme. La nature est un chaos qui nousoblige à penser qu'il y a bien "quelque chose". Sil'on se rend dans une forêt peu fréquentée, onsent ce quelque chose, même si on est habitué àvivre dans les montagnes. On a soudain peur etl'on se dit qu'il vaut mieux ne pas y pénétrer. Cetteimpression, ressentie de façon inhabituelle, estpeut-être bien fondée. Je ne crois pas forcément ausurnaturel, mais je pense qu'il peut exister, car lemonde n'appartient pas uniquement aux hommes.Les forêts ne doivent pas être protégées seulementpour les humains... Cette obscurité est liée à cellequi est au fond de moi, et je ne peux m'empêcherde penser que si j'efface cette partie obscure,l'autre va également disparaître et mon existencedeviendra très floue. La raison pour laquelle je nesuis jamais allé au temple pour la première prièredu Nouvel An est que je n'ai jamais pu croire queles dieux n'étaient que dans ces temples dorés. Jepense que les dieux des japonais habitent quelquepart dans les montagnes (Rires).

Où ils dorment tranquillement ? (Rires).Ou bien, ils y dansent nonchalamment dans lesouffle du vent. J'aurais aimé mettre une scène detyphon dans le film.

À la place de la scène de la bourrasque querencontre Satsuki ?Je n'avais pas le choix. J'aurais préféré le faire dansdes scènes plus familières. Le typhon aurait puvenir secouer la maison. Satsuki se réveille dans lanuit et trouve leur père en train de clouer lesvolets à glissière avec un marteau. Elle le regarde,s'inquiète... La maison tiendra-t-elle ? Elle regardeau-dehors par une petite fenêtre et voit des arbrescouchés par terre, les feuilles et les branches avecles glands s'envolent... Vous vous rappelez de cettepetite fenêtre sous le volet à glissière ? Je l'ai faiteexprès, mais je n'ai pas pu l'utiliser. Pourquoi ?Parce que Mei est trop petite pour l'atteindre(Rires). Bien sûr, il n'y a pas de fenêtre placée si

bas (Rires). Si j'avais trouvé la solution à cettequestion, j'aurais réalisé un film avec une nuit detyphon. Pour exciter le spectateur.

Et le lendemain, le ciel aurait été tout bleu ?Dehors, on aurait juste vu quelques glands tombéspar terre. Rien que cela, simplement, peut donnerl'impression d'une expérience assez excitante,comme le dit Takahata. On a peur du typhon, maiscette impression vient du cœur. Tout ce quiconcerne la nature, le paysage ou le climat s'avèreplus important que ce que l'on connaît à travers lesrelations humaines. Avoir des manifestationscomme la température, le vent, la pluie, le typhon,le tremblement de terre... rêver à une grandesignification pour les Japonais. Nous avonsfondamentalement tort d'élever nos enfants là où ily a la climatisation alors que l'on dit que l'air estmeilleur à la campagne... Cette séparation de laterre, de la nature n'est pas bonne. Je veux direavec ce film qu'il y a d'autres modes de vie.

Totoro est un esprit de la nature, mais il neparle pas. En aviez-vous préalablementdécidé ainsi ?Oui, il ne fallait pas que Totoro devienne Obake noQ-Taro. Je pensais même que Totoro était tropprésent. J'avais également décidé qu'il n'aurait paspitié de Satsuki lorsqu'elle est triste. C'est trèsgentil que Satsuki cherche Mei qui est, en fait, toutprès. Alors, Totoro lui a juste rendu service et aappelé le Chat-Bus, c'est tout. Peut-être n'est-cemême pas un service rendu. Le Chat-Bus est plushumain. Il affiche la destination, "Mei". C'est unemise en scène pour les enfants, afin de les rassurer.Il faut le faire à cet instant pour arriver à une bonnechute. S'ils ne sont rassurés que lorsqu'on retrouveMei, c'est trop tard. En voyant arriver le Chat-Busavec cette destination affichée, ils comprennentqu'on la trouvera. En même temps, ils pensent toutaussi naturellement que la maman n'aura plus deproblèmes (Rires). C'est de la mise en scène et deplus, je me suis dit qu'il fallait une musique gaiepour ce passage.

Dans la première version du synopsis,quand Satsuki rencontre Totoro et luidonne son parapluie, le lendemain matin,elle le retrouve avec un paquet de graines àla porte de la maison. Pourquoi l'avez-vouschangé ?

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C'est vrai que j'ai écrit un story-board avec cescénario. Mais s'il avait agi de la sorte, cela auraitvoulu dire que Totoro comprend trop bien leschoses. Il ne pense jamais à louer ou emprunter...Et puis, il ne doit pas détester être mouillé sous lapluie. Car c'est un animal. De plus, la pluie faitpousser les plantes. C'est en quelque sorte unmaître de la forêt et il se doit d'entendre la voix desplantes. Il ne faut donc pas qu'il déteste la pluie,surtout celle qui arrive avant l'été. La feuille sur satête, c'est pour s'amuser du bruit des gouttes d'eauqui tombent dessus. Ainsi, il ne remercie pasSatsuki pour le parapluie. Là, je dois dire que celam'a un peu chiffonné et j'ai eu une idée. Si Totoroentend le bruit des gouttes d'eau qui tombent surle parapluie, cela lui fera sûrement très plaisir.Totoro considère ce parapluie comme un nouvelinstrument de musique. Il ne le rend pas, alors, ildonne des graines en échange. L'histoire n'étaitpas forcément sans possibilité de changement dèsle début. Au cinéma, les enfants semblent vraimentavoir beaucoup aimé cette scène de l'arrêt de bus.Cela m'a fait plaisir. C'est une scène immobile etdifficile. Satsuki est surprise mais aussi très excitée.Les jeunes spectateurs l'ont bien senti.

Laquelle des deux devait rencontrer Totoroen premier ?Je me suis dit que Satsuki, malgré tout soncourage, aurait pu être blessée si un grand animaldébarquait brusquement à côté d'elle sous la pluie,et c'est donc Mei qui rencontre Totoro la première.Quand elle est avec lui dans le silence, le Chat-Busarrive et repart dans la pagaille. Il n'y avait pas deraison pour que son apparition fasse peur. Parcontre, le bruit du vent, lui, fait peur. Nous avonsmême enlevé la musique de Hisaishi sur cettescène. Oui, une musique bien rythmée pour leChat-Bus. Mais, après l'avoir écouté avec lesimages, il ressemblait à un chat étranger à lasituation, un peu trop gai. Je voulais faire en sortequ'il arrive avec le vent, mais je ne pouvais pasparce que l'on ne peut pas faire de vent entre desgrands arbres, et je ne voulais pas nuire à l'aspectprofond de la scène. J'y ai donc renoncé. Le bruitdu vent va cependant très bien avec cette scène.C'est étrange (Rires). Entre la réalité et le rêve...

La scène du retour nocturne des Noiraudesvers la forêt est très intéressante, on ytrouve un mélange naturel de réalité et defantaisie.

C'est comme deux histoires totalement différentes.J'ai longuement réfléchi afin de bien combinerl'apparition de Totoro et la description de lanature. Je pensais bien qu'il fallait montrer toutd'abord la maison, les forêts, la nature auxalentours et les enfants de façon très précise,sinon, cela ressemblerait à un rêve inventé et il n'yaurait plus de surprise lors de l'apparition despersonnages fantastiques. Il fallait donc, dès ledébut, décrire minutieusement la vie réelle, ce quipermettait également de s'en passer dans ladeuxième moitié du film. La durée de chaquepartie s'est beaucoup modifiée.

Ah oui ? (Rires).Je ne pensais pas prendre autant de temps pour lapremière nuit dans la nouvelle maison.

La partie A s'est prolongée? Dans ce film, iln'y a pas de véritable histoire comme dansvos œuvres précédentes ?Non.

La recherche de Mei entraîne l'apothéose dufilm. Il fallait oser. N'avez-vous pas penséfaire une histoire plus complète ?Je ne me suis pas posé ce genre de question et j'aimême pensé que l'histoire était assez longue. Maisje reste persuadé qu'il est possible de faire un filmqui amuse les enfants avec une nuit de typhon.

Vous voulez dire qu'il est possible de leurfaire apprécier un typhon ?Non, mais une nuit de typhon est quelque chosed'assez inhabituel, donc d'excitant. Le non-quotidien dans le quotidien. Si cela n'amuse pas, lefilm ne tient pas. Comme je vous l'ai dit, je n'ai paseu recours à des procédés techniques particuliers.

La scène de la rencontre de Satsuki et Meiavec Totoro est-elle la réalité ou le rêve ?J'ai fait en sorte que l'on n'en soit pas sûr. En ce quime concerne, elle est évidemment réelle.

Il y a aussi cette scène où la danse entraîneune croissance rapide de l'arbre ?Oui, on dirait une bombe atomique... (Rires). Enregardant cette scène, j'ai pensé que c'est lagrandeur de la vie elle-même qui est dans cettegraine, ou bien, le rêve de l'arbre... (Rires).(Miyazaki ne répond pas, laissant entendre quec'est au spectateur de se faire sa propre opinion).

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"C'était le rêve mais ce n'était pas le rêve",cette phrase est également très belle ?Cependant, je me dis maintenant que Mei n'auraitpas dû dire cette phrase un peu trop explicative,mais seulement en reprendre une partie aprèsSatsuki. Satsuki aurait dit "C'était le rêve mais cen'était pas le rêve" et laissé Mei la répéter, parexemple... (Rires). On n'a pas besoin de toutcomprendre. Je ne sais pas moi-même qui estTotoro. Nous nous sommes posé beaucoup dequestions avec Hisaishi. Je ne pensais pas que cesoit une bonne idée d'accentuer le côté mystérieuxavec la musique, ni qu'il soit convenable de faireune musique trop familière. Je préfère la musiqueminimaliste qu'il compose, quelque peu neutre,pas trop mystérieuse et très bien équilibrée. Uneanecdote à ce sujet. La musique que l'on entendlorsque Totoro est debout à côté de Satsuki est surun rythme à sept temps, je l'ai trouvée un peuexcessive et trop présente. J'ai donc demandé àHisaishi d'en enlever une partie, ce qu'il a fait lorsdu mixage. Il comptait "1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, hum" enenlevant ou ajoutant certaines notes. Le résultat estexcellent et colle parfaitement au film.Etrangement bien. Il n'y a pas de rythme quandSatsuki regarde en haut et il y en a un quandTotoro apparaît. Je me suis dit que cela tombaitbien (Rires). La musique de cette scène est trèsbonne, ne dérange pas, n'impose rien. Juste unpeu étrange et mystérieuse, mais pas trop. Grâce àelle, la scène est devenue plus forte. Hisaishiréfléchissait beaucoup quand il l'a composée. Ilvoulait que ce soit gai. Mais ce n'est qu'à la fin de laréalisation que j'ai pu moi-même décider que lamusique n'avait pas besoin d'être gaie. Pendant lapréparation de certaines parties musicales, j'aiprécisé à Hisaishi qu'il n'avait pas besoin de fairequelque chose de trop joyeux et qu'il n'était passouhaitable de mettre de la musique dans toutesles scènes. Nous avons retravaillé certainesmusiques, et j'aurais parfois fait autrement si j'avaisété un peu plus musicien.

Dans Nausicaä de la vallée du vent,l'héroïne dit que Gunship coupe le vent maisque Meve monte sur le vent et j'ai étésurpris par cette image. Dans Mon voisinTotoro, Totoro devient le vent (Rires). Il volevraiment joyeusement?S'il s'agissait d'un film d'action, on aurait pudévelopper encore cette scène. Totoro, lui,

s'assimile au vent et vole. C'est tout. On ne peutdonc pas aller plus loin, sauf s'ils veulent se rendredans un endroit précis. Là, il leur suffit de dire"Nous sommes le vent !!" et c'est tout.

Un rêve pour Satsuki et Mei ?Il y a quelque chose que nous n'avons pas pu faireet je le regrette. Quand le vent souffle au-dessus del'eau, il provoque la formation de toutes petitesrides à sa surface, n'est-ce pas ? Eh bien, Oga etmoi aurions bien aimé rendre cet effet. Oga auraitpu le réaliser s'il avait disposé de trois fois plus detemps. Pareil pour les mouvements du camphrier.

Cependant la partie supérieure ducamphrier bouge légèrement ?Nous ne voulions pas d'une superposition et nousavons finalement dû renoncer. Nous avons bientrouvé la méthode, mais il aurait fallu qu'undessinateur du niveau d'Oga exécute dix dessins.On dessine l'arbre en le déplaçant un peu, avec desfeuilles, en changeant les couleurs... Les couleurs,les mouvements, le nombre de dessins nécessaires,la méthode pour animer les dessins, nous sommessûrs d'avoir trouvé comment faire. Mais nousn'avons pas eu le temps. Quand les personnagespassent au-dessus des montagnes, le mêmeproblème se posait pour les dessins des rizières encontrebas. En cette saison, elles sont rempliesd'épis et l'on n'a pas pu réaliser leur mouvement.On a dû se contenter d'un simple tapis de verdure,ce que nous regrettons vivement. J'ai parlé avecOga de la façon de représenter l'ondoiement desrizières, la surface de la rivière... Et nous ensommes arrivés à la conclusion suivante, il fallaitbien trois fois plus de temps (Rires).

Dans Panda Kopanda, le parent et le bébépanda apparaissent soudain dans la vie deMimi. Quelle différence avec Mon voisinTotoro ?Dans mon esprit, il n'y a pas beaucoup dedifférence. Le livre de Kenji Miyazawa que j'aime leplus est Les Glands et le Chat sauvage, Donguri toyamaneko, même si je ne comprends pas ce chatsauvage. Enfin, on n'a peut-être pas besoin de lecomprendre. Seulement, je n'ai pas du toutapprécié les illustrations de cette nouvelle. Un chatsauvage petit comme ça, ça ne me convient pas.Un chat de deux mètres, debout, bouche béeregarderait d'une autre hauteur les petits glandsqui courent partout en criant. En l'imaginant

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comme cela, j'ai pu aimer son monde. J'aiégalement été déçu à la première apparition durenard. Je le voyais aussi beaucoup plus grand car ilarrive à mystifier les humains. Le renard que j'ai vun'était pas plus gros qu'un cocker et j'ai penséqu'ainsi il ne pouvait pas mystifier les hommes.Pareil pour les vrais ratons. Alors, quand j'ai réaliséPanda Kopanda, il fallait que les pandas soientabsolument gigantesques et qu'ils soient debout,bouche bée. En japonais, nous avons lesexpressions "petit malin" et "grand bêta". Je penseque les Japonais aiment ce sot, distrait et tolérant,tout comme Takamori Saigo. J'aime ce genre degrand bêta distrait. C'est pour cette raison queTotoro a été conçu ainsi (Rires).

Il rit, mais ne parle pas. En le regardant,n'est-on pas un peu rassuré, libéré ?Les dieux japonais rient, contrairement à Jésus-Christ. Peut-être est-ce à cause du climat. Parfoisrude, le climat du Japon est en effet généralementdoux. Je n'aimais pas cela quand j'étais jeune, jerecherchais quelque chose de plus accentué.

Les dieux sont aussi plus populaires auJapon. N'éprouvent-ils pas les mêmessentiments que les humains ?Les dieux peuvent être sévères. Mais quand ils sontcalmes, ils sont doux, souriants. J'aime cela. LesJaponais ne souhaitent pas êtres sauvés par lesdieux, je dirais qu'ils deviennent Bouddhas dansl'arbre, la montagne, la terre, par la transformation.Je préfère donc l'enterrement. Lors del'incinération de ma mère, j'aurais souhaité unenterrement. S'il y avait eu des fleurs quipoussaient à cet endroit, j'aurais pu penser que mamère s 'était transformée en fleurs. Il ne faudraitpas que nous devenions seulement du carbone etdu gaz carbonique. J'aurais bien voulu que soncorps nourrisse les arbres, les herbes, les insectes,les êtres vivants... Qu'est-ce que je raconte ?(Rires).

Dans cette histoire, il n'y a aucuneexplication sur Totoro ni sur le Chat-Bus.Les gens peuvent très bien penser que cesont des dieux, des monstres ou desfantômes. Comment vous est venue cetteidée de transformer un monstre enautobus ?Le Chat-Bus est un simple chat monstre. Il a vu unbus et ça lui a plu. Totoro a appris ainsi la poterie

de l'ère Jomon des mains mêmes des habitants decette époque. Il imite aussi les garçons de l'èred'Edo qui font tourner leurs toupies (Rires).Comme il est âgé de trois mille ans, il vient toutjuste d'apprendre à s'en servir. Il a peut-être vu lagrand-mère de Kanta se faire gronder par sesparents et pleurer quand elle était petite. Totoropense peut-être que Mei et la grand-mère de Kantaquand elle était petite, sont une seule et mêmepersonne (Rires).

Le Chat-Bus a douze pattes. Comment court-il ?Comme les mille-pattes. J'ai confié cette partie àKatsuya Kondo. Je vérifiais son travail de temps entemps pour perfectionner ce mouvement qui n'estpas tout à fait naturel. Quand les animauxmarchent, les épaules avancent, ce qui n'est paspossible avec le Chat-Bus, à cause de lamorphologie de ses épaules. On peut cependanttoujours trouver une astuce pour les personnagesimaginaires. Il est plus difficile de représenter deshumains, comme Satsuki et Mei, en train de courir.

Que procure à Satsuki et Mei la rencontreavec Totoro ?L'existence même de Totoro sauve déjà Satsuki etMei. Rien que son existence. Totoro aide Satsukiquand il faut retrouver Mei qui s'est perdue, maisj'ai pensé qu'il ne fallait pas que Totorol'accompagne.

Il suffit que Totoro dise "L'île aux trésorsexiste" ?Tout à fait. "Laputa existe vraiment "(Rires). Pasbesoin d'en faire plus. Malgré cela, l'île aux trésorset Totoro existent bel et bien. Satsuki et Mei nesont pas seules puisque que Totoro est là. C'estbien comme cela... En réalisant ce genre de films,je commence à comprendre ce qu'il y a au fond demoi. Je me suis rappelé mon enfance, celle de mesenfants, de mes neveux et nièces devenus grandsmaintenant. Grâce à eux, je n'ai pas eu besoin deme demander trop ce que pensent les enfants. Unefois, mon fils cadet, alors qu'il était encore à lamaternelle, est allé faire les courses avec mafemme. Ce jour-là, il y avait un vent terrible. Enrentrant, ma femme s'est écriée que c'était ungénie. Il avait dit "Aujourd'hui, les boules du ventnous cognent". Il a peut-être oublié cette anecdotemaintenant, mais c'est ce que ressent vraiment unpetit enfant. Cela m'a intéressé. Dans Mon voisin

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Totoro, il y a la scène dans laquelle un coup devent emporte le bois de Satsuki. J'ai utilisé uneboule d'air. Ces souvenirs restent dans mamémoire et Mon voisin Totoro en est le recueil.Bien sûr que j'étais triste quand ma mère futhospitalisée. La maison vide au retour de l'école. Jem'en souviens très bien...

Satsuki est cependant beaucoup plus adultequ'une enfant de dix ans …Elle est bien obligée dans ces conditions. Lesgamins de dix ans qui sont en CM2 ne regardentplus Doraemon. Ils sont au stade où ils sont lehéros de l'histoire. Il y a un conte pour enfantsintitulé Je suis le roi . Ils aiment cette histoire. Leroi un peu bébête, c’est eux-mêmes. Ils rigolentdes bêtises du roi, mais ils y lisent aussi leur réalité.À partir de cet âge, ils espèrent être ceci et pascela. Ils commencent également à aimer. Dix ans,c'est une étape. Satsuki, avec ses comportementset son caractère, a-t-elle dix ans ? Les enfants de cetâge pensent qu'ils savent cuisiner. Je l'ai fait moi-même, tout comme le nettoyage. J'ai aussi faitchauffer l'eau du bain...

Un de vos collaborateurs m'a rapporté que,pendant te tournage, vous avez mêmedonné un cours sur les façons dereprésenter la marche. Est-ce vrai ?Non. Ce n'était pas sur la marche mais sur lacourse.

Mais encore?Les personnages du film ne couraient pas. Les gensde l'équipe connaissaient toutes les étapes dumouvement, mais les personnages ne couraientpas. La représentation de la course avec deuxdessins intercalés au milieu de six images n'étaitpas encore répandue, même lorsque j'aicommencé à la Toei Doga. Certains étaient pour etd'autres étaient pour cinq images. L'école YasuoOtsuka soutenait l'idée des six images. Takahataaussi. C'est Otsuka qui, à l'époque, m'en a appris lathéorie. Il m'a expliqué comment fonctionnel'illusion, le rôle de chaque image, leurs relations...J'ai été convaincu, mais j'ai aussi développéquelques cas particuliers comme, par exemple, lacourse d'un petit enfant, celle du traître, pour fairema propre théorie. Et je savais que cette théoriegénérale ne s'appliquait pas à tous les cas.Aujourd'hui, les dessinateurs dessinent sans riensavoir de la théorie. Et ceux à qui je l'ai enseignée à

leur arrivée l'ont oubliée. Comment distinguer lescas où il faut, et ceux où il ne faut pas, représenterles mouvements de la partie supérieure du corpset ceux de la partie inférieure ? Je leur ai expliquécela une fois, mais ils ne peuvent pas tout retenird'un coup.

Vous avez fait ça pour Satsuki ou pour Mei ?Comment avez- vous procédé ?Non. Je leur ai expliqué la base de la théorie, pourleur donner l'idée du point de vue à choisir. Quandon monte les dessins à animer, il faut connaître lesens de ces manipulations. C'est ce que je leur aidit. Il y a trois poses de base et si on ne les montepas correctement, l'image de la course est raide,pas naturelle. J 'ai dû corriger beaucoup de scènesde course. Des originaux et des animés. Et j'ai misdes poses de référence... Il y a eu beaucoup deratés.

À l'école primaire, les petits de six ou septans bougent beaucoup. Ils ne sont jamaisfatigués et ils sont très rapides.Oui. Vous savez, les enfants n'ont pas l'intention decourir mais plutôt de se dépêcher. Et comme ilsveulent se dépêcher, ils courent, ce qui est logique.Quand on demande à un petit de courir, il ne sepresse pas, mais si on lui demande se dépêcher, àpeine a-t-il répondu "oui" qu'il a déjà filé. (Rires).Dans leur esprit, ils se dépêchent, mais ne courentpas. Ce film-là n'a pas d'histoire qu'il faille raconterlonguement. Chaque image doit être porteuse dumessage par elle-même. Et pour cela, la capacitédes dessinateurs n'était pas suffisante. Passuffisante du tout ! Ils ne sont peut-être pashabitués. Et puis il y a peu d'histoires quidemandent autant aux dessinateurs ? Il n'y a pasque ça. Trop de dessinateurs refusent des'intéresser à ce genre de détail. Ils ne veulent pasapprendre et se taper tout ce travail. Ils veulentoublier la réalité, s'envoler ailleurs, ous'abandonner. Ce qui ne me gêne pas pour laréalisation de films d'action, mais me dérangeénormément pour Totoro. Les enfants ne courentpas au même rythme. Quand on les regarde, ons'aperçoit tout de suite qu'ils sont différents.Quand les enfants rentrent les uns à côté desautres en bavardant, ils ne parlent jamais les unsaprès les autres. Ils se retournent, se détournentsans cesse. J'ai souvent demandé à mescollaborateurs de regarder par la fenêtre passer lesenfants.

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Avez-vous des filles ?Non. Deux garçons. Et chez moi, nous sommesquatre frères. Que des garçons.

Pourquoi avez-vous pris deux sœurs ?Parce que je suis un homme. Si les personnagesprincipaux devaient être des hommes, cela auraitété Kanta et son frère, mais l'histoire aurait étédifférente.

Plus "brute" ?Non... Elle aurait été plus douloureuse et jen'aurais pas pu la réaliser. Elle aurait été tropproche de mon enfance. Et ce n'est pas ce que jevoulais. Ma relation avec ma mère n'a pas été aussiintime que celle entre Satsuki et la sienne. J'étaistrop conscient de moi-même et ma mère l'était,elle aussi. Même si je lui avais rendu visite àl'hôpital, je n'aurais jamais pu sauter dans ses bras.J'aurais été beaucoup plus timide que Satsuki. Quefait la mère de Satsuki ? Elle peigne les cheveux desa fille... Une manière d'établir un contact physiqueen quelque sorte. C'est ce qui encourage sa fille.Kihara m'a raconté l'histoire d'une femme. Sa mèreétait malade et ne pouvait rien faire pour elle.Alors, elle peignait soigneusement les cheveux desa fille en parlant avec elle. C'était un soutienénorme pour la jeune fille. Au Japon, on ne peutpas s'embrasser et se serrer fort comme enOccident, ce n'est pas possible. Et d'autant moinsquand la fille en question est en CM2. Ce rite de lacoiffure est donc très important. Quant à Mei, ellepeut sentir la chaleur de sa mère, en secramponnant à ses genoux. Elle peut encore lefaire.

J'ai été très ému par le mouvement lent dela bicyclette, le bonheur qui se sentait surleurs visages lors de la scène du retour,après la visite à l'hôpital. Une très bellescène. Je me demande si je peux vous posercette question mais Satsuki ne peut retenirson émotion et se met à pleurer, pourquoi ?Au début, je n'avais pas l'intention de la fairepleurer si fort, car je pensais que Satsuki est unefille qui tient bien le coup. Dans la partie B, j 'airemarqué que Mei ne réfléchit pas trop et vit plusinstinctivement, ses sentiments ne sont donc pastrop étouffés, ce qui n'est pas le cas de Satsuki.Parce que Satsuki est trop sage. Elle se force àretenir ses sentiments. Il faut qu'elle l'admette et

elle sera soulagée. En continuant ainsi, elle peutfinir mal. Au milieu de la partie B, au début de lapartie C... Je me suis dit qu'il fallait qu'elle explosequelque part. Elle ouvre les fenêtres chaque matin,prépare le petit-déjeuner et le déjeuner àemporter, s'occupe de sa petite sœur... Après avoirterminé la partie C, quand j'ai entamé la D, je mesuis dit qu'elle devrait piquer une colère... Mais jen'avais pas envie qu'elle jette des casseroles, nonplus. J'ai connu cela, moi aussi. Faire la cuisinequand on est gosse pendant que sa mère, malade,reste couchée ne mérite pas d'éloge particulière.C'est la vie de tous les jours. Si l'on ne remplace samère qu'une seule journée, ça va, mais tous lesjours, c'est pénible. Satsuki fait ça pendant sixmois... Le père le fait bien de temps en tempsmais... J'ai donc pensé qu'il fallait que Satsuki piqueune grosse colère, qu'elle pleure au moins unefois. C'est trop dur pour elle, comme sa mère lerappelle à l'hôpital. Je devais comprendre cequ'elle pouvait ressentir. Elle finirait par maltourner sinon... Pour le dernier tableau à la fin del'histoire, j'ai choisi celui où Satsuki s'amuse avecles autres enfants, rassurée par le proche retour desa mère à la maison. Tous les enfants seressemblent et l'on ne peut pas distinguer Satsukides autres mais cela suffit. Il valait mieux que Meis'amuse avec des plus petits qu'elle, et n'agisse pascomme une petite sœur dont se moquerait Satsuki.Alors, pour la fin, j 'ai intentionnellement exclu lesscènes dans lesquelles Totoro se serait retrouvé encompagnie de Satsuki et de ses camarades. Parceque, s'il était resté là, elles ne pourraient plusrevenir dans le monde des humains. Elles n'ontplus besoin de revoir Totoro.

Elles font un bonhomme de neige et lesTotoro les regardent ?Ce serait possible, mais ce n'est pas la peine. C'esten arrivant à la fin de la création que j'ai été amenéà penser que les dernières images du film devaientêtre ainsi et pas autrement. C'est à ce moment-làque j'ai enfin compris cette œuvre. Et que j'aidécidé aussi de ne pas la prolonger. Il suffit derencontrer Totoro une seule fois.

Il me semble que beaucoup se souviennentde leur enfance ?Voici une histoire qui est arrivée juste après monemménagement à Tokorozawa. Un gamin était,paraît-il tombé, dans la rivière et ses parentsplongeaient et replongeaient pour le chercher.

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Tout autour, c'était la panique. La rivière était sale,on aurait dit un égout. Mais on a cherché cetenfant désespérément. Et puis soudain, il estapparu. Il jouait tout simplement ailleurs. Ce genred'incident nous fait perdre facilement les pédales.Il est arrivé également que mon petit frère nerevienne pas d'une fête foraine. Nous étions tousinquiets. Quelqu'un l'avait sûrement enlevé. Toutle monde se dispersait et... personne ne seretrouvait. À présent, il y a le téléphone, on ne seperd plus... Nous avions cherché mon frère dans lapénombre de la fête foraine. Finalement, quand onl'a retrouvé, il était avec une mamie inconnue,agrippé à sa manche, en pleurs. La pauvre femmeétait bien embêtée, mais elle restait avec lui car ellene voulait pas le laisser seul (Rires). Mon film estfait de tous ces incidents, il n'y a pas d'histoire. J'aivoulu un film de 90 minutes et si je devais lerallonger, ce ne sont pas les scènes avec Totoroque j'ajouterais mais celles de la vie quotidienne deSatsuki et Mei.

Vous voulez dire que c'est une histoire avecSatsuki et Mei et non pas avec Totoro ?Vous souvenez-vous de la scène où Satsuki et Meise sont endormies après avoir téléphoné ? Je nesavais vraiment pas comment la développer. J'y ailongtemps réfléchi. J'ai commencé par dessinerSatsuki toute triste dans la cuisine, mais cela necollait pas du tout. Dans mon cas, lorsque ma mèreétait hospitalisée, il n'y avait que la bonne à lamaison. Les enfants et les domestiques fontrarement bon ménage. Chaque matin, ellem’arrachait la couverture sans pitié. Elle n'avaitqu'une vingtaine d'années et cela l'embêtait des'occuper de gosses plutôt dissipés. Un jour, mongrand frère m'a dit que notre chien bien aimé avaitdisparu. Ma tristesse fut indescriptible. Je ne savaispas quoi dire. Si mes parents avaient été là, j 'auraispu leur demander de faire quelque chose mais cen'était pas le cas. La bonne prenait cela bien, ellen'aurait plus à s'occuper de lui. Je ne me rappelleplus ce que j'ai fait ensuite... Je me suis sans douteendormi. J'en ai parlé avec Tsugiko Kubo qui aécrit la novélisation de Mon voisin Totoro et je luiai demandé qu'elle serait la réaction des enfants.Elle m'a répondu qu'ils s'endormiraient. J'ai doncdessiné Satsuki endormie sur le tatami, cela m'asemblé exact. Mei ne s'endormira pas tout de suite.Elle finira de pleurer en arrivant à la maison entripotant son jouet par habitude mais n'arrivant pasà se concentrer. Elle finira par avoir sommeil et

s'endormira... En analysant le comportement deSatsuki et de Mei, j'ai soudain compris quel avaitpu être le mien.

Vous avez trouvé la solution à votre trou demémoire ?Oui. J'ai réalisé que j'avais dû m'endormir, peut-être dans une chambre vide, sans oreiller, nimatelas, ni couverture. La domestique ne m'ajamais mis de couverture ni apporté d'oreiller.J'aime cette scène parce que je trouve l'histoirevéridique. J'en suis très content. Quand j'aidemandé à Oga ce qu'il pensait du tableau deSatsuki et de Mei endormies sur le tatami, il m'arépondu «!Ça doit être sympa de faire une siestedans un tel endroit!» autrement dit, les parents necomprennent pas vraiment les enfants. Ils onttendance à croire qu'ils s'endorment sans souci,innocents. Alors que pour les enfants, c’est tout lecontraire. Ils s'endorment pour se défendre.Quand ils ont des problèmes. Lorsque j 'ai compriscela, j 'ai pensé mieux connaître la réalité. De plus,Mei s'endort avec un maïs dans les bras. On ne lecomprend peut-être pas sous cet angle, mais ilfallait faire en sorte que l'on puisse percevoir cesentiment. Son visage ne devait surtout pas êtretriste, car cela aurait sonné faux. C'est avecl'achèvement de cette scène que j'ai éprouvé leplus de plaisir. Je n'ai jamais imaginé qu'elle tenaitun épi de maïs. J'ai dû être distrait!! Pouvez-vouscomprendre ce genre de situation ? Lorsque j'étaisen colonie de vacances au bord de la mer, j'ai vupour la première fois un oursin en vrai, je me suistout de suite dit que je devais absolument lemontrer à ma mère qui était malade et je l'ai missous le bâtiment. Maintenant, je sais que ma mèreen avait déjà vu (Rires). Si un enfant veut partagersa surprise ou sa joie avec sa mère, il ne peutimaginer qu'elle connaisse déjà ce qu'il va lui direou montrer. Pour Mei, c'est le premier épi de maïsqu'elle cueille et elle oublie que la grand-mère en adéjà cueilli pour elle. Si elle le donne à sa mère,celle-ci recouvrera la santé. Maïs est un mot clépour Mei. "Si je donne ce maïs à Maman, elle seraguérie. Ce maïs a été cueilli par Mei que Mamanaime."

Impossible que cela ne marche pas ?Je ne sais pas si elle a réfléchi jusque-là, mais elle adû penser" Si je le donne à Maman, elle reviendra"."D'ailleurs, ma grande sœur pleure aussi"! Mais, àce moment-là, quand elle voit pleurer Satsuki, Mei

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comprend pour la première fois qu'il se passequelque chose de grave. Elle pense que Maman aun gros problème et qu'il faut absolument qu'elleaille la voir... Je pense que nous avons tous connuce genre de situation lorsque nous étions enfants.

Quand gravent-elles les caractères sur lemaïs ?Satsuki a dû l'écrire avec ses ongles sur l'arbre àcôté de l'hôpital, car Mei ne sait pas encore écrire.

Au moment culminant de l'histoire, lorsquetout le monde cherche Mei, il y a unmagnifique effet d'embrasement du ciel à latombée de la nuit renforçant la tension.Comment avez-vous utilisé les lumièresdans ce film ?Je suis toujours pleinement conscient sur la façonde travailler la lumière. Sans elle, les images nesont jamais intéressantes. Cependant, la dernièrepartie, de la journée à la nuit en passant par lecoucher de soleil, représente plus d'un quart de cefilm. Je comprends qu'Oga ait eu du mal à assumercette tâche. Nous nous sommes dit «!cela auraitété tout aussi bien s'il avait fait plus sombre!». Maissi on l'avait fait, cela aurait été la panique. Il estplus facile de décréter que «! tout est rouge aucoucher du soleil!». Par contre, nous avons voulumodérer ce coucher que nous n avons qu'une fois.Lors du retour de l'hôpital, pourtant, le soleil esten train de descendre et il fait plus sombre, lescouleurs sont donc plus foncées. Comme l'histoirese passe au Japon, il faut traiter correctement ce

côté artistique de la lumière, car tous lesspectateurs le connaissent. Tout n'a peut-être pasbien marché, mais je pense que le changement trèsnet des couleurs et des lumières du dernier quartest bien réussi, d'autant que c'était beaucoup plussobre juste auparavant. Sur le plateau, nous nouscroyions en été (Rires). " Comme ce n'est pashumide, ça doit être l'été à Akita ?"

Il y a non seulement la subtilité deslumières mais aussi la pluie, le vent, leclimat estival, la lune... Le temps est trèsvariable. Vous l'avez fait exprès, parce queles enfants y sont sensibles ?Mais... le monde est ainsi (Rires). C'est comme ça.Il fait beau, il y a des nuages, il pleut, il y a du ventla nuit... Les hommes vivent sous ces climats. Ilssont habitués. La grand-mère de Kanta aimebeaucoup Satsuki et Mei, car ces filles de la villeont aperçu les noiraudes qui appartiennent aumonde de la campagne. Elle a compris que ce nesont pas des étrangères de la ville mais des enfantsqui voient l'essentiel. Elles remarquent le ciel bleu,les glands tombés par terre, les petites fleurs aubord de la route... Il en va ainsi de tous les enfants.Après Laputa, il a dû y avoir de plus en plusd’enfants et d'adultes fascinés par 1a grandeur desnuages dans le ciel. Et après Mon voisin Totoro, ildevrait y en avoir de plus en plus qui prendrontconscience de la beauté des herbes et des fleurs aubord de 1a route. J'étais vraiment très heureux enréalisant ce film.

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HORS CHAMP!: ELEMENTS CONTEXTUELSPar Pascal Vimenet, Dossier pédagogique Gébéka Films

Le cinéma d’animation japonais

Le cinéma d’animation au Japon a une longuehistoire.Ses origines remontent, comme en Europe, à la findu XVIIIe siècle. Une lanterne magiquefonctionnant à l’huile de colza, et dont le nom«!utsushi-e!» signifiait «!image projetée!»,permettait «!d’animer!» un théâtre d’ombres .Apartir de 1909, des films d’animation européens etaméricains, notamment ceux des frères Fleisher,furent montrés au Japon. 1915 est l’année où troispionniers japonais (le caricaturiste OtenShimokawa, le peintre Junichi Terauchi et lecritique d’art Seitaro Kitayama) se lancent à leurtour dans l’aventure. Plusieurs œuvres des débutssont conçues en silhouettes découpées, selon leprincipe lié à la tradition du chiyo-gami.En 1932, est réalisé le premier film d’animationsonorisé et parlant (Force, femmes et les cheminsdu monde de Kenzo Masaoka). En 1958, la TOEIproduit le premier long-métrage en couleurs, Leserpent blanc, qu’Hayao Miyazaki découvre et quiva l’engager à devenir lui-même animateur.Au début des années 60, se développe lephénomène des séries télévisées qui va galvaniseréconomiquement le cinéma d’animation japonaistout en menaçant gravement, à partir des années70, ses possibilités artistiques. Une premièreréaction est exprimée, dès 1960, par le «!groupedes trois!», fondé par Yoji kuri, cinéasteindépendant, proche du post-surréalisme.Depuis les années 80, coexistent difficilementcinéma commercial et cinéma d’auteur. Ce dernierest notamment incarné par Hayao Miyazaki. Lepublic japonais adule désormais ce réalisateur.

Les sources du cinéma japonaisDès l’origine, le cinéma nippon, le plus anciend’Extrême-Orient, divisa toute sa production, àTokyo, entre les sujets modernes (dits genkaï-geki) et les sujets anciens (dits jidaï-geki), quis’inspiraient notamment des pièces classiques duthéâtre kabuki. Ces sujets traditionnelsprivilégiaient aussi le chambara (film de sabre).Comme en Europe, les traditions théâtrales, de jeuet de mise en scène, prédominèrent dans les filmsdes premiers temps jusqu’à ce que, dans lesannées 20, des réalisateurs, tels Kenji Misogushi,Teinosuke Kinugasa et Tomu Uchida, forment ungroupe qui oeuvra à rendre le cinéma indépendantdu théâtre filmé, à le moderniser, à affirmer sonautonomie expressive. Ces réalisateurs ontconcouru à supprimer le rôle traditionnel desO y a m a (les hommes qui tenaient les rôlesféminins dans le théâtre kabuki) et ont permis peuà peu l’expression de vrais rôles féminins.Le cinéma d’animation nippon fut dépendant,thématiquement, de ce phénomènre. JunichiTerauchi, par exemple, met en scène des contespopulaires liés au chambara (La nouvelles épée deHanahekonai ou encore L’épée paresseuse). Et denombreux films d’animation empruntent à lastylisation figée du masque kabuki pour désignerleurs personnages.Le cinéma de Hayao Miyazaki s’inscrit donc dansles deux termes de cette source historique!: parson renouvellement de la stylisation du masque etpar son affirmation de rôles féminins prééminents.

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DECRYPTER LES IMAGES D’UN FILM D’ANIMATIONPar Pascal Vimenet, Dossier pédagogique Gébéka Films

Pourquoi le cinéma d’animation plaît-il tant auxenfants!? Parce qu’il provoque à leur insu un jeutrès rapide d’observation et de rassemblement designes épars. C’est un puzzle en mouvement. Lemouvement, la vitesse sont les pièces maîtressesqui, à chaque fois organisent mystère, suspense,attente et provoquent de manière accélérée desémotions essentielles!: joie, crainte, peur, etc.Donc la base de tout «!jeu!» autour d’un film estl’observation attentive et le jeu de la mémoire surcelle-ci.Ce «!jeu!», mené avec attention, peut aboutir à seposer de vraies questions sur le langagecinématographique. Nous proposons ici deuxapproches!:La première consiste à s’intéresser aux images dugénérique en tant que typologie signifiante,annonciatrice notamment d’un des thèmesqu’exploite le film!: le jeu avec les peursenfantines. L’identification des sujets composantces images pourrait aider à la révélation orale de cethème par de jeunes enfantsLa seconde consiste à effectuer un travail dedécryptage et d’analyse simple des images d’unedes séquences centrale du film!: celle où Satsuki etMei attendent leur père et vont rencontrer Totoroet le chat-bus.

Le génériqueQue disent les images du générique!? Celui-ci estnotamment structuré par une frise cinétique oùl’action est répétitive. Il y a quelque chose dumanège et de la ritournelle ou la comptine. C’estune sorte de leitmotiv. Les images montrent unegamine effectuant à plusieurs reprises une marchelatérale droite-gauche. En terme d’animation, c’estune reprise, une répétition du cycle de la marchede la gamine.Elle est environnée par une frise farfelue qui abriteou dissimule des bestioles auxquelles esthabituellement lié un sentiment de répulsion,incarnant souvent les peurs enfantines!: lucane,lézard, abeille, sauterelle, chauve-souris, chenille,scorpion, araignée, crapaud et … noiraudes.

La bande musicale, à l’unisson de l’image, est à lafois grinçante et enlevée, sorte de jeu de farces etattrapes, et presque joyeuse comme dans l’amorced’une comédie musicale américaine.Les paroles prononcées, non traduites, leursonorité, renvoient à l’étrangeté des lettres dugénérique qui vont venir s ’ inscr iresimultanément!: le premier contact avec cetunivers japonais s’établit de cette manière.Le générique annonce l’un des thèmes récurrentsde l’histoire qui va être contée!: elle mettra enscène ou s’appuiera sur un moteur fantasmatiqueessentiel à la structuration de l’enfant, la peur.

Analyse de séquenceRésumé :Mei et Satsuki vont en fin de journée attendre leurpère à l’arrêt de bus. Il n’est pas dans le premierbus qui passe. L’attente commence à se prolongerjusqu’à ce que Mei s’endorme et que Satsuki voits’installer à ses!côtés Totoro. Totoro accepte sonparapluie mais, agacé, chasse toutes les gouttes depluie en sautant à pieds joints. Surgit alors unincroyable chat-bus qui emmène Totoro dans lanuit. Celui-ci, avant d’y monter, fait cadeau à Mei etSatsuki, d’un petit paquet. Le bus arrive enfin etMei et Satsuki, très excitées par leur rencontre,retrouvent enfin leur papa.

Elements d’analyse de la séquence!:la séquence dure plus de sept minutes. Sapremière partie est calquée sur un découpageclassique de cinéma réaliste. Sa deuxième partieest traitée sur un mode onirique. Le passage del’une à l’autre est basé sur une dramaturgiecomplexe, où chaque détail compte beaucoupdans l’instauration de l’ambiance générale. Ces«!détails!» sont à la fois la manière dont estdécoupé et avancé le récit et tout ce qui corroborece niveau narratif, souvent en le redoublant!: lamusique et l’accompagnement sonore, la valeurdes plans, leur cadrage et leur composition,l’ordonnancement de ceux-ci, le chromatismechoisi.

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Quatre moments clésLa déception de Mei et Tatsuki. Dans ceprologue, tout est trait sur un mode réaliste!:spatialité (unité de lieu, caméra fixe), logiqued’enchaînement des plans (champ et!contre-champ) ambiance sonore (pluie, bruit des pasdans l’eau, approche du bus puis bruit du moteurtournant au ralenti, bruit des portes automatiques)et dialogues, simples et clairs, très quotidiens.L’amplification de la déception éprouvée par lesdeux fillettes à la découverte de l’absence du pèreest alors redoublée et signifiée, comme dans toutfilm classique, par un plan total de fermeture!: faceau parapluie rouge ouvert, au premier plan, quidissimule tout à fait les fillettes, défile droite-gauche la carlingue hermétiquement fermée dubus qui reprend sa course.

La naissance de l’onirisme. Pendant qu’unthème musical, en gouttelettes, d’abord trèsdiscret puis de plus en plus lancinant, à l’unissonde la monotonie de la pluie, installe l’étrangeté, laséquence effectue une première déconnexion duréel!: Mei, qui s’ennuie ferme et traîne ses bottesdans les flaques d’eau , s’approche d’un auteldissimulé dans l’ombre des arbres. L’onirisme naîtà cet instant précis par l’intrusion d’une divinitéjaponaise de tradition shintô.!: le renard d’Inari àl’écharpe rouge. Et la caméra, dans les mainsd’Hayao Miyazaki, devient un moyen signifiantopérant à ce moment-là un décadrage de Meivers le renard, qui passe au premier plan, commepour souligner le décentrage que subit alors lerécit et son inscription, désormais, sous le sceau dela divinité de la fertilité (à quoi le petit paquet desgraines magiques de Totoro fera écho à la fin de laséquence).

L’attente-suspense. La tension est légèrementretombée, mais, presque comme dans une parodiedu suspense Hitchcockien (de La mort auxtrousses, par exemple), des leurres, d’apparence

anodine, se multiplient!: le lampadaire quis’allume, et traduit le temps qui passe, lance unnouveau thème musical d’attente pour faireaussitôt écho à un lumignon prometteur au fondde la nuit. Las!: c’est le phare d’une bicyclette quipasse, avec force bruit réaliste, devant les deuxfillettes. Puis, pendant plus d’une minute, plus quede l’imge et du son «!nus!»!: la pluie fine,transperçante, lancinante, nimbant d’un halo pâleles silhouettes effacées de Mei et Satsuki. Cettesituation d’attente est signifiée et prolongée parune vue en plongée de Satsuki et de son parapluierouge. Cet éloignement les enserre littéralementdans une durée infinie. Elles sont prisonnières.Dans le même temps, le surplomb de l’ombre dulampadaire, dans une lumière paranormaleauréolant l’image, annonce un dénouement. Maisl’attente semble devoir encore durer!: un crapaudprogresse latéralement le long d’une flaque d’eau.Satsuki le regarde, comme hypnotisée par latorpeur du moment. Elle réajuste sa petite sœurendormie sur son dos. Tout est réaliste.L’arrivée de T o t o r o . C’est alors que,paradoxalement, l’onirisme est introduit par unnouveau son réaliste hors-champ!: un bruit depas. Satsuki regarde le sol nu, très vériste, à sespieds. Le bruit de pas se rapproche. Puis, dans cecadre du sol, pénètrent deux pattes griffues et unbas-ventre à la fourrure épaisse, au moment où lethème musical de suspense reprend. Contre-champ de Satsuki clignant des yeux pour s’assurerqu’elle ne rêve pas. Aucun doute!: la patte griffue àprésent se gratte, gros plan. Satsuki lève la tête et,pour la seconde fois, la caméra décadre pourrecadrer le haut du sujet, jusqu’au moment oùSatsuki ose sortir du dialogue réaliste et poser saquestion!: «!C’est toi Totoro!?!» Ce que l’étrangeanimal semble confirmer par un grognement deconsentement félin, indiquant une relation aussifamilière et distante que celle d’Alice et du LapinBlanc.

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LANGAGE DES DÉCORS ET JEU DES SIGNESPar Pascal Vimenet, Dossier pédagogique Gébéka Films

Langage des décorsL’importance et la magnificence des décors deMiyazaki sont indéniables. L’amour du détailréaliste le dispute toujours à la brillance outrée duchromatisme, la sensation d’espace au lyrismebucolique, la vérité de la lumière à sa mythologie.Au-delà de leur rôle de mise en place des lieux del’action, de leur appartenance à la narration, lesdécors de Miyazaki, particulièrement dans Monvoisin Totoro, ont une autre fonction!: ilsinterviennent en contrepoint de la narration, ils ensont la scansion, ils en créent la poétique. Ils sontlà pour délivrer la densité et la nature des choses, àla manière des haïkus qui condensent en un éclairune sensation!: oppression de la nuit, luminositéd’une rizière, vide d’une maison, lumière du matin.Ils communiquent donc au fur et à mesure par unenon réalité extérieure mais une sensationintérieure de réalité.Une combinatoire allie subtilement la constructionarchitecturale réaliste de l’espace à un effet lyrique,communiqué par des contrastes de couleursentières ou des déclinaisons autour d’une seuleteinte, effet souvent renforcé par un mouvementde caméra de lents panoramiques ou par unecinétique du décor lui-même.Dans Mon voisin Totoro,les exemples abondent Enouverture du film, l’un des thèmes prédominants –la nostalgie d’une nature mythifiée – est installéd’emblée par une multiplicité de plans où levégétal, les verts et la clarté envahissent l’écran. Lefilm naît dans une sorte de solarité foisonnante. Lechoix de l’été, ainsi signifié, est en harmonie avecce que va exprimer le film!: sensation de fertilité etde paisibi l i té. Les personnages sontimmédiatement immergés dans ce décor, presqueabsorbés par lui et les spectateurs aussi attentifsqu’eux à ces multiples détails (ainsi de la rizièreomniprésente, parce que présentée deux foissuccessivement selon une inversion d’axe).La forêt, l’arbre sont au centre du travail du décoret les différentes séquences autour du camphrieren établissent la déclinaison!: découverte ducamphrier par Mei et Satsuki, où le temps del’action suspend son vol pour ne laisser place

qu’au gigantisme de l’arbre, exprimé par un long etsilencieux panoramique bas-haut en contre-plongée!; découverte plus détaillée du mêmecamphrier par Mei avant qu’elle ne chute en sonsein!; scène symbolique de cette dévotion audécor arboré lorsque les trois personnagesprincipaux, Tatsuo Kusakabe, Mei et Satsuki, lesaluent littéralement (Tatsuo!: «!Merci beaucamphrier d’avoir protégé Mei. Protégez-la etprotégez-nous.!» - Mei, Satsuki!: «!Merci de toutcœur!!!»)!; scène fantasmatique enfin, presque ledouble nocturne de la précédente, où le décor ducamphrier, gris bleuté cette fois, devientcinétique!: Mei et Satsuki peuvent enfin avoir prisesur le décor, l’actionner directement et, dans unrituel magique mené par les Totoros, en détenir lesmaîtresses.Ce langage des décors soigne à la fois le réalismede la quotidienneté japonaise (voir le très beaudescriptif qui est fait lors de la découverte de lavieille maison) et la poétique de son climat (voir dequelle façon la pluie tropicale est exprimée à la foispar le camaïeu de gris du décor-lavis de la rizièrevue en panoramique latéral et le son réaliste de lapluie).

Jeu des signesCe langage des décors recèle en outre une autreréalité moins visible et moins accessible au premierabord!: les détails accumulés et disséminés tout aulong du film sont autant de signes évocateurs del’époque choisie pour situer le récit et de laquotidienneté matérialiste et religieuseenvironnant les personnages. Cette énonciation estpresque documentaire.Ainsi d’abord les véhicules (guimbarde de TatsuoKusakabe, vélo, trains, autobus, moto side-car), desmaisons (vues dans la campagne, hôpital), desobjets quotidiens (vaisselle déballée, service à thé,paniers), qui sont autant d’indices pour évoquerles années 50 au Japon. Ainsi ensuite de laprésence constante, quoique discrète, de l’écriturejaponaise elle-même!: la main de Satsuki, par

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exemple, dessinant les caractères, avec applicationet réalisme.Ainsi enfin des signes religieux. Certains d’entreeux renvoient explicitement au bouddhismenippon (l’icône à laquelle s’adresse Satsuki devantl’autel les protégeant de la pluie et les six statuesprès desquelles elles retrouve Mei personnalisentle Bouddha, «!figure protectrice des voyageurs,associé de façon privilégiée à l’enfance!».D’autres évoquent certaines superstitionspopulaires, liées au shintoïsme –dont les originesrelieuses et l’utilisation politique ont,historiquement fait l’objet de grandes querelles!:le militarisme nationaliste des années 30, parexemple (vilipendé par Miyazaki), s’en réclama aupoint de rendre obligatoire pour tous la

fréquentation des temples!; une ordonnance du15 décembre 1945 a instauré la séparation dushinto et de l’Etat – par exemple, le tumulus depierres vu entre la nouvelle maison et l’orée de laforêt est un torii, portail shinto indiquant l’entréeet la frontière d’un espace consacré. Le camphrierest présenté comme « une divinité dont «!lecorps!», c’est à dire la forme concrète et physique,est délimité par une cordelette sacrée dite!shimnawa!». De même, le renard entraperçudans la pénombre de l’autel près de l’arrêtd’autobus, une pièce de tissu rouge autour du cou,figure dans le bestiaire shinto comme l’«!émissaire d’Inari, divinité des céréales, figurecardinale du culte de la fertilité!».

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MON VOISIN TOTORO ET LE TOMBEAU DES LUCIOLES!:DEUX FILMS FONDATEURS DU STUDIO GHIBLIPar Hervé Joubert Laurencin, 23 septembre 2001

Dans l’histoire de l’art du cinémad’animation, le long métrage en général n’est niclassique ni naturel. L’animation est un art du filmcourt, le long métrage y constitue une exception.La production japonaise depuis l’après-guerreconstitue également, dans son ensemble, uneexception historique à cette règle du film court, carc’est une véritable industrie du dessin animé delong métrage qui s’est développée au sein de cettecinématographie, souvent pour le pire, et parfois,notamment avec la fin du siècle, pour le meilleur.

Le Forum des Images a programmé en décembre2001 pour la deuxième fois un festival de dessinsanimés japonais intitulé «!Nouvelles images duJapon!», qui peut donner une idée de la «!néo-cinéphilie!» concernant l’animation japonaise, etcontribue à accroître notre connaissance, jusqu’icitrès partielle, de cette cinématographie. Il existeune cinéphilie en salle, mais aussi domestique (enDVD ou en cassettes), pour une petite partie de lapopulation française, en majorité jeune, de cequ’on appelle «!manga » mais qui en réalitéaujourd’hui, même chez les fans, doit être dit«!anime!» (prononcer!: «!animé!»).Au départ, «!Manga!», est un mot très ancien pourqualifier les images, que l’on emploie au Japonpour désigner, lorsqu’elles commencent à existerdans la presse, les vignettes, les bandes dessinéesau sens de «!caricature!». Ensuite cela a désignéglobalement ce que nous entendons par bandesdessinées. L’importance sociologique de «!lamanga!» ou «!du manga!» rappelle que le dessin aune importance particulière dans la civilisationjaponaise. L’écriture idéographique elle-même estdessinée. Ainsi toutes sortes de passages existententre l’écriture et le dessin, comme entre l’histoirela plus ancienne du Japon et son histoire la plusmoderne. Par ailleurs, la production de bandesdessinées est au Japon sans comparaison avec ceque nous connaissons. Là-dessus est venue segref fer une autre réal i té, d’originecinématographique celle-ci!: l’histoire du dessinanimé, à peu près semblable à celle qui existe dans

les autres pays. Après une utilisation de «!manga!»dans des mots composés pour désigner la nouvelleréalité cinématographique du dessin «!quibouge!», le mot même d’«!animation!» a été repristel quel, depuis l’anglais –qui le tenait lui-même dufrançais- et simplement prononcé à la japonaise(«!animeishon!»), puis coupé en «!animé!».La particularité du Japon, de l’après-guerre jusqu’ànos jours, a été de développer, dans le domaine del’animation, une industrie atypique, unique aumonde!: celle des longs métrages de dessin animé.Se sont développés d’une part une production deséries pour la télévision, d’autre part des longsmétrages destinés aux salles ou à la télévision, etdepuis une dizaine d’années, un troisième marchéqui est le marché de la cassette vidéo (les films nesont alors destinés ni à la diffusion télévisée, ni augrand écran).Le fait que Le Tombeau des Lucioles soit un longmétrage est donc à la fois complètement hérétiquepar rapport à l’art de l’animation, qui est un art ducourt métrage, et en même temps absolumentnormal dans le cadre de cette productionexceptionnelle qu’est la cinématographiejaponaise.

Isao Takahata qui a réalisé Le tombeau des luciolesest né en 1935. Il peut être rapproché de HayaoMiyazaki. Si l’on ne retient que deux grandscinéastes d’animation japonais aujourd’hui, cepourrait être ces deux-là, puisque Miyazaki a réaliséPrincesse Mononoké qu’on a vu assez récemment,après Mon voisin Totoro et Porco Rosso. La sortieen France de ces trois films n’a pas suivi l’ordre deleur production, mais ils ont bénéficié d’une vraiediffusion, on peut les voir en cassette et on a pu endiscuter dans les revues de cinéma. Miyazaki etTakahata ont le même parcours!: ce sont de vieuxroutiers de l’animation japonaise!; depuis le débutdes années soixante, ils ont travaillé à la TôeiAnimation, c’est-à-dire dans la plus grande sociétéqui réalisait des films. Ensuite ils ont travaillépendant 20 ou 30 ans dans l’industrie japonaise de

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la série télévisée là où elle conservait une sorte dequalité artisanale au sein de l’industrie japonaise,puis enfin ils ont réussi à devenir des réalisateursde longs métrages de plus en plus maîtriséspersonnellement d’un point de vue artistique àl’intérieur de l’industrie japonaise. C’est aussi,paradoxalement, parce que le Japon a développéau cours de son histoire moderne une animationpeu onéreuse à l’intérieur d’une énorme industrie(comme autrefois avait pu le faire Hollywood avecles cartoons qui restaient cependant des films decourts métrages), que des films dessinés d’unequalité exceptionnelle ont pu récemment, etpeuvent aujourd’hui encore exister dans ce pays.L’histoire de ce film, Le tombeau des lucioles, estaussi l’histoire du studio Ghibli, lieu artistiqueque Takahata et Miyazaki ont réussi à fonder en1985. C’est un studio établi dans la banlieue deTokyo et dont on dit qu’il travaille “àl’européenne” car les deux cinéastes ont desréférences qui ne sont pas strictement japonaises(ils sont cependant pleinement dans la tradition dudessin animé japonais). Le studio Ghibli a produitson premier film en 1986, et 1988 a vu la doubleproduction de deux grands films, qui ont d’ailleurslancé Ghibli et sa réputation!: Le tombeau deslucioles de Takahata et Mon voisin Totoro deMiyazaki. Mon voisin Totoro est vraiment un desplus beaux films de l’histoire du cinémad’animation, tous genres confondus!; il est enopposition totale, certes, mais en parallélisme aussipresque total avec Le tombeau des lucioles!: lesdeux films sont complètement opposés et pourtantils sont très proches l’un de l’autre. L’un esttravaillé sur l’espace ouvert, l’autre sur l’espacefermé, comme l’a fait remarquer Takahata dans unentretien, en évoquant le travail des décorateursrespectifs des deux œuvres, mais le schéma de laperte ou éloignement de la mère, par exemple, estidentique!: dans Mon voisin Totoro, la mère estmalade et ses deux petites filles se retrouvent dansune maison de campagne avec leur père, elles sontun peu livrées à elles-mêmes et découvrent unmonde merveilleux autour d’elles avec des êtresfabuleux qui vivent dans la forêt, les totoros. AvecLe tombeau des lucioles, la mère disparaît de façonbeaucoup plus radicale puisqu’elle meurt sous lesbombardements et les orphelins sont livrés à eux-mêmes petit à petit, ce qui signifie que l’histoireest similaire, l’une dans la fantaisie et le bonheur,l’autre dans le malheur et dans le mélodrame.

En résumé, Le tombeau des lucioles se trouve à lafois complètement pris dans l’histoire et l’industriede l’animation japonaise et en même temps situédans une région très préservée et très particulièredu point de vue artistique, où le réalisateur peutobtenir les prérogatives d’un «!auteur!».

Takahata n’est pas un dessinateur comme lesanimateurs qui dessinent et conçoiventintégralement les images de leur film. C’estquelqu’un qu’on pourrait comparer au FrançaisRené Laloux, qui fait travailler des dessinateurs austyle très différent!: Topor pour La planète sauvage(long métrage de 1973, mais aussi pour les courts-métrages Les temps morts, de 1964, et Lesescargots, de 1965), Moebius/Jean Giraud pour Lesmaîtres du temps, ou encore Philippe Caza pourGandahar. Laloux est un organisateur, c’est unmetteur en scène qui sait faire travailler tous lestechniciens de l’animation et qui fait venir à lui desdessinateurs pour fabriquer un film. Takahataprocède de la même manière. Ces«!producteurs!», ou «!animateurs!» au sens anciende «!metteurs en vie!» d’un plateau, ne partagentpas avec les autres animateurs-artistes cetteimplication de leur propre corps, de leur systèmenerveux qui fait bouger leurs mains pour fabriquerpour ainsi dire intimement un dessin qui vientd’eux-mêmes. Car le cinéma d’animation a cetteparticularité de donner des images qui sontdirectement sorties du corps de l’animateur, ce quin’est pas le cas du cinéma de prise de vue directedont le rapport au corps est beaucoup plusmédiatisé. Takahata et les autres organisateursengagés comme René Laloux ont ce recul physiquedont les autres sont privés!: ils ont su faire unatout de cette distance. Voyez la dernière œuvre deTakahata, Nos voisins les Yamada!: elle n’astrictement aucun rapport, du point de vue dustyle du dessin ou du style de la narration, avec Letombeau des lucioles. Il s’agit de l’adaptation d’unebande dessinée humoristique, faite de croquis leplus souvent esquissés et qui brossent en quelqueslignes expressives des personnages légèrementcaricaturaux. Takahata a réussi à tirer des Yamada,bande dessinée populaire publiée dans un journaljaponais de grande diffusion, un film très long, trèsconstruit et très nouveau dans la forme, au stylehétérogène toujours surprenant, bref, à l’opposéquasiment du Tombeau des lucioles bien que noussoyons, de façon évidente, toujours devant l’œuvrede Takahata.

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Le tombeau des lucioles est extrêmement classiquedu point de vue du dessin, si classique qu’il semblerépondre à un réalisme total, qui n’est pourtantpas un «!hyperréalisme!». On sait qu’en peinture,les tableaux hyperréalistes sont des œuvres peintesqui copient les codes de représentation de laphotographie. On peut dire que l’équivalent decette démarche a existé, et existe aussi enanimation!; c’est d’ailleurs le cas de certainstravaux très récents du cinéma japonais (je pense àPerfect Blue et à Jin-Roh), qui constituent desespèces de copies des codes de représentation ducinéma en prise de vue directe. Nous sommes,avec Le tombeau des lucioles devant un autre typede réalisme!: un travail très poussé sur le récit et lacaractérisation des personnages. Certes, tous lesmanuels d’animation les plus banals racontent qu’ilfaut d’abord caractériser les personnages et fairedes récits solides, mais en réalité cela reste le plussouvent un vœu pieu dans la grande distributiondu dessin animé. Plus exactement, cet impératif deréalisme se trouve satisfait à bon compte à traversla réduction à une norme de récit et une norme decaractérisation des personnages particulièrementétouffantes. Or, avec les Lucioles, on sort de cettenormalisation.Le film décrit les dommages de guerre causés auxinnocents, aux populations civiles!; son intriguerepose sur un fait historique précis!: lesbombardements américains incendiaires sur la villede Kobé au Japon. Le film - tiré d’une nouvelle -s’intéresse à l’histoire de deux enfants. Il reprendl’œuvre littéraire dont il est issu quasiment motpour mot, trait pour trait, description pourdescription. La nouvelle est extrêmement précisedans l’abomination, dans l’horreur, et le texte écritsemble encore plus terrible parce que plus réalistedans les détails.

Le tombeau des lucioles (le film) pose la questiondes larmes au cinéma!: pourquoi est-on ému aucinéma!? Qu’est-ce qui fait pleurer ? Y pleure-t-onsouvent ? D’ailleurs on peut réagir à ce filmégalement en ricanant, on peut entrer ou resterextérieur à ce mélodrame parce qu’il est trop dur,trop énorme et on en rit peut-être pour s’endégager.Au-delà du mélodrame et des larmes, le filmrenvoie donc au «!travail de deuil!». Ce termefreudien lui est sans doute le plus approprié.Travail esthétique sans doute, travail

cinématographique bien sûr, Le tombeau deslucioles, comme son nom l’indique, est d’abord untravail de deuil. Dans la nouvelle originelle commedans le film, on note que les morts sont sinombreux que les corps ne peuvent plus êtreenterrés ou brûlés de façon rituelle. Les corps seretrouvent donc livrés à un anonymat de la mort!:d’où la multiplication des «!tombeaux!». La tombedes lucioles est le titre choisi par le traducteurfrançais de la nouvelle publiée, Le tombeau deslucioles celui qu’a choisi le traducteur du film, maisle sens est le même!: puisque le tombeau estdevenu impossible, puisqu’il n’y a pas de tombespossibles, alors les tombes vont se multiplier,comme les lucioles dans une nuit japonaise desannées quarante. On va enterrer de petiteschoses!: des victuailles d’abord, que le grand frère«!inhumera!» pour survivre, des lucioles mortesensuite, auxquelles la petite sœur s’attachera, lamère bien sûr, dans une fosse commune (l’épisodedécrit dans la nouvelle fait clairement comprendreque l’anonymat de la crémation collective,l’incertitude pour le fils de retrouver les vraiscendres issues du corps propre de sa mère est ledébut de l’errance des fantômes de l’affectionparentale et de la protection nationale-militaire-impériale), enfin, par revanche et pour faire cesserl’errance infinie dans les limbes des morts nonaccompagnés, la petite sœur qui brûle selon lesrèges rituelles (à ce moment seulement, l’histoiresans commencement ni fin -puisqu’elle est enforme de flash-back et de récit de fantôme,puisqu’elle est prise en charge par un narrateurmort- peut alors prendre fin). Là est le fond dufilm!: son intérêt tout à la fois esthétique etéthique, sa relation au cinéma. À partir du momentoù le rite de l’accompagnement des morts estdevenu impossible et qu’on lui substitueprovisoirement d’autres actions, d’autres gestes,alors un récit est possible!: on peut encoreraconter une histoire.Si l’on pense à l’autre image récurrente du film,l’autre métaphore filée qui le constitue!: celle deslucioles, une image poétique très réussie quicomplète l’enfermement et le nocturne dutombeau par l’illumination, l’ouverture, la lumièreet la multiplicité, on peut dire que le titre estvéritablement parfait.

Mon Voisin Totoro de Miyazaki peut être vucomme une sorte de «!frère jumeau!» trèsdifférent du Tombeau des Lucioles. Totoro jouant

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dans la douceur et les Lucioles dans la douleur. Lesdeux ont été faits en même temps, au mêmeendroit, avec des collaborateurs communs. Ils ontle même style graphique, proviennent du mêmestudio, et sont faits par deux amis.Dans le numéro spécial sur le studio Ghibli de larevue spécialisée dans le cinéma d’animationjaponais Animeland, on peut lire, dans un entretienavec Takahata, une remarque éclairante à cepropos!: «!Je voudrais attirer votre attention surune différence entre ces deux films, au niveau desdécors. Le monde clos du Tombeau des Luciolesdessiné par Yamamoto et le monde à l’inverse trèsouvert décrit par Hoga dans Mon Voisin Totoro mesemblent éminemment significatifs de certainesdifférences fondamentales dans le travail de cesdeux décorateurs. On aurait tort de les confondreet de penser qu’ils font la même chose, ce qui n’estpeut-être pas très évident à première vue!».Effectivement, à première vue, on voit plutôt untype de décor très semblable, très travaillé etfouillé. Il nous faudrait faire une analyse du détaildes décors des deux films pour vérifier cetteanalyse de Takahata, mais je constate quel’opposition qu’il évoque est également valabledans une appréhension globale des deux œuvres.Dans Le Tombeau des Lucioles et dans Mon VoisinTotoro, nous avons affaire à deux enfants. Le pointcommun essentiel est que les héros sont desenfants privés de leurs parents. Dans Le Tombeaudes Lucioles, c’est l’histoire de la fin de la guerre auJapon, avec des bombardiers américains, des B-29,qui lancent des bombes incendiaires sur la ville de

Kobé. Les enfants ont dès le début, mais toutd’abord sans le savoir, perdu leur père, officier demarine, qui ne reviendra jamais, toute la flotteayant été anéantie. Ils perdent leur mère, et c’estl’occasion des images les plus violentes du filmavec la mère quasiment momifiée dans desbandelettes sanglantes, puis attaquée par lavermine, enfin brûlée dans une fosse commune.Cela marque le début de l’histoire, et les deuxorphelins vivent ensemble, livrés à eux-mêmes,d’abord dans la famille, puis seuls, réfugiés dansune sorte de caverne en pleine nature, jusqu’àmourir de faim, l’un et l’autre.En parallèle, l’histoire de Mon Voisin Totoro, estcelle de deux petites filles dont la mère est maladeà l’hôpital, - ici elle ne meurt pas - et elles restentavec leur père qui doit aller travailler. Le filmcommence lorsqu’ils vont tous trois s’installer à lacampagne et les fillettes découvrent cette trèsgrande maison de campagne, pleine de mystères,ainsi que la grandeur de la nature (une natureparsemée de références religieuses, animistes,bouddhistes et shintoïstes), des petites bêtes, desgens de la campagne, des arbres, et ceux quireprésentent un peu synthétiquement tout cela!:des «!Totoros!», à savoir des grosses bêtes, quin’existent que pour les yeux des enfants, des sortesde grosses peluches tantôt minuscules, tantôtgéantes, nichant dans les racines d’un camphriergéant, où se promenant la nuit quand il pleut. Les«!Totoros!» apparaissent donc aussi du fait del’absence des parents!: là est le possible parallèleavec Le tombeau des lucioles.

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POINT DE VUEPar Erwan Higuinen, Cahiers du cinéma, janvier 2000

Qu’est-ce qui se cache au cœur des estampes popqu’accompagne la musique idéalementsentimentale du kitanien Joe Hisaishi!? Ladécouverte se fait en deux temps. D’abord, lecinéaste montre les lieux, apparemment inhabités,disponibles, ouverts. Puis apparaissent les deuxfillettes, le rire, la peur. Mei suit Satsuki, parcourtles mêmes pièces, reproduit ses réactions, faitcomme si elles était la première. Mais d’emblées’impose une ombre. La mère est absente, malade,et c’est pour se rapprocher de l’hôpital que lafamille s’est installée à côté de la maison d’unevieille femme, pour un été chez grand-mère. Face àla menace de la mort (le fantastique négatif), ilfaudra inventer un autre surnaturel, positif celui-là,masquer l ’ inquiétude par un nouvelenchantement. Mei, soudain promue éclaireuse,découvrira, dans la forêt, une petite créature, puisune moyenne, enfin une grande, Totoro, animalétrange entre le lapin et l’ours, le hibou et le chat.La cadette était celle qui suit le mouvement.Maintenant, elle explore son monde. Elle a enfinune chose bien à elle, qu’elle voudra montrer.Dans Mon voisin Totoro, le dessin se fait d’abordimitation du réel, des formes, des matières. Puisvient sa transformation, sous les yeux de la fillette,en un terrain de jeu obéissant à des règles quirestent à déchiffrer. Mei est une nouvelle Alice enpartance pour le pays des merveilles, par lesommeil. Il suffit d’y croire. D’autant que Totoron’est pas une créature sortie de nulle part, mais lehéros des livres qu’elle lit!: c’est l’enfant qu’elleenfante pour combler un vide. Plus tard, le père estparti à l’hôpital, Mei a disparu. C’est Totoro que sa

grande sœur désemparée appelle à l’aide. Car toutnaît de l’impuissance. Face aux événements(adultes, scandaleusement adultes), face au temps,Miyazaki travaille sur la durée, sur l’attente – voircette séquence où les deux fillettes, en compagniede Totoro, guettent l’arrivée d’un bus qui ne vientpas. Pas trace ici d’une volonté d’efficacité à toutprix. La plupart du temps, il ne se passe rien, lesplans durent, jusqu’à ce que quelque choseapparaisse. Seuls les enfants voient les trois Totoro– trois silhouettes qui rappellent celles des fillettesen compagnie de leur père.Au départ, il y a donc la peur et l’ennui. Et aussi,peut-être surtout, un fantasme d’ubiquité. Savoirce qui se passe ailleurs, là où les enfants (lesspectateurs) n’ont pas leur place, hors-champ,dans la partie du monde qui leur échappe. L’issueest affaire de vitesse, pour dépasser la lente etélégante mise en scène du film (du monde adulte).Alors surgit le chat-bus, créature évidemment«!lewis-carrollienne!», pour qui les obstaclesn’existent pas . La direction suffit («!Mei!», lorsquela fillette s’est perdue) et l’on bondit d’un point àun autre. Les espaces ne sont plus séparés!: onpasse la frontière (Mei entre dans la salle de classe,le chat-bus traverse les champs). A la stylisationaiguisée du début succèdent les rondeurs (leventre de Totoro, l’arbre rebondi qui s’élève lanuit, les formes du chat-bus). Il fallait d’abordreproduire, aussi fidèlement que possible, unmonde. Après, le dessin rend tout possible. Aucœur de la nature, les fillettes ont inventé denouveaux dieux enfantins. Le pouvoir s’estdéplacé.