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30 N o 196 BILAN BILAN N o 196 31 INTERNET Faites-vous une fortune bien réelle dans un monde virtuel. 36 ASSURANCE MALADIE Les jeunes, dindons de la farce. 40 ÉNERGIE Une PME romande invente la Prius fonctionnant au gaz. 48 enquête R e NJEUX L e cannabis revient une nouvelle fois sur le de- vant de la scène politi- que. Après le refus du Conseil national d’en- trer en matière sur la révision de la loi sur les stupéfiants en 2004, une initiative populaire visant à légaliser la consommation et l’acqui- sition de cannabis a été déposée le 13 janvier dernier à la Chancellerie fédérale. Derrière cette initiative regroupant tous les partis, un constat. Celui de l’échec total de la politique de répression menée en Suisse depuis plus de deux décennies. En témoignent les chif- fres de différentes études récentes, puisque plus de 700 000 personnes âgées de 15 à 39 ans ont déjà commis une infraction à la loi sur les stupéfiants. Dans 98% des cas, il s’agit d’un délit lié à la consommation de cannabis. Dans le même ordre d’idée, 50% des écoliers et 40% des écolières de 15 et 16 ans ont déjà fumé un joint. La Suisse figure ainsi logiquement dans le peloton de tête des plus gros consommateurs de canna- bis en Europe. Fort d’un tel marché, certains experts estiment que le chiffre d’affaires de cette substance sur le sol helvétique pourrait dé- passer le milliard de francs pour une con- sommation oscillant entre 50 et 100 tonnes par an. Des chiffres outrageusement élevés pour un produit dont l’utilisation est totale- ment proscrite. Si la loi en interdit encore l’usage et la vente, dans les faits, le cannabis n’est pas différent d’une marchandise en vente libre, tant par l’étendue du nombre des CANNABIS La libéralisation résoudrait tous les problèmes Les Suisses fument leur premier joint toujours plus jeunes, et le taux de THC contenu dans le cannabis a plus que décuplé en trente ans. Le cannabis est, de fait, en vente libre en Suisse. Mais le milliard de francs de chiffre d’affaires qu’il génère alimente essentiellement des réseaux criminels. Il vaudrait mieux que l’Etat contrôle et taxe ce marché. Comme pour la cigarette ou l’alcool. Par Thierry Vial consommateurs que par la facilité de se procurer le produit. Alors pourquoi ne pas avouer une fois pour toutes que la politique du bâton n’a pas fonctionné et tenter une autre voie, ne serait-ce qu’à titre expérimental? En l’occur- rence, la seule issue qui fait sens aujourd’hui, celle de la libéralisation. La prohibition, un non-sens économique La prohibition ne se contente pas d’être inefficace, elle présente, en plus, le dés- avantage de coûter cher. Et, dans un pays qui ne parvient toujours pas à boucler des budgets à l’équilibre, peut-on encore se permettre de financer une répression qui n’apporte aucun résultat concret? En Suisse, certaines études estiment les coûts annuels liés à la pénalisation de la consom- mation de cannabis entre 45 et 55 millions de francs. Selon les experts, la libéralisation per- mettrait d’économiser environ 30 millions de francs, soit plus de la moitié du coût calculé. Mais ce n’est pas tout. En plus des économies, la libéralisation permettrait sur- tout d’encaisser des impôts. Actuellement, 600 000 personnes consomment du cannabis environ une fois par semaine, dont 20% tous les jours. Cela pourrait représenter une consommation de l’ordre de 50 tonnes de cannabis par an (hypothèse prudente). Le montant des taxes perçues représenterait entre 200 et 300 millions par année. Même constat aux Etats-Unis où les économistes sont toujours plus nom- breux à plaider pour une libéralisation du cannabis. Et non des moindres, puisque 500 économistes, dont deux Prix Nobel, Milton Friedman et Gary Becker, ainsi ALAIN GERMOND-EOL/LINDEN LAB RESEARCH/LAURENCE SCHEURER/D. R.

NJEUX R ÉNERGIE U n e P M E r o m a n d e i n v e n t e l ...jankrepelka.com/p/legalize.pdf · cette initiative regroupant tous les partis, un constat. Celui de l’échec total

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I N T ERN E T F a i t e s - v o u s u n e f o r t u n e b i e n r é e l l e d a n s u n m o n d e v i r t u e l . 36ASSU R AN C E MA L AD I E L e s j e u n e s , d i n d o n s d e l a f a r c e . 40

ÉN ERG I E U n e P M E r o m a n d e i n v e n t e l a P r i u s f o n c t i o n n a n t a u g a z . 48enquêteReNJEUX

Le cannabis revient unenouvelle fois sur le de-vant de la scène politi-que. Après le refus duConseil national d’en-trer en matière sur larévision de la loi sur lesstupéfiants en 2004,une initiative populaire

visant à légaliser la consommation et l’acqui-sition de cannabis a été déposée le 13 janvierdernier à la Chancellerie fédérale. Derrièrecette initiative regroupant tous les partis, unconstat. Celui de l’échec total de la politiquede répression menée en Suisse depuis plusde deux décennies. En témoignent les chif-fres de différentes études récentes, puisqueplus de 700 000 personnes âgées de 15 à39 ans ont déjà commis une infraction à laloi sur les stupéfiants. Dans 98% des cas, ils’agit d’un délit lié à la consommation decannabis. Dans le même ordre d’idée, 50%des écoliers et 40% des écolières de 15 et16 ans ont déjà fumé un joint. La Suissefigure ainsi logiquement dans le peloton detête des plus gros consommateurs de canna-bis en Europe.

Fort d’un tel marché, certains expertsestiment que le chiffre d’affaires de cettesubstance sur le sol helvétique pourrait dé-passer le milliard de francs pour une con-sommation oscillant entre 50 et 100 tonnespar an. Des chiffres outrageusement élevéspour un produit dont l’utilisation est totale-ment proscrite. Si la loi en interdit encorel’usage et la vente, dans les faits, le cannabisn’est pas différent d’une marchandise envente libre, tant par l’étendue du nombre des

CANNABISLa libéralisation résoudraittous les problèmes

Les Suisses fument leur premier joint toujoursplus jeunes, et le taux de THC contenudans le cannabis a plus que décuplé en trente ans.

Le cannabis est, de fait, en vente libre en Suisse. Mais le milliardde francs de chiffre d’affaires qu’il génère alimente essentiellementdes réseaux criminels. Il vaudrait mieux que l’Etat contrôle et taxece marché. Comme pour la cigarette ou l’alcool.

Par Thierry Vial

consommateurs que par la facilité de seprocurer le produit.

Alors pourquoi ne pas avouer une foispour toutes que la politique du bâton n’a pasfonctionné et tenter une autre voie, neserait-ce qu’à titre expérimental? En l’occur-rence, la seule issue qui fait sensaujourd’hui, celle de la libéralisation.

La prohibition, un non-senséconomiqueLa prohibition ne se contente pas d’êtreinefficace, elle présente, en plus, le dés-avantage de coûter cher. Et, dans un paysqui ne parvient toujours pas à boucler desbudgets à l’équilibre, peut-on encore sepermettre de financer une répression quin’apporte aucun résultat concret? EnSuisse, certaines études estiment les coûtsannuels liés à la pénalisation de la consom-mation de cannabis entre 45 et 55 millionsde francs.

Selon les experts, la libéralisation per-mettrait d’économiser environ 30 millionsde francs, soit plus de la moitié du coûtcalculé. Mais ce n’est pas tout. En plus deséconomies, la libéralisation permettrait sur-tout d’encaisser des impôts. Actuellement,600 000 personnes consomment ducannabis environ une fois par semaine,dont 20% tous les jours. Cela pourraitreprésenter une consommation de l’ordrede 50 tonnes de cannabis par an (hypothèseprudente). Le montant des taxes perçuesreprésenterait entre 200 et 300 millionspar année. Même constat aux Etats-Unis oùles économistes sont toujours plus nom-breux à plaider pour une libéralisation ducannabis. Et non des moindres, puisque500 économistes, dont deux Prix Nobel,Milton Friedman et Gary Becker, ainsi A

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ENJEUX R enquête ENJEUX R enquête

Sources: chiffres calculés sur la base des publications suivantes: OFS (2005). Annuaire statistique de la Suisse 2004. Office fédéral de la police (2005). Statistique suisse des stupéfiants 2004.

DÉNONCIATIONS POUR CONSOMMATION DE CANNABIS*Par canton en 2004, pour 1000 habitants

Bâle-CampagneBâle-VilleBerneFribourgGenèveJuraLucerneNeuchâtelSchwyzSoleureTessinValaisVaudZurichMoyenne suisse

4711 1525 0221 1201 925

286841

1 069301

1 439833

4 6232 2057 942

1.86.25.34.54.54.12.46.42.25.92.67.17.76.35.0

Total Pour millehabitants en %

* Y compris les cas combinés avec trafic ou contrebande.

Cannab i s : l a l ibé ra l i sa t ion résoudra i t l a p lupar t des prob lèmes

que des anciens chefs de cabinet de RonaldReagan ou des professeurs de Harvard, ontsigné une lettre ouverte au président Bushpour l’ouverture d’un débat honnête sur laprohibition du cannabis. Pour eux, rempla-cer la politique de répression par un sys-tème de régulation et de taxation compara-ble à celui appliqué à la cigarette et àl’alcool permettrait d’engranger les bénéfi-ces combinés entre économies et revenussupplémentaires de l’ordre de 10 à 14 mil-liards de dollars par an.

Les économistes américains, riches del’échec de la prohibition de l’alcool dans lesannées 1930, savent qu’il serait illusoire decombattre la consommation de cannabis.En effet, sur ce marché comme sur tous lesautres, aussi longtemps qu’il y a un ache-teur, il y a un vendeur. La prohibition estavant tout une posture morale qui n’a pasde réalité économique. L’interdit ne faitdisparaître ni l’offre, ni le produit. Il faitsimplement glisser la commercialisationdes drogues vers l’économie informelle.Ainsi, aux Etats-Unis, le bilan de la périodede prohibition de l’alcool est révélateur. Il aprincipalement contribué à augmenter lacriminalité, à pousser les consommateursvers des produits plus alcoolisés, à réduirele respect des lois légitimes et à créer desbouleversements sociaux.

Sur le plan économique, la politique derépression a un coût prohibitif, elle englou-tit des moyens humains et financiers quifont défaut à la lutte contre les causessociales du développement de la toxicoma-nie. De plus, l’interdiction d’un produitcrée sa valeur sur le marché. Paradoxale-ment, «il existe une complicité objectiveentre Etats prohibitionnistes et trafiquants,relève Frank Furet, dans un article publiépar le magazine belge Banc public. A

vouloir interdire l’usage des stupéfiants, laprohibition crée et stimule le trafic dontelle est le ressort. En se généralisant, larépression devient le prétexte idéal à sonpropre renforcement. La boucle est ainsibouclée, plus la guerre s’intensifie, plus letrafic se développe.»

Liberté individuelle niéepar le monde politiqueMalheureusement, le climat que connaîtactuellement la Suisse démontre que lepays n’est pas prêt à franchir le pas de lalibéralisation. D’une part, la répressionpure et dure a repris le dessus ces derniersmois, y compris dans les cantons moinssévères, comme Berne et Fribourg. Mêmeles vaches sont désormais touchées,puisqu’elles n’ont plus le droit au fourrage àbase de chanvre depuis le 1er mars dernier.Sur le plan politique, le Conseil national arefusé, en 2004, d’entrer en matière sur la

révision de la loi sur les stupéfiants enraison de la dépénalisation du cannabisprévue dans ce projet. Du coup, la politiquedes quatre piliers (prévention, thérapie,réduction des risques et répression), déjàpratiquée depuis une dizaine d’années,n’est toujours pas inscrite dans la législa-tion helvétique. Alors qu’une nouvelle ver-sion light de ce projet, amputée du voletdépénalisation, est en préparation, une ini-tiative populaire menée par un comitémultipartis vient d’être déposée le 13 janvierà Berne, «Pour une politique raisonnableen matière de chanvre protégeant efficace-ment la jeunesse», qui prévoit de légaliserla consommation et l’acquisition de canna-bis. Cela, tout en obligeant la Confédérationà réglementer le commerce et à prendre desmesures afin de protéger efficacement lesjeunes en fixant notamment la limite d’âgepour la consommation à 18 ans. Si laversion light de la révision de la loi sur lesstupéfiants devrait passer la rampe, rien

n’assure par contre le succès de l’initiative.Une nouvelle fois, le débat devrait se focali-ser sur des considérations morales, tout enoccultant la question des libertés individuel-les et, surtout, en oubliant la réalité de laconsommation sur le terrain. Or, «dans unesociété libre, chacun devrait être reconnucomme le propriétaire de son propre corpset, ainsi, devrait pouvoir en faire ce que bonlui semble. Que cela soit moralement con-damnable ou pas, écrivait Jan Krepelka,collaborateur scientifique de l’Institut Cons-tant de Rebecque, dans le précédent nu-méro de Bilan. Dans une société libérale,l’Etat doit veiller à protéger les citoyens lesuns des autres, et non chacun de lui-même.» Si l’Etat maintient son élan intrusifdans la sphère privée, les Suisses serontbientôt obligés de porter un casque pourskier, n’auront plus le droit de manger defondue beaucoup trop grasse pour l’orga-nisme et leur pratique quotidienne du sportsera contrôlée ainsi que leurs heures desommeil effectives. Dans une vision pater-naliste de l’Etat, il n’y a plus aucune limite àce genre de dérive.

D’ailleurs, pourquoi interdire le cannabisplutôt que d’autres drogues légales? Tous

les rapports scientifiques s’accordent pourdémontrer que le cannabis ne tue pas, alorsque la cigarette conduit directement 0,9%de ses consommateurs au cimetière chaqueannée et l’alcool 0,5%. Dans une interviewaccordée au Nouvel Observateur en févrierdernier, Jean-Pol Tassin, responsabled’équipe au sein de la chaire de neurophar-macologie au Collège de France, livraitquelques précisions intéressantes à ce sujet.«Le cannabis n’est pas une drogue neuro-toxique, c’est-à-dire qu’elle ne détruit pas lesneurones, contrairement à l’ecstasy ou àl’alcool à haute dose par exemple. Sa con-sommation n’entraîne aucune dépendancephysique et rien ne permet d’affirmerqu’elle entraîne un phénomène d’ascenseurvers les drogues dites dures.» Mais ellen’est pas recommandée pour autant. Lespécialiste rappelle notamment que le can-nabis retarde la confrontation avec la réalité

et que la teneur toujours plus haute enTHC (tétrahydrocannabinol, substance ac-tive psychotrope) peut s’avérer plus nocive.D’une manière générale, il existe un con-sensus assez large chez les scientifiquespour considérer qu’une forte consomma-tion de cannabis – comme celle de l’alcoolou du tabac – influence négativement ledéveloppement psychosocial, des adoles-cents en particulier. Un problème que lesystème répressif renforce puisqu’il ne per-met pas la mise en place d’un contrôle dequalité de la marchandise et interdit égale-ment une prévention efficace.

Les dommages collatérauxde la prohibitionEn effet, qui dit prohibition, dit absencetotale de contrôle sur la qualité de lasubstance écoulée sur le marché. Or, lesétudes montrent que le taux de THCcontenu dans le cannabis consommé prendrégulièrement l’ascenseur. Si dans les an-nées 1970 la marijuana ou le haschichutilisés contenaient entre 1 et 3% de THC,ce taux peut dépasser les 40% aujourd’hui,grâce notamment à des techniques desélection et de culture hors-sol héritées dela production de tomates sous serre auxPays-Bas. A cela, il faut ajouter tous lesengrais toxiques ou les pesticides pouraugmenter la production. Sur un marchépar définition illégal, les vendeurs ont peud’incitation à respecter des règles de con-duite concernant, par exemple, l’interdic-tion de vendre aux mineurs ou le taux deTHC. Cette situation s’avère d’autant plusgrave que la consommation de cannabis necesse d’augmenter depuis dix ans et que lesjeunes commencent à fumer des jointstoujours plus tôt. Dans les faits, malgré

Dans une société libre, chacun devrait êtrereconnu comme le propriétaire de son proprecorps et en faire ce que bon lui semble.

Jan Krepelka, Institut Constant de Rebecque“Coalition politique autour du chanvreD’ici à deux ou trois ans, les Suisses voteront sur la dépénalisation du cannabis.Cette initiative, soutenue par près de l’ensemble des partis politiques, a étélancée suite au refus du Conseil national d’entrer en matière sur la révision dela loi sur les stupéfiants en 2004. Pour la conseillère nationale écologistevaudoise Anne-Catherine Menétrey, coprésidente du comité de l’initiative, «il esttemps d’en finir avec l’hypocrisie. La répression ne fonctionne pas, alors passonsà un système de dépénalisation qui libérera des ressources pour la prévention».

Sans compter tous les produits dérivés, le chiffred’affaires du cannabis en Suisse flirte avecle milliard de francs.

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ENJEUX R enquête

Source: Office fédéral de la statistique (2002). Calculs de l'ISPA sur la base de l'Enquête suisse sur la santé 2002.

0%

10%

20%

30%

40%

50%

15 à 19 ans15 à 19 ans 20 à 24 ans20 à 24 ans 25 à 44 ans25 à 44 ans 45 à 64 ans45 à 64 ans

PERSONNES AYANT AU MOINS UNE EXPÉRIENCE AVEC LE CANNABIS En pourcent, selon l'âge et le sexe

Hommes Femmes

30.530.5

19.819.8

44.444.4

30.8 31.231.2

18.818.8

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30.530.5

44.444.4

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une interdiction légale, seuls 15% des Suis-ses interrogés par l’ISPA (Institut suisse deprévention de l’alcoolisme et autre toxico-manies) perçoivent encore la consomma-tion du cannabis comme un délit. Dès lors,devant l’ampleur du phénomène cannabis,ne vaudrait-il pas mieux concentrer lesefforts sur une prévention intensifiée? Cer-tes, mais «une prévention qui doit s’ap-puyer sur la criminalisation d’un comporte-ment pour chercher à l’éviter n’atteint passon objectif, relèvent les auteurs de l’en-quête de l’ISPA. «Cela ne fait que rompre ledialogue avec les jeunes et stigmatise celleset ceux qui auraient essayé de fumer desjoints.»

L’Etat se retrouve dans une situationschizophrénique: d’un côté, il interdit laconsommation d’un produit et, de l’autre, ilse voit contraint d’expliquer aux jeunes lesdangers de ce même produit, avouant ainsiimplicitement l’échec de sa politique deprohibition. «Paradoxalement, si la con-sommation de cannabis était légalisée, laprévention serait plus facilement réalisablequ’aujourd’hui», écrivait en 2003 la Com-mission fédérale pour les problèmes liés àla drogue, présidée par le médecin Françoisvan der Linde. Cela, d’autant plus que laprohibition n’a aucune efficacité. Bien quela Suisse romande pratique une politiquede répression beaucoup plus sévère que laSuisse alémanique, le taux de personnesayant goûté au cannabis n’est pas plusfaible de ce côté-ci de la Sarine.

Pas de causalité entrerépression et consommationLa libéralisation fait peur, car personne nepeut prédire exactement les effets d’unchangement de politique en matière decannabis. Pourtant, l’exemple hollandais,avec ses coffee shops, peut donner quelquespistes. Bien loin de la libéralisation, laconsommation et le commerce de cannabisrestent illégaux dans ce pays, mais moyen-nant le respect de certaines règles, lesautorités tolèrent la vente et la consomma-tion dans certains coffee shops. Pour bénéfi-cier de cette faveur, le tenancier de l’établis-sement doit notamment s’engager à ne pasvendre de drogue dure, à ne pas posséderplus de 500 grammes de cannabis en stock,

et surtout, à interdire l’entrée de son caféau moins de 18 ans. Des conditions strictesqui sont régulièrement contrôlées par lesservices de police.

Malgré cette tolérance, la Hollande neconnaît pas un taux de prévalence del’usage du cannabis plus élevé que d’autrespays européens plus répressifs. Comme ledémontrent des études comparatives effec-tuées en Europe, entre les pays adeptesd’une politique répressive et les autres, iln’y a aucun lien entre répression et taux deprévalence. Ainsi, les pays qui appliquentune politique prohibitionniste comme laSuède ou la Grèce affichent des taux deprévalence des consommations occasion-nelles de 8,1 et 8,8%, alors que la France etl’Irlande, qui suivent la même politique derépression, affichent 17,3% et 17,7%. Dansle même temps, les pays plus tolérants enmatière de consommation des droguescomme le Portugal et la Hollande présen-tent des taux de prévalence de 6,2% et11,3%. On remarque ainsi que l’une desgrandes craintes liées à la vente libre decannabis est balayée, elle ne se solde pasmécaniquement par une augmentation si-gnificative de la consommation.

Les bénéficesde la libéralisationPar contre, les avantages d’une libéralisa-tion sont nombreux. L’ouverture de maga-sins spécialisés permet de contrôler la qua-lité du produit et sa teneur en THC. Lesvendeurs retournent dans un circuit écono-mique classique et leur chiffre d’affaires est

taxé. Cet argent permet de mettre en placedes campagnes de prévention efficaces etdes prises en charge des cas problémati-ques. L’accès des jeunes au produit s’avèreplus difficile car une limite d’âge est fixée.Certes, il existera toujours un marché noirmais beaucoup moins riche et puissant quecelui qui existe actuellement. Et libéralisa-tion ne signifie pas absence totale de règles.Bien au contraire, il est tout à fait imagina-ble de fixer un nombre de grammes maxi-mum par jour et par individu. Il est égale-ment très facile de s’éviter tout problème detourisme du cannabis en exigeant la présen-tation d’une pièce d’identité lors de la venteet en limitant celle-ci aux habitants de larégion. Et la police dispose de tout le champnécessaire pour se concentrer sur d’autrestâches, à plus haute valeur ajoutée pour lasécurité du citoyen helvétique.

Au final, une libéralisation ne modifie enrien les objectifs fondamentaux de la politi-que suisse en matière de drogue et nedevrait pas déstabiliser la société, ni entraî-ner une forte augmentation du nombre deconsommateurs. Elle offrirait simplementune meilleure prise en compte de la réalitéhelvétique et contribuerait à augmenter lacrédibilité et la cohérence de la législationtout en facilitant la tâche des autoritéschargées de l’application des peines. Certes,la libéralisation peut s’apparenter à unesorte de saut dans l’inconnu qui aura desconséquences prévisibles et d’autres impré-visibles. Mais cette inconnue ne doit enaucun cas justifier l’immobilisme actuel,qui ne présente finalement que des incon-vénients. B