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Objet d’étude La poésie (Oeuvre intégrale) Problématiques retenues En quoi Arthur Rimbaud bouleverse-t-il les normes poétiques ? Comment la poésie rimbaldienne évolue-t-elle, depuis les premières poésies des Cahiers de Douai (1870) jusqu'au recueil Illuminations (1873) ? Qu'est-ce qu'un recueil poétique ? Lectures analytiques - Texte 1 : « Roman » (Les Cahiers de Douai, 1870) Texte 2 : « Le dormeur du val » (Les Cahiers de Douai, 1870) Texte 3 : « Les Poètes de sept ans » (Poésies, 1870-1871), les quarante-trois premiers vers. Texte 4 : « Aube » (Illuminations, 1873) Etudes d'ensemble l'é volution de la poésie de Rimbaud : entre poésie classique et recherche d'originalité. Sa conception de la poésie. une forme fixe : le sonnet. la modernité poétique aux XIXème et XXème siècles : le poème en prose, le vers libre (caractéristiques). éléments de versification : le mètre, les rimes, le décompte des syllabes, les jeux de sonorités, etc. Le Parnasse et le symbolisme en littérature Lecture cursive facultative Arthur Rimbaud, Poésies : Les Cahiers de Douai, Une saison en enfer, Illuminations, 1870-1873. Documents complémentaires Groupement de textes 1 : quatre conceptions de la poésie : Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674), Victor Hugo : « Fonction du poète », Les Rayons et les Ombres (1840) , Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à un acte d'accusation », Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal (1857) « Une Charogne» Groupement de textes 2 : le poème en prose, d'Aloysius Bertrand à Ponge : « Le fou », Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit (1842) ; « Un hémisphère dans une chevelure », Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris (1869) ; « Les ponts » et « Barbare », Arthur Rimbaud, Illuminations (1873) ; « Le pain », Francis Ponge, Le parti pris des choses (1842). Groupement de textes 3 : les lettres dites « du Voyant » : A Georges Izambard » (mai 1871) et A Paul Demeny (mai 1871). Un tableau symbolique : Paul Gauguin, La Vision du sermon (1888). Activités Réaliser une anthologie illustrée de poèmes de Rimbaud, précédée d’un titre rendant compte de l’harmonie de votre anthologie et d’une préface dans laquelle vous justifierez le thème de votre recueil ainsi que le choix de chaque poème et de chaque illustration. Mise en voix et en musique d'une sélection de poèmes, appris par les élèves.

Objet d’étude La poésie - LeWebPédagogiquelewebpedagogique.com/.../2014/02/descriptif-rimbaud-2011.pdf · 2014-02-03 · « Le pain », Francis Ponge, Le parti pris des choses

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Objet d’étude La poésie(Oeuvre intégrale)

Problématiques retenues En quoi Arthur Rimbaud bouleverse-t-il les normes poétiques ? Comment la poésie rimbaldienne évolue-t-elle, depuis les premières poésies des Cahiers de Douai (1870) jusqu'au recueil Illuminations (1873) ?Qu'est-ce qu'un recueil poétique ?

Lecturesanalytiques

- Texte 1 : « Roman » (Les Cahiers de Douai, 1870)

–Texte 2 : « Le dormeur du val » (Les Cahiers de Douai, 1870)

–Texte 3 : « Les Poètes de sept ans » (Poésies, 1870-1871), les quarante-trois premiers vers.

–Texte 4 : « Aube » (Illuminations, 1873)

Etudes d'ensemble l'é▪ volution de la poésie de Rimbaud : entre poésie classique et recherche d'originalité. Sa conception de la poésie.

une forme fixe : le sonnet.▪ la modernité poétique ▪ aux XIXème et XXème siècles : le poème en

prose, le vers libre (caractéristiques). éléments de versification : le mètre, les rimes, le décompte des syllabes,▪

les jeux de sonorités, etc. Le Parnasse et le symbolisme en littérature▪

Lecture cursive facultative Arthur Rimbaud, Poésies : Les Cahiers de Douai, Une saison en enfer, Illuminations, 1870-1873.

Documents complémentaires Groupement de textes 1 : ▪ quatre conceptions de la poésie : Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674), Victor Hugo : « Fonction du poète », Les Rayons et les Ombres (1840) , Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à un acte d'accusation », Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal (1857) « Une Charogne»

▪ Groupement de textes 2 : le poème en prose, d'Aloysius Bertrand à Ponge : « Le fou », Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit (1842) ; « Un hémisphère dans une chevelure », Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris (1869) ; « Les ponts » et « Barbare », Arthur Rimbaud, Illuminations (1873) ; « Le pain », Francis Ponge, Le parti pris des choses (1842).

▪ Groupement de textes 3 : les lettres dites « du Voyant » : A Georges Izambard » (mai 1871) et A Paul Demeny (mai 1871).

▪ Un tableau symbolique : Paul Gauguin, La Vision du sermon (1888).

Activités Réaliser une anthologie illustrée de poèmes de Rimbaud, précédée d’un▪

titre rendant compte de l’harmonie de votre anthologie et d’une préface dans laquelle vous justifierez le thème de votre recueil ainsi que le choix de chaque poème et de chaque illustration.

Mise en voix et en musique d'une sélection de poèmes, appris par les▪ élèves.

Lecture analytique n° 9

ROMAN

I

On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.- Un beau soir, foin1 des bocks et de la limonade,Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !- On va sous les tilleuls verts de la promenade2.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin -A des parfums de vigne et des parfums de bière....

II

- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffonD'azur sombre, encadré d'une petite branche,Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fondAvec de doux frissons, petite et toute blanche...

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.La sève est du champagne et vous monte à la tête...On divague ; on se sent aux lèvres un baiserQui palpite là, comme une petite bête....

III

Le coeur fou Robinsonne à travers les romans,Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,Passe une demoiselle aux petits airs charmants,Sous l'ombre du faux col effrayant de son père...

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,Tout en faisant trotter ses petites bottines,Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif....- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines3...

IV

Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire.Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.- Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire...!

- Ce soir-là,... - vous rentrez aux cafés éclatants,Vous demandez des bocks ou de la limonade..- On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ansEt qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.

Arthur RIMBAUD (1854-1891), Les Cahiers de Douai, 29 septembre 70

1 Foin de : exprime le mépris, l'aversion. 2 La promenade : endroit piétonnier qui entoure généralement les villes et bordé d'arbres.3 Cavatines : pièce vocale pour soliste dans un opéra.

Lecture analytique n° 10

LE DORMEUR DU VAL

C’est un trou de verdure où chante une rivièreAccrochant follement aux herbes des haillons4

D’argent ; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nueEt la nuque baignant dans le frais cresson bleu,Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue5,Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade,il fait un somme :Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur RIMBAUD (1854-1891), Poésies, octobre 1870

4 Haillons : vieux vêtements, morceaux de tissu servant de vêtement.5 La nue : en poésie, un nuage.

Lecture analytique n° 11

LES POETES DE SEPT ANS

À M. P. Demeny

Et la Mère, fermant le livre du devoir, S'en allait satisfaite et très fière, sans voir, Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences L'âme de son enfant livrée aux répugnances.

Tout le jour il suait d'obéissance ; très Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits, Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies. Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies, En passant il tirait la langue, les deux poings À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points. Une porte s'ouvrait sur le soir : à la lampeOn le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe, Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été Surtout, vaincu, stupide, il était entêté À se renfermer dans la fraîcheur des latrines : Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.

Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet Derrière la maison, en hiver, s'illunait, Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marneEt pour des visions écrasant son œil darne,Il écoutait grouiller les galeux espaliers.Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiersQui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue,Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boueSous des habits puant la foire et tout vieillots,Conversaient avec la douceur des idiots !Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,Sa mère s'effrayait ; les tendresses, profondes,De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment !

À sept ans, il faisait des romans, sur la vie

Du grand désert, où luit la Liberté ravie,Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidaitDe journaux illustrés où, rouge, il regardaitDes Espagnoles rire et des Italiennes.Quand venait, l'œil brun, folle, en robes d'indiennes,À Huit ans, - la fille des ouvriers d'à côté,La petite brutale, et qu'elle avait sauté,Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,Car elle ne portait jamais de pantalons ;- Et, par elle meurtri des poings et des talons,Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.

Il craignait les blafards dimanches de décembre,Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ;Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve.Il n'aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu'au soir fauve,Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourgOù les crieurs, en trois roulements de tambour,Font autour des édits rire et gronder les foules.- Il rêvait la prairie amoureuse, où des houlesLumineuses, parfums sains, pubescences d'or,Font leur remuement calme et prennent leur essor !

Et comme il savourait surtout les sombres choses,Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,Il lisait son roman sans cesse médité,Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,Vertige, écroulements, déroutes et pitié !- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,En bas, - seul, et couché sur des pièces de toileÉcrue, et pressentant violemment la voile !

Arthur RIMBAUD (1854-1891), « Les Poètes de sept ans » , Poésies, 26 mai 1871

Lecture analytique n° 12

AUBE6

J'ai embrassé l'aube d'été.Rien ne bougeait encore au front des palais7. L'eau était morte. Les camps d'ombre ne

quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.

Je ris au wasserfall8 blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.

Alors je levai un à un les voiles9. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.

En haut de la route, près d'un bois de lauriers10, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.

Au réveil il était midi.

Arthur RIMBAUD (1854-1891), « Aube », Illuminations, 1873

6 Aube : du latin alba, blanche. Première lueur du jour qui apparaît à l'horizon. Très tôt.7 Au front des palais : le fronton des palais. Rimbaud n'a-t-il pas fait un jeu de mots avec le "palais", la bouche, pour

indiquer avec cette immobilité au lever du jour que personne ne prenait son repas ?8 Wasserfall : mot allemand qui signifie chute d'eau, cascade.

9 Voile : étoffe qui sert à couvrir, à protéger, à cacher.10 Laurier : arbuste de la région Méditerranée dont les feuilles sont utilisées en condiment. Le laurier était l'emblème

de la victoire.

Quatre conceptions de la poésie

Texte A - Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674)

Surtout qu'en vos écrits la langue révérée Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée. En vain vous me frappez d'un son mélodieux, Si le terme est impropre, ou le tour vicieux ; Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme, Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme11. Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse, Et ne vous piquez point d'une folle vitesse ; Un style si rapide, et qui court en rimant, Marque moins trop d'esprit, que peu de jugement. J'aime mieux un ruisseau qui sur la molle arène Dans un pré plein de fleurs lentement se promène, Qu'un torrent débordé qui, d'un cours orageux, Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux. Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent, Des traits d'esprit semés de temps en temps pétillent. Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ; Que le début, la fin répondent au milieu ; Que d'un art délicat les pièces assorties N'y forment qu'un seul tout de diverses parties : Que jamais du sujet le discours s'écartant N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant. Craignez-vous pour vos vers la censure publique ? Soyez-vous à vous-même un sévère critique.

Texte B - Victor Hugo : « Fonction du poète », Les Rayons et les Ombres (1840)

Dieu le veut, dans les temps contraires,Chacun travaille et chacun sert.Malheur à qui dit à ses frères :Je retourne dans le désert !Malheur à qui prend ses sandalesQuand les haines et les scandalesTourmentent le peuple agité !Honte au penseur qui se mutileEt s'en va, chanteur inutile,Par la porte de la cité !

Le poète en des jours impies12

Vient préparer des jours meilleurs.II est l'homme des utopies,Les pieds ici, les yeux ailleurs.C'est lui qui sur toutes les têtes,En tout temps, pareil aux prophètes,Dans sa main, où tout peut tenir,Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue,Comme une torche qu'il secoue,

11 Barbarisme, solécisme : incorrections.12 Impies : irréligieux, qui ne respectent ou offensent la religion.

Faire flamboyer l'avenir !

II voit, quand les peuples végètent !Ses rêves, toujours pleins d'amour,Sont faits des ombres que lui jettentLes choses qui seront un jour.On le raille. Qu'importe ! Il pense.Plus d'une âme inscrit en silenceCe que la foule n'entend pas.II plaint ses contempteurs13 frivoles ;Et maint faux sage à ses parolesRit tout haut et songe tout bas !

Texte C - Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à un acte d'accusation »

Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes ; Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes, Les Méropes14, ayant le décorum pour loi, Et montant à Versaille15 aux carrosses du roi ; Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires16, Habitant les patois ; quelques-uns aux galères Dans l'argot ; dévoués à tous les genres bas, Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas, Sans perruque ; créés pour la prose et la farce ; Populace du style au fond de l'ombre éparse ; Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas17 leur chef Dans le bagne Lexique avait marqués d'une F ; N'exprimant que la vie abjecte et familière, Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière. Racine regardait ces marauds de travers ; Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers, Il le gardait, trop grand pour dire : Qu'il s'en aille ; Et Voltaire criait : Corneille s'encanaille ! Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi. Alors, brigand, je vins ; je m'écriai : Pourquoi Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière ? Et sur l'Académie, aïeule et douairière18, Cachant sous ses jupons les tropes19 effarés, Et sur les bataillons d'alexandrins carrés, Je fis souffler un vent révolutionnaire. Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire. Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier ! Je fis une tempête au fond de l'encrier, Et je mêlai, parmi les ombres débordées, Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idées ; Et je dis : Pas de mot où l'idée au vol pur Ne puisse se poser, tout humide d'azur ! Discours affreux ! – Syllepse, hypallage, litote19, Frémirent ; je montai sur la borne Aristote20, Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs. Tous les envahisseurs et tous les ravageurs,

13 Contempteurs : ceux qui le méprisent.14 Personnages de tragédies.15 L'absence de la lettre "s" est volontaire.16 Inquiétants.17 Vaugelas : auteur des Remarques sur la langue française (1647). Il y codifie la langue selon l'usage de l'élite.18 L'Académie Française, garante des règles ; "Douairière" : vieille femme.19 Figures de style.20 Aristote, philosophe grec, avait codifié les genres et les styles.

Tous ces tigres, les Huns, les Scythes et les Daces21, N'étaient que des toutous auprès de mes audaces; Je bondis hors du cercle et brisai le compas. Je nommai le cochon par son nom ; pourquoi pas ?

Texte D - Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal (1857) « Une Charogne»XXIX - Une Charogne

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,Ce beau matin d'été si doux :Au détour d'un sentier une charogne infâmeSur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,Brûlante et suant les poisons,Ouvrait d'une façon nonchalante et cyniqueSon ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,Comme afin de la cuire à point,Et de rendre au centuple à la grande NatureTout ce qu'ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbeComme une fleur s'épanouir.La puanteur était si forte, que sur l'herbeVous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,D'où sortaient de noirs bataillonsDe larves, qui coulaient comme un épais liquideLe long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vagueOu s'élançait en pétillantOn eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,Comme l'eau courante et le vent,Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmiqueAgite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,Une ébauche lente à venirSur la toile oubliée, et que l'artiste achèveSeulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquièteNous regardait d'un oeil fâché, Epiant le moment de reprendre au squeletteLe morceau qu'elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,A cette horrible infection, Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,Vous, mon ange et ma passion !

Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces,Apres les derniers sacrements,Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermineQui vous mangera de baisers,Que j'ai gardé la forme et l'essence divineDe mes amours décomposés !

21 Peuples considérés ici comme barbares.

Le poème de prose, d'Aloysius Bertrand à Francis Ponge

Texte A : « Le fou », Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit (1842). Le fou

La lune peignait ses cheveux avec un démêloir d’ébène qui argentait d’une pluie de vers luisants les collines, les prés et les bois.

Scarbo, gnome dont les trésors foisonnent, vannait sur mon toit, au cri de la girouette, ducats et florins qui sautaient en cadence, les pièces fausses jonchant la rue.

Comme ricana le fou qui vague, chaque nuit, par la cité déserte, un oeil à la lune et l’autre – crevé !

« Foin de la lune ! grommela-t-il, ramassant les jetons du diable, j’achèterai le pilori pour m’y chauffer au soleil ! »

Mais c’était toujours la lune, la lune qui se couchait. - Et Scarbo monnoyait sourdement dans ma cave ducats et florins à coups de balancier.

Tandis que, les deux cornes en avant, un limaçon qu’avait égaré la nuit, cherchait sa route sur mes vitraux lumineux.

Texte B : « Un hémisphère dans une chevelure », Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris (1869).

Un hémisphère dans une chevelure

Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air.

Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique.

Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.

Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur.

Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.

Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco.

Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.

Texte C : « Les ponts », Arthur Rimbaud, Illuminations (1873).

Les ponts

Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendant ou obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives, chargées de dômes, s'abaissent et s'amoindrissent. Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D'autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des accords mineurs se croisent et filent, des cordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-être d'autres costumes et des instruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d'hymnes publics ? L'eau est grise et bleue, large comme un bras de mer. - Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie.

Texte D : « Barbare », Arthur Rimbaud, Illuminations (1873). Barbare

Bien après les jours et les saisons, et les êtres et les pays,Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques ; (elles n’existent

pas.)Remis des vieilles fanfares d’héroïsme - qui nous attaquent encore le cœur et la tête - loin des

anciens assassins -Oh ! Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques ; (elles

n’existent pas.)Douceurs !Les brasiers, pleuvant aux rafales de givre, - Douceurs ! - les feux à la pluie du vent de

diamants jetée par le cœur terrestre éternellement carbonisé pour nous.- O monde ! -(Loin des vieilles retraites et des vieilles flammes, qu’on entend, qu’on sent,)Les brasiers et les écumes. La musique, virement des gouffres et choc des glaçons aux astres.O Douceurs, ô monde, ô musique ! Et là, les formes, les sueurs, les chevelures et les yeux,

flottant. Et les larmes blanches, bouillantes, - ô douceurs ! - et la voix féminine arrivée au fond des volcans et des grottes arctiques.

Le pavillon…

Texte E : « Le Pain », Francis Ponge, Le Parti pris des choses, 1942.

Le pain

La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne : comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes.

Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses… Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, — sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente.

Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois.

Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable…

Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation.

Les lettres dites « du Voyant »

Lettre de Rimbaud à Georges Izambard – 13 mai 1871Charleville, 13 mai 1871.

Cher Monsieur !Vous revoilà professeur. On se doit à la Société, m'avez-vous dit ; vous faites partie des

corps enseignants : vous roulez dans la bonne ornière. − Moi aussi, je suis le principe : je me fais cyniquement entretenir ; je déterre d'anciens imbéciles de collège : tout ce que je puis inventer de bête, de sale, de mauvais, en action et en parole, je le leur livre : on me paie en bocks et en filles. − Stat mater dolorosa, dum pendet filius. − Je me dois à la Société, c'est juste, − et j'ai raison. − Vous aussi, vous avez raison, pour aujourd'hui. Au fond, vous ne voyez en votre principe que poésie subjective : votre obstination à regagner le râtelier universitaire, − pardon ! − le prouve ! Mais vous finirez toujours comme un satisfait qui n'a rien fait, n'ayant voulu rien faire. Sans compter que votre poésie subjective sera toujours horriblement fadasse. Un jour, j'espère, − bien d'autres espèrent la même chose, − je verrai dans votre principe la poésie objective, je la verrai plus sincèrement que vous ne le feriez ! − Je serai un travailleur : c'est l'idée qui me retient, quand les colères folles me poussent vers la bataille de Paris − où tant de travailleurs meurent pourtant encore tandis que je vous écris ! Travailler maintenant, jamais, jamais; je suis en grève.

Maintenant, je m'encrapule le plus possible. Pourquoi ? Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n'est pas du tout ma faute. C'est faux de dire : Je pense : on devrait dire : On me pense. − Pardon du jeu de mots.

JE est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu'ils ignorent tout à fait !

Vous n'êtes pas Enseignant pour moi. Je vous donne ceci : est-ce de la satire, comme vous diriez ? Est-ce de la poésie ? C'est de la fantaisie, toujours. − Mais, je vous en supplie, ne soulignez ni du crayon, ni − trop − de la pensée :

LE COEUR SUPPLICIÉMon triste coeur bave à la poupe...Mon coeur est plein de caporal !Ils y lancent des jets de soupe,

Mon triste coeur bave à la poupe...Sous les quolibets de la troupe

Qui lance un rire général,Mon triste coeur bave à la poupe,Mon coeur est plein de caporal !Ithyphalliques et pioupiesques,Leurs insultes l'ont dépravé ;

À la vesprée, ils font des fresquesIthyphalliques et pioupiesques,

Ô flots abracadabrantesques,Prenez mon coeur, qu'il soit sauvé !

Ithyphalliques et pioupiesquesLeurs insultes l'ont dépravé !

Quand ils auront tari leurs chiques,Comment agir, ô coeur volé ?

Ce seront des refrains bachiquesQuand ils auront tari leurs chiquesJ'aurai des sursauts stomachiques :

Si mon coeur triste est ravalé !Quand ils auront tari leurs chiques

Comment agir, ô coeur volé ?

Ça ne veut pas rien dire. − RÉPONDEZ-MOI : chez M. Deverrière, pour A. R. Bonjour de coeur,

Art. Rimbaud.

Lettre de Rimbaud à Paul Demeny - 15 mai 1871

Charleville, 15 mai 1871.[...] - Voici de la prose sur l'avenir de la poésie -

Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque ; Vie harmonieuse. - De la Grèce au mouvement romantique, - moyen-âge, - il y a des lettrés, des versificateurs. D'Ennius à Théroldus, de Théroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d'innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le fort, le grand. -On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd'hui aussi ignoré que le premier venu auteur d'Origines. - Après Racine, le jeu moisit. Il a duré deux mille ans.

[...] Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant - Car il arrive à [...] Donc le poète est vraiment voleur de feu.

Il est chargé de l'humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c'est informe, il donne de l'informe. Trouver une langue ; - Du reste, toute parole étant idée, le temps d'un langage universel viendra ! Il faut être académicien, - plus mort qu'un fossile, - pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que ce soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l'alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie !-

Cette langue sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d'inconnu s'éveillant en son temps dans l'âme universelle : il donnerait plus - (que la formule de sa pensée, que la notation de sa marche au Progrès ! Enormité devenant norme, absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès !

[...] Vous seriez exécrable de ne pas répondre : vite car dans huit jours je serai à Paris, peut-être.Au revoir,

A. Rimbaud.

Paul Gauguin (1848-1903), La Vision du sermon (1888)