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L’A NTHOLOGIE PERMANENTE DES LITTÉRATURES DE L IMAGINAIRE S OLARI S Science-fiction et fantastique N˚ 183 10 $ Geneviève F. GOULET Martin HÉBERT Steve STANTON Mario TESSIER PRIX S OLA RIS 2012 J EAN -L OUIS TRUDEL LE JARDIN DES DERNIERS HUMAINS Romain BENASSAYA Guillaume BOURQUE Philippe-Aubert CÔTÉ Luc DAGENAIS

OLARIS · 2018. 4. 13. · 59 Les Amants liquides Romain Benassaya 73 Les Dieux pure laine Luc Dagenais 89 Une parfaite correspondance Steve Stanton 103 La science-fiction et l’anthropologie:

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L ’A N T H O L O G I E P E R M A N E N T ED E S L I T T É R AT U R E S D E L ’ I M A G I N A I R E

S O L A R I SS c i e n c e - f i c t i o n e t fa n t a s t i q u e

N˚ 183 10 $

Geneviève F. GOULETMartin HÉBERT

Steve STANTONMario TESSIER

PRIX SOLARIS 2012JEAN-LOUIS TRUDEL

LE JARDIN DESDERNIERS HUMAINS

Romain BENASSAYAGuillaume BOURQUEPhilippe-Aubert CÔTÉLuc DAGENAIS

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Solaris 183Été 2012 Vol. 38 n° 1

Fan de la première heure, illustrateur, gagman et éditeur du

regretté fanzine Blanc Citron,Mario Giguère est un des plus

anciens et fidèles collaborateurs deSolaris. Nos lecteurs le con naissent surtout pour son travail d’humoriste,mais cette couverture nous rappelle

avec éloquence que le talent deMario déborde largement celui dela caricature. Pour en savoir plus

sur ses goûts insolites : www.clubdesmonstres.com.

Sommaire3 Éditorial

Joël Champetier

7 Le Jardin des derniers humainsJean-Louis TrudelPrix Solaris 2012

29 Aux frontières de l’impossibleMario Tessier

43 Petit Poucet en saladeGeneviève F. Goulet

45 Le DisséminateurPhilippe-Aubert Côté

49 L’Étrange cas du 234, Joseph-BouchetteUn reportage de Guillaume Bourque

59 Les Amants liquidesRomain Benassaya

73 Les Dieux pure laineLuc Dagenais

89 Une parfaite correspondanceSteve Stanton

103 La science-fiction et l’anthropologie : desrécits entrecroisés - Partie 1 : Des ori-gines aux livres-universMartin Hébert

125 Les Carnets du FuturibleLe Thérémine, ou la première musiqueélectroniqueMario Tessier

143 Les LittéranautesM. Ross Gaudreault, P. Raud

148 LecturesM. Arès, V. Bédard, R. Bozzetto, N. Faure, M. Ross Gaudreault, J.-P. Laigle,S. Lermite, P. Raud, J.-L. Trudel

Solaris 183 en ligne (www.revue-solaris.com)

161 Lectures

165 Sur les rayons de l’imaginaireet Écrits sur l’imaginairePascale Raud et Norbert Spehner

179 Sci-néma

Illustrations

Mario Giguère : 29Julie Martel : 43, 45Marc Pageau : 7, 49, 59, 73, 89Suzanne Morel : 103, 125

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Rédacteur en chef : Joël Champetier

Éditeur : Jean Pettigrew

Direction littéraire : Joël Champetier, JeanPettigrew, Daniel Sernine et ÉlisabethVonarburg

Site Internet : www.revue-solaris.com

Webmestre : Christian Sauvé

Abonnements : voir formulaire en page 6

Coordonnatrice : Pascale [email protected](418) 837-2098

Trimestriel : ISSN 0709-8863Dépôt légal à la Bibliothèque nationale du QuébecDépôt légal à la Bibliothèque natio nale du Canada

© Solaris et les auteurs

Solaris est une revue publiée quatre fois parannée par les Publications bénévoles des litté -ratures de l’imaginaire du Québec inc. Fondéeen 1974 par Norbert Spehner, Solaris est lapremière revue de science-fiction et de fantastiqueen français en Amérique du Nord.

Solaris reçoit des subventions du Conseil desarts du Canada, du Conseil des arts et des lettresdu Québec et reconnaît l’aide financière accordéepar le gouvernement du Canada pour ses coûts deproduction et dépenses rédactionnelles par l’entre - mise du Fonds du Canada pour les magazines.

Toute reproduction est interdite à moins d’ententespécifique avec les auteurs et la rédaction. Lescollaborateurs sont respon sables de leurs opinionsqui ne reflètent pas nécessairement celles de larédaction.

Date d’impression : juillet 2012

Le Prix Solaris s’adresse aux auteurs de nouvelles canadiensqui écrivent en français, dans les domaines de lascience-fiction, du fantastique et de la fantasy

Dispositions générales Les textes doivent être inédits et avoirun maximum de 7 500 mots (45 000signes). Ces derniers doivent être envoyésen trois exemplaires (des copies car lesoriginaux ne seront pas rendus). Afin depréserver l’anonymat du processus desélection, ils ne doi vent pas être signésmais être identifiés sur une feuille à partportant le titre de la nouvelle ainsi quele nom et l’adresse complète de l’auteur,le tout glissé dans une enveloppe scellée.On n’accepte qu’un seul texte par auteur.

Les textes doivent parvenir à la rédactionde Solaris, au C.P. 85 070, Québec(Québec) G1C 0L2, et être iden tifiés surl’enveloppe par la mention « PrixSolaris ».

La date limite pour les envois est le15 mars 2013, le cachet de la poste fai-sant foi.

Le lauréat ou la lauréate recevra unebourse en argent de 1 000 $. L’œuvreprimée sera publiée dans Solaris en2013.

Les gagnants (première place) des prixSolaris des deux dernières années, ainsique les membres de la direction littérairede Solaris, ne sont pas admissibles.

Le jury, formé de spécialistes, sera réunipar la rédaction de Solaris. Il aura ledroit de ne pas accorder le prix si lapartici pation est trop faible ou si aucuneœuvre ne lui paraît digne de mérite. Laparticipation au concours signifie l’ac-ceptation du présent règlement.

Pour tout rensei gnement supplémentaire,contactez Pascale Raud, coordonnatricede la revue, au courriel suivant :

[email protected]

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Éditorial

Au moment où j’écris ces lignes, le Québec vibre sous le tinta-marre des casseroles et de la contestation populaire. Les étudiants ontété la bougie d’allumage du mouvement en protestant contre la haussedes frais de scolarité annoncée par le gouvernement Charest, mais il nefaut pas être un docteur en sociologie pour comprendre que la grognedépasse le simple mouvement d’humeur estudiantin. Des observateursprétendent que cette agitation était imprévue. Je la trouvais prévisible, aucontraire, une réaction allergique aux dérives de l’idéologie néolibérale,la complaisance des États envers le « grand capital » qui a fait suite aufiasco boursier de 2008 n’en étant que la partie la plus visible. Une choseest sûre : on devrait nous épargner pour quelque temps la complaintevoulant que la jeunesse québécoise moderne soit apathique et politi -quement déconnectée !

J’aurais aimé tracer un lien ingénieux entre cette crise sociale et lesommaire de ce 183e numéro de Solaris, mais j’aurais l’impression deforcer la note. Quoique, j’imagine qu’on peut trouver des échos del’actualité dans la nouvelle lauréate du Prix Solaris 2012, remis cetteannée à Jean-Louis Trudel à l’occasion du congrès Boréal, le 6  maidernier, à Québec, le tout étant accompagné d’une bourse de 1000 $.

Faut-il présenter cet auteur qui, depuis 1994, a signé sous son proprenom vingt-huit ouvrages pour jeunes et pour adultes ? Ses nouvellessont parues dans de nombreuses autres revues ou collectifs, au Canadacomme en Europe… et dans Solaris bien sûr. En réalité, c’est l’auteurqui a publié le plus de nouvelles dans nos pages depuis la fondation dela revue ! Le jury, appelé à délibérer selon un pro cessus de sélectionanonyme, était composé d’Élisabeth Vonarburg, écrivaine et directricelittéraire de Solaris, Francine Pelletier, écri vaine et adjointe à l’éditionchez Alire, et Josée Lepire, nouvelliste et lauréate du prix Solaris 2011.Elles ont dit de cette nouvelle qu’elle « nous enveloppe et nous emportepar son atmosphère nostalgique, servie par un style envoûtant. Sedéroulant dans un futur complexe et nuancé, d’une complétude éton-nante, l’histoire met de l’avant des enjeux de toutes les magnitudes, dudrame personnel et intime au sort de toute vie sur la planète. »

La participation au Prix Solaris 2012 a été de trente-quatre textes,dont neuf écrits par des femmes. Toute l’équipe de Solaris remerciechaleureusement les participants et les membres du jury de leur collabo -ration et prie ses lecteurs de bien noter que la date limite de participationpour l’édition 2013 est le 15 mars 2013.

Depuis que le congrès Boréal a déménagé au printemps, c’estdésormais le lieu privilégié pour remettre les prix qui concernent notrepetit monde des littératures de l’imaginaire. Ainsi, juste après la remise

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4 S O L A R I S 183

du prix Solaris, on a remis les Prix Aurora/Boréal, tel que déterminéspar le vote des inscrits au congrès. Le prix Aurora/Boréal du MeilleurRoman a été décerné à Éric Gauthier pour Montréel (Alire). Le prix estaccompagné d’une bourse de 500 $ remise par SF Canada et l’Asso -ciation canadienne de la science-fiction et du fantastique. Le prixAurora/Boréal de la Meilleure Nouvelle a été accordé à Ariane Gélinaspour L’Enfant sans visage (XYZ). Le prix de la catégorie MeilleurOuvrage connexe a été remis à Claude Janelle pour Le Dictionnairedes auteurs des littératures de l’imaginaire en Amérique française(Alire). Le prix Boréal de la Création artistique visuelle et audiovisuellea été remis à Valérie Bédard pour sa couverture de Solaris 177 et sesillustrations in térieures dans la même revue. Finalement, encore cetteannée Brins d’éternité s’est mérité le prix Boréal pour la fanédition.

Toujours à Boréal, deux nouveautés attendaient les participants auconcours de Création sur place, sympathique tradition qui consiste àécrire une nouvelle en une heure. Premièrement, l’organisatrice duconcours, Julie Martel, a accordé deux prix, l’un pour les écri vainschevronnés – en l’occurrence, Philippe-Aubert Côté –, l’autre pour lesécrivains novices – Geneviève F. Goulet. La seconde nouveauté, c’estqu’au lieu de s’inspirer d’un bout de phrase, les parti cipants devaients’inspirer d’une photographie. La tradition voulant que les nouvelleslauréates soit publiées dans nos pages, ce n’est donc pas une erreur demontage si la même photo sert à illustrer deux textes.

Finalement, le prix Jacques-Brossard 2012 a été décerné à ÉricGauthier, pour Montréel, honneur accompagné d’une bourse de3000 $. Qu’une œuvre remporte à la fois le prix Jacques-Brossard et leprix Aurora/Boréal n’est pas rare, et n’aura pas surpris les lecteurs quiont lu cet excellent roman. Mylène Benoît, avec le roman Les Joursqui penchent (Triptyque), et Sylvie Bérard, avec La Saga d’Illyge(Alire), complétaient le trio des finalistes. Les jurés ont enfin voulusouligner la qualité d’écriture déployée par Marisol Drouin dans leroman Quai 31 (La Peuplade) en lui attribuant une mention spéciale.

Eh non, la question des prix n’est pas terminée ! Alain Ducharme aprofité du congrès pour annoncer la naissance d’un nouveau prix lit-téraire : l’Hommage visionnaire de la science-fiction et du fantastique.Cette distinction visera à célébrer les auteurs majeurs de la science-fictionet du fantastique québécois qui, depuis les quarante dernières années,ont su produire des œuvres d’ampleur et de qualité exceptionnelles. Leou la récipiendaire du tout premier Hommage visionnaire sera annoncéau printemps 2013, et par la suite un nouvel auteur sera honoré tous lesdeux ans.

Les lecteurs intéressés à obtenir plus de détails sur ces divers prixsont invités à consulter les communiqués dans la section ActualitésSFQ de notre site, à : www.revue-solaris.com. N’oublions pas non plus

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notre page Facebook, sur laquelle de nombreuses informations sontrelayées.

Me reste-il un peu de place pour continuer de parler des fictions dece numéro? J’ai peine à me souvenir de la dernière fois où nous avonsaligné quatre textes humoristiques au même sommaire. Romain Benassaya,notre invité français du numéro, met en scène un héros aussi déterminéque candide lancé dans une burlesque quête de la beauté. GuillaumeBourque, à qui on souhaite également la bien venue dans la revue, nouslivre les résultats d’une enquête sur un cas de possession démoniaque aussisurprenant qu’hilarant. L’humour qui sous-tend la délicieuse fiction deLuc Dagenais n’est pas du genre à faire éclater de rire… mais le sourirequi fleurit sur nos lèvres y reste pour longtemps. Le quatuor de comiquesest complété par Mario Tessier, présence qui ne surprendra pas nosfidèles : que ce soit dans ses fictions ou dans ses chroniques du Futurible,l’humour n’est jamais très loin.

Il reste la fiction de Steve Stanton, notre invité Canadien-Anglais,qui n’est pas comique du tout, triste et glaçante pour tout dire. S’il yavait une fiction avec laquelle j’aurais pu faire un lien avec la crisesociale du moment, ce serait celle-ci.

Côté articles, les lecteurs qui ont apprécié dans notre numéroprécédent le survol d’Élisabeth Vonarburg consacré aux thèmes de lascience-fiction, devraient également apprécier le premier volet d’unessai examinant les liens entre la science-fiction et l’anthropologie. Dequoi stimuler la réflexion en attendant le prochain Solaris, un spécialconsacré à Isaac Asimov, qui paraîtra à temps pour la prochaine éditiondu festival littéraire Québec en toutes lettres, dont la thématique sera« Isaac Asimov et la science-fiction ». Ne soyez donc pas surpris si larevue s’y retrouve mêlée d’une manière ou d’une autre.

Joël CHAMPETIER

Ray Bradbury (1920-2012)

Au moment d’entrer en im pression,en ce matin du 6 juin, nous apprenons ledécès de Ray Bradbury, l’un des très grandsnoms de la science-fiction moderne. Toutel’équipe tient à saluer bien bas ce géantdes lettres qui nous a offert en son tempsses inoubliables Chroniques martiennes,L’Homme illustré, Les Pommes d’ordu soleil, Fahrenheit 451 et tant d’autreschefs-d’œuvre…

5S O L A R I S 183

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L e coucher de soleil rougissait la Méditerranée au large desCinque Terre. Entre deux tunnels, le train avait filé sur unevoie qui surplombait la mer et offrait des aperçus de l’em-

brasement des vagues. De son siège, l’artiste n’accorda qu’uncoup d’œil au spectacle sans surprise. Quelque part en Inde, uneforêt brûlait.

Prix Solaris 2012

Le Jardin des derniers humains

par Jean-Louis TRUDEL

Marc Pageau

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S O L A R I S 1838

Quand l’artiste débarqua du train, l’haleine de fournaise del’été italien l’enveloppa avec une férocité qui fit aussitôt perler lasueur à la surface de sa peau. La fraîcheur des forêts pluviales deHaïda Gwaii n’était qu’un lointain souvenir. Il essaya de se cram -ponner au souvenir des plages du Pacifique de l’archipel au largede l’Alaska, battues par les vagues et jonchées de bois mort ap -porté par les tempêtes. Même s’il se retrouvait à deux pas de la mer,la moitié de la planète le séparait désormais de ses îles natales,tellement plus vertes que les collines désertiques de l’Italie.

Il n’avait pas eu si chaud dans le train. Des panneaux de gra -phène surmontaient chaque wagon et les cellules solaires à nano -cristaux alimentaient en électricité la climatisation du train. Etpuis, il n’y avait pas foule dans les wagons.

La gare de Riomaggiore était presque déserte. Les touristesne venaient plus aussi nombreux qu’avant. Ce n’était pas uni-quement une question d’argent, même si la hausse du coût descarburants avait fait des voyages d’agrément un luxe. Le prixdes matières premières requises pour opérer un chemin de fer ouconstruire un avion n’aidait pas, bien sûr. L’artiste n’avait jamaisenvisagé de visiter l’Europe avant de connaître le succès enChine. Mais si la gare paraissait trop grande pour la poignée depersonnes qui l’arpentait, c’était pour une tout autre raison.

Le temps de remonter le quai, il s’aperçut que la personnequ’il devait rencontrer n’était pas seule.

Il laissa les autres passagers le dépasser pour quitter la gare.Il y avait parmi eux plus de personnes âgées que d’enfants. Ladécroissance démographique en Europe et au Maghreb avait tarià la source les afflux de touristes d’antan. Quant aux touristesd’Amérique du Nord ou d’Asie orientale, il n’y en avait presqueplus. La distance jouait – et elle pesait de plus en plus lourd.

Quand il s’avança, il avait eu le temps de se composer sacontenance d’entrepreneur. Pour faire vivre l’artiste, il était bienobligé de jouer de temps en temps à l’homme d’affaires, mêmesi le rôle ne lui plaisait guère. Il était sculpteur, pas acteur.

Le jeune homme qu’il s’attendait à trouver était flanquéd’une militaire aux traits carrés et d’un homme à l’âge indéfiniqu’il décida de négliger pour l’instant.

— Rufus Boyko, se présenta-t-il en anglais.— Lieutenante Marzouki, de dire la militaire. De l’armée

européenne au Maghreb.

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S O L A R I S 183 9

— Et je suis Arthur Huang, déclara l’autre, également en an -glais mais avec un accent exécrable. De l’Agence de veille stra-tégique de Bruxelles.

— Un auteur de science-fiction? devina l’artiste, en se de -mandant s’il devait considérer Huang comme un confrère.

— À l’occasion, répondit Huang.L’artiste se tourna vers le jeune homme pris en tenaille entre

les deux autres. Il le dévisagea un bref instant pour retrouver destraits devenus familiers : fine moustache noire, cheveux bouclés,nez busqué, front juvénile.

— Et vous êtes Paolo della Chiesa, n’est-ce pas?Mon porteur indigène, n’ajouta-t-il pas.Le jeune fonctionnaire italien confirma de la tête. Ils avaient

abondamment communiqué par voie informatique, mais un visageen chair et en os différait toujours un peu de son image à l’écran.Paolo avait été chargé de réceptionner son matériel de sculptureet de l’entreposer dans un endroit sûr. Rufus se demanda soudainsi la présence de Marzouki et de Huang voulait dire qu’il étaitarrivé malheur à son équipement.

— Nous avons été désignés pour former votre cellule de crise,annonça Marzouki.

— Que se passe-t-il ?— Vous n’avez pas relevé vos messages?— Dans le train? J’admirais le paysage.— Il y a un problème. Nous avons convoqué une réunion

de crise à l’hôtel pour en parler.— Avec qui ?— Li Chutu, pour vos commanditaires.— En personne? s’étonna Rufus, en songeant que la situation

devait être grave si le délégué chinois à l’Agence environnementalemondiale s’était déplacé de Beijing.

— Non, bien sûr. Il sera représenté. Et le maire Enzo Bos -caiolo, pour le conseil intercommunal des Cinque Terre.

— Mais à quel sujet ?Il ne pouvait pas s’agir uniquement d’un pépin technique ou

de la perte de son équipement. Ni son vieux chalumeau oxyacé-tylénique, ni sa perceuse diamant, ni sa machine de découpe aujet d’eau, ni le reste de sa panoplie n’avaient assez de valeurpour justifier un semblable remue-ménage officiel.

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A ux frontières de l’impossible, malgré son titre insipide, futsans aucun doute la série de science-fiction la plus impor-tante de l’histoire de la télévision canadienne-française.

Quarante ans après sa disparition des écrans, elle influence encorenon pas seulement les feuilletons canadiens et européens, maiségalement la télévision américaine, dans laquelle nous retrouvons

par Mario TESSIER

Mario Giguère

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maintenant les thématiques insolites ainsi que l’esthétique ba -roque de cette série bien de chez nous.

Le coffret de sept disques optiques dans lequel vous sontprésentées les émissions de cette série-culte est d’ailleurs un hom -mage à la technologie prédite dans quelques-uns des épisodesd’Aux frontières de l’impossible. Nous encourageons les specta-teurs à prendre connaissance des divers documentaires réalisés àl’occasion du quarantième anniversaire de la série, qui se trouventsur le septième et dernier disque du coffret. Nous vous recom-mandons tout particulièrement celui de Ken Burns, qui prépareen ce moment pour le réseau PBS une longue série documentairesur l’impact international d’Aux frontières de l’impossible.

Les séries de science-fiction ont chacune leur manière proprede capturer l’attention du public. Ainsi, l’intérêt d’Au-delà du réelet des Dossiers brûlants de Kolchack reposaient sur le caractèresingulier du monstre de la semaine, La Quatrième Dimension,quant à elle, faisait la morale par l’intermédiaire du monologuede Rod Serling. Mais pour beaucoup de téléspectateurs, leurssouvenirs d’Aux frontières de l’impossible résident dans les trou-vailles surprenantes que chaque nouvel épisode apportait : inven-tions prémonitoires de notre futur, personnages excentriques etlégèrement décalés, le quotidien bizarre mais étrangement familierde l’avenir envisagé. Les amateurs de télévision se rappellerontsurtout la complexité des intrigues, le thème musical minimalistede Terry Riley et les cadrages baroques de la cinématographie deConrad Hall. De plus, si bon nombre de comédiens de la scèneartistique montréalaise jouèrent un rôle dans le feuilleton, plu-sieurs acteurs invités ont également contribué au succès – inter-national – d’Aux frontières de l’impossible. Citons en particulierBuster Keaton, dans la peau du Docteur Kant, qui fut son dernierrôle comique, et muet, ainsi que la jeune Marie-Christine Bar -rault, le vétéran Leo McKern et l’Autrichien Oskar Werner dans lesrôles respectifs de Marie Ausier, Iosef Kibking et de l’Étranger.

La série possédait un cachet visuel qui la distingue immédia-tement des émissions de télévision francophone de cette période.En effet, la série empruntait à l’expressionnisme allemand desannées vingt et au film noir américain des années quarante etcinquante, dans un mélange de style qui aura par la suite unegrande influence sur la télévision d’ici et d’ailleurs. Et ce n’estque l’un des nombreux héritages que nous a laissés ce classique.

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Car si Aux frontières de l’impossible marque un clivage profonddans la production télévisuelle des années soixante et soixante-dix, elle signale également le début de l’ascendant de la science-fiction sur la littérature francophone, qui trône au sommet dessuccès de librairie depuis maintenant une quarantaine d’années.

VisionnairesBien que les séries de télévision doivent généralement leur suc-

cès à des équipes entières de réalisateurs, de techniciens, d’éclai-ragistes, de preneurs de son, d’accessoiristes, de ma quilleurs etde comédiens, il n’en reste pas moins que la fortune d’Aux fron-tières de l’impossible reposait principalement sur les épaules desdeux producteurs/réalisateurs, Jean-Pierre et Pierre-Paul Tremblay.Les deux frères se partagèrent fréquemment les responsabilitésde production et de réalisation, comme le font aujourd’hui Ethanet Joël Cohen dans leurs films.

Jean-Pierre Tremblay est né en 1935, dans le petit village deSaint-Charles-Borromée, près de Joliette, dans la région de La -naudière. Il a une feuille de route assez quelconque avant de tra-vailler avec son frère. Après des études classiques chez les frèresEudistes, il entreprit sa carrière de réalisateur avec les émissions pourenfants de Radio-Canada, tel que Bobino, puis dirigea plusieursépisodes dans quelques séries à succès comme Les En quêtesJobidon et Septième nord.

L’origine de la série remonte à 1965, lorsque Jean-PierreTremblay effectue un voyage à l’étranger. Dans une entrevueréalisée après le succès de la première saison, il raconte qu’il setrouvait dans un bar de Beverley Hills quand il fit la rencontrede Joseph Stefano, le créateur de la télésérie américaine Au-delàdu réel. De fil en aiguille, tout au long de la soirée, ce dernierl’emmena à une réception donnée par David Janssen, connu pourson rôle de Richard Kimble dans Le Fugitif. C’est là que Jean-Pierre Tremblay fit la connaissance de plusieurs comédiensd’Hollywood ainsi que de Larry Cohen, le créateur de la télésérieLes Envahisseurs. Au cours de la soirée, en discutant avec sespairs, il imagina les principaux éléments de la série-culte à la -quelle il devait se consacrer pendant les années suivantes. (Sonpreneur de son, Henri Flamand, quant à lui, affirme qu’il s’agit làd’une histoire apocryphe bâtie de toutes pièces, puisque Tremblaysemble ne jamais être allé en Californie.)

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P oucet le Quatrième se réveille. Il ouvre les yeux, l’un aprèsl’autre. Sur ses lèvres, le goût mielleux du nectar dont onl’a humecté de la tête aux pieds. Il commence à voir un

peu mieux, progressivement. L’éclairage est fort. Ses pieds sontdans des citrouilles bouillies qui embaument le persil. Leur chaleurrésiduelle lui fait du bien. Près de lui, sous lui, des branches detoutes les sortes. Du chêne, mais surtout du cèdre. Une odeurfraîche. Ça et là, des pommes grenades rehaussent l’ensemble.Une magnifique salade géante. Au centre de laquelle il trône,magnifique lui aussi. Il se sait irrésistible, bien gras, bien juteux,préparé depuis l’enfance pour cette unique croquée. Il repense àson teint parfaitement buriné, à ses cheveux huilés à l’olive.Bouffée d’orgueil. Il sera l’offrande la plus appétissante. Soncorps se relâche contre les feuilles, il est bien, il est à sa place.

Bientôt, l’heure arrive. Avec elle, les forts bruits de pas etl’éclat de la gigantesque fourchette dorée de l’ogre. Poucet pourraitpenser, regretter que son arrière-arrière-grand-père ait provoqué

Petit Poucet en saladepar Geneviève F. GOULET

Julie Martel

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J e ne chasse que la nuit, quand l’absence des rayons du soleilme permet de consommer le glucose que j’ai pu fabriquerpendant la journée, en fixant le CO2 atmosphérique. Dès

que le crépuscule cède la place à un ciel ponctué de milliersd’étoiles, je me mets en marche, transportant toute ma ménagerieentre mes branches – oiseaux, lézards, araignées, insectes, pa -pillons – et je parcours des kilomètres et des kilomètres en quêtede mammifères. Ou d’êtres humains, quand la chance me permet derefermer mes rameaux sur l’un des derniers spécimens peuplantce continent – peut-être même la Terre entière ! Je me faufileentre les conifères, semblables à un cèdre parmi les cèdres, sansme soucier de la moiteur de l’air, des chaleurs trop intenses oudes nombreux orages sur mon chemin. Je ne me préoccupe d’aucunobstacle, mais je ne peux m’empêcher de m’arrêter devant les

Le Disséminateurpar Philippe-Aubert CÔTÉ

Julie Martel

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P ersonne n’est à l’abri des phénomènes étranges, c’est MichelDumont qui l’a dit dans Dossier mystère, quelque trente ansaprès avoir tenu le rôle de Fantoche dans Picotine.

Au cours de la soirée du 6  septembre 1994, la bande dePère-Marquette, qui devait son nom à l’école primaire de quartieroù ses membres traînaient pour consommer du cannabis, a vécuune inquiétante rencontre avec le paranormal. Ce qui allait serévéler une terrifiante soirée a marqué à tout jamais ces durs àcuire de Boucherville, dont certains poussaient parfois la crimi-nalité jusqu’à lancer des bouteilles vides sur des vitres d’abribus.Après avoir longtemps gardé le silence, certains d’entre eux ont eule courage de livrer le compte rendu des effroyables expériencessurnaturelles dont ils ont été témoins ce soir-là bien malgré eux.

L’Étrange Cas du234, Joseph-BouchetteUn reportage de Guillaume BOURQUE

Marc Pageau

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Les terribles incidents ici rapportés ont eu lieu lors de la fêtede la rentrée scolaire que Jean-François Dompierre organisait àchaque premier vendredi de septembre depuis trois ans. Tous lesinvités étaient des amis du voisinage qui fréquentaient l’écoleDe Mortagne avec Dompierre. Peu avant sa tenue, l’hôte de lasoirée avait fait l’acquisition d’une nouvelle guitare électrique,une Stratocaster du même modèle que celle de son idole musicale,Ingwie Malmsteen, une rock star adepte du démon. Selon dessources fiables, l’adolescent se serait payé cette enviable acqui-sition grâce aux profits que lui procurait la revente de hachichjamaïcain, qu’il importait directement de Repentigny.

« J’avais hâte que l’monde soit ben installé pis que j’puisseleur jouer la Trilogy Suite Op. 5 de Malmsteen avec ma nouvelleguite. Y a juste moé à poly qui pouvait jouer une toune toffe demême. »

«  Au fond, Dump (Dompierre), y faisait ce party-là justepour pouvoir faire son show, pour pouvoir se gratter le nombril à208 su’l tempo avec sa nouvelle guite de frais chié. »

Les parents du jeune Dompierre avaient quitté le domicilevers 18 heures pour une fin de semaine au chalet, laissant à leurfils unique la plus totale liberté, une liberté qui allait le conduiretout droit dans les sinistres territoires de l’étrange.

« Dès que mes parents sont partis, j’me suis mis à préparerla piaule pour le party. J’ai vidé l’fridge pour qui aye plus deplace pour les bières pis après ça j’ai loadé de disques mon lecteurde 25 CD: des nouveaux bands de prog metal que je voulais fairedécouvrir aux gars, comme Queenrÿch pis Dream Theater, pis nosvieux classiques : Sanctuary, Sepultura, Obituary, Death, Me -gadeth. »

Selon certains témoins, Dompierre aurait également mis enévidence sur le comptoir des couteaux aux lames noircies destinésà la consommation de cannabis, de même qu’un narguilé au centrede la table du salon. Les lieux étaient donc déjà aménagés enfonction d’un voyage périlleux dans les paradis artificiels quandles premiers convives se sont présentés chez Dompierre : Shake(de son véritable nom Martin Tremblay), cheveux longs, boucled’oreille, souliers de course blancs, jean très moulant, une chaînereliant son portefeuille à une ganse de son pantalon et un chandailà l’effigie de la formation Deicide ; de même que Julien Samson

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(alias Without-Sound), cheveux longs, boucle d’oreille, souliersde course blancs, jean très moulant, une chaîne reliant son porte-feuille à une ganse de son pantalon et un chandail à l’effigie dela formation Testament.

«  Moi, j’avais rien r’marqué de weird quand chu arrivé,j’veux dire, tout était genre comme normal, sauf pour la nouvelleguite. »

« L’esti de frais chié, y l’avait mis ben en évidence, sa grosseguite de riche. »

D’après la plupart des témoignages, toute la bande de Père-Marquette était présente sur les lieux vers 20h15, soit huit garçonset trois filles, ces dernières étant bien sûr des amies de cœur desmembres du gang, seule manière d’expliquer leur présence danscet antre de la virilité.

Les couteaux étaient insérés dans le rond de poêle ardent, lenarguilé gloussait en permanence, les pièces de 25 cents bondis-saient de la table vers des pintes de bière combles, les haut-parleurscrachaient des mélodies aux airs variés: trash metal, power metal,speed metal, death metal et, à l’initiative de Dompierre, en vued’une diversification éventuelle des genres musicaux, du progmetal.

« Tout était super cool. Moé, j’attendais juste le meilleurmoment pour plugger ma Strato dans l’ampli. »

Quelque deux heures après son commencement, la soirée sedéroulait tel que souhaité, certains avaient même déjà commencé àvomir. Le Hobbit (qui devait son pseudonyme à l’assonance deson véritable nom, Bibeau, avec celui du légendaire Bilbo duSeigneur des anneaux), L’Esti-De-Français (qui n’avait pas grandien France mais bien à Outremont) et Dagneault (qui n’avait aucunsurnom), faisaient respectivement de l’«  air guitar », de l’«  airbass » et du « air drum » sur le rythme endiablé de la musiquedécadente. Tous les convives célébraient, enivrés par l’alcool, lespsychotropes et le rock metal, réunis dans le grand salon-cuisinede Dompierre, à aimer Satan.

Mais aux alentours de 23 h 15, après trois heures d’excèspaisibles, une situation insolite vint momentanément troublerl’euphorie des jeunes fêtards, la première manifestation paranor-male de cette marquante soirée du 6 septembre 1994.

«  J’me suis dit qu’y était temps que j’joue ma toune avantqu’le monde soit trop vedge. »

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L es habitants de la planète Imsis, dans l’amas de Ciriola, onttoujours été connus pour le raffinement de leurs rechercheset inventions dans le domaine de l’érotisme. Certains

scientifiques de l’Institut d’anthropologie galactique d’Hilambaaffirment que cette particularité culturelle est le résultat de tradi-tions millénaires héritées des premiers colons – ceux-ci, selonl’Institut, étaient tous membres d’une secte ayant adopté les cou-tumes orgiaques et la sensualité d’un peuple oublié de l’AncienneTerre. Les voyageurs ont plutôt tendance à penser que c’est une

Les Amants liquidespar Romain BENASSAYA

Marc Pageau

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variété de fleurs à l’odeur puissante, très répandue sur la planète,qui in cite les habitants à un tel hédonisme érotique. Sans doute cesdeux opinions renferment-elles une part de vérité. Mais cesquestions ne préoccupent généralement pas l’esprit des nom-breux touristes qui affluent de toute la galaxie et même de toutl’univers en quête de sensations nouvelles.

Emerick ne faisait pas exception : ce qui l’attirait sur Imsis,c’était ce qu’en laissait supposer sa réputation, et non les causesde cette réputation. Toutefois, il ne s’estimait pas un simple tou-riste pour autant, et sa venue sur la principale station touristiquede l’amas de Ciriola était selon lui motivée par un impérieuxdésir d’ordre non pas charnel mais mystique.

Emerick se voulait avant tout poète. Il voyageait au gré desvents stellaires depuis des années, en quête d’inspiration. Sur laplanète-océan Tiantan, dans le Nuage de Magellan, il avait stockésa personnalité dans une puce biotechnologique à interface neurale,qu’il avait ensuite fait réimplanter dans le corps d’un mollusquegéant afin d’accéder à un nouveau type de perception. Ce procédé,appelé métempsychose artificielle, lui avait coûté assez cher maisavait renouvelé en profondeur sa créativité poétique. Son succèsavait été immédiat auprès des populations aquatiques du systèmeTiantan, mais beaucoup plus mitigé auprès des autres habitantsgalactiques.

De retour sur sa planète natale, Emerick avait été très déçude ne rencontrer que si peu d’enthousiasme de la part de sesamis. Son œuvre ne les séduisait pas, pas plus que son nouveaucorps d’ailleurs, par le biais duquel il avait tant appris. Se sen-tant également rejeté par les représentants des cinq sexes, il avaitdécidé de s’exiler, du moins pour un temps, afin de comprendrepourquoi la vie l’avait conduit dans cette impasse, et de quellemanière il devait agir à présent.

Après avoir fait greffer dans son cerveau un microprocesseurlui permettant de communiquer avec toutes les créatures intelli-gentes qu’il serait susceptible de rencontrer durant son voyage, ilavait affrété un petit vaisseau à propulsion quantique et était parti àl’aventure. Son premier déplacement quasi instantané l’avaitconduit près de Marchipel, dans l’anneau de glace de Solapia. Ilavait dérivé plusieurs heures au milieu des cristaux géants valsant

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dans le vide, l’esprit rêveur. La solitude des étendues galactiqueslui avait apporté un grand soulagement.

Sur Marchipel, il avait rencontré un aventurier qui, à la suited’un jeu de hasard en compagnie de sinistres autochtones insec-toïdes, avait dû troquer son corps d’humain contre celui d’une sortede petit écureuil à antennes, doté de huit pattes. Il se nommaitGoran. C’est lui qui avait parlé pour la première fois à Emerickde la planète Imsis, où il désirait se rendre dans l’espoir d’ytrouver un nouveau corps bon marché.

Emerick avait été enchanté par les descriptions que lui avaitfaites Goran de cette planète lointaine, mais aussi très troublé.Un monde luxuriant, des indigènes dédiant leur vie à la sensualité,un langage construit autour des notions de plaisir et de beauté…Imsis était la planète qu’il recherchait depuis toujours, celle oùtout son talent poétique pourrait s’exprimer. Aussi, spontanément,avait-il proposé à son nouvel ami de l’y accompagner.

Et c’est ainsi qu’ils avaient mis le cap sur Imsis.

F

Dans son vaisseau, Emerick avait aménagé un petit salonpropice à la conversation. Pendant le trajet en direction d’Imsis,les deux passagers décidèrent de s’y asseoir pour échangerquelques idées autour d’une tasse de thé.

— Vois-tu, expliquait Goran, les Imsiens sont obsédés parla beauté physique. La plupart choisissent de s’incarner dans descorps de Vénus ou d’Apollon.

— De Vénus ou d’Apollon? s’enquit Emerick, curieux.— Ce sont des modèles de corps grand luxe, disponibles

sur catalogue et fabriqués par les esthéticiens d’Imsis. Ils sontprédisposés génétiquement à la sensualité. Cela étant, de nom-breux Imsiens choisissent aussi de s’incarner dans des corps desirènes, de satyres ou encore de nymphes…

Emerick semblait avoir un peu de mal à suivre.— Toutes ces créatures proviennent du folklore imsien, pré-

cisa Goran.— Ce que tu me racontes m’enchante, ô mon ami, dit le

poète.

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Les Dieux pure lainepar Luc DAGENAIS

… le grand battement de la vie des âges,c’est dans mon sang qu’il danse en ce moment.

Rabindranath Tagore

C’est mardi, OK, tu vas bouffer du jamboncomme à tous les osties de mardi !

Geneviève Blouin

R aoul, le dos affaissé par le poids des ans, rêvait de bouleauxet d’épinettes. Appuyé sur le rebord de l’unique fenêtre desa chambre, sa marchette à portée de main, le regard perdu

dans le vide, se grattant machinalement la barbe qu’il avait aussiblanche qu’un lac gelé au lendemain d’un blizzard, il rêvait ausside neige, de drave et de grand air. Il étouffait entre les quatre mursde leur minuscule « appartement », à Yvette et à lui. Il mouraitd’ennui dans ce foyer pour personnes âgées. Il regardait son

Marc Pageau

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Yvette, la déesse du foyer, rayonnante, un sourire paisible etsatisfait aux lèvres, tricoter en se berçant, et il se demandait àquoi son existence à lui rimait.

— T’es pas tannée, toé ma Yvette, de te bercer à longueurde journée, de manger le même maudit manger à toutes les se -maines, aux mêmes heures du jour, tout le temps, pis avec riend’autre à faire que de regarder dehors steady même si y a mêmepas de machines qui passent par icitte ?

— Hein? Quoi? Tu m’as fait échapper une maille là !Yvette avait sursauté : il y avait plusieurs mois qu’ils ne

s’étaient pas adressé la parole, depuis la fin de l’hiver passé enfait. Si son Raoul recommençait à se plaindre, ça voulait dire quele printemps arriverait bientôt. Depuis qu’ils habitaient ici, leurexistence était réglée comme une horloge, tous les jours pareils,sans heurt, sans surprise. Une routine rassurante. Tic, tac, tic, tac,le bonheur domestique dans sa plus pure expression. Non, ilsn’avaient plus besoin de se parler; mais chaque printemps, Raoulattrapait la bougeotte et se plaignait de son sort.

Il commençait toujours par se plaindre qu’il vieillissait…— C’est pas une fin digne du dieu du Nord pis du Bois ça,

une chambre grande comme ma poche, avec pas moyen de bougerpis d’avoir du fun. Je suis en train de devenir sénile à force derien faire, à force de pus danser de rigodons ni de reels ; de pusboire de fort ni de caribou, jamais. Regarde-moé les bras pis lesjambes, Yvette, y ont pu ben l’air de la roche pis des troncs d’ârbcomme dans mon jeune temps, mon linge me fait même pus tel-lement j’ai ratatiné !

— Tu radotes, mon Raoul. Je te l’ai déjà dit : c’est pas graveça, que tu ratatines un peu. T’es toujours aussi beau dans ta che-mise carreautée, tes grosses bottes pis ta tuque. T’as juste à serrertes bretelles si ton linge agrandit. Certain que j’aimais ben mieuxquand t’étais jeune pis fringant, que j’étais encore une belle pou-lette pis qu’on se courait dans le foin, mais là, les ceuses quinous vénéraient, y sont morts, ou y sont rendus vieux pis d’infoyer comme nous autres. C’est pour ça qu’on est là, pis tu lesais aussi ben que moé.

… qu’il voulait changer…— Ça fait assez longtemps que je mange mes breaks. Je veux

me recycler. C’est à mode, ça, se recycler, Yvette. À quoi ça sert

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d’être un dieu si t’es obligé d’être à l’image de tes suiveux ?Pourquoi ce serait pas le contraire pour une fois ?

— Dis pas de folies, mon homme. Ç’a toujours été de même,pis c’est ça qui est ça. C’est pas moi qui décide, c’est Mémère.Depuis toujours, pour toujours. Pis le recyclage, c’est une affairede jeunes, ça. Nous autres, on a fait notre temps. Y faut laisser laplace aux nouvelles générations, mon Raoul.

… parce qu’il ne servait plus à rien…— On a fait notre temps, on a fait notre temps! Facile à dire

pour toé ; t’as encore des maisons, des ménages, des loyers pisdes foyers à runner. Pis y va toujours y en avoir, même si sontdifférents que dans notre temps. Mais moé… Comme c’est là, jesers pus à rien pis pus personne me vénère.

— Ben oué, c’est fini la drave pis l’abattage, mon homme.Astheure, c’est des machines qui s’occupent de toute ça ; les sui-veux, y restent en ville, pis y vénèrent d’autres dieux que nousautres, comme Ceuline, ou ben la grosse de Victoriaville, là,Poutine. C’est eux les nouveaux dieux du Québec. Mais je t’aimepareil même si t’es pus le dieu de rien, tsé.

… qu’il étouffait…— J’en peux pus d’être pogné entre quatre murs tout le

temps, avec rien qu’une fenêtre grande comme ma main pourregarder dehors !

… et il finissait toujours par se fâcher noir contre les cooksdu foyer…

— Pis j’en peux pus de manger la même affaire à toué jours.Mardi du jambon, jeudi du pâté chinois, vendredi du poisson,samedi de la soupe minestrone. Simonac !

— Ben voyons donc, mon homme, t’as passé ta vie à justemanger des bines pis du lard sur les chantiers que tu visitais.

— Au moins, les bines j’aime ça ! Pourquoi y a jamais debines ni de lard icitte ?

… avant de finir par se calmer…— … Voilà, c’était fini pour cette année. Avec un branlement de tête

découragé, Yvette se remit à tricoter en se berçant. Son pauvreRaoul avait été tellement fier dans sa jeunesse ; commander auxbûcherons et aux raftmans, ce n’était pas rien. En plus, il avait enpartie raison ; elle se portait encore assez bien, malgré le passage

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S hyla Clearly leva les yeux d’une casserole de lentilles, lorsqueson mari Ryin entra dans leur minuscule appartement. Ellel’étudia avec attention, cherchant la moindre lueur d’espoir.

Elle était toujours en mesure de dire comment sa journée s’étaitdéroulée rien que dans les premières minutes de son retour. Ryinétait dépourvu d’artifices et ne maîtrisait aucunement l’art dusubterfuge ; un homme trop honnête pour son propre bien. Seslèvres fines formaient une ligne dure, son front était baissé : uneautre mauvaise journée. La peau de Ryin était sombre, mêmepour un homme noir, et ses longs cheveux camouflaient son ex -pression, mais sa posture en disait long: voûtée et sur la défensive.Dans son esprit, Shyla pouvait se représenter son corps parfaitsous la chemise miteuse et le bleu de travail crasseux – une statued’ébène faite de muscles fermes, bâtie pour le plaisir : voilà cequ’était son ange de minuit. Elle s’accrochait à cette visioncomme à un talisman.

Une parfaite correspondancepar Steve STANTON

Marc Pageau

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« Tu as vu qu’ils sont en train de mettre des reins aux en -chères? » cria-t-il presque. Secouant un bulletin d’informationspour mettre de l’emphase à ses paroles, il le brandissait bienhaut telle une preuve dans un tribunal pour un jury qui n’en liraitjamais les petits caractères. «  J’aurais dû garder mes pièces deréserve, tout comme toi. Nous serions riches aujourd’hui.  » Ilsecoua tristement ses dreadlocks emmêlées et se laissa tomberdans un fauteuil rembourré recouvert d’une couverture grisedéchirée. Il essuya ses joues lisses d’une main robuste.

Shyla scruta l’intérieur de la casserole fumante, qu’elle re -muait sur la plaque chauffante. Le linoléum était moite sous sespieds nus et de petits ruisseaux de sueur s’écoulaient sous satunique en filet de pêche. La température avoisinait les 100 oFdepuis plusieurs jours : une chaleur incandescente et épuisantequi cuisait l’asphalte de la ville comme une plaque de fonte.

« Les reins ont toujours été un bon investissement », répondit-elle en frottant son ventre d’un geste protecteur, mettant en évi-dence les stries familières de tissu cicatriciel. Elle pouvait sentirle regard de Ryin sur son abdomen sans avoir à même regarderson œil bleu comme du cristal et son cache-œil noir. Parfois, elleimaginait que son œil manquant pouvait la voir plus clairementque le vrai, qu’il pouvait plonger dans son cœur, dans son esprit,et tout révéler au grand jour. Elle souhaitait que Ryin mette unœil factice, un œil de verre, et se débarrasse de son cache-œil deplastique noir. Mais non, il attendait pour un implant sur mesure,avec une lentille infrarouge télescopique, et ne se contenteraitpas de moins. Le cache-œil était pour lui le symbole de tempsmeilleurs, une porte ouverte sur un futur plein d’espoir.

« Tu penses que c’est le moment de vendre ? » demandaRyin d’un air trop délibérément décontracté, manifestement feint.Il gratta le denim bleu déchiré autour de sa rotule.

«  Je ne pense pas  », répondit Shyla avec une nonchalancetout aussi forcée. « Peut-être quand le marché remontera. »

Ryin lui sourit finalement et hocha la tête : le rituel étaitcomplété, leur conviction partagée renforcée par leur éloquencemuette. Quand on regarde le désespoir droit dans les yeux, onn’ose jamais mentionner son nom.

Shyla servit de grandes cuillerées de soupe de lentilles danstrois bols de plastique rouge. « Prêts pour le souper? » demanda-t-elle en faisant un signe de la tête vers le cadre de porte de la chambre.

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Ryin posa le bulletin d’informations sur une boîte de rangementen face de lui et se dirigea tranquillement vers la chambre pourprendre leur fils Kitrel : deux ans et déjà la fierté de la famille ; ilcommençait déjà à parler, à comprendre.

«  ‘jour, papa », s’exclama une voix chantante pleine d’unejoyeuse innocence.

« ‘jour, Kit », répondit en écho le plus vieux, un soupçon delassitude impassible perçant la façade paternelle. « C’est l’heuredu souper. »

« Tourner, papa ! »« Tourner? La tête en bas? »Un cri aigu et vibrant résonna dans la chambre et emplit de

vie et d’espoir le minuscule appartement. Ryin passa sous l’em-brasure de la porte, Kitrel sur les épaules, et le garçon tapa lecadre au-dessus avec ses paumes comme il aimait le faire. Shylaposa les trois bols sur la boîte de rangement en bois et versa avecprécaution de l’eau dans trois tasses en plastique. Elle parcourutdu regard le bulletin d’informations, le poussa de côté sur le sol– les prix avaient encore explosé, la population vieillissante récla-mant le peu de ressources disponibles. Elle posa à côté du bol deRyin son supplément de donneur de sang et poussa leur seul fau-teuil le plus près de la table pour lui. Le supplément vitaminiqueétait fourni gratuitement aux donneurs à « plein temps ». Shyla,légèrement anémique, pouvait donner du sang seulement une foispar mois et n’y avait donc pas droit. Elle poussa sa chaise en boisdepuis le coin de la cuisine et s’assit. Elle scruta l’énorme capsulepourpre et se demanda comment son mari réussissait à l’avaler.

Ryin installa Kit sur son tabouret et s’installa le fauteuil en facede lui, père et fils, souriant tous deux maintenant. Le même sourire,les mêmes lèvres, le même nez; la peau de Kit était cependant pluspâle : un mulâtre crème, tout comme Shyla. Les cheveux de Kitallaient être épais et droits, comme ceux de sa mère – pas de dread -locks –, de bons cheveux pour les transplantations. Elle passa undoigt à l’arrière de son propre crâne, sur la partie nue, là où lesfollicules avaient été enlevés. Laisser pousser long les cheveux dudessus permettait de ne pas le voir, de ne pas remarquer l’absence:mais on le sait, on se souvient, et de nouveau les factures impayéesse mettent sur le chemin comme des panneaux de déviation, nousforçant à tourner, à nous con torsionner pour trouver une route

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S i l’on compare l’histoire des sciences sociales et celle des lit-tératures de l’imaginaire, nous constatons qu’il s’agit de deuxformes de discours qui se sont influencées mutuellement à de

multiples reprises. Nous pouvons certainement documenter cesentrecroisements à une époque ou une autre. Le véritable intérêt de

Suzanne Morel

La science-fiction et l’anthropologie :des récits entrecroisés1

PARTIE 1

Des origines aux livres-universpar Martin HÉBERT

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ces contacts, cependant, est de nous permettre de les mettre bout àbout pour constater à quel point ces deux domaines d’écriture, pour-tant bien différents à première vue, se sont constamment nourrisl’un à l’autre au fil de leur histoire. Dans ce texte, j’aimerais peindre àgrands traits cette parenté qui remonte à plusieurs siècles. Bien sûr,en tentant de prendre un pas de recul et de regarder la forêt dans sonensemble, plutôt que d’entreprendre une étude détaillée des arbresqui la composent, je vais nécessairement faire violence tant à l’his-toire des littératures de l’imaginaire en général (et à l’histoire de lascience-fiction en particulier) qu’à l’histoire de mon propre champde recherche qu’est l’anthropologie. Il me semble cependant que lejeu en vaut la chandelle, dans la mesure où ce tableau peint à grandstraits une parenté entre des récits « constructeurs de mondes » quidevrait être célébrée, mais qui est malheureusement souvent cachée.Les anthropologues doivent comprendre les affinités de leur disci-pline avec les littératures de l’imaginaire. En ce sens la présenteréflexion s’inscrit en continuité avec des études qui non seulementont tenté de mettre ces affinités générales en évidence, mais plusspécifiquement avec des études qui ont documenté les incursionsdes anthropologues dans le champ de la SF en particulier2. Lesrecoupements qui existent entre l’anthropologie et la SF marquentl’histoire de cette discipline. Ils aident les anthropologues à com-prendre leur propre rôle créateur dans l’écriture scientifique qu’ilsproduisent et, comme nous le verrons, à comprendre l’intersectionentre deux formes de discours qui peut servir d’incubateur à desvisions radicalement nouvelles de l’humain et de la société. Pourleur part, les créateurs et amateurs de science-fiction ont aussi intérêt àmieux connaître la parenté qui existe entre leur genre préféré etl’anthropologie. Les univers humains sont d’une richesse et d’unevariété qui font souvent pâlir la fiction. Plonger dans une mono -graphie sur les Abkhasiens du Caucase, où il est coutume pour lesfemmes de chefs d’allaiter les enfants de leurs ennemis en guise derituel de réconciliation, peut être plus dépaysant que n’importequelle fiction prenant place sur la planète Triton X-34. Les auteursde SF sont en dialogue, consciemment ou non, avec le savoir an -thropologique de leur temps. Ils y puisent souvent de manière àpeine déguisée pour inventer leurs sociétés. Apprendre à reconnaîtrela «  théorie  » anthropologique sous-jacente à cette invention peutapporter un nouveau degré d’appréciation des œuvres elles-mêmes.Par ailleurs, à mesure que la science-fiction cesse d’être l’affaired’hommes blancs occidentaux et devient plus représentative de la

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diversité des expériences humaines, de nouveaux univers science-fictionnels s’ouvrent à nous. Mais pour les apprécier pleinement, ilpeut être utile de comprendre pourquoi, et en quoi,la SF mexicaine, sénégalaise, aborigène australienne,afro-américaine ou indienne diffère des formes re -connues du genre.

Nous vivons dans un monde de plus en plusscience-fictionnel. Des auteurs s’associant naguèreà la SF, comme William Gibson, se transforment pardegrés insensibles en commentateurs de laculture mondialisée contemporaine. Des phi-losophes comme Jean Baudrillard ou DonnaHaraway se tournent vers la SF pour penserun monde dans lequel le rythme des change-ments sociaux et technologiques a dépassé depuislongtemps notre capacité à comprendre ces trans -formations en temps réel. Bref, il semble aujourd’hui que si vousn’écrivez pas de science-fiction, votre anthropologie est périmée etque si vous ne lisez pas d’anthropologie, votre science-fiction estdépassée. Pas de panique cependant, ce n’est là que le visage actueld’une ancienne symbiose…

Les originesTant les frontières de la science-fiction que celles de l’anthro-

pologie sont contestées, contestables et pourtant activement pa -trouillées par des armées de critiques. Comme le notaient les édi-teurs d’un volume récent, plusieurs personnes ont une idée plutôtclaire de ce qu’elles pensent être de la science-fiction, mais généra-lement il n’y en a pas deux qui s’entendent sur le sens précis qu’ellesdonnent à ce terme3. Nous pourrions en dire autant de l’anthropologie.

Pour situer, sans trop nous perdre, l’exploration que je proposeici, disons simplement que les pages qui suivent porteront sur ce quecertains ont nommé la « sciences-sociales fiction » (social-sciencefiction)4 ou encore « ethno-fiction »5. Il s’agit de formes d’écriturespéculative, dont la matière première est la nature et la diversité desso ciétés. Ces sociétés peuvent être celle de l’auteur, ou encore luiêtre « exotiques », incluant des sociétés du passé, des sociétés ani-males, ou encore des sociétés liant des humains avec d’autres typesde non-humains tels des plantes, des éléments du paysage, desmachines ou des objets. Partant de ces savoirs, et bien sûr de l’ima-gination propre de chaque auteur d’ethno-fiction, ces derniers pro-duisent des univers inédits. Dans le monde de la fiction, cette pro-duction est nommée « création » et dans celui de la science elle est

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Suzanne Morel

Le Thérémine,ou la première musique électronique

par Mario TESSIER

J e devais avoir une quinzaine d’années quand ma tante, pourmon anniversaire, m’acheta un instrument de musique. Sansdoute s’imaginait-elle que j’apporterais ainsi de l’entrain à nos

réunions de famille, à l’instar de mon grand-père, qui jouait du violon.Mal heureusement, à mon grand désarroi, l’instrument en questionn’était pas un instrument noble comme un cuivre ou un instrumentexotique, mais un… accordéon à boutons.

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Je m’imaginais avec ce branle-poumons,habillé de tyroliennes, en train de jouer le reel dup’tit sapin ou la polka du père Couil lard… Bienque je sois devenu par la suite un amateur demusique folklorique, et en particulier du blue-grass, je ne me voyais pas en train de me trans-former en Adélard Lebrun du pauvre. L’ac -cordéon prit donc le chemin du placard et je leperdis de vue quelques mois plus tard. Mesparents durent me prendre en pitié et nous nousdébarrassâmes de cet encombrant piano à bre-telles. J’espère qu’il trouva un foyer accueillantchez un accordéoniste en puissance.

Ma fascination d’alors s’orientait plutôt versun autre type de musique, que j’avais découvertdans le film de science-fiction de Stanley Kubrick,l’Orange mécanique, où le synthétiseur de WalterCarlos1 associait les mélodies classiques de lamusique baroque aux nouvelles sonorités de lamusique électronique. Et dans d’autres films deSF, comme ceux de la Planète interdite ou deLe Jour où la Terre s’arrêta, on pouvait en -tendre un instrument bizarre qui est l’ancêtre dela lutherie électrique : le thérémine.

L’étrange cas de Léon ThereminLéon Theremin, de son vrai nom Lev Ser -

gueïevitch Termen, est né le 15 août 1896 àSaint-Pétersbourg. (Termen prit un nom à conso-nance francophone lors de sa tournée européennecar sa famille avait, semble-t-il, des origines

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françaises. Ses ancêtres avaient émigré enRussie sous l’Ancien régime.) Très jeune,il se passionne pour la physique, qu’ilchoisit d’étudier à l’université. Mélomaneinvétéré, il suivra par la suite des cours devioloncelle au conservatoire pendant denombreuses années.

Lors de la Première Guerre mondiale,il s’enrôle dans le département radio del’armée rouge, puis travaille dans un insti-tut polytechnique. C’est là qu’il se familia-rise avec l’électronique naissante et qu’ildécouvre la propriété du corps humain àconduire l’électricité et à stocker des charges,connue sous le nom de capacitance. Léonréalise à cette époque que la capacitance d’une personne se tenant àproximité d’un circuit électrique peut s’ajouter à la capacitance ducircuit lui-même pour modifier le courant.

Au début des années 1920, il construit un appareil permettant demesurer la densité d’un gaz. Il remarque que les mouvements de samain près du circuit sont interprétés comme des fluctuations de ladensité, ce qui provoque des sifflements plus ou moins aigus. Celaéveille immédiatement son oreille de violoncelliste. Tra vaillant sur dessenseurs de proximité pour le gouvernement à l’Institut de Physiquede Petrograd (maintenant Saint-Pétersbourg), il développe alors soninvention, l’aetherophone, qui aboutit au thérémine (ou thereminvox),le premier instrument musical – pratique – fonctionnant à l’électricitéet capable de générer un son au moyen d’oscillateurs électroniques.

Notons qu’en plus de travailler sur le thérémine, l’inventeur russeexpérimenta sur des instruments de musique combinant la lumière,les couleurs et les odeurs. Il fabriqua même quelques prototypes de

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Jean AvrilOrianor 1 : La Cité aux sept murailless. l., Cima, 2012, 113 p.

Tolkien a laissé une empreinte mani-chéenne sur la fantasy dont le genre aune singulière difficulté à se départir, etc’est particulièrement vrai pour la litté-rature jeunesse. Orianor T.1 : La Citéaux sept murailles, premier tome d’unenouvelle série publiée chez Cima etsignée Jean Avril, n’échappe pas à ceconstat – et c’est un euphémisme. Est-ce vraiment nécessaire de n’avoir quedes personnages sans nuances, soittotalement « bon », soit complètement« méchant »? Il me semble que la fan-tasy n’en est plus là – en fait foi lesœuvres de Glen Cook (Annals of theBlack Company), de G. R. R. Martin(The Game of Thrones) ou encore, plusprès de chez nous, d’Héloïse Côté (LaTueuse de Dragons). Et ce n’est pasparce qu’un roman s’adresse à un publicde jeunes adolescents qu’il faut néces-sairement insulter leur intelligence, enfait foi le succès populaire d’une sériecomme Les Désastreuses Aventures desorphelins Baudelaire de Lemony Snicket.

Le roman s’ouvre pourtant sur unsuperbe incipit. Un « chapitre zéro »absolument délicieux, qui raconte lamort d’un sculpteur esclave, et qui pré-cède un prologue dont la fonction estde présenter la mythologie sur laquellerepose le roman. Il faut dire que l’au-teur a un certain style, même si je note

une agaçante tendance à la surenchèrede qualificatifs et qui auraient pu êtreépurés lors du travail de direction litté-raire, de même que certains tics de lan-gage à proscrire (notamment cette fâ -cheuse manie de placer une virgule aprèsune conjonction débutant une phrase).S’ensuit les péripéties en eux-mêmes,qui consistent, pour un chevalier resca-pé in extremis d’un siège de quaranteans (wow, il y avait de sacrés stocks denourriture là-dedans !!! Sérieusement,c’est un oubli d’un illogisme déconcer-tant…) s’étant terminé dans la défaitepour les assiégés, à ramener le fils duroi sain et sauf dans la contrée voisine,alliée des vaincus. La reine est morte,tuée des mains d’un traître au servicedes très très méchants et sombres ra -khanes, créatures qui auraient pu por-ter le nom d’orques que ça n’y auraitstrictement rien changé.

La chute du roman laisse cependantentrevoir un certain potentiel pour lesnuméros qui suivront (« spoiler alert »!).Les derniers chapitres introduisent ainsile personnage d’Uriss, le roi déchu de lacitadelle de Rihel, au tempéramentultra-vertueux que le manichéisme durécit appelle père de l’enfant, désor-mais esclave des Rakhanes et enchaînéau traître qui a tué son épouse. C’estsur cette note que s’achève ce premiertome, laissant peut-être entrevoir uneplus grande nuance dans la caractérisa-tion à venir des personnages; mais pour

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l’heure, la chose m’a profondémentagacé, au point où j’avais envie destopper net une lecture pourtant facileet rapide (le roman est court) – ce quim’apparaît comme une bien pauvreentrée en matière pour une nouvellesérie populaire. Mais laissons la chanceau coureur – il se peut que l’intrigues’approfondisse avec la parution destomes subséquents.

Marc Ross GAUDREAULT

Ariane GélinasLes Villages assoupis T.1:TranstaïgaMontréal, Marchand de feuilles (Ly -canthrope), 2012, 156 p.

Anissa est une jeune femme qui tra-vaille dans un chenil de huskies sur laroute de la Baie-James, dans la ville deRadisson. Asociale, solitaire, elle n’aimeque ses chiens, surtout Anuun, qu’elle adressé comme chien de tête. Elle déteste

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tout particulièrement Léonie, la vétéri -nai re du chenil, qui ne cesse de la harceleret la rabaisser. Jusqu’au jour où Léonie vatrop loin et frappe Anuun : Anissa laisseAnuun égorger la vétérinaire sans l’om bred’un remords. Pour Anissa, cette mort,ce sang répandu, c’est certainement lesigne qu’elle attendait depuis longtempset dont sa grand-mère avait parlé : « Lesprésages seront incontestables lorsqu’ilsera temps pour l’héritière écarlate derevenir au village. » Forte de cette con -viction, elle libère tous les chiens duchenil et prend la route au volant de savieille Lincoln. Direction Combourg, levillage fantôme dont elle est l’uniquehéritière. Dans son coffre, le cadavre deLéonie, dont elle pense faire offrandeau village à son arrivée.

Ce village, c’est sa grand-mère Eldaqui l’a créé avec ses disciples. Elle voulaits’isoler du reste du monde, s’en protéger,c’est pourquoi le village est invisible auxétrangers. Il est protégé par une barrièrepsychique, entretenue par les sacrifices desang offerts à la terre: les âmes des mortsnourrissent cette puissante barrière.

Ce village, sa mère Odalie s’en estenfuie en emportant avec elle Anissa,qui avait quatre ans à l’époque. Elle enest partie en emportant aussi avec elleun des journaux intimes d’Elda, danslequel Anissa a trouvé bien plus tard denombreuses réponses à ses questionscon cernant son héritage spirituel.

Ce village, Anissa compte bien enprendre la tête à la suite de sa grand-mère, en faisant autant de sacrifices quenécessaire pour le protéger du mondeextérieur. Mais pour le moment, Anissaroule de nuit vers Combourg, dont per-sonne n’a jamais su l’existence, et dontelle avait promis à sa mère de ne jamaisen parler à personne. Cette mère qui estmorte noyée quelques années aupara-vant, lors d’une partie de pêche sur glaceen compagnie d’Anissa.

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Jean-Philippe JaworskiGagner la guerreParis, Folio SF, 2012, 978 p.

Après avoir affûté sa plume et sonstyle dans le recueil de nouvelles JanuaVera, Jean-Philippe Jaworski nous offreson premier roman avec Gagner laguerre. Ce pavé imposant de près desept cents pages a reçu avec raison leprix du meilleur roman en France auxImaginales en 2009.

Voici les aventures d’un personnageque nous avons découvert au détour de« Mauvaise Donne » : Benvenuto Ge -sufal. Assassin notoire et membre de laGuilde des Chuchoteurs, il est devenuau début du récit l’homme de main dupodestat Leonide Ducatore, sénateurpuissant de la République de Ciudalia.Nous l’accompagnons donc à bord d’unvaisseau de guerre, alors que le conflitentre le Chah Eurymaxas et la Ré pu -blique se termine. Serviteur des in triguesdu podestat, Benvenuto a pour doublemission de tuer l’étoile montante d’uneMaison concurrente et d’être aussi unémissaire chargé de mener des né go -cia tions secrètes avec le Chah, au prixde sa sécurité. Ces événements ne serontque le début d’un enchaînement d’aven -tures et d’intrigues dignes de la Renais -sance Italienne et d’un certain NicolasMachiavel.

Homme de main, espion, tueur, bouc-émissaire, Benvenuto garde un regardcritique et parfois cynique sur sa situa-tion. Narrateur et personnage principal,sa verve et sa vision des événements sontpleines de piment et d’humour. Son

principal objectif, outre sa mission, estde sauver sa peau. Benvenuto est terreà terre: il sait que son patron fo mente desintrigues politiques complexes et qu’iln’est jamais qu’un pion sur l’échiquier.

Galères en feu, batailles, intrigues,coups dans la nuit, torture, envoûte-ments, prison, périples, gloire, dé chéance,exil, se succèdent pour Ben venuto sanslaisser trop le loisir de souffler au lec-teur… De combats en combines, ceroman qui se lit en cinémascope neralentira que lors de descriptions par-fois trop fouillées. Il faudra bien de laressource à notre héros pour se sortirdes pièges et difficultés qu’il trouverasur son chemin, comme cette course surles toits à dimension purement épique!

Gagner la guerre est un croisemententre le roman historique le plus exigeant

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Le deuxième numéro de 2011 est con -sacré à une auteure d’ici, Élisabeth Vo -narburg. Il s’agit du premier numéro deFemspec à consacrer un dossier à uneécrivaine non-anglophone, et aussi dupremier à en consacrer à une seule écri-vaine. C’est donc un honneur sans pré-cédent qu’on lui fait.

La chercheuse Amy J. Ransom, del’Université du Wisconsin, bien connuedes habitués du congrès Boréal, a réuniles pièces du dossier. Elle signe un sur-vol de l’œuvre vonarburgienne en guised’introduction, assortie d’une bibliogra-phie précieuse. Suivent alors un entre-tien avec Élisabeth Vonarburg, présentéen anglais et en français, un articled’Anna L. Bedford, « Reluctant Tra ve -lers : Vonarburg’s Postcolonial Posthu -man Voyagers », et un article de SharonTaylor, « Sexualects in Vonarburg’s Inthe Mothers’ Land », lui aussi présentédans les deux langues. Enfin, la princi-pale concernée signe elle-même le motde la fin, encore une fois présenté dansles deux langues.

Il s’agit donc d’un dossier presqueentièrement bilingue et qui pourra aussiêtre lu avec profit par les francophones.Le survol de Ransom donne envie derelire les romans et nouvelles de Vo -narburg et cette envie survit à la lecture

et une fantasy relativement discrète : lesorcier Sassanos, autre homme de l’ombredu Podestat, ne fait que quelques appa-ritions de poids et la magie reste trèssecondaire dans l’intrigue. L’autre véri-table héroïne c’est Ciudalia, une villequi semble avoir existé, avec ses gensdu peuple, ses familles sénatoriales quiluttent pour le pouvoir, ses corps de mé -tiers qu’on retrouverait facilement dansun ouvrage historique sur la Renaissance.Par la précision du vocabulaire, desdescriptions et des références, les per-sonnages vivants, attachants et biencampés, Jean-Philippe Jaworski démontreune très grande maîtrise de l’écriture etun style typique capable de jouer surplusieurs registres. Il donne à voir, àsentir, à frémir, à réfléchir, à vibrer et àfrissonner. Difficile à résumer sans tropdéflorer l’intrigue, ce roman est énorme,non seulement par sa taille mais aussipar la verve de l’auteur, la richesse duvocabulaire, les idées, l’amplitude desscènes d’action et de l’intrigue politique.Même si quelques longueurs l’alourdissentparfois un peu, c’est du grand art!

Avec Gagner la guerre Jean-Phi lippeJaworski est entré dans la cour des grandsdès son premier roman. Un auteur àsurveiller de très près dans les années àvenir.

Nathalie FAURE

Batya Weinbaum (ed.)Femspec vol. 2, no 2.Cleveland Heights, Femspec Journal,2011.

La revue savante Femspec, baséeaux États-Unis, occupe un créneau rela-tivement spécialisé dans la mesure oùelle s’intéresse aux genres de l’imagi-naire pratiqués par des femmes ou sus-ceptibles d’une analyse féministe, touten favorisant la participation non seule-ment des universitaires patentées maisaussi des amatrices et lectrices éclairées.

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J. F. LewisVoid City T.1 :Un pieu dans le cœurParis, Milady (Bit-lit poche), 2011,377 p.

En octobre dernier, les éditionsMi lady enrichissaient leur collectionde bit-lit par la présence d’un jeuneauteur américain du nom de J. F.Lewis. Le premier roman de sa sérieVoid City s’appelle, en français, Unpieu dans le cœur et met en scèneÉric, un vampire sans scrupule etgérant d’un club d’effeuilleuse. Érica la particularité de perdre la cartede temps à autre sans se souvenir deses derniers meurtres, conséquencede l’embaumement qu’il a subi à samort, avant de se réveiller vampir e.Dans son entourage, nous retrouvonsune belle galerie de personnages :sa copine Tabitha, une danseuseamoureuse de lui, Roger, un de sesamis du temps où ils étaient vivants,et Rachel (la sœur de Tabitha), avecqui il finira par entretenir une rela-tion très profonde.

Dans le monde de Void City – àpeine esquissé au fil du ro man –les humains ne sont pas au courant

de l’existence des créatures surna-turelles, car la police est corrompuepour oublier leurs méfaits, et desmagiciens effacent les mémoires.Les vampires sont rois, les magiciensjouent dans l’ombre, tout commeles sorcières ; les loups-garous sontdes croyants ultra-religieux catho-liques et les démons sont invoquésde temps en temps. Il existe aussid’autres types de créatures, maison ne les connaît pas toutes.

Ce premier roman nous permetd’en connaître un peu sur Éric, unpersonnage complexe qui a sa partde Mister Hyde et qui se retrouverarapidement dans de beaux draps.Un pieu dans le cœur commencedonc sur les chapeaux de roues avecle réveil d’Éric dans une ruelle à côtédu cadavre déchiqueté d’un vampireet d’un clochard qui se trouve être unloup-garou qu’Éric devra mettre enpièces. Dès cet instant, il se re trouvepris dans une vendetta menée parl’alpha du coin, mais ce n’est qu’unepartie de ses problèmes : Tabithasouhaite devenir vampire, au granddam d’Éric, qui préfère ses copineschaudes et gorgées de sang plutôtque mortes et froides.

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Nous suivrons donc en alternanceÉric et Tabitha, l’un aux prises avecses pertes de mémoire et les loups-garous, tandis que l’autre découvrele monde des vampires. Le rythme ygagne beaucoup, car même si l’his-toire d’Éric est prédominante, elle serévèle finalement moins intéressanteque celle de Tabitha, qui avait l’air,au départ, d’une potiche, mais quidevient un personnage complexe aufil des pages. L’histoire d’Éric gagneen intérêt lorsqu’il devient évidentqu’une personne de son entourageest impliquée dans les malheurs quilui arrivent.

Comme dans toutes les histoiresde fantasy urbaine, c’est la créationd’univers qui donne un inté rêt au ro -man : sur quelles variations l’auteursera-t-il intéressant? Ici, l’organisa-tion des vampires est esquissée maisouvre sur de multiples possibilités.On pourra reprocher à l’auteur d’avoircréé des vampires hyperpuissantsqui souffrent du complexe du « j’aitellement de pouvoir que je me sorsde toutes les situations en étant fortet rapide », mais il laisse entendre, àla fin du roman, qu’ils ne sont pas sipuissants pour rien. Le personnagede Rachel est lui aussi très intrigant,car Tabitha laisse entendre rapide-ment que sa sœur est morte, tandisque nous suivons les aventures dela cadette avec celles d’Éric.

Si la véritable nature de Racheln’est pas élucidée à la fin du premiervolume, les trente dernières pagesapportent beaucoup de révélationssur Tabitha et Éric, tout en nouslaissant avec beaucoup d’élémentsen suspens.

Évidemment, on est assez loin deTwilight, car les scènes sanglantesne manquent pas et les histoiresd’amour ne sont pas des amourettesinnocentes. Nous sommes aussi àdes miles de certains romans bit-litde Milady qui flirtent plus avec lacomédie romantique que la fantasyurbaine. Ici, les amateurs de trucsqui brassent seront contents.

Si le premier quart du livre étaitassez peu convaincant, le reste duroman amène son lot de questions,d’intrigues et d’éléments suffisam-ment intéressants pour y prendreplaisir. Si la traduction franchouillardeen rebutera certains, la persévéranceest de mise pour ceux qui aiment legenre.

Preuve que le roman fonctionne,j’ai envie de lire le second volume,ce qui, en soi, est une confirmationde l’efficacité du premier volume.

Mathieu FORTIN

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En raison de sa périodicité trimestrielle, de sa formule et de son nombrerestreint de collaborateurs, la revue Solaris ne peut couvrir l’ensemblede la production de romans SF, fantastique et fantasy. Cette rubriquepropose donc de présenter un pourcentage non négligeable des livresdisponibles en librairie au moment de la parution du numéro. Il nes’agit pas ici de recensions critiques, mais strictement d’informationsbasées sur les communiqués de presse, les 4es de couverture, les articlesconsultés, etc. C’est pourquoi l’indication du genre (FA: fantastique ;FY: fantasy ; SF: science-fiction ; HY: plusieurs genres) doit être consi -dérée pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une simple indication préliminaire!Enfin, il est utile de préciser que ne sont pas présentés ici les livres dontnous traitons dans nos articles et rubriques critiques. La mention (R)indique une réédition.

par Pascale RAUD et Norbert SPEHNER

Ben AARONOVITCH(FY) Le Dernier Apprenti sorcier T.1 : Les Rivières de

LondresParis, Nouveaux millénaires, 2012, 379 p.L’agent Peter Grant monte la garde sur une scène de crimelorsqu’un témoin se présente. Le seul hic: il est mort de plusd’un siècle et est un fantôme… Peter est alors engagé parl’inspecteur Nightingale dans l’unité de la police londoniennechargée des affaires surnaturelles.

Joe ABERCROMBIE(R) (FY) La Première Loi T.2 : Déraison et sentimentsParis, J’ai Lu (Fantasy), 2012, 701 p.

Mouloud AKKOUCHE(SF) Si à 50 ans, t’as pas ta RolexSerres-Morlaàs, Atelier in 8 (Quelqu’un m’a dit…), 2012, 96 p.Un homme rentre chez lui en voiture. Au même moment, descaméras de surveillance du Dôme enregistrent l’évasion d’undangereux individu. Novella d’anticipation.

Fabrice ANFOSSO(FY) Le Bord du monde T.2Triel-sur-Seine, Lokomodo, 2012, 432 p.Aplecraf et ses compagnons poursuivent leur chemin dans lesténèbres et le froid pour découvrir la forme du Monde jaune.

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Paolo BACIGALUPI(SF) La Fille automateVauvert, Au diable Vauvert, 2012, 595 p.XXIe siècle. Après le grand krach énergétique, et tandis queles effets secondaires des pestes génétiquement modifiéesravagent la Terre, les producteurs de calories sont devenusles maîtres du monde. Prix Locus du premier roman 2010.

Iain BANKS(SF) TransitionParis, Orbit, 2012, 430 p.Une puissante organisation occulte appelée le Concern chercheà contrôler le monde. Un mouvement de résistance se constitue,mené par Mrs Mulverhill.

James BARCLAY(R) (FY) Les Chroniques des Ravens T.1 : AubeMort(R) (FY) Les Chroniques des Ravens T.2 : NoirZénith(R) (FY) Les Chroniques des Ravens T.3 : OmbreMageParis, Milady, 2012, 648, 672 et 648 p.

Jean-Pierre BONNEFOY(R) (SF) Polynesia T.1 : Les Mystères du tempsParis, Pocket (Best), 2012, 928 p.

Pierre BORDAGE(SF) La Fraternité du Panca T.5 : Frère ElthorNantes, L’Atalante (La dentelle du cygne), 2012, 419 p.Pour sauver l’humanité, la Fraternité du Panca a entrepris deconstituer une chaîne quinte : chaque maillon de la chaîneinsuffle une énergie qui permettra au cinquième frère demener le combat final. Dernier volume de la série.

Pierre BORDAGE(R) (SF) Ceux qui rêventParis, J’ai Lu (Science-fiction), 2012, 316 p.

Benoît BOUTHILLETTE, Maxime CATELLIER, AlainUlysse TREMBLAY et Michel VÉZINA(SF) Les Derniers Vivants (La Série Élise)Montréal, Les 400 Coups (Coups de tête), 2012, 268 p.« Dix ans après l’accident Virillio, Ender et Élise se retrouventdans une cabane perdue des Cantons de l’Est pour y consignerles confessions et les déclarations des responsables de ce qui estdevenu le plus important génocide de l’histoire de l’humanité.À partir de bandes magnétiques conservées par Ender, Éliseconstruit un codex qui deviendra le témoin ultime de cette find’un monde. »

Patricia BRIGGS(FY) Le Voleur de dragonParis, Milady, 2012, 352 p.Une esclave qui a fui son maître voit dans le projet d’abolitionde l’esclavage d’un seigneur une occasion de se venger.

Ophélie BRUNEAU(SF) Et pour quelques gigahertz de plus…Laval, Ad Astra (Ad-ventures), 2012, 216 p.À la veille d’une guerre interplanétaire, Serrano, le commandantdu vaisseau le Viking, projette de quitter le système inexplorédans lequel il se trouve. Sauf que les autochtones vont peut-être les obliger à participer à leur conflit…

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Lois McMaster BUJOLD(R) (SF) La Saga Vorkosigan, l’intégrale T.2Paris, Nouveaux Millénaires, 2012, 861 p.Comprend L’Apprenti guerrier, Les Montagnes du deuilet La Stratégie Vor.

David CALVO(FA) Elliot du néantClamart, La Volte, 2012, 248 p.Islande, 1986, dans une petite école primaire. « À la veille de lagrande kermesse annuelle, Elliot, le très vieux concierge muet,a quitté sa chambre sans fenêtres, fermée de l’intérieur. »

Jack CAMPBELL(SF) La Flotte perdue. Par-delà la frontière T.1: IntrépideNantes, L’Atalante (La dentelle du cygne), 2012, 414 p.Nouvelle série dans le cycle de la Flotte perdue. John « BlackJack  » Geary, a réussi à ramener la flotte de l’Alliance quiétait piégée dans les Mondes syndiqués. Grâce à lui, la guerrede cent ans est terminée. Mais tout danger n’est pas écarté.

Gail CARRIGER(FA) Le Protectorat de l’ombrelle T.3 : Sans honteParis, Orbit, 2012, 350 p.Alexia est retournée vivre chez ses parents et a été exclue duCabinet fantôme par la reine Victoria. La seule personne quipourrait expliquer cela a quitté la ville. Et pour finir, il sembleque les vampires de Londres aient juré sa mort.

Lin CARTER(R) (FY) Thongor T.2Paris, Mnémos (Icares), 2012, 376 p.Comprend Thongor et la cité des magiciens, Thongor à lafin des temps et Thongor contre les pirates de Tarakus.

Christine CASHORE(FA) BitterblueParis, Orbit, 2012, 440 p.Bitterblue est la reine de Monsea depuis l’assassinat de sonpère : elle a par ailleurs hérité de son pouvoir de contrôler lesesprits. Aidée de deux voleurs, elle va enquêter sur son passé.

Christine CASHORE(R) (FY) RougeParis, Le Livre de Poche (Fantasy), 2012, 432 p.

David CHANDLER(FY) Les Sept Lames T.1 : L’Antre des voleursParis, Milady (Poche fantasy), 2012, 648 p.Pour pouvoir payer son entrée dans l’organisation criminelledu seigneur du monde souterrain, Malden le voleur envisagede subtiliser la couronne du burgrave,

Fabien CLAVEL(FY) FurorParis, Nouveaux millénaires, 2012, 283 p.Quelques soldats Romains, acculés par la hargne des Ché -rusques dans l’enfer de la Germanie, envisagent de se cacherdans une étrange pyramide, noire comme l’obsidienne, dresséeau milieu du bourbier.

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parChristian SAUVÉ

The Hunger Games

Que Potter se pousse, que Twilight se tasse ! La nouvelleréférence en adaptation de littérature jeunesse au grand écrans’appelle Katniss, et elle est l’héroïne d’une trilogie dystopiqueannoncée par The Hunger Games [Hunger Games : Le film].Au printemps 2012, il était impossible d’échapper au raz-de-maréemédiatique hollywoodien visant à nous convaincre qu’il s’agissaitdu phénomène de l’heure. Les résultats exceptionnels du film aubox-office étaient garantis d’avance, mais quel a été l’accueilcritique du film?

Dans un futur post-post-apocalyptique où l’Amérique a étépartitionnée en douze « Districts », une compétition annuelle op -pose dans une gigantesque arène des représentants adolescentsde chacun de ces districts. Le dernier survivant des vingt-quatreconscrits couvrira son district de gloire et de rations supplémen-taires de nourriture. Une loterie désigne les participants, maiscertains districts ont plus de ressources que d’autres, et Katnissvient justement du très pauvre District 12…

Si vous n’êtes pas convaincu par la vraisemblance de cettesanguinaire prémisse, ne vous en faites pas trop. Le véritableintérêt de The Hunger Games est de voir comment Katniss se

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démène contre une vingtaine d’adversaires prêts à lui trancher lagorge, et ce récit se développe avec suffisamment de vigueur pourqu’on ne se pose pas trop de questions.

La première section du film porte plus d’emphase sur lesobligations familiales de Katniss que sur les Jeux. Située enplein District 12, elle est réalisée selon une esthétique naturalistelassante à regarder. Heureusement, le réalisateur Gary Ross peutcompter sur la performance fort crédible de Jennifer Lawrencedans la peau de Katniss. Incarnant un personnage presque calquésur celui qu’elle tenait dans Winter’s Bone, elle s’impose commeune héroïne attachante, une qualité d’autant plus importante que lefilm ne s’éloigne jamais bien loin d’elle. Katniss se révèle rapide-ment comme un modèle positif pour les jeunes filles, ce qui n’estpas si courant. Elle est forte sans être infaillible, décidée tout enétant pourvue d’une vie affective complexe. Bien entendu, le scé -nario est agencé pour éviter d’en faire une tueuse de sang-froid.

Pour le reste, on parlera d’un film efficace. Après les pre -miè res minutes dans la grisaille des quartiers pauvres, The HungerGames prend des couleurs quand l’action se transporte à Capitol,puis trouve sa voie une fois que commence le long affrontemententre les participants aux jeux de la faim. Les participants ont beaulutter chacun pour leur survie, des alliances émergent naturellementet les relations entre les personnages s’imposent comme des

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ressorts importants de l’intrigue. L’ambivalence de Katniss à jouerselon les règles du jeu apporte une certaine profondeur au film,et ce ne sont pas certaines scènes maladroites (en parties conçuespour compenser l’absence de la narration à la première personnedu roman original) qui gâchent le plaisir de l’expérience.

Comme lecteur, il y a cependant lieu de se demander s’ils’agissait de la meilleure adaptation possible du livre de Collins.Si l’adaptation est généralement assez fidèle aux grandes lignesde l’intrigue, au niveau des détails les différences entre les deuxœuvres sont nombreuses et ont tendance à avantager le roman.

La plus fondamentale de ces différences est la transpositiond’une narration à la première personne en un film de nature plusobjective. Parfois, la transposition est réussie et nécessaire : l’envi - ronnement qu’habite Katniss étant différent du nôtre, il faut doncbien en expliquer les détails. En revanche, certaines de ces scènesajoutées semblent artificielles et platement explicatives. Le filmest également beaucoup moins dérangeant que le livre. L’épopéede Katniss est beaucoup plus pénible sur la page qu’à l’écran,avec des sacrifices physiques que l’héroïne du film ne subit parcontre jamais. Plusieurs détails du livre au sujet de l’oppressionde Capitol sur les Districts n’apparaissent pas à l’écran : les Avoxmuets, l’origine des Loup-clébards et autres détails repoussants.Ces adoucissements se prolongeront-ils dans les deux prochainsfilms, censés être beaucoup plus explicites au sujet de la rébelliondes Districts ? Et que dire du scepticisme romantique de Katniss,beaucoup plus étayé sur la page?

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